Chien Dermatomyosite associée à une démodécie
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Chien Dermatomyosite associée à une démodécie
N 325-EXE_Mise en page 1 21/03/14 11:15 Page26 Chien Dermatomyosite associée à une démodécie CAS CLINIQUE Double diagnostic chez un chiot colley Un chiot colley femelle de 5 mois est présenté à la consultation pour un prurit généralisé associé à la présence de lésions faciales. Cet animal vient d’être acheté dans un salon canin en région lyonnaise et provient d’un élevage de la Loire. Nous avons peu d’informations sur ses antécédents néanmoins l’éleveur a signalé au moment de la vente que l’animal avait déjà présenté des lésions faciales qui ont rétrocédé après un traitement antibiotique. Nous ne savons rien par contre sur le reste de la portée en matière de prurit ou de lésions. 2 Vue rapprochée de la face : lésions ulcéro-croûteuses en périphérie de l’œil droit, alopécie et croûtes sur le chanfrein. Examen clinique Christophe Duperray CES de dermatologie 31, route de Genas 69680 CHASSIEU [email protected] www.clinique-veto-luminier.com © Christophe Duperray Nous décrivons ici le cas d’un chiot colley de 5 mois présenté pour des lésions faciales prurigineuses compliquées par une pyodermite. Cet animal était en réalité atteint de deux maladies simultanées, une dermatomyosite et une démodécie, cette dernière ayant été diagnostiquée grâce à la réalisation de biopsies. En regardant de façon plus précise la face, nous constatons un état kérato-séborrhéique pytiriasiforme à l’extrémité des pavillons auriculaires (photo 3), une dépigmentation au niveau de la truffe (photo 4), un épaississement, une sclérose et une hypopigmentation à la jonction cutanéo-muqueuse des lèvres supérieures (photos 5, 6). Depuis le jour de son achat, l’animal se gratte sur l’ensemble du corps mais le prurit facial est le plus marqué et c’est à ce niveau que se concentrent la plupart des lésions. Le chien est apathique, prostré depuis son acquisition, se couche dès qu’on essaie de le promener en laisse mais son appétit est bon. Il ne présente pas de fièvre, l’examen clinique général et en particulier l’examen neurologique sont normaux mis à part une conjonctivite purulente bilatérale. 3 4 © Christophe Duperray Au niveau de la face nous observons de façon globale de l’alopécie, un discret érythème, des ulcérations et des croûtes dont la plupart sont des lésions auto-infligées localisées en zone périoculaire (photos 1 et 2). 5 6 1 Vue générale de la face : alopécie, croûtes, excoriations. © Christophe Duperray Jonction cutanéo-muqueuse de la lèvre supé- Jonctions cutanéo-muqueuses de la lèvre supérieure gauche. Hypopigmentation, sclérose. rieure droite. Hypopigmentation et sclérose. Nous observons également un état kérato-séborrhéique icthyosiforme au niveau des proéminences osseuses des coudes et du jarret et des extrémités des membres et de la queue (photos 7, 8, 9, 10). Quelques croûtes sont également présentes dans ces zones ainsi que de l’érythème. N°325 du 27 mars au 2 avril 2014 26 © Christophe Duperray Extrémité du pavillon auriculaire gauche. Dépigmentation de la truffe. Etat kérato-séborrhéique intense. N 325-EXE_Mise en page 1 21/03/14 11:15 Page28 Chien 7 © Christophe Duperray © Christophe Duperray CAS CLINIQUE 11 Vue générale face ventrale abdomen. Erythème, lésions ulcéro-croûteuses serpigineuses. 8 © Christophe Duperray © Christophe Duperray Face latérale coude gauche : érythème et squamosis psoriasiforme à ichtyosiforme intense. 12 Vue rapprochée abdomen. Larges croûtes adhérentes. 9 © Christophe Duperray © Christophe Duperray Face latérale extrémité antérieure droite. Alopécie et érythème en regard des proéminences osseuses. 13 Vue rapprochée abdomen. noter les lésions érythémateuses en plaques. © Christophe Duperray 10 © Christophe Duperray Face latérale tarse gauche : érythème, alopécie et croûte. 14 Base de la queue. État kérato-séborrhéique avec larges squames adhérentes. Vue rapprochée. Alopécie, érythème, croûtes et on distingue une discrète papulo-croûte (en bas, à droite, en dessous de la biopsie). Au niveau de l’abdomen nous observons d’importantes lésions érythémateuses en plaques en association avec des zones hypopigmentées et de larges lésions ulcéro-croûteuses serpigineuses. Quelques rares papulo-croûtes sont également visibles (photos 11,12,13 et 14). séborrhéique et ulcéro-croûteuse touchant la face, les extrémités, les proéminences osseuses, les jonctions cutanéo-muqueuses et la région abdominale, cette dermatose s’accompagnant également d’une conjonctivite purulente bilatérale. En résumé, nous observons chez cet animal une dermatose juvénile prurigineuse alopécique, érythémateuse, À ce stade de la consultation le diagnostic différentiel est très large. Il inclut les dermatoses parasitaires (démodécie, N°325 du 27 mars au 2 avril 2014 28 N 325-EXE_Mise en page 1 21/03/14 11:15 Page30 Chien CAS CLINIQUE gale sarcoptique, leishmaniose, dermatophytie), infectieuses (pyodermites bactériennes), auto-immunes ou à médiation immunitaire (lupus, pemphigus, vascularite, toxidermie…) et génétiques (dermatomyosite). est donc réalisé en prenant soin de cibler les différentes lésions existantes en différents points et à différents stades. Les conclusions de cet examen sont indiquées en encadré en bas de page. Examens complémentaires Cet aspect histologique complexe associe donc des lésions de démodécie (sur cinq biopsies), des lésions de pyodermite superficielle impétiginée, des lésions de dermatite d'interface paucicellulaire avec mucinose dermique et des lésions de myosite interstitielle. Différents examens sont réalisés. Des raclages jusqu’à la rosée sanguine au niveau de la face et des proéminences osseuses ne permettent pas la mise en évidence de parasites. Un trichogramme ainsi qu’un examen en lumière de Wood n’objectivent pas la présence de dermatophytes. Des calques cutanés sous-crustacés confirment la pyodermite bactérienne avec phagocytose de nombreux éléments bactériens (coques essentiellement). Mais nous n’observons pas de prolifération bactérienne de surface au niveau des autres lésions (alopéciques ou érythémateuses par exemple). Bien que les examens complémentaires immédiats confirment la pyodermite bactérienne, celle-ci est sans aucun doute secondaire compte tenu de la variété et de la gravité des lésions, de la présence de lésions sur la jonction cutanéo-muqueuse et de l’âge de l’animal. Il convient en fait de rechercher une cause sous-jacente à la pyodermite. Malgré des raclages cutanés négatifs, nous n’excluons pas totalement la gale sarcoptique et une sérologie est demandée. Elle reviendra négative. Une culture fongique sur milieu DTM est également mise en route sans permettre la pousse de colonies de dermatophytes. Enfin, des biopsies cutanées sont réalisées en vue d’une analyse histo-pathologique. Un grand nombre de biopsies Résultats de l’examen histopathologique L'épiderme est soit d'épaisseur normale, soit faiblement à modérément hyperplasique, soit gravement ulcéré, soit recouvert de vésiculo-pustules sérocellulaires ou neutrophiliques impétiginées avec des amas bactériens bleutés. L'épiderme peut alors présenter des lésions de vésiculation avec œdème cellulaire. Très régulièrement, dans la couche basale de l'épiderme et de la gaine épithéliale folliculaire externe, on observe des corps apoptotiques isolés et un très discret infiltrat d'interface très peu cellulaire, lymphocytaire. Sur certaines biopsies les follicules pileux montrent une hyperkératose orthokératosique plus ou moins marquée. Sur cinq biopsies, on observe dans la lumière des follicules pileux des silhouettes parasitaires de taille variable évoquant des Demodex avec des formes juvéniles et des formes adultes. Dans le derme, on remarque régulièrement une discrète mucinose interstitielle, une discrète cellularité mononucléée angiocentrée et sinon un infiltrat périvasculaire mastocytaire discret. Sur trois biopsies on note une discrète atrophie folliculaire. Sur deux biopsies comportant du muscle strié en profondeur, on observe nettement une atrophie des myofibrilles et leur dilacération par une mucinose et un discret infiltrat interstitiel mononucléé. Absence d'éléments figurés fongiques. Cet ensemble lésionnel évoque l'évolution conjointe d'une dermatopathie ischémique, d’une pyodermite superficielle impétiginée et d’une démodécie. L’aspect lésionnel de dermatopathie ischémique suggère l’évolution d’une vascularite/vasculopathie : on envisagera en priorité une dermatomyosite bien décrite dans certaines races de chiens de berger (berger d'Écosse, berger Shetland et berger de Beauce). Compte tenu des éléments anamnestiques, cliniques et histopathologiques en notre possession, nous concluons que cet animal présente une dermatomyosite familiale canine compliquée d’une démodécie et d’une pyodermite bactérienne. Traitement L’évolution de la dermatomyosite étant aléatoire et son traitement incompatible avec celui de la démodécie, nous avons décidé de traiter en premier lieu les complications avant d’envisager de traiter la maladie sous-jacente. Une antibiothérapie à base de céphalexine est donc instaurée pendant 3 semaines en association avec des shampooings antiseptiques à base de chlorhexidine. Un traitement de la démodécie est initié avec de l’amitraz (Ectodex®). Il s’effectuera arbitrairement sur une durée de 3 mois, tout en sachant que les raclages n’ayant pas permis de les visualiser la première fois, il sera difficile de contrôler leur élimination. Il conviendrait sans doute de pratiquer d’autres biopsies pour s’en assurer mais la proposition a été refusée par la propriétaire. Un mois après le début des traitements on note une très nette amélioration au niveau de l’abdomen ventral mais nous notons une évolution vers une ulcération plus importante au niveau des proéminences osseuses. Nous décidons alors d’ajouter localement de la Diprosone® (béthaméthazone) afin de cibler les lésions de dermatomyosite sans avoir à utiliser une corticothérapie systémique qui serait plus risquée compte tenu de la démodécie. Cette thérapeutique montre rapidement son efficacité et la cicatrisation s’effectue au bout de 2 semaines. Depuis la chienne montre par endroit et de façon aiguë quelques lésions sur le chanfrein et les proéminences osseuses que nous contrôlons avec de la cortisone en pommade. Il n’a pas été nécessaire d’ajouter d’autres traitements car depuis un an la chienne est contrôlée et semble donc n’être atteinte que d’une forme mineure de dermatomyosite. N°325 du 27 mars au 2 avril 2014 30 N 325-EXE_Mise en page 1 21/03/14 11:15 Page32 CAS CLINIQUE Discussion La dermatomyosite familiale canine est une maladie inflammatoire rare à déterminisme génétique affectant la peau, les muscles et parfois les vaisseaux. Elle touche en priorité les chiens de race colley, les bergers des Shetlands et les croisés issus de ces races sans prédisposition de sexe. Elle a été décrite dans d’autres races également. Une transmission de la maladie sur un mode autosomal dominant à expressivité variable a été observée dans la race colley. Les signes cliniques sont présents dès le plus jeune âge (de quelques semaines à quelques mois). L’intensité des lésions est très variable et la maladie peut même parfois passer inaperçue ou guérir spontanément. Dans certains cas, au contraire, les lésions sont graves et durent toute la vie de l’animal. Cliniquement, la maladie peut présenter une forme cutanée stricte ou en association avec des lésions musculaires plus ou moins graves (atrophie symétrique des muscles temporaux et des masséters, mégaœsophage). Cependant les signes de myosite sont parfois si peu prononcés que la forme clinique n’est en fait que purement cutanée. D’un point de vue dermatologique, la silhouette lésionnelle peut être assez évocatrice de la maladie avec une atteinte de la face et des proéminences osseuses, propices aux traumatismes. Nous retrouvons à la fois des lésions primaires avec de l’érythème, de l’alopécie, parfois des dépigmentations puis très rapidement des lésions secondaires avec des érosions, des ulcères, des croûtes, des cicatrices. Un état kérato-séborrhéique peut apparaître de façon variable selon les animaux, sur les extrémités des pavillons auriculaires et les proéminences osseuses. Les autres signes cliniques associés sont une conjonctivite (secondaire semble-t-il à une difficulté à fermer les paupières), une infertilité, une polyarthrite transitoire. La pathogénie est complexe et implique probablement une anomalie immunologique héréditaire. L’ischémie consécutive aux lésions de vasculite (réaction à complexes immuns ?) pourrait expliquer en partie l’ébauche des lésions épidermiques et folliculaires. Par ailleurs la microscopie électronique a révélé la présence de structures compatibles avec celles de virus dans les cellules endothéliales des muscles de certains chiens, évoquant ainsi une étiologie virale à la maladie comme cela est le cas dans la dermatomyosite infantile humaine associée à une infection par le virus coxsackie B. Les traitements envisageables sont restreints : Chien • Corticoïdes : 1 à 2 mg/kg/j de prednisolone. Malheureusement d’une efficacité aléatoire, et présentant de nombreux effets secondaires. • En cas d’absence d’amélioration aux corticoïdes, on peut utiliser des cytotoxiques (azathioprine, méthotrexate) seuls ou en association avec les corticoïdes. • La ciclosporine peut être proposée dans des cas rebelles. • Dans les formes chroniques, la pentoxifylline (Torental®) peut être utilisée en monothérapie ou en association pour ses propriétés rhéologiques et immunomodulatrices : 10 mg/kg 2 à 3 fois par jour, mais elle présente un délai d’action très long. Àpropos de ce cas clinique, la particularité est la présence en association d’une dermatomyosite et d’une démodécie. Les exemples sont très rares même si cela a déjà été observé (« Postmortem findings in four litters of dogs with familial canine dermatomyositis. » HARGIS A M & co. AJP, June 1986, vol .123. N°3, p480-496). Dans cette publication, l’observation d’une démodécie associée à la dermatomyosite s’était faite également par l’examen histo-pathologique et non par raclages. Il semble en effet que la contamination par le Demodex lors de dermatomyosite soit de faible intensité, et ne soit que difficilement observable au cours d’un raclage cutané. En outre dans notre exemple nous n’avons observé cette contamination que sur 1/3 des biopsies. Si dans l’étiologie de la dermatomyosite humaine, on considère que de nombreux facteurs ou agents pathogènes peuvent être impliqués dans la genèse de la maladie (virus, bactéries, Toxoplasma gondii, tumeurs), il semble chez le chien qu’une anomalie immunologique héréditaire soit à l’origine de la maladie. Cette fragilité du système immunitaire conduirait également dans certains cas au développement d’une démodécie. Cependant on pourrait être alors assez surpris de ne pas voir de cas plus fréquents de démodécie secondaire au traitement de la dermatomyosite qui nécessite souvent l’utilisation d’immunomodulateurs. Une recommandation enfin serait de ne pas s’arrêter au diagnostic de démodécie sur un animal jeune fortement suspect de dermatomyosite même si des demodex étaient observés sur des raclages, car l’association des 2 maladies est possible. Donc, dans le doute, biopsiez. n Bibliographie 1. MATHET J.L. Dermatomyosite chez un chiot Beauceron. PMCAC (2001)36 : 373376. 2. FERGuSSOn E.A, CERunDOLO R, LLYOD D.H, REST J, CAPPELLO R : Dermatomyositis in five Shetland sheepdogs in the united Kingdom. Vetrinary Record, 2000, n°146, 214-217. 3. HARGIS A.M & coll: Familial canine dermatomyositis. Initial characterization of the cutaneous and muscular lesions. Am J Pathol 1984, 116:234-244. 4. HARGIS A.M & coll. Postmortem Findings in Four litters of Dogs with Familial canine dermatomyositis. Am J Pathol 1986, 123:480-496. 5. COCHET-FAIVRE n, PRELAuD P. Traitement d’une dermatomyosite grave, intérêt de la ciclosporine. 6. GROSS T.L, IHRKE P.J, WALDER E.J, AFFOLTER, V.K.Canine Dermatomyositis. In Skin Diseases Of The Dog And Cat, Clinical And Histopathological Diagnosis, second edition (Blackwell Publishing 2006), p 503-505. N°325 du 27 mars au 2 avril 2014 32