Décès d`une légende du sport de Concours Complet

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Décès d`une légende du sport de Concours Complet
SPORT
En mémoire d’Anton Bühler
Décès d’une légende du sport de
Concours Complet
L
e Zurichois Anton «Töni» Bühler a marqué le sport de Military au
cours des années 50 et 60, il a participé à trois reprises à des Jeux
Olympiques et il reste à ce jour le seul cavalier suisse de Concours
Complet ayant remporté une médaille individuelle et une médaille
par équipe dans cette discipline lors de Jeux Olympiques. Après
sa carrière active, il créa le championnat des Alpes et il a parcouru
le globe durant plus de 20 ans en tant qu’officiel et juge lors d’innombrables concours de CC. Anton Bühler s’est éteint le 27 mars
à l’âge de 91 ans.
Tous les sièges de l’église de Berg am Irchel
étaient occupés. En plus des membres de la
famille, des personnalités du sport équestre
et de nombreux compagnons de route de
toute la Suisse s’y trouvaient pour rendre un
dernier hommage à Anton Bühler. «La cérémonie fut très belle et émouvante », selon
Ruedi Günthardt, qui faisait partie, avec
«Töni» Bühler, de la mémorable équipe
ayant remporté l’unique médaille olympique
de CC pour la Suisse lors des JO de 1960 à
Pratoni del Vivaro près de Rome (ITA).
«Nous fûmes tout d’abord des concurrents,
ensuite des camarades et des amis pour la
vie », nous dit Ruedi Günthardt, qui s’est
rendu tous les dix jours à Winterthur pour
rendre visite à Anton Bühler durant les trois
années que ce dernier a passées en centre
de soins. «Lors de ces rencontres, nous
avons en fait toujours parlé des chevaux, des
manifestations équestres ou des personnes
que nous connaissions par l’entremise du
sport équestre », se souvient Günthardt qui
fêtera ses 77 ans cette année. Le plus beau
souvenir partagé par les deux cavaliers reste
celui de 1960 lorsqu’Anton Bühler rempor-
Avec la manière:
Anton Bühler avec
son cheval Gay
Spark en route
pour une médaille
lors des Jeux Olympiques de 1960 à
Pratoni del Vivaro
près de Rome.
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«Bulletin» 5 / 29. 4. 2013
tait la médaille de bronze olympique avec
Gay Spark ainsi que la médaille d’argent
avec l’équipe composée également de
Ruedi Günthardt et de Hans Schwarzenbach. «Et nous n’avons jamais oublié la fête
que la société d’équitation de Wiedikon
avait alors organisée pour nous à la Zunfthaus zur Meisen», se rappelle Ruedi Günthardt.
«Anton Bühler était très sociable et tout le
monde l’appréciait», raconte Alfred «Ali»
Schwarzenbach, dont le père Hans était un
ami très proche du défunt et qui a lui-même
monté en 1972 aux Jeux Olympiques de
Munich au sein de l’équipe suisse avec
Anton Bühler, Paul Hürlimann et Max Hauri
avec, à la clé, un sixième rang. «Töni a vécu
pour les chevaux et pour le sport», constate
Schwarzenbach. «Töni Bühler était un grand
nom du Concours Complet. Et je témoigne
tout mon respect à ce véritable gentleman
qui fut un brillant cavalier, un officiel apprécié et un ami passionné de notre sport. Il
nous manquera beaucoup», déclare également Catrin Norinder, direc-trice de l’Eventing auprès de la FEI.
Photos: Collection privée de Ruedi Günthardt
Reconnaissance du parcours à Rome :
Anton Bühler (devant) avec Hans Schwarzenbach (au centre) et Ruedi Günthardt.
Une famille de cavaliers très considérée
Anton Bühler, appelé «Töni» par les amis et
la famille, était venu au monde le 15 juin
1922 comme avant-dernier de quatre
enfants et il a grandi dans le château parental à Berg am Irchel. Son grand-père et son
père étaient eux aussi d’excellents cavaliers.
Son père Hans E. Bühler avait participé en
1924 aux Jeux Olympiques de Paris en Saut
d’obstacles et en Concours Complet. Ce
colonel de cavalerie faisait également partie
de l’équipe suisse de saut ayant remporté la
célèbre coupe de l’Aga-Khan en 1926 à
Dublin. Pour fêter ce succès, il avait ramené
le poney Tess pour Anton et pour son frère
Hans, d’une année plus âgé. Et c’est sous la
direction sévère de leur père que les frères
Bühler apprirent à monter. A cinq ans déjà,
Töni participait à des petits concours et à des
présentations. Après sa maturité, Anton
Bühler, qui avait hérité de son père la passion
des beaux-arts, a fréquenté une école de
sculpteurs à Zurich. Le tour de monde qu’il
avait prévu de faire avec son frère fut contre-
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carré par la deuxième guerre mondiale. En
1942, Anton Bühler débutait son école de
recrue dans la cavalerie et il dut servir jusqu’en 1945. Durant son école de sous-officier, il avait acquis aux enchères pour la
somme de 600 francs l’Irlandais Archimedes,
un cheval près du sang qui fut son premier
«fédéral» et il a participé avec lui à des
courses, des épreuves combinées et des
épreuves de saut durant son service militaire.
Un succès déterminant sur le Schänzli
En 1946, Anton Bühler disputait avec Archimedes son premier military sur le Schänzli de
Bâle et il s’y classait d’emblée au troisième
rang, battant ainsi même son père rompu
aux compétitions olympiques. Ce premier
succès a été déterminant pour la carrière
sportive du jeune homme, raison pour
laquelle la boîte en argent qu’il avait alors
reçu en guise de prix et sur laquelle son nom
et celui d’Archimedes étaient gravés, resta
durant de longues années sur son guéridon.
Une année plus tard, le cavalier alors âgé de
25 ans participait pour la première fois à
l’étranger et plus précisément à Turin avec
Amour Amour, le cheval de pointe de son
père. Malgré un sol très meuble, l’équipe
suisse, composée d’Anton Bühler, de Fred
Blaser et de Pierre Musy, remportait le
concours et se qualifiait pour les Jeux Olympiques de 1948 à Londres. Lors de ces JO,
une sensation se dessinait après le dressage:
le jeune Töni Bühler se retrouvait deuxième
derrière un Français. «Tout se passait bien
dans le cross jusqu’au «Sunken road». C’est
à cet obstacle qu’Amour Amour a trébuché
après le saut et j’ai passé par-dessus sa
tête enterrant ainsi tous mes espoirs de
médaille », selon le récit qu’Anton Bühler
avait fait en 1997 à l’auteure de cet article
lors d’un entretien qu’il lui avait accordé chez
lui dans le vignoble zurichois. Et d’expliquer
comment il était parti à l’étranger pour une
formation continue professionnelle après cet
événement olympique. En effet, entretemps, Anton Bühler avait étudié l’agriculture à l’institut polytechnique de Zurich. Et il
s’était ensuite inscrit à la célèbre université
de Cambridge, dans l’Est de l’Angleterre,
pour y faire son doctorat. «J’ai cependant
très vite remarqué que je n’étais pas fait pour
être professeur», avait alors constaté Anton
Bühler. L’agronome quittait donc l’université
pour acquérir de la pratique dans des grands
domaines en Angleterre, plus tard en Irlande
et aux USA. De retour à la maison, il reprenait à la fin de 1950, la gestion de l’exploitation agricole paternelle à Seuzach. Une
année plus tard, Anton Bühler retournait en
Angleterre pour participer à la première
mouture du concours de CC à Badminton,
devenu aujourd’hui légendaire. Répondant à
l’invitation du Duc de Beaufort, les Suisses,
forts d’une délégation de 10 cavaliers dont
faisait également partie le frère de Töni,
Hans, infligèrent une défaite humiliante aux
Anglais en remportant toutes les premières
places. En 1955, l’équipe suisse, composée
de Töni et de Hans Bühler ainsi que de Marc
Büchler, remportait la médaille d’argent aux
championnats d’Europe à Windsor. Et bien
que tous deux soient qualifiés, Hans et Töni
Bühler renonçaient à participer aux Jeux
Olympiques de 1956 à Stockholm pour
cause de litige avec la fédération. Pourtant,
Töni Bühler se qualifiait quatre ans plus tard
pour les Jeux d’été avec son jeune cheval Gay
Photo: Collection privée de Ruedi Günthardt
Anton Bühler était très sociable et c’était avec plaisir qu’il rencontrait des compagnons
du bon vieux temps, sur la photo avec Paul Weier.
Spark, un Irlandais difficile à monter, qu’il
avait acheté aux enchères lors du Dublin
Horse-Show. Et avec le bronze en individuel
et l’argent par équipe, Anton Bühler fêtait à
Rome le plus grand succès d’une carrière
comportant également six titres de champion suisse.
Au cours des années suivantes, la carrière
sportive d’Anton Bühler a été mise en veilleuse alors qu’il se mettait à la disposition de la
fédération en tant que juge, chef d’équipe et
entraîneur. C’est également au cours de
cette période qu’il a écrit le livre « Doch zählen nicht allein die Siege » regroupant des
réflexions et des conseils pratiques sur le
Concours Complet. Et ce n’est qu’en 1968,
lorsqu’il reprit Wukari, le cheval de saut de
son frère, qu’il a pu renouer avec les succès
passés. Lors de leur première participation, la
paire fut d’emblée sacrée championne suisse. Quatre ans plus tard, Anton Bühler, alors
âgé de 50 ans, participait à Munich et avec
Wukari à ses troisièmes Jeux Olympiques,
suite à quoi il mettait un terme à sa carrière
internationale.
Un spécialiste très apprécié
Dès lors, l’homme de cheval devait parcourir
le monde en tant qu’expert très demandé et
très apprécié dans le domaine de l’Eventing
et pratiquement aucun CC ne se faisait sans
lui. Il œuvrait en tant que constructeur de
parcours et il se mit à disposition de la FEI
comme juge. «C’était un juge apprécié et
respecté, qui avait également le courage
d’attribuer de temps à autre des notes très
basses ou très hautes», se souvient Alfred
Schwarzenbach. Durant 15 ans, Anton Bühler a présidé le jury à Badminton et il a participé en tant qu’officiel aux Jeux Olympiques
de Montréal, de Moscou, de Los Angeles et
de Seoul, et à pratiquement tous les championnats d’Europe et du monde. Avec
Roland Perret, Anton Bühler était le père spirituel du championnat des Alpes, une compétition de CC pour les cavaliers de la relève
des cinq pays alpins, créée en 1976. Par
ailleurs, et avec des amis italiens, il fonda les
«Over-Fifty-Militarys», qu’il remporta également la plupart du temps. «Pour son 70e
anniversaire, un tel Over-Fifty-Military avait
été organisé sur la Hardwiese et ce fut un
énorme succès mondain», raconte Schwarzenbach, qui avait alors remporté cette compétition devant celui qui fêtait son anniversaire. En 1997, quelques mois après son 75e
anniversaire, Anton Bühler remettait sa charge de directeur technique du championnat
des Alpes, sa dernière fonction officielle. Il
déclarait alors «j’aurai maintenant un peu de
temps pour moi». Et il a passé ce temps avec
sa compagne, ses chiens, à la chasse ou en
travaillant au jardin, tout en restant bien
entendu fidèle aux chevaux et en montant
encore régulièrement jusqu’à un âge avancé.
Angelika Nido Wälty
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