éditorial à quoi sert l`école - Association Française pour la Lecture

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éditorial à quoi sert l`école - Association Française pour la Lecture
A S S O C I A T I O N F R A N Ç A I S E P O U R L A L E C T U R E AC T E S D E L E C T U R E n °4 8 ( d é c e m b r e 1 9 9 4 )
ÉDITORIAL
À QUOI SERT L'ÉCOLE ?
Il y a peu, une émission radiophonique proposait une analyse rétrospective des manifestations
étudiantes et lycéennes anti-CIP du printemps dernier. Un sociologue, que ses travaux rendaient assurément apte à traiter du sujet, était interrogé sur les "débordements" auxquels ces
manifestations avaient donné lieu. Il n'a cessé de faire référence à l'école...
Il commença par quelques considérations préliminaires, certes connues, mais dont il tenait à
souligner l'importance. Premièrement, les manifestations s'étaient toutes déroulées, notamment en province, dans les centres villes, lieux symboliques où des magasins de luxe exposent
de façon ostentatoire à toutes les convoitises les objets d'un superflu raffiné... Deuxièmement,
deux catégories de jeunes étaient présents : des manifestants qui manifestaient et des "casseurs de banlieue" qui cassaient... Des lycéens et des étudiants, dépourvus ou non des moyens
de se procurer ce qu'offrent les vitrines en question mais tous pénétrés de l'espoir de les avoir
un jour et puis les autres dont on sait ce qu'il en est, par rapport à ces objets de luxe, de leurs
possibilités immédiates ou à venir d'y accéder... Les futurs diplômés d'un côté et les échoués
scolaires de l'autre.
Deux populations donc, relativement étrangères l'une à l'autre mais pour qui l'école a, véritable pierre d'achoppement, sinon toujours créé, assurément confirmé et rendu inéluctable ce
qui les différenciait et maintenant les sépare.
S'il n'y avait là rien d'original et qui vaille la peine d'être rapporté dans les propos de cet observateur des nouvelles générations, son analyse des raisons qu'ont eu les uns et les autres de
réagir au projet gouvernemental et qui lui semblaient les caractériser semblablement, était en
revanche intéressante par ce qu'elle révélait du statut et de la fonction de l'école.
Ainsi, pour lui, il y a une double faillite de l'école. Chez ceux qui y réussissent, elle montre à
travers son fonctionnement et ses démarches et en dépit du discours qu'elle tient sur elle et sa
finalité, qu'elle est un lieu aussi brutal que les autres dont il convient individuellement et quel
qu'en soit le prix, de tirer profit quand on a la chance de ne pas en être victime. Chez ceux qui
y échouent, elle ne développe pas les outils intellectuels susceptibles de réduire la distance entre la situation qu'ils connaissent et les représentations qu'ils en ont. Pour tous, notre société
n'est pas injuste, elle est sauvage. Cette conviction commune exclut pour eux toute perspective de changement, toute possibilité de solution collective à long terme et tout engagement
d'ordre politique. À ce monde de violence, ils réagissent par des formes différentes de violence. Celles insidieuses, individuelles, de longue haleine et réputées réalistes qu'exige dès le
plus jeune âge la compétition et qu'illustre quotidiennement le fonctionnement social ou celles
irraisonnées et soudaines qu'imposent un sort impuissant et la marginalisation.
Dure, dure, cette agression sous forme d'exposé radiophonique à tous ceux qui "cent fois sur
le métier" ont remis ce qui leur paraissait contribuer à ce qu'il n'en soit pas ainsi qu'il était dit !
Michel VIOLET
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