Discours du directeur à l`occasion de l`accueil de la promotion 2016

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Discours du directeur à l`occasion de l`accueil de la promotion 2016
Ecole nationale de la magistrature
Discours du directeur à l'occasion de l'accueil de la promotion
2016
Lundi 29 août 2016
Chers auditrices et auditeurs de Justice,
Il y a exactement 28 ans, je me trouvais à votre place, à la fois fier
d'avoir réussi ce difficile concours et impatient d'exercer ce métier
pour lequel j'avais consacré tant d'années d'études mais aussi un
peu inquiet de savoir si je serai à la hauteur des lourdes
responsabilités qui allaient m'incomber.
C'était il y a 28 ans et j'ai pourtant le sentiment que c'était hier,
tant mon passage à l'Ecole nationale de la magistrature m'a
marqué par la richesse de ses enseignements.
C'est vous dire l'émotion et le plaisir que je ressens aujourd'hui
d'avoir l'honneur de vous accueillir dans cette Ecole qui représente
pour nous tous, magistrats, non seulement un lieu unique de
formation mais aussi un centre de réflexion permanente sur le rôle
du ministère public, sur l'office du juge et plus largement sur la
place de la Justice dans un Etat démocratique.
Mais j'imagine également votre impatience, après ce long stage en
cabinets d'avocats, à apprendre enfin ce qui constitue le cœur de
votre future mission, c'est à dire rendre une justice conforme au
Droit mais également une justice humaine, à l'écoute de la société
et respectueuse des personnes.
Apprendre le métier de magistrat en commençant par découvrir
celui d'avocat n'est pourtant pas, à mes yeux, un paradoxe.
En effet, il n'est pas de justice de qualité sans avocat de qualité,
capable de traduire en termes juridiques les intérêts du justiciable,
capable aussi d'être l'interprète de ses tourments, souvent de sa
souffrance, face à une institution complexe, au fonctionnement
parfois peu compréhensible.
En ayant vécu de l'intérieur, je l'espère, les difficultés rencontrées
par l'avocat pour remplir cette difficile mission de conseil en
amont du magistrat, puis de défenseur devant le magistrat et enfin
d'accompagnement après la décision de justice, vous n'oublierez
pas le moment venu, qu'au-delà de l'âpreté, parfois de la violence
du débat judiciaire, l'avocat n'est pas l'adversaire du magistrat
mais un partenaire qui concourt à l'œuvre de justice et que la
qualité de la décision rendue dépend aussi de la qualité de la
relation que le magistrat a su nouer avec lui.
Vous n'oublierez pas non plus que le magistrat, qu’il soit au
Parquet ou au Siège, est le garant de l'équilibre et de la sérénité du
procès et qu'il doit en conséquence examiner avec la même
attention, la même écoute, la même patience, les arguments
développés devant lui, par les uns et par les autres, quand bien
même ces arguments tendraient à le déstabiliser, à remettre en
cause une jurisprudence ou à contester une pratique
professionnelle bien établie.
Vous pourrez poursuivre ces échanges et vous enrichir
réciproquement de vos analyses et de vos réflexions sur la
complémentarité de nos professions avec les 9 élèves-avocats et
les 3 magistrats étrangers que j'ai le plaisir d'accueillir au sein de
l'Ecole.
Je voudrais évoquer à cet instant la disparition accidentelle cet été
de l'une d'entre vous, Annabelle ROBINET, qui se réjouissait
d'être à vos côtés ce matin.
Originaire du Nord de la France, âgée de 30 ans et ancienne
inspectrice des Douanes, elle était selon ses proches, travailleuse,
brillante, courageuse et pleine d’humour.
Selon les propres termes de son maître de stage au Barreau de
Lille qui souhaitait la conserver 6 mois supplémentaires,
Annabelle ROBINET était une auditrice de très grande valeur,
dotée d'indéniables qualités humaines.
Elle faisait la fierté de ses parents avec lesquels j'ai pu m'entretenir
afin de m'associer, au nom de votre promotion, à leur douleur.
Vous allez à présent, grâce au professionnalisme des équipes
pédagogiques de l'Ecole et à la passion qui les anime pour vous
transmettre leur expérience juridictionnelle, vous immerger dans
l'apprentissage de ce beau mais difficile métier de magistrat.
Soyez assurés que chaque coordonnateur de formation et chaque
magistrat enseignant associé aura à cœur de vous accompagner
individuellement dans ce parcours de formation
Je tiens à cet égard à leur rendre hommage ainsi qu’à la directrice
adjointe Emmanuelle PERREUX et au secrétaire général Daniel
CHASLES, en appelant votre attention sur les efforts
considérables que ces équipes et tout le personnel administratif de
l’Ecole ont déployés, sous l'autorité de mon prédécesseur Xavier
RONSIN qui a su conduire l'ENM à un niveau d'excellence envié
partout dans le monde, pour organiser la formation de votre
promotion dont, vous le savez, les effectifs sont les plus
importants depuis la création de l'Ecole.
Ma nomination correspond également au départ de Jean-Bastien
RISSON, chef de cabinet, nommé Président du tribunal de grande
instance de Bastia, après quatre années consacrées avec un
professionnalisme exceptionnel au bon fonctionnement de l’Ecole.
Merci infiniment, cher Jean-Bastien, de la qualité de l’accueil que
vous m’avez réservé et de votre souci de transmettre votre savoirfaire à Maxime ANTIER qui vous remplacera.
Grâce au dévouement de tout le personnel de l’ENM, votre arrivée
massive tant attendue par l'institution judiciaire qui souffre d'un
manque cruel de moyens humains, ne se fera pas au détriment de
la qualité de votre formation.
Je veillerai à poursuivre ces efforts exceptionnels pour une Ecole
qui a vu ses effectifs d'auditeurs multipliés par trois entre 2012 et
2016 mais n'oubliez pas que, quels que soient les moyens mis en
œuvre, vous devrez demeurer acteur de votre propre formation.
Mais évoquons à présent cette deuxième période de formation qui
débute aujourd'hui et qui doit vous permettre d'affronter avec
aisance votre futur stage juridictionnel, c'est-à-dire votre première
confrontation avec la réalité judiciaire.
Soyez convaincu qu’il s’agit, sans nul doute, de l’une des périodes
les plus enrichissantes de votre vie professionnelle.
Vous allez découvrir le métier de magistrat sous toutes ses
facettes, dans toute sa complexité, au parquet, au siège, au civil, au
pénal, dans les fonctions spécialisées, à l’audience, dans les
entretiens de cabinet.
Aussi, vivez cette période de votre vie pleinement, intensément,
avec la curiosité de celui qui découvre, apprend, sans idée
préconçue, sans a priori et qui est légitime à poser, à se poser
toutes les questions sans craindre le regard des autres.
L’évaluation à laquelle vous serez soumis n’est que la première
d’une très longue série, puisque vous serez évalué durant toute
votre vie professionnelle, non pour porter atteinte à votre
indépendance mais pour que vos mérites et vos qualités soient
reconnus à leur juste mesure, ce qui ne doit ni vous paralyser, ni
vous angoisser, ni vous obséder.
Rappelez vous constamment que notre recrutement, même au
terme d'un concours difficile ou sur titres consacrant un parcours
élogieux, ne nous donne néanmoins aucune légitimité
définitivement acquise pour juger nos concitoyens.
La légitimité du magistrat, vous le savez, repose en effet d'abord
sur sa compétence laquelle doit être, tout au long de la vie
professionnelle, actualisée et approfondie.
Cette seconde phase de votre formation initiale vous permettra
d'apprendre à analyser les enjeux juridiques, financiers et humains
des situations auxquelles vous serez confrontés par la suite,
souvent dans l'urgence et le stress, sans omettre de vous interroger
sur le contrôle de proportionnalité auquel le droit européen invite à
présent le magistrat français à se conformer.
Cet apprentissage devra vous conduire à réfléchir sur la nature et
sur la qualité de la relation à entretenir avec le justiciable afin de
déterminer pour chaque situation cette juste distance composée
tout à la fois d'humilité, d'écoute, de bienveillance mais aussi
d'autorité, d'impartialité et d'indépendance.
Le recueil déontologique du Conseil supérieur de la magistrature
sera à cet égard votre guide quotidien, non seulement dans
l'exercice de vos futures fonctions mais également dans le cadre
de votre vie personnelle car votre qualité de magistrat ne
disparaîtra pas en fermant le soir la porte de votre bureau ou en
retirant votre robe à l'issue de l'audience pour rejoindre votre
domicile.
Vous analyserez minutieusement à cet égard la notion de conflit
d’intérêts susceptible de mettre en cause votre impartialité, telle
que définie par la Loi organique du 8 août 2016 :
« Constitue un conflit d’intérêts » dit la Loi, « toute situation
d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou
privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer
l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Cette réflexion se prolongera sur les relations que le magistrat doit
nouer avec nos plus précieux collaborateurs que sont les greffiers
mais également sur la loyauté des liens à entretenir avec les chefs
de juridictions et de cours.
Cette période sera également pour vous l'occasion de comprendre
quel doit être le positionnement du magistrat vis à vis de ses
principaux partenaires, à savoir les enquêteurs, les experts, les
éducateurs, les huissiers en veillant à la cohérence de chaque
intervention et au respect des compétences de chacun.
Vous apprendrez que le développement des politiques
partenariales avec les représentants des diverses administrations
de l'Etat, des collectivités territoriales et du tissu associatif, loin de
constituer un risque pour l'indépendance de l'autorité judiciaire
renforce au contraire son efficacité et évite l'isolement voire la
surdité du magistrat vis à vis des attentes de la société civile à
l'égard de l'institution judiciaire.
Vous rechercherez ce que doit être une communication
institutionnelle soucieuse de transparence et de vérité à l'égard du
peuple français au nom duquel vous rendrez la Justice, sans jamais
sombrer dans les excès d'une communication individuelle et
narcissique à la recherche d'une popularité aussi éphémère
qu'incompatible avec la déontologie du magistrat.
Mais surtout, vous développerez vos capacités à inscrire votre
action dans le cadre d'une réflexion collective en vous rappelant ce
que Bertrand LOUVEL, premier président de la Cour de
Cassation, vous disait le 4 février dernier :
le magistrat doit « développer un sens plus collégial de
l'indépendance », il a le devoir « de se tenir en prise avec les
orientations collectives pour y glisser, y moduler, y fondre luimême l'exercice de son indépendance personnelle ».
Seule cette éthique collective permettra d'apporter une réponse
efficace à l'un des griefs les plus sérieux portés à l'encontre de
l'autorité judiciaire, à savoir l'imprévisibilité et l'aléa de ses
décisions.
Il y va de la crédibilité de l'institution judiciaire et donc de la
défense des libertés individuelles dont la Constitution vous a fait
les gardiens.
Vous devrez ensuite acquérir les techniques de formalisation de la
décision judiciaire en vous rappelant que la motivation, à défaut
de pouvoir toujours convaincre toutes les parties, doit être
compréhensible par tous, structurée, dénuée de considérations
morales, blessantes ou méprisantes et fondée en Droit.
La motivation constitue l'expression naturelle du magistrat et votre
autorité découlera de sa clarté et de sa force de conviction.
Les domaines à investir sont donc immenses et votre tâche ne sera
ni simple ni confortable mais vos coordonnateurs de formation et
tout le personnel de l'Ecole seront à vos côtés pour vous permettre
de franchir cette nouvelle étape et d'affronter ensuite le stage
juridictionnel.
Sans doute pouvez-vous craindre que l'Ecole tende à une certaine
forme de « formatage », de modélisation de votre future
personnalité professionnelle.
Mais rassurez-vous, comme dans toute activité humaine, la « part
du juge » c'est à dire la part de votre propre humanité demeurera
dans chacune de vos décisions.
C'est peut-être ce qui avait fait dire à Pierre TRUCHE s'adressant
à une promotion d'auditeurs : « Vous allez exercer un métier
dangereux. Dangereux pour les autres. N'oubliez jamais cela ».
Et pourtant, c'est votre part d'humanité qui donnera du sens à vos
décisions et qui apportera la meilleure réponse au déficit de
confiance que traverse notre institution.
Aussi, jugez comme vous aimeriez être jugés et, comme vous y
invitait Jean-Claude MARIN lors de votre prestation de serment,
exercez ces fonctions, au Parquet comme au Siège, « avec
prudence, sens des responsabilités et équilibre ».
Vous apprendrez en effet que l’exercice de l’action publique exige
tout autant que l’acte de juger, des capacités d’écoute et de
dialogue, le souci de la recherche de la vérité à charge et à
décharge, le sens de la mesure, de l’opportunité et surtout de
l’intérêt général.
C’est bien parce que le magistrat du parquet et le magistrat du
siège sont soumis aux mêmes exigences éthiques, qu’ils
concourent, chacun à sa place, à l’œuvre de Justice.
L’Ecole nationale de la magistrature est à l’image de notre corps,
une et unique.
Cette unicité de la magistrature vous permettra, tout au long de
votre carrière jusqu’à votre lointaine retraite, d’exercer des
fonctions d’une variété et d’une richesse inestimables : fonctions
spécialisées ou non du Siège, fonctions multiples du Parquet,
fonctions à l’administration centrale, magistrats de liaison en
ambassades, détachements dans tous les ministères et services
interministériels, au sein des juridictions administratives et
financières, dans les instances européennes et internationales, au
sein des juridictions internationales, auprès des autorités
administratives indépendantes telles que la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique, la CNIL, l’AMF, le Conseil de la
Concurrence, le Défenseur des droits….et même pourquoi pas,
devenir coordonnateur de formation à l’ENM !
Quelle autre école vous ouvre autant d’horizons ?
Quel autre métier pourrait vous offrir cette richesse et cette
diversité ?
Que cette période soit aussi pour vous l'occasion de vous
interroger sur les raisons profondes qui vous ont incité à devenir
les juges de vos concitoyens.
Est-ce l'exercice du pouvoir ? Le désir de réparer l'irréparable ? La
volonté de réprimer la transgression de la norme sociale et de
rétablir un équilibre rompu ? Ou tout simplement un idéal de
Justice jamais atteint ? Un peu tout à la fois, sans doute ?
Il serait certainement beaucoup plus simple de n'être que la
« bouche de la Loi » mais la réalité est à la fois plus complexe et
bien plus riche.
En découvrant cette richesse et cette complexité, vous vous
rappellerez comment Pierre DRAI, ancien premier président de la
Cour de Cassation, définissait l'office du juge :
« Juger » disait-il, « c'est savoir écouter, essayer de
comprendre et vouloir décider ».
Puisse cette belle définition nourrir vos réflexions tout au long de
votre formation initiale et même au-delà, lorsque vous prendrez
conscience qu'il était béni ce temps si riche de la découverte à
l'Ecole, de la mission et de la place du magistrat dans notre
société.
Je vous souhaite à toutes et à tous une belle rentrée à l'Ecole
nationale de la magistrature, dans votre Ecole.
Olivier LEURENT.