Le sentiment régional et son impact sur la consommation

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Le sentiment régional et son impact sur la consommation
Session 9 - 26
Comment exploiter les cultures régionales en marketing ?
Delphine Dion, IAE de Paris, GREGOR
Eric Rémy, IAE Rouen, NIMEC
Lionel Sitz, EM Lyon
Pascale Ezan, IUT Evreux – ESC Rouen, NIMEC
RESUME
Cet article explore la nature des sentiments régionaux et les façons dont les entreprises
peuvent s’appuyer sur les cultures régionales pour développer des stratégies marketing
innovantes et performantes. A partir d’une étude terrain qui mêle récits de vie, observation en
magasin et entretiens d’expert, nous avons identifié quatre stratégies : utiliser les codes
culturels régionaux pour mettre en scène ses marques, devenir un insigne de l’identité
régionale et ainsi permettre aux consommateurs d’exprimer leur identité régionale, apparaitre
comme un facilitateur des échanges communautaires ou se positionner comme des défenseurs
de la diversité culturelle.
Mots clés : consommateur ethnique, consommateur régional, identité, récits de vie,
introspections, photographie, régionalisme, culture
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Comment exploiter les cultures régionales en marketing ?
Se déclarer breton, catalan ou corse, se reconnaître asturien, wallon ou flamand… : ce
sentiment d’appartenance régional semble se développer dans tous les pays européens. Les
régions sont devenues des marqueurs identitaires très forts. La plupart de ces aspirations
régionalistes ne sont pas toutes liées à des mouvements indépendantistes mais plutôt à une
volonté, de s’approprier et de défendre un capital culturel spécifique (17).
Face à l’essor du régionalisme, il convient de s’interroger sur sa nature et la façon dont il peut
être exploité par les entreprises. A quoi correspondent les aspirations régionalistes actuelles ?
Quelles sont les stratégies utilisées par les entreprises ? Comment utiliser habilement les
éléments symboliques sans tomber dans le stéréotype et la folklorisation ? Comment ces
pratiques sont-elles perçues par les consommateurs ? Enfin, correspondent-elles aux attentes
des consommateurs ?
Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une série d’observations en magasin et
d’entretiens avec des managers et des consommateurs. Ces études nous ont permis de mieux
comprendre le sentiment régional et d’identifier quatre stratégies pour exploiter les cultures
régionales en marketing. En premier lieu les entreprises peuvent utiliser les codes culturels
régionaux pour mettre en scène leurs marques. Elles peuvent aussi surfer sur la vague
régionaliste en devenant des insignes de l’identité régionale et ainsi permettre aux
consommateurs d’exprimer leur identité régionale. Troisièmement, une autre stratégie
possible consiste à se positionner comme un facilitateur de la vie sociale. Enfin, d’autres
marques peuvent se positionner comme des défenseurs de la diversité culturelle.
Les sentiments régionalistes
On ne peut réellement parler d’émergence des sentiments régionaux mais plutôt de résurgence
dans la mesure où on a assisté au cours des siècles passés à des alternances entre phases
d’acculturation, d’assimilation et de résistance (10).
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De la nation aux régions
En France, les politiques centralisatrices ont profondément marqué la configuration des
identités régionales. La révolution française s’est accompagnée d’une forte volonté
d’acculturation : la culture régionale est mise au pas au profit de la culture nationale (4). La
notion de nation se développe et le pouvoir jacobin cherche à instaurer un pouvoir central fort
et à supprimer les relents régionalistes.
La résurgence du régionalisme est liée au romantisme de la fin du XIXème où l’on cherche à
redécouvrir les origines de la nation. C’est au cours de cette quête que commencent à se
construire les cultures régionales (collectes de contes et chants régionaux, inventaires des
traditions populaires, formalisation des langues régionales…) (3, 14, 15).
Cet élan pour les spécificités régionales est ensuite freiné par la nouvelle période républicaine
qui cherche à créer une nation forte et unie. L’école de la 3ème république devient le moyen
d’acculturation privilégié. L’enseignement des « hussards de la république » est focalisé sur
l’apprentissage des facteurs de l’identité nationale : le français, la marseillaise, les
personnages et événements clés de l’histoire de France (nos ancêtres les gaulois, Clovis,
Jeanne d’Arc, la prise de la Bastille…), etc. (12).
Suivra une nouvelle phase de résurgence des régionalismes liée aux valeurs et aux idéaux
politiques d’extrême-gauche des années 60-70. C’est à cette époque que sont nés les
mouvements politisés nationalistes autonomistes : ETA (Euskadi Ta Askatasuna), ALB
(Armée de Libération de la Bretagne), FLNC (Front de Libération National de la Corse)….
Enfin, la période actuelle semble marquée par une forte dépolitisation et une individualisation
de régionalisme. Elle correspond ainsi à une quête de soi. Pour mieux comprendre les
sentiments régionaux actuels et analyser la façon dont il est possible de les exploiter en
marketing, nous avons réalisé une série d’observations en magasin et d’entretiens avec des
managers et des consommateurs (cf. encadré 1).
Encadré 1 : Méthodologie
Pour identifier et comprendre les sentiments régionaux, nous avons utilisé la technique des
récits de vie. Elle permet d’inciter le consommateur à raconter longuement son histoire
personnelle avec ses évolutions et ses points de rupture, autour d’une thématique conductrice
(16). Ici, les récits de vie sont focalisés sur le sentiment d’appartenance régional. L’objectif
était de générer des récits sur le vécu régionaliste pour comprendre la signification de ce
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sentiment, les processus de construction de ce sentiment et la place de la consommation dans
ce processus. Les récits de vie ont été organisés autour de la consigne suivante : raconter
quand je me sens corse (ou autre, selon l’origine des informants).
Parallèlement, nous avons demandé aux informants de nous transmettre 15 photos qui
représentent le fait de se sentir corse (ou autre, selon leur appartenance respective) et de
commenter librement chacune des photos. L’objectif était d’appuyer les récits sur un support
imagé pour aborder d’autres dimensions de la thématique (7).
L’échantillon a été constitué de façon progressive afin d’atteindre une représentativité
qualitative. La taille de l’échantillon n’a donc pas été déterminée a priori comme cela se fait
traditionnellement dans les recherches quantitatives mais a posteriori en fonction des
résultats de l’étude. Le processus de sélection de nouveaux participants s’est arrêté lorsqu’on
a atteint le seuil de saturation de l’information (13). L’échantillon final est composé de 28
personnes liées à une région française ayant une forte identité (Alsace, Catalogne, Bretagne,
Corse, Nord et Pays Basque), avec des sentiments régionaux de nature et d’intensité très
variés et des parcours régionaux différents. L’échantillon est très hétérogène en terme
sociodémographique (âge, niveau d’éducation et CSP) (annexe 1).
Au terme de ce processus, nous avons collecté 28 récits d’une à cinq pages soit 82 pages au
total et … photos accompagnées d’un commentaire de longueur très variable (quelques
lignes à plus d’une page). Les récits, collectés spontanément et à partir des photos, ont fait
l’objet d’une analyse diachronique et comparative (2) et d’une triangulation intra-chercheurs.
Les photographies ont été analysées à partir d’une série de catégorisation (5).
Pour connaître les utilisations du régionalisme par les entreprises, nous avons réalisé une
revue de la presse spécialisée, plusieurs observations en magasin et des entretiens avec
plusieurs manageurs (e.g. directeur du label « Produit en Bretagne », responsable de la
marque Café Sati (Alsace), responsable de l’Office pour la Langue et la Culture d’Alsace).
Le régionalisme comme quête de soi
Liés à plusieurs phénomènes comme la crise de la transmission (9) et la crise des identités (6),
les individus sont à la recherche de repères identitaires. A partir des analyses des récits, nous
pouvons retenir plusieurs idées sur la nature du régionalisme actuel.
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Un processus en construction - L’identité régionale n’est pas donnée par essence mais est le
produit d’un processus, d’une construction. On ne nait pas Catalan ou Corse, on le devient. Le
fait d’être né ou d’habiter dans une région, n’implique pas forcement un sentiment régional.
On peut être né dans une région, y habiter, y travailler sans se définir par rapport à cette
région :
« Breton ? Breton ? Je ne me sens jamais breton. Pas du tout. (…). Je me sens français en
permanence. (…). Je n’ai pas le sentiment d’être breton. Je suis breton par hasard, par voie de
conséquence. J’aurais pu être marseillais. Un marseillais, c’est pareil qu’un breton ». (Michel).
En revanche, d’autres peuvent ressentir et exprimer un sentiment régional très fort alors qu’ils
n’y sont pas nés ou n’y ont jamais habité. Ils construisent leur identité personnelle en liaison
avec cette région d’adoption.
Les sentiments régionaux se construisent au fil des expériences, des rencontres, des
évènements de vie : le passage à la retraite de Claude, l’emménagement en Seine et Marne de
Sophie, le divorce d’Ernest et sa rencontre avec son amie:
« Dès mon divorce, j’ai eu ce besoin de renouer avec la Catalogne comme renouer avec une
partie de moi-même. Je suis parti sur Barcelone, j’y ai emmené mes enfants. Je voulais leur
montrer que c’était une partie de moi. (…). Depuis que je connais Gaëlle, j’ai renforcé ce côté
catalan. Je me suis mis à lire sur le sujet, à visiter des lieux de référence ». (Ernest)
Le sentiment régional est souvent décrit comme une prise de conscience liée à une
redécouverte de soi et de l’autre. Confrontés à d’autres modèles culturels, les individus
prennent conscience des particularismes locaux et de leurs propres spécificités culturelles.
D’ailleurs, plusieurs informants expliquent avoir pris conscience de leur attachement régional
à partir du moment où ils ont été confrontés à l’altérité à l’occasion de voyages, d’installation
hors de la région d’origine…
Des identités multiples qui coexistent – Les logiques régionales, nationales et
supranationales (e.g. l’Europe) ne sont pas incompatibles. Ces identités sont enchevêtrées et
coexistent généralement sans s’affronter. Nous sommes tous des individus multiples
possédant et créant des ressources culturelles dans lesquelles il est possible de puiser afin de
se bricoler des identités personnelles (11). Toutes ces identités sont mises en action, non pas
l’une après l’autre mais les unes avec les autres : elles coexistent (6). On peut donc se sentir
breton, français et européen en même temps et sans conflit identitaire. Les identités
collectives potentielles coexistent donc :
« En même temps, tout en se sentant profondément Corse, on garde le sentiment très fort de faire
partie et d’être partie prenante d’une nation qui s’appelle la France ». (Madeleine)
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Selon les circonstances (entourage, lieu, enjeux…), une facette peut temporairement
prédominer par rapport aux autres :
« Le sentiment d’être ou au contraire de ne pas être alsacienne me sert plutôt comme mécanisme
défensif : si je me sens exclu, je marque mon rejet, et, si ça me permet de me valoriser, je
revendique mon origine régionale !!! Mais, dans l’absolue, hors contexte, je ne me sens pas
alsacienne ». (Floriane)
« Je me sens bretonne quand je vais en Bretagne, quand je rentre. Dans la vie de tous les jours,
c’est de côté, ce n’est pas quelque chose que je mets en avant. Je n’ai pas une étiquette de
bretonne tous les jours. C’est de côté. Je n’y pense pas. » (Sophie)
Ainsi, la culture régionale peut se concevoir comme en ensemble de ressources et de
compétences identitaires (11). Elle constitue une sorte de boîte à outils à partir de laquelle
l’individu bricole son identité personnelle.
Conscientes de l’importance et de l’influence des sentiments régionaux, plusieurs entreprises
cherchent à surfer sur cette tendance en mettant en scènes les cultures régionales.
L’observation des pratiques des entreprises et l’analyse des entretiens réalisés avec des
managers et des récits de vie des informants ont permis de faire émerger plusieurs pratiques.
Mettre en scène les cultures régionales
Comme une nation, une région est représentée par un ensemble d’éléments symboliques et
matériels : « une histoire établissant la continuité avec les grands ancêtres, une série de héros
mettant en avant les vertus régionales, une langue, des monuments culturels, un folklore, des
hauts-lieux et un paysage typique, une mentalité particulière, des représentations officielles
(drapeau, hymne), des identifications pittoresques (costume, spécialités culinaires ou animal
emblématique) » (15). Ces éléments représentent une « check-list identitaire » (15), à partir de
laquelle les marques peuvent bricoler des axes de différenciation et/ou de communication.
Utiliser des éléments de la check-list identitaire permet une identification rapide de l’origine
et éventuellement des caractéristiques des produits. Le recours à ces symboles identitaires est
le moyen le plus aisé de représenter une nation ou une région en publicité, sur un packaging
en raison de sa facilité d’interprétation. Pour cette raison, ces symboles sont utilisés comme
heuristiques de jugement en situation d’incertitude ou pour réduire l’effort cognitif alloué à
l’évaluation (1). Au-delà de la simple identification des origines et/ou des caractéristiques du
produit, la check-list identitaire peut être utilisée de façon plus subtile : pour mettre en récit ou
mettre en expérience la marque.
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Mettre en récit la marque
Certaines entreprises cherchent à manipuler les éléments de la check-list identitaire pour
mettre en récit une marque. Cette narration vise à rapprocher la marque d’une image régionale
susceptible d’entraîner l’adhésion des consommateurs. On fait appel à des éléments
mythiques (héros, lieux, événements…) ou emblématiques de la région, intégrés dans un récit
de marque qui constitue une configuration narrative, c’est-à-dire une mise en série d’éléments
disparates créant une histoire. Cette dernière vise à créer une enveloppe symbolique autour du
produit/service. C’est, par exemple, le cas de la brasserie Lancelot qui commercialise une
gamme de 10 bières inspirées par l’histoire bretonne et les légendes celtes (cf. Encadré 2).
Mettre en expérience la marque
Au-delà de l’utilisation de la check-list identitaire à des fins narrative, il est également
intéressant pour une marque de mettre en expérience ses produits et service afin pour récréer
une atmosphère ou une sensation régionale chez le consommateur. L’objectif est alors de
plonger le consommateur dans un environnement sensoriel qui fait référence à des situations
sensorielles liées à la région, qu’elles aient été effectivement vécues ou soient « typiques » de
la région. Par exemple, Paysan Breton a utilisé cette approche dans un spot TV dans lequel un
parisien, en mangeant du beurre, se sentait au fur et à mesure projeté dans une ambiance de
Bretagne (vent, mer, biniou…) et se mettait à danser la gavotte dans sa cuisine.
Cette pratique est d‘autant plus intéressante que le sentiment régional s’exprime largement à
travers des sensations olfactives, visuelles, tactiles, auditives et gustatives (l’expérience de la
tempête en Bretagne, du vent à Perpignan, du soleil en Corse…) dans ce qu’il est possible
d’appeler un ancrage sensoriel (14) :
« L’Alsace, je l’ai dans la vue, dans l’ouïe, dans l’odeur et la saveur ». (Nicole)
« Quand je pense à la Bretagne, je me vois marcher le long de la mer dans le vent avec des
grosses vagues qui explosent sur les rochers, un bateau de pêche au loin suivi par des mouettes.
Bref, une véritable image d’Epinal. Je sens aussi le goémon et j’entends les mouettes qui suivent
le bateau de pêche. Et puis, de temps en temps, il pleut mais jamais longtemps. Le soleil n’est
jamais loin ». (Daphné)
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Au-delà de l’atmosphère régionale, la « mise en expérience » de la marque peut se faire à
travers l’intégration dans des pratiques rituelles ou festives locales comme c’est le cas de la
brasserie Lancelot avec la nuit de Samhain et la fête de la Teillouse (cf. encadré 2) ou la
présence de stand Pitouflet lors de fêtes catalanistes. On retrouve également cette mise en
expérience dans le sponsoring et les marques de sport comme c’est le cas avec la marque
Dragons Catalans (marque du club de rugby à XIII de Perpignan).
Encadré 2 : Brasserie Lancelot
La Brasserie Lancelot, crée en 1990, fabrique et commercialise une gamme de bières
brassées artisanalement qui cherche à plonger les consommateurs dans l'univers magique des
légendes celtes et les grands événements de l’histoire de la Bretagne.
La brasserie exploite plusieurs récits et personnages mythiques bretons : les légendes de la
forêt de Brocéliande (à travers les bières « Lancelot », « Cervoise Lancelot »,
« Morgane Bio» et « Dragons »), la duchesse Anne de Bretagne (avec une bière éponyme),
les chouans (« Bonnets rouges »). La marque fait référence aux représentations
stéréotypées de la région : l’hermine avec la bière blanche « Blanche Hermine » et le triskel
avec la bière brune au blé noir « Telenn Du ». Elle mobilise également des récits mythiques
oubliés qui remontent aux époques Celtes. Ainsi, la brasserie a commercialisé une bière en
référence à la Nuit de Samhain (la nuit du 1er Novembre) qui représentait le début de l’année
Celte et au cours de laquelle les âmes des morts viennent visiter les vivants1.
La brasserie a non seulement cherché à mettre en récit ses produits mais aussi à inscrire la
bière en tant qu’objet sémantique dans des pratiques rituelles ancestrales. Pour la nuit de
Samhain par exemple elle organise une grande fête au cours de laquelle on brasse, en public
et en musique, la « XI.I – la bière de la nuit de Samhain », une bière noire titrant 11,1°
d’alcool en référence au « 11ème mois de l’année et au 1er jour ». Brassée au coucher du
soleil le soir du 31 Octobre, elle est disponible après une fermentation de 6 semaines au
solstice d’hiver. La brasserie Lancelot cherche aussi à incorporer à ses récits des événements
locaux. Par exemple, elle a crée la « Bogue d’Or », une bière à la farine de châtaigne qui
permet de célébrer la fête de la Teillouse (festivités autour de la châtaigne qui se déroulent
1
Cette fête fut christianisée en 835 et devint à la fois la fête de tous les saints (la Toussaint) et la fête des morts
le 2 Novembre. En Irlande, elle fut christianisée sous le nom de All Holy’s Eve pour devenir plus tard
Halloween.
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dans le pays de Redon au mois d’octobre).
Ainsi, la brasserie Lancelot ne se contente pas de lier ses produits à un ensemble de mythes
régionaux à travers un dispositif formel (image et texte apposé sur le packaging) et/ou
discursif (récits de la marque). Elle cherche à développer une approche plus expérientielle en
associant sa marque à des pratiques rituelles et des récits ancestraux. Elle a même exhumé
des mythes tombés en désuétude pour créer de nouvelles pratiques rituelles.
Source : www.brasserie-lancelot.com
Permettre au consommateur d’exprimer son identité régionale
L’ancrage régional d’une marque peut permettre au consommateur de s’exprimer, d’affirmer
des positions politiques et culturelles, d’affirmer sa différence. L’objectif n’est plus seulement
de créer une enveloppe symbolique ou expérientielle autour du produit mais de devenir un
support d’expression de son identité régionale.
Exhiber son appartenance régionale
La fierté est une thématique qui revient dans quasiment tous les récits. Les individus sont fiers
et contents d’avoir une identité différente, de venir d’une belle région, riche culturellement.
« Quand les gens me demandent d’où je viens, je suis fière de dire que je suis bretonne. (…).
Surtout quand je dis que je suis née à Saint Malo, tout de suite, les gens me disent « ah ouais »
avec un air un peu admiratif ». (Gwenaëlle)
Certaines fois, ce sentiment reste très personnel, très intime :
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« Ce sentiment fort d’être bretonne avant tout ne s’accompagne pas chez moi de signes extérieurs
de « bretonnitude ». Pas de drapeau breton pendu à mon rétroviseur, ni collé sur la carrosserie
de ma voiture ; pas de musique bretonne ou celte, que j’ai en horreur, dans mon MP3 ; pas de
chouchenn dans mes placards !! Bref, tout cela est très intérieur ». (Valérie)
En revanche, chez d’autres, le sentiment régional est plus extraverti. On ne peut s’empêcher
d’affirmer son identité régionale, d’en parler dans son entourage, d’exhiber son origine
régionale :
« J’adore dire à mes copains que je suis breton. Je trouve que cela donne un plus, une originalité
par rapport aux autres qui ne peuvent pas dire « je suis cela » ou « je suis cela ». J’ai un copain
qui est un pur breton et lui, c’est pareil, il n’arrête pas de le dire » (Pierre)
Dans cette perspective, les marques peuvent se positionner comme des vecteurs de
l’exhibitionnisme régional. Les produits et marques régionales sont consommés pour montrer
son identité, ses racines :
« Au bureau, quand on fait une réunion où chacun doit apporter une spécialité de sa région, je
n’amène pas de brie de Meaux car je n’ai pas le sentiment d’appartenir à la Seine et Marne.
Quand on fait des repas avec des produits régionaux, j’amène des produits de Bretagne et non
des produits de Seine et Marne ». (Sophie)
Le désir de démonstration de l’identité régionale passe essentiellement par des produits
alimentaires, des éléments de décoration (ex : le tableau du Canigou dans l’entrée de la
maison d’Ernest ou le meuble breton chez Patricia…) et des vêtements (ex : le maillot de
rugby de l’USAP d’Ernest ou le tee-shirt « A l’aise Breizh » de Pierre) :
« Mon fils est trop content d’afficher sa bretonitude. Je lui ai acheté ce tee-shirt pour son
anniversaire [un tee-shirt « A l’aise Breizh »]. Quand je lui ai dit que peut-être il ne le mettrait
pas pour aller à l’école - lui qui ne porte que du Nike ou du Puma - il s’est exclamé, qu’il allait le
mettre le jour de la rentrée et pour la photo de classe ». (Patricia)
Dans cette perspective plusieurs PME régionales ont développé des marques très
fortes localement: 64, 66, Momo le Homard, Mam Goudig… qui commercialisent des
produits d’exhibitionnisme régional : essentiellement des tee-shirts, des stickers ou de petites
figurines (cf. encadré 3).
Faire découvrir les richesses culturelles de sa région
Consommer des produits régionaux, c’est aussi une façon de faire découvrir aux autres les
richesses de sa région. Il ne s’agit pas seulement de mettre en avant ses origines mais
également de montrer aux «étrangers » (aux gabatchs, diraient les Catalans) les richesses
culturelles de sa région :
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« Quand j’invite des gens, j’essaie toujours d’avoir des trucs breton : bière bretonne en apéro,
gâteau apéro de Pont-Aven (ils coutent une fortune, mais ce n’est pas grave. C’est pour la bonne
cause, pour faire découvrir aux parisiens). Dans ces situations, je fais un peu la démonstratrice
de supermarché. Cela m’amuse. D’ailleurs, des gens me l’ont fait remarquer. Mais bon, j’aime
bien être ambassadrice de mon pays » (Daphné)
Etre ambassadeur de sa région, c’est aussi aimer faire découvrir la région elle-même : ses
paysages, ses monuments :
« Quand bien même, je n’habite plus à Strasbourg, je me sens alsacienne dès que quelqu’un me
raconte son séjour en Alsace. Les personnes qui ont découvert Strasbourg lors du marché de
Noël ou de la route des vins en été me racontent souvent combien ils ont apprécié découvrir cette
région. J’ai un frétillement quand je les entends prononcer maladroitement le nom des villages et
je me surprends à leur expliquer les endroits à visiter, les restaurants à découvrir, les balades à
faire ». (Anne-Christelle).
Ici, l’objectif n’est pas simplement de s’afficher mais aussi de faire partager et faire découvrir
aux néophytes les éléments emblématiques mais aussi des éléments plus confidentiels, connus
des seuls initiés. Pour les marketers le dévoilement des richesses culturelles de la région
constitue un élément intéressant pour le positionnement. Comme dans le cadre du marketing
du vin (10), force est de constater que la découverte du patrimoine régional par une marque
est une stratégie pertinente.
Encadré 3 : Pitouflet et la marchandisation catalanasse (photo et texte)
Crée début 2003, Pitouflet est devenu une mascotte catalane que l’on trouve chez la plupart
des buralistes, chez tous les marchands de souvenirs ainsi que chez les spécialistes de la fête.
Son nom signifierait selon ses créateurs : petit personnage sympathique. En fait, il ne veut
rien dire en catalan, mais il se rapproche de patoufet qui lui est un petit surnom adressé aux
petits garçons. Pitouflet, se veut une sorte d’Asterix « Sang et Or » (les couleurs symbolique
de la Catalogne), et se décline en une foule de personnages
d’articles souvenir : porte-clefs, porte-crayons, porte-photo,
tirelires…. Comme nous le montre son créateur, loin de la
catalanité, on est en plein dans la catalanitude : « En créant
la mascotte Pitouflet, j’ai voulu passer plusieurs messages
importants : le premier est un message de paix, d’amour et
d’humour dans un monde très dur, parfois très cruel ; le
deuxième est de faire comprendre que les Catalans sont très
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sympas, très accueillants contrairement à ce que disent les gens ! Le Catalan sait recevoir, il
n’est pas si rustre que ça… C’est pour cela que j’ai crée et dessiné Pitouflet ; j’ai pris soin
d’exagérer son sourire, de lui donner des formes hors normes, qu’il ait par exemple de grands
yeux très expressifs, de belles galtes (joues)… bref, un personnage rigolo, marrant quoi ! ».
Ce personnage, fabriqué au Viet Nam, est décliné dans différentes facettes du catalan :
Pitouflet avec un ballon de rugby ou de foot, Pitouflet jouant à la pétanque, Pitouflet avec le
porro (le plus vendu), et même le Pitouflet cagané2 (le plus recherché) c’est-à-dire les fesses
nues.
2
Notons que le cagané est un personnage qui est régulièrement représenté dans les crèches catalanes
symbolisant à la fois la fertilité et le personnage païen.
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Favoriser l’être ensemble
Le sentiment régional se traduit souvent par une dimension communautaire : le sentiment de
faire partie d’une communauté, d’un groupe d’hommes et de femmes avec lesquelles on
partage une histoire, un patrimoine, des valeurs, des savoir-faire, des connaissances…. :
Permettre un ancrage communautaire
Les objets et produits sont souvent insérés dans ces pratiques communautaires: il faut savoir
les manipuler correctement et les apprécier selon certains usages :
« Tout bon Catalan qui se respecte se doit d’aimer la grillade. Un couteau, un bout de pain, un
morceau de saucisse... Voilà les ingrédients du bonheur... Bon, on ne peut pas être si
catégorique : il manquerait peut-être de l’aoïli... Et surtout, n’allez pas demander une assiette et
des couverts : vous gâcheriez tout ! Un peu dans le même registre que la grillade : le morceau de
jambon. Même principe : simplicité, peu d’ustensile, bonheur... » (Julien).
Les objets sont insérés dans des pratiques collectives et favorisent « l’être ensemble ». Ils sont
insérés dans des rituels collectifs : le picon-bière en Alsace, les galettes-saucisses en HauteBretagne, les bunyetes en Catalogne :
« Ce sont des gâteaux [Les bunyetes] que l’on fait à Pâques et où on se regroupe en famille car il
faut de la main d’œuvre. C’est toute une histoire, un rite…Chacun a son rôle, son attribution… Et
quand tu les fais, tu te sens d’ici, de ce terroir… Nous, on fait ça tous les ans chez mes grandsparents. Il y a les immuables, mes grands-parents qui font la pâte et puis les occasionnels qui
viennent aider pour étirer la pâte sur un linge. A chaque fois, on évoque les fois précédentes où
l’arrière grand-mère était là, où le frère avait trouvé le temps de venir… et autour de cette
tradition et de ses souvenirs, c’est ta vie qui se déroule et s’inscrit dans la lignée de tes ancêtres,
de tes racines. Car mes racines, elles sont là aussi dans ces rites que j’ai vécus dans l’enfance et
que j’aime partager maintenant avec mes enfants. » (Gaëlle)
Dans cette perspective, les marques peuvent se positionner comme des facilitateurs de l’être
ensemble. Les produits doivent alors être conçus pour s’intégrer dans des pratiques rituelles
spécifiques. La marque peut aussi aider les consommateurs qui cherchent à acquérir de
nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences liées à la culture régionale. L’enseigne
Coop Alsace développe par exemple une stratégie de soutien au patrimoine culturel alsacien
en subventionnant à des associations linguistiques et culturelles ou la chaîne de télévision
Alsatica (cf. encadré 5).
Jouer sur la solidarité locale
Le régionalisme se traduit aussi par un sentiment de solidarité et d’entraide avec ses
semblables :
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« La solidarité ethnique est une vrai réalité, il m’est arrivé plusieurs fois de voir des gens que je
ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam me manifester de l’intérêt et me proposer leur aide par le seul
fait de ma corsitude (service militaire, études, rencontres fortuites…). » (Christian)
La solidarité peut se retrouver sur plusieurs plans (bénévolat, entraide…) mais aussi à travers
la consommation. On achète des produits pour supporter notre région, pour l’aider, pour
permettre aux entreprises locales de se développer :
« Etre breton, c’est aussi et toujours être fier de son pays et aider son pays. Quand je fais les
courses, j’achète avant tout des produits bretons. (…). C’est important d’acheter ces produits et
je fais très attention à l’origine des produits. C’est une façon de soutenir mon pays sur le plan
économique. (…). J’ai travaillé à l’usine à Quimper, chez Saupiquet, à mettre du poisson en
conserve. Alors, parfois j’en achète, par solidarité avec les filles de l’usine, même si je n’aime
pas vraiment cela… ». (Daphné)
C’est dans cette perspective qu’a été développé le logo Produit en Bretagne (encadré 4).
Toutefois, le fait d’acheter des produits locaux n’est pas forcement lié à la solidarité
communautaire mais simplement à la solidarité locale, et ce quelque soit les sentiments
régionaux.
« J’essaie d’acheter en priorité des produits locaux ou des créations locales. Mais, je pense que
je ferai pareil si j’habitais ailleurs. Là, c’est plutôt une question de responsabilité économique.
Faire vivre les producteurs locaux, l’emploi local. Avoir une connaissance de la provenance des
produits et éviter les frais logistiques et environnementaux considérables en consommant local.
Là définitivement, ça n’a rien à voir avec le fait de se sentir basque ! » (Hélène)
Encadré 4 : Produit en Bretagne
L’association Produit en Bretagne a été crée en 1993 avec pour objectif la redynamisation du
tissu économique breton. Elle réunit désormais 200 entreprises de secteurs d’activité variés
(agroalimentaire, distribution, équipement et ingénierie, culture et création, services et arts de
vivre en Bretagne). Les adhérents réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 15 milliard
d’euros et emploient plus de 85 000 salariés (équivalent temps plein) sur 5 départements (y
compris la Loire Atlantique).
L’association a cherché à fédérer les entreprises sous une bannière commune : le label
« Produit en Bretagne ». Au départ, le label concernait uniquement des produits
agroalimentaires. Aujourd’hui, il concerne toutes les catégories de produits : selon le slogan,
« ce sont 2300 produits à savourer, à porter, à lire, à écouter ». Le label bénéficie d’une très
Session 9 - 40
forte notoriété3 : taux de reconnaissance de 90% en Bretagne (99% dans le Finistère, zone de
développement initiale) et de 21% en Ile de France. Il ne se positionne pas comme un label
de terroir ou d’authenticité : ce n’est pas un label folklorisant qui communique avec des
bigoudènes en coiffe. En Bretagne, le label se positionne comme un support de solidarité
régionale et un vecteur de dynamisme économique. L’objectif est de faire appel à la
solidarité bretonne, valeur régionale historiquement très forte, en invitant les consommateurs
bretons à faire un acte civique en achetant des produits fabriqués en Bretagne. L’achat
devient un « achat militant pour l’emploi en Bretagne ».
Pour le développement en Ile de France, le positionnement est plus expérientiel : « du plaisir
du début à la fin - Plijadur pen da benn ». Ce nouveau positionnement permet d’élargir la
cible et de ne pas chercher à communiquer seulement auprès des bretons exilés.
Pour développer ce projet, la coopération avec la grande distribution a été primordiale. Le
projet n’aurait pas pu se développer si les enseignes n’avaient pas favorisées l’implantation la
mise en avant des produits labélisés dans les linéaires. Au fil du temps, des expériences
collaboratives inédites ont mêmes vu le jour. Par exemple, pour la St Yves, l’association a
réalisé en partenariat avec toutes les enseignes de distribution4 un événement commercial
intitulé « Pendant la St Yves, fêtons la Bretagne – Govel Breizh ». Cette manifestation a été
relayée dans toutes les enseignes (superettes, super et hypermarchés) en Bretagne et a été
supportée par la diffusion d’un prospectus commun à toutes les enseignes. Au delà des
coopérations inter-producteurs et entre producteurs et distributeurs, on peut donc noter le
développement de collaborations inter-distributeurs !
3
Etude TMO-CSA réalisée en 2007 auprès de 808 consommateurs.
4
Les enseignes partenaires à l’opération « Fêtons le Bretagne » sont : Auchan, Coccimarket, Champion, E.
Leclerc, Shopi, 8àHuit, Casino, Géant Casino, Hyper U, Super U, Cora, Marché Plus, Carrefour, Intermarché,
Bricomarché, Votre marché, Proxi,
Session 9 - 41
Parallèlement, l’association a mis en place un club d’entrepreneurs, lieu d’échanges et de
rencontres qui permet aux entrepreneurs bretons de partager leurs expériences et leurs savoirfaire et de se rencontrer pour développer des synergies (commerciales, logistiques,
industrielles…).
Récemment, Produit en Bretagne a également mis en place une structure d’aide à la création
et à la reprise d’entreprises. L’incubateur Produit en Bretagne héberge actuellement 6 projets.
Source : Fréderick Bourget, Directeur, Produit en Bretagne - www.produitenbretagne.com
Protéger la diversité culturelle
A chaque région correspond un ensemble de produits alimentaires et culturels spécifiques.
Certaines marques se sentent investies d’une responsabilité particulière par rapport à la
protection de cette diversité culturelle.
S’engager dans la protection et vivification du patrimoine culturel
Le sentiment régional est lié à la prise de conscience d’une spécificité culturelle. Ce
patrimoine culturel, il est important de le protéger, de ne pas le laisser mourir mais aussi de le
faire vivre car il ne s’agit pas de l’enfermer dans un étau folklorisant et archaïque. Dans cette
perspective, les entreprises peuvent soutenir des évènements régionaux, financer des
opérations de protection du patrimoine et favoriser la transmission de la culture.
Encadré 5 : COOP Alsace : vivifier le capital culturel régional
L’Union des Coopérateurs d'Alsace est fondée en 1902 sous le nom de Konsumverein für
Strassburg und Umgegend. Le groupe a fusionné en 1967 avec les Coopérateurs de
Mulhouse et en 1972 avec les Coopérateurs de Colmar, une société coopérative appartenant à
157.000 familles sociétaires. Coop Alsace est aujourd’hui le 1er distributeur indépendant de
la région et le 2ème employeur privé. Son activité se répartit entre les enseignes Rond point
(hypermarchés), Maxi (supermarchés), Coop, Point Coop (supérettes et points de vente), Le
Mutant et Mutant Express (hard discount). L’enseigne est extrêmement liée à la région
Alsace comme l’indique clairement son slogan : « Le 1er distributeur Alsacien à votre
service ». La région Alsace et son identité spécifique s’exprime dans l’ensemble de ses
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déclarations :
« Coop Alsace a de tous temps, soutenu, encouragé et accompagné tout ce qui pouvait
dynamiser produits et services de la région dans le cadre d'un partenariat transparent et efficace
et dans le respect des convictions de chacun. Nous voulons être avec nos partenaires régionaux,
les gardiens et les exemples de l'identité alsacienne. En cela nous affirmons notre volonté de
privilégier et de faire confiance en premier lieu à nos partenaires régionaux, pour tisser des
liens durables pour la prospérité économique et la défense de l'emploi. .Le pari ce n'est pas le
repli sur soi que peut entrainer le culte de l'identité régionale, c'est avant tout d'inciter les
consommateurs à reconnaitre nos produits, nos services, à les consommer, les apprécier et
pourquoi pas les préférer. C'est donc au travers de la réaffirmation de notre volonté identitaire
et la justification de sa légitimité que nous nous proposons de structurer notre démarche pour la
promotion des produits et des activités de notre terroir. » (www.coop-alsace.coop)
Elle a récemment pris l’initiative de créer le label « d’Alsace naturellement ! ». Cette
opération qui se décline sous forme d’affichages routiers et de spots télé et cinéma (coût :
60.000€ selon LSA N°2025) et que l’enseigne présente de la manière suivante :
« Ce que nous défendons a désormais un nom : «D’Alsace Naturellement !». Le 29 novembre
2007, Coop Alsace a signé une convention de partenariat avec l’Association Régionale des
Industriels Alimentaires (ARIA) et a parallèlement donné naissance à un nouveau label :
«D’Alsace Naturellement !» Coop Alsace a de tout temps, soutenu, encouragé et accompagné
tout ce qui pouvait dynamiser produits et services de la région dans le cadre d’un partenariat
transparent et efficace et dans le respect des convictions de chacun. Le 1er distributeur Alsacien
a décidé de regrouper tous ses partenaires et amis régionaux sous un label qui lui est propre et
qui permettra de les identifier et de leur donner un emplacement avantageux dans les linéaires
des 214 magasins du groupe. Ainsi, Coop Alsace affirme sa volonté de privilégier et de faire
confiance en premier lieu à ses partenaires régionaux pour tisser des liens durables pour la
prospérité économique et la défense de l’emploi. » (« Coop alsace et vous ! », disponible sur
http://www.coop-alsace.coop)
En outre, l’enseigne a signé de nombreux partenariats qui illustrent parfaitement la volonté
de vivifier et maintenir le capital culturel régional et en faire un élément fondamental de
résistance à la mondialisation. Les partenariats sont résolument locaux et volontairement
inscrits dans le capital culturel régional (cf. http://www.coop-alsace.coop) comme par
exemple :
-
la CRESA (Chambre Régionale de l’Economie Sociale d’Alsace) ;
-
l'« Alsace signe l’Art et la Manière » qui promeut « Le respect des valeurs du
développement durable ; Le maintien des savoir-faire régionaux ; La qualité et le
progrès social ; La valorisation des matières premières régionales, notamment dans
les secteurs agricoles et agro-alimentaires. » (www.alsace-art-maniere.com);
-
l’OLCA (Office pour la langue et la Culture d’Alsace), dont la page Internet déclare :
« L'Office pour la Langue et la Culture d'Alsace (OLCA - Elsassisches Sprochàmt)
Session 9 - 43
est un pôle d'information et de documentation dans les domaines de la langue et de la
culture régionales. Son action s’inscrit en accompagnement des politiques initiées par
le Conseil Régional d’Alsace et les Conseils Généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Il oeuvre et soutient les initiatives des associations, collectivités, administrations,
entreprises, pour une présence plus forte de l'alsacien dans tous les domaines. Màche
mit ! » (http://www.olcalsace.org/). Cet organisme s’attache à défendre et développer
la culture régionale ;
-
Alsatic TV qui déclare « Outil d'identification régionale et miroir de ceux qui habitent
en Alsace, alsatic TV veut favoriser le passage du lieu au lien. Ses programmes ont
une fonction de passerelle entre les citoyens et contribuent à tisser du lien social. Ils
privilégient les initiatives locales, et valorisent les acteurs non-institutionnels. Ils sont
également le reflet des différentes formes des cultures d’expression française,
dialectale
ou
autre,
présentes
aujourd'hui
sur
le
territoire
alsacien. »
(www.alsatic.com).
En 2008, l’enseigne a signé un partenariat avec le groupe E. Leclerc que Michel-Edouard
Leclerc présentait ainsi aux industriels locaux fin juin : « Face aux industriels du cru, MichelEdouard Leclerc a effectué un grand numéro de régionalisme - "Bretons et Alsaciens, même
combat pour l'ancrage local" - garantissant, la main sur le cœur, que les produits régionaux et
locaux ne pouvaient pas trouver meilleur terrain d'expression et de développement que dans
l'enseigne Leclerc. » (LSA, Article Web du 01/07/2008).
Finalement, l’enseigne Coop Alsace s’engage dans le maintien et le développement de la
culture alsacienne (soutien au dialecte, aux activités artistiques, etc.). Cette stratégie permet à
l’enseigne de bénéficier d’un grand capital de sympathie auprès des habitants qui la
surnomment « la Coopé »…
Se démarquer d’une culture marchande mondiale relativement standardisée
La globalisation a conduit à une standardisation marchande, une tendance à l’uniformisation
qui a crée une hégémonie exerçant une «autorité sociale totale » contre laquelle certains
cherchent à résister. Face à cette hégémonie de pensée, le seul pouvoir qui demeure aux
citoyens est celui de dire «non» (8). C’est en cela que l’on peut rapprocher le sentiment
régional de la résistance mais une résistance passive, identitaire, symbolique, voire
imaginaire. Une résistance essentiellement caractérisée par l’affirmation de ses spécificités et
de son autonomie culturelle :
Session 9 - 44
« Actuellement, on veut tout uniformiser, mondialiser. On a envie de se démarquer, et de montrer
son identité, que l’on fait partie d’un groupe et en même temps de montrer une certaine liberté. »
(Yolande)
Face à ce mouvement, certaines marques régionales peuvent apparaitre comme des effigies de
la résistance à la globalisation. C’est un peu le village gaulois qui résiste à l’envahisseur :
« Pour moi, l’Alsace, c’est Hochfelden et Météor à la fois. (…) Météor est la dernière brasserie
alsacienne (sans doute française) familiale et indépendante : la famille Haag s’est succédée de
père en fils pour gérer l’entreprise et la brasserie a réussi à survivre dans un secteur où les
concentrations font rage. Adelshoffen à Scilitgheim, près de Strasbourg, ou Kronenbourg n’ont
pas su résister aux sirènes capitalistes d’un marché où la globalisation poursuit sa marche
inexorable. Météor, locale, petite et audacieuse a su garder sa place. Pour moi, c’est un peu
avoir su garder l’Alsace, ce qui fait sa spécificité, son pédigrée » (Anne-Christelle).
Plutôt que de chercher à résister, d’autres entreprises ont cherché à détourner les codes de la
globalisation pour créer des marques régionales très fortes. L’objectif est de détourner les
marques internationales emblèmes de la mondialisation telles que Coca-Cola et Nutella pour
créer des marques régionales de résistance : Corsica Cola, Breizh Cola, Elsass Cola,
Breizhella.... (cf. Encadré 6).
Encadré 6 : Les altercolas
Les altercolas (Breizh Cola, Chtilà Cola, Corsica Cola, Elsass Cola …) visent à lutter contre
l’hégémonie américaine sur le marché du cola et principalement de Coca-Cola. C’est un rejet
de la culture et du modèle économique américain et une réappropriation identitaire : on
cherche à consommer ce qui est le plus proche de soi, avec le sentiment de résister à la
mondialisation. La société Phare Ouest a lancé en 2002 un alter-cola breton dont le
positionnement de résistance est clairement explicité sur leur site internet :
« Depuis plusieurs années, la prise de conscience s'est faite de l'importance de la diversité des
cultures. Ne parle-t-on pas, par exemple, de l'importance de sauver les langues régionales ? Et
dans le domaine de l'environnement, nul ne conteste aujourd'hui, l'absolue nécessité de maintenir
la diversité (la bio-diversité) des espèces animales et végétales, seule solution pour envisager un
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développement durable. Et pourtant il y a un modèle
économique unique pour le monde entier. Et pourtant il y
a un modèle culturel qui s'impose à tous. Et il y a des
produits qui, par leur diffusion planétaire, tendent à un
modèle unique de consommation. Alors çà et là, quelques
individus groupés, sans aucun esprit de communautarisme,
réagissent pour ne pas perdre leur identité. Quelques
irréductibles qui disent "nous allons reprendre la main,
prenons un produit universellement connu... le cola et
approprions-nous le. Nous avons donc décidé sans aucun
complexe, de produire et de commercialiser en Bretagne :
Breizh Cola, le cola du Phare Ouest ... » (www.breizhcola.fr)
Conclusion-discussion
Cette étude a permis de mieux comprendre les sentiments régionaux actuels et d’identifier les
stratégies possibles à mettre en place pour surfer sur cette vague régionaliste. Cette
perspective semble extrêmement intéressante pour les PME. Les cultures régionales
représentent pour eux un nouveau levier pour s’implanter solidement sur les marchés
régionaux et ainsi disposer d’éléments de différenciation importants face aux multinationales.
Toutefois, cette stratégie peut présenter un certains nombre d’écueils à éviter. En effet,
l’utilisation des symboles régionaux par les marques leur fait courir le risque d’apparaitre
comme récupératrices ou non authentiques. Dans ce contexte il convient de savoir manier les
codes culturels, d’éviter la folklorisation et d’éviter les préjugés.
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Savoir manier les codes culturels selon le capital culturel de la cible - Si le recours à la liste
identitaire est le moyen le plus simple de représenter une région, cette représentation ne vit
que par l’adhésion collective à cette fiction (15). A la différence des représentations officielles
(drapeau, hymnes) qui représentent les cadres officiels et institutionnels de la région, les
représentations
pittoresques
(éléments
gastronomiques,
architecturaux…)
et
les
représentations mythiques (personnages et lieux mythiques) ne sont pas imposées. Il s’agit de
représentations collectives co-construites. Cette liste est donc évolutive et différente selon les
individus. Une marque peut même intégrer (volontairement ou involontairement) la check-list
identitaire et devenir un élément typique intrinsèque de la région. C’est par exemple le cas des
cirés jaunes Cotten. Ce ciré conçu au départ pour les marins-pêcheurs est entré, malgré lui,
dans la check-list identitaire de la Bretagne, au même titre que la coiffe bigoudène : « C’est le
manteau breton, par excellence » (Gwenaëlle). Pour que l’utilisation de ces représentations
symboliques fasse sens pour le consommateur, il faut qu’il les connaisse et se les approprie.
Le personnage de Pitouflet n’a pas forcement de sens pour un non-Catalan, ni celui de
l’Ankou pour un non-breton. Par exemple, la communication de Savéol, ci-dessous, fait appel
à de nombreuses références linguistiques, historiques et culturelles qui ne sont pas forcement
comprises par les non-bretons. Pour comprendre le sens de cette communication, il faut :
-
comprendre le jeu de mots à partir des mots Breizh et Fraise, ce qui nécessite de savoir
que Breizh signifie Bretagne en breton,
-
savoir que Plougastel est en Bretagne,
-
identifier la coiffe de Plougastel (le plus souvent, on représente la Bretagne à partir de
la coiffe du pays Bigouden),
-
connaitre la tradition de Plougastel (la fraise y est cultivée depuis des générations ;
c’est une fraise de grande qualité).
Session 9 - 47
Il faut ainsi savoir manier les représentations symboliques de la région selon la cible pour
s’assurer qu’on fait référence à des représentations compréhensibles par la cible. Si on
s’adresse à une cible large qui ne partage pas le capital culturel de la région, il est nécessaire
d’utiliser des représentations primaires, simples et partagées par tous mais sans non plus
tomber dans les stéréotypes. En revanche, plus on s’adresse à une cible d’expert, plus il est
nécessaire d’affiner les éléments de représentations utilisés au risque de paraitre folklorisant
et d’être considéré comme un produit pour « touristes ».
Eviter la folklorisation - La culture régionale est vécue comme quelque chose de naturel, qui
va de soi mais qui aux yeux des autres peut paraitre folklorique Cette frontière avec la
folklorisation est primordiale. Les cultures régionales ne doivent pas être assimilées et
présentées comme des bizarreries ou des traditions veillottes. Il s’agit avant tout de cultures
vivantes, vécues au quotidien :
Je me sens basque aussi lorsque ce que je vis me semble naturel alors que c’est interprété comme
du folklore par des gens arrivant de l’extérieur : lorsque je chante en basque en cœur avec tous
les autres (à l’église, dans une fête, de manière improvisée…), lorsque je danse sur une place à
l’occasion d’une fête de quartier ou d’une fête traditionnelle, avec d’autres, tout naturellement
« entre nous ». (Hélène)
Derrière la folklorisation, apparait également la thématique de l’authentique, du vrai et du faux :
« Je me sens corse aussi quand j’écoute de la musique traditionnelle corse ou des groupes qui
s’en inspire largement (I Muvrini). Je ne parle pas bien sûr du folklore du type Tino Rossi bien
plus proche de la chanson napolitaine que de la tradition corse et qui n’évoque véritablement la
corse que chez les touristes. » (Christian)
Eviter les préjugés - Certaines représentations typiques peuvent se transformer en préjugé. Le
préjugé reprend le stéréotype mais y associe une dimension affective (sentiment de méfiance
et de mépris) et une dimension conative (prédisposition à agir d’une certaine façon). Il est
important d’éviter la stigmatisation c’est-à-dire de mettre en avant des caractéristiques dans
lesquels les individus ne se reconnaissent pas où qu’ils aimeraient cacher :
« L’accent alsacien est particulièrement désagréable à mes oreilles. (...) Je me sens toujours un
peu blessé lorsque les journalistes interrogent un alsacien parce quel que soit le média,
l’alsacien en question a toujours l’accent alsacien. Pourtant tous les alsaciens ne parlent pas
avec un accent, certains ont même cet accent soit disant neutre des « français de l’intérieur ». »
(Laurent)
« Je suis fière d’être Bretonne même si je trouve que parfois c’est très pesant. On nous prend
souvent pour des ploucs mangeant des galettes et allant pêcher notre repas. » (Murielle)
Session 9 - 48
Annexe 1
Prénom
Profession
Age
Parcours régional5
Région
Anne-Christelle
Assistante marketing
26
Déracinée
Alsacienne
Catherine
Economiste
35
Déracinée
Bretonne
Christian
Enseignant
42
Déraciné
Corse
Claude
Retraité
67
Local
Breton
Daphné
Enseignante
35
Déracinée
Bretonne
Ernest
Enseignant
39
Déraciné
Catalan
Floriane
étudiante
24
Locale
Alsacienne
Gaëlle
Institutrice
33
Locale
Catalane
Gérard
Commercial
52
Local
Alsacien
Gwénaëlle
Etudiante
26
Déracinée
Bretonne
Hélène
Responsable marché
25
Locale
Basque
Hélène
Préparatrice en pharmacie
37
Locale
Chti
Julie
Etudiante
20
Déracinée
Bretonne
Julien
Chargé d’études
31
Déraciné
Catalan
Patricia
Enseignant
44
Déracinée
Bretonne
Pierre
Lycéen
18
Déraciné
Breton
Pierrick
Directeur agence bancaire
48
Déraciné
Breton
Laurent
Enseignant
26
Déraciné
Alsacien
Madeleine
Retraitée
73
Déracinée
Corse
Marthe
Infirmière
55
Locale
Alsacienne
Mathieu
Lycéen
19
Déraciné
Breton
Michel
Délégué général
62
Local
Breton
Michelle
Retraitée
64
Locale
Breton
Muriel
Agriculteur
43
Locale
Bretonne
Sophie
Ingénieure commercial
35
Déracinée
Bretonne
Sylvie
Chargée d’études
48
Déracinée
Provençale
Valérie
Documentaliste
35
Déracinée
Bretonne
Yolande
Retraitée
60
Locale
Catalane
5
Les locaux habitent la région à laquelle ils sont attachés alors que les déracinés n’y habitent pas.
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Bibliographie
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