HG Wells - Magnard

Transcription

HG Wells - Magnard
Classiques
& Contemporains
Collection animée par
Jean-Paul Brighelli et Michel Dobransky
H. G. Wells
L’Homme invisible
LIVRET DU PROFESSEUR
établi par
N ATHALIE G OUIFFÈS
professeur de Lettres
SOMMAIRE
DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Le roman victorien : bref panorama ................................................ 3
POUR COMPRENDRE :
quelques réponses, quelques commentaires
Étape 1
Étape 2
Étape 3
Étape 4
Étape 5
Un scientific romance ? ...................................................
Galerie de portraits .............................................................
Le savant fou ..............................................................................
Entre farce et tragédie .......................................................
Griffin : héros, victime ou criminel ? .......................
Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour
Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq
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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE
Le roman victorien : bref panorama
Pour mieux percevoir l’originalité de Wells, il est nécessaire d’ébaucher un tableau,
forcément très partiel, du roman anglais sous l’ère victorienne (1837-1901). Le
roman est alors un genre en plein essor, d’autant que se développe le marché du livre
et qu’apparaît un nouveau public, secrété par les transformations sociales (pour une
étude plus approfondie, on lira avec intérêt l’Histoire de la littérature anglaise, de
F. Laroque, A. Morvan et F. Regard, publié aux PUF, coll. « Premier cycle », 1997).
Deux périodes doivent être distinguées : de 1837 à 1872, le roman réaliste
domine la scène littéraire ; puis la fin de l’époque victorienne (1865-1901) – en partie celle de Wells – voit poindre un certain nombre de doutes.
Le roman réaliste est, à l’instar de ce qui se passe en France à la même époque, une
« fenêtre sur le monde » : le lecteur attend qu’on lui parle de ces « temps modernes »
qu’il connaît, qui le fascinent et suscitent en lui angoisses et interrogations. De fait,
cette littérature lui propose une analyse du monde – c’est même sa vocation première –, un moyen de s’informer et de penser de manière autonome, autant dire de
critiquer. Ainsi Charles Dickens (1812-1870) s’offusque-t-il du sort réservé aux
petites gens, et prend leur parti tout en recherchant « the stern and plain truth »
(Oliver Twist). Le romancier entend ainsi corriger les abus – sans pour autant critiquer radicalement le système économique, social et politique. Appartiennent à ce
courant, outre l’incontournable Dickens : Charles Kingsley (1819-1875) ;
Benjamin Disraeli (1804-1881) ; Anthony Trollope (1815-1882) ; W.M.
Thackeray (1811-1863), qui vise à la franchise absolue (Vanity Fair, 1847) ; les
sœurs Brontë, qui fustigent les moralismes qui étouffent la femme et les désirs féminins (Jane Eyre, 1847 ; Wuthering Heights, 1847) ; George Eliot (1819-1880), enfin,
qui propose « une anatomie de la psychologie humaine ».
Mais – et c’est là la seconde période – la fin de l’époque victorienne voit apparaître
un mouvement de contestation de ce qui fondait l’esthétique victorienne : l’art n’a
pas forcément de visée morale, il peut se nourrir de son propre style, être « sans
attache extérieure » (Flaubert). Ce mouvement prend d’autant plus d’ampleur que
disparaissent, en 1870 et 1880, les deux grands romanciers de l’époque victorienne :
Dickens et Eliot. Oscar Wilde écrit ainsi, dans la Préface du Portrait de Dorian Gray
(1891) : « There is no such thing as a moral or an immoral book. Books are well writ-
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ten, or badly written. That’s all. » ; quant à George Meredith, il refuse d’écrire des
romans dont les leçons apparaîtraient ailleurs qu’au détour d’une conversation ;
Thomas Hardy ne propose lui non plus aucune sagesse chez ses personnages broyés
par la vie, dénués de toute responsabilité et unicité. Bien plus, le romancier, à l’exception de Kipling, ne se conçoit plus comme la voix de la collectivité : l’écrivain est
devenu un être doté d’une sensibilité à part (Henry James). Le savoir devient donc
relatif, la moralité dépend de la sensibilité du sujet, la vérité devient incertaine, personnelle. Des écrivains comme Stevenson et Carroll posent même la question de
l’identité du sujet.
H.G. Wells s’inscrit bien entendu dans cette mouvance « fin de siècle », qui s’interroge aussi bien sur le statut de l’artiste que sur l’identité de l’individu et sur la
nature du réel. Son homme invisible est en effet le reflet des préoccupations de ses
contemporains : il fait éclater le monde étriqué du victorianisme, et interroge sur la
société, le sujet, la science. Coupé du monde qui l’entoure, il est à l’image de l’artiste
de la fin du siècle : différent des autres, peinant à communiquer, à représenter une
vérité qu’il est seul à percevoir.
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POUR COMPRENDRE : quelques réponses,
quelques commentaires
Étape 1 [Un scientific romance ?, p. 242]
1 Dans la plus pure tradition « réaliste », la première phrase définit clairement l’espace temporel : « L’étranger arriva en février », plus exactement le « 29 février »
(cf. p. 32). Les pages suivantes précisent ce cadre : les notations chronologiques abondent, tantôt limpides (le lundi de la Pentecôte, qui court sur plus de trois chapitres ;
le mois d’avril, date à laquelle l’étranger révèle son invisibilité aux yeux de tous et
quitte Iping – prolepse des pages 41 et 44), tantôt plus floues (« dimanche », p. 41 ;
« au crépuscule », p. 42…).
Le cadre spatial est également d’une précision minutieuse, aussi bien dans la topographie (Bramblehurst et Iping p. 15, le Sussex p. 44) que dans l’habitat – l’univers
familier et rassurant d’une auberge cosy, refuge appréciable contre les rigueurs du climat hivernal.
Nulle ambiguïté non plus avec les personnages, doublement nommés : par leurs
patronymes, et par leurs fonctions ou leurs professions. Wells présente ainsi toute la
palette des petits métiers d’un village rural de l’Angleterre de la fin du XIXe siècle :
l’aubergiste, la servante, l’horloger, le cocher…
2 Six « incidents bizarres » ont lieu au cours des six premiers chapitres (p. 24-25,
p. 34, p. 37, à la fin du chapitre IV, aux chapitres V et VI). À chaque fois, un degré
supplémentaire est franchi dans l’étrangeté : il est de moins en moins possible de
mettre ces événements sur le compte d’une quelconque hallucination ou d’une
improbable folie.
3 Pour autant, les villageois tentent quasi systématiquement de recourir à la raison pour expliquer l’inexplicable : Mme Hall mentionne l’obscurité trompeuse
(p. 25), Cuss la folie (p. 46), les villageois la superstition (p. 40 et 58). Les explications se font ainsi de moins en moins rationnelles, de plus en plus hésitantes (« Suisje fou ? », demande Cuss à deux reprises), pour céder la place, in fine, au silence (chapitre V) : l’étrangeté devient un fait incontestable aussi bien que terrorisant.
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4 Pour l’essentiel, Wells a recours dans son roman à la focalisation externe
(« l’étranger » l. 1, « paraissait perdu » l. 31). Quelques traces de focalisation interne
peuvent être relevées çà et là (l. 26-31 par exemple), mais elles demeurent à l’état de
résidus.
Le choix de la focalisation externe permet avant tout d’entretenir le suspense et de
laisser vacantes les motivations de l’étranger, mais également de ne pas partager le
regard critique posé par les villageois sur Griffin (cf. question 6, étape 2).
5 Le chien est, par excellence, l’animal au flair infaillible ; il « sent » tout de suite
l’anormalité de Griffin, ce qui le pousse instinctivement à adopter une position agressive face à l’étrange, à l’inconnu. Le boutiquier misérable de Drury Lane « flairera »
lui aussi l’invisible (cf. p. 184, l.80 et 131). Les sens, au premier rang desquels l’odorat et l’ouïe, sont donc plus aptes à cerner l’invisibilité que la seule intelligence, donnée comme trop cartésienne.
6 Ce dialogue n’apporte aucune solution à l’étrange, donné comme un fait
impossible à interpréter, à cerner de façon ferme et définitive.
7 Les événements paraissent d’autant plus étranges qu’ils se déroulent sur une
toile de fond rassurante – l’auberge chaleureuse, refuge salutaire contre la rigueur
hivernale.
8 On renverra les élèves à la définition du fantastique proposée par T. Todorov
(cf. p. 243) : au fil des six premiers chapitres, le lecteur hésite entre une explication
rationnelle (Cuss est fou, Mme Hall est sujette à des hallucinations…) et une explication surnaturelle, de plus en plus prégnante (l’étranger est bel et bien un homme
invisible).
9 Le chapitre VII est le pivot à partir duquel l’invisible apparaît enfin comme une
donnée incontestable, une prouesse scientifique dont le mystère ne sera levé qu’au
chapitre XIX, et qui classe définitivement l’œuvre dans le genre alors novateur des
scientific romances.
12 La parabole des talents : Matthieu 25, 14-30 et Luc 19, 12-27. La Fontaine, sur
le modèle d’Ésope (VIe siècle av. J.-C.), reprendra cette parabole – qui évoque la rétribution et la responsabilité – dans « L’avare qui a perdu son trésor » (Fables, IV, 20).
La tour de Babel : Genèse 11, 1-9.
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13 Talent vient du grec talenton « plateau de balance ». En ancien français, il prend
d’abord le sens d’« humeur, état d’esprit », puis, jusqu’au XVIe siècle, celui de « désir,
volonté ». Le sens moderne de « don, aptitude (dans le domaine intellectuel ou artistique) » ne prend son sens qu’après la Réforme.
Étape 2 [Galerie de portraits, p. 244]
1 Alors que l’étranger s’est placé dans la pénombre, seule apte à entretenir le secret
de sa véritable nature, Teddy Henfrey est du côté de la lumière (p. 27, l. 94-99). Wells
signale ainsi, de façon toute symbolique, la personnalité franche de l’horloger, d’une
spontanéité qui confine à l’indiscrétion.
2 Wells reprend ici le thème médiéval – très largement exploité dans les fabliaux
– de la « femme qui porte la culotte » : M. Hall, « qui avait l’intelligence plutôt paresseuse » (p. 29), s’adresse en effet à sa femme avec la timidité de qui craint d’être querellé (p. 30-31). Souvent présenté avant tout comme « l’époux de la patronne de l’auberge » (p. 29), dénué d’autorité, plus d’une fois ridicule (par exemple p. 30, l. 172177), porté sur la boisson (p. 29, l. 136-137), il est en somme l’objet de l’ironie bienveillante de Wells (p. 55, l. 13-14), qui en fait un personnage simple et naïf.
3 Les éléments qualifiant Mme Hall sont contrastés : l’aubergiste est certes
curieuse, indiscrète et autoritaire à l’excès avec son mari, mais elle est aussi, et surtout,
sûre d’elle, résolue, pleine de bon sens.
5 La gent féminine n’a globalement pas bonne presse auprès de Wells : hormis
Mme Hall, dont le portrait est finalement plutôt élogieux, les femmes sont l’objet de
toutes les critiques : elles sont paresseuses (Millie est « lymphatique », p. 16), hautaines
(il en va ainsi de la jeune fille qui ignore si superbement Griffin à Londres, p. 153),
alcooliques parfois (la vieille femme au chat, p. 156), crédules (p. 44 : « Il n’y eut que
des femmes pour admettre cette idée ») ; bref, peu dignes d’être aimées (p. 153).
6 L’impolitesse manifeste que Griffin témoigne à ses hôtes est en partie justifiée
par la pitié de Mme Hall – sentiment néfaste, comme le montrera si bien Stefan
Zweig – et par l’indiscrétion d’Henfrey, qui regarde Griffin avec un aplomb gênant
et discourtois. Outre ces facteurs extérieurs, le narrateur atténue davantage encore
l’impolitesse de Griffin en ayant recours à des modalisateurs qui invitent le lecteur à
considérer avec circonspection les propos colportés par les villageois, ainsi que les
méfaits attribués à l’étranger (cf. chapitre XXVI).
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7 Victime toute relative, Marvel est l’archétype du vagabond sympathique, qui
fait naître le rire chez le lecteur par ses bavardages incessants, son attirance irrépressible pour l’alcool, son manque de courage et sa faible intelligence.
8 Le colonel Adye incarne le héros sans peur et sans reproches, qui n’hésite pas à
mettre sa vie en jeu pour arrêter un dangereux criminel. Remarquable par sa grandeur d’âme et son sang-froid, il est un homme de confiance, objet de toutes les
louanges du narrateur – ce que confirment son maintien et sa stature. Pour autant,
son sacrifice est vain, comme si Wells mettait en cause la possibilité même de tout
héroïsme dans l’Angleterre victorienne de la fin du XIXe siècle.
9 Kemp est un bourgeois, savant, à l’esprit rationnel. Figure positive au début (il
fait preuve d’une bienveillance, d’un courage et d’une écoute assez remarquables), il
devient, dès le chapitre XVIII, l’incarnation parfaite du traître (l’ellipse narrative de
la p. 143 signale sa vile dénonciation). Lâche (p. 219), pleutre (p. 227), il fait preuve
d’une arrogance déplacée face à la foule des individus qui lui ont porté secours
(« imbéciles », p. 234, écho direct à « ces ânes-là » de la p. 126). Derrière la façade lisse
du parfait gentleman perce donc la réelle personnalité d’un homme dénué de toute
grandeur d’âme.
10 Wells cherche bien sûr à critiquer la bonne société, prompte à rejeter ceux qui
refusent de se plier aux règles qu’elle a elle-même édictées.
13 Citons Daumier (1808-1879), particulièrement célèbre en tant que caricaturiste
politique, dont le trait féroce et souvent irrévérencieux lui valut, en 1832, six mois de
prison (caricature impitoyable de Louis-Philippe en Gargantua) ; Forain (1852-1931) ;
plus ponctuellement : Nadar (caricature de Baudelaire), Toulouse-Lautrec…
14 En attendant Godot (1953) met en scène deux clochards, Vladimir et Estragon.
L’insignifiance des propos échangés se veut le reflet de la condition humaine : identité problématique, parole en crise, corps délabré…
Étape 3 [Le savant fou, p. 246]
2 En découvrant la formule de l’invisibilité, Griffin accède à la puissance du magicien. Mais les conséquences lui sont doublement néfastes : d’une part, il est exclu par
les autres ; d’autre part, il glisse vers la mégalomanie et la folie, comme en témoigne
son avidité de régner par la terreur.
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Pour autant, la folie ne se déclenche pas d’emblée : Griffin n’est au départ qu’un
caractériel, asocial et maladivement méfiant. C’est l’accumulation des mésaventures
(la jeune Londonienne qui le tient en mépris, l’incontournable pauvreté…) qui le
conduisent à la folie et au meurtre.
3 La thèse de l’auteur est double : il cherche à critiquer une société qui isole ses
génies, en même temps qu’il condamne l’exercice solitaire de la science. Le texte
sonne comme un avertissement – à valeur hélas quasi prophétique – sur les dangers
qui peuvent en résulter.
5 La principale objection concerne la cécité qui aurait dû frapper l’homme invisible. Maurice Renard, grand admirateur et disciple de Wells, n’a pas manqué de le
faire respectueusement remarquer à l’auteur – au point d’en faire le principal sujet
d’une de ses nouvelles, L’Homme qui voulait être invisible : l’individu ne peut pas voir
s’il n’y a plus de « substance » pour « réfracter les rayons lumineux ». Pourtant, Wells
lui-même avait conscience de la difficulté : le texte garde les stigmates de cette interrogation, par ailleurs exprimée sans ambages dans une lettre adressée à un ami, l’écrivain Arnold Bennett : « Toute modification dans l’indice de réfraction des lentilles
oculaires rendrait la vision impossible. Sans cette modification, les yeux apparaîtraient comme des globules de verre et, pour la vision, il est nécessaire que le violet
visuel existe derrière la rétine, en même temps qu’une cornée et un iris opaques.
Partant de ces principes, vous auriez une courte histoire très frappante, mais rien de
plus. »
7 Les rayons X ont été découverts en 1895, soit deux ans seulement avant la
publication de L’Homme invisible. Se référer à une authentique découverte, qui plus
est bouleversante, est un procédé habile pour fortifier dans l’esprit du lecteur la plausibilité des théories de Griffin sur l’invisibilité. Ainsi les failles dans le raisonnement,
que peut flairer le lecteur attentif, s’en trouvent-elles comme camouflées, et le lecteur
continue à adhérer au récit.
11 Psyché, jeune femme qui s’est attirée l’inimitié d’Aphrodite par sa beauté
hyperbolique, a été choisie comme épouse par Éros, qui prend soin de cacher auprès
d’elle son visage et son identité. Ayant péché par curiosité et par doute, elle perd son
divin mari ; devenue alors l’esclave d’Aphrodite, elle est soumise à toute une série
d’épreuves d’une cruauté croissante. Enfin délivrée par son mari, elle connaît l’immortalité et la félicité. Ce personnage mythologique, personnification de l’âme, a
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largement inspiré les écrivains (Apulée, Les Métamorphoses ; La Fontaine, Les Amours
de Psyché et de Cupidon…).
Dans la vie courante, nombreux sont les mots dérivés de façon métonymique de
personnages mythologiques. Pour les objets : Argonaute, Atlas. Pour les animaux :
Arachné. Pour les personnes : Ganymède, Hercule, Narcisse. Pour les plantes : Silène…
12 Personnage biblique (Juges, XVI), philistine, Dalila est l’incarnation de la traîtresse : ayant appris que la force de Samson réside dans ses cheveux, elle en fait son
amant, le rase pendant son sommeil avant de le livrer aux siens. Une telle comparaison prouve le mépris – la peur ? – dans laquelle Griffin tient la gent féminine : à ses
yeux, toutes les femmes sont des Dalila en puissance, fausses et indignes d’être
aimées.
Étape 4 [Entre farce et tragédie, p. 248]
1 Le chapitre VII est le dernier à être résolument comique ; pratiquement toute
la palette des genres comiques s’y trouve employée. La farce, tout d’abord, est omniprésente, essentiellement dans les gestes outranciers des personnages, les chutes, les
coups de bâton et les inutiles bagarres ; l’absurde affleure avec le calme tout flegmatique dont Griffin fait preuve plus d’une fois (p. 70) ; la caricature est lisible avec les
propos exagérés tenus par un témoin ravi d’être le centre d’intérêt de tout un chacun
(p. 66-67) ; quant à la parodie, elle est sensible à travers la bagarre opposant une chemise et un gilet à une foule désorientée. La supériorité de l’homme invisible sur les
villageois désorganisés et paniqués n’en apparaît que plus nette.
2 Le nez en carton donné à Mme Hall est un pied de nez à la rationalité recherchée par l’aubergiste (p. 64, l. 91-100). Quant au gant lancé à la figure de Jaffers, c’est
bien entendu une parodie de la demande en duel… sauf qu’ici le duelliste fuit le
combat et disparaît sous les yeux même de celui qu’il a offensé. Griffin profite de la
supériorité que lui confère l’invisibilité pour se jouer de ces villageois qui ont tant
médit de lui.
3 Si Marvel a toutes les caractéristiques du personnage de farce, simple d’esprit et
qui s’attire les coups par ses maladresses, il n’en demeure pas moins que le chapitre se
colore insensiblement d’une nuance tragique : le vagabond est physiquement menacé
par Griffin (p. 80), et devient entre ses mains un simple instrument, dénué de toute
volonté – le chapitre XV concrétisera les dangers extrêmes qu’il encourt à se rebeller
contre l’homme invisible.
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4 La missive envoyée à Kemp (p. 214-215), l’acharnement avec lequel Griffin
s’évertue à pénétrer dans la maison du docteur, les meurtres du colonel Adye et de
Wicksteed, la chasse à l’homme et l’omniprésence du champ lexical de la mort sont
les principaux éléments qui font des chapitres XXVII et XXVIII des chapitres éminemment tragiques. La visée cathartique de Wells ne fait pas de doute : en conformité avec la théorie aristotélicienne, il s’agit de susciter la terreur – pour mettre en
avant les dangers qu’il y a à manipuler inopinément la science –, et la pitié – pitié à
l’égard de Griffin, victime de la société aussi bien que de sa propre déraison.
7 Le soleil accentue le tragique de la situation finale : la chaleur qu’il procure crée
un climat pesant, qui incite tout un chacun à rester chez soi (p. 231, l. 83-84), et met
en évidence l’isolement total de Griffin (on pourra renvoyer les élèves à la scène de
l’assassinat dans L’Étranger, de Camus, où le soleil joue un rôle primordial). Débutant
dans le froid hivernal de février, le roman se clôt dans la chaleur retrouvée du mois
de juin, à une époque où la nature reprend pleinement ses droits – et Griffin ne s’estil pas montré contre-nature ?
10 Le tableau de Pieter Bruegel l’Ancien se trouve au Kunsthistorisches Museum
de Vienne. Parmi les nombreux jeux représentés, on peut notamment identifier : la
toupie, le saute-mouton, la balançoire…
11 Genre né au XIIIe siècle et vivace jusqu’au milieu du XVIe siècle, la farce est une
pièce de théâtre comique, qui présente des personnages et des situations souvent ridicules, où tromperies, ruses, coups de bâton et mystifications vont bon train et provoquent un rire franc, parfois gras. Souvent assez courtes, comme Le Garçon et
l’aveugle ou Courtois d’Arras (milieu du XIIIe siècle), certaines atteignent la longueur
et la qualité d’une véritable comédie : la Farce du cuvier (milieu du XVe siècle) et, surtout, La Farce de Maître Patelin (vers 1465) en sont les archétypes. Molière empruntera à ces pièces anonymes françaises de nombreux thèmes.
12 L’unité de temps et l’unité de lieu sont absentes de l’œuvre de Wells : épilogue
exclu, l’histoire se déroule entre le 29 février et le mois de juin (cf. p. 207), soit sur
plus de trois mois. Quant aux lieux, ils sont variés, éparpillés entre le comté du Sussex
et celui de l’Essex. L’action, en revanche, est susceptible de davantage d’analogies avec
la tragédie classique : elle est centrée exclusivement sur la figure de l’homme invisible,
sur son parcours, de son arrivée à Iping à sa mort à Burdock.
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Étape 5 [Griffin : héros, victime ou criminel ?, p. 250]
2 Le narrateur adopte une position ambivalente face à Griffin : il condamne sans
ambages sa folie, son égoïsme, ses débordements meurtriers, sa prétention à vouloir
s’asservir le monde. Mais, s’il le déclare responsable, il cherche sans cesse à prouver
qu’il n’est pas pour autant coupable. Les pages 211-212 sont à cet égard particulièrement significatives : faisant suite à la découverte du corps de l’innocent Wicksteed,
elles s’attachent à mettre en avant l’humanité pourtant plausible du personnage
(l. 132, 139-140, 156).
4 L’ambiguïté permanente dans laquelle le narrateur se tient face à l’attitude de
Griffin se veut le reflet de la position du lecteur : un individu qui rejette une société
qui l’a elle-même rejeté est-il responsable ? Où commence la culpabilité ? Le « désespoir » (p. 236) et la trahison justifient-t-ils la vengeance ?
7 La fin dresse une image pathétique de Griffin, « brisé, blessé, trahi, sans que personne le prit en pitié », et prend des airs d’oraison funèbre (« le physicien le plus doué
que le monde ait jamais eu »). Par contraste, la figure de Kemp n’en paraît que plus
vile : sous le vernis bouillonnent les appétits les plus égoïstes ; quant à la foule, elle
est qualifiée d’« ignorante et bruyante ». C’est donc la société dans son ensemble qui,
à des stades divers, est critiquée – à charge pour le lecteur de tâcher de s’en distinguer,
chose malaisée, car, hormis avec le colonel Adye, le roman n’offre pas de troisième
voie possible.
8 La fin laisse planer un doute, une inquiétude, sur l’exploitation de la découverte
de Griffin : l’énergie que déploie Kemp dans ses recherches pour recouvrer les manuscrits semble plus obéir à une logique toute personnelle qu’à une seule fin scientifique.
Wells signale ainsi son inquiétude concernant l’usage de la science : depuis la
Renaissance, le savoir est devenu pouvoir – de faire, de produire, de modifier, et
désormais, peut-être, de dominer.
11 Il s’agit d’une métonymie, qui établit un rapport logique entre l’auteur et son
œuvre (« lire un Wells », « admirer un Rembrandt »…). D’autres rapports sont possibles : du symbole à la chose (« les lauriers »), du contenant au contenu (« boire un
verre »), de la cause à l’effet (« Socrate a bu la mort »)…
12 Lieux réels : Londres et ses rues et quartiers (Primrose Hill, Bloomsbury
Square…), les comtés du Sussex et de l’Essex, Iping.
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Lieux fictifs, mais contribuant à accentuer l’effet de réel par leurs sonorités bien
anglaises : Bramblehurst (p. 15), Sidderbridge (p. 29), Adderdean (p. 75), Port-Stowe
(p. 107), Burdock (p. 115) et Chesilstowe (p. 145).
13 La reine Victoria (1819-1901). Les autres allusions à l’ère victorienne sont
implicites : seules quelques mots et expressions font çà et là référence à la révolution
industrielle et commerciale que l’époque connaît alors (le tramway, l’importance des
journaux…).
Dans la collection
SÉRIES COLLÈGE ET LYCÉE
1 Mary Higgins Clark, La Nuit du renard
2 Victor Hugo, Claude Gueux
3 Stephen King, La Cadillac de Dolan
4 Pierre Loti, Le Roman d’un enfant
5 Christian Jacq, La Fiancée du Nil
6 Jules Renard, Poil de Carotte (comédie en un acte),
suivi de La Bigote (comédie en deux actes)
7 Nicole Ciravégna, Les Tambours de la nuit
8 Sir Arthur Conan Doyle, Le Monde perdu
9 Poe, Gautier, Maupassant, Gogol, Nouvelles fantastiques
10 Philippe Delerm, L’Envol
11 La Farce de Maître Pierre Pathelin
12 Bruce Lowery, La Cicatrice
13 Alphonse Daudet, Contes choisis
14 Didier van Cauwelaert, Cheyenne
15 Honoré de Balzac, Sarrasine
16 Amélie Nothomb, Le Sabotage amoureux
17 Alfred Jarry, Ubu roi
18 Claude Klotz, Killer Kid
19 Molière, George Dandin
20 Didier Daeninckx, Cannibale
21 Prosper Mérimée, Tamango
22 Roger Vercel, Capitaine Conan
23 Alexandre Dumas, Le Bagnard de l’Opéra
24 Albert t’Serstevens, Taïa
25 Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune
26 Éric Boisset, Le Grimoire d’Arkandias
27 Robert Louis Stevenson, Le Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde
28 Vercors, Le Silence de la mer
29 Stendhal, Vanina Vanini
30 Patrick Cauvin, Menteur
31 Charles Perrault, Mme d’Aulnoy, etc., Contes merveilleux
32 Jacques Lanzmann, Le Têtard
33 Honoré de Balzac, Les Secrets de la princesse de Cadignan
34 Fred Vargas, L’Homme à l’envers
35 Jules Verne, Sans dessus dessous
36 Léon Werth, 33 jours
37 Pierre Corneille, Le Menteur
38 Roy Lewis, Pourquoi j’ai mangé mon père
39 Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
40 Yasmina Reza, « Art »
41 Émile Zola, Thérèse Raquin
42 Éric-Emmanuel Schmitt, Le Visiteur
43 Guy de Maupassant, Les deux Horla
44 H. G. Wells, L’Homme invisible
45 Alfred de Musset, Lorenzaccio
46 René Maran, Batouala
47 Paul Verlaine, Confessions
48 Voltaire, L’Ingénu
SÉRIE ANGLAIS
1 Roald Dahl, Three Selected Short Stories
2 Oscar Wilde, The Canterville Ghost
3 Allan Ahlberg, My Brother’s Ghost
4 Saki, Selected Short Stories
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© Éditions Magnard, 2002
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