vers une democratie ecologique le citoyen, le savant et le politique

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vers une democratie ecologique le citoyen, le savant et le politique
MS GDDCC 2014/2015 – Fiche de lecture
Vers une démocratie écologique
Anna ZARUBINA – Décembre 2014
FICHE DE LECTURE
VERS UNE DEMOCRATIE ECOLOGIQUE
LE CITOYEN, LE SAVANT ET LE POLITIQUE
DOMINIQUE BOURG - KERRY WHITESIDE
Editions SEUIL et La République des idées - 2010
Selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln (1860-1865), la démocratie est « le gouvernement du
peuple, par le peuple, pour le peuple »
« Les futures démocraties devront concilier les droits et devoirs de l’individu et l’impératif
suprême de la survie de l’espèce » - extrait de Vers une démocratie écologique
« Le maître mot de nos relations à la nature n’est plus la maîtrise possessive mais la
responsabilité » - extrait de Nature et technique
*Sur la carte ci-dessus, les pays en bleu sont appelés « démocraties électorales » (étude Freedom in the World de Freedom
House en 2010)
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DOMINIQUE BOURG
Dominique Bourg est intéressé par l’écologie et la
philosophie depuis sa jeunesse. Il axe ses domaines de
recherches sur l’éthique du développement durable, la
construction sociale des risques, le principe de précaution,
l’Économie de fonctionnalité et la démocratie participative.
Dominique Bourg a fait partie de la Commission Coppens,
qui a préparé pendant quatre ans la Charte de
l’environnement, incluse en 2005 dans la Constitution. Il a
co-présidé avec Bernard Ramanantsoa, le groupe de travail du « Grenelle de l'environnement ». Il a
fait également partie du Conseil national du développement durable qu’il a quitté en 2010, en
dénonçant des pratiques contraires à leur éthique. Dominique Bourg fait partie du comité de veille
écologique de la Fondation Nicolas-Hulot.
Il est auteur de 11 ouvrages et co-auteur de 8 ouvrages collectifs, parmi lesquels :
-
Du risque à la menace. Penser la catastrophe, Paris, Puf, 2013
Pour une 6e République écologique, sous la direction de Dominique Bourg, Odile Jacob, Paris, octobre 2011
Le développement durable maintenant ou jamais, avec Gilles-Laurent Rayssac, novembre 2006
Le développement durable, avec Marie-Claude Smouts et Antoine Serge, 2005
Le nouvel âge de l'écologie, éditions Charles Léopold Mayer, 2003
Critique du bio-pouvoir, novembre 2001
La page personnelle de Dominique Bourg : http://mesoscaphe.unil.ch/dominiquebourg/
KERRY WHITESIDE
Kerry H. Whiteside est professeur de sciences politiques
dans une université américaine (Franklin and Marshall
College, Pennsylvanie) depuis 1983. Depuis 2002 il tient la
chaire « Clair R. McCollough Professor of Government ». Il
est spécialisé dans la philosophie politique moderne et la
politique européenne. Ses recherches portent sur la
philosophie de l’environnement, le principe de précaution, le
concept de représentation et l’environnement, et la
politique environnementale en France. Ses écrits ont paru dans Environmental Ethics, Environmental
Politics, Polity, French Politics, Culture and Society, et d’autres revues américaines et françaises.
Il a publié trois livres :
-
Merleau-Ponty and the Foundation of an Existential Politics, Princeton University Press, 1988
Divided Natures : French Contributions to Political Ecology, The MIT Press, 2002
Precautionary Politics : Principle and Practice in Confronting Environmental Risk, The MIT Press, 2006
La page de Kerry Whiteside : http://portedeurope.sciences-po.fr/fr/le-centre/invitees/i/1008-kerrywhiteside.html
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Pour le groupe 5 du Grenelle de l’environnement, « instaurer une démocratie écologique, c’est
établir les cadres nouveaux et adaptés pour ces politiques, en considérant que tous les citoyens sont
concernés à la fois comme victimes et acteurs des crises environnementales ».
Les auteurs du livre attirent notre attention sur l’inadéquation du système démocratique actuel avec
les défis environnementaux et formulent des propositions démocratiques destinées à surmonter les
limites du système représentatif. Pour eux « le défi écologique est indissociablement un défi
politique », « protéger la biosphère implique de repenser la démocratie elle-même ». Socle du
système démocratique, le gouvernement représentatif se révèle impuissant face aux défis actuels,
car il repose sur des principes qui le rendent intrinsèquement incompatible avec la survie de la
planète. La démocratie écologique a pour objectif de « lui adjoindre d’autres processus
institutionnels » et ainsi orienter le mécanisme de prise de décision en direction des « enjeux
biosphériques et internationaux ». Les auteurs déclinent leur argumentation en quatre chapitres.
L’urgence et l’attentisme
L’inertie des gouvernements face à l’urgence écologique est en lien direct avec les caractéristiques
de notre système de décision collectif, expliquent les auteurs en introduction. Les institutions
publiques ne sont pas adaptées aux nouveaux risques vu leur ampleur. La complexité des problèmes
environnementaux, le fait qu’ils ne nous affectent que de loin, nous empêche de les apprécier par
nous-mêmes. En tant qu’électeurs ignorants nous ne pouvons donc pas atteindre nos représentants.
Les défis écologiques présentent cinq caractéristiques qui mettent à mal le principe du
gouvernement représentatif.
-
-
-
-
Le rapport à l’espace (frontières politiques et conséquences de nos actions) : enclins à la
défense d’un territoire particulier, les gouvernements représentatifs jouent nécessairement
contre le collectif ; « jusqu’à une date récente, les effets des actions des hommes ordinaires
ne concernaient guère que leurs proches » ; ce n’est pas le cas de consommateur moderne
dont les modes de vie ont un effet destructeur à grande distance ;
L’invisibilité des problèmes écologiques : à l’époque, les dégradations étaient plus accessibles
à nos sens (égouts urbains en surface) ; aujourd’hui, les citoyens ne sont pas au courant de
risques qu’ils courent, qu’il s’agisse de microparticules polluantes dans l’eau et dans l’air ou
de la disparition des espèces, et ils ne peuvent pas juger les politiques publiques d’une
manière avisée ;
L’imprévisibilité des problèmes écologiques : les changements naturels tels que le
réchauffement climatique sont difficile à appréhender et à anticiper, ce qui participe au
climat global de l’ignorance ; les élus qui jouent le rôle de sages par rapport aux électeurs, ne
sont pas plus aptes que ces derniers à agir face à ces problèmes ;
La dimension temporelle (conséquences à long terme de nos actions) : les élus sont trop
préoccupés par la gestion du présent et échouent dans l’action contre les menaces qui ne
sont pas encore sensibles ; le bien-être immédiat emporte sur les enjeux à moyen et long
terme ; en attendant, nous avons déjà consommé le tiers de notre « budget cumulé
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d’émissions » pour la période 2000-2050 si nous voulons avoir une chance de maintenir
l’élévation de la température, d’ici à la fin du siècle, en dessous de deux dégrées1 ;
La qualification même de difficultés écologiques : on se focalise sur la pollution, alors que le
problème crucial est l’augmentation des flux ; la technique peut réduire les effets négatifs de
nos activités, mais elle le fait au coût d’accroissement de nos prélèvements dans la nature ; il
ne faut pas oublier que les gains de ressources (économies d’énergie) devenus possibles par
le progrès technologique sont annulés par « effet rebond » ; les solutions techniques
conduisent parfois à déplacer les problèmes ou en faire surgir de nouveaux à plus long
terme ; cette fuite en avant est inévitable, puisque le système a été conçu pour encourager
l’enrichissement matériel.
1. Finitude et liberté humaines
« Une démocratie écologique se doit d’être aussi différente du gouvernement représentatif moderne
que ce dernier l’était de la démocratie grecque antique ». Faute d’avoir un droit de participation
directe à la vie de la communauté, les citoyens modernes peuvent commercer, consommer, profiter
de la vie, en faisant intervenir la loi le moins possible dans leur vie quotidienne. Ce mode de
fonctionnement nourrit l’égoïsme, et la poursuite des intérêts personnels devient le moteur de la
prospérité. « La production et la consommation, virtuellement illimitées, sont considérées comme les
principaux instruments du bonheur individuel », soulignent les auteurs.
Ce n’est pas seulement un dispositif institutionnel qui sépare les Anciens et les Modernes, mais la
conception de la vie. Pour les Anciens, la technique n’était qu’un moyen de se faciliter la vie, pour les
Modernes c’est outil de transformation du monde, un enjeu social et politique : « cet univers
purement mécanique, désormais dépourvu de toute hiérarchie naturelle et originelle, libère une
autre infinité, celle de la volonté des individus […] ; le projet moderne consiste à
rendre possible, à travers la domination technoscientifique, l’égalité de tous »
La modernité se prévaut d’un programme de « franchissement tous azimuts des limites et des
frontières » qui incite à satisfaire ses désirs individuels, en apportant sa pierre à l’épuisement de la
biosphère. La nature qui n’a plus « rien à voir avec l’ancien cosmos (ordre et beauté) se réduit à un
stock de ressources destinées à être exploitées et transformées ».
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Source: présentation de Dominique Bourg « A l’arrière-plan de la démocratie écologique », 2010
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Comme suite des excès, la nature se dégrade et les menaces qui pèsent sur la survie de l’humanité
deviennent « palpables ». Le monde moderne redécouvre la finitude du monde l’environnant sous
toutes ses formes.
Il s’agit de la finitude de ressources naturelles, difficilement substituables, ainsi que de l’épuisement
des services rendus par les écosystèmes, traditionnellement répartis en trois catégories : services de
régulation (du climat, des flux hydriques, la purification de l’air et de l’eau, le contrôle de l’érosion,
etc.) ; les services de fourniture (la nourriture, les fibres naturelles, les ressources génétiques, les
molécules végétales) et enfin les services culturels (spirituels, esthétiques, touristiques).
Les auteurs citent neuf domaines de nos activités où la limite de dangerosité a été franchie2 : le
changement climatique ; le taux de l’érosion de la biodiversité ; l’interférence de nos activités avec
les cycles de l’azote ; la déplétion de l’ozone stratosphérique ; l’acidification des océans ; l’usage de
l’eau douce et celui des sols ; la quantité et la qualité de la pollution chimique ; l’impact des aérosols
atmosphériques.
Les limites les plus périlleuses ne sont pas tant les limites de ressources naturelles, mais plutôt celles
que le fonctionnement même de la biosphère impose à nos activités.
À la finitude du monde fait écho la finitude humaine. Pour les auteurs, « la croyance en la toutepuissance des techniques relève d’une pensée magique ». Nos modélisations scientifiques intègrent
des paramètres de plus en plus nombreux pour aboutir à des marges d’incertitude de plus en plus
grandes. Nous habitons un monde « en voie de rétrécissement », dans les deux sens du terme : notre
espace vital sera diminué par la montée de niveau de mer et l’avancée de l’aridité.
2. La « question naturelle »
Le XVIIIe siècle a été dominé par la question politique, le XIXe siècle par la question sociale. Avec le
XXe s’est imposée la question naturelle. A chaque âge correspondait son organisation
institutionnelle. Le gouvernement représentatif a eu le mérite d’émanciper l’individu et d’apporter
une prospérité économique à la société. Les citoyens votent selon leur intérêt, déterminé par
l’appartenance sociale et les valeurs. Les intérêts n’étant pas fixes, les représentants tentent à les
influencer par le compromis ou la contrepartie.
Cette articulation entre intérêts et représentation est malheureusement inopérante face à la
question naturelle. Les risques environnementaux qui ne sont pas immédiatement perceptibles ne
mobilisent pas les électeurs, qui n’exercent pas de pression sur les représentants. Les intérêts
égoïstes des individus électeurs sont limités dans l’espace et dans le temps, alors que les enjeux
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Source : Johan Rockström et al, A Safe Operating Space for Humanity, 2009
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écologiques nécessitent un champ de vision large. Les élus ne sont pas en mesure de se prononcer
sur les problématiques environnementales hautement techniques. De surcroit, il est impossible de
retrouver le responsable des dégâts avec une accumulation des effets des activités quotidiennes des
uns et des autres.
Le problème est celui de concept de base qui fait obstacle à la prise en compte de la question
naturelle. D’après Hobbes et Locke, les deux grands théoriciens de la représentation, le modèle
représentatif a pour objectif premier de mettre fin à la guerre pour que les hommes puissent mettre
la nature en coupe. La philosophie politique dominante repose sur une opposition frontale entre
l’homme et la nature. Les hommes sont arrachés à leur condition « naturelle », de leurs pulsions
animales, pour devenir des êtres rationnels.
Donnée irréductible, la nature doit être réintroduite au cœur du débat public. Il faut encourager
l’implication directe des citoyens, dont la parole a été confisquée, préférer le délibératif au
représentatif. Le dialogue, la réflexion, la pédagogie doivent participer à la prise de conscience vu la
complexité des enjeux environnementaux. De nombreuses formules participatives tels que jurys et
conférences citoyens 3, ateliers scénario, forums hybrides pourraient être utilisées. Ils
encourageraient la création des institutions prospectives (instituts de recherche, conseils
consultatifs, etc.). La démocratie écologique prolongerait d’une certaine manière le gouvernement
représentatif, en mettant en place un mécanisme pour éviter ses dérives.
3. Les limites de la représentation moderne
Toutes les démocraties modernes ont fondé la représentation sur l’appartenance territoriale. Au
niveau national, gouvernement représentatif attenue les particularismes en regroupant tous les
intérêts individuels, qui se font concurrence et se neutralisent. Les citoyens choisissent leurs
représentants et acceptent les lois élaborés pour leurs territoires. Cela crée des liens d’identification
à un Etat et son territoire délimité. Le rôle des représentants est ainsi de « protéger par la loi le mode
de vie d’une population particulière qui habite un territoire particulier ». Un des exemples classiques
de ce système favorisant l’appartenance territoriale est le refus par le Sénat américain de ratifier le
Protocole de Kyoto.
Au niveau territorial inférieur, c’est la circonscription qui permet la prise en compte des spécificités
locales dans la représentation. Ces territoires ne sont pas « naturelles », leurs limites sont avant tout
le résultat des aléas historiques et politiques. Certains, surtout aux Etats-Unis, ont envisagé la
création de « biorégions », c’est-à-dire, ils ont fait « coïncider l’organisation politique et sociale des
communautés humaines avec des spécificités écologiques d’une région ». Ce système est peu
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Conçue et utilisée au Danemark depuis 1987 sous forme de conférence de consensus, la conférence de citoyens est une
forme de participation citoyenne, dont l’objectif est de permettre à un panel de citoyens profanes de dialoguer avec des
experts et de s’exprimer sur des problématiques scientifiques et technologiques pour lesquelles il existe d’importantes
incertitudes et divergences d’opinion.
En France, trois conférences de citoyens ont été organisées: en 1998, Conférence de citoyen sur « Les OGM dans
l’agriculture et l’alimentation organisée par l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ; en
2002, Conférence de citoyen sur « Les changements climatiques et citoyenneté » organisée par la Commission française du
développement durable ; en 2003, Conférence de citoyens sur « Le devenir des boues domestiques issues de station
d’épuration », organisée dans le cadre du Débat national sur l’eau.
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convaincant puisque les régions géographiques, climatiques, biologiques et culturelles coïncident
rarement.
Une solution plus réaliste consiste à négocier des traités régionaux. L’Union européenne pourrait
être un exemple de gouvernements représentatifs cédant peu à peu de leur souveraineté à une
instance transnationale. Cependant, son mécanisme de représentation a les mêmes limites : les
élections européennes se décident sur des enjeux nationaux.
A ces limites territoriales s’ajoutent les limites temporelles. Les démocraties représentatives sont mal
adaptées pour défendre les intérêts de générations futures. Les hommes politiques ne fonctionnent
que par les échéances électorales. « Le futur est la circonscription négligée de la politique
représentative moderne ».
D’après les auteurs, cela nous amène à devoir mobiliser des acteurs qui ont un champ de vision plus
large - les organisations non gouvernementales environnementales (ONGE). Ces acteurs disposent
d’une véritable expertise, placent la nature au cœur de leur action et sont dignes
de siéger au sein d’instances publiques ou gouvernementales. Leur rôle serait d’introduire les
composantes environnementales dans toutes les activités gouvernementales. Au niveau
international, la Banque mondiale et la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le
développement ont déjà engagé des concertations régulières avec les ONGE. En France, des
associations sont membres de comités gouvernementaux sur l’évaluation des risques sanitaires et
environnementaux.
En ce qui concerne la sélection des ONGE, les auteurs proposent de combiner appel à la société
civile, tirage au sort et délibération. Un système de participation tournante avec un choix des acteurs
de par une liste de critères et une large consultation citoyenne à l’échelon national pourrait
également être envisagé.
Dans le contexte actuel, les organisations restent placées sous l’autorité des grandes institutions
nationales. Pour permettre leur indépendance dans la démocratie écologique, nous sommes amenés
à modifier la constitution.
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4. Pour une « bioconstitution »
Une bioconstitution aura notamment pour tâche de clarifier le rôle ambigu des technosciences.
Celles-ci se retrouvent souvent entre les mains de puissants intérêts économiques, auxquels les
chercheurs eux-mêmes sont liés. Cause de dégradations et source de nos connaissances sur l’état de
la planète, « la science ne peut plus apparaître comme le conseiller impartial de l’action collective».
Renoncer à la science ou la placer sous le contrôle de la volonté publique serait impossible. Les
auteurs proposent d’établir une distinction entre une « science éclairante » et une « science
agissante ». La première doit établir des données d’une manière impartiale et éclairer la décision
collective, tandis que la seconde agis en dehors des laboratoires pour entrer dans notre vie
quotidienne, influer notre environnement et nos valeurs.
Les auteurs suggèrent également la création d’une Académie du futur, composée de scientifiques, de
philosophes et d’intellectuels du premier plan, dont les compétences variées permettraient un
« monitoring planétaire ». Pour éviter de tomber dans une « expertocratie », un nouveau Sénat
assurera la médiation entre le savoir écologique et le pouvoir politique.
La nouvelle constitution fixerait de nouveaux principes, de nouveaux objectifs constitutionnels, et de
nouveaux devoirs étatiques. L’État étendrait le champ de sa fonction patrimoniale à la biosphère et à
l’ensemble de « biens publics mondiaux environnementaux ». La fonction première de l’état cédera
aux intérêts supérieurs. Les nouveaux objectifs constitutionnels seront de veiller au respect des
limites de la planète (les neuf limites mentionnées ci-dessus) et le principe de finitude s’appliquerait
à toutes les décisions importantes.
Avec un appui sur les travaux de l’Académie du futur, un nouveau Sénat serait entièrement dédié aux
enjeux environnementaux de long terme, et élaborerait des projets de loi en harmonie avec ces
objectifs. Les sénateurs n’appartiendraient à aucune formation politique, tout en étant les plus
représentatifs possible du corps social. Concernant le mode de désignation, les ONG dresseraient une
liste de personnalités qualifiées, sur laquelle les sénateurs seraient désignés au hasard ; un tiers du
Sénat serait choisi au hasard parmi les citoyens ordinaires, représentatifs de la population nationale
de sexe, âge, profession et origine géographique différents. Les Sénateurs seraient élus pour neuf
ans, et le Sénat serait renouvelé par tiers tous les trois ans.
L’examen des lois sera précédé de procédures délibératives (conférences de citoyens, jurys de
citoyens, sondages délibératifs) dont l’organisation sera confiée à la Commission nationale du débat
public (CNDP) ou au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Un Ministère de
questions écologiques rattaché au Premier Ministre sera crée.
Selon les auteurs, deux points importants ne sont pas abordés dans le livre : la gouvernance
internationale et le choix d’un modèle macroéconomique échappant au modèle de croissance.
Le modèle proposé nous permettrait de développer une véritable conscience écologique,
respectueuse de la vie, libre du consumérisme et défiante du progrès technologique. Du
libéralisme, la démocratie écologique retient les principes de liberté d’expression et de
diversité de valeurs. De la gauche, elle retient la planification de la production, la redistribution
équitable et la coopération internationale. Pour les générations présentes et futures, elle permettrait
de concilier la nature et la liberté, ainsi que les droits et les devoirs.
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Critiques de la démocratie écologique
Le livre a suscité de nombreuses réactions, positives et négatives. L’une des principales critiques est
la surestimation du poids des institutions dans la vie démocratique et l’oubli, par les auteurs, du trait
d’union entre la question sociale et la question écologique. Mais il existe une critique plus radicale,
consistant à dire que leur démocratie écologique n’est ni démocratique, ni écologique 4.
Parmi les lectures sceptiques, philosophe et historien Marcel Gauchet se focalise sur deux points :
critique de l’interprétation du modèle représentatif et critique des solutions proposées. Selon lui, les
difficultés n’ont pas grand chose à voir avec les infirmités du mécanisme représentatif. Il s’agit plutôt
de la faible crédibilité des partis verts, de l’échec du sommet de Copenhague, du faux succès du
Grenelle de l’Environnement et de la vague de climato-scepticisme. « Le problème, c’est l’orientation
idéologique actuellement dominante, avec son sacre de l’individu privé, sans autres horizons que
ceux d’acquérir (version de droite) et de s’épanouir (version de gauche), abstraction faite de l’univers
naturel…».
D’après Fabrice Flipo, philosophe des sciences et techniques, le problème, ce sont ces « individus »,
dont l’identité n’est pas précisée, comme s’ils étaient tous également responsables quelle que soient
leur situation sociale. Identifier les difficultés des individus à agir de manière « écologique »
n’intéresse pas Dominique Bourg, pour qui la solution ne peut venir que d’ajustements dans le droit,
via la représentation (Victor Petit).
Yves Charles Zarka, philosophe et professeur, remarque qu’en prétendant corriger le système de la
représentation, les auteurs imaginent un système institutionnel qui serai anti-démocratique :
« l’élément central de ce système est en effet la distinction ente ceux qui savent (les savants, les
experts, les philosophes, les moralistes, des membres des ONG, et alii) et ceux qui ne savent pas : la
majorité des citoyens » ; le peuple semble « incapable de tenir compte de ce que disent les
scientifiques quand les conséquences ne sont pas immédiatement perceptibles aux sens ».
Jean Gadrey (blog Alternatives économiques), un économiste français spécialiste des services et des
indicateurs de richesse rappelle, à la manière d’Hervé Kempf, que ce que les auteurs appellent
démocratie est en réalité une oligarchie, et constate que les principales alertes écologiques
proviennent de l’alliance de scientifiques et d’ONGE, ce qui suffirait peut-être à signaler que
l’expertocratie écologique est elle aussi impuissante.
D’après Pierre Rosanvallon, historien, sociologue et intellectuel français, il n’est pas possible de
résoudre le problème de la myopie sur le long terme en se cantonnant à la démocratie électorale. Les
rythmes électoraux et les impératifs de sondage cantonnent en effet nos sociétés à une « préférence
pour le présent ». Dans un sens assez proche de celui de Dominique Bourg, Rosanvallon propose
quatre façons de corriger les tendances court-termistes :
-
introduire des principes écologiques dans l’ordre constitutionnel ;
renforcer et étendre la définition patrimoniale de l’État ;
mettre en place une grande Académie du futur ;
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Source : blog http://ecodemo.hypotheses.org, articles « Démocratie écologique en débat » et « Vers une démocratie
écologique » de Victor Petit
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-
instituer des Forums publics mobilisant l’attention et la participation des citoyens.
Les projets de dualisation du système représentatif, ou un nouveau bicamérisme5, retrouvent
aujourd’hui une certaine vigueur aussi avec le « Parlement des choses » de Bruno Latour, sociologue,
anthropologue et philosophe des sciences.
Loïc Blondiaux et Yves Sintomer seraient favorables à la création d’une troisième chambre de la
société civile pour pondérer et sophistiquer l’approche parlementaire.
Conclusion
Aujourd’hui, la société doit subir des changements à tous les niveaux pour s’adapter à des nouveaux
défis, y compris au niveau institutionnel. Les institutions politiques dans leur configuration actuelle
ne peuvent pas assurer le monde viable pour les générations futures. Suivant les critiques citées, la
démocratie écologique pourrait amener la société vers un régime expertocratique et, par
conséquent, anti-démocratique. La piste de l’opposition de la démocratie participative à la
démocratie représentative n’est pas la seule. Il est difficile d’anticiper quelles dérives pourrait avoir
un modèle proposé, sans connaître tous les éléments de mise en œuvre pratique. Néanmoins, les
propositions des auteurs devraient être prises en compte pour les futures réformes, parce qu’elles
placent l’impératif écologique au cœur du débat et les citoyens - au cœur du système de prise de
décision. L’introduction de priorités écologiques à tous les niveaux de la société (instances
gouvernementales, constitution, institutions prospectives, science, débat public) favorisera
l’abandon de la logique court-termiste et le développement de la conscience écologique chez le plus
grand nombre de citoyens.
POUR ALLER PLUS LOIN :
-
-
-
Dominique Bourg et Kerry Whiteside, « Pour une démocratie écologique », La Vie des idées,
1 er septembre 2009 : http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20090901_bourg.pdf
Yannick Rumpala, Développement durable ou le gouvernement du changement total,
Lormont, Le bord de l’Eau, 2010 : http://lectures.revues.org/1224
Yannick Rumpala, « Gouverner en pensant systématiquement aux conséquences ? Les
implications institutionnelles de l’objectif de développement durable », VertigO, vol. 10, n° 1,
avril 2010 : http://vertigo.revues.org/9468?file=1
Grenelle de l’environnement, rapport du Groupe 5 (2007), Construire une démocratie
écologique : institutions et gouvernance (synthèse) : http://www.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/Gouv_EducG5_Synthese_Rapport.pdf
Cynthia FLEURY et Anne-Caroline PREVOT-JULLIARD, L’exigence de la réconciliation (2012)
Synthèse de cours sur la démocratie écologique, Chaire « Gilles Deleuze - métropole, nature,
démocratie »,
Université
de
Bordeaux,
2013 :
http://www.fondation.univbordeaux.fr/sites/default/files/pdf/2013-cours4-democratie-ecologique.pdf
5
L'objectif du bicamérisme en France est de modérer l'action de la Chambre basse (aujourd'hui l'Assemblée nationale qui
est élue au suffrage universel direct), en soumettant toutes ses décisions à l'examen d'une seconde chambre, la Chambre
haute (aujourd'hui le Sénat qui est élu au suffrage universel indirect), plus conservatrice.
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