Les marae de Tahiti, des temples vivants

Transcription

Les marae de Tahiti, des temples vivants
SERVICE DE LA CULTURE ET DU PATRIMOINE – PU NO TE TAERE E
NO TE FAUFAA TUMU
Les marae de Tahiti,
des temples vivants
HIRO’A JOURNAL D’INFORMATIONS CULTURELLES
12
© G.Le Bacon-Gie Tahiti Tourisme
RENCONTRE AVEC BELONA MOU, RESPONSABLE DE LA CELLULE ARCHÉOLOGIE AU
SERVICE DE LA CULTURE ET DU PATRIMOINE ET TAMARA MARIC, ARCHÉOLOGUE.
13
HIRO’A JOURNAL D’INFORMATIONS CULTURELLES
DOSSIER
569 marae sont à ce jour recensés sur la seule île de Tahiti. Il y en a probablement autant, si ce n’est plus, qui subsistent au fond des vallées,
enfouis sous la végétation. Et encore plus nombreux sont ceux qui ont été
détruits, oubliés à jamais. Pour appréhender ces anciennes demeures
des dieux, nous vous proposons ce mois-ci un éclairage particulier sur
les marae de la plus grande île de Polynésie.
Avant l’arrivée des Européens au
XVIIIème siècle régnaient sur Tahiti plusieurs chefferies. Chacune possédait
son organisation politique autonome,
constituée de leurs propres arii
(chefs), tahu’a (prêtres), aito (guerriers), etc. Au moment du contact, l’île
était divisée en six coalitions : Teva I
Tai (dans la presqu’île, avec la dynastie
des Vehiatua), Teva I Uta (sur la côte
sud), Te Porionuu (sur la côte nord,
dans les districts de Pare et Arue, avec
Tutaha), Te Oropaa (les districts de
Punaauia et Paea), Te Fana (Faa’a) et
Te Aharoa (côte nord-est). La vie de
chaque groupe social était organisée
autour du marae. Véritables temples à
ciel ouvert, ils étaient une composante
majeure de la société tahitienne
ancienne, étant rattachés à la fois à un
titre, sa généalogie, et à un lieu, la
terre. Ils formaient des monuments de
taille imposante qui suscitèrent l’intérêt des observateurs européens de
la fin du XVIIIeme siècle. Si les détails
architecturaux d’un marae varient
d’une île à l’autre, la conception de
base comprend toujours une cour à
ciel ouvert, une plate-forme sacrée
(ahu) à l’une des extrémités et un
ensemble de pierres dressées. Lieu de
culte des ancêtres et des divinités, il
permettait aux hommes de rentrer en
contact avec les puissances de l’audelà. Les cérémonies religieuses qui
s’y déroulaient donnaient lieu à des
prières et à des invocations aux ancêtres ou aux divinités, des offrandes et,
parfois, à des sacrifices. Le marae
était également le reflet de l’organisation des sociétés polynésiennes
anciennes hautement hiérarchisées et
représentait des enjeux de pouvoirs
politique et religieux entre les chefferies.
L’archéologie au service de l’histoire
Teuira Henry nous apprend que les
marae avaient des fonctions différentes et étaient également distingués
selon leur importance : les marae
internationaux ou interinsulaires
(comme celui de Taputapuatea à
Raiatea, unique dans l’ensemble du
triangle
polynésien),
nationaux
(maraeta’ata de Paea) et familiaux…Si
les récits des premiers voyageurs
nous donnent un aperçu de l’importance sociale et religieuse des marae,
c’est véritablement l’archéologie qui a
permis de retrouver leur ancienne
configuration et d’en proposer une
Le marae, « une structure vivante »
Reflet des solidarités de groupes, le
marae changeait de fonction au fil de
l’évolution de celles-ci. Un agrandissement de structure pouvait commémorer
une modification du statut social de son
propriétaire. On pense aussi que reconstruire un marae avec de nouveaux éléments tels que les pierres taillées
permettait d’accroître le prestige de son
propriétaire. De même, de nouveaux
marae pouvaient être édifiés à côté ou à
l’emplacement d’un ancien marae à l’occasion de la prise de possession d’une
terre. Lors des guerres, les marae des
vaincus étaient profanés, ou détruits par
les vainqueurs. Il existait une cérémonie
spéciale de purification du marae suite à
ces événements. Le marae était donc un
complexe architectural qui « doit être
considéré comme une structure vivante
qui vit et meurt avec la communauté qui
l’a construit », indique l’archéologue
Bertrand Gérard*.
HIRO’A JOURNAL D’INFORMATIONS CULTURELLES
15
Les marae de Tahiti aujourd’hui
On en dénombre plus de 500, répartis
tout autour de l’île, dans ses vallées et
hautes montagnes, et bien souvent sur
des terrains privés, donc inaccessibles.
Une quarantaine d’entre eux sont protégés**, cela signifie qu’il est interdit
de les détruire. Mais cette mesure de
protection n’ayant pas été particulièrement contrôlée par le passé, et les
sanctions pas appliquées, beaucoup de
marae ont malgré tout disparu. Une
malheureuse tendance qui ne doit pas
nous faire oublier que de nombreux
sites ont aussi été sauvegardés et valorisés ! Les archéologues étrangers
(Sinoto, Garanger) ont été les premiers
à mettre en valeur ces monuments
lorsqu’il n’existait pas de structure
locale d’archéologie. Depuis 1980, les
archéologues tahitiens (Département
Archéologie puis Service de la Culture
et du Patrimoine) ont effectué, sur
Tahiti, de nombreux chantiers de
fouilles sur des marae. 26 d’entre eux
ont été restaurés. Le dernier en date :
le marae maraeTa’ata, à Paea (voir
notre encadré).
Le marae Arahurahu, à Paea, est le site le
plus connu sur Tahiti. Il s'agit d'une reconstitution, réalisée d'après la description de
l'archéologue Kenneth Emory en 1924.
* (Origine traditionnelle et rôle social des marae aux îles de la Société. )
** Arrêté n° 865 a.p.a. du 23 juin 1952 portant classement en vue de leur conservation de monuments et sites des
Etablissements français de l’Océanie (JOPF du 15 juillet 1952 page 287).
© Gie Tahiti Tourisme
HIRO’A JOURNAL D’INFORMATIONS CULTURELLES
Le marae Mahaiatea d’après
une gravure de Wilson.
typologie et une chronologie. En 1925,
l’archéologue Hawaiien du Bishop
Museum Kenneth Emory prospecte les
îles de la Société. Il recense plus de
200 sites et propose en 1933 une classification en trois catégories : les
marae intérieurs, côtiers et intermédiaires. Par la suite, les recherches ont
permis d’affiner ces trois grandes
catégories, qui restent toutefois une
référence.
© Gie Tahiti Tourisme
Les unu étaient des effigies en bois placées
sur les marae; ils permettaient d'établir le
contact avec les dieux.
14