Rencontrer la souffrance des soignants
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Rencontrer la souffrance des soignants
Belgique-België P.P 5000 Namur 1 BC 5588 N° 20 - août 2008 CONFLUENCES REVUE DE L’INSTITUT WALLON POUR LA SANTÉ MENTALE Artistes Anonymes, Delphine. Autorisation de fermeture : 5000 Namur 1 - BC5588 Dossier: RENCONTRER LA SOUFFRANCE DES SOIGNANTS Ed. Resp. : C. Bontemps, Rue Henri Lemaître, 78 B-5000 Namur - Bureau de dépôt : Charleroi x Une histoire pas bien longue mais déjà bien riche ! éditorial Avec les décisions statutaires de l’Assemblée générale du 16 juin, l’Institut Wallon pour la Santé Mentale vient de traverser un temps de « Confluences »…, et, au moment de passer le relais de la Présidence à Robert Sterck, je tiens à m’arrêter quelque peu pour porter un regard sur cette histoire pas bien longue mais déjà bien riche. Confluences qui l’a suivie depuis le début était tout indiqué pour ce faire. Tout a commencé… au cours de la précédente législature, lorsque le Ministre wallon de la Santé a souhaité la mise sur pied d’un organe représentatif de la réalité et de la pluralité du terrain de la santé mentale. Au sein de la Ligue wallonne pour la santé mentale, j’ai été un de ceux qui ont trouvé l’idée intéressante et, avec les partenaires, nous avons travaillé intensément à sa concrétisation. En avril 2002, l’Institut Wallon pour la Santé Mentale était créé. Editeur responsable : Christiane Bontemps Coordination : Christine Gosselin Hélène Carpiaux Secrétariat : Muriel Genette Comité de rédaction : Fabienne Collard Pascal Colson Bertrand Geets Denis Henrard Stéphane Hoyoux Paul Jacques Francis Turine François Wyngaerden Personnes ressources : Nicole Devreese Françoise Dumont Danielle Sarto Philippe Servais Illustrations : Merci à l’Atelier des «Artistes Anonymes !» Clinique Neuro-psy de Bonsecours Institut Wallon pour la Santé Mentale Rue Henri Lemaître, 78 B-5000 Namur ( +32(0) 81 23 50 15 7 +32(0) 81 23 50 16 [email protected] [email protected] www.iwsm.be Graphisme : pixFACTORY Le pari n’était pas facile, pour deux raisons essentielles : d’une part, cette nouvelle institution se construisait au sein même de la Ligue dont certains membres ne voyaient pas d’un bon œil ce grand chambardement et, d’autre part, elle avait pour ambition - une première dans le secteur - de réunir en Wallonie, autour d’un objectif commun, des représentants de tous les secteurs exerçant dans le champ de la santé mentale, quels que soient leurs intérêts, objectifs, moyens, adresses, idéologies et conceptualisations, souvent - il faut le reconnaître - très diversifiés. Bien reçue, cette invitation à une concertation transversale intersectorielle et régionale a assez rapidement abouti à un premier cadre statutaire. Paul Jacques, Président de la Ligue à l’époque, a assuré la transition, en acceptant la première présidence de ce nouvel Institut Wallon pour la Santé Mentale, et ce, pendant un an. Reprenant le flambeau à la présidence, il nous a alors fallu, avec le Conseil d’administration et la direction, plus de quatre années pour affiner la structure et l’organisation, veiller à ce que chaque membre ait sa place, accès à la parole et soit entendu, tout en restant attentif au cadre de travail de l’équipe, parfois, souvent, trop souvent, confus, instable et changeant. La dépendance historique de l’Institut à la Ligue et l’engagement parfois ambigu de certains membres dans ce projet audacieux ont fait de la consolidation de l’IWSM un véritable enjeu, renforcé par la nécessaire articulation à l’Autorité politique pour l’octroi de subventions. En effet, après les élections régionales de juin 2004, le nouveau Cabinet avec ses Ministres successifs a tenu, logiquement et légitimement, à inscrire le financement qu’il octroyait à l’IWSM dans sa politique de santé mentale. L’accent ainsi mis sur les services de santé mentale dans les missions confiées par la Région wallonne à l’Institut limitait les ambitions du projet transversal mais les nombreuses rencontres avec les Autorités wallonnes ont permis de bien cadrer leur soutien et leurs attentes et cela dans un cadre confirmé, simplifié et éclairci lors de la dernière Assemblée générale de l’Institut. Ces clarifications, tant intra qu’extra institutionnelles, se sont révélées être le bon moment pour que l’Institut se choisisse un nouveau Président. Mes années de présidence auront permis de préciser les rapports de l’Institut avec la Région wallonne (avec une inscription dans le nouveau décret, espéré au printemps 2009) et de clarifier les règles de fonctionnement du Conseil d’administration et des groupes de travail ainsi que la façon dont chacun est invité à y prendre part. Je tiens à vous remercier tous pour la confiance que vous m’avez témoignée et je suis certain que le nouveau Président concrétisera de nombreux projets en mouvement depuis la création de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale. Francis Turine sommaire Actualités Quel travail trouver quand on a perdu la santé ? Isabelle Deliége Jeunes et transversalité Luc Fouarge AICS déficitaires, aspects psychosociaux de la prise en charge Elisabeth Lopez Ecoute d’abord ce qu’elle tait ! Francis Turine A découvrir Etats Généraux de la Santé Mentale en Wallonie Marie Lambert 2 4 6 10 11 12 Dossier : Rencontrer la souffrance des soignants Préface Francis Turine Souffrance au travail, travail de la souffrance Bertrand Geets Souffrance du soignant, une question de dispositif institutionnel ? Nicole Devreese Augmenter les ressources des équipes Christine Vander Borght Patchwork pour une prévention du burn-out Edith Creplet Echo de la souffrance des soignants chez les usagers François Wyngaerden Le droit au « non » Francis Turine Un cadre et des définitions nécessaires Philippe Servais Souffrances plurielles et moyens multiples Danielle Sarto Dispositions légales, humaines et institutionnelles Marie-Christine Delbovier Soigner la souffrance et en souffrir Pierre Wautier Bien-être et santé au travail Christine Gosselin La gestion des risques psychosociaux Nathalie Lionnet Le bien-être des professionnels en SSM Laure De Myttenaere Prévenir la souffrance et contrer la violence Rachel Garcet Oser l’informel, la solidarité et le partage émotionnel Françoise Dumont Le travail entre espoir et désespoir Christophe Dejours Repères et références bibliographiques 13 14 17 20 22 26 27 28 30 32 34 36 38 39 40 42 44 48 1 Quel travail trouver quand on a perdu la santé ? Quelle possibilité a-t-on de retrouver un travail, et quel travail, quand on a connu un problème de santé mentale ? Telle est la question mise à l’honneur ce 6 juin par l’asbl Together dans son désormais traditionnel Carrefour annuel des usagers1. Si on considère la santé davantage comme un état d’équilibre, d’harmonie, comme un droit et non un état de fait, que se passe-t-il quand on la perd ? Et lorsque cette situation rime avec la perte du travail, et donc du statut social qu’il confère et de la qualité de vie à laquelle il contribue ? Comment retrouver alors un équilibre dans une société fondée essentiellement sur le travail, tout en se respectant, en s’écoutant et en tenant compte de sa maladie ? Isabelle DELIEGE IWSM Les différents apports P our aborder ces questions et informer les usagers, les organisateurs du carrefour, ont fait appel à des professionnels de différents horizons : Forem, entreprises d’insertion à finalité sociale, de travail adapté, de formation par le travail et professionnels de la santé mentale. Chacun d’eux levant le voile sur ce qu’il est possible de faire, ou de refaire, en matière d’activité professionnelle, quand on rencontre ou qu’on a rencontré des problèmes de santé mentale. En effet, la santé mentale et le secteur de l’emploi et de l’insertion professionnelle ne sont pas toujours très connectés : d’après une enquête menée à l’IWSM à propos des pratiques de réseau en SSM, environ un tiers des services de santé mentale interrogés citent nommément « l’emploi et la formation » parmi les secteurs avec lesquels ils ne travaillent pas2. Pourtant, du côté des usagers, la préoccupation est grande de retrouver un emploi, et par là même un ancrage et un statut social, même si les craintes ne sont pas absentes non plus : En serais-je capable ? Quelle conséquence cela aura-t-il par rapport à mes droits actuels (notamment au niveau des allocations et autres revenus de substitution) ? 2 Confluences N°20 Août 2008 Les éclairages des professionnels de l’insertion sur les possibilités qui peuvent être offertes à chacun dans ces différents cadres redonnent espoir. Ils montrent qu’un retour à l’emploi est possible. Et différents témoignages d’usagers le confirment, s’appuyant sur leur propre parcours en termes d’emploi et de formation, malgré ou en fonction de leur maladie. Si l’exercice de la prise de parole en public pour faire part de son histoire n’est pas aisé, ce sont aussi des temps forts de la journée : l’occasion de se rendre compte qu’on n’est pas seul, de se soutenir, de s’encourager et de témoigner que quelque chose est possible, même si le chemin est difficile. Le Forem : accompagnement dans la recherche d’emploi et aide à l’embauche « Mais a-t-on le droit de chercher du travail (et d’être accompagné pour ce faire), quand on est en incapacité de travail, en congé de maladie pris en charge par la mutuelle ? », s’interrogent les usagers. Oui, toute personne majeure a droit au service du Forem, même si elle dépend de la mutuelle, mais cela doit toujours se faire avec l’accord du médecin conseil ou, si elle bénéficie d’une allocation de remplacement de revenu et/ ou d’intégration, mieux connue sous le nom de « la vierge noire », du Service Public Fédéral Sécurité Sociale. Cette préoccupation du maintien des droits, si on s’oriente vers une démarche de reprise d’activité professionnelle, est essentielle. Et pour cause, une rechute est toujours possible. Il est possible de bénéficier, dans la recherche d’emploi, d’un accompagnement par un conseiller en accompagnement professionnel du Forem. Celui-ci peut même se déplacer dans les maisons de l’emploi. Les assistants sociaux peuvent pour leur part se déplacer à domicile, en cas de difficultés personnelles. Une condition cependant pour avoir accès à ce service : être inscrit comme demandeur d’emploi libre (inscription valable 3 mois mais renouvelable) et avoir l’accord du médecin conseil de la mutuelle (si on dépend de la mutuelle à ce moment-là). Ce conseiller en accompagnement professionnel du Forem peut notamment aider la personne à faire le point à différents niveaux, avant de se lancer dans la démarche de recherche d’emploi à proprement parler : Eclaircir sa situation personnelle : santé, mobilité, âge, contraintes horaires ; Faire le point sur ses qualifications : diplômes, études, formation, expérience ; Elaborer, préciser ou redéfinir un projet professionnel: métier, lieu de travail, horaire, chances de réussite ; Donner des conseils par rapport à la candidature: la manière de se présenter, les entretiens d’embauche, comment bien rédiger son CV, sa lettre de motivation, etc. Outre ce service, les plans et les formules d’aides à l’embauche sont multiples et variés. Quelques points de repères : La carte Activa donne droit à une réduction de l’ONSS pour l’employeur et éventuellement à une intervention de l’ONEM dans le salaire (appelée allocation de travail) ; Le Plan de Formation Insertion permet une formation individualisée et une insertion en entreprise, dans le secteur privé ; Les passeports APE (Aide à la Promotion de l’Embauche) constituent des aides à l’embauche pour le secteur non marchand : on obtient un certain nombre de points, qui déterminent les aides dont peut bénéficier l’employeur, en fonction de son âge et du temps d’inscription comme demandeur d’emploi ; Les Programmes de Transition Professionnelle (PTP), qui concernent des emplois dans le secteur public (p. ex. Région wallonne, province), pour les chômeurs de longue durée ; Les emplois dits « article 60 », qui dépendent du CPAS et sont proposés pour récupérer ses droits au niveau du chômage. A l’AIGS3, à côté des services proposés par le Forem, le service « activation emploi » de l’association peut aussi proposer un accompagnement plus rapproché des personnes ayant des problématiques de santé mentale, en se rendant à domicile, chez l’employeur etc. connues sous le nom d’« ateliers protégés », permettent aux personnes ayant un dossier Awiph et une reconnaissance d’un pourcentage minimum de handicap, de retrouver une occupation professionnelle. Celle-ci peut se dérouler dans leurs locaux, mais il peut aussi y avoir des prestations en entreprise « classique », qui permettent de se confronter à un autre environnement. Ces structures relèvent au jour le jour le défi de concilier leur objet social et les contraintes du marché, en offrant des services ou des produits de qualité, s’engageant pour certaines, dans des démarches qualité exigeantes, reconnues par une certification, au même titre que les autres. A côté de ces structures, il faut savoir qu’il existe aussi des Entreprises de Formation par le Travail et des Organismes d’Insertion Socio-Professionnelle, plus ou moins sensibilisés selon les cas, aux problématiques de santé mentale. Par ailleurs, les usagers questionnent aussi le statut du travail (rémunéré), comme seule manière d’obtenir une reconnaissance sociale. Le bénévolat peut aussi constituer une piste intéressante, pour retrouver une activité, se sentir utile, même si l’absence de rémunération apparaît problématique pour certains. Des cadres adaptés pour reprendre un travail Les obstacles à l’emploi ? Des acteurs du monde de l’entreprise (économie sociale) apportent aussi leur éclairage sur les possibilités d’emploi en leur sein. Les entreprises d’insertion à finalité sociale, agréées par la Région wallonne, sont des sociétés commerciales, mais qui poursuivent un autre but que l’enrichissement (les bénéfices sont réinvestis dans l’action), comme l’intégration professionnelle des personnes fragilisées sur le marché de l’emploi. Les « accompagnateurs sociaux » qui y travaillent ont pour mission d’assurer un coaching professionnel, en vue d’aider ces personnes à se réadapter au monde du travail. Il peut par exemple s’agir de sociétés de titres services, organisées sur le mode de société coopérative, qui proposent des travaux d’entretien, d’aménagement des espaces verts, etc. Les Entreprises de Travail Adapté (ETA), autrefois Les usagers s’interrogent aussi sur les obstacles qui se dressent sur leur chemin vers l’emploi : comment respecter son propre rythme tout en (re) travaillant ? Plusieurs témoignages relatent des échecs qu’ils ont connus quand ils ont voulu « aller trop vite ». Quand on est resté longtemps hors du circuit du travail, si l’envie de reprendre peut bel et bien être présente, elle peut aussi être accompagnée de peur (« en serais-je capable ? »), liée à la perte de confiance en soi. Les conditions de travail elles-mêmes (les horaires, la pénibilité du travail, la pression parfois forte à la productivité) peuvent constituer un premier obstacle à l’emploi. A ce niveau, les participants pointent l’ambiguïté qui peut exister entre l’exigence de rendement et la notion de travail adapté. La lenteur, qui peut être associée à un problème de santé mentale, est notamment en cause. Une usagère témoigne de son expérience à ce niveau : « comme volontaire, j’étais bonne mais pour être engagée, j’étais trop lente !» D’autres obstacles existent également : l’âge, le niveau de diplôme, la mobilité, l’implication (qui peut nuire aussi bien par défaut que par excès) et la motivation. Au niveau des relations avec son employeur, une question se pose : que dit-on de soi et de sa situation dans son lieu de travail ? Est-il opportun d’en parler ? Quand et comment, pour éviter la stigmatisation ? La reconnaissance d’un certain pourcentage de handicap par l’AWIPH pose aussi question par rapport à l’emploi : selon les cas, elle peut aider (à recevoir un statut de demandeur d’emploi adapté ; à partir de 33% d’incapacité, l’employeur peut avoir droit à une aide) ou faire obstacle (faut-il le dire, le mettre en avant ?). Pour faire face à tout cela, les usagers pointent l’importance de bénéficier d’un soutien, car on peut se décourager plus vite quand on est plus fragile. La question de la durée, voire de la pérennité de ce soutien au cours du temps est également abordée, dans un débat sur « l’assistance ». l Bon à savoir Quelques ressources Forem : http://www.leforem.be Contact à Liège : Carole Opel, conseillère en accompagnement professionnel / assistante sociale au Forem de Liège. * Quai Banning, 4 - 4000 Liège ( 04/2411.352 Service Public Fédéral Sécurité Sociale : http://www.socialsecurity.fgov.be/fr/ * Rue de la Vierge noire, 3 c-1000 Bruxelles 1 6 juin 2008 au Motorium, à Herstal. Deliége I., Bontemps C. (dir), « Enquête par questionnaire sur le travail en réseau en service de santé mentale en Région Wallonne », Namur, Institut Wallon pour la Santé Mentale, 2008. 3 Association Interrégionale de Guidance et de Santé (Liège). 2 Confluences N°20 Août 2008 3 Jeunes et transversalité Deux évènements concourent à l’apparition du concept de transversalité quand il s’agit d’aborder les pratiques en faveur des jeunes à problématique psychologique : la difficulté de mettre en œuvre le réseau, d’une part, renforcée par le morcellement des responsabilités politiques, d’autre part. Revenons sur ce qui a motivé la création d’un groupe sur ce thème au Comité de gestion de l’AWIPH et sur les conclusions de ce travail. Luc FOUARGE1 Directeur du COGA2, Leernes Au niveau du cadre A u niveau politique, communautarisation et régionalisation ont fractionné les responsabilités dans des étages gouvernementaux différents. Ainsi, en matière de Jeunesse, la protection se discute tantôt au Fédéral3 lorsqu’il est question des responsabilités des juges de la Jeunesse, à la Communauté française s’il s’agit de l’application des mesures et à la Région wallonne si s’ajoute aux difficultés du jeune une problématique4 qui met en œuvre un service de l’AWIPH5. L’obligation scolaire ajoute dans le circuit une école et son PMS6, et le recours à l’AWIPH peut mettre le SSM7 à l’ouvrage. Sur le terrain Ainsi, sur le terrain, s’accumulent des services d’aide ou de protection de l’enfance : SAJ ou SPJ8 , SSM, PMS, Ecole, Service K9, Magistrat,…Selon les circonstances, CPAS10, AMO, COE, SAIE11 … se croisent dans les familles. L’état de santé des parents justifie parfois des interventions supplémentaires avec ou sans thérapie familiale. Tout ce monde n’échappe évidement pas aux pièges…C’est l’histoire de quatre individus : 4 Confluences N°20 Août 2008 Chacun, Quelqu’un, Quiconque et Personne. Un travail important devait être fait, et on avait demandé à Chacun de s’en occuper. Chacun était assuré que Quelqu’un allait le faire. Quiconque aurait pu s’en occuper, mais Personne ne l’a fait. Quelqu’un s’est emporté parce qu’il considérait que ce travail était la responsabilité de Chacun. Chacun croyait que Quiconque pouvait le faire, mais Personne ne s’était rendu compte que Chacun ne le ferait pas. A la fin, Chacun blâmait quelqu’un du fait que Personne n’avait fait ce que Quiconque aurait dû faire… Même combat ! A la diversité des intervenants, fait écho la disparité des niveaux de pouvoirs en charge de la gouvernance de ces services et réciproquement. De l’harmonisation de politiques, il serait permis d’attendre une invitation, incitation à des prestations concertées- tricotées à plusieurs. Le souhait existe sur le terrain, mais l’essoufflement à co-construire est aussi visible que l’impuissance des conférences interministérielles. L’échec de l’accord des gouvernements de la CF et de la RW autour de la question de l’intégration scolaire en témoigne. Projet qui ne mettait en œuvre que deux gouvernements : l’un en charge de l’éducation, l’autre de la politique d’intégration de la personne handicapée. Le réseau…, une solution ? L’engouement pour « le réseau » devait, théoriquement, pallier au morcellement des offres de services aux jeunes et à leurs familles. C’était oublier que la pratique de réseau ne se prescrit pas d’en haut. D’autant moins si elle est induite par un seul des niveaux de pouvoir et, qui plus est, se trouve édictée sans apprécier l’indispensable participation de travailleurs sociaux qui dépendent d’un autre ministre. Même si, théoriquement donc, il est permis de spéculer sur une plus grande efficacité dans le travail à plusieurs, ces édits prennent rarement en compte le nombre d’heures de travail que cela coûte au terrain. L’élaboration des agendas et les déplacements affectent la disponibilité des équipes et génèrent l’essoufflement de telles pratiques. Et les usagers ? Et nos clients se plaignent sans cesse de la lenteur des réponses qui leur sont proposées. Ces avatars retardent les réponses aux demandes des bénéficiaires. Retards qui dans quelques cas rencontrent les résistances des familles. Une bonne douzaine de professionnels peuvent ainsi s’agiter autour d’une prise en charge. Un rendement peu questionné. Ces constats se disent dans les plates-formes de santé mentale, les commissions subrégionales et autres coordinations sociales. Insidieusement, l’attentisme des socio-psys s’érige en défense…et les politiques, armés, se prêtent volontiers au rôle de bouc émissaire. De nombreuses familles attendront encore. Travailler la question … A la demande du Comité de Gestion de l’AWIPH, j’ai présidé un groupe de travail chargé d’ouvrir ces questions. Durant les dernières années, des conflits de compétences se sont déroulés aux plus hauts niveaux. La prise en compte de besoins particuliers de jeunes présentant d’importantes difficultés psychologiques fit régulièrement l’objet de parties de ping-pong entre les services de l’AAJ (CF) et ceux de l’AWIPH (RW). Conflits qui se règlent sur le terrain par des mesures d’ « aides » dites « par défaut ». Ainsi, J. s’est trouvé hospitalisé en psychiatrie pendant que SPJ, service de tutelle, et Bureau régional de l’AWIPH se débattaient, convaincus que la problématique de J. relevait du champ de compétence de l’autre. Le recours aux responsables des administrations et cabinets concernés ne fut pas miraculeux. J’imagine bien que cet imbroglio perceptible par un travailleur social débutant décourage les services qui auraient pu répondre favorablement hors de cette tension. Le séjour à l’hôpital se prolonge (ce qui n’est pas sans affecter la carte de visite de J.). Si jusque là on évoquait des troubles réactionnels, aujourd’hui J. se voit courir le risque d’être perçu comme psychotique avec troubles du comportement sévères associés. Conscient d’être partenaire d’un vilain jeu, le service hospitalier évoque, vainement, la menace de déposer le jeune dans les bureaux du SPJ. Le débat n’aboutira que lorsque l’hôpital annonce l’invitation faite à RTL de témoigner de la mise de J. sur le trottoir devant l’hôpital... Pendant ce temps là, le jeune cultive la méfiance à l’égard des adultes qui lui manifestent une hostilité qu’il risque bien d’interpréter. Fédéral, Communauté et Région sont concernés ! Bien souvent, les « cas limites » comme celuici nécessitent un travail à plusieurs qui soutienne la capacité « contenante » d’un lieu de vie et de soin, de sorte que la situation du jeune soit protégée de la tendance au shopping thérapeutique. Le morcellement des services serait-il une réponse à l’éclatement de la famille !? Tiens, n’est-ce pas au pays du surréalisme que s’échafaude la clinique de la concertation… !? Penser le fil rouge A partir des réalités concrètes des intervenants de tous secteurs invités à la table de réflexion, le GT12 « Jeunes et transversalités » a examiné les nombreux points d’impasses dans les prises en charge et fait des propositions qui s’adressent notamment aux autorités politiques. Le rapport de ce GT a été transmis au Comité de gestion de l’AWIPH et peut être consulté à l’Agence13. Reste à voir comment celui-ci pourra s’en saisir et en relayer les résultats là où ils doivent l’être. Mais ce travail s’adresse aussi, et surtout, aux acteurs de terrain. Il met en lumière l’importance de penser fil rouge dès les premières offres de service faites aux familles quand il est question de jeunes en difficultés psychologiques. Comme tout ce qui touche à la famille, cette question est de haute valeur éthique. Le trop conduit au contrôle social, le pas assez engendre de lourds coûts financiers à la société. Le trop génère de l’assistanat, le pas assez de la souffrance. Le fil rouge navigue dans les eaux troubles du devoir d’ingérence. On y mêle droit des familles et des parents et devoirs de la société à l’égard de l’enfant. Généralement, dans ces débats, les regards se tournent vers le SAJ. Mais le SAJ ferme le dossier aussi vite qu’il peut, poussé qu’il est par le manque de moyens humains. D’autres comme les PMS sont confrontés à l’éphémère, l’enfant cessant d’être client dès lors qu’il déménage ou qu’il change de niveau de scolarité. SAJ et SPJ interviennent parfois dans la même famille, mais chacun a son client. Il arrive que l’un prenne des mesures qui parfois affectent le travail de l’autre. Un outil de transversalité La transversalité apparaît comme nécessaire mais elle est encombrante et coûte beaucoup de temps. C’est un travail long et difficile, voire douloureux…. Actuellement elle apparaît surtout colloquée. Entendez qu’elle fait l’objet de discours. Il faut pouvoir passer à l’acte ! A ce titre, l’Institut Wallon pour la Santé Mentale, un lieu co-construit avec les différents acteurs concernés par la santé mentale chez les enfants et chez les adultes, participe à ce mouvement de mise en œuvre de la transversalité. Son travail de recherche et d’information s’appuie sur une approche éco-systémique de la santé. C’est en soi un outil de transversalité. Les catégories de membres, issues des différents secteurs de la santé mentale, en disent long sur la volonté d’envisager la santé mentale dans une approche la plus large. La transversalité « force » les rencontres sur lesquelles se construisent des réseaux et des prises en charge multiples et soutient le regard tiers, indispensable quand on se met au service des soins de santé mentale. La transversalité met en synergie clinique, éthique et politique. C’est un combat à mener à tous les niveaux ! l 1 8 [email protected]. Le COGA (Centre d’Orientation et de Guidance d’Aulne) IMP (Institut Médico Pédagogique) de l’AWIPH. 3 Niveaux de pouvoir : Fédéral (F), Communauté Française (CF), Régional wallon (RW) ou bruxellois (RB). 4 Par ex., la catégorie dite « 140 » : troubles caractériels présentant un état névrotique et/ou prépsychotique. 5 Agence Wallonne pour l’Intégration de la Personne Handicapée (Régional). 6 Centre psycho-médico-social en charge de la guidance scolaire (CF). 7 Service de Santé Mentale (Régional). 8 SAJ (Service d’Aide à la Jeunesse) et SPJ (Service de Protection Judiciaire). Ils travaillent dans le secteur de l’aide à la jeunesse (AAJ), respectivement sur base d’une demande pour le SAJ et sur injonction judiciaire pour le SPJ (CF). 9 Hôpital index K : Hospitalisation psychiatrique pour enfants et adolescents (Fédéral-INAMI). 10 Centre Public d’Aide Sociale (Ville et Commune). 11 AMO, COE et SAIE sont des services « ambulatoires » de l’AAJ (CF). 12 Groupe de travail. 2 13 AWIPH - Direction Accueil et Hébergement ( 071/20.57.11. Confluences N°20 Août 2008 5 AICS déficitaires Aspects psychosociaux de la prise en charge Difficile de prendre en charge les auteurs d’infraction à caractère sexuel (AICS), qui, en plus, sont « déficitaires » (AICSd). Leur proposer une intervention adaptée pose un épineux problème aux équipes de santé spécialisées (ESS). En effet, particulièrement dévoreurs de temps et de personnel, ils n’y sont pas toujours suffisamment accueillis. En outre, les méthodes dialectiques, qui utilisent principalement la parole comme modalité d’approche, ne sont pas les plus adaptées pour ces AICSd qui sont, précisément, ceux qui maîtrisent le moins les concepts et les termes. Une situation d’abandon vient alors se surajouter au rejet social ou, pour le moins, à l’ignorance dont ils sont généralement déjà l’objet. Cette situation n’est pas dans l’intérêt de la personne, ni dans celui de la lutte contre la récidive. La journée organisée dans le cadre du CRSSM fin 20071 s’est penchée sur ces difficultés. Elle s’est notamment intéressée à l’approche sociale2 de ces situations. Elisabeth LOPEZ, Criminologue Sygma, Equipe de Santé Spécialisée (ESS) de l’AIGS à Liège L a plupart du temps, quand on évoque le traitement des AICS, on parle de soins, de psychothérapie, éventuellement de traitement médicamenteux. Cependant, bien que ce soit moins décrit dans la littérature, nous allons voir que développer une action sociale spécialisée3 a toute sa pertinence et son importance. Quelle lecture d’un point de vue social pouvonsnous faire de notre travail avec les AICSd ? Comment nos guidances et nos traitements, quels que soient nos disciplines et nos outils méthodologiques, agissent-ils sur le lien entre l’individu et son entourage ? Je tenterai de montrer comment un professionnel du social ou de la pédagogie (assistant social, criminologue, pédagogue, éducateur, etc.) peut aussi favoriser l’épanouissement de la personne (mission du service de santé mentale) et la diminution du risque de récidive (objectif poursuivi par la justice). Diminuer l’instabilité du mode de vie des AICSd (…) Dans cet objectif, notre action sociale peut se situer à trois niveaux : 6 Confluences N°20 Août 2008 1. Au niveau des droits de l’homme Car on découvre parfois des AICSd dans une très grande précarité : ainsi, quelqu’un nous disait être accueilli dans une famille de ferrailleurs. Un jour, nous avons compris qu’il vivait très mal dans une caravane non chauffée, loin de tout, complètement dépendant du couple de ferrailleurs qui ne se posait aucune question sur la situation et avait simplement été d’accord qu’il occupe sa caravane pourrie. Un autre, handicapé mental et physique, était placé dans une maison de repos tout à fait inadapté à son cas. Comme il n’avait pas de chaise roulante, il passait des journées entières, assis sur son lit, dans le sens de la largeur, les jambes à travers les barreaux « pour qu’il ne tombe pas, sinon il a des bosses, regardez ! » Voilà donc un homme tout à fait isolé, à peine stimulé. Il est curieux que nous soyons aveugles et sourds ou, pire, habitués à des situations aussi anormales : car enfin, ni les médecin traitant, kiné, directeur du home, commission, pas plus que la famille n’avaient trouvé qui alerter ou quoi faire. Nous-mêmes avons mis tout un temps avant de percevoir les signaux qui auraient dû nous alarmer ! Certes, toutes les situations ne sont pas aussi dramatiques. Mais il est fréquent qu’un retardé mental n’ait pas de dentier, n’ait plus de verres adaptés à sa vue, ne sache pas si sa maman est toujours en vie (il ne l’a plus vue depuis son internement), ne sorte plus du tout parce que personne n’a le temps ni la mission de l’emmener prendre l’air, etc. Devant pareilles constatations, il va de soi que nous répondons d’abord à l’urgence des besoins vitaux. Le problème est que, dans de nombreux cas, personne n’est ni ne se sent responsable de la personne du déficitaire. 2. Au niveau de l’offre généraliste L’intervention sociale vise à améliorer la qualité de vie de l’AICSd en lui donnant accès à des conditions d’existence plus décentes : lui assurer un revenu à la hauteur de son handicap, élargir son réseau relationnel, le valoriser socialement par un travail ou stabiliser son quotidien par une activité structurée protégée, lui donner l’occasion d’être plus autonome… 3. Au niveau de la prise en charge spécialisée On se situe ici dans notre objectif de lutte contre la récidive. Le risque est individualisé et dynamique. Nous tenons compte alors de certains éléments plus spécifiques : par ex., la re-chute alcoolique, l’abandon d’une activité structurée, la fréquentation de victimes potentielles, etc. (…) Groupes d’appartenance et de référence Ils constituent les fondements indispensables au travail social avec les AICSd. 1. Appartenances et références chez les AICSd Nous connaissons l’importance des théories sur le lien social, qui ont expliqué que de mauvais attachements ou des manques d’attachements pouvaient générer des problématiques sociales graves telles que la maladie mentale, la violence ou la délinquance. Or, on sait maintenant que cette théorie est réversible4 : quand on restaure le lien entre une personne et le groupe social, les comportements problématiques (délinquance, déviance, maladie mentale) peuvent diminuer, voire disparaître. Nous distinguons deux sortes de groupes pour qualifier les relations entre les individus : 4Le groupe d’appartenance est un groupe auquel l’individu s’intègre. La famille en est le premier. L’individu y trouve son identité. Il y développe, en interaction avec les autres membres de ce groupe, le Nous et donc son Moi. Parce qu’il est sécurisant, ce groupe sert de base à la comparaison avec l’extérieur. Par son appartenance, l’individu hérite de valeurs, d’habitudes de vie, de comportements et même d’une gestuelle particulière. C’est un groupe dont il se réclame et dans lequel il a des relations directes et affectives. Nous avons tous besoin de ce type de groupe qui sert de base à l’élaboration de notre identité en nous conformant aux normes et aux valeurs qui y sont véhiculées. Le groupe d’appartenance sert également au processus de différenciation : l’individu, tout en restant attaché à son groupe d’appartenance, met en œuvre des processus d’individualisation pour ne pas se fondre totalement dans la masse. Mais dans ce processus, la notion d’appartenance reste forte. 4Par contre, le groupe de référence apparaît lorsque l’intégration dans le groupe d’appartenance s’affaiblit et que l’individu n’y trouve plus matière à soutenir son identité, qu’il entre en conflit avec ses pairs et avec leurs valeurs identitaires. C’est le groupe auquel on aspire alors à appartenir, pensant qu’on trouvera là un support identitaire meilleur que celui du groupe d’appartenance. L’individu n’en fait pas nécessairement partie, mais ses valeurs, ses opinions et même ses comportements peuvent être fortement influencés par ces groupes de référence. Le groupe de référence peut devenir, lorsque l’on y est intégré, un groupe d’appartenance. C’est ainsi que se déclenche un processus de différenciation identitaire. L’AICSd peut avoir pour groupe de référence le club de loisirs d’un service d’accompagnement, l’équipe logistique du comité de quartier, etc. La difficulté est de trouver des milieux de référence adaptés, c’est-à-dire suffisamment protégés. Et ce n’est pas toujours facile. Un patient s’est inscrit courageusement au club de marche du village « pour faire des rencontres ». Il n’avait pas assez d’argent ce mois-là, mais s’est quand même acheté le t-shirt, l’assurance, la casquette du club, dans l’espoir de s’intégrer… et il est parti marcher. Au bout d’un an, il ne connaît toujours personne, parce qu’il n’est pas parvenu à entrer en contact et à se faire des connaissances, encore moins des copains. Conclusion, il va, marche tout seul (parfois se perd tout seul) et revient aussi seul qu’avant. Tout au plus le président du club lui a gentiment serré la main. 4L’appartenance comme la référence sont généralement pluridimensionnelles. L’idéal est d’avoir un ou des groupes d’appartenance et des groupes (ou personnes) de référence, pour profiter de la similarité, de la complicité, de la familiarité (que donnent les appartenances) et de l’impression d’être unique, différent, personnel (grâce aux références choisies). Prenons un homme qui a, d’une part, pour groupe d’appartenance, sa famille d’origine (parents et fratrie), sa cellule familiale (il vit avec sa compagne et leurs enfants) et son milieu du travail (il est dans le bâtiment); et, d’autre part, comme groupes de référence, les connaissances de son quartier et les amis de la famille. Au total, il éprouve une confiance que « la vie peut être chouette » et qu’il peut se sentir en sécurité. Par contre, le jour où il est incarcéré pour des faits commis sur sa belle-fille et deux de ses amies, que se passe-t-il sur le plan de ses appartenances et ses références ? Concernant ses apparte-nances : sa fratrie ne veut plus garder de contact avec lui, seuls restent les parents ; son épouse demande le divorce, il ne peut plus voir ses enfants ni ses beaux-enfants ; il perd son travail ; il ne pourra plus habiter sa commune. Concernant ses références, il perd les connaissances de son quartier ; les familles des amis des enfants se constituent parties civiles contre lui ; éventuellement restent quelques-uns des copains d’enfance ; ses croyances sont ébranlées par la période de détresse. Cela ne veut nullement dire que l’incarcération de l’intéressé soit socialement néfaste, voire injuste. J’entends seulement signifier quel devra être le travail de remaillage social : l’aider à tisser des liens avec de nouveaux groupes d’appartenance et de référence en vue de sa réinsertion. Nous nous trouvons là à la confluence même de l’intérêt du délinquant et de la société. 2. Milieu naturel de vie et milieu de substitution Quand les groupes d’appartenance ou de références du milieu naturel de vie sont manquants, on peut faire partie de groupes d’appartenance ou de référence de substitution. Etre adopté donne une appartenance de substitution ; quant à la référence de substitution, elle existe quand on s’intéresse à un nouveau mode de pensée et d’action. Participer à un groupe d’habiletés sociales donne des références nouvelles : apprendre à s’exprimer par téléphone, à convenir d’un rendez-vous, à entretenir son logement, à utiliser un agenda, etc. Dans la vie courante, l’individu passe d’un groupe à l’autre dans une succession plus ou moins linéaire, avec plus ou moins de régularité. Pour nous sentir bien, nous nous servons tantôt de nos références, tantôt de nos appartenances. Mais nous constatons que les AICSd ont du mal à avoir des groupes d’appartenance et de référence adaptés, au départ desquels ils vont se construire au mieux. Quand quelqu’un ne dispose pas (ou plus) d’un réseau social riche, il peut se trouver dans des situations extrêmes. Nous pouvons alors rencontrer quatre cas de figure : 1/ Certains sont attachés à un ou très peu de groupe(s) d’appartenance, tout en vivant dans leur milieu naturel de vie et n’ont pratiquement pas de groupe de référence : c’est, par ex., le cas de certaines familles surprotectrices (ou honteuses) de leur enfant handicapé ou une famille incestueuse au fonctionnement très autarcique. 2/ D’autres, au contraire, n’ont pas d’appartenance et se cherchent en permanence de nouveaux groupes de référence, dans leur cadre naturel de vie. C’était Confluences N°20 Août 2008 7 parfois, naguère, la situation de « l’idiot du village » ; c’est le cas aujourd’hui du schizophrène avant sa mise sous protection de la personne, ou celui de l’alcoolique notoire. Ils n’ont pas de base groupale qui soutienne leur identité ou, s’il y en a une, elle est nocive. Cependant, l’intéressé reste dans son milieu naturel de vie, car il peut compter tant bien que mal sur diverses personnes ou groupes qu’il connaît et qui le connaissent. Trouver des personnes ou groupes qui sont disponibles, compétents et stables : c’est souvent la quadrature du cercle ! Sans ami, sans travail, sans activité de loisir dans un lieu structuré, il erre, connaît des gens, mais toute relation stable semble vouée à l’échec. Nous avons reçu un jeune handicapé mental qui se sentait très seul, avec sa maman un peu dépressive : son mari l’avait quittée et son fils, handicapé mental, avait eu des attouchements répétés sur sa petite sœur, placée depuis lors. La vie à la maison semblait mortelle d’ennui à cet AICSd. Il avait tellement envie de rencontrer des gens qu’en dehors du centre de jour et des moments où il devait absolument être chez lui, il passait tout son temps libre à prendre le bus. Il sillonnait la ville dans toutes les directions. Finalement, des personnes le saluaient plus ou moins gentiment, ce qui renforçait son désir de partir de chez lui pour avoir des contacts. Il était, comme il pouvait, à la recherche d’un groupe de référence. 3/ D’autres ont un milieu d’appartenance mais trop carencé ; dans ce cas, le professionnel fait appel à des milieux de substitution, comme un home ou une habitation protégée, qui vont devenir à la longue leur groupe d’appartenance effectif. Les milieux d’appartenance constituent, certes, une enveloppe protectrice, indispensable aux personnes fragiles. Les milieux d’appartenance de substitution peuvent parfois abuser de la grande dépendance de leurs membres : un home mal famé de Liège fait croire aux débiles qui y sont logés que s’ils n’obéissent pas au directeur et ne respectent pas le règlement, la seule alternative est un sort bien pire : soit par le retour en internement, soit par le placement dans un autre home, mais sans aucun argent de poche ! A l’idée de ne pas avoir droit à leur paquet de tabac, ils 8 Confluences N°20 Août 2008 restent là, coincés, parfois terrorisés. 4/ Il arrive que les groupes d’appartenance et de référence d’origine n’existent plus ou soient nuisibles. C’est le cas pour de nombreux libérés conditionnels ou de défense sociale : une fois arrivé seul dans une nouvelle ville, logé dans son garni ou dans sa maison d’accueil, il n’est pas rare que la seule et première référence soit l’assistant de justice, puis les personnes fréquentées (celles de la maison d’accueil au mieux, sinon le personnel et les stagiaires qu’il rencontre à la formation ou au travail, par exemple). Les professionnels ou les pairs peuvent devenir des références de substitution. Et ce, d’autant plus que les personnes sont privées de leurs groupes d’appartenance d’origine. Le lieu de substitution peut jouer au départ le rôle du groupe de référence, mais pourrait devenir progressivement le groupe d’appartenance où l’AICS est susceptible de remodeler son identité. Cela exige des intervenants sociaux travaillant à long terme et acceptant un type de prise en charge assez lourd. C’est probablement ici que, pour les professionnels, se posent les plus gros problèmes d’échange d’informations, de secret professionnel, de collaboration et de coordination. (…) Le travail social de groupe comme groupe de référence pour les AICSd 1. Pourquoi un travail de groupe avec des AICSd ? (…) La thérapie individuelle avec les personnes déficitaires se révèle souvent insatisfaisante : l’effort de communication pèse davantage sur le professionnel ; le rapport d’autorité s’insinue et biaise la relation ; il est difficile de pallier au manque d’information psycho-sexuelle au cours de séances individuelles ; ardu aussi d’assouplir la position du sujet relativement à sa responsabilité dans les faits commis. Qu’est-ce qui est permis ou défendu ? Est-il permis de parler de ce qui est défendu ? Et pire : est-il licite de voir un film qui parle de ce qui est défendu ? Or, il nous paraissait important que les participants au groupe perçoivent qu’il est normal de désirer une vie sexuelle et affective, mais qu’elle doit se vivre de manière respectueuse et socialement acceptable. Ainsi, un groupe ouvert aux personnes présentant un handicap mental et aux psychotiques nous semblait une occasion de socialisation, d’appropriation de la responsabilité, de découvrir l’altérité, de trouver sa place, de développer les capacités d’expression et surtout le droit à se forger une opinion. A en croire ceux qui s’étaient déjà lancés dans des expériences analogues, ces objectifs paraissaient réalistes. 2. Modalités et acquis du travail de groupe Nous avons établi un schéma de séances bimensuelles très ritualisé. (…) Certaines des séances, consacrées à de l’information, ont été animées par un Centre de Planning familial. Très interactives, elles ont permis à chacun de construire un savoir qui était bien souvent imparfait, inachevé ou carrément manquant. Les participants étaient visiblement satisfaits, je dirais même fiers, d’avoir compris des choses, que ce soit à un niveau très concret (comment enfiler un préservatif) et à un niveau de connaissances (à propos des maladies sexuellement transmissibles, par exemple). (…) Plus les participants se sont sentis intégrés au groupe et à l’aise avec le contenu des séances, plus ils ont été capables d’évoquer les liens entre les thèmes travaillés et leurs expériences personnelles, allant jusqu’à partager à propos des faits commis. En réagissant à ce que disent les pairs, la possibilité de parler s’étend aux questions d’attirance et de désir, une compréhension s’ébauche, on assiste à des pas vers une intériorisation de leur responsabilité, une extériorisation de la honte et des doutes. Pour nous, thérapeutes, la dynamique de groupe a donné accès à des comportements ou des façons d’être des participants, significatives ou interpellantes (agressivité, jalousie, clichés homme-femme…) qui seraient restés inaccessibles dans le cadre d’une relation duelle. (…) 3. Des attentes aux constats Nos espoirs que le groupe pallie aux difficultés et insuffisances des entretiens individuels se sont vérifiés. Ainsi, en plus des acquis des patients, le thérapeute bénéficie de la dynamique propre au groupe, la lourdeur est moins présente, il échappe à l’aspect factuel et concret des entretiens individuels et peut aller à la rencontre des émotions de chacun. Alors qu’il est établi que la mauvaise estime de soi est corrélée au passage à l’acte transgressif, nous avons observé, chez quasi tous les participants, une amélioration de la confiance en soi, amélioration à laquelle on peinait à arriver par le biais des entretiens individuels. Toutefois, pour être pleinement efficace et consolider les acquis des participants, ce type de prise en charge devrait être assuré à plus long terme. Enjeux de la prise en charge sociale des abuseurs déficitaires Chaque ESS a le choix de ses outils méthodologiques. La moindre des choses est de les choisir pertinents pour la problématique et pour la population pour laquelle nous sommes spécialisés. Forcément, plus un patient cumule de difficultés, plus le travail avec lui s’avère complexe et exige du temps. Les déficitaires, avec qui les thérapies dialectiques ont une utilité assez limitée, demandent plus d’attention par leurs manques d’autonomie en tout genre. 1ère lourdeur de leur prise en charge : l’obligation de procéder à des remaniements de nos méthodes et de notre fonctionnement, d’abord au niveau interne. En effet, au sein même de l’équipe, les thérapies individuelles doivent être ajustées au cas par cas aux capacités du bénéficiaire. Il en va de même dans l’organisation des groupes dont la formule doit être conçue spécialement pour eux. 2ème lourdeur : outre ces changements internes, nous sommes aussi poussés à des changements dans nos rapports avec le réseau extérieur, car les informations verbales et non verbales que nous communique le patient doivent très souvent être éclairées par ailleurs.(…) Un peu comme pour des mineurs, il faut probablement une adaptation du secret professionnel, ce qui n’autorise toutefois certainement pas son effritement. 3ème lourdeur : si nous concluons par des indications, une prescription ou une solution, elles doivent être mises en œuvre. Or, contrairement aux prises en charge de personnes suffisamment autonomes, celles qui concernent les déficitaires contraignent l’équipe à plus de collaboration avec le réseau, car ces patients ont souvent besoin d’aide pour assurer la mise en actes de leurs aspirations. (…) 4ème lourdeur : la personne déficitaire a, comme tout le monde, besoin de plusieurs groupes d’appartenance et de référence. Quand le professionnel est assez souple pour adapter son type d’intervention aux déficitaires, il n’a pas de difficulté particulière à prendre en charge ce patient s’il dispose d’un entourage social suffisamment soutenant. Mais nombre d’AICSd sont socialement « désaffiliés » (Castel) ou trop peu insérés dans un ensemble de groupes de référence et d’appartenance. Dans ce cas, quelqu’un, éventuellement nous tant qu’il n’y a personne, doit faire en sorte qu’ils s’attachent à des groupes de substitution. (…) 5ème lourdeur : en raison des vulnérabilités et des manques d’autonomie des déficitaires, ces groupes de substitution doivent être « protégés », c’est-à-dire capables d’assurer la protection dans des domaines où l’intéressé ne peut l’assumer. Cela implique la présence plus ou moins lâche de professionnels, ou de citoyens responsabilisés capables d’agir « en bon père de famille ». Organiser un groupe au sein des ESS pour informer les AICSd et les faire réfléchir aux relations affectives et sexuelles est une manière de proposer des références. N’aurions-nous pas intérêt aussi à développer des synergies avec d’autres professionnels pour multiplier les apprentissages et les situations de rencontres dans des groupes encadrés ? (…) 6ème et dernière lourdeur : elle est d’ordre financier : 4Accompagner quelqu’un prend du temps. Le présenter au service d’accompagnement qui pourrait l’aider au quotidien impose des déplacements. (…) Soit je fais tous les trajets d’accompagnement en transport en commun, et une après-midi entière est consacrée à un seul rendez-vous, soit j’assume seule le risque de transporter l’AICSd dans ma voiture. Sans l’assurance ad hoc, je trouve là que l’on ne nous donne pas les moyens d’honorer la convention de moyens ; 4Nous former et nous garder performants est coûteux. Dans mon équipe, à mi-temps, j’ai droit à un budget de formation de presque 100 € pour toute l’année : cela signifie, que je ne peux participer à 2 demi-journées de formation à l’UPPL (qui sont à 50 € pour les « anciens »). Je suppose aussi que je ne suis pas la seule, mais je n’ai encore jamais pu m’inscrire à un des colloques internationaux sur l’agression sexuelle, ni comme participante payante à une formation de trois jours à l’évaluation de telle échelle de risque. Je comprends mon CA, mais je déplore la situation ; 4Au risque de tous se mettre à pleurer sur notre triste sort, j’ajoute que, pour nos groupes, nous n’avons toujours pas de TV ni de lecteur dvd. Jusqu’à présent, nous nous sommes débrouillés avec le lecteur de l’un et l’ordi portable de la mère de l’autre… l Bon à savoir Un congrès européen sur le thème « Treatment of Sexual Offenders in the Community » se tiendra les 18 et 19 septembre prochains à Bruxelles. Une organisation de l’UPPL (Unité de PsychoPathologie Légale), de l’Universitaire Forensisch Centrum et du Centre d’Appui bruxellois. : www.congress2008.be ( 069/888 333 1 « Auteurs d’infractions à caractère sexuel déficitaires… Que faire ? Entre Justice et santé mentale, quel accompagnement ?», Namur, le 9 novembre 2007. Une journée de réflexion organisée par le groupe de travail « Abus sexuel » du Conseil Régional des Services de Santé Mentale (CRSSM) et l’Unité de PsychoPathologie Légale (UPPL). 2 Pour des impératifs d’édition, nous n’avons pu reprendre le texte complet, la version in extenso est disponible à la demande au centre de documentation de l’IWSM 8 [email protected] ( 081/23.50.12. 3 D’ailleurs, dans ses dernières décisions à propos de la composition des équipes, l’administration de la Région wallonne a encore montré qu’elle continue à vouloir la pluridisciplinarité dans les ESS en y préservant, notamment, la fonction sociale. 4 THYS, P., L’aide Judiciaire imposée. Modélisation du travail psycho-social avec les délinquants, Thèse de doctorat 1992-1993, Université de Liège, 3 volumes et THYS, P., La pratique de la liberté surveillée, éléments de méthodologie dans l’aide judiciaire imposée aux délinquants, Paris, L’Harmattan, 1998. Confluences N°20 Août 2008 9 Ecoute d’abord ce qu’elle tait ! Ecoute d’abord ce qu’elle tait ! Quelle belle formule, toute de poésie, pour faire front à ce mouvement universalisant consistant à ne plus vouloir prendre en compte que ce qui se voit, ce qui se compte ou se mesure et, pire encore, ce qu’on veut voir, compter ou mesurer ! Francis TURINE Directeur des Goélands Administrateur IWSM C e qui se tait n’est pas synonyme de silence. Ne se tait que ce qui ne peut se dire. Et ce qui ne peut se dire s’exprime par des comportements. Parfois dérangeants, quelques fois inacceptables, il s’agit de les décoder, de les lire, de les reconnaître comme un mal de vivre, une souffrance psychique, et non comme une maladie inventée, dénommée « troubles de la conduite » ! Faut-il avoir oublié Fernand Deligny pour prétendre que ces jeunes seraient des « graines de crapule »2. L’organisation, le 14 juin dernier, du meeting « Touche pas à ma conduite, écoute d’abord ce qu’elle tait »3, dans ce lieu symbolique de la culture belge et bruxelloise qu’est le Palais des Beaux-Arts, présente plus d’une particularité. Parmi celles-ci, relevons l’abord original de questions relatives à la santé mentale de la population sous la forme d’un meeting supposant de multiples interventions courtes, diverses et magistrales. Le bilinguisme des interventions a, par ailleurs, donné une dimension toute particulière, singulière et significative, à cet événement, brisant un clivage Nord/Sud trop véhiculé dans le secteur ! Plus de 500 participants et une trentaine d’orateurs d’horizons divers (psychanalystes, intervenants 10 Confluences N°20 Août 2008 Notre société commet une lourde faute lorsqu’elle se laisse aller aux idées toutes faites, acceptées comme des évidences et véhiculées sans la moindre remise en cause. Le consensus, comme l’on dit aujourd’hui, le plus évident concerne la sécurité. Les citoyens, si l’on en croit les sondages, ne penseraient qu’à ça. En fait il s’agit de l’équilibre entre l’excès d’ordre et l’excès de désordre, équilibre constamment instable et pour lequel il n’y a pas de recette miracle. Actuellement c’est plutôt l’ordre qui a bonne presse et cette obsession conduit à des initiatives qui peuvent se révéler terriblement dangereuses. Tel est le cas du projet de loi sur la prévention de la délinquance qui s’appuie, notamment, sur un rapport d’expertise de l’INSERM sur les troubles des conduites chez l’enfant. Albert Jaquard1 sociaux, psychologues, psychiatres, criminologues, juristes, professeurs d’université, artistes,…) ont tenu à manifester leur inquiétude face à ce qu’ils craignent être une dérive scientiste et leur refus de retenir la qualification de « troubles de la conduite » comme un syndrome spécifique. Près de 2200 associations et professionnels ont aussi tenu à être signataires de ce manifeste, cherchant à respecter les phénomènes psychiques et à sauvegarder une psychiatrie humaniste. En effet, le Conseil Supérieur de la Santé, organe d’avis pour le Ministre de la Santé publique, a initié, en réaction à des préoccupations actuelles, un groupe de travail sur les troubles des conduites chez les enfants et les adolescents. Mis en place en mars dernier, ce groupe est présidé par le Docteur Isidore Pelc et se compose d’une quinzaine d’ « experts » de secteurs différents. Nous sommes en présence de la même mouvance que chez nos voisins français avec le fameux rapport de l’INSERM (2005) sur les troubles des conduites, décrié par le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de trois ans ». Ce collectif a récolté plus de 200.000 signatures et suscité pas mal de réactions avisées.4 Comment en effet prétendre prédire une dérive comportementale et envisager de mener une intervention correctrice normative, là où il s’agirait avant tout de valoriser, d’encourager et d’intensifier une action préventive de reconnaissance de la souffrance et du désarroi psychique de ces enfants ? A l’heure où de nombreuses démarches se font jour pour favoriser un dialogue et une meilleure compréhension entre professionnels du secteur de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé mentale, il ne nous paraît pas très opportun de tendre vers une approche de la délinquance comme si elle était une maladie. Ceci étant, même si la société doit faire face à de multiples comportements déviants chez des adolescents, correspondant généralement à l’expression mal appropriée d’un profond désarroi, même si la réponse à leur donner est très délicate et difficile à élaborer, il serait illusoire d’en vouloir standardiser le pronostic en observant les manifestations et expressions des bambins qui ne cherchent qu’à se construire. l 1 Préface du « Livre du collectif », Eres- juin 2006. Fernand DELIGNY : « Graine de crapule », Ed. du scarabée,1960. 3 : http://forumpsy-fr.blogspot.com 4 Comme celle du Prof. Delion, pédopsychiatre au CHRU de Lille : Delion Pierre : « Tout ne se joue pas avant trois ans », Albin Michel, février 2008. 2 A découvrir… L’épopée symbolique du nouveau-né De la rencontre primordiale aux signes de souffrance précoce Graciela Cullere-Crespin, éd. Erès, coll. Psychanalyse et clinique, novembre 2007, 192 p. L’épopée symbolique, c’est l’ensemble des étapes que tout nouveau-né doit traverser afin de devenir un sujet à part entière. Voilà le chemin que l’auteur nous invite à parcourir dans cet ouvrage particulièrement intéressant et accessible. Avec une approche psychanalytique solide, dans une clarté remarquable et dans un souci pédagogique poussé à l’extrême, illustrations et vignettes cliniques à l’appui, elle définit en les remettant à jour les notions fondamentales de l’histoire du nouveau-né, telles que : « paternité », « maternité », « fonction paternelle », fonction maternelle ». Au niveau clinique, l’auteur a le mérite d’avoir établi des repères pour l’observation des nouveaux-nés. Dans son livre, elle propose des outils pour déceler au plus tôt le mal-être des tout petits et leur souffrance. Une approche qui peut être complétée, pour les cliniciens confrontés au quotidien à ces situations, par les nombreux articles, fouillés, qu’elle a déjà écrit sur le sujet. Forte de son expérience de 20 années avec les PMI (Protection Maternelle Infantile en France, correspondant à l’ONE en Communauté française de Belgique), elle s’adresse aussi aux pédiatres et intervenants de 1ère ligne pour leur expliquer clairement la façon d’observer les 1ers signes de souffrance d’un bébé et les inviter à relayer les situations problématiques pour leur assurer une intervention aussi précoce que possible… Un ouvrage qu’on peut prendre… et laisser … et reprendre… On peut y entrer de plusieurs façons : information, clinique, prévention. Il apporte pas mal de repères et références à tous ceux qui s’intéressent au petit d’homme dès sa naissance, et même avant… et donne l’envie d’aller plus loin ! Disponible au centre de documentation de l’IWSM ( 081/23.50.12 8 [email protected] Mémoire de psys : Pratique et transmission Un entretien avec Siegi Hirsch Une interview de Philippe Hennaux, 2008, 55 minutes. Siegi Hirsch a inspiré puis formé plusieurs générations de psychiatres aux thérapies de groupe et au travail systémique. Son influence déterminante lors de la création de nombre de structures extrahospitalières à Bruxelles depuis les années 60 s’est prolongée par une réflexion sur les institutions, portant sur les rapports entre leur fonctionnement et les pratiques thérapeutiques. Cet entretien est consacré à la contribution de Siegi Hirsch à l’histoire de la psychiatrie, et permet de mettre en lumière les valeurs essentielles qui ont traversé son œuvre : la vie, la créativité, le souci de l’autre et le respect de celui qui veut savoir. Avec cette nouvelle production, la Collection « Mémoires de psys » propose aujourd’hui une série de 5 entretiens filmés de personnalités belges francophones qui ont marqué l’Histoire de la Santé Mentale. Les 4 premiers entretiens disponibles sont : 4« L’ouverture de la psychiatrie aux enfants » Un entretien avec Nicole Dopchie, 2007, 37 minutes ; 4« Pour une psychiatrie humaniste » Un entretien avec Léon Cassiers, 2008, 42 minutes ; 4« Agir pour une psychiatrie démocratique » Un entretien avec Micheline Roelandt, 2008, 52 minutes ; 4« Chercher pour comprendre » Un entretien avec Emile Meurice, 2008, 41 minutes. Infos : IWSM – In-folio ( 081/23.50.12 [email protected] Production : Psymages :www.psymages.be, Centre National Audiovisuel en Santé Mentale – CNASM - Lorquin :www.cnasm.prd.fr, Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale - LBFSM :www.lbfsm.be, Institut Wallon pour la Santé Mentale – IWSM :www.iwsm.be Confluences N°20 Août 2008 11 Etats Généraux de la Santé Mentale en Wallonie « Passager du réseau ? », c’est le thème choisi pour les prochains « Etats Généraux de la Santé Mentale ». Programmés en novembre et coordonnés par l’IWSM, ils seront l’occasion de faire le point sur le travail en réseau et la place réservée aux usagers dans ce cadre. Vous avez été nombreux à nous faire des propositions pour alimenter la réflexion, échanger les initiatives et interroger les pratiques, avec, au final, un programme qui se construit sur base de vos préoccupations. L’invitation est lancée… Rendez-vous le vendredi 28 novembre1 prochain au Palais des Congrès à Namur. Pour l’équipe IWSM : Marie LAMBERT L a complexité du travail en santé mentale amène souvent les professionnels à chercher des réponses dans le travail en réseau. Celuici concerne évidemment l’usager. Mais concrètement, quelle part y prend-il ? Comment tenir compte des attentes des uns et des autres ? Quelles modalités concrètes de participation, formelles ou informelles, envisager ? Comment dépasser les obstacles ? Qui garantit la cohérence des interventions ? L’usager peut-il assurer le fil rouge, comment et à quelles conditions ? En un mot : comment le sujet est-il acteur de son parcours de soins ? Demandez le programme ! Ces différentes questions ont été posées aux acteurs de santé mentale, professionnels et usagers, via un appel à participation et les réponses nous ont permis de définir les thèmes à approfondir ensemble lors de cette manifestation. Présentés ci-dessous, ils feront l’objet des travaux en ateliers, organisés l’après-midi. La journée débutera sur des exposés qui s’intéresseront au point de vue des usagers, au processus de participation, aux questions liées aux 12 Confluences N°20 Août 2008 droits du patient ainsi qu’au secret professionnel et à l’échange d’informations. Après la journée, vous serez invités à rencontrer, à l’invitation de l’équipe ECHO (Lilly), des initiatives de réhabilitation et à assister à la remise du « Réintégration Award 2008 »2, décerné par un jury indépendant à une équipe attentive à l’intégration des usagers. et professionnel s’articulent-il ? Quels sont les liens entre le champ de la santé mentale et le reste de la société (monde du travail, milieu associatif,…) ? Milieu de vie / milieu de soins Comment se met en place la prise en charge en extra muros ? Avec quel type d’accompagnement ? Quel lien avec les structures résidentielles ? Au travail : Formalisation C’est le 1er des thèmes retenus. Les questions autour de la formalisation du réseau se concrétisent notamment dans les projets thérapeutiques mis en place au niveau fédéral et se retrouvent également dans le cadre du développement de nouvelles fonctions telles que le case manager, le référent hospitalier, le médiateur. Quels sont les avantages et limites de ces formalisations ? Quelles sont les articulations possibles avec l’usager ? Initiatives « usager - acteur » Des dispositifs concrets sont mis en place pour soutenir la participation de l’usager, lui permettre de disposer d’un espace de parole adapté et poser ses propres choix. Diverses initiatives allant dans ce sens seront présentées. Communication avec/au sujet de l’usager Le travail en réseau implique un échange entre les différents partenaires, avec et au sujet de l’usager. Qu’en est-il de la gestion des informations le concernant ? Se posent ainsi les questions autour des droits de l’usager, de l’accès au dossier médical, du secret professionnel partagé chaque fois que des acteurs de secteurs différents, professionnels et non professionnels, sont amenés à communiquer. Réseau naturel/réseau professionnel Quelles sont les pratiques de collaboration entre professionnels et familles, entre professionnels et usagers ? Comment les deux types de réseau, naturel Parcours, passages et transitions Les prises en charge à domicile constituent une des étapes possibles dans un parcours de vie, étapes parfois difficiles à franchir. Quels dispositifs sont mis en place pour réfléchir à ces moments de transition et les faciliter ? Peut-on sortir du réseau ? Comment s’articulent les temporalités de l’usager, de l’institution, de l’entourage, des politiques ? Une étape dans un processus Les nombreuses réactions suscitées par l’appel à participation témoignent de l’intérêt porté par les différents acteurs à ces questions de travail en réseau et de participation des usagers. Le rôle actif de ces derniers se manifeste déjà dans l’élaboration de points de vue des usagers, à communiquer. Les Etats Généraux se veulent un lieu de rencontre et de dialogue entre usagers et professionnels des différents secteurs de la santé mentale en Wallonie et permettront, nous l’espérons, de stimuler les réflexions et initiatives en vue de multiplier les pistes de collaborations et de faire évoluer la situation. l Informations : Institut Wallon pour la Santé Mentale, asbl Marie Lambert 8 [email protected] Isabelle Deliége 8 i.delié[email protected] ( 081/23.50.11 (15) 8 [email protected] : www. iwsm.be 1 Le vendredi 28 er novembre et non le jeudi 4 décembre comme envisagé dans un 1 temps (Voir édito de Confluences 19). 2 Appel à projets et conditions de participation sur www.lilly.com . Rencontrer la souffrance des soignants dossier Le bonheur pour tous ! … Proximus nous rapproche tous ! ... L’accès à BTV présenté telle une demande en mariage ! La publicité vantant les antidépresseurs montre des « usagers » rayonnant de bonheur, de légèreté, de désir et de sourires ! « Zyprexa : aller plus loin ensemble », « Abilify, aujourd’hui pour l’avenir », « Risperdal, un souffle antipsychotique, la vie devant ». « …Gémir n’est pas de mise…aux Marquises », rêvait Jacques BREL. Dans ce monde de poudre aux yeux voilant son intolérance et son exigence, toujours plus égoïste et élitiste, est-il encore légitime de parler de souffrance, est-il encore crédible de s’arrêter sur la souffrance psychique et subjective, est-il encore permis de s’interroger sur les cernes de malaise que veut cacher cette brillance artificielle faite de slogans et de mensonges ? Plus que jamais, ai-je envie d’écrire ! Au nom de la psychiatrie, non pas celle que d’aucuns voudraient ravaler à l’EBM, mais au nom d’une psychiatrie humaniste qui est au cœur des objectifs de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale. Et même si la psychiatrie devenait toujours plus gestionnaire, il y aura toujours des soignants amenés à croiser, à rencontrer des personnes en souffrance. Au-delà des statistiques, il est donc impératif de s’arrêter, de prendre en compte, de parler de ce que chacun, quiconque, supporte au quotidien. Voilà pourquoi le présent dossier abordera la souffrance au travail, mais pas n’importe laquelle. Il ne s’attardera que peu sur la souffrance au travail dans le monde des entreprises, souffrance pourtant bien réelle face aux injonctions de rendement, de rentabilité, d’objectifs à atteindre, de flexibilité, de satisfaire la soif des actionnaires ou face à des conditions matérielles de travail inconfortables. De manière plus prosaïque, nous avons privilégié de donner la parole à ceux qui vivent la santé mentale au quotidien. La plupart des auteurs du présent dossier se sont arrêtés un bref instant sur les effets chez le soignant de la rencontre avec le soigné. Entre gérer un dossier et manier une relation, la différence est grande, la difficulté aussi. Peu, sinon rien, ne prépare véritablement à croiser la psychose, la détresse humaine, les états de grave dépression. Ce n’est progressivement possible qu’au fil des rencontres et du cadre permettant celles-ci. Indépendamment des rythmes, des contraintes et des exigences liées au travail dans le secteur de la santé mentale, les travailleurs sont confrontés à des situations difficiles qui les touchent et, parfois aussi, les mettent en danger. Loin de vouloir s’appesantir sur ces difficultés, le dossier cherche à repérer et à présenter des dispositifs développés au sein des services, des équipes, des institutions pour prévenir et/ou faire face à ces souffrances. L’essentiel sera de trouver la bonne distance. A côté de la place que prend le cadre institutionnel, un autre accent est mis sur tout ce que l’on peut ranger sous le vocable de « formation », telles les supervisions, les formations théoriques diverses, les réunions… Cadre institutionnel et dispositifs d’échanges de paroles sont ainsi les deux grands axes mis en exergue pour prendre en compte et tenter de répondre à la mise à mal inévitable du soignant en psychiatrie. Francis TURINE Administrateur IWSM 13 Souffrance au travail, travail de la souffrance La souffrance et le travail ? Le travail autour de la souffrance ? La souffrance du travail ? Le travail de la souffrance ? Y aurait-il une clinique propre à ceux qui accompagnent la souffrance ? La souffrance est-elle seulement du côté de ceux à qui on fait offre de soins ou a-t-elle des répercussions directes ou plus insidieuses sur ceux qui ont choisi d’être là pour l’accueillir ? S’agit-il de la même souffrance, a-t-elle les mêmes résonances, les mêmes couleurs, côté « soignants » et côté « soignés » ? La souffrance des patients est-elle parfois plus supportable que celle que nous devons endurer au sein de la collectivité de soins ? Est-il plus facile de soigner, d’apprivoiser la souffrance de ceux étiquetés « malades » que celle qu’on rencontre, qu’on éprouve au sein de notre équipe ? Dispose-t-on, pour nos patients, d’une série de savoirs ou de techniques qui manqueraient cruellement quand on doit « faire avec » nos collègues, nos supérieurs, … ? Bertrand GEETS Docteur en psychologie, Centre de guidance de Jambes (Namur) U n collectif de soins, s’il est institué pour organiser le travail, est censé être en mesure de mettre des balises pour permettre, autoriser et favoriser le travail avec et autour de la souffrance. Ce même lieu de soins peut, toutefois, aussi, devenir le lieu où le mal-être trouve à se loger, se nourrir et se pérenniser. C’est parfois dans le lien entre soignants qu’il trouve à s’exprimer. Plus encore, ce pourrait être l’espace collectif qui viendrait, dans certaines situations, lui donner forme et le créer. Combien de fois n’entend-on nous pas s’élever les voix de la Plainte, le soignant, l’accompagnant cherchant désespérément à faire entendre ce qui lui a fait « honte », un sentiment profond d’injustice, d’impuissance, accompagné d’une fin de non recevoir, celle de ne pas être respecté ? La question se complique encore quand on associe, - ce qui est impossible à ne pas faire - , les effets de la souffrance qu’il nous faut accueillir, celle de nos patients, sur ce qui peut faire tissu de soins. Il s’agit là de la manière dont cette dernière interroge, interpelle, questionne ce qui peut venir faire lien entre les personnes, véritable mise 14 Confluences N°20 Août 2008 à l’épreuve de ce qui trame les liens institutionnels et révélateur de ce qui s’y trame ; la souffrance venant révéler des conflits latents, voire en cristalliser d’autres. C’est là où, souvent, se greffent une série d’enjeux dont il est parfois difficile d’apprécier toute la logique, toute la complexité. Le collectif soignant confronté à des impasses de terrain (passages à l’acte, monotonie, …) devient la scène par excellence où se nouent et se jouent toute une panoplie d’enjeux subjectifs de place, de statut et de reconnaissance, où montent sur la scène « les misères » de l’existence humaine, la précarité de ce qui nous fait « être-au-monde ». C’est souvent un moment, de « crise », où chaque institution est en devoir de se rappeler ce qui la fonde et l’oriente. Véritable moment de mise en demeure de répondre au comment elle va « réagir » face à ce qui vient faire « désordre ». La rencontre avec l’altérité Si une institution est un collectif soignant, un tissu symbolique, elle est aussi un lieu qui se doit d’accueillir ce qui échappe profondément à toute définition possible, à savoir le plus singulier d’un sujet (sa jouissance en termes psychanalytiques), ce qu’on pourrait appeler, à la suite de Francis Affergan1, l’altérité du « Prochain ». Or, celle-ci n’est pas simplement l’accueil de la différence. La différence, celle de mon semblable, est toujours ce que je peux comparer à moimême, celle sur laquelle je peux avoir une certaine maîtrise, celle que m’offre par exemple les diverses échelles de mesure ou les techniques de soins. Or, l’altérité est toute autre chose que ce qui peut être ramené sur l’échelle du même et du dissemblable. Que comporte le fait d’accueillir la souffrance ? Je pense que tant que celle-ci se laisse prendre, saisir dans ce que nous pouvons penser d’elle, tant que celle-ci ne remet pas trop en question nos « schèmes de pensée », nos interprétations du monde, tant que celle-ci trouve à se loger dans une différence, elle reste gérable ; chacun peut y trouver son « compte ». Quitte à ne pas rencontrer ce qui profondément fait la singularité de cette souffrance, de ce sujet en souffrance. Si elle se laisse soigner, guérir, normaliser (« normativiser »), si elle se laisse « dompter », chacun peut trouver à s’assurer de sa fonction, de sa place, de son identité de soignant. Mais quand celle-ci se montre rebelle ou revêche à nos « vœux » thérapeutiques, c’est là profondément que chacun est mis en posture de rencontrer l’angoisse. C’est là, à ce moment précis, qu’est mise sous tension l’identité de tout un chacun, et par voie de conséquence, ce qui fait lien (nouage) ou nœud entre les individus. C’est en même temps à ce moment que se déploie une dynamique qui fait que, soit le collectif se referme sur lui-même, soit il est requis de faire preuve d’invention. Ce qui ne va pas de soi à l’« heurt » d’une crise. Insistons sur ceci. J’emprunte à l’anthropologue Francis Affergan ce qui est nécessité pour rencontrer l’altérité, sans chercher à tout prix à enfermer le sujet dans le filet d’un savoir déjà tout écrit pour lui - ce que voudrait le discours scientifique, de même que nos sociétés normatives - : « La conquête de l’altérité, écrit-il, est une aventure déréalisante et qui peut s’avérer dangereuse pour la propre identité de celui qui part. Et ce d’autant plus qu’elle implique une destruction ou pour le moins un abandon du temps et de l’espace identitaire et l’acceptation d’un renversement total des valeurs »2. De plus, c’est d’un « ça se rencontre » dont il est là question, au sens que rien ne pouvait l’y préparer, et qui met par conséquent en cause un certain « ce n’est pas écrit ». En quoi ? La rencontre avec l’altérité participe de la rencontre avec ce qui profondément échappe (l’être de l’autre, qui peut s’exprimer dans une clinique par ses refus de se faire aider, par ses passages à l’acte, …) et pour laquelle il n’existe pas de réponse déjà toute prête. Parce que la rencontre avec l’altérité est celle d’avec un « réel » qui échappe à toute saisie imaginaire ou symbolique. Par ce fait, elle participe de la « catastrophe » qui est « un évènement/avènement qui vient trancher par une saillie imprévue dans une série ou un ensemble continu, constant et aux flux identifiables »3. Cette « catastrophe » n’est pas sans rejaillir sur celui qui y est confronté, ni sur les mécanismes propres au groupe qui se doivent de la canaliser. Car par principe, l’angoisse contamine, pouvant prendre aux tripes les personnes qui y sont confrontées. Que reste-t-il dès lors pour faire lien ? Le lien fait-il le lit pour abriter la souffrance, la tempérer ? L’angoisse est-elle porteuse d’un malaise qui peut ouvrir à l’invention ? Un pousse à l’invention Quelle place pour l’invention quand la crise submerge, quand elle vient obturer l’espace de réflexion ? Nombreuses sont les situations dans le travail où l’intervenant se trouve sous le joug de son surmoi, pétrifié par l’impuissance dans laquelle il se trouve de ne pas y arriver, de ne pas arriver à prendre place, à ce que les choses évoluent. Or, Alain Didier-Weill nous rappelle qu’il est plus « aisé » de s’en remettre au surmoi, au sens où « (…) cette préférence universelle pour le surmoi persécuteur procède d’un choix inconscient pour une loi, qui en persécutant le sujet, lui octroie paradoxalement une certaine bonne conscience (le mal dans la loi) et le soustrait au choix inconscient auquel il est menacé d’être exposé par le signifiant sidérant, dans la mesure où ce signifiant ne lui dit pas : « Où est l’injustice ? », mais : « Où est la justesse ? » »4, là où l’espace doit être dégagé, pour que chacun puisse produire un mouvement de dessaisissement. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Artistes Anonymes, Joëlle. Une de ces conséquences peut en être un arrêt sur image, une fixation de la scène, chacun reprenant les rennes de sa fonction, pour se cantonner à rappeler ce qui par les autres n’a pas été à sa juste place réalisé. La question de la « faute », et de la responsabilité s’incarne, l’espace du travail se fige, s’immobilise. Certains sont mis sur la sellette, les autres se terrent. C’est le moment des « jugements », qu’ils soient dépréciatifs ou normatifs, auquel on se tient comme dernier rempart pour ne pas être confronté au vide. C’est le moment où les « psys », parfois, trouvent à formuler les réponses, celles qu’il aurait fallu avoir, incarnant le lieu du « savoir-pouvoir », excluant par là même la possibilité de mettre au travail ce qui pour ce soignant-là a fait impasse dans la rencontre, et ce qu’il aurait pu, lui, en produire comme « savoir » pour s’extraire de l’angoisse. 15 C’est à cet endroit précis qu’il nous faut non pas recouvrir, boucher l’impasse (et l’impuissance qui en résulte) mais la considérer comme une zone obscure « où il n’y a plus de code de la route, plus de loi inscriptible permettant d’indiquer comment faire pour avoir la garantie de trouver la justesse du dire »5. Donc, pour répondre à la catastrophe, il n’y a pas d’attitudes généralisables, standardisables. Il s’agirait plutôt de prendre comme point de mire l’idée que c’est « (…) à partir du défaut de la solution que s’exerce l’invention (…) »6 ? D’où l’importance, pour une institution de soins, d’un discours qui ne dit pas tout et par là détermine un lieu de non-savoir où les intervenants peuvent s’autoriser en se déplaçant autrement que prévu. Cette orientation permet d’enrayer ce qui se cris- tallise comme impuissance dans la relation, pour dégager son « point d’impossible » - comme ce qui ne trouvera pas à se résorber dans les savoirs déjà là. C’est là une limite imposée à tous de devoir œuvrer avec ceci qu’il n’y a pas de réponse dernière à la question de l’être, de la souffrance humaine, qu’il y a une incomplétude du savoir au regard de la jouissance. A savoir qu’il y aura toujours quelque chose qui échappera à notre propre savoir, notre seul entendement, limite à partir de laquelle l’invention pourra être possible. Ce serait en se déprenant de l’idée qu’il faut être un bon soignant qui aurait à se caractériser par autant d’attributs, qu’un espace sera donné pour que l’intervenant puisse prendre la parole. Cet espace, à chacun de l’habiter, de l’habiller de son propre style, celui qu’il dégagera de et dans la rencontre avec ce patient-là. Il y aurait dès lors à consentir à une « perte », perte de certitude, perte de réponse, perte d’interprétation au point que l’intervenant puisse de cette perte recréer de l’espace et trouver à s’étonner. Mais en quoi et sur quoi pourrait se fonder une pratique qui laisse place à l’étonnement ? Pourraitelle permettre d’endiguer ce qui n’a de cesse de s’imposer une fois institué ? Comment permetelle de sortir de l’emprise médusante dans laquelle nous confronte l’insistance ? Comment dégager un espace qui autorise l’acte singulier dans une pratique collective ? Alain Didier-Weill avance que : « L’interrogation que je reçois, dans l’instant éphémère de l’étonnement, est celle-ci : « Que découvres-tu dans ce temps de suspension de la parole où, étonné, il t’apparaît que tout ce que tu savais déjà, tout le savoir que tu as engrené jusque-là, ne t’est d’aucun recours pour renouer avec la parole que tu viens de perdre ? » 7. Il faut donc oublier ce que l’on sait déjà pour qu’advienne ce que nous ne savons pas encore. Or, dans ce temps « il n’y a aucun prêt-à-penser pour l’ (le sujet) orienter éthiquement »8. Cet espace, c’est à chacune des institutions à l’inventer. C’est ce que les différentes contributions du dossier vont tenter, chacune à leur façon, de mettre en évidence. l 1 Voir bibliographie p.48, référence 1. Affergan, op cit., p.172. 3 Affergan, op cit., p.76. 4 Voir bibliographie p.48, référence 16, p.172. 5 Voir bibliographie p.48, référence 15, p.15. 6 Voir bibliographie p.48, référence 38, p. 228. 7 Didier-Weill, op. cit. note 4, p.121 8 Didier-Weill, op. cit. note 4, p.185. Artistes Anonymes, Anne. 2 16 Confluences N°20 Août 2008 Souffrance du soignant, une question de dispositif institutionnel ? Nicole Devreese Responsable du personnel Infirmier, les Goélands, Spy U n jour de janvier 2006 comme à mon habitude, je passe en fin de journée pour voir si tout va bien. Je peux alors retourner chez moi, sans plus me soucier des « bobos » à soigner qui pourraient ennuyer les éducateurs pendant la soirée. Je vais dans la cuisine où se trouvent quelques ados et trois éducateurs. Léa, souffrant de psychose grave, est en discussion avec une éducatrice qui lui demande comment sa journée s’est passée à l’école. Je ne prends pas part à la discussion. Je ne m’inquiète pas du tout de Léa et de la conversation animée qu’elle entretient avec son éducatrice. En sortant, j’entends derrière moi des pas précipités ; mon attention n’est pas attirée : c’est sans doute un patient qui quitte la cuisine. Mais, dans la seconde qui suit, je sens quelque chose qui m’enserre les chevilles et, instinctivement, je fais un pas par-dessus pour me libérer ; ceci est opérant, je ne tombe pas. Je crois que j’ai évité l’obstacle mais à nouveau je sens quelque chose qui m’empêche d’avancer. Ce sont les mains de Léa qui entourent mes chevilles. Je perds l’équilibre et tente de me rattraper au chambranle de la porte, mais cette fois l’inertie est la plus forte et je passe « à travers » mon épaule, pendant que Léa s’enfuit dans le couloir. Je reste assise par terre, terrassée. Je suis clouée au sol avec une douleur fulgurante à l’épaule qui s’amplifie à chaque mouvement, de telle manière que je n’arrive pas à me relever. Caroline, une éducatrice, m’aide pour que je puisse au moins quitter le lieu de la scène et me dérober aux regards des autres adolescents. Je suis très choquée et en larmes. Je ne comprends pas ce qui peut avoir amené Léa à me faire ce double « croc en jambes ». Je ne comprends d’ailleurs pas comment je me suis retrouvée par terre. Nathalie, une autre éducatrice, s’empresse de voir où Léa se trouve. Elle est dans le couloir et ne peut rien dire quand Nathalie lui demande ce qui lui a pris et exige d’elle des excuses. Celles-ci ne viendront que bien plus tard lorsque nous nous recroiserons lors de mon retour au travail, 8 mois après l’accident. Pourquoi a-t-elle fait cela ? Que lui ai-je fait ? A-t-elle voulu me faire mal volontairement ? Y a-t-il un lien avec la discussion qu’elle a eu avec Nathalie dans la cuisine ? Quinze jours avant cet évènement, j’avais pris le relais d’un éducateur pour raccompagner Léa dans sa chambre parce qu’elle l’avait agressé et qu’il ne pouvait plus bouger. Arrivée à l’étage, elle injuriait l’éducateur et essayait de redescendre. Je l’avais tirée par la manche et nous nous étions retrouvées par terre. Là , je lui avais dit ne pas admettre ce qui s’était passé et je lui avais demandé d’y réfléchir dans sa chambre, pendant que je descendais voir comment allait Julien, mis, par la suite, en incapacité de travail pendant trois semaines. Aurais-je dû continuer à avoir Léa en tête alors que tout semblait aller bien ? Qu’attendaitelle de moi ? Suis-je venue faire intrusion par ma voix, ma présence ou mon regard ? S’estelle sentie agressée ? Ce premier questionnement surgit au moment de l’acte violent et reste sans réponse dans les jours qui suivent l’accident. Le lendemain, la responsable de la maison des adolescents me téléphone pour connaître mon état de santé. J’ai une fracture de l’épaule et je suis plâtrée. Elle a parlé avec Léa de la manière dont elle envisage de réparer son geste. Léa ira acheter un bouquet de fleurs (avec son argent de poche) et m’enverra une lettre. Venant de Léa, cela m’impressionne fort, car elle ne peut rien dire de cet acte. Elle ne peut que faire face aux conséquences de celui-ci. Mais malgré ma conscience de la difficulté de poser ce geste pour Léa, cette première tentative de réparation ne va pas faire grandchose de mon côté. Ma souffrance est impossible à surmonter à ce moment.Le travail Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Le travail en pédopsychiatrie peut confronter le personnel soignant à différentes formes de violence chez le jeune. Qu’il s’agisse de violence dirigée contre lui-même, à l’encontre d’un autre patient ou à l’égard du personnel, elle peut amener une réelle souffrance psychologique, physique et morale. Ce texte présente le dispositif proposé par une institution1 pour soutenir le personnel soignant afin qu’il ne sombre pas dans le burn-out. Il est illustré par le témoignage personnel de l’auteur qui a pu s’en saisir pour reprendre sereinement le travail après un accident de travail dû à une agression par une jeune patiente. 17 réalisé grâce au dispositif mis en place aux Goélands a permis un deuxième questionnement : qu’est-ce qui va mettre du sens dans ce qui m’est arrivé ? Est-ce un point de rupture infranchissable quant à ma possibilité de reprendre le travail ? Comment reprendre une relation entre Léa et moi ? De quelle alchimie a-t-on besoin pour mettre au travail à la fois le patient, mais aussi la personne agressée, pour que cela débouche sur une diminution de la souffrance de part et d’autre ? Je me retrouve dans l’impasse comme projetée contre un mur d’incompréhension mais pourtant, je me prête à la réflexion et ne veut pas rester dans ce sentiment d’injustice et de souffrance. Un dispositif institutionnel Le travail qui a suivi l’acte posé par cette patiente a reposé sur la psychanalyse appliquée à l’institution par la mise en œuvre de la pratique à plusieurs. Un « bougé » s’est opéré dans la perception de l’acte, défini non plus comme un acte violent intentionnel (dans l’intention de faire mal) de la part de la patiente envers tel membre du personnel mais comme un passage à l’acte, une « forme » d’inscription chez la patiente d’une autre manière d’être en relation avec autrui. Nous nous sommes demandés avec la psychiatre et d’autres intervenants, si l’acte violent posé à mon égard n’était pas une sorte de conclusion aux évènements qui s’étaient déroulés quinze jours avant et dont elle ne pouvait rien dire ? C’est moi qui, ce jour là, étais intervenue pour la mettre hors de la scène et lui permettre de se reprendre. Dans les réunions d’équipe, on parle de l’événement comme d’un acte « grave » posé par Léa et la question se pose : est-il encore possible de travailler avec elle, ou faut-il la mettre à l’écart pendant un temps ? 18 Confluences N°20 Août 2008 Un très long travail d’élaboration, avec la psychiatre ou le psychologue, se met alors en place : un travail sur la représentation que j’ai de l’évènement ; un travail de repérage de ce qui, de l’ambiance, a fait que la jeune se sente en « danger » ; un travail de compréhension de ma propre souffrance visant une mise en mots de l’indicible dans la perspective de poursuivre le travail avec la jeune patiente. Exiger son exclusion conduirait, en effet, à faire fi de tout le travail que la jeune a effectué au cours de la prise en charge dans l’institution, à annuler tout le travail de l’équipe qui justement porte sur l’inadéquation des réponses de Léa à son mal-être. A travers cet acte, que m’adresse-t-elle ? Est-ce vraiment à moi qu’elle s’adresse ou est-ce un processus de défense contre quelque chose qui la traverse et dont elle ne sait rien dire du côté du sens commun (j’ai fait cela parce que…..). L’exclusion n’aurait fait qu’accentuer son sentiment « d’être un déchet dont on doit se débarrasser ». De mon côté, je pense que le fait de savoir qu’une telle « sanction » n’a pas été prise, m’a permis de mettre à l’épreuve mon « savoir faire » avec un patient psychotique et d’évaluer ce qui m’appartient dans cette situation. Quel bénéfice aurais-je pu tirer de savoir qu’elle avait été exclue ? Cela n’aurait rien changé à ma réalité et n’aurait fait que nourrir mon éventuel sentiment de culpabilité lié à l’évènement. En effet, même si c’est difficile au regard des conséquences importantes que cet acte a sur moi dans le quotidien et sans doute pour le restant de ma vie, il m’est possible actuellement de séparer la responsabilité de Léa, de son monde envahi par un «Autre féroce» qu’elle ne peut mettre à distance que par des actes violents, seul outil dont elle dispose pour s’en protéger. C’est peut-être là et sans que je ne m’en rende compte que la réparation proposée et symbolisée par le bouquet de fleur et la lettre d’excuses, est venue faire son effet en moi. Ce temps fût nécessaire pour décaler les choses vers un travail de réflexion qui permettra la possibilité de remise en lien avec elle, tout en sachant que la relation ne sera pas acquise une fois pour toutes mais qu’il y aura tous les jours, un travail d’invention et de création à reprendre pour permettre l’instauration d’un lien social comme gain ténu sur le traitement d’un « Autre féroce ». La journée d’étude organisée pour les trente ans des Goélands a présenté cette situation. Et c’est tout ce travail de participation ainsi que la recherche théorique dans les concepts psychanalytiques de la différence entre le passage à l’acte et l’acting out, qui m’ont permis de me situer dans ce qui est arrivé. Ce passage à l’acte n’est qu’un instantané, une photo ponctuelle de ce qui est à l’œuvre en elle et dont elle tente de se défendre. Il n’est pas « tout » Léa. Par ailleurs, on peut voir l’expression de ce que Léa met au travail « sous transfert », dans son attachement aux Goélands. C’est cela qui lui permet de traiter la question de la violence, des insultes… Lorsque je suis rentrée au travail après huit mois (reprise à temps partiel avant une nouvelle intervention chirurgicale), la relation avec Léa sera rendue possible grâce à Léa elle-même qui prend la parole lors de la réunion du jour: « J’espère que ton épaule est guérie parce que tout ce que tu as eu c’est de ma faute ! » Je suis très impressionnée par cette phrase qu’elle m’adresse. Je ne sais lui répondre que : « oui, c’est ton acte qui a entraîné les lésions et les problèmes de mon épaule » et en même temps « non, parce que tout le monde n’aurait pas eu une fracture dans les mêmes circonstances ». Il ne s’agit pas de lui ôter toutes responsabilités mais, en même temps, cette phrase n’est pas seulement l’emprunt d’une parole d’un autre qu’elle vient coller sur les choses. Il y a aussi de son côté une « forme d’inscription » qui s’est engagée pendant mon absence. Cette phrase va me permettre de me rendre à nouveau accueillante pour Léa, condition indispensable à l’empathie, qui va permettre de reprendre la conversation avec elle, là où nous l’avions laissée avant ce passage à l’acte. C’est par cette phrase que Léa inaugure l’annulation de la peur de la retrouver dont j’étais encore revêtue à mon retour au travail. En guise de conclusion … Il me semble que la « digestion » de l’évènement Artistes Anonymes, Marie-Christine. La conjonction des différents lieux m’a permis de modifier la perception que j’avais dans le temps du premier questionnement de l’acte subi. C’est aussi et particulièrement cette phrase prononcée par Léa qui m’a rendu la confiance nécessaire dans ma possibilité de nouer une relation avec un patient psychotique et de reprendre la fonction d’accueil du sujet et de ses inventions pour tenir dans l’existence. Le travail de réflexion sur la représentation imaginaire que j’avais de l’acte posé par Léa, a permis de modifier les réactions internes et émotionnelles liées à celui-ci et d’interpréter l’agressivité de Léa comme la conséquence de son état de santé ou de son angoisse et non comme une attaque personnelle. Il y a dans mon chef une augmentation de « professionnalisation » du travail relationnel avec les patients, par la connaissance des concepts de passage à l’acte et d’acting out, mais aussi par la transformation d’une situation d’impuissance et de souffrance personnelle en un sentiment positif d’amélioration de la qualité du travail. En effet, un des moyens qui permettent de contrôler ses émotions, c’est d’agir sur les représentations que l’on donne à une situation donnée. S’y prêter, c’est acquérir une capacité de remise en question, sorte de formation continue proposant de disposer d’outils adaptés, de plus en plus affinés au cas par cas pour réagir efficacement à une problématique. C’est aussi disposer de lieux de réflexions où l’institution peut elle-même se laisser interpeller pour mettre des stratégies en place afin d’aider chacun à se réapproprier son travail sans désamorcer à l’avance toute plainte. Une bonne stratégie de prévention passe par la parole, l’écrit et l’élaboration d’hypothèses sur la structure du patient, afin de surmonter les différentes sources de souffrance de fatigue ou de stress. L’impasse du soignant y est travaillée de telle manière qu’il puisse rester fidèle à son propre ressenti, à sa souffrance, à son besoin de temps en tant que sujet subissant l’acte violent. Mais parfois le dispositif institutionnel ne fonctionne pas. Un acte violent peut être vécu à ce point comme irréversible, qu’il est impossible de se voir encore confronté à la psychose et à ses manifestations hors sens. Il n’y a pas de solution univoque à la souffrance du soignant. Un dispositif est mis à disposition du soignant, mais c’est à lui de s’en saisir en fonction de son histoire, du moment auquel l’événement intervient dans sa vie. Le soignant peut aussi se tourner vers des solutions extérieures, voire même rompre son engagement dans l’institution, ce qui me semble être d’une grande honnêteté par rapport aux soignés. l 1 Le travail y est orienté par la psychothérapie institutionnelle, en référence à la psychanalyse et plus particulièrement à l’enseignement de Lacan. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER de façon positive a été favorisée par le mode de traitement proposé par l’institution. Si la charge psychique est typique des métiers soignants, si elle est inévitable, on peut souvent en diminuer l’effet négatif sur notre santé, par un bon soutien, l’établissement d’objectifs réalistes, et l’appui d’un support théorique commun à l’ensemble de l’institution qui oriente l’individu dans ses hypothèses et ses choix de travail (conceptualisation sur laquelle on s’appuie dans le travail). C’est par le truchement des différentes possibilités d’analyse mises en place dans les réunions de reprise avec la psychiatre ou le psychologue, dans les réunions d’élaboration de présentation de cas, dans la discussion qui a suivi la présentation de cas lors de la journée de travail des 30 ans des Goélands, que j’ai pu remobiliser mon désir de reprendre le travail sans appréhension. 19 Augmenter les ressources des équipes Actuellement, dans la plupart des cas, les administrations qui subventionnent et contrôlent les projets d’aide ou de soins, soutiennent et encouragent les processus de formation continue et de supervision. Il n’est plus à démontrer que c’est dans l’entrecroisement des regards entre « la pratique, la formation et la recherche » que se fondent le dynamisme, la créativité et la flexibilité du travail des équipes. Croiser les apports et les points de vue et offrir des lieux de réflexivité constituent une respiration indispensable à la santé mentale des professionnels. Christine VANDER BORGHT Psychologue Membre du « Groupe Institutions », Centre Chapelle-aux-champs – UCL, Bruxelles M ême si elles remplissent des missions comparables et se réfèrent à des normes de fonctionnement identiques, chaque équipe est cependant unique. En effet, les conditions historiques, les lieux d’implantation, l’organisation des équipes, les politiques de recrutement, les références théoriques, les répartitions de rôles et fonctions… tout cela forme une composition à nulle autre pareille. L’installation d’un cadre de supervision sera, à son tour, une création originale et particulière, adaptée à la demande d’une équipe, unique en son genre. La demande L’analyse de la demande permettra de comprendre l’histoire de cette demande1. Pourquoi aujourd’hui ? Quel est le contexte ? Quels seront les acteurs impliqués ? Avec quels objectifs ? Quels seraient les résultats attendus ? Qui est porteur de la demande ? À qui faudra-t-il en rendre compte ? Tant de questions importantes à clarifier avant d’établir une convention de travail. 20 institutionnelles. Dans les deux cas, les règles qui régulent les modalités d’interaction pendant les temps de supervision, et dont le superviseur, en tant que tiers extérieur, est garant, sont : le respect de la parole de l’autre, le non-jugement et la confidentialité. L’espace de supervision n’est jamais un lieu décisionnel. C’est un espace pour « dire ». Ce sont les conditions de base pour que « se parler en groupe professionnel » soit possible et non destructeur, même si la conflictualité, en tant qu’apprentissage de la capacité à « penser ensemble », y a toute sa place. Au cours des séquences de travail, les participants auront l’occasion d’expérimenter des situations2 : - intercompréhensives, lorsque chacun est amené à confronter ce qu’il fait, et ce qu’il dit qu’il fait ; lorsque chacun est amené à prendre en compte l’activité de l’autre ; - collaboratives, lorsque chacun participe à l’élucidation du travail de l’autre ; Les supervisions - informationnelles, lorsque chacun met à disposition de l’autre ce qui guide son faire ; Il y a deux grandes catégories de supervision : les supervisions cliniques et les supervisions - formatrices, lorsque chacun explicite et formalise son agir ; Confluences N°20 Août 2008 - évènementielles, au cours desquelles différents points de vue sont mis en évidence et confrontés ; - de bilan, dans lesquelles on fait le point, on prend de la distance et on se déprend de son travail. Sans être un espace de formation, l’espace de supervision est cependant un espace d’apprentissage. L’apprentissage du « savoir penser et agir ensemble ». Les expériences vécues révèlent que les professionnels n’agissent que rarement en référence à des savoirs disciplinaires. Ils ont d’abord à résoudre des problèmes. Et des problèmes qui les touchent au plus près de leur identité, et avec lesquels ils doivent faire sens du mieux qu’ils peuvent. Supervision clinique La supervision clinique consiste à accompagner et soutenir la présentation de situations prises en charge, et au sujet desquelles les équipes se posent des questions ou sont en difficulté. Le superviseur aide, par son expertise, à l’élaboration et à la recherche de pistes nouvelles, à clarifier les limites de la mission, ou à comprendre les enjeux et les objectifs à suivre. Il s’agit de croiser les éléments contextuels, l’usager et son histoire, le praticien et son passé, l’institution et son projet, ainsi que la façon dont s’agencent ces différents paramètres. Le superviseur est en général choisi en fonction de son appartenance théorique, en lien avec les références théoriques du projet. Dans cet espace de travail, en ce qui me concerne, je me fixe comme objectif d’augmenter les ressources de chacun des membres de l’équipe en ouvrant notre travail commun à des aspects créatifs tels que les simulations ou jeux de rôles. Ou encore par l’utilisation d’objets flottants, tels qu’ils ont été définis par Caillé et Rey.3 et retravaillés ensuite par d’autres professionnels : le blason, le génogramme imaginaire, l’utilisation des métaphores, les sculptures, etc. Une intervenante avait été particulièrement mise en difficulté par la présence de deux grands molosses alors qu’elle faisait une visite à domicile. La présence des chiens faisait d’ailleurs intimement partie du problème relationnel entre la maman et ses adolescents. Nous avons travaillé, sous forme de jeu de rôle (deux professionnels acceptant de jouer les molosses), l’entrée dans le logement et la possibilité pour l’intervenante de créer, avec l’aide de la maman, un espace suffisamment confortable pour que l’entretien puisse se passer dans de bonnes conditions. Lors de la rencontre suivante, l’effet a été immédiat dans la qualité d’écoute et d’échange et dans la capacité à prendre en compte les besoins de l’autre. Le champ clinique n’est pas toujours étanche par rapport à la contamination du champ institutionnel. Il revient alors à l’autorité du superviseur de décider quelle suite donner aux questions traitées. Une petite équipe de cinq personnes est confrontée de manière récurrente à une bataille de légitimité entre la directrice et la responsable thérapeutique. Avec l’accord de l’équipe, le superviseur rencontre le conseil d’administration, seule instance habilitée à instituer la fonction d’autorité afin de libérer chacun des membres d’un conflit de loyauté ingérable et paralysant. Supervision institutionnelle La supervision institutionnelle s’intéresse aux conditions de structure et de fonctionnement qui facilitent ou freinent l’exécution des missions éducatives ou soignantes. Quelles sont les caractéristiques des formes sociales qui reconnaissent et soutiennent les liens institués entre les professionnels ? Kaës4 nous rappelle que le lien institué est d’abord déterminé par le désir des sujets de s’inscrire dans la durée et une relative stabilité. Ceci suppose, dans un contexte institutionnel donné, la mise en œuvre d’alliances intersubjectives, le partage d’objectifs communs et la soumission consentie à un certain nombre de contraintes. Une supervision institutionnelle se donnera différents objectifs, selon qu’elle privilégie l’une ou l’autre composante de ce qui permet le nouage de ces liens, qu’il s’agisse, par exemple, de l’élaboration ou la réécriture du projet thérapeutique et/ou pédagogique, de la clarification du ROI (règlement d’ordre intérieur), de la définition et l’articulation des rôles et fonctions, de l’organisation des réunions ; ou encore de l’approfondissement d’un thème particulièrement « chaud », tel que les sanctions, l’exercice de l’autorité, les prises de décisions, les outils de communication, etc. Une institution d’accueil pour enfants handicapés, structurée en plusieurs unités de vie autour desquelles s’articule le travail de l’équipe psycho-médico-sociale, a fait le choix de créer un « Groupe de Recherche en Pédagogie de l’Institution ». Ce groupe réunit les représentants des différentes unités et des différentes catégories de personnel. Un travail transversal d’élaboration du projet pédagogique institutionnel a été mené au cours de différentes séquences de travail collectif, avec une méthodologie construite pour assurer des allers-retours vers les unités de vie et la consultation des différents sous-groupes représentés. Pour conclure Il est incontestable que le travail psychosocial est une source inépuisable de paradoxes. Il est à l’origine de redoutables processus d’aliénation et de souffrances, mais comme l’écrit Dejours5 « (…) le travail peut aussi être le médiateur irremplaçable de la réappropriation et de l’accomplissement de soi ». Aucun dispositif de supervision, aussi adapté soit-il, ne peut fonctionner valablement sans l’adhésion des acteurs, la confiance dans le processus en cours, et le sens donné au travail collectif. Cela se construit progressivement et patiemment. Ce que fait le superviseur, et comment il le fait, sert de contenant au groupe qui le consulte et s’y réfère, comme c’est le cas en ce qui concerne les relations entre les professionnels et leurs bénéficiaires. Il y a là comme un effet d’emboîtement métaphorique qui relie le fond et la forme. l 1 Il n’est pas rare que les équipes alternent les deux types de supervision, en fonction des étapes de leur cycle de vie ou de celles de leur Voir bibliographie, référence 47. Voir bibliographie, référence 44. 3 Voir bibliographie, référence 5. 4 Voir bibliographie, référence 23. 5 Voir bibliographie, référence 9, p.201. 2 Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Artistes Anonymes, Anne. institution. Ou bien encore qu’une partie de l’équipe soit engagée dans une supervision clinique, et qu’à un autre niveau, une partie des professionnels se retrouve pour avancer sur des points institutionnels majeurs. 21 Patchwork pour une prévention du burn-out Lors du récent Congrès international de Réhabilitation psychosociale1, un atelier était consacré à la santé mentale sur les lieux de travail. Il y était notamment question des causes et des manifestations de burn-out ainsi que des moyens de prévention de la souffrance des soignants. Partage de quelques idées et pratiques qui peuvent soutenir la réflexion et/ou aider les professionnels au quotidien2. Edith CREPLET Psychiatre – Psychanalyste CRIT3, ASBL « L’Equipe » à Bruxelles C es quelques réflexions s’appuient sur mon parcours personnel. J’ai eu la chance de connaître plusieurs expériences professionnelles, elles m’ont permis de découvrir différentes pratiques dans différents contextes de soin. Tout d’abord, en médecine générale. Comme psychiatre ensuite, avec des patients adultes ; à l’hôpital, général et psychiatrique ; en centre de guidance, en Wallonie et à Bruxelles ; en consultation, psychosomatique et psychiatrique ; en phase aiguë à la garde, et pour des suivis au long cours en consultation. J’ai aussi eu une pratique de thérapie à média. Outre ce travail clinique, j’ai pu accompagner des soignants et des équipes en supervision. Là, j’ai pu rencontrer diverses manifestations, bruyantes ou au contraire à très bas bruit, qui peuvent traduire la souffrance des soignants, individuellement ou en équipe. Cet ensemble colore et sous-tend ma pratique actuelle d’analyste. Dans le cadre de cette réflexion sur le « burn-out », j’en soulignerais quelques éléments. En fonction du cadre spatio-temporel, et de la place que nous occupons dans l’institution, nous voyons le patient différemment, avec un autre point de vue. Mais, plus intéressant encore, selon le cadre, le patient aussi nous montre des facettes 22 Confluences N°20 Août 2008 et nous dépose des aspects différents de lui… Pourquoi pas, et c’est ma façon personnelle de prévenir lassitude ou épuisement, laisser sa curiosité explorer différents dispositifs de soin ? Avec aussi, pour avantage, de relativiser les choses et d’observer les constantes, le fil conducteur étant l’intérêt pour « comment l’être humain « se débrouille» dans sa vie ? » « Lui proposer un dispositif de soins où nous pouvons entendre sa détresse sans lui donner une réponse immédiatement agie, c’est aussi lui laisser la possibilité d’exercer envers lui-même une capacité de sollicitude, un des éléments constitutifs de l’estime de soi, et de retrouver une capacité d’insight, toujours présente même si elle a été mise à mal par les processus psychotiques ou les malheurs de la vie. » Marcel Sassolas En préambule Pour commencer, il me semble important de différencier burn-out et souffrance psychique : le burn-out ou épuisement me semble évitable, alors que la souffrance psychique fait partie de notre condition d’être humain. Elle est donc inévitable. Pour faire face à la souffrance, il faut des moyens psychiques ou l’aide d’un autre être humain. Le psychisme est l’organe régulateur le plus évolué et le plus élaboré à notre disposition. Le problème, c’est qu’il faut un certain temps pour qu’il nous propose des solutions. Parfois, nous avons besoin de recourir à des systèmes régulateurs plus rapides comme le comportement, la décharge sensorimotrice ou encore somatique (fonctionnelle ou organique). Idée-force Tout patient a un potentiel évolutif, aussi minime soit-il, et il a droit à ce que nous lui proposions des dispositifs de soins à visée « transformationnelle »; le but étant de lutter contre l’énergie destructrice qui attaque sa vitalité et son individuation, la qualité de sa pensée et de ses émotions. Il s’agira, pour le soignant, de tenter d’infléchir le cours de cette évolution, de favoriser une reprise par la reconnexion de liens de lui à lui et avec autrui, d’ouvrir des potentialités d’avenir et d’insertion ou de réinsertion - à sa manière - dans la société. C’est une conviction qui repose sur l’expérience. Dit autrement, une « bonne » santé mentale, ce n’est pas l’absence de difficulté ou de manque, c’est avoir des ressources pour faire face aux difficultés et au manque, c’est accepter la confrontation à la complexité du monde. Il est donc question, pour le soignant, d’avoir une bonne boîte à outils, contenant solide pour accueillir et proposer des aides variées, des plus anciennes aux plus actuelles. Le cadre Pour construire notre personnalité, nous avons besoin de plusieurs ingrédients, par exemple : 4L’organisation d’un gradient dépendance nautonomie et autonomiendépendance sachant que l’autonomie pure est une abstraction et qu’il est utile de différencier autonomie de comportement et autonomie intérieure ; 4La tentative d’unifier une double aspiration : la cohésion de soi et la découverte de l’autre. L’autre nous apporte sa complémentarité mais nous bouscule. Il est autre parce que « non identique », différent de soi, d’un autre sexe, d’une autre génération, d’une autre culture… ; 4Le cadre : au sens large du terme, le cadre peut être défini comme le contexte où nous vivons. Il est « muet » au sens où nous baignons dedans et l’oublions. Le cadre constitue donc un des éléments essentiels Nous ne nous rendons pas compte de l’investissement que nous mettons dans le cadre et avons ainsi l’illusion d’être autonome, illusion qui nous aide à grandir et à nous structurer. Le sujet est autonome dans la mesure où il a un cadre dont il lui semble qu’il n’est pas dépendant. Ce cadre est dit muet car il faut qu’il se rompe pour que nous nous rendions compte de son existence. Il procure une continuité et une sécurité de base car il constitue un contenant d’angoisses indifférenciées qui n’ont pas été travaillées ni élaborées dans notre psychisme… Nous ne prenons conscience de ces angoisses que si ce cadre se rompt. Or, ce cadre prend des formes très variées, des plus concrètes aux plus symboliques : culture, art, travail, institution où l’on travaille, objets inanimés, personne aimée, amis, appartement, etc. Plus la personnalité évolue vers sa maturité et plus elle tend à intérioriser ce cadre et donc cette sécurité de base et ce sentiment de continuité d’être. Mais durant toute la vie, il y a des mouvements d’allers et retours dans cette construction et des moments où nous avons besoin que le cadre se concrétise davantage, par exemple lors d’un deuil. La rupture du cadre peut survenir dans toutes sortes de situations et amener des manifestations d’ordre divers, certaines extrêmement destructrices. « Le Rwanda est à l’intérieur de nous… » m’a dit un jour une collègue et amie. Cela m’a profondément bousculée et continue à me faire réfléchir sur notre capacité de destructivité, individuelle et groupale. Les dispositifs de soins Champ d’exploration des possibles du patient, les dispositifs de soin ont une fonction d’accueil, de transformation de la destructivité, de restructuration psychique et relationnelle. En déposant sur le cadre ses parties destructrices - ou, dit autrement, ses parts psychotiques - il pourra peut-être trouver la force de dégagement nécessaire pour faire croître ses zones vivantes en sécurité, sans risque de mesures de rétorsion de la part de l’entourage, réelles ou fantasmées, et en pouvant affronter sa propre destructivité et à long terme la transformer en une motion agressive de bon aloi. Un peu d’histoire P. Grebert4 évoque, en 1992, des repères intéressants : « Selon Scarfone, le mot « To burn-out » aurait été utilisé par un psychanalyste américain, Freudenberger : c’est échouer, s’épuiser sous une demande excessive d’énergie. » Pour Crombez, le mot aurait été utilisé à l’origine, en psychiatrie, « pour désigner un malade chronique qui n’est plus réhabilitable, qui a perdu ses moyens et qui va au gré de la vie comme un bateau à la dérive. » Pour cet auteur, c’était la schizophrénie qui pouvait occasionner un tel ravage. C’est par la suite seulement que l’expression « burn-out » aurait été appliquée au personnel qui s’occupe de ces patients. Ce glissement sémantique intéressant est évocateur d’une sorte de contamination des soignants par les soignés. » Odette Masson5, psychiatre et thérapeute systémique réputée en Europe, parle déjà en 1990, du syndrome d’épuisement professionnel, dans des termes qui restent toujours d’actualité. « Le syndrome d’épuisement professionnel est un phénomène très répandu parmi les opérateurs psycho-médico-sociaux. S’exprimant par des symptômes psychologiques, psychosomatiques et comportementaux, il affecte souvent de manière majeure l’efficience des professionnels qui en souffrent. » « Par sa haute incidence, reconnue dans la littérature, le syndrome d’épuisement professionnel est humainement, socialement et économiquement extrêmement coûteux. » « La contradiction entre le fort étoffement des structures de soins et l’accroissement des situations pathologiques est intrigante. Comment comprendre que tant de personnes qui en soignent tant d’autres n’obtiennent davantage de résultats ? Le syndrome d’épuisement professionnel constitue un facteur explicatif essentiel de ces données contradictoires, qui soulignent les nécessités urgentes de repenser fondamentalement les finalités de l’action psycho-médico-sociale, ses bases théoriques et pratiques, son organisation structurelle et fonctionnelle.» (p. 356) « En quinze ans, nous avons assisté au départ de collaborateurs compétents et engagés, qui ont décidé de quitter des activités vécues comme fatigantes, en même temps que non soutenues par les autorités sanitaires et didactiques.» Ces auteurs montrent l’utilité d’aborder au grand jour la notion d’usure dans la relation d’aide en proposant des outils pragmatiques aux individus et aux équipes et en tenant compte de la dimension collective du problème. C’est un appel à chacun de nous à pousser un peu plus avant la réflexion et l’action sur ce thème. Manifestations de burn-out Les manifestations du burn-out sont individuelles ou groupales avec, en plus, un effet de « cercle vicieux » lié aux mécanismes de déni de cette souffrance. Les signes de cette souffrance peuvent être bruyants ou, bien pire, larvés. Au niveau individuel Les soignants qui vivent au quotidien avec les patients vivent un torpillage constant de leurs capacités de penser, d’éprouver et de percevoir, dans une contagion où les mécanismes de défense du patient les contaminent. Ils ont alors la nécessité de protéger leur identité en s’amputant de leur « vivance » et leurs compétences créatives. Ils n’arrivent alors plus à répondre avec un certain plaisir au travail. L’épuisement émotionnel qui se manifeste tout d’abord peut se traduire dans : - des crises d’énervement ou de colère ou de larmes ; - des difficultés cognitives : distraction, … ; Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER dans le maintien de notre vitalité et de notre sentiment de continuité d’existence. Tout être humain fait en effet partie de réseaux, de systèmes dont il est partie prenante à différents degrés. C’est sur ces réseaux qu’il va à la fois prendre appui, se modeler, s’étayer. Ce système de réseaux d’étayage constitue son cadre de vie, sans qu’il ne s’en rende compte. 23 - des troubles de concentration ; - une incapacité d’éprouver ou de vivre des sentiments ; - une incapacité d’exprimer la moindre faiblesse et donc de demander de l’aide. De façon imagée, nous pourrions parler d’un mélange de pile survoltée et de batterie à plat. La déshumanisation de la relation à l’autre apparaît, ensuite, comme une tentative de prise de distance : sécheresse relationnelle, cynisme et désincarnation de la relation ; avec, parfois, même de la maltraitance. Un sentiment d’échec professionnel est alors lié à un manque d’efficacité entraînant dévalorisation, culpabilité et démotivation pour le travail. Au niveau groupal Pour le groupe, différents cas de figure peuvent se présenter : depuis l’équipe dont les participants restent collés les uns aux autres avec des fonctionnements fusionnels, à l’équipe où chacun joue électron libre et où le patient est pris en otage. Il est souvent difficile pour les individus de se différencier en étant créatif ou en ayant un avis différent du groupe : ce sont souvent ceux-là qui quittent. Il y a aussi un manque de curiosité par rapport au monde extérieur, une difficulté de se confronter à ce qui se passe ailleurs et d’accepter un tiers référent. Quand une équipe est en burn-out, on peut assister à des clivages, à des disqualifications, à des « atmosphères à couper au couteau » tellement la tension est sentie concrètement, à des « querelles de bac à sable » permettant d’éviter les conflits de fond ; avec des soignants qui peuvent être en manque de territoire circonscrit et d’identité professionnelle précise. Cette symptomatologie montre une grande difficulté à mentaliser la situation car la personne (comme le groupe d’ailleurs) recourt davantage au comportement et à la décharge qu’à la verbalisation et utilise plutôt des défenses de la lignée psychotique ou prépsychotique plutôt que de la lignée névrotique. Cette perte de la capacité d’élaboration de la pensée et des émotions traduit une désorganisation plus ou moins grave du 24 Confluences N°20 Août 2008 fonctionnement psychique et psychosomatique comme le décrit l’Ecole de Psychosomatique de Paris. Cette désorganisation est un signal d’alarme. C’est là qu’il vaut mieux prévenir et essayer d’installer des « détecteurs » précoces de ces signaux de souffrance. Il est grand temps d’intervenir car sinon le parachute risque de tomber en torche. Les causes du burn-out Le burn-out trouve son origine aussi bien dans l’institution que dans la société. Elles sont donc institutionnelles et sociétales. Nous pouvons faire l’hypothèse d’une collusion entre des valeurs sociétales qui privilégient l’agir, l’activité, au détriment de la réceptivité et de la passivité que notre fonction de soignant requiert et ces mécanismes individuels de désorganisation psychique, cette perte de la capacité de régulation du psychisme. Lucie Biron6 parle d’une perte d’idéal collectif et d’une confusion des valeurs. Les soignants ne se sentent plus encadrés par un pouvoir « politique » au sens large du terme, qui défendrait leurs objectifs, mais au contraire « ils sont tiraillés entre le modèle productiviste qui domine les milieux de travail et d’autre part les idéaux éthiques au fondement d’un travail de solidarité humaine. » Elles sont aussi organisationnelles, liées aux problèmes de circulation de l’information, au flou dans les rôles de chacun, au manque de pensée organisatrice régulant les relations et les communications entre les personnes. Faute de cadre solide, une espèce d’énergie libre, désorganisée, existe de façon circulante et sévit de manière destructrice au lieu de pouvoir se déposer, se lier aux parois d’un cadre ferme. Elles sont bien sûr aussi individuelles. Sans développer ici cet aspect, il est utile de signaler la tendance actuelle à surestimer les causes individuelles en négligeant les aspects contextuels qui sont, pourtant, fondamentaux. Elles sont, aussi et surtout, en relation avec la psychopathologie des patients. En référence à Sassolas7, nous pouvons pointer : 1) L’envahissement de notre espace psychique par les affects du patient ; Sassolas imagine le soignant en « mère porteuse », qui va accueillir pour un moment les angoisses insupportables, le non-éprouvé et le non-penser du patient : quel bébé va naître ? Dit autrement, le soignant prête son psychisme, sa capacité de rêverie, et va rendre ce matériel sur un mode détoxifié, ou plus élaboré ; 2) La sollicitation narcissique de notre omnipotence ; 3) L’attaque de nos capacités de pensée par le nonsens, le paradoxe, la confusion, le délire ; 4) La mise en mouvement de processus d’identification et de sollicitude ; 5) Un vécu de non reconnaissance. Pour Racamier : « Un patient psychotique ne s’identifiera qu’à celui qui aura accepté au préalable de s’identifier à lui. » Cette identification à la souffrance, à la douleur du patient, qui est indispensable pour qu’une transformation advienne, n’est pas anodine; elle est aussi source de blessure et de disqualification pour le patient, blessé dans son autarcie mais aussi dans le sentiment de ne pas pouvoir s’aider lui-même. Quelques moyens de prévention Un cadre théorico-clinique précis permet une pensée organisatrice du soin et un travail de lien. Comme le dit Sassolas : « Ne pas mettre sa pensée au chômage. » Un cadre théorico-clinique solide Vu l’évolution sociétale qui nous plonge dans un certain flou des valeurs et des cadres, la nécessité de s’appuyer sur un cadre théorico-clinique solide me parait extrêmement importante. Force est de constater que c’est en danger chez les jeunes générations vu l’état de dispersion des connaissances psys auquel ils sont confrontés. Ce cadre théorique solide implique à la fois de résister à l’épreuve du temps mais aussi de supporter la nécessaire évolutivité des fondements théoriques pour que ce cadre reste vivant et favorise la Mon choix personnel est de m’appuyer sur des auteurs psychanalystes qui : a) sont aussi des praticiens et qui se permettent de modifier « la théorie » en fonction de ce que la clinique renvoie, dans un aller et retour fécond, et pour la pensée et pour la pratique ; b) ont l’expérience de dispositifs proches des nôtres et ont développé des concepts qui nous aident à travailler ; c) nous aident à conceptualiser et réactualiser certaines intuitions de la thérapie institutionnelle en reliant la pratique de nos diverses structures autour des théorisations de Roussillon reprenant Winnicott, autour des travaux de Kaës ainsi que Racamier et Sassolas et leurs collaborateurs. Ceci en tenant compte d’une remarque fondamentale : il n’est pas question de transposer dans l’institution le dispositif de la cure analytique. La mise en œuvre de dispositifs institutionnels de prévention Parmi ceux-ci, on retrouve par exemple : 4la nécessité d’une formation favorisant le développement d’aptitudes relationnelles ; 4l’intérêt de favoriser créativité et plaisir au travail par l’instauration de processus de « désenclavement » : aller à l’extérieur voir ce qui s’y passe… ; échanges de personnel entre l’extra-hospitalier et l’hôpital psychiatrique ; 4le souci de proposer un travail varié, permet- tant d’aller au bout de quelque chose ; l’idéal étant de concilier par ex. un travail dans l’urgence et un travail d’accompagnement au long cours permettant de faire appel à différentes facettes de soi ; 4l’intérêt de développer des ateliers ou des dispositifs à médiation, pour les patients comme pour les soignants d’ailleurs, pour laisser la destructivité des usagers - intrinsèque à la condition humaine - s’exercer sur des objets concrets plutôt que directement sur les soignants (Notion de « médium malléable » de Roussillon.) ; 4la nécessité de créer des conditions pour une parole libre et cadrée : par exemple en ritualisant une journée de réflexion sur le dispositif institutionnel, qui suppose la règle que chacun est responsable de lui-même mais a aussi une part de responsabilité pour la régulation de l’ambiance dans l’équipe ; 4la nécessité de différencier cadre « clinique » et cadre administratif, qui doivent s’articuler mais surtout ne pas coller l’un à l’autre. les soignants à œuvrer en commun à un mieuxêtre et à une moindre dissociation corps-esprit. Elle propose des concepts pour rendre compte de la complexité de l’être humain et un dispositif de soin qui accepte des zones inconnues ; e) Nécessité de rassembler sous une même pensée organisatrice les différents outils permettant de soutenir l’accès à la liberté et à l’autonomie psychique. Ces outils varient selon l’histoire institutionnelle, les patients et la créativité de chaque soignant; f) Last but not least : le plaisir de travailler ensemble et de partager ses expériences en pouvant compter les uns sur les autres… Conclusion En guise de conclusion, je soulignerais l’intérêt de poursuivre plus avant la réflexion autour de la collusion entre mécanismes aliénants - sociétaux, institutionnels et individuels - aboutissant à une « désolation » de l’être ou du groupe. Un dispositif de soins « symbolisant » Le système de soins proposé pour prévenir le burn-out pourrait présenter les caractéristiques suivantes : a) Nécessité d’un dispositif « ouvert », en relation régulière et constante avec la cité, favorisant une circulation « dehors-dedans » et « dedans-dehors » (mise en situation) pour éviter autant que faire se peut les risques d’auto-suffisance et d’enclavement ainsi que la perte du plaisir de penser ; b) Utilité d’un recul et d’une analyse du travail réalisé selon différents moyens à réfléchir; c) Utilité de la coexistence de soignants aux formations diverses, d’artistes et d’artisans vacataires (trans et pluridisciplinarité), chacun étant garant de son champ tout en profitant d’un point de vue différent du sien; d) Intérêt d’une théorie du fonctionnement psychique et des difficultés d’accès à la subjectivité qui repose sur une conception psychanalytique, psychosomatique, du fonctionnement mental. Cette théorie est capable à l’heure actuelle de défendre de façon scientifique la nécessité d’une psychiatrie humaniste pour aider les patients et J’insisterais encore sur la nécessité d’une détection précoce des signes de souffrance d’un individu ou d’une équipe. Quand un disque est rayé, il suffit d’un mouvement quasi imperceptible du doigt pour qu’il retrouve un sillon qui permet à la mélodie de reprendre cours, d’avoir un début, un milieu et une fin… l 1 « Ouvrons les frontières », Liège & Eben Emaël, du 18 au 20 juin 2008, une organisation de l’AIGS, Association Interrégionale de Guidance et de Santé. 2 Bibliographie : Voir p.48, références 2, 13, 39 48. 3 Centre de Réhabilitation psychosociale et d’Insertion au Travail. 4 Bibliographie : Voir p.48, référence 17. 5 Voir bibliographie p.48, référence 29, pp.355-370. 6 Voir bibliographie p.48, référence 2. 7 Voir bibliographie p.48, référence 39. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER créativité, et des soignants et des usagers de nos structures. Il est exclu de le transformer en carcan ou en instrument d’une pensée unique car il est là pour nous aider à penser la clinique. Florence Guignard, psychanalyste âgée de près de 75 ans, s’interrogeait récemment sur comment la construction du psychisme des jeunes enfants est influencée par nos nouveaux modes de communication et invitait son auditoire à repenser les théories et les dispositifs de soin à la lumière de ces transformations. De part sa solidité, ce cadre vise à permettre l’échange ainsi que la confrontation avec d’autres modèles, et ce, dans un respect réciproque tout en gardant son identité propre. 25 Écho de la souffrance des soignants chez les usagers Dans un dossier consacré à la souffrance des soignants, un article partant du point de vue des usagers ne peut que poser la question de la conséquence de cette souffrance sur la manière dont est prise en charge celle des patients. François WYNGAERDEN1 Coordinateur de l’asbl Psytoyens N ombreux sont les usagers qui rapportent avoir eu du mal à trouver une attention ou un regard bienveillant de la part de certains soignants qui leur semblaient installés dans une routine, dans des habitudes. On peut comprendre qu’une longue pratique hospitalière use, que ce soit à cause d’un contact permanent avec une souffrance face à laquelle il faut se protéger, ou à cause des contraintes institutionnelles inhérentes aux grosses structures. Souffrances de part et d’autre… Ceci est probablement encore plus vrai dans des services qui accueillent des personnes en très grande souffrance où la violence et les passages à l’acte sont monnaie courante. Y faire face est loin d’être évident. Cela demande une maîtrise professionnelle particulière qui, avec les années et avec un soutien institutionnel lacunaire, peut s’émousser et amener les soignants à devenir moins soignants. Insécurité, lassitude voire dégoût peuvent apparaître chez le personnel soignant, confronté à ses limites. Certains usagers épuisent littéralement les équipes soignantes. La conséquence peut être qu’à la violence des usagers réponde la violence des soignants : perte du contact ou de la confiance nécessaire à la thérapie, mise en isolement de longue durée, exclusion du service, etc. La souffrance des soignants peut les amener, malgré eux, à devenir maltraitants. 26 Confluences N°20 Août 2008 Informer les usagers Pour pallier ces dangers, nous souhaitons mettre en avant différents aspects. L’information des usagers, tout d’abord, nous semble une clef particulièrement importante. A leur arrivée en psychiatrie, les usagers sont plongés dans un milieu inconnu, perturbant, dont ils ne maîtrisent pas les règles explicites et implicites. Multiplier les sources et les modalités d’information des usagers sur le règlement, les droits, les fonctions des différents intervenants, etc. permettra d’éclaircir les interstices où se glissent les comportements « limites ». Former le personnel pour permettre de pallier aux conséquences potentielles de la souffrance des soignants. C’est en effet ensemble que nous pourrons définir les « bonnes pratiques », les normes ou les règlements qui correspondront le mieux à tout le monde. Nous sommes persuadés que le meilleur moyen pour lutter contre la souffrance des soignants est le même que celui pour lutter contre la souffrance des usagers. Il s’agit d’augmenter le sentiment d’efficacité personnelle, le sentiment de réaliser quelque chose d’utile et d’important. Et les associations d’usagers sont prêtes à construire, ensemble avec les professionnels, une réflexion sur la qualité des soins qui permettra cela. l La formation du personnel, ensuite, est à prendre en compte également. Trop peu de personnel réellement formé et spécialisé en psychiatrie exerce en milieu hospitalier. Le rôle du personnel soignant ne doit pas se limiter à une gestion technique ou à la gestion des médicaments. Les aspects relationnels sont particulièrement importants en psychiatrie. Appréhender une personne dans son individualité, pouvoir apaiser une angoisse par la parole, tenir compte des aspects stressants de l’hospitalisation elle-même, pouvoir gérer la violence... tous ces aspects, incontournables pour des soins de qualité, ne concernent pas seulement psychiatres et psychologues. Tout le personnel soignant doit pouvoir bénéficier de formations continuées et de supervisions sur ces questions. Bien entendu, la formation ou la qualité du personnel lui-même ne portera des fruits que si le personnel est en nombre suffisant et si le temps nécessaire lui est accordé. Chaque année, un groupe d’usagers de Psytoyens rencontre des étudiants de l’Institut Supérieur d’Enseignement Infirmier (ISEI), bacheliers en soins infirmiers spécialisés en santé mentale et Psychiatrie. Ces rencontres sont l’occasion de riches échanges : les étudiants partagent l’idée qu’ils se font de leur futur métier et leurs nombreuses questions ; les usagers partagent leurs expériences et ce qu’ils attendent des infirmier(ère)s en psychiatrie. Psytoyens est une fédération d’associations d’usagers en santé mentale. * Rue Henri Lemaître, 78 - 5000 Namur ( 081/23.50.19 8 [email protected] : www.psytoyens.be Mener une réflexion commune Enfin, une réflexion approfondie menée ensemble, usagers et professionnels, à propos de ce qu’est la qualité d’un service nous semble incontournable 1 Cet article s’appuie, sur les expériences et réflexions d’usagers de l’asbl Psytoyens, entre autres lors d’échanges avec de futurs soignés (voir encadré). Le droit au « non » Tristesse d’un regard maternel, ravivée d’avoir cru à un hypothétique et possible soulagement. Colère révoltée d’un père, attisée de s’être illusionné d’un « au secours » entendu. Rencontre devenue vaine pour cet adolescent qui d’apeuré qu’il était, s’est relevé, s’est déplacé lentement à quatre pattes, du couloir jusque dans le local d’entretien, pour enfin venir s’asseoir entre sa maman au visage fermé d’épuisement et son papa qui lui tordrait bien le coup s’il n’était son fils ! Malaise dans l’institution de ne pas pouvoir se présenter comme partenaire pour permettre une déviation à cette jouissance qui, excessive et non contrôlée, s’est logée dans le corps de cet ado! On ne subit ni ne se soumet à un lavement, deux fois par semaine depuis des années, sans conséquences ! Malaise de s’arrêter à ce « non à la jouissance » apparaissant comme impossible, voire inatteignable dans notre contexte institutionnel particulier où l’importance du nursing est très limitée. Malaise de ne donner, pour toute suite à une rencontre, que la confirmation de cet insupportable, de ces insupportables pour ces parents et leur enfant. Rencontres risquées … rencontres osées … rencontres malaisées ! Nous sommes en rupture avec : « Dossier classé !! Au suivant ! » … Le couteau n’est jamais aussi tranchant, lisse de tout embarras, que sur un dossier fermé matriculé de nom et prénom anonymes… J’ai seize ans, j’ai le droit de fumer… dit l’adolescent. J’ai dix-huit ans, je fais ce que je veux… dit l’adolescent qui a grandi ! Je suis le directeur, j’ai le droit de dire non, de fermer la porte après l’avoir entr’ouverte… Mais pourquoi l’ai-je ouverte cette porte ? Parce que j’avais le droit de la refermer ? Mais à quoi je m’engage lorsque j’accepte d’entrouvrir la porte ? … Dossier classé !! Au suivant !... Artistes Anonymes, Philippe. Dossier classé ! Puisque je vous le dis !! N’insistez pas !!! Au suivant ! Francis TURINE Directeur, « Les Goélands » à Spy Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Et je reste alors avec les larmes qui me saisissent brusquement et brutalement … Ces parents et leur enfant n’en sauront jamais rien …, eux qui s’en sont retournés, détresse, révolte et jouissance confortées… 27 Un cadre et des définitions nécessaires … Fondé à Namur dans les années 1840, installé sur les hauteurs de la ville, à Bouge, depuis 1880, l’Institut François d’Assise accueille des personnes en situation de handicap, dans le cadre d’un agrément AWIPH. Il a parcouru une longue histoire, chargée de transformations, de modifications, de finalités, de fonctionnement, d’organisation. A ce titre, ses responsables et les membres du personnel ont été et sont toujours confrontés à la nécessaire et constante (re)définition du cadre de travail, des fonctions et des rôles à remplir. sonnes en signifiant la raison pour laquelle l’institution existe, ce à quoi elle croit et ce pour quoi les personnes travaillent. Philippe SERVAIS Directeur, Institut François d’Assise à Bouge (Namur) Enfin, c’est répondre à un besoin d’identité. « Nous existons collectivement parce que nous sommes différents ». L’institution doit se nominer, dire ce qu’elle est, dire aussi ce qu’elle n’est pas, ce que les personnes accueillies, les familles, la société peuvent - ou pas - attendre de sa part. Nous pensons plus particulièrement aux petites maisons et institutions, où vu le nombre relativement restreint de membres du personnel, toutes les tâches doivent être partagées. Comme le souligne Xavier Renders dans l’ouvrage collectif précité2 « On le réalise immédiatement, aucune formule ne l’emporte en soi mais - nous en avons la forte conviction - définir les finalités d’une institution, découper et partager les fonctions puis les rôles de chacun est un travail thérapeutique sans doute le premier travail thérapeutique ». 28 Confluences N°20 Août 2008 Dès lors, nous ne pouvons qu’apprécier l’obligation faite par des pouvoirs subsidiants comme l’AWIPH, et ce, pour tous les services à ré(agréer), d’élaborer et d’actualiser (en général tous les 3 ans) leur « projet médico-socio-pédagogique » avec explicitation de l’historique de l’institution, des valeurs, des finalités, de la population accueillie, des modes de structuration et d’organisation … Fonctions et rôles D’abord fonctions et rôles sont des notions à ne pas confondre avec celles de profession, de diplôme. Infirmière, logopède, médecin, psychologue, éducateur, au sens de diplôme, ne sont ni des Cette « mise à plat » contribue fortement à : la formalisation, la clarification de ce qui fonde l’institution, de son organisation et son fonctionnement ; l’implication du personnel dans l’élaboration et la construction du projet, dans sa mise en place ainsi que dans son opérationnalisation. C’est la qualité du projet qui, mieux que n’importe quel autre levier, permet de garantir l’attachement des personnes à l’institution. Finalités, raison d’être et mission Affirmer, formaliser ses finalités, sa raison d’être, sa mission (peu importe le terme utilisé) et ses valeurs est essentiel pour tous. C’est d’abord vouloir inspirer l’action des per- Artistes Anonymes, Marie-Christine. L es réflexions que nous proposons dans cet article sont le fruit de notre vie institutionnelle et sont largement inspirées d’un livre « fondateur », malheureusement épuisé à ce jour : « L’institution résidentielle, médiateur thérapeutique » de Jean-Yves Hayez, Philippe Kinoo, Muriel Meynckens-Fourez, Xavier Renders et Christine Van der Borght1. Elles s’inspirent plus particulièrement du chapitre deuxième, de Xavier Renders : « Des fonctions et des rôles » et évoquent des questions qui reviennent souvent dans les débats institutionnels : faut-il délimiter précisément fonctions et rôles ? Est-ce possible ou vaut-il mieux moins de distinctions ? Ensuite, c’est prendre date avec l’histoire, c’est s’affranchir du temps, c’est être animé d’une conviction en regard de la société, de son engagement, de son rôle. Les fonctions Ainsi donc pour que toute institution vive, pour qu’elle réalise sa mission, il faut qu’elle fonctionne, qu’elle ait des mouvements ordonnés, articulés entre eux. Nommons ces fonctions : fonction de direction, fonction éducative, fonction de relation avec les familles, fonction de traitement, de questionnement, de maintenance et d’entretien, de relation avec l’extérieur, de contrôle … Par l’énumération de toutes ces fonctions, on constate immédiatement la nécessité de les (re) définir clairement. Et il appartient à chaque institution de réaliser sa propre définition, son propre « découpage ». Inutile d’ajouter que ces fonctions sont limitrophes et peuvent se superposer. Ainsi faire réfléchir une personne accueillie sur son acte peut relever de la fonction éducative, de la fonction de « traitement », voire de la fonction de direction ! Les rôles Le rôle est à l’intersection des fonctions et des personnes. A l’instar de Xavier Renders3, nous nommons « rôle » la partition (au sens musical d’une partition) déterminée pour une personne par d’autres et interprétée par cette personne. L’exercice d’un rôle se trouve donc déterminé par 3 composantes : La première est la partition elle-même. Le rôle s’inscrit dans une fonction et prend son origine dans un texte, une définition la plus précise possible par rapport à sa place dans l’organigramme, aux tâches à accomplir, aux fonctions à remplir, aux responsabilités à exercer (avec grilles de délégation par ex). La deuxième, ce sont les attentes, les aspirations, les représentations des autres personnes, qu’elles en soient conscientes ou non. Cette deuxième composante influence aussi le choix de la personne qui assure le rôle. Aussi, vaut-il mieux l’intégrer dans le profil de rôle en déterminant quelques critères significatifs d’un engagement. La troisième est celle des attentes, désirs, aspirations de la personne à qui le rôle est confié. Cette composante est liée à la personnalité de celui ou celle qui « interprétera » le rôle. A ce niveau-là aussi, il est judicieux que les personnes chargées de l’engagement puissent réfléchir ensemble et établir l’un ou l’autre critère qui leur paraissent pertinents pour le choix à opérer. Réfléchi et établi de cette façon, nous percevons bien que le rôle est vivant, qu’il peut se modifier. Aussi de plus en plus d’institutions, de services, proposent à des collaborateurs un entretien de fonctionnement. C’est un entretien de suivi entre le collaborateur et son responsable fonctionnel dans le cadre duquel peuvent être discutées les différentes composantes du rôle, les progrès par rapport à des objectifs fixés, les difficultés vécues … Un tel entretien favorise la communication entre les personnes, stimule et accroît la motivation et donne la possibilité d’adapter, corriger certains aspects du fonctionnement institutionnel et de son propre fonctionnement. En bref Une institution qui s’emploie à nommer ses finalités, sa raison d’être, ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, ce pour quoi elle existe, ce à quoi elle croit, sa vision (comment elle voit le monde, la société et sa place dans ceux-ci) témoigne de son « ambition », de sa capacité à relier, à fédérer. Une institution qui prend du temps, de l’énergie pour nommer, définir fonction et rôle de ses membres « accorde à chacun une place qui compte, une place respectée »4. Enfin, plus le rôle, les tâches à réaliser, les objectifs poursuivis sont clairement définis, plus le collaborateur peut percevoir sa contribution personnelle dans le fonctionnement institutionnel, plus il est en mesure d’en saisir tous les enjeux, plus il attribue de sens à son travail. l 1 Voir Bibliographie p.48, référence 20. Op.cit., note 1, p.49. 3 Op.cit., note 1. 4 Op. Cit., note 1, p.56. 2 Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER fonctions ni des rôles. Il n’est pas rare par exemple que dans certains services des psychologues de formation exercent un rôle dans la fonction éducative ou la fonction de direction. 29 Souffrances plurielles et moyens multiples « Ce qui est bon, c’est d’être mort et de n’avoir jamais plus peur de vivre. » Antonin Artaud La « souffrance du soignant », un sujet qu’il est difficile d’aborder tant il provoque un malaise, une frilosité …Mais qu’est-ce qui amène cet embarras ? La peur pour l’institution d’être confrontée à trop de souffrance qui pourrait effrayer, de débordements qui risqueraient de ne plus être canalisés ? La peur pour le travailleur d’être bouleversé par la souffrance du patient en s’y retrouvant en miroir ? « Gérer » cette souffrance est un travail de funambule, avec le danger toujours présent de tomber dans le trop ou le trop peu. Danielle SARTO Infirmière, psychologue et psychothérapeute Responsable de la Cellule Formation ISoSL - Intercommunale de soins spécialisés de Liège Site CHP - Centre Hospitalier Psychiatrique de Liège1 L e soignant est touché par la souffrance qu’il ressent au contact de celle du patient, ainsi que par la violence du lien dans lequel le patient le met. Il s’agit d’un état diffus, intime et parfois inconscient, qui se développe et s’installe au travers des projections, identifications, transferts et contre-transferts. Cette souffrance est notre quotidien en tant qu’être humain. La souffrance des patients, de par son caractère universel, vient à la rencontre de celle des soignants. L’identification est le support du rapprochement émotionnel avec le patient, de l’empathie naturelle. Elle provoque un vécu de souffrance chez le soignant par le réveil de souvenirs ou de peurs. Cette mise en communauté du ressenti se fait ainsi dans un mouvement d’identification croisée. « Je suis retombé dans une absence de pensée, une difficulté de parole qui me rendait incapable de formuler les choses les plus simples. Je ne parlais plus qu’avec un bégaiement, un bredouillement affreux. 30 Confluences N°20 Août 2008 Et je suis tombé dans des angoisses colossales qui me tenaient des jours entiers et la nuit jusqu’à l’aurore sous le coup d’une véritable suffocation. » Antonin Artaud Comment le soignant peut-il se laisser « toucher » par la souffrance de l’autre sans se laisser « emporter » ? Morasz2 le dit bien : le lien qui unit un patient qui souffre et un soignant qui compte s’occuper de cette souffrance est en lui-même un lien potentiellement générateur de cette souffrance. Le soignant se met de manière régulière dans une position de sauveur en voulant absolument trouver des objectifs de vie pour le patient. Cet état d’esprit risque d’avoir pour conséquence un gaspillage d’énergie, un découragement et un épuisement psychique. Où s’envole le sens du rôle de « soignant » ? Jean Michel Longneaux3, philosophe, explicite le désir de toute-puissance qui pousse le soignant à être le bon professionnel capable de soulager la souffrance des patients. Et c’est la confrontation à son impuissance, sans porte de sortie possible, qui devient insupportable pour le soignant. Etonnamment, à vouloir à tout prix aider l’autre, le soignant, qui s’est investi de mission, entrave et empêche toute liberté dans le processus de restauration de l’autre. Il est donc essentiel pour lui de faire le deuil de ce désir et de se confronter à la réalité, la réalité de la vie de l’autre. En permettant au patient de reprendre sa place dans son parcours de vie, ce choix peut rendre plus de liberté au soignant. Accepter ses limites, son impuissance, ses faiblesses ne veut pas dire renoncer mais être plus adapté au présent de la rencontre…sans essoufflement. Difficile de quitter ses idéaux sans renoncer…. nous touchons à l’être humain que le soignant est aussi ! J’écoute… je crois que j’écoute. Je n’écoute que mon propre bruit. Pas facile d’écouter, d’écouter vraiment. Pas facile d’être ouvert, disponible, accueillant à la parole de l’autre. Il y a toujours la tentation de faire quelque chose. De remplir l’espace. De meubler. Il y a l’envie d’être efficace. D’obtenir des résultats, de ne pas perdre son temps. Est-ce qu’on fait quelque chose quand on ne fait rien ? Est-ce qu’on est aidant quand on est là, et qu’on ne fait rien ? Quand on ne fait rien qu’entendre. Quand on ne fait rien que s’intéresser à l’autre. Quand on ne fait rien que s’ouvrir à ce qui l’occupe, à ce qui le travaille. Demandez-le lui…et écoutez. C’est un premier pas. Extrait de « Et si on apprenait à écouter ? » de C. Cambier Comment le soignant va-t-il apprendre le positionnement soignant optimal, comme l’exprime L. Morasz4, qui est la « fermeté souple » ou la « souplesse ferme » ? Le cadre de travail du professionnel de la santé est ainsi posé… En fait, le cadre de soin doit être souple pour permettre l’accueil du patient avec son mode d’expression du symptôme. Mais il doit également être ferme pour être structurant et rassurant parce qu’il donne sens à la vie. Par la mise en place de moyens divers, l’institution tente de reconnaître le vécu difficile des soignants et accompagne ainsi ceux-ci dans le processus de restauration de l’autre. Ce travail ne peut se faire qu’au travers d’apprentissages par la formation, qu’au travers de prises de conscience par des échanges, des analyses de situations et des mises en situations. La formation continuée est une des manières d’appréhender le vécu difficile des soignants dans le secteur hospitalier, et notamment psychiatrique. Un « passeport formation », constitué d’un panel de formations de base, est proposé à tout nouveau soignant afin de fournir un maximum de compétences en termes de savoir-faire, mais aussi de savoir-être. Pouvoir tout d’abord écouter et entrer en relation d’aide, puis élaborer un entretien, sont des actes qui sont souvent à tort considérés comme simples et faciles. Les « rencontres à thèmes » sont des moments privilégiés où, au travers de thématiques précises, le soignant a l’occasion de prendre de la distance par rapport à son vécu quotidien, et d’augmenter par la même occasion son éventail de représentations et de comportements. Nous savons que la violence est inhérente à la souffrance. Le patient peut présenter, pour des raisons sociétales et psychopathologiques, une difficulté à différer son désir. Cet état de fait en- gendre régulièrement des passages à l’acte (suicides, menaces, coups..). Quand l’émotion est trop forte la personne perd la capacité de représentation. Elle est alors incapable de tenir compte du principe de réalité en différant sa pulsion ou en la traitant sur un plan psychique, c’est-à-dire en tolérant la frustration par la mise en pensée de la pulsion agressive. Le soignant peut vivre avec la même intensité réactive les mêmes difficultés que peut ressentir le patient. Comment ce soignant va-t-il apprendre à utiliser des mécanismes de défense plus souples qui vont permettre la formation d’un compromis ni trop frustrant ni trop désorganisateur pour lui et le patient? Pour ce faire, il doit être capable de se décaler, c’est-à-dire de faire un mouvement de décentrage dans le but de porter un regard distancié sur la place qu’il occupe dans la relation dans un moment violent. Comment ne pas tomber dans l’envie d’appliquer le règlement à la lettre, ne pas répondre en symétrie aux propos agressifs, ne pas renvoyer l’autre à une fin de non-recevoir ? Très souvent, le soignant se retrouve pris au piège là où l’autre l’attend : dans une position rigide, où seul le cadre est mis en avant et présenté comme la solution à tous les problèmes. La formation en gestion de la violence, appelée communément CAMP (contrôle de l’agressivité par maîtrise physique), permet tout d’abord le désamorçage de la crise potentielle par le verbal, le travail sur la peur induite par cette violence de la frustration et la maîtrise de la personne si nécessaire. Les réunions des « relais agressivité » revisitent des situations difficiles en construisant d’ « autres possibles ». Ces séances rassemblent des soignants venant de tous services pour un moment de partage, d’échanges, et de construction sans recherche du responsable de la faute. Une autre manière de prendre en compte la souffrance des soignants est l’accompagnement réalisé par le Stress Team suite à un incident perturbant. Très souvent, les personnes confrontées à des situations traumatiques, comme une agression verbale ou physique d’un patient, une tentative de suicide ou un suicide réussi, sont en état de choc psychologique. Cet état de stress aigu est en fait une étape normale dans le processus de régulations psychique et physiologique. Les symptômes, tels que les signes neurovégétatifs (trouble du sommeil, état d’hypervigilance…), les flashes nocturnes et diurnes (rappel d’images du moment critique), et les comportements d’évitement (revenir dans l’unité après des menaces…) sont souvent présents dans les moments qui suivent un événement traumatique, puis s’estompent. Les soignants sont, là encore, confrontés à ce refus de reconnaître « leur finitude, leur non toute-puissance », dont parle J.M. Longneaux5. Accepter que la confrontation, l’inexplicable, l’intolérable provoquent un certain remous malgré le fait qu’il s’agisse du propre-même du travail du soignant, semble difficile pour lui. Souvent, le soignant ne dira rien, supportera ses symptômes sans en parler… jusqu’au moment où sa souffrance l’envahira totalement. Le Stress Team est une équipe constituée de psychologues de l’institution. En présence d’un stress aigu, ces personnes peuvent intervenir à la demande des soignants. Il ne s’agit pas ici d’avoir un rôle psychothérapeutique, mais plutôt de reconnaître ce passage difficile qu’est le stress aigu. En cas de symptomatologie persistante chez le soignant, l’intervenant du Stress Team proposera une réorientation et un accompagnement vers des services spécialisés, d’ordre psychologique ou administratif. L’institution a tout à gagner à écouter l’expression de la souffrance du soignant en mettant à sa disposition des outils, qui développeront ses compétences pour apprivoiser toutes formes de souffrances et se confronter concrètement à la réalité de ce qui se vit. Aux membres du personnel d’utiliser leur créativité pour développer davantage leurs réponses spécifiques ! l 1 Petit Bourgogne, Agora et structures extrahospitalières. Voir bibliographie p.48, référence 30. 3 Voir bibliographie p.48, référence 25. 4 Op. cit. note 2. 5 Op. cit. note 3. 2 Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER La souffrance du soignant passe par la gestion de cette frustration en permanence palpable. En général, il préférera rester dans le déni des signes annonciateurs d’un malaise plutôt que d’accepter que la relation n’est pas que le face à face soignant-patient mais aussi la rencontre de deux êtres humains. 31 Dispositions légales, humaines et institutionnelles Différentes dispositions, tant légales qu’humaines et institutionnelles, sont proposées comme réponses à la souffrance des intervenants de l’IPPJ1 de Saint Servais. Elargissant le cadre de la réflexion sur la « souffrance des soignants », cet article va voir du côté des intervenants travaillant dans un contexte de prise en charge psycho-socio-éducative, judiciairement contrainte, au bénéfice d’adolescentes ayant commis un fait qualifié infraction. Marie-Christine DELBOVIER Psychologue et criminologue Directrice a.i, IPPJ de Saint-Servais (Namur) C ette souffrance est prise en compte sur divers plans, dont le plus récent, officiel et donc repérable est certainement la réforme de la carrière du personnel pédagogique, éducatif et de surveillance des IPPJ. A côté de ce dispositif, et avec d’importantes variations quant à leur visibilité, existent toute une série de pratiques, institutionnalisées ou plus informelles, qui concourent à améliorer le bien-être des professionnels. Nous les évoquerons dans la seconde partie de l’article. 15 ans au moins en IPPJ ont la possibilité, moyennant la réussite d’une formation certifiante, de se voir réorientés vers une fonction sociale, dans un SAJ ou un SPJ, ou vers une fonction administrative. Par ailleurs, les membres du personnel comptabilisant 15 ans d’ancienneté dans une fonction pédagogique, éducative ou de surveillance bénéficient de congés supplémentaires, dont le nombre augmente par tranche de 5 ans d’ancienneté. Côté officiel 32 Et enfin, cette réforme prévoit que ces mêmes professionnels qui ont plus de 15 ans d’ancienneté consacreront 6 jours de travail à l’écolage des nouveaux agents. Abordons d’emblée cette réforme de la carrière, vue comme réponse apportée à l’objectivation réalisée à l’initiative du Ministre de la fonction publique quant à l’importance des réaffectations pour raisons médicales du personnel des IPPJ. La visée de cette réforme, exprimée à travers un arrêté approuvé par le Gouvernement de la Communauté française le 23 novembre 2007, est clairement de prendre les mesures nécessaires afin de mieux tenir compte de la pénibilité des fonctions exercées en IPPJ à travers un choix de carrière : Cette réforme n’a bien entendu pas encore montré ses effets, sauf à considérer l’impact certainement rassurant d’une perspective de carrière aménageable. Ainsi, les agents statutaires à fonction pédagogique ou éducative, travaillant depuis Le rôle et l’importance de la médecine du travail (SPMT) ainsi que du Service d’Inspection et Confluences N°20 Août 2008 Par ailleurs, des organes ou services sont spécifiquement dédiés à la santé des professionnels. de Protection des Travailleurs (SIPPT) sont bien reconnus au sein de l’IPPJ, ce qui se traduit par des visites régulières, des rapports d’inspection suivis de réaménagements ou améliorations, le plus souvent, de l’environnement matériel. Des interventions du Service d’Intervention psycho-sociale d’Urgence (le SISU) dépendant de la Croix-Rouge sont prévues également, en vue de prévenir les syndromes post-traumatiques, ce qui, bien heureusement reste exceptionnel. Côté institutionnel En IPPJ, le dispositif institutionnel a pour vocation la prise en charge d’adolescentes. Sa qualité est, certes, directement influencée par la qualité des relations qui se nouent entre professionnels, sans faire fi de l’incontournable rapport au cadre institutionnel. Une attention toute particulière est apportée à l’adéquation entre chaque professionnel et l’IPPJ, à la fois dans la phase de recrutement, dans la phase d’appropriation de la fonction mais aussi tout au long de la carrière, à travers des entretiens réguliers avec le responsable de la gestion du personnel et plus formellement lors des évaluations de fonction. Une programmation de soutien peut être envisagée afin d’aider le professionnel à surmonter ses difficultés, une formation peut être proposée pour augmenter ses savoirs-faire et/ou ses savoirs-être. Le climat dans lequel se déroulent ces entretiens doit favoriser l’émergence de l’expression d’une éventuelle souffrance individuelle, qui, lorsqu’elle est cumulée à celles de plusieurs autres personnes, impose une réflexion plus générale de questionnement institutionnel. Une énonciation claire du profil de fonction permet à chacun de se repérer et de s’y référer, ce qui parait d’autant plus indispensable lorsque la prise en charge se veut pluridisciplinaire. De la même manière, chaque fonction et chaque intervention ont à s’articuler entre elles autour du projet pédagogique institutionnel2, mais surtout plus précisément autour du projet pédagogique individuel de chaque jeune. La structure hiérarchique caractérisant toute IPPJ facilite une lisibilité qui se veut la plus claire possible en termes de prise de décision, de canaux de communication, de lieux et de temps de concertation…., ce qui n’exclut pas d’inévitables « zones d’incertitude » qu’il ne me parait pas sain de vouloir toutes annuler. La direction de l’IPPJ se veut proche et d’une disponibilité réelle à tout moment et pour chacun. C’est pourquoi, un système de permanence permet une présence à l’institution chaque jour de l’année, renforcée par un système de garde à domicile chaque nuit. L’assurance de pouvoir contacter à tout moment un membre de la direction pour un conseil, une intervention, une prise de décision, un soutien… est un facteur favorisant une sécurité psychique indispensable pour une meilleure prise en charge des jeunes, surtout dans les moments où le personnel sur place est réduit, notamment la nuit. Côté humain Interroger le sens de toute action, questionner certaines pratiques ou attitudes doit rester au cœur des interventions tout en ne les paralysant pas. Au plus les professionnels ont la capacité de s’approprier le bien fondé de leurs actions, évitant ainsi une simple répétition stéréotypée de celles-ci, au plus leur épanouissement professionnel risque de s’accroître. Les supervisions d’équipe favorisent ce type de démarche. Dans certaines situations particulièrement aiguës vécues par les jeunes, soit sur un plan judiciaire, soit sur un plan comportemental ou encore psycho-affectif, la souffrance de ces jeunes n’épargnent pas - et c’est heureux - les professionnels. Il convient alors de la reconnaître et d’y répondre afin que ces adultes soient à même de continuer le plus adéquatement possible leur action éducative. Des échanges de points de vue, d’émotions, des énonciations de craintes ou d’espoirs sont autant d’occasion de remettre au centre les valeurs humaines fondamentales devant animer toute action (bienveillance, respect, générosité, partage…). Je pense notamment à des passages à l’acte qui ont un retentissement évident sur tous, y compris sur les jeunes, mais aussi à des audiences publiques lors desquelles se mesure, souvent de Des moments institutionnels privilégiés (repas de Noël, fête d’admission à la pension, repas du personnel, activité familiale à l’occasion de Pâques) permettent de renforcer les liens entre collègues dans une ambiance conviviale et ravivent un sentiment d’appartenance bénéfique à tous niveaux. De même, s’arrêter dans la gestion du quotidien pour valoriser telle évolution d’un jeune, tel remerciement de parents ou gratitude exprimée par un jeune ou un juge permet de se (re) convaincre de la nécessité de notre intervention. La relation étant l’outil fondamental de nos actions, en prendre soin à tous les niveaux constitue une priorité, qui se décrète moins qu’elle ne se vit. Aucun dispositif institutionnel ne remplacera la richesse de tout interstice (les croisements dans les allées, les fins de réunions, les pauses-cigarettes…, bref tous les moments informels) qui permet l’expression d’une sensibilité relationnelle qui se voudrait toujours respectueuse d’autrui. Tel se décline l’idéal à l’IPPJ de Saint-Servais, en termes de prise en compte du bien-être des professionnels au bénéfice d’une qualité toujours croissante des interventions auprès des jeunes. Pour chacun, tendre vers l’idéal tout en acceptant les limites du réel crée des tensions, signe - finalement - d’une … bonne santé ! l 1 2 Institution Publique de Protection de la Jeunesse. Le projet pédagogique de l’IPPJ est consultable sur le site de l’Aide à la Jeunesse : www.aidealajeunesse.cfwb.be. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Artistes Anonymes, Anne. manière quasi palpable pour la première fois, toute la souffrance des victimes et de leur famille. 33 Soigner la souffrance et en souffrir Dans ce monde où la souffrance doit avant tout être éradiquée, où être souffrant n’est pas « tendance », le soignant serait-il écartelé entre une réalité quotidienne pénible et un modèle de société déréalisé ? Un coup rapide à la porte de mon bureau… Sans même attendre de réponse, elle entre, le visage marqué. Elle n’est pas hospitalisée, c’est une infirmière, une soignante, … Elle commence alors à dire, à raconter, à expliquer ce fait, cet événement ou cette situation qui existe depuis longtemps et qui lui fait souffrance. Boulot, vie privée, relation aux collègues ou à la hiérarchie, tout peut être source ou révélateur de souffrance. Comment le responsable de service pourra-t-il garder l’équilibre entre prendre soin des patients et prendre soin de son équipe ? Pierre WAUTIER Infirmier chef, Revivo C, HNP Saint-Martin à Dave (Namur) Quand la souffrance vient du dehors N os vies sont remplies d’événements. Les équipes partagent, par le simple fait de passer ensemble 8 heures par jour, 5 jours par semaine, bons et mauvais moments de l’existence. Nous nous cotisons pour offrir un cadeau à cette jeune infirmière qui vient d’accoucher, nous rendons visite lorsqu’un deuil frappe cet autre collègue. Nous vivons ensemble, bien qu’à distance, joies et peines de chacun des membres de l’équipe. Et c’est parfois le premier endroit où se disent ces souffrances. Lors de la survenue d’un drame de la vie, les collègues peuvent être les premiers à entendre, à soutenir, à conseiller. Chacun y passera un peu de temps, touché lui-même par ce qui attriste son collègue. Puis, dans les situations de travail, parce que l’on sait qu’il est parfois bien difficile de faire fi de sa souffrance pour pouvoir entendre celle de ceux qui nous sont confiés, l’équipe prendra le relais de celui qui est en peine. Il est alors parfois difficile pour le responsable de l’équipe de maintenir l’équilibre subtil entre 34 Confluences N°20 Août 2008 temps passé à soutenir le collègue et temps normalement consacré aux soins aux patients. Je suis à certains moments surpris du temps nécessaire à d’aucuns pour « évacuer » cette souffrance. Comme si, à l’extérieur, l’écoute n’existait pas, ou peu, et que le lieu de travail, qui plus est en psychiatrie et donc endroit supposé de paroles, rencontrait toutes les attentes de communication, et que les relations de travail constituaient le seul lieu où cela peut s’exprimer… Il m’est arrivé, même si beaucoup de questions me restent, de demander à un membre de l’équipe, de limiter son temps de parole autour de ses difficultés, alors que je constatais qu’il y passait depuis plusieurs jours une large partie de sa journée de travail, et donc de celle de ses collègues du moment. Dans le même temps, je lui proposais de trouver quelqu’un pour l’aider en dehors, tout en lui ouvrant toute grande la porte de mon bureau…. Mais prendre du temps pour écouter cette souffrance ne nous confère aucun rôle spécifique. Aussi, lorsque la souffrance prend l’aspect plus compliqué d’un problème personnel et s’exprime par des gestes suicidaires, par une addiction, une dépression, etc, la position de l’équipe et de son responsable se complique davantage ; nous sommes en face d’un collègue avec lequel nous pourrions être tentés d’utiliser nos compétences professionnelles. Et le dérapage est facile et rapide qui nous mène, avec les meilleures intentions du monde, du soutien total au rejet complet. Parce que l’autre nous connaît, parce qu’il est difficile de soutenir une aide saine lorsque l’on se connaît aussi bien dans un autre registre. Et le rôle du responsable, s’il tente de limiter l’impact que ce trouble pourrait avoir sur les personnes hospitalisées, pourra être alors source de souffrance à son tour. L’équilibre est ici bien plus difficile encore à trouver et à conserver. Loin de moi l’idée de prôner la mise à l’écart, l’évitement… Mais il convient à mon sens de garder certaines distances pour éviter ces travers tout en restant soutenant pour celui qui est en souffrance. Quand la souffrance vient du dedans L’institution aussi génère de la souffrance. Confronté aux souffrances quotidiennes de ceux dont il prend soin, souvent utilisé - et c’est bien là sa fonction - comme réceptacle de l’expression de la souffrance des autres, aussi bien sous forme d’un discours, que lors d’expressions plus émotionnelles voire symptomatiques, le soignant en psychiatrie peut, s’il n’est pas armé pour cela, ne pas avoir la distance suffisante pour s’en protéger. Qui n’a pas connu un collègue qui, à force de se trouver confronté à des « échecs » professionnels, intimement liés à tout travail relationnel où personne n’a tout le pouvoir, finissait après des mois de souffrances parfois non dites à développer ce fameux burn-out qui semble tant sévir chez les soignants dans nos structures de soins. On ne peut passer sous silence la souffrance physique qui résulte parfois des situations tendues inhérentes à nos contacts quotidiens avec les bénéficiaires de soins, et plus encore les conséquences plus psychologiques qui peuvent en résulter. Si le réconfort immédiat ne manque généralement pas, les suites données à plus long terme rencontrent-elles réellement les besoins des individus ? En dehors du cadre strict des soins, les relations entre soignants ou avec la hiérarchie sont à même de créer des situations d’où émanent parfois beaucoup de difficultés. Les organisations se sont dotées de structures à même de prodiguer soutien et réconfort. Les cellules sociales, les comités « harcèlement », les syndicats sont autant d’endroits qui sur le terrain sont à la disposition des membres du personnel. Dans les conflits entre soignants, ceux qui ne sont pas pris dans la tourmente sont cependant tiraillés entre diverses sympathies et ne sont pas à l’abri des retombées qui ne manquent pas. Ici aussi les outils de supervisions d’équipes peuvent amener chacun à se positionner clairement dans la relation professionnelle et ses enjeux. Plus que les solutions proposées quand la tempête se déchaîne, les moyens de prévention sont à penser au quotidien. C’est déjà un grand avantage, si le soignant parvient à parler de cette souffrance, si pour lui, la relation avec l’infirmier-chef, le cadre intermédiaire, le directeur de département, est cet endroit où, dans un premier temps, les choses peuvent s’énoncer. Celui-ci devient alors cet autre par qui la pression peut se relâcher, sans avoir grandchose à faire d’autre que de laisser fluer les mots, et donner ces quelques paroles, ces quelques gestes qui peuvent réconforter. (Je me souviens à ce titre du réconfort d’une épaule offerte à celle qui avait à y verser quelques larmes, dans un silence partagé.) Il est aussi celui qui orientera, rappelant les structures existantes, contactant les personnes ressources, ouvrant ces portes que le soignant pourrait ne plus voir, pour peu qu’il en ait l’envie, le besoin. Mais nombreuses aussi sont les situations où, hélas, la confiance n’est plus de mise, voire, plus grave encore, où le responsable du service est aussi partie liée à la cause même de la souffrance vécue par le soignant… Ici encore l’intervention de tiers se montre plus que prioritaire pour éviter que les souffrances respectives, et les craintes de souffrances qui sont parfois bien plus redoutables, n’introduisent des jeux relationnels qui ne pourraient qu’être dommageables à chacun et aux personnes hospitalisées. La vie et la gestion quotidienne d’une équipe ne peut se concevoir autour d’un bouc émissaire, quel qu’il soit, quelle que soit sa position et sa fonction. sa souffrance que d’avoir ce sentiment que « ce n’est rien, ça va passer, … » Le respect sera initialement de ne pas l’effacer d’un revers de la main. Il faut garder à l’esprit que toute croissance est potentiellement créatrice de souffrance, et que toute souffrance peut être source de créativité. Même si comme l’écrit Boris Cyrulnik : « Si la souffrance contraint à la créativité, cela ne signifie pas qu’il faille être contraint à la souffrance pour devenir créatif. »2 Respect aussi de ne pas s’approprier la souffrance de l’autre, et de vouloir y apporter nos solutions. Cet autre qui souffre n’est pas un handicapé de la vie, et en fonction de ses valeurs, de ses moyens, de ses croyances, il possède ce qu’il faut d’énergie et de ressources pour y faire face. Loin de moi l’idée de faire l’apologie de la souffrance, et tenir un tel discours à celui qui souffre ne pourra que lui permettre de ne pas se sentir entendu. Mais remettre dans une perspective globale - plus juste que le discours actuel qui veut que souffrir soit inacceptable - peut aider à accompagner plus pertinemment la souffrance de l’autre, qu’il soit soigné ou soignant. l Le respect d’abord La souffrance est une réalité1. Toute souffrance, parce qu’elle est individuelle, et donc potentiellement inaccessible à la compréhension de ceux qui lui sont étrangers, se doit d’abord d’être respectée. Rien de pire pour celui qui est perdu dans 1 Les Quatre Nobles Vérités du Bouddhisme commencent par Dukkha : le monde est souffrance. 2 Extrait d’une interview avec Antoine Spire - Le Monde de l’éducation - Mai 2001. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Quels sont donc les outils de l’organisation pour faire face à cette souffrance ? En préventif la formation peut se montrer utile à certains, chez d’autres cela ne sera qu’une « couche de plus »… L’accompagnement des nouveaux membres du personnel peut certainement contribuer à aider certains autres. La supervision peut aider les groupes à faire face à ces difficultés et, partant, aider les individus qui y sont confrontés. La clarté des décisions et des orientations de prises en charges sont, enfin, à même de limiter l’impact individuel des aléas de soins relationnels. Mais il n’en reste pas moins qu’il se trouve aussi une part intimement individuelle que toutes ces mesures ne pourront jamais atteindre. Et seule une bonne connaissance des individualités qui composent nos équipes sera à même d’entrevoir aussi tôt que possible les premiers signes de cet essoufflement, chez ceux qui ne sont pas à même de s’en rendre compte seuls. Les moyens mis alors en œuvre pourraient aussi être sources de souffrance, je pense, à l’extrême, à des mutations de services, mais de deux maux… 35 Bien-être et santé au travail Réfléchir en termes de promotion de la santé pour augmenter le bien-être au travail, tel est le défi de la recherche confiée au Centre collaborateur de l’OMS1. Diverses tables rondes ont été organisées à cette fin à Bruxelles, réunissant des acteurs des secteurs du soin, de la prévention, de la promotion du bien-être et de l’emploi. Elles avaient notamment pour mission d’identifier les expériences, obstacles et facilitateurs. Elles devaient aussi ébaucher des partenariats possibles dans la perspective de création d’un réseau et proposer des recommandations afin de diminuer le stress tout en augmentant la satisfaction et le sens de proximité collégiale et citoyenne sur les lieux de travail. Les résultats de cette étude2 ont été présentés le 16 juin dernier à Bruxelles. Une synthèse de Christine GOSSELIN, IWSM A border la souffrance des soignants, l’envisager de manière constructive et dynamique ne peut se faire sans considérer le cadre plus général de la souffrance au travail. Ce cadre comprend la prévention de la souffrance via, notamment, la loi sur le bien-être (élargie en avril 2007) mais également la promotion de la santé et de l’augmentation du bien-être au travail. C’est dans cette seconde approche que vient prendre place la démarche de l’OMS. Lors de la conférence d’HELSINKI3, l’objectif de « Prendre en compte la santé mentale dans la population à travers la philosophie de la promotion de la santé par les réseaux de santé » a été défini comme prioritaire. La particularité d’une telle approche est de s’appuyer sur une définition positive de la santé4. Elle se place résolument en amont d’une logique de prévention qui se développe en référence à la maladie ou au mal être. Dans la logique de promotion, il s’agit de concevoir les conditions de bien-être, indépendamment de toute maladie et de chercher à produire de la plus-value en termes 36 Confluences N°20 Août 2008 de bien-être. Il ne s’agit donc pas de se limiter à gérer, corriger ou contrer des dysfonctionnements. Dans cette logique, il faudra tenir compte des dimensions tant collectives qu’individuelles afin de les optimiser. Comment, par exemple, répondre au mieux aux différents besoins rencontrés par le travailleur, besoins physiologiques de base (il faut travailler pour vivre, se nourrir, se vêtir, s’abriter) et besoin d’autonomie, sans oublier les besoins de sécurité, de reconnaissance, d’appartenance,... ? Une perspective de promotion examine les conditions de la vie collective et pas seulement les dysfonctionnements individuels ou les manques dans l’organisation du travail. Afin de mener à bien son étude, l’OMS a déterminé quatre groupes cibles auxquels l’étude s’est intéressée, via une enquête e-mail d’abord, ensuite via l’organisation de tables rondes sectorielles puis transversales. En tout, 180 intervenants ont été sollicités pour les secteurs suivants : Acteurs du Circuit de Soins Curatifs : médecins généralistes, psychiatres, psychothéra- peutes, spécialistes du sommeil, kinésithérapeutes, psychosomaticiens, réadaptation fonctionnelle, etc… Acteurs de la Prévention de la Santé au Travail : médecins du travail, médecins conseils, conseillers en prévention, INAMI, Fonds des maladies professionnelles, etc… Acteurs de la Promotion de la Santé au Travail : ressources humaines, groupes de Self Help, initiatives de santé en entreprise, coachs, SIPP5, patrons de PME Acteurs du Secteur Emploi : employés, indépendants, ouvriers, fonctionnaires (européens et belges), en interruption de travail pour cause de maladie, chômeurs, représentant des travailleurs, etc.… Voyons, dans « un méta regard », les lignes de force qui se dégagent de cette recherche - réalisée en Région bruxelloise - pour en tirer les éléments qui pourraient concerner tout un chacun et seraient transposables dans d’autres Régions. Un intérêt certain des professionnels... Il est tout d’abord intéressant de noter que la plupart des intervenants sollicités ont répondu présents. Ils ont marqué leur intérêt pour la démarche et les rencontres pluridisciplinaires. Toutefois, cette réceptivité semble encore centrée sur « comment gérer le stress » et non sur « comment penser le stress et le bien-être au travail ». Par ailleurs, les limites de la promotion et de la prévention restent difficiles à identifier : « Où commence la promotion, où se situe la prévention ? » « Quel est le rôle de l’entreprise ? Et la part de responsabilité individuelle ? » La distinction entre Du possible au réel… quelques constats La recherche a pu pointer : que les expériences belges en matière de promotion de la santé ou de bien-être au travail semblent peu connues des intervenants, ce qui dénote peut-être un manque de publicité et de dissémination de ces exemples de bonnes pratiques locales ; qu’il existe une certaine méconnaissance des formations continues existantes ; que les intervenants des circuits de soins sont davantage confrontés à des situations qui les amènent à traiter un mal être au travail dans une logique qui n’est pas encore une logique de prévention mais une logique de « remédiation » fort éloignée donc de la promotion du bien-être au travail ; que la législation ainsi que le rôle et le fonctionnement des intervenants du secteur (conseillers en prévention, personne de confiance, médecins contrôles, etc.…) sont encore méconnus ; qu’il existe une certaine banalisation ou incrédulité face à la violence et à la souffrance au travail, entretenue par le culte tenace de la performance et le manque de culture de collaboration ; que parfois le manque de moyens humains conduit à une application détournée de la loi ou à son application a minima. Pistes et recommandations Face à ces constations, différentes pistes sont proposées. On peut les synthétiser comme suit : 1. Travailler en réseau ; c’est l’option plébiscitée par les intervenants pour organiser la promotion du bien-être ; 2. Etablir des indicateurs de souffrance et de bien-être au travail, des critères qualitatifs d’action de promotion de la santé et d’analyse des causes du mal-être semble nécessaire. Le respect de la personne est en effet aussi important que sa performance immédiate ; 3. Se donner le temps et les moyens d’une bonne communication afin de construire et de suivre avec des outils adéquats le projet de promotion du bien-être ; 4. Entreprendre des actions au niveau de la gestion des ressources humaines en termes de participation, d’écoute, d’intelligence émotionnelle et de communication, former à la dimension humaine des relations ; 5. Favoriser la diffusion de l’information existante au sein des services de prévention et de protection du travail ; 6. Assurer des campagnes de sensibilisation et d’information sur la problématique du stress au travail ; 7. Assurer la formation continuée des médecins et futurs médecins généralistes à la problématique du stress professionnel et burn-out ; 8. Mettre en place une permanence téléphonique et un site Internet liés au stress au travail et au burn out ; 9. Entretenir une réflexion sur l’organisation et le sens du travail ; 10. Veiller à l’implication et à la motivation des directions dans l’impulsion des projets ; 11. Viser l’obtention de résultats concrets et visible ; 12. Pointer la place des ergonomes dans l’approche de la promotion du bien-être, et ce pour leurs compétences dans l’organisation du travail ; 13. Réaliser un cadastre des initiatives de promotion de la santé et du bien-être au travail ; 14. Favoriser et valoriser la formation des personnes relais en orientation professionnelle au bénéfice des personnes fragilisées ; 15. Développer des liens structurels entre préventif et curatif ; 16. S’attaquer à la charge psychosociale non seulement en termes de risque mais en termes de promotion du bien-être au travail ; A côté des actions ciblées sur les individus, il est indispensable de penser des démarches portant sur le collectif, notamment à travers des cadres législatifs garantissant protection et droit au bien-être. Cette perspective s’appuiera ensuite sur l’organisation du collectif dans le respect de l’intelligence émotionnelle de tous. Et enfin, il apparaît clairement que l’élaboration de la promotion du bien-être est une responsabilité et un engagement partagé par tous. l Pour en savoir plus : Pelc I., Corten Ph., Yasse Th., Steinberg P. & Nicaise P., Bien-Etre et Santé au travail, propositions de priorités : Région de Bruxelles-capitale, Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé - OMS « Santé, facteurs Psycho-sociaux et Psychobiologiques », Belgique, 2008. Projet subsidié par la Commission Communautaire Française. Synthèse de ce livre blanc accessible sur : : http://homepages.ulb.ac.be/~phcorten/ CentreCollabOMS/CCOMSBelg.html 1 Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé OMS, « Santé, facteurs psycho-sociaux et psycho-biologiques », Belgique. 2 Voir encadré. 3 Conférence d’Helsinki, OMS, 2005. 4 Lors de sa constitution en 1948, l’OMS définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». 5 SIPP – Service Interne de Prévention et de Protection au travail. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER ce qui relève de la sphère du travail et celle du privé fait également l’objet d’un débat. L’employeur ou l’institution ne peut, ni ne doit tout prendre à sa charge. 37 La gestion des risques psychosociaux L’AR du 17 mai 2007 spécifie que la charge psychosociale se définit comme toute charge, de nature psychosociale (relation de l’individu à son travail, et avec les autres), qui trouve son origine dans l’exécution du travail, et qui a des conséquences dommageables sur la santé physique ou mentale. La surcharge psychosociale, génératrice de troubles, se situe dans les écarts entre les contraintes perçues et les ressources estimées, écarts que le travailleur ne parvient pas ou plus à réguler. Nathalie LIONNET Setca L’analyse de risques I dentifier et analyser ces tensions et les mettre en relation constitue une étape-clé de l’intervention visant une prévention durable des risques psychosociaux au travail. L’employeur est responsable de la réalisation de l’analyse de risques mais celle-ci sera accomplie avec la collaboration du conseiller en prévention psychosociale qui tiendra compte : - Du contenu du travail : sa complexité, l’autonomie des travailleurs, la surcharge, le rythme... ; - Des conditions de travail : la répartition du temps de travail, les possibilités de formations ; - Des conditions de vie au travail : le bruit, la charge physique, l’agressivité ... ; - Des relations de travail : la participation des travailleurs au processus de décision, le soutien, la concertation sociale. La prévention des risques L’employeur détermine alors les mesures de prévention qui doivent être prises. L’accent est mis non pas sur la protection et la surveillance médicale mais sur la prévention des risques : - La prévention étant l’ensemble de mesures prises dans l’organisation, en général, pour un groupe 38 Confluences N°20 Août 2008 défini ou au niveau de l’individu, en vue de prévenir des risques et d’éviter ou de limiter les dommages ; - Le risque étant la probabilité que les effets néfastes se produisent dans certaines conditions. Cette nouvelle approche présente l’avantage de laisser une marge de manœuvre pour résoudre de façon créative les problèmes de bien-être au travail et mettre en place un système dynamique de gestion des risques. Un processus participatif Ce processus dynamique gagne à s’inscrire dans un processus participatif car si le conseiller en prévention est un expert de par ses compétences en matière de santé, sécurité et bien-être mais aussi un facilitateur en raison de son équité et de son indépendance, il est néanmoins indispensable d’obtenir la collaboration tant de la ligne hiérarchique (moyen de se rapprocher des travailleurs et de développer des relations humaines plus propices au bien-être optimal, physique, humain et économique de l’entreprise) que des travailleurs et de leurs représentants qui possèdent une expérience et une connaissance approfondie des différentes circonstances de travail : activités, conditions physiques et sociales. S’inscrire dans ce type de démarche permet de reconnaître l’existence de ce type de souffrance et d’en limiter le dommage. Et en psychiatrie ? Il est clair que de par la spécificité des patients qu’il accueille, le monde de la psychiatrie peut entraîner une souffrance spécifique. Est-elle totalement évitable ? Non, car nous sommes dans le profondément humain. Mais reconnaître son existence, c’est déjà reconnaître le travailleur dans sa difficulté et non pas dans sa faiblesse. Cette souffrance est-elle propre aux soignants ? Je ne le pense pas car s’il y a bien un univers fonctionnant dans l’interdisciplinarité, c’est celui-ci. La souffrance touche l’ensemble des travailleurs, d’autant plus s’ils sont peu formés. Deux exemples vécus me viennent à l’esprit. Linda est technicienne de surface et lingère dans l’hôpital X. Elle gère le linge des patientes. Madame Y ne se change pas régulièrement. C’est Linda qui le constate au quotidien et qui va aider la patiente à se prendre en charge. Linda n’est pas soignante, et pourtant elle entre en relation « de soins » avec Madame Y. Rudy est menuisier au sein d’une institution Z et a réalisé une bonne partie du mobilier. Pourtant, régulièrement, le mobilier est détruit par de jeunes patients. Un jeune va accompagner Rudy lors de la réparation du meuble détruit. Rudy n’est pas formé à la psychiatrie et pourtant, il intervient dans le processus de soin. Comment aborder le patient, que faire, que dire, quel sens donner à cette énième réparation probablement éphémère. Quel est le projet institutionnel ? Quelle est ma place dans ce projet ? Et comment rester à la juste place qui est la mienne ? Ces questions demandent une réponse. La formation est une voie à prospecter car elle augmente la compétence du personnel tant en termes de savoir, savoir-faire que de savoir-être. Il apparaît indispensable d’inscrire ce personnel dans des projets de formation en lien avec le vécu quotidien des patients (l’agressivité, le projet institutionnel, ...). Reconnaître cette problématique Nous nous sentons souvent démunis face à cette souffrance au travail. Parfois même, elle semble faire inévitablement partie du travail… Et pourtant des outils existent : une analyse de risque, une gestion participative et dynamique des risques liée à une saine concertation permettent de dégager des solutions adaptées à chaque institution. Le premier pas sera de toute évidence de reconnaître l’existence de cette problématique et son lien avec le travail. l Le bien-être des professionnels en SSM Laure DE MYTTENAERE Assistante sociale Service de santé mentale de Jemelle Etudiante en sciences de la santé publique1 (UCL) Un face à face de souffrance T ravailler avec la souffrance est d’autant plus complexe que, selon Lucie Biron2, la société actuelle ne laisse plus de place à la souffrance des individus ; ceux-ci ont l’obligation d’être heureux ! L’intervenant psychosocial devient, dès lors, un « expert de la résolution de problèmes ». Il n’a droit ni à l’échec ni à la reconnaissance de ses limites. Face à l’ampleur des problèmes sociaux, l’intervenant risque de surinvestir son travail sans reconnaître ses limites et pourrait ainsi être sujet à l’épuisement professionnel. Le travail comme réalisation de soi S’il peut être à l’origine d’un mauvais état de santé pour diverses raisons - insatisfaction, perceptions négatives, stress, conditions de travail, attentes individuelles incompatibles avec la réalité…-, le travail intervient également de manière essentielle dans la réalisation d’un individu. Christophe Dejours3, psychiatre français, rejoint Estelle Morin4, auteur canadien, en affirmant que certaines organisations favorisent la reconnaissance du travailleur. Cette reconnaissance est une manière de passer de la souffrance (liée à l’échec, à la confrontation au réel) au plaisir (lié à la reconnaissance lorsqu’une situation difficile a pu être dépassée). Ce plaisir permet de passer du « faire » à l’« être » en développant l’identité personnelle et l’accomplissement du travailleur qui, ensemble, constituent l’armature de la santé mentale. Pour cet auteur, le travail est donc médiateur de santé. Et si, avec lui, on considère le travail comme un vecteur de santé, que peut-on mettre en place pour promouvoir la santé des travailleurs ? La vocation…, danger ou source de plaisir pour le travailleur ? Certains grands auteurs semblent en désaccord sur ce point ! En effet, pour Estelle Morin5 ainsi que pour Wrzesniewski et al.6, la représentation du travail peut être de trois ordres : un travail vécu comme emploi (gagner sa vie), ou bien comme carrière (énergie, compétition), ou encore comme vocation (essentielle, accomplissement). Dans le troisième cas, le travail est un plaisir et influence positivement la santé. Par contre, Guéritault-Chalvin et Cooper7 font remarquer que « le don de soi aux autres » peut finir par coûter très cher et engendrer le burn-out ! « Le phénomène de burn-out est reconnu comme représentant une véritable menace pour les professions à vocation sociale… ». Dès lors, quel sens peut-on donner à notre travail ? Un sujet à creuser8 Selon A. Deccache9, de nombreux facteurs influencent les comportements de santé d’une personne : non seulement les facteurs liés à la personne elle-même (d’ordre social, psychologique, socioculturel, cognitif ou psychosocial), mais aussi l’ensemble des facteurs organisationnels et politiques qu’on ne peut négliger dans le cadre de l’analyse du bien-être d’un travailleur. Il faut également noter l’importance des facteurs liés aux intervenants (gestionnaires ou collègues) ainsi que toutes les influences de l’ordre des interactions, du relationnel. Sur huit années de travail, j’ai eu l’occasion de rencontrer tant des travailleurs éprouvant du bien-être dans l’accomplissement de leurs tâches que des personnes à la recherche de sens pour simplement se sentir bien, être bien, quotidiennement, dans leur travail en lien avec des personnes sans repères, souffrant de mille maux. Bien entendu, la santé n’est pas statique et la perception de celle-ci varie en fonction des moments de vie de l’individu. Appel à témoignages Ces réflexions font l’objet de mon mémoire en Santé publique et pour poursuivre ma recherche, je souhaiterais rencontrer des travailleurs en service de santé mentale. Mon projet est de mieux comprendre leur souffrance ou leur bien-être et de réfléchir, avec eux, à partir de leurs expériences, à la manière dont le travail en santé mentale pourrait accroître leur qualité de vie sans dégrader leur santé. Idées et témoignages bienvenus !10 l 1 C’est dans ce cadre que se situent les réflexions proposées dans cet article ; elles font l’objet du projet de mémoire de l’auteur. 2 Voir bibliographie p.48, Référence 3, pp.163-177. 3 DEJOURS C., Voir article en pp.44-47. 4 Voir bibliographie p.48, Référence 31. 5 Voir bibliographie p.48, Référence 32. 6 Voir bibliographie p.48, Référence 49, pp. 21-33. 7 Voir bibliographie p.48, Référence 19, pp.59-70. 8 C’est le projet de l’auteur dans le cadre de son mémoire en sciences de la santé publique. 9 Deccache A., Comprendre les comportements de santé : cadre explicatif général, 1996. Unité d’Education pour la santé à l’UCL. 10 Laure De Myttenaere 8 [email protected] - SSM de Jemelle Avenue de Ninove, 32 - 5580 Jemelle ( 084/344226 Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Le professionnel de service de santé mentale est confronté, au quotidien, à la détresse de ses patients. A force d’entendre leurs difficultés et de travailler avec celles-ci, sa santé n’est-elle pas exposée à un déséquilibre ? En effet, malgré sa formation, il n’en reste pas moins un être humain avec ses propres soucis face à d’autres êtres humains en souffrance. Travailler avec la souffrance de l’autre, au jour le jour, n’est pas chose simple… 39 Prévenir la souffrance et contrer la violence Expression exacerbée de la souffrance, la violence s’exprime de mille manières. Elle régit les rapports quotidiens entre les hommes en matérialisant la fragilité de notre existence, de notre bien-être, de notre sécurité. Elle nous rappelle sans cesse et de manière angoissante que rien n’est définitivement acquis et que nous vivons d’incertitude. Rachel GARCET Responsable de la gestion des ressources humaines à l’AIGS1 Propos recueillis par Christine Gosselin - IWSM L ’AIGS est une Asbl qui a une assise en région liégeoise depuis près de 45 ans. Elle est engagée depuis une vingtaine d’années dans des projets de collaborations et de partenariats européens dont le programme Léonardo. Dans ce cadre, l’AIGS réfléchit avec des experts du champ de la santé mentale à aider les professionnels à faire face aux nouvelles situations d’intervention dans le secteur tertiaire social. Cela s’organise dans une logique de dissémination « formation de formateurs ». Elaborer des stratégies de réactions non violentes Plus récemment, les partenariats se sont tissés autour de la prise en compte de la violence comme phénomène de première importance. Les recherches ont été menées dans le cadre du programme européen Daphné. Trouver des contenus formatifs à destination des professionnels du secteur psycho-médico-social et promouvoir une réflexion sur les mécanismes d’expression de la violence sont devenus une nécessité. Ces contenus formatifs permettent au travailleur d’élaborer des stratégies de réactions non-violentes. Jusqu’à présent, différents programmes de formation professionnelle ont été élaborés dans le cadre de ces partenariats européens. 40 Confluences N°20 Août 2008 Réfléchir à partir de situations complexes Le premier, « Joconda », a été conçu par des cliniciens du domaine de la santé mentale, spécialisés dans le traitement des problèmes d’abus sexuels et de maltraitance intrafamiliaux. Ces situations complexes, à haute charge émotionnelle, amènent les intervenants à s’interroger sur la pertinence, la légitimité et l’efficacité de leurs interventions. Le programme de formation a été construit à partir de situations fictives selon une méthodologie interactive. L’apprenant est invité à explorer une situation et à acquérir des connaissances sans se replier sur des certitudes de manière à approfondir la réflexion sur sa pratique professionnelle. Comprendre les phénomènes de violence développe un programme de prévention des phénomènes de violences sur les lieux de travail dont les premiers cycles de cours2 ont été donnés en mai 2007. De façon opérationnelle, « Baltimédia »3 se veut un programme de formation transversal, c’est-à-dire destiné à des professionnels du secteur psycho-médico-social : revalidation, santé mentale, aide aux personnes, formation professionnelle, insertion. Il se veut aussi un outil de communication et de sensibilisation au contenu de la loi belge qui en a donné un cadre précis de définitions en juillet 20024. La Belgique est en effet un des pays les plus avancés sur ce point en termes de législation. Désormais, la violence sur les lieux de travail peut être examinée et abordée par l’entreprise, en entreprise. « Baltimédia » propose aussi un module de méthodes d’analyses des risques et un module d’interventions en situation de crise. Cette dernière partie du programme de formation a été construite grâce aux apports de l’ULG 5. Leurs équipes de recherches ont développé deux outils dont le contenu a été repris au bénéfice du SPF6 : le vade mecum du diagnostic des souffrances relationnelles au travail et celui sur l’intervention en situations de crise. Le second, « Jocaste », propose différents modules qui se présentent comme des introductions aux phénomènes de violence : sensibilisation à la violence, violence et femme, violence et handicap, violence en lien avec les contextes d’intervention. La formation a été rendue possible grâce au Fonds de l’APEF7 qui a permis de financer les formateurs intervenants dans le cadre du programme orchestré par l’IEFC. Et les prévenir Par ces formations, l’AIGS vise à prévenir la souffrance et les phénomènes de violence en développant des savoirs et des compétences. Le dernier programme de formation professionnelle développé par l’AIGS, « Baltimédia », Parler de prévention, c’est en référer aux types Informer à tous les niveaux L’un des objectifs de « Baltimédia » est effectivement d’assurer l’information à toutes les parties concernées : employeur, membres de la ligne hiérarchique, travailleurs, conseillers en prévention, personnes de confiance et délégués syndicaux. La formation n’est toutefois accessible qu’à un groupe de 30 personnes à la fois. Nous assurons la formation une fois par an dans l’entreprise, à raison de 4 heures par mois, de septembre à juin. Cela permet à tous de participer à une culture d’entreprise dans laquelle les personnes développent des relations respectueuses entre elles. S’appuyer sur des professionnels ressources Toujours dans le cadre de l’application de la loi, l’Asbl AIGS a choisi des personnes ressources nouvelles dans son organisation - deux personnes de confiance - en privilégiant certains critères : critère de genre (une femme et un homme), d’ancienneté dans l’Asbl, de maturité, d’appartenance sectorielle (l’un issu de la santé mentale, l’autre de la réadaptation fonctionnelle). L’Asbl a détaillé dans son règlement de travail les fonctions respectives du conseiller externe en prévention charge psychosociale, des personnes de confiance dans l’entreprise, du conseiller interne en prévention et de la ligne hiérarchique. Assurer l’accueil, dans l’entreprise, d’un travailleur au sujet de l’expression personnelle de son mal-être professionnel est un changement dans l’approche des phénomènes de violence sur les lieux du travail. Les concepts de prévention se sont également transformés. Le conseiller externe en prévention charge psychosociale est désigné par l’employeur, après accord préalable de tous les membres représentant les membres du personnel au sein du Comité de Prévention et Protection au Travail (CPPT), il est spécialisé dans le domaine des aspects psychosociaux du travail et des actes de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail. La personne de confiance est chargée d’apporter accueil, écoute, aide, conseil aux travailleurs concernés par la problématique d’actes de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail. Dans l’entreprise, la personne de confiance assure en toute confidentialité la première étape dans l’expression personnelle d’un mal-être professionnel. Elle peut renseigner sur les procédures à suivre en toute discrétion. Enfin, à noter que la personne de confiance à l’AIGS, contrairement au conseiller externe en prévention, ne fait pas de médiation dans la résolution du conflit. En guise de bonne pratique, l’AIGS s’est également dotée de cercles de qualité 8 dans chacun de ses services. Prévention, protection et répression Le cercle de qualité permet la rencontre de l’ensemble des travailleurs du service. Les thèmes abordés et les orientations prises dans le cadre des cercles de qualité tiendront compte à la fois de la satisfaction de l’intérêt du client, de la satisfaction de l’intérêt du professionnel et de la satisfaction de l’intérêt du pouvoir subsidiant dans le cadre des services subsidiés issus du non marchand. L’arrêté royal du 11 juillet 2002 relatif à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail a été abrogé par l’arrêté royal du 17 mai 2007 relatif à la prévention de la charge psychosociale qui reprend cependant, en les modifiant, les dispositions spécifiques relatives à la prévention de la violence et du harcèlement au travail. De même les dispositions spécifiques concernant la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail contenues dans le chapitre V bis de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail ont été maintenues et modifiées par les lois du 10 janvier et du 6 février 2007. La loi de 2002 veut créer des ressources dans les entreprises pour parer aux situations de souffrance. Elle a intériorisé qu’il y avait dans toutes les entreprises un dispositif de prévention mais aussi un dispositif de protection et de répression. La norme de protection est devenue une règle de droit. l 1 Association Interrégionale de Guidance et de Santé Asbl : www.aigs.be 2 Formations données dans le cadre de l’IEFC (Institut Européen de Formation Continuée) : www.iefc.be 3 Le programme de formation pourrait être rebaptisé prochainement « nice work » dans le cadre de l’année académique 2008-2009. 4 Voir encadré. 5 Université de Liège, Département de Psychologie du Travail. 6 Service Public Fédéral. 7 Association Paritaire pour l’Emploi et la Formation. 8 Voir encadré. DOSSIER d’organisation. Pour chaque contexte organisationnel, une typologie des organisations est à considérer afin de déterminer une politique préventive adaptée. Chacun est concerné par cette politique de prévention. Confluences N°20 Août 2008 41 Oser l’informel, la solidarité et le partage émotionnel A de nombreuses reprises, des patients bienveillants disent : « Et bien docteur, ça ne doit pas être facile d’écouter tous les jours les misères des autres… » Très professionnellement, et afin de ne pas détourner le sujet de la consultation, je réponds quelques mots du genre : « Bien, c’est quelque chose qui s’apprend, cela fait partie intégrante de notre métier pour rester soi en santé mentale et capable d’aider encore. » Mais à vrai dire, si la formule vise à rassurer le patient, il serait tout à fait faux de nier les charges émotionnelles que nous, soignants de la santé mentale, sommes amenés à rencontrer. Françoise DUMONT Médecin psychiatre Chef de clinique responsable de l’unité diagnostique et consultation Hôpital Vincent Van Gogh, Marchienne-au-Pont En marge des procédures… L es structures hospitalières disposent de façon officielle de procédures formelles en cas de situations de stress particulières (agressions, harcèlement …) et un conseiller en prévention est accessible, mais qu’en est-il des microtraumatismes émotionnels ? … des émotions à vivre au quotidien Il risque donc fortement d’y avoir une sorte de progression « en escalier », chaque marche n’étant pas bien haute par rapport à la précédente mais menant petit à petit à la souffrance, à la surcharge émotionnelle. mois auparavant ; celle-ci s’était par la suite réfugiée avec leurs deux enfants dans un foyer pour femmes battues … Il y a ces demandes qui nous confrontent à notre propre impuissance, sentiment violent qui, s’il n’est accepté, est en lui-même source d’une sournoise torture. Il y a ce sentiment de manipulation occasionnel. Ainsi notre propre baromètre émotionnel risque souvent de bondir dans le rouge et il n’est pas question de recourir à une aide formelle pour se remettre en situation de calme. Ceci d’autant moins que les consultations doivent se poursuivre … et tout de suite ! De là l’importance de bien se connaître, de s’autoriser à sentir l’émotion montante et de l’accepter ; qu’il s’agisse de tristesse, de peur ou de colère … sans se laisser submerger par celle-ci. Apprendre à bien se connaître Ceux-ci ne sont-ils pas le plus souvent banalisés par l’institution dont la hiérarchie, au moins administrative, n’est pas en contact direct avec cette réalité de terrain ou par le soignant lui-même qui aura tendance à « encaisser », parfois même à banaliser et accumuler ces microtraumatismes ? Ne risquent-ils pas de passer à la trappe des procédures formelles mises en place et de progressivement gangrener le soignant, de manière insidieuse et progressive, bien davantage que les situations de crise visées par la mission du conseiller en prévention ? … D’autant que le temps est denrée rare à l’hôpital et qu’il faut souvent rapidement passer à une autre tâche, à une autre situation chargée émotionnellement. 42 Confluences N°20 Août 2008 Il y a tout d’abord les émotions de nos patients eux-mêmes, avec lesquelles on risque d’entrer en résonance. Je pense à cette dame m’expliquant l’horreur de la mort de son petit-fils de 18 ans anéanti dans une coulée de béton, ou à la douleur de cette mère, privée depuis 7 ans de tout contact avec ses enfants enlevés par le père, à la détresse de cet homme ayant fuit la guerre… Il y a aussi les situations quotidiennes qui génèrent bien humainement de la tristesse, comme par exemple la mort brutale de l’un de nos patients. Il y a également, à de nombreuses reprises, des situations qui génèrent la peur ; je pense ainsi à ces menaces proférées par un patient délirant dont j’avais reçu l’épouse en consultation quelques Trouver « la bonne distance », pour pouvoir accueillir le patient avec bienveillance, lui manifester de l’empathie, l’écouter avec humanité en restant professionnel, et le raccompagner à la porte à l’issue d’une consultation de 20 minutes en ayant le sentiment d’avoir raisonnablement bien rempli sa mission de soignant sans trop de frustration …, tout cela relève d’un véritable travail d’équilibriste qui fort heureusement s’acquiert par la formation, la supervision et l’expérience. Mais l’équilibre est fragile et le soignant reste (fort heureusement) un être humain vulnérable. Il se trouve fréquemment, de manière consciente ou non, dans un état de stress loin d’être anodin. Et un fond de tristesse, de peur ou de Pouvoir déposer son émotion Pouvoir déposer délicatement son émotion plutôt que d’attendre qu’elle se décharge violement. Ca semble simple mais cela nécessite une grande confiance et une grande humilité entre les collaborateurs susceptibles de pouvoir s’aider, s’écouter et entendre le trop plein émotionnel généré par des situations difficiles. Pour un management de type « humaniste » colère peut tisser le sol sur lequel il va asseoir la consultation, le contact suivant. S’aider des outils existants Disposer d’outils de régulation émotionnelle va alors s’avérer précieux pour le soignant, et je pense notamment ici à diverses techniques de « mindfulness » visant à une bonne gestion du stress1. Le travail continu de supervision et le partage lors des réunions d’équipe sont indispensables aussi. Il est également parfois utile de ne pas vouloir à tout prix rester seul avec cela, là, ici et maintenant ! Responsable d’un service de psychiatrie ambulatoire qui comprend du personnel de nursing et des psychologues en nombre et qui accueille des patients présentant des pathologies de niveaux très différents, j’ai pu expérimenter l’intérêt et la richesse de cultiver la possibilité d’une forme de solidarité informelle permettant en quelques minutes, et sans rompre le secret médical, de communiquer, sans se répandre, des émotions difficiles vécues dans une situation immédiate, de visu ou parfois par téléphone. Je pense à cette récente consultation difficile au cours de laquelle je me suis progressivement sentie manipulée et menacée par un jeune patient en attente d’une reconnaissance d’invalidité injustifiée. Au terme de cette entrevue, j’étais en proie à des émotions négatives très variées : l’insatisfaction, la peur et la colère en étaient. Je me sentais bouleversée et fragilisée pour les consultations ultérieures. Consciente de tout cela, j’ai pu compter sur cet échange téléphonique avec l’une des collaboratrices psychologue de l’unité. Quelle richesse de pouvoir parler brièvement de son vécu, le déposer et éviter que ces émotions difficiles persistent pour la consultation suivante ou ne se transforment en sentiments parasites déversés sur le personnel proche, à la première étincelle. Le projet est ambitieux surtout dans une grande institution où les conflits, voire rivalités, internes ne sont pas rares, et la tentation est grande de « garder pour soi » ce qui gagnerait pourtant à être rapidement exprimé. Cela implique aussi que la notion de hiérarchie s’applique en termes de répartition des tâches, responsabilités et pouvoir d’organisation, mais n’implique pas une hiérarchie entre les hommes. Garder la possibilité de percevoir un collaborateur juste comme un être humain, quel que soit son titre, son « grade », c’est-à-dire un être émotionnel, et se montrer également à lui comme tel, sans jugement de valeur, voilà ce que je crois être primordial dans les stratégies informelles. l 1 Références sur www.mindfulness-belgium.net & www.ecsa.ucl.ac.be/mindfulness/ Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Artistes Anonymes, Barbara Cela nécessite un grand travail préparatoire et surtout, l’instauration d’une culture, d’un management de type « humaniste » trop souvent exclu des institutions de soin. Je pense personnellement que la décision de ce type de management est le propre des acteurs du terrain, indépendamment du choix de la politique de management des administratifs, sans nier leur rôle dans la facilitation ou non de ce climat propice à cet informel préventif et curatif de la souffrance du soignant. 43 Le travail entre espoir et désespoir Par les temps qui courent, il est de bon ton, lorsqu’on parle du travail, de le considérer a priori comme un malheur. Un malheur socialement généré. Et de fait, il faut bien reconnaître que l’évolution du monde du travail, y compris sous nos climats, est assez préoccupante ; pour le clinicien d’abord, pour les travailleurs sociaux ensuite, pour les gens ordinaires enfin, inquiets des conditions qui seront faites à leurs enfants dans un monde du travail désenchanté. Et pourtant, au moment où il faut déplorer les dégâts psychiques engendrés par le travail contemporain, ce même travail peut aussi être invoqué comme instrument thérapeutique essentiel pour des personnes souffrant de troubles psychopathologiques chroniques1. Entre ces situations qui peuvent paraître extrêmes, on peut notamment interroger la place du travail dans la formation de l’identité et de la santé mentale2. Une réflexion utile, quelle que soit l’inscription sectorielle du travailleur. Interroger la souffrance des soignants, c’est aussi questionner sa situation de travailleur. Christophe DEJOURS Psychiatre, psychanalyste, Directeur du Laboratoire de psychologie du travail à Paris P ar rapport à une vision souvent noire du travail, il faut bien relativiser la souffrance résultant des contraintes qu’il impose à ceux qui ont un emploi, dès lors qu’on se penche sur le sort fait à ces femmes et à ces hommes lorsqu’ils sont licenciés de leur entreprise ou lorsqu’ils sont privés de toute possibilité d’accéder un jour à un emploi. Il y a donc sur le terrain des situations fortement contrastées. Vient inévitablement la question de savoir s’il est possible de rendre raison des contradictions que l’on observe en clinique, en psychodynamique et en psychopathologie du travail. C’est possible, en effet, si l’on prend au sérieux la thèse, qu’avec un certain nombre de chercheurs et philosophes à travers le monde (D. Kergoat, H. Hirata, JP. Deranty…) nous soutenons ; à savoir : la thèse de « la centralité du travail ». La thèse de la centralité du travail se déploie dans quatre domaines : 1) Dans le domaine individuel, le travail est central 44 Confluences N°20 Août 2008 pour la formation de l’identité et la santé mentale ; 2) Dans le domaine des relations entre les hommes et les femmes, dans l’inégalité et dans les rapports de domination qui organisent ce qu’il est désormais convenu de désigner sous le nom de « genre ». Dans les relations entre hommes et femmes donc, le travail joue un rôle central, étant entendu ici que, par travail, il ne faut pas entendre seulement le travail salarié mais aussi le travail domestique. Et cela retentit jusque sur l’économie de l’amour et même sur l’économie érotique ; 3) Dans le domaine politique aussi, on peut montrer que le travail joue un rôle central vis-à-vis de l’évolution de la cité tout entière ; 4) Enfin on distingue une quatrième centralité qui concerne cette fois la théorie de la connaissance. Le travail, là aussi, joue un rôle central qui n’est rien d’autre que ce grâce à quoi sont produites les nouvelles connaissances. Le noble statut de la connaissance supposément suspendu au dessus des contingences du monde des mortels, doit être revu de fond en comble dès qu’on considère le processus de production de la connaissance et non la seule connaissance. C’est ce qu’on appelle la « centralité épistémologique » du travail. Je ne parlerai pour aujourd’hui que de la première dimension, celle de la centralité du travail vis-à-vis de la formation de l’identité et vis-à-vis de la santé mentale. Les pathologies liées au travail contemporain Le travail dans ses formes contemporaines est à l’origine d’une augmentation des pathologies mentales. On peut tenter de classer ces dernières en 5 catégories : Les pathologies de surcharge en particulier le burn-out Syndrom, le Kâroshi, les troubles musculo-squelettiques ; Les pathologies qui compliquent les agressions dont sont victimes les travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles, agressions qui viennent des usagers, des clients, des élèves des écoles et collèges, etc…Notamment dans les activités de service, depuis les vendeuses de supermarché et les employés du secteur bancaire, jusqu’au personnel des services publics ; Les pathologies des gens qui sont privés d’emploi ou qui sont licenciés, sont aussi extrêmement préoccupantes car elles sont en cause dans l’augmentation des dépressions, de l’alcoolisme et des autres toxicomanies et surtout, dans l’accroissement de la violence qui dégrade peu à peu notre vie quotidienne ; Les pathologies du harcèlement et du mobbing ; Les pathologies dépressives allant maintenant jusqu’aux tentatives de suicide et aux suicides sur les lieux du travail (on peut rappeler le cas de cet homme qui s’était suicidé sur la chaîne de montage de Volkswagen en Belgique, bien étudié par l’enquête documentaire d’Agnès Lejeune pour la RTBF : « la chaîne du silence »). - l’évaluation individualisée des performances ; - la qualité totale ; - la sous-traitance en cascade et le recours croissant aux travailleurs indépendants au détriment du travail salarié. A vrai dire cette évolution des méthodes d’organisation du travail constitue une véritable mutation qui accroît considérablement la pression productive d’une part, l’isolement et la solitude, d’autre part. L’augmentation des pathologies mentales liées au travail résulte pour l’essentiel de la fragilisation engendrée par des méthodes d’organisation du travail qui détruisent les liens entre les gens et qui, à la place de la confiance, de la loyauté et de la solidarité, installent dans le monde du travail le chacun pour soi, la déloyauté, qui déstructurent le vivre-ensemble, et en fin de compte produisent une implacable solitude au milieu de la masse. En deçà de la pathologie, la souffrance au travail Si l’on peut aujourd’hui étudier les ressorts de la pathologie mentale au travail, comment, a contrario, caractériser les conditions qui seraient favorables à la santé mentale ? Pour répondre à cette question, il faut entrer dans la matérialité même du travail, c’est-à-dire aller jusqu’aux gestes, aux idées, aux affects qui forment le cœur de ce qu’on pourrait désigner comme « le travailler ». Le « travailler », comme on dit le souper, le boire, le coucher, ou encore en allemand « das Fragen », « das Suchen ». Le « travailler » ou encore ce qu’on conviendra de caractériser par cette belle expression empruntée à Marx : « le travail vivant ». Depuis que les ergonomes ont procédé à ce qu’on appelle l’analyse ergonomique du travail et de l’activité - où les chercheurs belges ont été des pionniers, A. Ombredanne et J. M. Faverge3 à Bruxelles - , on distingue deux concepts : la tâche et l’activité. La tâche définit l’objectif à atteindre ainsi que le chemin à parcourir pour l’atteindre, c’est-à-dire le mode opératoire. La tâche c’est ce qui est prescrit par l’organisation du travail. Mais on a montré que les travailleurs ou les opérateurs comme on les désigne en ergonomie, ne respectent jamais les prescriptions dans leur intégralité. En toute circonstance, y compris dans les tâches qui durent moins d’une minute (voir ici les travaux de Laville et Teiger), les opérateurs « trichent ». Pas seulement par plaisir de transgresser ou de désobéir, mais parce qu’il faut faire face aussi à des anomalies, des incidents, des pannes, des dysfonctionnements, des imprévus qui inévitablement viennent troubler le bel ordonnancement de la production. L’opérateur triche pour essayer de faire le mieux possible, dans le temps le plus court possible. Le réel Tous ces incidents qui viennent perturber les prévisions et les prédictions, c’est ce qu’on appelle le réel. Le réel, c’est ce qui se faire connaître à celui qui travaille par la résistance de la matière, des outils ou des machines à la maîtrise. Il y a donc un paradoxe dans le réel. Alors que j’use d’une technique que je connais bien, voilà que soudain, ça ne fonctionne plus : le « bug » sur l’ordinateur, la pièce qui se casse sous la presse, la machine outil qui surchauffe, le corps du malade qui fait un accident allergique quand je lui injecte un médicament, etc… Or tout travail est ainsi grevé par les irruptions de la résistance du réel. Le réel, donc, se fait d’abord connaître comme un échec. Le travail vivant, c’est ce travail qui consiste à faire l’épreuve du réel. Et cette expérience du réel est d’abord et avant tout affective : elle génère un sentiment de surprise, bientôt relayé par l’agacement et l’irritation, voire par la colère ou par la déception, la fatigue, le doute, le découragement, le sentiment d’impuissance. C’est-à-dire que le réel se révèle d’abord sur un mode affectif. (cf l’expérience affective de la résistance du monde à mon effort chez Maine de Biran) La difficulté avec le réel, c’est que souvent on ne sait pas comment y faire face. On ne connaît pas la solution. Le réel, c’est souvent une épreuve inédite, inattendue, inconnue. Et travailler, alors, cela implique précisément la capacité à faire face au réel, jusqu’à trouver la solution qui permettra de le surmonter. L’intelligence Seulement voilà ! Si la solution, je ne la connais pas, il faut que je la découvre par moi-même, il faut même parfois que je l’invente. En quoi consiste donc l’intelligence dont il faut faire usage pour pouvoir surmonter le réel ? Eh bien cette intelligence, c’est avant tout la capacité de reconnaître le réel, puis d’assumer son impuissance face à ce dernier, sa perte de maîtrise. Et puis surtout, c’est le plus difficile, il faut faire preuve d’endurance : endurance à l’échec. Je ne réussis pas, mais je n’abandonne pas. J’insiste, je persiste, je m’obstine, je cherche. Et parfois cela dure plusieurs jours. J’y repense en dehors de mon travail. J’y pense le soir et je ne peux pas m’endormir. Je fais même des insomnies à cause de mon travail. Et j’en rêve ! L’intelligence au travail, c’est tout cela. Pour inventer ou trouver la solution, il faut s’engager complètement, avec toute sa personne, avec toute sa subjectivité. Et à force d’endurance face à l’échec, je finirai par avoir l’intuition de la solution. Mais, cela mérite d’être souligné, l’intuition naît de l’intimité avec la tâche, avec la matière, avec l’objet technique qui résistent. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER Je m’en tiens à citer seulement ces têtes de chapitres des nouvelles formes de pathologie mentale en rapport avec le travail, pour donner une idée de l’importance des problèmes soulevés dans la pratique, d’une part ; pour insister ensuite davantage sur les raisons et les processus en cause dans une dégradation aussi massive. J’y insiste seulement, mais je n’ai pas le temps aujourd’hui de donner les éléments de ce qu’on appelle techniquement : « analyse étiologique des nouvelles pathologies ». J’insiste donc sur le résultat de l’enquête étiologique : la détérioration de la santé mentale au travail est électivement liée à l’évolution de l’organisation du travail et en particulier à l’introduction de techniques nouvelles, au premier rang desquelles on trouve : 45 Il faut échouer, endurer, recommencer, échouer à nouveau, persister, revenir à l’ouvrage et, à un moment, surgit une idée, la solution, qui est un rejeton de l’échec et de la familiarisation avec l’échec. La solution vient de la capacité à endurer l’échec, c’est-à-dire de la capacité à souffrir. De la souffrance à la formation des habiletés Travailler, c’est donc d’abord échouer. Travailler, c’est d’abord souffrir. Et la solution est une production directe de la souffrance au travail. Ceci mérite d’être souligné. La souffrance n’est pas seulement la conséquence contingente et regrettable du travail. La souffrance est au contraire ce qui pousse le sujet qui travaille à chercher la solution pour s’affranchir - précisément - de cette souffrance qui le taraude. On pourrait montrer que la souffrance est aussi le mode fondamental par lequel se constitue cette connaissance extraordinaire du réel, cette connaissance intime qui est aussi une connaissance par corps (que le philosophe Michel Henry désigne magnifiquement sous le nom de « Corpspropriation du monde »). C’est le corps qui palpe le monde et la résistance qu’il oppose à notre technique. Et c’est de cette connaissance par corps que jaillit à un moment donné l’idée, l’intuition du chemin qui permettra de ruser avec le réel et de le surmonter. C’est ce que les auteurs allemands (F. Böhle, B. Milkau) désignent sous le nom de « subjektivierendes Handeln » et les Grecs dénommaient « mètis ». On pourrait montrer aussi que cette endurance à la lutte avec le réel, conduit finalement à un déplacement de soi. Il faut, en somme, remanier son rapport au travail pour trouver enfin la solution, de sorte qu’en fin de compte, travailler ce n’est jamais uniquement produire, c’est aussi se transformer soi-même. Au terme de cette épreuve, j’ai acquis de nouvelles habiletés, de nouvelles compétences. Je suis plus intelligent après la confrontation avec le réel - la résistance du monde que je ne l’étais avant d’avoir travaillé. 46 Confluences N°20 Août 2008 De cette analyse du décalage entre tâche et activité, entre le prescrit et l’effectif, avec entre les deux le réel, on peut tirer deux leçons : La première, c’est que travailler, c’est fondamentalement combler cet écart entre le prescrit et l’effectif. Ou, pour le dire autrement, c’est ce qu’il faut ajouter aux prescriptions pour venir à bout de la tâche et du réel ; La deuxième, c’est que le travail transforme le travailleur et, dans le meilleur des cas, lui permet de progresser, de s’améliorer, voire de s’accomplir. C’est une première approche du plaisir au travail. C’est tout cela qui est impliqué lorsqu’on parle de « travail vivant » (lebendige Arbeit). Le travail collectif : l’intelligence au pluriel Je pourrais maintenant aggraver encore la description. Car je n’ai parlé que du travail considéré individuellement. Mais dans beaucoup de situations, les gens ne travaillent pas seuls. Ils travaillent avec les autres, ils travaillent pour les autres : on travaille pour un chef, pour ses collègues ou pour ses subordonnés. Travailler ensemble, c’est extrêmement compliqué. Surtout si tout le monde se met à être intelligent ! Car chacun alors trace son propre chemin, élabore ses propres ruses, invente ses propres trouvailles, construit ses propres savoirfaire. Et inévitablement surgit le désordre, voire le chaos ! Invisibilité du « travailler » Mais il y a comme une malédiction sur ce qui est au cœur du travail. Car tout ce dont je viens de parler ne se voit pas et ne peut pas se voir. Les réactions affectives à la résistance du réel et à l’échec ne se voient pas. L’irritation, le découragement, le doute sur sa propre compétence ne se voient pas. Mes insomnies ne se voient pas. Les effets de ma mauvaise humeur sur mon conjoint et mes enfants, cela ne se voit pas sur les lieux du travail. Et lorsque je rêve de mon travail - temps essentiel à la transformation de soi - lorsque j’imagine une solution, mon imagination, comme mes rêves, ne se voient pas. La souffrance d’une façon générale n’appartient pas au monde visible. La souffrance comme tous les affects et les sentiments, comme la subjectivité tout entière, comme « l’amour » aussi, « … s’éprouve les yeux fermés »(C’est encore le titre d’un livre de Michel Henry). Et comme en outre pour aboutir au résultat je suis obligé de ruser, de tricher et d’enfreindre les règlements, je ne peux même pas montrer comment je suis parvenu à résoudre le problème et à surmonter le réel. Donc, l’essentiel du travail est fondamentalement invisible. C’est cela qui constitue une malédiction qui s’abat sur le travail. L’essentiel du travail ne se voit pas. Nouvelle difficulté, considérable, à la vérité. On retrouve ici, au niveau du collectif, à nouveau un écart, un décalage entre les prescriptions, les injonctions à travailler ensemble - c’est ce qu’on appelle la coordination - et ce que font effectivement ceux qui réussissent à travailler ensemble - la coopération - . Entre coordination et coopération, l’écart est énorme. Je n’ai pas le temps de décrire les trésors d’intelligence et d’habileté qu’il faut mobiliser pour combler l’écart entre le prescrit et l’effectif, entre la coordination et la coopération. Mais vous pourrez vous douter que c’est à la fois subtile et fascinant, que cela passe aussi par beaucoup de souffrances, de conflits et de discussions. En d’autres termes, la coopération n’est possible que si les individus s’impliquent dans des conflits et des débats collectifs, c’est-à-dire s’ils prennent des risques. De la souffrance au plaisir au travail Si donc la souffrance est au rendez-vous du travail individuel et du travail collectif, pourquoi donc les gens prennent-ils ces risques pour leur santé ? Pourquoi s’impliquent-ils avec tant d’énergie dans leur travail, dans le travail vivant ? Eh bien, c’est parce qu’en échange de la contribution qu’ils apportent à l’organisation du travail, à l’entreprise ou à la société tout entière, ils espèrent en retour une rétribution. Cette rétribution qu’ils attendent, elle est bien sûr Seulement cette reconnaissance n’est pas uniquement un supplément d’âme ni une simple tape affectueuse sur l’épaule. Au contraire : la reconnaissance passe par des épreuves extrêmement rigoureuses qui consistent en des jugements. Et l’on peut montrer qu’il existe deux types de jugements : le jugement d’utilité et le jugement de beauté. Je n’ai pas le temps de les décrire maintenant. Mais j’indiquerai toutefois que ces jugements de reconnaissance, après lesquels nous courrons tous, ne portent pas sur la personne du travailleur. Non ! Le jugement attendu est un jugement qui porte spécifiquement sur le travail accompli : sur son utilité d’une part, sur sa qualité d’autre part. Seulement lorsque j’obtiens la reconnaissance de l’utilité et de la qualité de mon travail, alors je tire une satisfaction intense de mon rapport au travail. La reconnaissance du travail, c’est ce qui permet de transformer la souffrance en plaisir. Ce par quoi la reconnaissance se distingue du masochisme, c’est que dans ce dernier cas la souffrance est directement source de plaisir grâce à l’érotisation de la souffrance ou de la douleur. En revanche dans la reconnaissance, il s’agit d’un chemin long : c’est le passage par le travail, par l’épreuve du réel, par la souffrance, par la découverte des solutions et par la reconnaissance, que la souffrance est finalement transformée en plaisir. Reconnaissance, identité et santé mentale Une dernière remarque pour ressaisir le rapport entre travail et santé mentale : la reconnaissance ai-je dit, porte sur le travail. Soit ! Mais lorsque la qualité de mon travail a été reconnue par les autres, il m’est alors possible - mais c’est mon affaire personnelle exclusivement - il m’est alors possible de rapatrier la reconnaissance du registre du faire dans le registre de l’être : je suis plus intelligent, plus compétent, plus sûr de moi après le travail qu’avant. De proche en proche, d’étape en étape, je m’accrois moi-même, mon identité s’augmente, éventuellement je m’accomplis. Il serait facile aussi de montrer que la reconnaissance de la qualité de mon travail par mes pairs, fait de moi un technicien ou un artisan comme les autres techniciens, comme les autres artisans, un chercheur comme les autres chercheurs, un psychologue comme les autres psychologues, un chef comme les autres chefs, etc… C’est-à-dire que la reconnaissance me confère l’appartenance à une équipe, à un collectif, à un métier, voire à une communauté d’appartenance. La reconnaissance confère donc en échange de ma souffrance une appartenance qui est aussi une conjuration de la solitude. En résumé, la reconnaissance permet à celui qui travaille de transformer sa souffrance en accroissement de son identité. Or, l’identité est l’armature de la santé mentale. Toute crise psychopathologique est centrée par une crise d’identité. De notre enfance nous sortons souvent plus ou moins cabossés, avec une identité inachevée, incomplète, instable. Le travail, par le truchement de la reconnaissance, constitue une deuxième chance pour bâtir et accroître son identité et acquérir ainsi une meilleure résistance psychique face aux épreuves de la vie. Certaines organisations du travail favorisent la psychodynamique de la reconnaissance et permettent d’inscrire le travail comme médiateur irremplaçable de la santé. A l’opposé ceux qui sont privés de travail, chômeurs de longue durée, chômeurs primaires, ceux qui perdent leur emploi, ceux qui sont licenciés perdent aussi le droit d’apporter une contribution à l’organisation du travail, à l’entre- prise et à la société. Mais ils sont du même coup privés de tout ce pan de reconnaissance et l’on peut mesurer les ravages psychopathologiques et sociaux - en particulier la montée de la violence - qui résultent de la privation d’emploi. Vu depuis le théâtre du chômage, le travail paraît un privilège. Certes ! Mais le monde du travail n’est pas rose pour autant et certaines organisations du travail en vogue actuellement détruisent systématiquement les ressorts de cette dynamique entre contribution et rétribution, déstructurent sans relâche les conditions de la reconnaissance et de la coopération et sapent les bases du vivre ensemble dans le travail. Il faut donc, dans la mesure où l’on vise une action rationnelle dans le champ des rapports entre travail et santé mentale, et pour conjurer la violence sociale, agir sur deux fronts : - celui de l’emploi ; - mais aussi celui de l’organisation du travail. Réenchanter le travail Pour finir, je voudrais souligner que les nouvelles formes d’organisation du travail n’ont rien d’inéluctable. Elles n’ont rien à voir avec une quelconque causalité du destin. L’organisation du travail est une construction humaine. Elle ne se déploie qu’avec le consentement et la collaboration de millions d’hommes et de femmes. Le travail peut générer le pire, jusqu’au suicide, il peut générer le meilleur : le plaisir, l’accomplissement de soi et l’émancipation. C’est grâce au travail que les femmes s’émancipent de la domination des hommes. Il n’y a nulle fatalité dans l’évolution actuelle. Tout cela dépend de nous et de la formation d’une volonté collective de réenchanter le travail. l 1 Comme l’indique, au demeurant, de façon explicite le rapport de synthèse « travail et santé mentale », réalisé dans le cadre du fonds Reine Fabiola pour la santé mentale en 2007. Ce rapport est accessible sur http://www.kbs-frb.be/event.aspx?id=217426&LangType=2060. Il a préparé l’appel à projet « A la rencontre de l’autre au travail, le vécu en guise d’expertise » dont les résultats seront dévoilés le 15 octobre 2008. 2 Ce texte a été prononcé lors de la célébration « 40 ans d’attention pour la santé mentale », Fonds Reine Fabiola pour la Santé mentale (géré par la Fondation Roi Baudouin), Gand, le 9 novembre 2007. 3 Voir bibliogarphie p.48, référence 33. Confluences N°20 Août 2008 DOSSIER d’abord matérielle : le salaire, les honoraires, les primes… Mais il est facile de montrer que ce qui mobilise l’intelligence et le zèle, individuels et collectifs, ce n’est pas fondamentalement, la dimension matérielle de la rétribution ; mais la dimension symbolique. Ce que les gens attendent en échange de leur implication et de leur souffrance, c’est une rétribution morale qui prend une forme extrêmement précise : la reconnaissance. 47 Repères et références bibliographiques 1. 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LES ADMINISTRATEURS = Fabienne Collard – Similes =Jean-Pierre Evlard – LWSM (Ligue Wallonne pour la Santé Mentale) = Micky Fierens – LUSS (Ligue des Usagers des Services de Santé) = Liliane Leroy – FCPF-FPS (Fédération des Centres de Planning Familial des F.P.S.) = Thierry Lottin – Cobéprivé (Confédération belge des établissements privés de soins de santé) =Stéfan Luisetto – Fédito Wallonne (Fédération des intervenants en toxicomanie en Région wallonne) = Robert Sterck – PFC du Centre et Charleroi = Michel Thiteux – FSPST (Fédération des Structures Psycho-SocioThérapeutiques) =Francis Turine – PFC Namur = Maryse Valfer – APOSSM (Association des Pouvoirs Organisateurs de SSM en Wallonie) = Maurice Vandervelden – FIH (Fédération des Institutions Hospitalières) = Thierry Wathelet – Fédération wallonne des Maisons médicales= CONFLUENCES CONDITIONS D’ABONNEMENT « Confluences » est la revue de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale. Elle s’adresse à tous ceux qui y interagissent et, au-delà, à tous ceux qui s’intéressent aux questions de santé mentale. Trois fois par an « Confluences » propose un dossier thématique et donne un écho de l’actualité dans le secteur, en Wallonie ou ailleurs. 4 25 € pour l’abonnement “standard” (3 nOS par an). 4 40 € pour l’abonnement “plus” qui vous donne, en outre, accès aux informations qui circulent au sein de l’association. 4 75 € pour l’abonnement “de soutien”, si vous êtes prêts, en plus, à encourager le projet associatif. 4 Conditions spéciales pour les affiliés des membres de l’Institut. Les colonnes de « Confluences » vous sont ouvertes pour partager votre expérience, témoigner de votre pratique, donner une information, soulever une question,... Et susciter le débat. 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D’interpeller un auteur ? « Les rendez-vous de Confluences » vous invitent, dans la foulée de la publication, à rencontrer les auteurs du dossier et à échanger, de vive voix, vos approches, vos points de vue, vos expériences... Une rencontre conviviale pour mieux se connaître et poursuivre, ensemble, une réflexion en santé mentale. Renseignements ( 081/ 23 50 15 8 [email protected] L’Institut Wallon pour la Santé Mentale, asbl Artistes Anonymes, Delphine. est un organisme d’information, de recherche et de réflexion en santé mentale. Il bénéficie du soutien du Ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des Chances et du Ministre de l’Emploi et de la Formation de la Région wallonne. Avec le soutien du Cabinet du Ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des Chances Institut Wallon pour la Santé Mentale, asbl Rue Henri Lemaître, 78 B 5000 Namur - Belgique ( +32(0)81 23 50 15 - 7 +32(0)81 23 50 16 [email protected] - [email protected] www.iwsm.be