Le chaos en mathématiques. 1 Introduction 2 Définition du chaos.
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Le chaos en mathématiques. 1 Introduction 2 Définition du chaos.
Camille Laurent-Gengoux. Conférence prononcée à Chauvigny, 21 avril 2008 Le chaos en mathématiques. 1 Introduction La question la plus fréquemment posée à un mathématicien qui prend le train par ses voisins intrigués par les hiéroglyphes que celui-ci dessine sur ses cahiers est sans doute le fameux ”Mais il reste donc des choses à démontrer en mathématiques ?” Et bien oui, il en reste énormément. Il est même heureux que le contribuable ou que nos élèves ne se rendent pas compte du nombre effarant de questions totalement élémentaires auxquelles nous sommes totalement incapables de donner une réponse, sans quoi les premiers refuseraient certainement de financer plus longtemps nos recherches, tandis que les seconds ne prendraient plus nos cours au sérieux. Voici une de ces questions sans réponse, ce que l’on appelle une conjecture. Écrivons π sous la forme décimale, c’est un calcul que l’on sait très bien faire, et qui donne pour les premiers termes : π = 3, 141592653589793238462643383279502884197169 39937510582097494459230781640628620899862803 4825342117067982148086.... Et on pourrait continuer ainsi jusqu’à l’infini. Et bien, on conjecture que chacun des chiffres 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 apparaı̂t une infinité de fois dans ce développement décimal. On peut vérifier sur ordinateur que cela a l’air vrai ; mais on est totalement incapable de le démontrer. Il y a une seconde remarque utile à faire à propos de ce développement décimal. Observons la suite des nombres qui apparaissent alors. Cette suite semble parfaitement aléatoire, aucun ordre, aucune logique ne semble la sous-tendre. Si on ne sait pas qu’il s’agit de π, on pourrait croire qu’un chimpanzé à tapé au pif sur un clavier de calculette. Elle n’est pourtant en rien ”tirée au hasard” puisque elle est donnée par un procédé parfaitement déterministe, étant très exactement la suite des nombres qui forment le développement décimal du nombre π. Retenons qu’un processus ne laissant aucune place à un quelconque hasard peut donner un résultat qui, lui, semble parfaitement aléatoire. Retenons aussi qu’il y a des problèmes très simples sans solution connue. 2 2.1 Définition du chaos. Un petit jeu mathématique qui dit à peu près tout sur le chaos. Le chaos est, comme les décimales de π, un de ces processus qui donne un comportement qui semble aléatoire, dans une certaine mesure, bien qu’il soit donné par un processus déterministe. Plus précisément, le chaos appatient à cette vaste catégorie appelée système dynamique déterministe. Voilà des mots bien compliqués. On appelle systèmes dynamiques tous les ”jeux” qui consistent à déplacer un point, ou plusieurs points (ou une infinité de points), 1 1. en se donnant la position initiale de ces points, 2. en se donnant une loi d’évolution qui dit quelque chose du genre ”si on est à tel endroit, on doit aller à tel autre endroit”. Ce à quoi l’on s’intéresse alors sont les trajectoires de ces points. Voici un exemple de système dynamique. (Qui s’avèrera bientôt être l’archétype même d’un système chaotique). On va déplacer un nombre réel compris entre 0 et 1 que l’on écrit en écriture décimale : 0, 780657668796560454129011... La loi d’évolution que l’on se donne consiste à prendre ce nombre, le multiplier par 10, et à ne garder que la partie fractionnaire. En clair, cela revient à effacer le premier chiffre à droite de la virgule. Partant du nombre précédent, on obtient par exemple 0, 80657668796560454129011... puis 0, 0657668796560454129011... puis 0, 657668796560454129011... etc... Ce jeu a deux caractéristiques. 1. Supposons qu’au lieu de partir de 0, 80657668796560454129011..., on parte de 0, 80657668795429100 La différence est au début minuscule : moins de 0, 00000000001, mais au bout de 5 coups, la nouvelle trajectoire passe par 0, 668796560454129011... et l’ancienne par 0, 668796560454129011..., ce qui fait que la différence n’est plus que de 0, 000001, puis 5 coups après encore les deux trajectoires passent par 0, 54129011... et 0, 6560454129011... respectivement. A partir de là, les trajectoires deviennent totalement différentes. En conclusion, une infime variation de la position initiale induit rapidement une très grande différence dans les trajectoires. 2. Une autre caractéristique est la suivante. Parmi les trajectoires proches de celle partant de 0, 80657668796560454129011..., il y a celle qui part de 0, 806576.806576.806576.806576.806576... et ainsi de suite à l’infini. Cette trajectoire a ceci de particulier qu’elle est périodique, c’est à dire qu’au bout de six coups, on est revenu à 0, 806576.806576.806576.806576... c’est à dire que l’on est revenu au point de départ. Après quoi la trajectoire va faire, à l’infini, toujours la même boucle. En conclusion, toute position initiale est infiniment proche d’une trajectoire périodique. Retenons ces deux caractéristiques : les systèmes chaotiques sont précisément ceux qui les vérifient. C’est l’objet du chapitre suivant Retenons aussi qu’un petit exemple très simple peut avoir ”valeur de paradigme”, pour parler en termes pédant, c’est à dire contenir et présenter à peu près tout ce que la théorie a d’intéressant à raconter. En particulier, quand on veut visualiser le chaos, il suffit d’avoir en tête ce petit exemple. Cela n’empêche pas toute sorte de psychanalystes, psychologues ou mathématiciens, lorsqu’ils croient avoir trouvé un phénomène chaotique, de vouloir qu’il soir chaotique ”comme 2 le système solaire”. De fait, le système solaire l’est aussi, et on comprend que cela fait “chic” de dire que l’objet de ses études, se comporte comme la voûte céleste. Mais c’est embrouiller le lecteur : personne ne sait intuitivement comment se comporte Vénus et Neptune, hormis une poignée de spécialistes, alors que tout le monde sait supprimer le premier chiffre après la virgule. 2.2 Qu’est le chaos ? Ce que l’on appelle système dynamique, on l’a dit dans la section précédente, un problème où l’on a un point qui se déplace au cours du temps, de manière déterministe, (c’est à dire que si l’on sait la position exacte de ce point au départ, on peut en théorie (en théorie je dis bien) savoir où il se trouve à tout instant ultérieur). On appelle chaotique tout système dynamique qui a les deux caractéristiques suivantes : 1. une grande sensibilité aux conditions initiales, 2. il y a partout des orbites périodiques. Expliquons-nous. 1. La sensibilité aux conditions initiales signifie, du point de vue théorique, que si l’on part de deux points très proches, un peu plus tard, ils seront moins proches, et encore un peu plus tard, ils seront très loin l’un de l’autre. Du point de vue pratique, cela signifie que les calculs que l’on effectue n’ont aucun sens. En effet une toute petite erreur dans les calculs (et les ordinateurs en font toujours) a de moins petites conséquences au coup suivant, des conséquences aisément décelables en peu plus tard, et, si l’on attend encore un peu, des conséquences considérables. 2. Un point périodique, c’est un point qui revient sur lui-même au bout d’un certain temps. Le système étant déterministe, un tel point ne peut que ”boucler”, c’est à dire refaire à l’infini la même boucle, tourner en rond. L’existence de points périodiques partout signifie qu’il y a un proche voisin de notre point de départ qui fera à peu près les mêmes n premières étapes, mais qui reviendra bien sagement exactement au point initial, et se mettra alors à “boucler”. Une remarque pour finir. La sensibilité aux conditions initiales signifie, on l’a dit, que si l’on part de deux points très proches, un peu plus tard, ils seront moins proches, et encore un peu plus tard, ils seront très loin l’un de l’autre. Mais à cause de la périodicité, ces points peuvent ensuite et vont même très certainement se rapprocher, puis se séparer à nouveau, puis redevenir très proches etc... Ceci est fortement embarrassant, parce que je ne fais que vous montrer des trajectoires obtenues par des calculs. Or je vous ai dit que les calculs en ce domaine sont faux et archi-faux. Ces trajectoires n’auraient elles aucun sens ? Excellente question, à laquelle je répondrai par un ”Joker”. Oui, ils ont un sens. C’est ce que l’on appelle le lemme de filature. Je n’en parlerai pas. 3 La modélisation Un voyageur de commerce doit passer par N villes différentes vendre ses produits. Il va de soi qu’il cherche à faire le moins de route possible. Comment doit-il s’y prendre ? Modéliser cette question, c’est la transformer en un problème mathématique. En l’occurrence, c’est transformer cette question en la suivante : étant donnés N points du plan, trouver la plus courte ligne brisée dont les sommets sont exactement ces N points. 3 Évidemment, cette modélisation est imparfaite : notre voyageur de commerce peut avoir besoin de passer plusieurs fois dans telle ou telle ville, ou encore peut préférer alterner les longues étapes et les petites. A ces nouvelles exigences répondent d’autres modélisations plus fines etc... Modéliser a permis de passer d’un problème de la vraie vie (disons, pour faire court, d’un problème de physique) à un problème de mathématique qui est sensé ressembler au premier : c’est alors à un mathématicien de la résoudre. Une remarque : le mathématicien est alors bien embêté, car il ne sait pas faire. La situation est toutefois très différente du cas du décimales du nombre π, car il sait faire en théorie. Comme il n’y a qu’un nombre fini de chemins possibles qui passent par N villes, il suffit de calculer la longueur de tous les chemins possibles et prendre le moins long. Le hic est que procéder ainsi demande un calcul qui est proprement gigantesque. Pour 100 villes, il faudra faire 100 × 99 × 98 × 97 × · · · × 1 opérations, soit faire plus d’opérations qu’il n’y a d’atomes dans l’ordinateur... C’est trop même pour un ordinateur moderne. Retenons surtout que cette opération dite de modélisation permet de se ramener de la physique aux mathématiques. (Et retenons aussi que le mathématicien ne sait pas en pratique donner la solution, quoi qu’il sache qu’elle existe). 4 Quelques systèmes chaotiques. Lorsque l’on modélise (plus ou moins bien) un problème de physique, on trouve souvent un système dynamique. Celui-ci n’est pas forcément chaotique, loin s’en faut. 4.1 Quelques systèmes non-chaotiques. Le stable. Un système est stable, si, plus le temps passe, moins il y a de mouvement, et si la position finale de repos ne dépend guère des conditions initiales. Ce sont donc les systèmes qui vont vers un repos prévisible, et ce quel que soit le point de départ. Une variante, ce sont les les systèmes où les trajectoires vont, non pas vers le repos, mais sur une certaine orbite périodique bien déterminée (qui dépend peu du point de départ au sens qu’une petite modification de celui-ci n’entraı̂ne qu’une petite modification de l’état d’arrivée). Il existe un très grand nombre de systèmes dynamiques stables. C’est par exemple le cas de pratiquement toute la thermique, mais aussi de tous les systèmes où il y a des frottements. L’instable. Les situations instables vérifient une des caractéristiques du chaos, la sensibilité aux conditions initiales, mais pas la seconde. Le jet d’un dé est un exemple type de phénomène instable. Bien entendu, comme dans le cas stable, le dé va finir par se retrouver au repos, mais cette position de repos dépend fortement des conditions initiales. L’intégrable. Ne cherchez pas à comprendre le nom, et quel est le lien avec les intégrales. Un système intégrable est un système dont l’évolution, si compliquée soit-elle, est une combinaison de mouvement simples. La toupie est un excellent exemple. La mécanique céleste, en première 4 approximation, aussi (en première approximation signifiant que l’on néglige certaines interactions). La mouvement de la lune est certes fort compliqué, mais, en première approximation, c’est une superposition de mouvements simples, la lune ne fait somme toute que tourner autour de la terre, qui tourne autour du soleil, qui tourne dans la galaxie, etc... Je vais maintenant vous décrire trois systèmes chaotiques. Plus exactement, qui sont modélisés par des phénomènes chaotiques. 4.2 Le système solaire. Le problème à deux corps. Considérons le mouvement relatif de deux corps (par exemple : la terre et la lune, le soleil et et la terre) dans l’espace. Ces corps s’attirent l’un l’autre du fait de leurs masses. Si on néglige les autres planètes, si on accepte que la mécanique de Newton est vraie, on peut modéliser la situation par une équation ”toute simple” : u d2 u=K . 2 dt k u k3 où u est l’inconnue et K dépend des masses des objets. L’on sait parfaitement intégrer cette équation, c’est à dire la résoudre, et on trouvera que le mouvement relatif est elliptique, parabolique ou hyperbolique selon les cas, et vérifie les trois lois de Kepler. Ce système est tout sauf chaotique, il est en fait intégrable. Le problème à trois corps (ou N ) Que se passe t-il si l’on a maintenant N corps pesants ? Bien entendu, si l’un des corps, est beaucoup plus lourd que les autres, à l’image du soleil et des planètes, on pourra négliger les attractions des planètes entre elles, et considérer que essentiellement les corps tournent autour du soleil sans interagir entre eux. Dans le cas des satellites, on négligera au contraire l’attraction du soleil pour ne conserver que celle de la maı̂tresse planète. Bref, on peut faire des approximations. Cela marche bien, en permet de faire des prévisions sur des temps courts. On peut prédire comme cela sans problème la positions des planètes dans les 300000 prochaines années. En fait, pour des temps courts, le système solaire est un système intégrable. Mais que se passe t-il pour des temps plus longs ? Peut-être nos prédictions deviendront-elles un peu moins exactes, mais valables ”en gros”, c’est à dire que la terre continuera de tourner peu ou prou à la même vitesse, un peu moins vite ou un peu plus vite on ne sait pas, mais toujours à peu près sur la même orbite. Peut-être au contraire verra t-on Venus faire un des cabrioles, Mars s’éloigner de l’écliptique pour partir vers l’infini, puis toutes les planètes tourneboulées s’en aller enfin dans tous les sens... Autrement dit peut-être la situation est-elle stable ou instable ? On a de bonnes raisons de penser que non, l’univers n’est pas stable. Simplifions le problème et ne mettons que trois corps pesant. On obtiendra quelque chose qui est génériquement instable. Typiquement, il peut se passer la chose suivante. On lance nos trois corps dans l’espace, de masses différentes. Tout semble suivre un cours normal pendant quelque temps, la petite planète tourne autour de la moyenne, et la moyenne autour de la grosse. Puis tout à coup une orbite saute et l’on va voir une planète s’éloigner très loin, revenir, puis tout semble reprendre un cours normal pendant quelque temps, puis les trois planètes partent dans des directions opposées, puis on retrouve un cours normal, mais où cette fois petite et moyenne planète tournent autour de la grosse, etc... C’est un exemple de système chaotique. Mais attention, il y a aussi des zones stables, c’est à dire que si l’on choisit bien les masses et la position initiale, à de petites oscillations guère prévisibles près, mais toujours de peu d’importance, les mouvements restent toujours identiques à eux-mêmes, à l’infini. 5 Le système solaire n’est pas un bon exemple du système chaotique en ce sens qu’il ne l’est qu’à une certaine echelle de temps. Pour des temps courts, il est réglé comme une horloge, pour des temps longs, l’approximation newtonnienne n’a plus grand sens. Je vous renvoie à l’excellent livre de [2]. 4.3 Météorologie. L’autre système chaotique standard vient de la météorologie. C’est le système de Lorenz : x0 = −10x + 10y y 0 = 28x − y − xy z 0 = − 83 z + xz. Ce système est chaotique, c’est même l’archétype du chaos. Cette équation semble bien effrayante. Il y a de nombreux sites internet où l’évolution des trajectoires sont représentées, par exemple celui-ci http ://bcev.nfrance.com/Lorenz/equations.htm. Vous allez voir cela : 1. Il y a dans l’espace deux ”45 tours” accolés, qui forment ce que l’on appelle un attracteur, et les trajectoires s’enroulent autour de l’un oùde l’autre. Plus précisément : 2. la trajectoire tourne autour d’un disque pendant un certain temps, comme une lune autour de sa planète, 3. puis tout à coup sort de l’orbite et va sur l’autre 45 tours, 4. où elle tourne tranquillement un certain temps, 5. puis elle repart brutalement sur le premier etc... On sent bien que ces sauts d’un 45 tours à l’autre signifient que le système est très dépendant des conditions initiales. On peut aussi pressentir que le fait que la trajectoire revienne toujours sur ses pas signifie qu’il y a des orbites périodiques partout. C’est un comportement chaotique. Comme je viens de le dire, ce système de Lorenz vient de la météorologie, mais, contrairement à ce que l’on voir écrit ici où là, la modélise fort mal. Ce système est en fait une simplification extrême d’un autre système, que Lorenz a d’abord étudié, et qui était déjà une schématisation très grossière de l’atmosphère. Bref, ce n’est pas parce que le système de Lorenz est chaotique, que la météo est chaotique. On ne sait d’ailleurs pas si la météo est vraiment chaotique. Ce qui important dans la découverte de Lorenz, c’est le changement de paradigme : on sait que des équations très simples, ressemblant vaguement à celle de la météorologie, peuvent mener au chaos. Il est donc fort possible que l’étude de l’atmosphère passe effectivement par l’étude de phénomène de ce type. Possible mais pas certain. 4.4 L’application logistique Le lecteur sera peut-être déçu de trouver avant tout, dans les livres de mathématiques spécialisés, que l’on parle fort peu de Lorenz et jamais de la mécanique céleste, et beaucoup du problème beaucoup plus élémentaire suivant, ignoré de la littérature de vulgarisation, appelé application logistique. qui est sensé représenter la dynamique d’une population. On choisit un nombre réel α dans [0, 1] et on définit une suite par un+1 = 4un (1−un ). Comment se comporte (un ) à l’infini ? C’est très simple, cela se comporte exactement comme le petit jeu présenté au début de cet article (en fait, je triche un peu, il aurait fallu écrire les réels en base 2). Juste une remarques pour les mathématiciens, on passe de l’un à l’autre jeu par un = sin2 (θn ). 6 Que se passe t-il si on remplace 4 par un nombre réel plus petit λ ? Pour λ petit, le système est stable. Pour λ plus grand, il devient partiellement chaotique, puis redevient stable, puis redevient encore chaotique. Il y a là de vraies mathématiques complexes (constante de Feigenbaum, doublement des périodes) avec des fractales. Je vous renvoie à la littérature [1]-[3]. Il se trouve qu’en effet 1) ce problème est chaotique, 2) tous les phénomènes que nous voyons se produire pour le chaos, (constante de Feigenbaum, doublement des périodes) se produisent déjà pour ce problème 3) en fait les problèmes beaucoup plus compliqués (Lorenz entre autre) se ramènent plus ou moins à ce petit problème tout simple. 5 Quelques confusions à éviter Le chaos n’est pas une imperfection du modèle mathématique. Je voudrais tout de suite mettre en garde contre une erreur très commune. Le chaos n’est pas dans la nature. Il est dans le modèle mathématique. La nature est souvent plus stable que son modèle mathématique, à cause des frottements, ou de d’autres phénomènes de perte d’énergie négligés lorsque l’on modélise. On a déjà dit d’ailleurs à quel point le système de Lorenz représente mal la nature. Redisons que l’important dans le chaos tel que présenté ci-dessus, c’est sa valeur de paradigme. David Ruelle écrit joliment que, après qu’il a découvert le comportement chaotique d’une certaine réaction chimique, les chimistes ont commencé à se demander si des expériences dont on pensait qu’elles ”ne marchaient pas”, n’était pas en fait des expériences qui marchaient fort bien, mais dont la conclusion était le caractère chaotique du système étudié. C’est à dire que les archétypes abstraits donnés par les chaos de Lorenz et quelques autres ont fourni un schéma explicatif, que les expérimentateurs essayent ensuite de recréer, ou de retrouver. Plus exactement, les expérimentateurs se sont habitués à reconnaı̂tre les indices qui indiquent que l’objet de leurs études a un comportement chaotique. En particulier, les phénomènes du type de Lorenz obligent à renoncer à un principe ancestral, qui veut qu’une catastrophe ait une cause. Observons en effet la trajectoire de Lorenz à nouveau : parfois on voit une trajectoire bien régulière, qui tourne sagement, en dérivant certes un tout petit peu, et tout à coup, alors que rien n’a changé dans l’environnement, la situation change brusquement : la particule s’envole, puis elle est alors captée par l’autre moitié de l’attracteur, reprend un mouvement régulier de rotation autour de l’autre attracteur etc... Avant Lorenz, on considérait que si, par exemple, un banc de Poisson change de direction, ou si un marché boursier s’effondre, c’est qu’un requin l’a effrayé, ou que le pétrole est devenu trop cher du fait de quelque guerre exotique. En un mot, le comportementaliste ou l’économiste cherchait à trouver la cause du changement brusque. Depuis Lorenz, il doit avoir aussi en tête l’idée qu’il se peut qu’il n’y a pas de cause à chercher qui aurait brisé la stabilité, mais qu’il peut y avoir des instabilités ”chroniques”. Cela peut être dans la nature du système que de passer d’un état stable à un autre, sans logique apparente. Mais attention : ce n’est parce que l’on a inventé le chaos qu’il faut croire que parce que, dés que l’on observe ce phénomène de passages brusques d’un état stable à un autre, on a affaire un système chaotique. Dans le cas de l’économie, on peut se demander si l’on a affaire à un système dynamique : y a-il vraiment une loi déterministe pour gouverner l’évolution des marchés ? Rien n’est moins certain. Des brisures de stabilité peuvent avoir bien d’autres causes qu’une explication par le chaos. Ce n’est pas le hasard. 7 Le chaos est, on l’a dit, un phénomène déterministe. Ce qui l’oppose à l’aléatoire. Ne refermons pas tout de suite le chapitre chaos et hasard. Les deux notions sont en fait plus subtilement imbriquées que cela. On lance un point sur un attracteur de Lorenz, et que l’on se demande si, dix minutes plus tard, il sera à droite ou à gauche ? La première réponse est ”on se sait pas” : on l’a dit, au delà de quelques secondes, les calculs sont faux. Une seconde réponse est ”une chance sur deux que ce se soit à droite, une chance que ce soit à gauche .” Pour d’autres attracteurs à deux bandes, les probabilités peuvent être différentes. Cela peut être 3/4 et 1/4. Si un casino nous demandait de construire une machine à hasard, on pourrait lui donner un attracteur de Lorenz. Le chaos est donc un producteur de hasard. Mais attention, ce n’est pas le seul. Tout système ayant la première caractéristique (l’instabilité vis à vis des conditions initiales) sera un producteur de hasard. Comme on l’a vu avec les décimales de π, les phénomènes instables ne sont même pas les seuls. Ce n’est certainement pas le n’importe quoi. On voit toujours écrit que ”Le chaos a ses lois”. Que veut-on dire par là ? D’abord, que l’on peut démontrer des théorèmes sur le chaos, tout comme on peut démontrer des choses lorsque la situation est aléatoire ou déterministe. J’ai vaguement parlé du lemme de filature. Mais il y en a beaucoup d’autres. Entre autre, de nombreux jolis théorèmes expliquent ce qui se passe quand on approche le chaos. Très souvent, en changeant la valeur numérique de certains paramètres, on peut passer d’un système chaotique à un système stable. Les transitions de l’un à l’autre passent par des états intermédiaires de nature fractale absolument remarquables (et qui se ressemblent toujours, même pour des systèmes totalement différents les uns des autres). Ce n’est pas forcément le chaos. Les mathématiciens aiment trop donner aux objets qu’ils étudient des noms tirés du langage courant. “Singularités Perverses” ou “Faisceaux Étales” peuvent être des titres inquiétants de cours de Master. Ce que faisant, ces mots prennent un sens bien précis qui peut n’avoir que fort peu de lien avec son sens originel, voire être totalement trompeur. Les nombres imaginaires ont tout autant de réalité que les nombres réels. Un risque est que ces mots ne reviennent ensuite, parés de l’exactitude des mathématiques, dans les débats non-scientifiques. Mais un autre risque est aussi que plus personne n’ose plus employer le mot chaos dans son sens usuel, de peur de se voir contredire par un mathématicien. Pour parer à la fois l’un et l’autre risque, il faut avoir la modestie de se souvenir que l’emploi de ce mot de chaos, tel qu’employé en mathématiques, est peut-être une usurpation. References [1] K. Alligood, T. Sauer et J. A. Yorke ; Chaos : An Introduction to Dynamical Systems, Springer-Verlag (1997) [2] Ivar Ekeland, Le chaos, Dominos, Flammarion (1995) [3] David Ruelle ; Hasard et Chaos, Collection Opus 89, Editions Odile Jacob (1991), 8