Le sport scolaire doit

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Le sport scolaire doit
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dossier
Aller jusqu’au bout de son effort, pour soi mais aussi pour les autres…
Cross solidaire de l’Usep Bretagne, 2008.
Le sport scolaire doit-il
être caritatif ?
À l’image de stars du foot ou du judo devenues des
« pros » du caritatif, de nombreux élèves des écoles
participent à des actions solidaires, en particulier
au sein d’associations Usep. Cette initiation
à la solidarité fait-elle partie des missions du sport
scolaire ? Elle peut, mais à certaines conditions.
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Du club à l’association d’école
La solidarité, pas la charité
Parce que la mission de l’école est aussi de former des citoyens
et que le sport porte des valeurs de solidarité, les associations Usep
sont invitées à soutenir de multiples causes. Avec discernement.
L Yves Forestier / Deadline Photo Press et Pascal Potier / Visual Press Agency
es années 80 et 90 ont vu naître et
s’amplifier le phénomène du charity
business : des vedettes de la chanson
et des groupes de rock organisant
d’immenses concerts et vendant des millions
de disques au profit de causes humanitaires.
Puis, au fil des ans, des sportifs connus ont
commencé eux aussi à mettre leur notoriété
au service d’actions solidaires. Comme Zidane
s’engageant aux côtés d’Ela, l’Association
européenne de lutte contre les leucodystrophies, ou David Douillet parrainant pendant
plusieurs années l’opération « Pièces jaunes »
au profit des enfants hospitalisés. Ou encore
Nadal et Federer, participant régulièrement à
des matchs de bienfaisance (1).
« Cette implication de plus en plus fréquente de
sportifs dans des actions caritatives et humanitaires date du début des années 2000 » note
Dominique Charrier, maître de conférences
en Staps à l’université Paris-Sud, qui s’est
intéressé de près au phénomène et a tenté
d’en comprendre les causes. Car que vient
faire au juste le sport dans cet univers de la
charité ? « Les motivations qui poussent les
sportifs à de tels engagements solidaires sont
de toutes sortes. Quand la fondation du PSG
intervient dans des zones urbaines dites sensibles, on est clairement dans une stratégie de
communication pour ce grand club de foot. On
peut aussi évoquer un processus que j’appellerai de revanche de l’éthique sportive : mis à
mal par des affaires de dopage, de violence,
de corruption, le système sportif cherche à
retrouver une image plus juste à travers le
caritatif. N’oublions pas non plus les parcours
individuels : tel sportif de haut niveau peut être
touché personnellement par une cause, sensible
à une maladie du fait de sa propre histoire »
souligne Dominique Charrier.
Autre élément sur lequel l’enseignant-chercheur souhaite attirer l’attention : cette
« compassion » ne touche pas seulement les
champions, loin de là ! « Bien d’autres acteurs
David Douillet, Zinedine Zidane :
deux champions qui se sont engagés
en prêtant leur image.
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du monde sportif ont également fait ce choix
solidaire. Des organisations non gouvernementales comme Sport sans frontières (2) ou
Athlètes du monde. Des fédérations comme
la FSGT, qui s’engage pour la paix et la nonviolence en Palestine. Et surtout nombre de
dirigeants de club convaincus des vertus éducatives du sport. »
Parce qu’elles appartiennent à une fédération
affinitaire qui se revendique de valeurs humanistes, les associations l’Ufolep sont particulièrement sensibles à ces différentes causes.
Rien que parmi les clubs cyclistes, on peut
citer l’exemple de Cap Cyclo Sport (Val-d’Oise),
qui envoie des vélos au Mali, ou du Cyclo-Club
de Roche-la-Molière (Loire), dont la « Course
du cœur » a récemment permis de financer
l’achat d’un défibrillateur. Quant au club de
Lardenne (Haute-Garonne), il organise chaque
année un brevet de randonneur sportif au
profit de la recherche contre l’épilepsie, avec
pour marraine l’ancienne championne Marion
Clignet, elle-même épileptique…
LES SCOLAIRES SOLLICITÉS
Parmi tous ces anonymes, les scolaires ne
sont pas les derniers à user leurs baskets ou
mouiller le tee-shirt pour aider les plus démunis, les malades ou les personnes souffrant de
handicap. Ainsi, chaque année depuis bientôt
quinze ans, plus de 200 000 collégiens en
France et aussi à l’étranger prennent le départ
de la Course contre la faim. À travers cette
initiative, l’association Action contre la Faim
veut sensibiliser les jeunes au problème de la
faim dans le monde et récolter des fonds. Le
principe ? Chaque élève se fait sponsoriser par
sa famille, ses amis ou les commerçants de son
quartier. La somme promise par chacun des
« sponsors » est multipliée par le nombre de
kilomètres parcourus par le jeune sportif le
jour de la course. « Ma fille, qui est maintenant
lycéenne, a participé à cette course durant
toutes ses années de collège. Je trouvais le prin-
ELA
Le sport scolaire doit-il être caritatif ?
L’Association européenne contre les leucodystrophies
invite les enfants à payer de leur personne.
cipe très intéressant. Il lui fallait d’abord aller
démarcher les gens, donc expliquer la cause
pour laquelle elle allait courir, ce qui supposait
qu’elle y ait réfléchi et qu’elle ait des arguments solides. Ensuite, elle devait s’impliquer
physiquement, donner vraiment d’elle-même.
Et surtout, respecter un contrat : courir la distance qu’elle s’était engagée à parcourir. Ça me
semble beaucoup plus éducatif par exemple
que d’amasser des pièces dans une tirelire en
carton ! » confie Isabelle, mère de Margaux,
16 ans, à Cabriès dans les Bouches-du-Rhône.
Chez les plus jeunes de l’école primaire, les
projets solidaires sont particulièrement nombreux, et parfois menés sous l’égide ou avec
l’aval des comités Usep. Un exemple parmi
d’autres : la « Virade de l’espoir » à laquelle
200 enfants de l’Usep de la Loire ont participé
en septembre 2010. « Le but était de sensibiliser les enfants à la mucoviscidose. Tout un
travail d’information sur cette maladie et sur
le souffle a été fait en amont dans les classes
grâce à différents intervenants, notamment des
infirmières scolaires. En parallèle, nous avons
préparé tous les enfants, de la moyenne section
au CM2, à la course longue. Le jour J, ils ont
assisté le matin à des ateliers sur l’importance
du souffle et de la qualité de l’air dans la vie
quotidienne, et couru l’après-midi » explique
le délégué Usep Patrick Lablanche.
« À travers cet événement, notre but était de
sensibiliser les enfants et leurs familles, de
les rendre plus réceptifs au sort des personnes
atteintes par cette maladie et qui vivent en
situation de handicap. Car la mission de l’école,
c’est aussi d’apprendre aux élèves à ouvrir les
yeux, à observer le monde autour d’eux et
essayer de le rendre meilleur, au moins à leur
niveau » estime Édith Thelisson, professeur
des écoles et l’une des deux animatrices Usep
à l’origine du projet.
L’ARGENT TABOU ?
Le directeur national de l’Usep, Christian
Marchal, voit dans cet état d’esprit l’affirmation d’un choix de société. « La finalité
de l’Usep, dans le prolongement de l’action de
l’école, est de former à terme des citoyens autonomes, responsables, capables de construire
une société où le vivre ensemble ne sera pas
un vain mot, et où de grands acquis solidaires
comme la Sécurité sociale ou les retraites par
répartition seront préservés », insiste-t-il. Et
de poursuivre : « À travers ces différents projets
solidaires, le but n’est donc pas de se donner
bonne conscience sur le moment mais de s’inscrire dans la durée, de faire comprendre aux
enfants que la détresse n’est pas une fatalité,
qu’elle peut être réversible et qu’on peut agir
pour cela. On n’est pas solidaire parce qu’on a
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donné une bonne fois pour toutes mais parce
qu’on s’engage pour que le monde change ! »
Reste une question cruciale : faut-il solliciter
des dons en argent ? À l’occasion des Virades
de l’espoir, l’Usep de la Loire y a répondu à sa
façon. « Nous n’avons pas souhaité organiser
nous-mêmes de récolte de fonds. Cela n’est pas
notre mission dans le temps scolaire, temps
durant lequel les enfants sont en quelque sorte
un “public captif”. Nous avons considéré que
nous ne pouvions pas les obliger à une participation financière liée à la pratique sportive,
même si c’est le principe de la Virade. Nous
avons donc laissé l’association de parents, les
enseignants et l’association Vaincre la mucoviscidose, notre partenaire sur ce projet, s’en
charger. À l’école, l’Usep se doit de rester dans
les champs du sport et de l’action citoyenne ; audelà, elle sort de son territoire » résume Patrick
Lablanche au nom du comité départemental.
L’Usep de l’Essonne s’est posé exactement la
même question : faut-il solliciter les enfants
au-delà de l’effort physique qu’ils consentent,
et leur demander en plus de l’argent ? Depuis
plusieurs années, ce comité organise en effet
au mois d’octobre deux journées de sensibilisation à la solidarité internationale : lors d’un
parcours d’orientation, les élèves découvrent
des informations sur le problème de l’eau dans
le monde, assistent à la présentation d’initia-
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AFM/Christophe Hargoues
Jeunes judokas entourant un joueur de basket-fauteuil à la Ciotat pendant le Téléthon 2009.
COLLECTES DANS L’ÉCOLE PUBLIQUE : UNE LONGUE HISTOIRE
Chaque hiver depuis 1925, les petits écoliers de
En 65 ans d’existence, cette campagne créée en
France vendent à leur entourage ou dans la rue les
1946 a beaucoup évolué. « À l’origine, il s’agissait
fameux « timbres du souffle », afin de recueillir
de collecter des dons de la part des enfants des
des fonds pour lutter contre les maladies respi-
écoles pour donner à d’autres enfants en diffi-
ratoires. Cette campagne intitulée « Le souffle
culté, en France. Puis les services sociaux se sont
c’est la vie » est autorisée par le ministère de
structurés et cette collecte a peu à peu perdu de
l’Éducation nationale et orchestrée par le Comité
sa pertinence. Il y a 12 ans, elle a donc été redé-
national contre les maladies respiratoires et la
finie en direction de la solidarité internationale :
tuberculose. Et si dans notre pays la tuberculose
désormais, les fonds recueillis servent à soutenir
n’est plus une priorité absolue comme ce fut le
des projets d’amélioration scolaire – construc-
cas au lendemain de la Première Guerre mondiale, d’autres
tions d’écoles, de bibliothèques, de latrines, de logements pour
maladies respiratoires restent à prendre en charge comme
les enseignants – dans des pays en voie de développement »,
l’asthme ou les bronchites chroniques.
explique David Lopez, en charge de la campagne au sein du
Aux côtés de cette « doyenne », il existe d’autres campagnes de
secteur international de la Ligue de l’enseignement. Et de pré-
collecte de dons, elles aussi reconnues par le ministère et se
ciser : « Nous sommes soucieux d’éviter tout misérabilisme. Cette
déroulant au sein de l’école publique. Celle de Jeunesse au plein
campagne ne doit pas se limiter à un appel de dons mais doit
air, née en 1947 pour offrir loisirs et vacances aux enfants qui
être l’occasion pour les enseignants de mener une réflexion avec
n’en bénéficient pas, demeure tout à fait d’actualité puisqu’en
les élèves autour de questions essentielles : pourquoi existe-t-il
21e
siècle, deux millions d’enfants ne quittent
des pays pauvres ? pourquoi certains enfants ne vont-ils pas à
jamais leur lieu de vie quotidien. C’est aussi le cas de « Pas
l’école ? » Alors que la plupart des actions de solidarité portent
d’éducation, pas d’avenir », ancienne « Quinzaine de l’école
sur la maladie, le handicap ou les catastrophes naturelles, s’in-
publique », animée par la Ligue de l’enseignement.
téresser à l’éducation constitue une originalité certaine ! ● I.G.
ce début de
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tives de solidarité en Afrique ou en Amérique
latine par des associations comme Éthiquable,
France Volontaires ou l’Office central de la
coopération à l’école (OCCE). Chaque année, un
projet particulier est mis en œuvre : en 2011,
ce sera la construction d’un stade au Maroc.
« Et, comme chaque année, un débat, parfois
très animé, a eu lieu dans nos rangs ! » confie
Michel Petit, délégué Usep de l’Essonne, avant
de préciser les termes de la discussion : « Nous
ne mettons pas tous la même chose derrière
cette belle idée de solidarité. Certains estiment
que le rôle de l’Usep doit se limiter à sensibiliser
les enfants à la solidarité, à les éveiller au sentiment solidaire. À eux ensuite de trouver par
leurs propres moyens les causes pour lesquelles
ils souhaitent s’engager. D’autres au contraire
pensent que l’on peut inciter les enfants à aller
plus loin pour agir concrètement, en donnant de
l’argent ou des objets. Cette année, nous avons
finalement tranché : il n’y aura pas d’argent
collecté pour la construction du stade, mais
les enfants qui le souhaitent pourront donner
du matériel sportif, par exemple des ballons. »
PENSER L’ACTION
Ce risque de faire apparaître un don comme
une aumône d’enfants riches à d’autres plus
pauvres, le « Cross de la solidarité » organisé
depuis six ans par l’Usep de Bretagne l’a pris
en compte. Mais, dans les faits ces notions de
nantis et de démunis s’effacent le temps d’une
course. « Parallèlement à leur participation à
la course, les enfants qui le veulent peuvent
donner des livres qui seront ensuite redistribués
par le Secours populaire. Or, parmi nos élèves,
beaucoup sont issus de milieux peu favorisés. Il
est intéressant qu’à cette occasion ils ne soient
pas les destinataires de la solidarité mais les
auteurs, à égalité avec les autres » observe
Jean-Philippe Le Guillou, professeur des écoles
au Faouët (Morbihan) et animateur Usep.
Après la liberté et la fraternité évoquées plus
haut, voici donc l’égalité, dernière valeur d’un
triptyque républicain qui, au final, résume
bien le sens de la solidarité que le sport scolaire souhaite transmettre. ●
Isabelle Gravillon
(1) Il existe aussi une tradition des matchs de bienfaisance
dans le football, comme ceux du Variétés Club de France
ou de l’association France 98. On notera d’ailleurs que le
parrain de l’édition 2011 de l’opération « Pièces jaunes »
n’était autre que l’ancien champion du monde Christian
Karambeu. Rappelons enfin qu’une rencontre France-Japon
de judo était organisée le 23 septembre à Bercy au profit
des sinistrés de Fukushima.
(2) Sport sans frontières a lancé fin septembre un label
« Club solidaire » afin d’encourager, de valoriser et d’accompagner les pratiques sociales et solidaires des clubs sportifs
français. Ce label sera attribué aux clubs amateurs et professionnels de tout sport s’engageant à respecter une charte
éthique et des engagements concrets. Parrainée par Nikola
Karabatic, cette initiative bénéficie du soutien du ministère des Sports, de l’Équipe, RMC et de la Fondation RATP.
(www.club-solidaire.org ou www.sportsansfrontieres.org)
Éric Avenel
Malgré tout, n’y a-t-il pas un risque d’éparpillement, d’engagement sur des projets pas
toujours en accord parfait avec les valeurs de
l’Usep ? « Ce risque existe, et c’est pourquoi nous
devons nous emparer de ce débat au niveau
national : l’action de terrain ne doit pas se faire
au détriment d’une réflexion plus large. Il nous
faut mettre au point une doctrine qui permette
de poser la bonne question face à chaque projet
solidaire qui se présente : en participant à ce
cross du cœur ou à cette course de la solidarité, allons-nous fondamentalement œuvrer à
l’émancipation des enfants ou simplement nous
donner bonne conscience ? L’Usep doit être en
capacité de dire oui, mais aussi non. Ça s’appelle être libre ! » conclut Christian Marchal.
Pour sa part, le comité de l’Essonne a parfois
préféré dire non. « Il avait été un temps envisagé de se rapprocher du Lions Club, qui aurait
pu apporter des fonds proportionnellement
aux kilomètres parcourus par les enfants pour
financer le projet de stade au Maroc. L’idée
a finalement été rejetée au motif que l’Usep
était philosophiquement trop éloignée de cette
association » explique Michel Petit. Quant au
comité Usep de l’Allier, il a trouvé un moyen
imparable de garder le cap : tout projet solidaire doit donner la priorité au sport.
En 2008, ce comité a notamment organisé
l’opération « Je cours pour ma santé, je cours
pour le Mali ». « Notre objectif premier était de
promouvoir l’endurance, dans la perspective de
protéger sa santé. Et pour motiver les enfants,
nous avons adjoint un projet de solidarité en
faveur du Mali. Le comité directeur a débloqué
une somme fixe de 500 € pour ce projet afin
d’éviter toute collecte de dons et toute surenchère » détaille Michel Lacroix, président de
l’Usep de l’Allier. Les élèves des écoles participantes ont couru au total 13 435 km, objectif
atteint, et les 500 € ainsi gagnés à la force du
mollet ont servi à acheter pour moitié du matériel sportif et pour moitié du matériel scolaire.
Le tout a été acheminé dans une école malienne
par un étudiant qui a aussi servi de facteur,
rapportant aux enfants français des lettres et
des photos des écoliers maliens. « Loin de toute
pitié ou de toute condescendance, on est là dans
cette fraternité inscrite au fronton des écoles »,
commente Christian Marchal.
La Course contre la faim d’ACF mobilise chaque année 200 000 collégiens.
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Franck Ferville
ÉLOGE DE L’EMPATHIE
Serge Tisseron, psychanalyste, est l’auteur
action, me permet de percevoir s’il a oui ou non envie de cela, quelles
de « L’empathie au cœur du jeu social »
sont ses vraies attentes à mon égard. De plus, l’empathie laisse la porte
(Albin Michel).
ouverte à une possible réciprocité : je l’ai aidé dans un domaine, mais
peut-être va-t-il pouvoir m’aider dans un autre. Quand on donne de
Qu’est-ce que l’empathie ?
l’argent lors du Téléthon ou d’une autre manifestation caritative,
« Cette notion comporte plusieurs niveaux. À
cette dimension empathique n’est malheureusement pas toujours
un premier stade, l’empathie est la capacité
présente… Parfois, sans même en être conscient, on se contente de
de se mettre à la place d’autrui et de ressentir
blanchir sa conscience par ce geste mais on n’est pas dans une réelle
ce qu’il éprouve, aussi bien pour s’attrister que se réjouir avec lui. On
curiosité vis-à-vis des personnes pour qui l’on donne – malades,
parle alors d’empathie affective : elle s’installe très tôt chez le petit
handicapés, démunis, etc. –, pas dans une vraie relation empathique,
enfant, vers 8 ou 10 mois. Vient ensuite, vers 5 ou 6 ans, l’empathie
à l’écoute de leurs désirs et de ce qu’elles pourraient nous apporter.
cognitive : non seulement je perçois les émotions d’autrui, mais je
comprends la façon dont il se représente le monde. Je ressens que
cet enfant est malheureux et je sais pourquoi, par exemple parce
qu’il n’a pas beaucoup de jouets. Mais l’empathie va beaucoup plus
loin que cela. Elle suppose que je reconnaisse à l’autre cette capacité
à se mettre lui aussi à ma place. Et surtout à m’apprendre des choses
sur moi que j’ignore, à m’éclairer sur des facettes de mon intimité.
Il n’existe point d’empathie sans cette réciprocité. »
Les enfants peuvent-ils être éduqués à l’empathie ?
« Comme tous les êtres humains, les enfants possèdent naturellement
la première strate de l’empathie : percevoir les émotions de l’autre et
comprendre comment il voit le monde. En revanche, il est essentiel de
les éduquer au fait d’accepter que l’autre puisse se mettre à leur place
et être une source d’information sur eux-mêmes car c’est beaucoup
moins évident pour eux. Cela les aidera à s’inscrire dans des relations
de solidarité réciproque et à se garder de la solidarité verticale, qui
L’empathie est-elle un préalable nécessaire à la solidarité ?
comporte forcément une dimension de pouvoir et d’emprise. Pour
« Oui, car l’empathie permet de penser la solidarité, d’éviter qu’elle ne
les aider à cette prise de conscience, on peut notamment leur faire
s’exerce dans une seule dimension verticale sur le mode “Je suis plus
pratiquer des jeux de rôles. Dans des saynètes à trois personnages –
riche que toi, mieux loti, donc je te donne à toi qui est pauvre et néces-
l’agresseur, la victime et le sauveur – on leur demande par exemple
siteux”. L’empathie me rend réceptif à ce que l’autre pense de mon
de jouer successivement les trois rôles. » ● Propos recueillis par I.G.
L’USEP VEUT SENSIBILISER LES ENFANTS AU HANDICAP
d’anglais et tétraplégique, a couvert les
42,195 km du marathon de Paris en 4h09,
alors qu’il ne peut bouger que trois doigts, il
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Le 10 avril 2011, Olivier Morel, enseignant
a montré comment fonctionnait le logiciel
de reconnaissance vocale qui permet d’ins-
poussé et tracté dans son fauteuil par deux
crire ses paroles au tableau. Cette approche
de ses cousins. Une opération baptisée « Roll
pragmatique et cette « alliance » pour relever
and Move » à laquelle ont participé plusieurs
ensemble un grand défi ont sans doute été
associations Usep et plus particulièrement
celle de l’école Françoise Dolto d’Échirolles,
Rencontre Usep dans la Loire.
plus instructives qu’un long discours sur le
respect de la différence… « Il ne suffit pas
près de Grenoble. Olivier Morel est venu régulièrement rendre
de mettre côte à côte un enfant valide et un enfant handicapé
visite aux élèves avant le marathon pour leur parler de son pro-
pour faire évoluer les mentalités. Il faut les mettre en situation de
jet mais aussi de sa vie quotidienne. « Ces échanges très directs,
faire ensemble, et plus particulièrement du sport, pour que chacun
sans tabou, où toutes les questions ont pu être posées, ont permis
touche du doigt les limites et difficultés de l’autre, mais aussi ses
d’aller au-delà de la simple compassion et d’initier une vraie
atouts. Voilà pourquoi nous nous battons pour permettre l’accès
compréhension du handicap » explique Jean-Charles Reynaud,
au sport scolaire à tous les enfants, sans distinction d’aucune sorte
délégué Usep de l’Isère. Olivier Morel a notamment expliqué
souligne Jacques Giffard, secrétaire général de l’Usep, chargé
aux enfants que même sans courir, sa participation au marathon
du dossier handicap. Le but est qu’en partageant des activités
représentait pour lui un vrai défi sportif et physique, du simple
sportives avec des copains sourds, aveugles, en chaise roulante ou
fait de rester quatre heures sanglé dans son fauteuil. Face aux
souffrant de déficiences psychologiques ou mentales les enfants
interrogations sur la façon dont il exerce son métier d’enseignant
portent un regard sans a priori sur le handicap. » ● I.G.
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Le sport scolaire doit-il être caritatif ?
« Qu’est-ce que la solidarité ? »
Enseignant et essayiste, spécialiste de la laïcité et militant du Parti
de Gauche, Henri Pena-Ruiz vient de publier « Qu’est-ce que la solidarité ? ».
éditions Abeille et Castor
Certes, dans la nature ne survivent que les
individus les plus aptes. Mais l’homme a heureusement la faculté de corriger la nature par
la culture : un bébé humain qui naît avant
terme ne meurt pas, une couveuse lui permet de parachever sa maturation. Balayer la
solidarité d’un revers de main au motif que
l’homme serait naturellement concurrentiel
n’a aucun fondement sérieux, ce n’est qu’idéologie. On n’a pas le droit de prétendre que les
sociétés humaines reposent naturellement
sur le désir de compétition. Voilà pourquoi je
dénonce l’ultralibéralisme qui érige en règle
universelle la concurrence totalement libre
et non faussée.
Henri Pena-Ruiz.
Henri Pena-Ruiz, à la question « Qu’est-ce
que la solidarité ? », vous répondez par
une citation de Victor Hugo : « Le cœur
qui pense ». Pouvez-vous expliciter cette
définition ?
Pour définir la solidarité, il suffit de penser au
mot « solide », qui vient du latin « solidus ». Est
solide un corps qui ne se brise pas parce que
constitué de parties liées entre elles. Lorsqu’on
applique ce concept à un groupe humain,
on désigne un type de relations telles que
chaque personne est liée à toutes les autres
et ne peut rester indifférente à ce qui leur
arrive. Si un homme meurt de faim, les autres
hommes qui vivent à côté de lui ne peuvent
se désintéresser de son sort. La solidarité est
garante de la cohésion sociale, elle rend une
société plus forte. Je cite souvent la devise
des Trois Mousquetaires : « Un pour tous, tous
pour un ». Elle représente assez bien l’idéal
de la solidarité, appliqué non plus à l’ardeur
combative mais à l’aventure collective de
l’existence humaine.
Que répondez-vous à ceux qui taxent d’utopie cette idée d’une société solidaire et
objectent que l’humain est avant tout mû
par la recherche de son intérêt personnel
et la compétition ?
Je leur réponds qu’ils sont des sauvages et
confondent l’être humain avec l’animal !
En quoi la solidarité se distingue-t-elle de
la charité ?
Je ne méprise pas du tout la charité mais je lui
préfère de beaucoup la solidarité qui comporte
une dimension militante et véhicule avec elle
la volonté de faire évoluer la société. Prenons
l’exemple d’un SDF grelottant l’hiver dans la
rue. Lui faire la charité consiste à l’aider de
manière ponctuelle, le soulager sur le moment.
Etre solidaire avec lui suppose qu’après lui être
venu en aide, on s’interroge sur la manière de
faire que cela ne se reproduise plus. On ne se
contente pas d’une conscience ponctuelle de
la détresse que vit un autre être humain, mais
on passe à un diagnostic de notre société. Et
puis dans l’idée de solidarité, il y a celle de
réciprocité, sinon réelle du moins virtuelle : ce
qui t’arrive aujourd’hui peut très bien m’arriver
à moi demain. Dans la charité au contraire,
quelle que soit la pureté des intentions de
ceux qui la pratiquent, il y a toujours plus ou
moins l’idée d’un don unilatéral. La solidarité,
elle, est fondamentalement liée à l’égalité.
Quel regard portez-vous sur les grandes
manifestations caritatives comme le
Téléthon ou les concerts pour les Restos
du Cœur ?
Je suis très gêné par le fait que l’État se dessaisisse de certaines de ses missions fondamentales, comme assurer la justice sociale
ou financer la recherche médicale, et compte
sur la solidarité ou la charité publique pour
le suppléer. Il est honteux que l’État joue
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ainsi sur le bon cœur des citoyens ! Quels que
soient les mérites de la solidarité, jamais elle
ne pourra se substituer aux responsabilités de
l’État : ce n’est pas son rôle et cela ne doit pas
l’être. Bien entendu, cela ne disqualifie pas les
personnes qui, en attendant que l’État prenne
ses responsabilités, organisent la solidarité
autour de ceux qui ont besoin d’être secourus.
De nombreuses manifestations sportives
affichent un but solidaire, récoltent des
fonds pour une cause. Cela vous surprend-il ?
Non pas du tout car le sport, dans son éthique,
sa déontologie, inclut cette dimension solidaire. Qu’est-ce qui fait une belle équipe ?
Des gens qui ont envie de jouer et gagner
ensemble. Pas la juxtaposition d’ego surdimensionnés jouant « perso » ! Oui, le sport
peut être solidaire mais pas n’importe quel
sport… Il y a un choix à faire entre une version
capitaliste et égoïste du sport, pourri par des
salaires faramineux, et une version exemplaire
du sport tel qu’il a notamment été promu à
l’époque du Front Populaire.
Le sport scolaire peut-il être solidaire ?
J’en suis convaincu, cela me semble même
parfaitement cohérent. Parce que le sport scolaire se déployant au sein de l’école laïque et
républicaine œuvre justement pour démocratiser la pratique sportive, la rendre accessible
aux enfants de toutes les classes sociales, cela
peut constituer un juste retour des choses que
ces mêmes jeunes se mettent au service de
missions solidaires ! ●
Recueilli par I.G.
Qu’est-ce que
la solidarité ?,
(un cœur qui pense),
éditions Abeille
et Castor, 280 p., 16 €.
en jeu une autre idée du sport n°450
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