Introduction
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Introduction
L’EVALUATION DES COMPETENCES PROFESSIONNELLES DES ETUDIANTS INSPECTEURS DE L’ENSEIGNEMENT EN FIN DE FORMATION AU CENTRE NATIONAL DE FORMATION DES INSPECTEURS DE L’ENSEIGNEMENT (CNFIE) DE RABAT (MAROC). Mohamed Essaoudi *, Raja Lotfi **, Said Lotfi **, Mohamed Radid ***, Mohammed Talbi ***. * Centre National de Formation des Inspecteurs de l’Enseignement (CNFIE), Rabat. Email : [email protected] **Ecole Normale Supérieure (ENS), Université Hassan II, Casablanca. Email : [email protected] **Ecole Normale Supérieure (ENS), Université Hassan II, Casablanca. Email : [email protected] ***Observatoire de recherches en didactique et pédagogie universitaire (ORDIPU), Faculté des sciences de Ben M’sik, Casablanca. Email : [email protected] ***Observatoire de recherches en didactique et pédagogie universitaire (ORDIPU), Faculté des sciences de Ben M’sik, Casablanca. Email : [email protected] Mots clés : Evaluation, compétences professionnelles, professionnalisation. Résumé : Par une méthodologie à la fois exploratoire et qualitative, on présente une évaluation de compétences professionnelles d’étudiants-inspecteurs en fin de formation initiale. L’appréciation de la maîtrise des compétences par les étudiants montre que les deux catégories de compétences cognitives et de compétences organisationnelles et de gestion sont les mieux perçues de point de vue acquisition en fin de formation. Alors que les compétences personnelles et d’attitude, et les compétences andragogiques sont perçues comme très peu ou pas du tout maîtrisées. L’analyse des résultats a révélée également l’émergence de deux compétences professionnelles jugées essentielles pour la formation de l’étudiant-inspecteur: les compétences d’adaptation construites dans l’action; et les compétences de supervision. Enfin, on en déduit que la formation dispensée au centre reste lacunaire, et ne traduise pas toujours les missions et attributions de l’inspecteur de l’enseignement. La formation des inspecteurs au CNFIE est semi- professionnalisée et peu professionnalisante. Introduction Ces derniers temps, on assiste à un important courant de réformes qui anime de nombreux systèmes éducatifs sur différents continents. Le Maroc n’en fait pas exception. La résonnance des réformes, déjà en cours dans le système éducatif marocain depuis l’an 2000 et matérialisé surtout par l’adoption des concepts de « compétence professionnelle » comme organisateur principal des programmes de formation (Jonnaert, Barrette, Masciotra, &Yaya, 2006), et d’« intégration » comme approche pédagogique novatrice (Roegiers, 2012), a envahie la sphère des centres de formation de l’éducation nationale. Il suffit aujourd’hui d’être attentif au marché de l’emploi pour constater l’omniprésence de la référence au professionnalisme: les employeurs, y comprit l’Etat, veulent pouvoir compter sur des professionnels. Le système éducatif exige d’avoir affaire à des «pros» de l’éducation et de la formation (Le Boterf, 2011). Dispenser une formation des inspecteurs dans le CNFIE ne peut se faire aujourd’hui sans s’inscrire dans la tendance forte à la professionnalisation (Lessard, Tardif, et Lahaye, 1991), tendance visant à la fois une adaptation plus rapide du dispositif de formation aux évolutions du métier d’inspecteur et également une augmentation de l’efficacité de l’effet formation (Wittorski, 2007). La professionnalisation de la formation des inspecteurs de l’éducation est aujourd’hui au cœur des préoccupations des responsables et acteurs du système éducatif marocain. La professionnalisation de l’inspection repose entre autre sur le fait que c’est un métier éducatif composé d’actes professionnels qui exige une solide formation visant des compétences professionnelles spécifiques (Bourdoncle, 2000). Ainsi, la formation des inspecteurs de l’enseignement au Maroc est à la croisée des chemins, car inscrite dans une dynamique de professionnalisation et de professionnalité (Paquay, Altet, Charlier, & Perrenoud, 2001), de développement des compétences (Perrenoud, 2001), et d’intégration des acquis de formation (Roegiers, 2001). La professionnalisation de la formation au CNFIE est indispensable certes, mais présente plusieurs difficultés de réalisation. Une piste est d’évaluer la pertinence de l’action de formation actuelle, et d’en vérifier les compétences – métiers développées. Tous les chercheurs s’accordent sur l’importance de l’évaluation des compétences professionnelles des cadres de l’éducation. Cependant, cette évaluation est peu réalisée, essentiellement parce qu’on ne sait pas trop comment s’y prendre. Cette difficulté méthodologique s’explique par le fait que la compétence professionnelle est un construit non observable directement. Donc, pour l'évaluer, il faut faire des inférences à partir d'éléments observables et mesurables. Mais pourquoi doit-on donc évaluer la compétence professionnelle? Il y a probablement différentes raisons pour le faire. La première, c'est que l'évaluation constitue une partie intégrante du processus éducatif. Comme il est nécessaire de savoir où les individus formés sont rendus à la fin d'un processus de formation, il faut les évaluer. La deuxième, est que l'évaluation de la compétence représente une tâche fondamentale, puisqu'il s'agit d'évaluer la compétence des individus afin de certifier que ceux-ci sont en mesure d'exercer leur profession de manière autonome, efficiente et selon des critères établis. L'évaluation de la compétence sert aussi à donner de la rétroaction (feed back) aux acteurs du système. Il s'agit dans ce cas d'une évaluation formatée (Ropé et Tanguy, 1994). De plus, il est possible d'évaluer la qualité des programmes de formation ou de formation continue à travers l'évaluation des individus qui ont suivi ces programmes. Enfin, l'évaluation permet de confirmer les valeurs et les standards d'une profession. En effet, les professions, en tant que systèmes réglementés, ont des exigences et des attentes qui constituent leurs valeurs et leurs standards de pratique. La présence de ces valeurs et l'atteinte de ces standards doivent donc être confirmées chez les professionnels qui vont entreprendre la pratique de leur profession. Même si nous connaissons les grandes lignes du développement de l'évaluation de compétences, très rares sont les études dont l’objet est l’évaluation des compétences professionnelles de l’inspecteur d’éducation et de formation à proprement parler. Plusieurs recherches ont mis le point sur les difficultés inhérentes à l’évaluation des compétences professionnelles notamment Valérie Marbach (1999). La notion d’évaluation de compétence est certes de plus en plus utilisée, mais pas encore bien définie. Malgré son caractère imprécis, voire variable selon les personnes qui l’emploient, le concept d’évaluation de compétence s’est imposé dans la littérature managériale en général et la littérature éducative en particulier ces trente dernières années. Néanmoins, une compétence professionnelle demeure une notion insaisissable et ambigüe à cause de sa fragilité résultante de l’écart entre ses enjeux forts et sa définition faible (Le Boterf, 2010). Elle est toujours virtuelle puisqu'il s'agit tout simplement d'énoncés de standards normalisés (Houdé, Kayser, Koening, Proust et Rastier, 1998). Face à ces caractéristiques, et dans un processus de professionnalisation, nous nous intéresserons principalement au double principe d’évaluation de compétences professionnelles des étudiantsinspecteurs en fin de formation, et de professionnalisation de la formation, en cherchant à identifier de nouvelles formes de compétences professionnelles nécessaires à la formation des inspecteurs de l’enseignement au Maroc. 1. Contexte Notre recherche se situe dans un contexte de fin de déclinaison de la Charte d’éducation et de formation 2000-20101, et en application des dispositions du Plan d’urgence 2009-20122, surtout son programme « Najah 2009 » (Projets 15 et 16) 3 relatifs à la formation des cadres d éducation. 2. Constat Le principal constat à souligner est celui de la fermeture du CNFIE entre 1999 et 2008. En effet, même si le CNFIE fut crée dès 1967, il a été marqué par un arrêt de formation durant cette période pour cause de saturation en corps inspectoral. De surcroit, le programme actuel de formation, même actualisé, a conservé des traces de son passé. Il s’organise encore, pour l’essentiel, autour d’une déclinaison verticale des programmes rigides et jugés trop scolaires (Jolibert, et Lombard, 2008). Ainsi, en absence de référentiel de compétences relatif aux métiers de l’éducation en général et de référentiel des compétences relatif à l’inspecteur de l’éducation nationale comme espace possible de construction de compétences professionnelles (Le Boterf , 2007), l’évaluation des compétences professionnelles de l’inspecteur demeure non sans difficultés (Sorel, et Wittorski, (2005). Le CNFIE cherche donc à rompre avec cette logique curriculaire et disciplinaire (Allal, 2001) qui empruntait jusqu’alors à des savoirs pas toujours spécifiques à la profession d’inspecteur de l’éducation. Le milieu andragogique, ou tout au moins certaines de ses composantes, cherche son émancipation notamment vis-à-vis du corps inspectoral. Les positions tenues à ce sujet divergent car ce corps professionnel apparaît segmenté au sens de Bucher et Strauss (1992). 3. But Le but de cette étude est d’une part évaluer les compétences professionnelles des étudiants inspecteurs en fin de formation initiale au CNFIE, et vérifier l’existence d’autres compétences professionnelles exigibles à la formation des inspecteurs d’autre part. 4. Pertinence de l’étude La pertinence de notre étude est triple. D’abord, c’est une première tentative d’évaluation de la formation au CNFIE dans sa nouvelle restructuration. Ensuite, notre étude est la troisième du genre dans l’histoire du CNFIE depuis sa création en 1967. En fin, notre étude est une ébauche vers l’élaboration du référentiel de formation de l’inspecteur d’éducation. 5. Méthode 5.1 Analyse documentaire Notre démarche a porté d’abord sur l’analyse préalable de l'histoire de l'évaluation des compétences professionnelles de l’éducation dans plusieurs pays références à savoir la France, la Belgique et le Canada. Puis on s’est penché sur l’analyse des documents institutionnels des ressources humaines de l’éducation nationale marocaine, de la formation des cadres et du centre de formation des inspecteurs de l’enseignement ( Décret n° 2.08.521 daté du 18 -12-2008 portant sur la réorganisation du CNFIE, rapport du COSEF, rapport d’évaluation sur les formations 1. La charte d’éducation et de formation 2000-2010 est une sorte de stratégie globale entreprise pour réformer le système éducatif marocain suite aux recommandations de la Commission Spéciale d’Education et de Formation (COSEF) établie en 1999. 2. Le plan d’urgence 2009-2012, comme son nom l’indique, est un programme palliatif, catalyseur et correctif des réformes initiées et qui n’ont pas encore abouties ou dont la mise en œuvre est lente par rapport aux échéances préétablies. 3. Le programme Najah est constitué de 4 grands espaces et de 23 projets. Les projets 15 et 16 sus mentionnés sont relatifs respectivement au renforcement des compétences du personnel de l’enseignement (P15), et au renforcement des mécanismes d’encadrement, de suivi et d’évaluation du personnel de l’enseignement (P16). antécédentes au dit centre, rapports d’inspections pédagogiques et administratives, statut particulier des cadres et personnel de l’éducation nationale rectifié et amendé, textes législatives portant sur la promotion des ressources humaines de l’éducation nationale, missions et attributions de l’inspecteur d’éducation et de formation). 5.2 Questionnaire A partir d’une TGN appliquée à un groupe d’inspecteurs titulaires (A : n = 12), en service et ayant une expérience en la matière de plus de 10 ans, et représentant cinq disciplines d’enseignement (tableau 1), une centaine d’items a été généré et regroupé en cinq grandes catégories de compétences selon la technique d’analyse de contenu thématique (Bardin 2001). Sujets Age Expérience Sexe 12 âge moyen = 48,6 ans Plus 10 ans d’expérience 2 Féminins 10 Masculins Disciplines (05) Mathématiques, Sciences de la vie et de la terre, Education Physique et Sport, Enseignement primaire Français Tableau 1 : Caractéristiques des membres du groupe d’inspecteurs titulaires pour le TGN. Sur la base de ces catégories de compétences (tableau 2) , un questionnaire (composé d’items fermés et de questions ouvertes) a été construit, validé par un groupe d’experts formateurs au CNFIE (B : n= 06) qui avaient à se prononcer sur la pertinence et la clarté de chacun des énoncés, ensuite administré à un groupe d’étudiants-inspecteurs (C : n = 90), représentant cinq filières en fin de formation initiale au CNFIE de Rabat (tableaux 3), pour apprécier leur perception de maîtrise de ces compétences (Tresanini, 2004). Catégories 1. Compétences cognitives Description Maitrise de connaissances théoriques : concepts de base, principes théoriques et méthodologiques, techniques de d’encadrement et de supervision… 2. Compétences organisationnelles et de gestion Capacité d’organiser, planifier, animer, coordonner, administrer, superviser, contrôler des tâches relatives au métier d’inspecteur… Proactive ou Résolutique 3. Compétences relationnelles et de communication Capacité d’établir une relation professionnelle à base d’information et de communication, maitrise, gestion et pérennisation de la relation…. Interactive ou Interpersonnelle 4. Compétences personnelles et d’attitude Développement d’attitudes positives au travail de l’inspecteur, développement de traits de personnalité équilibrée et favorable à l’exercice de la profession… Intro-active ou Intra personnelle 5. Compétences pédagogiques et andragogiques Maitrise de capacités d’auto et co-formation entre pairs, maitrise de la pratique réflexive sur et dans l’action, développement d’un sens critique… Rétroactive ou Réflexive Phase Conceptuelle Tableau 2 : Explicitation des cinq familles de compétences professionnelles identifiées. Ce questionnaire abordait principalement l’évaluation de la formation académique et pratique reçue au CNFIE. Le questionnaire rempli par les étudiants est le moyen d’évaluation le plus répandu pour évaluer une formation reçue (Van der Maren, 2001 ; Abrami, et d’Apollonia, 1990 ; Marsh, 1987). Filière Etudiants-Inspecteurs des services matériels et financiers Effectifs 18 Etudiants-Inspecteurs de Français 12 Etudiants-Inspecteurs de Philosophie 08 Etudiants-Inspecteurs de SVT 20 Etudiants-Inspecteurs de l’enseignement primaire 32 Profil professionnel Ex -gestionnaires des services économiques. Min 5 ans de service Ex-enseignants dans les cycles d’enseignement correspondants et ayant au min 4 ans d’expériences Tableau 3 : Effectif et profil des répondants au questionnaire Notre questionnaire compte trois parties. La première présente les 37 énoncés jugés les plus pertinents et les plus clairs dans les 5 catégories précitées. Les répondants (tableau 4) avaient à se prononcer sur une échelle de Likert de quatre niveaux pour chaque item. La deuxième partie regroupe les informations signalétiques relatives aux étudiants (filière, âge, sexe, statut, nombre d’années de service…). Enfin, dans une troisième partie, les sujets sont invités à commenter librement les pratiques d’évaluation de l’enseignement, celles des stages et de l’encadrement, et à faire des suggestions d’amélioration le cas échéant. Age/ Sexe 25 - 30 ans 30 -35 ans 35 - 40 ans + 40 ans Total Féminin 02 09 08 04 23 Masculin 04 11 31 21 67 Total 06 20 39 25 90 Tableau 4 : Distribution des répondants selon leur âge et leur sexe 5.3 Traitement des données Il existe plusieurs formes d'analyse. L'approche choisie ici est plutôt éclectique. Elle fait appel à divers moyens. Ce choix s'appuie sur le fait que l’évaluation des compétences professionnelles s’opère de diverses façons (évaluation des programmes de formation, évaluation des pratiques professionnelles en situation de travail, évaluation des étudiants, etc.) et que nos intentions sont orientées vers leur identification et leur degré de maitrise par les étudiants plutôt que leur explication théorique telle que proposée par Landry (1992), par exemple. Ainsi, les données ont été analysées par la technique d’analyse de contenu thématique (Bardin 2001), et traitées statistiquement par différents logiciels (Sphinx Lexica 2000; Excel– tri). L’analyse de contenu consiste à regrouper en catégories ou en thèmes tous les énoncés qui se rejoignent par le sens. Elle permet de découvrir, par une méthode rigoureuse d’analyse des textes, la signification des messages contenus dans le questionnaire. L’analyse de contenu est privilégiée pour le questionnaire car elle permet de traiter de manière méthodique les données recueillies qui présentent un certain degré de profondeur et de complexité. 6. Résultats L’analyse et traitement des données recueillies a montré que) : (figure 1 - Les compétences cognitives sont les mieux perçues de point de vue maitrise et acquisition par les étudiants-inspecteurs dans leur formation avec un taux d’accord de 82,23 % ; - Les compétences organisationnelles et de gestion suivent en deuxième lieu à un taux d’accord de 69,89 % ; - Les compétences andragogiques se placent en troisième position à raison de 18 % ; - Les compétences relationnelles et de communication arrivent après avec un taux de 52,40% ; - Les compétences personnelles et d’attitude sont les peu ou pas maîtrisées par les étudiants – inspecteurs dans leur formation (29,14 %). Figure 1 : Score d’appréciation du degré de maîtrise des compétences professionnelles par les étudiants. Notre étude a permis également l’émergence d’autres compétences professionnelles jugées essentielles pour la formation de l’étudiant-inspecteur : compétences d’adaptation construites dans l’action et transférables d’une situation à une autre ; et des compétences actives de supervision. 7. Discussion Les résultats de cette recherche vont finalement plus loin que les intentions de départ qui visaient, d’une part, une évaluation des compétences professionnelles des étudiants - inspecteurs en fin de formation initiale, et une exploration de compétences professionnelles « potentielles » exigibles à la formation des inspecteurs d’autre part. Ces résultats nous sensibilisent à des facteurs d’importance dont il faudrait tenir compte dans de prochains plans de formation, notamment les modules relatifs aux « compétences andragogiques » et aux « compétences personnelles et d’attitude » qui font lourdement défaut dans le dispositif de formation actuel. La révélation de compétence d’adaptation construite dans l’action s’accorde parfaitement avec l’approche de (Parlier, 1996), qui s’attache plus aux déterminants environnementaux et à la notion d’adaptation au contexte et à l’incertitude. L’adaptation est ici par rapport à soi, aux situations, aux évolutions du métier d’inspecteur. Une compétence professionnelle n’a de valeur pour un inspecteur que si elle permet une rapide adaptation aux fluctuations de l’espace d’éducation, et à la diversité des tâches qui caractérisent sa profession. Cette compétence peut être développée par l’incorporation dans la formation de procédés d’expérimentation et d’essais-erreurs lors des séances de mise en situation réelle en stage. De même, la compétence de supervision jugée utile par les étudiants répond à la principale mission de l’inspecteur: « superviser ». Elle comporte une dimension à la fois formative et formatrice (Delivre, 2002) basé sur un processus d’échanges permettant d’opérer une analyse réflexive sur sa pratique et sa profession. La compétence de supervision permet de brasser les trois principaux styles de supervision : didactique, démocratique et expérimental (Villeneuve, 1994) ; ou respectivement en termes de rôles : l’expert, le collègue et le thérapeute (Pilard, 2002). 7.1 Trois compétences de base Nos résultats d’étude confirment avec force l’importance de trois catégories de compétences dans notre dispositif de formation : compétences cognitives, compétences organisationnelles et de gestion, et compétences relationnelles et de communication. Le plus grand score de perception de maîtrise des compétences cognitives corrobore avec la dimension cognitive qui insiste sur les savoirs savants mobilisées par l’individu pour répondre à une situation professionnelle complexe (Varela, 1989). La cognition ici est définie en termes d’acquisition, de stockage, de traitement et d’utilisation d’informations. A cet égard, les compétences cognitives constituent le substrat de toute compétence transversale. C’est le premier niveau dans l’échelle des classes de compétences décrites par Guy le Boterf (2007). Les compétences organisationnelles et de gestion sont liées aux éléments organisationnels construits autour de la connaissance et des savoir-faire individuels et collectifs via la coordination (Wernerfelt, 1989; St-Aman, et Renard, 2003). Elles conditionnent la qualité de la mise en œuvre des compétences élémentaires (Le plat, 1995) nécessaires pour le déploiement de toutes les compétences centrales développées en formation. Les compétences organisationnelles en formation se résument en une coordination de ressources (capacités, aptitudes, attitudes, connaissances…) à un niveau plus élémentaire. Le développement d’une compétence organisationnelle chez un étudiant n’implique pas nécessairement l’acquisition et l’exploitation de savoirs disciplinaires, comme pourrait paraitre ; mais il peut également résulter d’une meilleure articulation de ses compétences individuelles préexistantes. Cette dynamique de combinaison de compétences suppose la multiplication et le renouvellement d’expériences professionnelles. Dans la compétence relationnelle et de communication, l’accent est mis sur la dimension relationnelle plutôt que sur l’aspect technique (Combes, 2002). Pour évoluer positivement, l’inspecteur d’éducation a besoin de développer, entre autres, des capacités d’inter- relation, d’action et de réaction. Il s’agit ici d’instaurer la relation de confiance, la soutenir par un effort de communication claire et constructive, et en fin la maintenir à travers les activités de supervision, d’encadrement et d’inspection. Toutefois, le contenu de cette compétence relationnelle, qu’il soit décrit en termes de qualités comportementales, de savoir-être, d’aptitude à la communication, parait très difficile à analyser, à mobiliser et à évaluer (Lichtenberger et Paradeise, 2001). Il va falloir donc nous pencher sur une réingénierie d’élaboration de modules de formation susceptibles de solliciter, construire puis développer ce type de compétence chez nos étudiants. 7.2 Compétences personnelles et d’attitude D’autre part, les compétences personnelles et d’attitude se sont révélées très peu maitrisées chez les étudiants en formation. Elles traduisent l’absence de modules de formation portant sur le coaching pédagogique et le développement personnel. Développer une compétence telle qu’elle soit suppose la mobilisation de divers substrats : capacités, savoirs et surtout attitudes. Ces dernières sont pour le moment occultées du dispositif de formation actuel. Poser le développement personnel de l’inspecteur comme objet de la formation serait un gage de son épanouissement professionnel (Marcel, 2006). 7.3 «Andragogie et non pas pédagogie » Si les compétences Andragogiques ont été les moins perçues en termes de maîtrise chez les étudiants, alors c’est peut être parce que ces derniers sont formés tels des élèves. (Knowles, 1990). Former des adultes, selon Paquay, Altet, Charlier, et Perrenoud, (2001), c’est aider à construire des compétences, à travailler la mobilisation et le transfert des ressources. C’est cesser de prescrire des recettes et favoriser un choix raisonné et éclairé, en tenant compte du projet personnel, des attentes, des contraintes du métier en question. En effet, un adulte n’apprend pas comme un enfant ni un adolescent. On ne peut pas transposer les méthodes scolaires classiques, issues le plus souvent du courant pédagogique traditionnel, à la pédagogie pour adultes. Le vécu, l’âge, les contraintes et les responsabilités qui caractérisent un adulte ne lui laissent ni le temps, ni la même souplesse intellectuelle, ni la même capacité d’adaptation qu’a un enfant. D’autre part, les adultes ont une forte résistance face à un système pédagogique classique qui les place au stade d’apprenti sans expérience. De façon plus sommaire, un adulte apprend s’il comprend, se sent libre et en confiance, s’il est reconnu et valorisé, s’il agit et met en relation son apprentissage avec son expérience. D’où la nécessité de mobiliser un fond de ressources pour concevoir et mobiliser des stratégies d’enseignement pour adultes au CNFIE basées sur l’auto-formation, la collaboration, l’autonomie et la prise d’initiative. Ce pseudo-référentiel de compétences, discuté ci-dessus, constitue le « cœur-compétences » (Hamel & Prahalad, 1990) du métier d’inspecteur de l’éducation nationale. Il comprend cinq catégories de compétences dont la maîtrise et le développement conditionnent sa réussite professionnelle (Peretti, 2004). Ces compétences peuvent toutefois être formalisées par le collectif des formateurs au CNFIE, puis déclinées en tâches et indicateurs d’évaluation à travers une démarche de référentialisation (Figari, 1994) pour mieux les appréhender, puis les intégrer en formation. 8. Conclusion S’appuyant sur nos intentions de recherche, nous avons fait le choix de construire et validé un questionnaire à partir d’une TGN. Dans cette recherche qualitative et exploratoire sur les compétences professionnelles des étudiants-inspecteurs, cet instrument s’est révélé d’une grande utilité pour répondre aux interrogations de départ en matière d’identification et d’évaluation des compétences professionnelles. D’abord, sur les cinq catégories de compétences évaluées, deux (compétences personnelles et d’attitudes, et compétences andragogiques) sont respectivement peu et pas maitrisées par les étudiants. Ensuite, la révélation de compétences d’adaptation, et de compétences de supervision s’impose désormais comme aspects essentiels du profil de compétences professionnelles de l’inspecteur de l’éducation. A l’issue de notre étude, on en conclut que la formation des inspecteurs d’éducation et de formation au CNFIE de Rabat est semi- professionnalisée et peu professionnalisante. Autrement dit, et de façon plus dynamique, on peut dire que la formation des inspecteurs au centre est en voie de professionnalisation. La formation dispensée au centre demeure institutionnelle et se préoccupe uniquement de l’exécution des programmes de formation prescrits, sans se soucier de la formation personnelle et professionnelle de l’étudiant –inspecteur. Pour contribuer à développer des compétences professionnelles exigibles pour la bonne exécution des missions de l’inspecteur, la formation dispensée devra passer du déroulement stricto-sensu des programmes standards préétablis par les textes, à la construction de démarches didactiques orientées globalement par les objectifs du cycle d'étude, adaptées à la diversité des étudiants, à leurs niveaux, aux conditions matérielles et morales du travail. La formation doit donc être conçue selon une approche par compétence qui se veut intégrative, expérientielle, consciente, interactive, développementale et transférable (Landry, 1991). La formation ne devrait plus être normalisée, elle ne prétendrait plus donner la réponse adéquate pour chaque situation type, mais plutôt solliciter des ressources et outils pour analyser une grande variété de situations de supervision et d’inspection et y faire face. 9. Limites et perspectives Cette recherche demeure féconde parce qu’elle propose un nouveau regard sur le processus d’évaluation de compétences professionnelles de l’inspecteur de l’enseignement, en tant que mécanisme pour réguler le dispositif de formation des inspecteurs ou en tant que moyen pour le professionnaliser davantage. Le questionnaire utilisé, s’il est bien élaboré, peut effectivement devenir une source d’information nécessaire, mais pas forcément suffisant pour porter un jugement sur la qualité de la formation dispensée. Par ailleurs, d’autres moyens, tels un questionnaire d’analyse du matériel d’enseignement, une grille d’observation en classe et le portfolio, peuvent être utilisés ultérieurement afin de compléter l’information fournie par les étudiants (Detroz, 2008 ; Tardif, 2006 ; Seldin, 1993 ; Thivierge, et Bernard, 1996). Notre approche méthodologique basée sur l’appréciation des compétences professionnelles par les étudiants peut renfermer au moins le risque de sous ou de sur-estimation de la perception de maîtrise de compétences par les étudiants. On peut tout de même douter de la compétence des étudiants à juger fidèlement et avec pertinence leur formation. D’où la possibilité ultérieure de croiser nos résultats, par le biais de « triangulation », avec ceux d’autres formes d’évaluations, comme par exemple d’évaluer leurs compétences professionnelles en situation réelle de travail (invivo). 10. Bibliographie Abrami, P.C. et d’Apollonia, S. (1990). The Dimensionality of ratings and their use in personnel decisions. Student ratings of instruction : Issues for improving practice. New Directions for Teaching and Learning, 43, 97-111. Allal, L. (2001). La métacognition en perspective. In Figari, G., Achouche, M. (2001). L’activité évaluative réinterrogée. 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