Au fil de la course, la vision des spectateurs de Paris
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Au fil de la course, la vision des spectateurs de Paris
"Au fil de la course : positions, visions et représentations des spectateurs" in S. Fleuriel (Ed.), 100 Paris-Roubaix, patrimoine d'un siècle, Presses universitaires du Septentrion, 2002, pp. 29-52. Au fil de la course, la vision des spectateurs de Paris-Roubaix Sébastien Fleuriel, sociologue Laboratoire sport identité culture Introduction : les dimensions cachées du parcours Il est des réalités qui, dans leur énoncé, semblent d'une telle évidence qu'on ne saurait les mettre en doute. Il en est ainsi de la course cycliste Paris-Roubaix dont la formulation présente les traits explicites du déplacement depuis Paris jusqu'à Roubaix. Le plus court chemin entre deux points étant la ligne droite, chacun est en mesure d'en esquisser le tracé approximatif sur une carte. Mais ce trait imaginaire entre les deux villes contribue à représenter la course en deux dimensions, celles du plan ou de la ligne. Par une sorte d'automatisme cognitif, Paris-Roubaix évoque donc la course cycliste qui se déroule dans l'espace circonscrit de l'étroite bande routière reliant Paris à Roubaix. Cette réalité, réduite au cheminement entre les deux points, masque du même coup les principes de sa construction et de toutes les autres dimensions qui participent à la structuration de l'épreuve. A bien des égards, Paris-Roubaix désigne en effet un véritable lieu de mémoire au sens que lui assigne Pierre Nora1, et qui mobilise à ce titre les dimensions cachées, bien que structurantes, des relations entre le nord et le sud, entre la province et la capitale, et enfin entre les frontaliers et leurs voisins étrangers2. Au-delà de l'épreuve proprement sportive, la course engage en effet nombre de ces relations implicites qui lui confèrent ses propriétés mythiques mais dont le travail de révélation demeure ardu tant le parcours s'impose comme un truisme nécessairement autosuffisant. Par ailleurs, ces couples d'opposition (nord/sud, capitale/province, …) révèlent un espace vécu comme disent les géographes3 qui déborde largement le cadre trop étroit de la liaison routière et que s'approprient les spectateurs selon des modalités et des schèmes de perception qu'on tâchera d'élucider. Alors que les médias, en particulier la télévision, assurent l'unité spatiale et temporelle de la course pour en (re)constituer le fil4, sorte de trame linéaire qui se déroule entre un début et une fin balisée dans l'espace et le temps, la vision des spectateurs détermine un point de vue parcellaire de l'épreuve, réalisée depuis un lieu d'observation et selon une temporalité spécifiques. 1 - Les catégories structurantes de la course L'évocation du nord, entendu à la fois comme position géographique et comme unité territoriale, tire sa force dans l'univers cycliste de l'expression rendue célèbre "l'Enfer du Nord" qui prétend caractériser le course de ParisRoubaix. Cette expression, largement relayée par la presse sans qu'on sache exactement les conditions de son emploi initial5, résume à elle seule ce que la situation géographique du département suggère : un véritable enfer. Une 1 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Editions de Minuits, 1997, 3 tomes. Se reporter en particulier aux travaux d'Emmanuel Le Roy Ladurie,"Nord-Sud", Les lieux…, op. cit., tome II "La nation", pp. 117-139, de Jean-Marie Mayeur, "Une mémoire frontière : l'Alsace", Les lieux…, op. cit., tome II "La nation", pp. 64-95, et d'Alain Corbin, "Paris-Province", Les lieux …, op. cit., tome III "Les France", pp. 777-823. 3 Sur la définition de l'espace vécu appliquée à l'univers cycliste, se reporter aux travaux de Paul Boury, La France du Tour. Le Tour de France, un espace sportif à géographie variable, L'Harmattan, 1997, 444 pages. Un chapitre intitulé "L'espace vécu" y est spécifiquement consacré. 4 Sur le thème de la reconstitution médiatique d'événements sportifs et plus précisément du Tour de France, lire les travaux de Fabien Wille, "L’évolution du spectacle télévisé : le modèle du Tour de France", Les Cahiers du journalisme, n° 7, juin 2000, pp. 212-226. 5 L'origine exacte de l'expression s'est en effet avérée difficile à contrôler. P. Sergent rapporte cependant "[qu'en 1919, le] parcours a tellement souffert qu'après Doullens les coureurs vont emprunter un autre itinéraire menant vers Saint-Pol et Béthune. Lors de la reconnaissance de celui-ci un journaliste parisien, effaré par l'état du paysage affirme même que la course va traverser "l'Enfer du Nord…"". P. Sergent, Paris-Roubaix, Editions Eecloonaar, 1996. 2 Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -1- première fois sinistré par la Première Guerre Mondiale, le nord cumule en effet les difficultés à travers son histoire sociale qui lie les conditions de travail éprouvantes des mineurs et plus généralement celles des ouvriers au lent déclin des industries du charbon et du textile. Certes, le désastre de la guerre comme l'effondrement de l'industrie secondaire n'ont pas exclusivement touché ce département, mais s'agissant justement du nord de la France, toute une littérature6 accrédite le sentiment d'accablement aujourd'hui encore caractérisé par une misère sociale importante7. L'opposition entre le nord et le sud (et/ou le midi) fait référence à une cohérence mythique8 qui associe spontanément le nord aux rigueurs du climat et aux difficultés qui en découlent et par là même aux qualités supposées nécessaires pour les surmonter, en particulier la vigueur et le courage. C'est dire si l'épreuve du Paris-Roubaix répond aux attentes des nordistes avec la promesse de souffrances contenue dans l'expression "Enfer du nord" et qui permet mieux qu'ailleurs de révéler les vertus de l'abnégation et du courage face à l'adversité d'une oppression pensée comme historique. - Ah oui, [je viens] tout le temps, j'adore cette course, c'est la plus belle course. - Pourquoi ? - C'est la dureté hein. - Et pourquoi vous avez choisi cet endroit-là ? - C'est un mythe ici. C'est l'histoire du Nord, c'est… c'est un mythe… c'est un symbole ici, pour moi. C'est toute l'histoire du vélo, tout ça. […] - Quels sont les vainqueurs qui vous ont le plus marqué ? - Duclos Lasalle, Merckx, Moser. - Pourquoi ? - Madiot aussi. Bah c'était la boue, c'était vraiment l'enfer du Nord. - Pourquoi ? - Le temps, la pluie, c'est tout ça, tous ces symboles. - Vous préféreriez qu'il pleuve aujourd'hui ? - Oui, mais on ne serait pas venu tous ensemble quoi. Oui, le vrai Paris-Roubaix c'est sous la pluie, même la neige, on a déjà vu la neige. - Et pour vous ça représente le Nord ? - Ah oui, oui. Ils le disent bien à la télé. - Vous êtes du Nord vous ? - Oui, de Maubeuge. - Vous avez déjà fait du sport ? - Du foot oui, mais jamais de vélo. - Pourquoi vous vous intéressez au vélo ? - Parce que c'est dur, c'est un sport qui est très dur. - Expliquez-moi le rapport entre la mine et Paris-Roubaix ? - On est garé juste devant [la mine], et puis bon, il y a le film Germinal, c'est pareil c'est le Nord aussi. - Donc mine et Paris-Roubaix, c'est la même chose ? - Pour moi, oui. C'est ça.9 Parce que l'épreuve se présente comme une figure parabolique de l'histoire sociale du Nord, la référence au monde du travail et à la mine n'est pas fortuite, pas plus que l'invocation des poncifs sur la météorologie si caractéristique de l'endroit : effectivement, le nord est bien l'enfer qu'on imagine avec son lot de pluies, de boues et de brouillards, et la course est à son image, elle produit des êtres d'exception rompus aux pires souffrances. Contre les facilités d'une vie paradisiaque supposée caractéristique du midi et de son soleil, l'épreuve, au sens ethnologique du terme, c'est-à-dire en tant que rite de séparation, consacre ainsi ceux qui savent se jouer de l'adversité et se distinguent de tous les autres qui en demeurent les victimes. Paris-Roubaix déborde donc le cadre de la simple manifestation sportive en permettant le travail de réappropriation symbolique des lieux et de leur histoire sous la forme du mythe collectivement partagé autour du thème bravoure qui serait singulière aux gens du Nord. 6 Sans prétention à l'exhaustivité, on songe entre autres aux romans d'Emile Zola dont Germinal publié en 1885, mais aussi au roman de Robert Merle, Week-end à Zuydcoote, Gallimard, 1951, et à ceux de Didier Daeninckx dont Le géant inachevé, Gallimard, 1984. 7 On rappellera seulement ici qu'au dernier trimestre de l'année 2001, le taux de chômage dans la région NordPas de Calais est de 4.1 points supérieurs au taux national avec respectivement un taux de chômage de 13.5 % pour la région contre 9.4 % pour la France ; qu'en 1995 l'espérance de vie masculine est inférieure de trois années à celle de l'ensemble des hommes en France … (Source : Joël Dekneudt, Pascal Leroux, Profils, INSEE, n°2, 1998). 8 Pierre Bourdieu, "Le nord et le midi : contribution à une analyse de l'effet Montesquieu", Actes de la recherche en sciences sociales, 1980, n°35, pp. 21-25. 9 Entretien du 9 avril 2000 en forêt d'Aremberg, 35 ans, employé, sans diplôme. Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -2- Quelqu'en soit l'issue et quel que soit le vainqueur, l'une des propriétés du Paris-Roubaix consiste au fond à raconter perpétuellement la même histoire, celle d'un parcours initiatique à travers lequel les spectateurs peuvent projeter leur propre histoire de vie en convoquant tous les marqueurs de l'identité locale, dont les pavés sont devenus le symbole essentiel des conditions d'existence septentrionales. Cependant la course sur pavés n'est pas une exclusivité de Paris-Roubaix. Elle concerne tout aussi bien la Belgique, et il faut encore une fois puiser dans les ressources symboliques de l'identité locale pour saisir en quoi et sous quelle forme la course (ré)active en permanence la frontière entre les gens du nord et leurs voisins d'en face, les Belges. Jean-Marie Mayeur n'a pas manqué d'apercevoir qu'un lieu de mémoire peut aussi incarner une mémoire-frontière10, observation qui semble pouvoir se généraliser à l'ensemble des territoires frontaliers où les habitants doivent constamment se positionner au sens propre comme au figuré par rapport à une limite. Cette dernière n'a d'ailleurs pas nécessairement besoin d'être matérialisée pour continuer à faire sentir ses effets tant la mémoire des résidants peut rester vivace. Depuis les accords de Schengen qui suppriment les contrôles aux frontières en 1985, la démarcation entre la France et la Belgique a certes perdu de sa matérialité. Mais en tant que catégorie de perception de l'espace vécu, elle continue de fonctionner durablement comme un schème opératoire qui rappelle que Français et Belges ont dans leur tête les limites qui marquaient autrefois le sol11. Selon ce registre, Paris-Roubaix se déroule bien sur le territoire français et demeure la propriété de ses habitants, qu'ils soient coureurs, organisateurs, ou simples spectateurs, et qui entendent faire valoir leur droit à travers la conquête significative des titres de l'épreuve. La séparation entre "eux", c'est-à-dire les Belges, et "nous" les Français, prend ainsi la forme euphémisée d'une lutte pour le gain de la compétition et qui détermine les stratégies et les forces engagées pour y parvenir. Le palmarès de l'épreuve depuis sa création ne trompe pas12, les Belges l'ont suffisamment remportée pour provoquer l'agacement des Français et solliciter un regain de nationalisme sportif : " En 1967, nous avons créé Paris-Roubaix amateur envers et contre tous. Parce qu'on avait du déficit au club, on était près à nous enterrer, et puis j'ai eu une idée, j'ai dit on va faire Paris-Roubaix amateur parce qu'on en a ras le bol que les Belges gagnent tous les ans sur le vélodrome de Roubaix. Donc si on veut un jour qu'un Français gagne, il faut leur apprendre ce qu'est une course avec des pavés, et on a créé Paris-Roubaix amateurs qui est devenu maintenant Paris-Roubaix espoirs, c'est-à-dire que les moins de 23 ans qui correspond tout à fait à nos idées et à nos espoirs. Et on n'avait que des Belges qui arrivaient sur le vélodrome de Roubaix. Alors on a d'abord eu Madiot, on a révélé de très grands coureurs français comme Thierry Marie, et même des étrangers comme Roche, etc."13 Le Vélodrome de Roubaix est ici perçu comme un lieu de mémoire relevant quasiment d'un droit du sol qui, à l'occasion peut-être foulé par l'Autre, mais qui en tout état de cause, organise l'identité locale à travers la détermination de la nationalité des vainqueurs. Toutefois le ressentiment envers le voisin, quand il y en a, ne dépasse guère le cadre de la rivalité frontalière. Le propos ne consiste pas à exacerber un esprit belligérant entre deux communautés voisines, mais bien à montrer comment la course est le lieu qui permet l'expérience de l'altérité, voire de l'extranéité, elle-même constitutive d'une identité septentrionale et frontalière. Puisqu'en face il y a les Belges, alors aucun doute nous sommes ici Français, semble dire ce spectateur dans l'extrait d'entretien ci-dessous : "Tout d'abord beaucoup de Belges l'ont gagné, je dirais même qu'ils sont largement en tête du hit parade au niveau des victoires du Paris-Roubaix, ils sont largement en tête. Ici, vous êtes à deux kilomètres de la Belgique, et la Belgique est une pépinière elle aussi de champions, et Dieu sait si de temps en temps ça fait plaisir de les rencontrer. J'ai rencontré Eddy Merckx en compagnie de son fils, ça fait plaisir à voir. Et ils ont une participation énorme, énorme, et même chez eux on ne sent plus de dissensions entre le Wallon et le Flamand le jour de la course. En règle générale, les plus mordants, ce sont les Flamands, mais il n'y a pas de dissensions, eux c 'est vive la Belgique dans ce cas-là. Ils mettent de côté, ils mettent au placard, leurs querelles de clochers, c'est ce que j'en ai ressorti dans le comportement de ce peuple scindé. Ce jour-là, non, il y a les Belges, il y a les Belges et les autres. […] C'est un peu le monopole des Belges, le Paris-Roubaix, pas chaque année, mais dans le temps, 10 Jean-Marie Mayeur, "Une mémoire frontière : l'Alsace", in Les lieux de…, op. cit., pp. 64-95. Charles Suaud évoque cette relation au territoire au sujet des supporters Anglais disciplinés au point de rendre inutile les grilles sur les stades anglais : "En Angleterre, [l'autodiscipline] fait partie de la tradition. Les Anglais ont "des grillages dans la tête" si on peut dire cela comme ça. C'est ce qu'on appelle de la culture incorporée.", in Sept à l'Ouest, n°9, février 1998, p. 9. 12 En l'an 2000 à l'occasion de la 98ème édition, les Belges comptent en effet 48 victoires, les Français en comptent 31 "seulement". 13 Entretien du 9 mars 2001 avec l'ancien secrétaire général du Vélo-Club de Roubaix et actuel président "Des amis de Paris-Roubaix", ancien coiffeur à la retraite. 11 Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -3- c'est un petit peu la course de chez eux. Ils s'y préparent déjà maintenant, ça fait déjà un moment, il y a déjà des gars qui sont venus reconnaître."14 Situé au nord de la France, traversant le département du Nord, s'achevant à proximité de la Belgique, Paris-Roubaix esquisse ainsi une géographie suggestive des catégories de pensée structurantes de l'espace local parmi lesquelles il convient d'en souligner une plus particulière, à savoir la relation entre Paris et la province. Là encore, les épreuves cyclistes partant de la capitale sont légion à l'orée du XXème siècle et témoignent que Paris-Roubaix n'est pas une exclusivité15. Mais avec le temps, l'Enfer du Nord est devenu la "Reine des classiques" au point de s'imposer comme un passage quasi obligé dans la carrière des coureurs. Comme son nom l'indique Paris-Roubaix exprime avant tout le sens d'une transhumance réalisée depuis la capitale vers la province, soit une forme de villégiature à caractère sportif dont les effets de domination demeurent implicites. On songe d'abord au jour même de l'épreuve avec le passage de la caravane et du peloton de coureurs venus traverser dans une sorte d'élan frénétique des villages qui pour la circonstance, font parfois l'objet d'aménagements appropriés à des fins d'exposition médiatique positive. Les enjeux sont ici relativement clairs, il s'agit pour la commune d'accepter les contraintes relatives à l'entretien de secteurs pavés pour obtenir le passage la course et du même coup une probable couverture médiatique. Néanmoins, ils occasionnent des formes de négociation qui éclairent à chaque instant les rapports de domination que cherche à exercer la Société du Tour (dont le siège est situé à Paris) sur les petits villages qui esquissent une France provinciale et rurale et à qui on offrirait la chance d'une visibilité médiatique inespérée. Ainsi quelques jours avant l'épreuve, la reconnaissance du parcours renseigne sur la nature de ces relations quand le personnel de la Société du Tour accompagné de la presse télévisée régionale et nationale16 fait halte dans le village du premier secteur pavé pour y consommer la collation du midi à la "bonne franquette", selon tous les rites de la tradition populaire avec force sandwichs, bières, etc. Dans une attitude qui emprunte au populisme, les "gens de Paris" rencontrent à l'occasion le maire de la commune pour évoquer la question cruciale de l'entretien des pavés et lui offrir en retour (quelques jours plus tard) une cravate à l'effigie de la Société du Tour. Dans le jeu des relations de pouvoir, les provinciaux ne sont certes pas dupes des rapports de force mis en œuvre et savent de fait l'étroite dépendance qui lie les organisateurs de la course à l'implication active des communes pour le maintien en l'état des secteurs pavés qui font la renommée de l'épreuve. Néanmoins, les formes de l'échange négocié entre la Société du Tour et les pouvoirs locaux ne gomment rien de la structure des prises de décisions le plus souvent centralisées à Paris et à travers lesquelles sont régulièrement rejouées les relations de domination entre la capitale et la province, mais aussi entre le mode de vie urbain et le mode de vie rural, entre la langue académique et le patois, etc. Dans le même ordre d'idée, les connivences de fait entre les organisateurs de la course et l'équipe d'animation télévisuelle de la chaîne nationale (c'est-à-dire parisienne) France 2, surdéterminent le jour de la reconnaissance du parcours, les relations de concurrence avec l'équipe locale de France 3 pour la réalisation d'un reportage d'avant course. Dans la quête de l'information inédite, exclusive et originale, l'équipe de France 3, encadrée par une jeune animatrice encore peu expérimentée s'est en effet régulièrement trouvée en situation de désavantage face à l'animateur de France 2, Jean-René Godard, entouré de techniciens aguerris et de surcroît ami personnel du représentant de la Société du Tour17. Les conditions de production de l'information sur Paris-Roubaix rappellent à chaque instant la nature des rapports de force entre d'un côté un pouvoir centralisé en région parisienne, fait d'accointances mutuelles et réciproques, disposant des bonnes informations dans les meilleurs délais, de l'autre côté un pouvoir local d'une certaine manière condamné "à suivre" - à défaut de les édicter - toutes les règles du jeu18. 14 Entretien du 29 mars 2001, spectateur de la course depuis une trentaine d'années, retraité ancien ouvrier du verre. 15 On songe aux épreuves telles que Paris-Brest-Paris en 1891, Bordeaux-Paris en 1891, etc. Sur le sujet, P. Gaboriau, "L'auto et le tour de France. Regard critique sur l'histoire du cyclisme et l'année 1903", in T. Terret (dir.), Histoire des sports, L'Harmattan, 1996, pp. 39-48. 16 Il s'agit en particulier d'un ancien coureur cycliste professionnel, proche de Jean-Marie Leblanc, employé par la "Société du Tour" et chargé de valider le tracé de la course. Le jour de la reconnaissance, qui a eu lieu le 5 avril 2001, a occasionné quelques inquiétudes en raison des pluies abondantes des semaines précédentes rendant les secteurs pavés difficilement praticables. 17 C'est dans ce contexte de concurrence exacerbée que les techniciens de France 2 ont par exemple saboté une prise de vue effectuée par ceux de France 3 parce que la mise en scène imitait en tous points le reportage effectué initialement par Jean-René Godard. Il s'agissait en quelque sorte d'initier la jeune journaliste aux règles de la profession. Sur les conditions de production de l'information journalistique, lire les travaux de Patrick Champagne, "La loi des grands nombres", Actes de la recherche en sciences sociales, n°101-102, pp. 10-22. 18 Là encore, on n'ignore pas les résistances que les provinciaux peuvent mettre en place en particulier dans leur relation à la presse nationale dont ils parviennent quelquefois à se jouer. C'est ainsi que des organisateurs locaux ont fait croire à des journalistes parisiens qu'une stèle était élevée en l'honneur de l'épreuve, ce qui n'a jamais été le cas (notes du 05 avril 2001). La posture de résistance est d'ailleurs l'hypothèse que formulent J. Vincent et Y. Gougeon au sujet de la formation de l'identité sportive spécifique au Nord, réalisée en réaction à la proximité Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -4- Enfin la prégnance des effets de pouvoir centralisé sur la province trouve également son terrain d'expression à travers la vision que les spectateurs peuvent se faire de la course, en particulier de son départ, qui n'a cesse d'évoquer un certain parisianisme surfait, gageant par là même que la course commence réellement avec les premiers pavés, c'est-à-dire loin des mondanités. "- Mais par rapport à la course, ça ne vous a jamais donné envie d'aller voir le départ ? - Si j'aimerais bien mais… ça ne sera pas si beau pour moi. Un départ, si vous voulez, je ne vais jamais le voir. Le départ, c'est un petit peu comme un défilé de mode. Tout le monde est super sapé, tout le monde brille, les vélos brillent, les gens sont reluisants, je ne retrouve pas Paris-Roubaix au départ. C'est marrant hein ? Non que j'aime bien voir les gens crottés, mais je ne retrouve pas… J'ai l'impression que ça ne reflète pas vraiment ce que j'ai l'habitude de voir. C'est ça aussi le fait que je réagisse comme ça. Mais par contre… c'est l'occasion peut-être d'avoir le contact avec des gens, des vedettes, des autographes par-ci, des autographes par-là, bon ça j'aimerais ça, pour uniquement ce plan-là. Mais ils n'auraient pas leur bicyclette, ce serait pareil. Moi ce que je veux, c'est les voir passer, après un certain nombre d'heures d'effort, c'est ça que je veux."19 L'un des paradoxes de Paris-Roubaix est qu'en dépit de son caractère provincial manifeste, dont l'existence même doit à l'initiative d'un notable roubaisien20, l'épreuve est depuis longtemps organisée et contrôlée depuis Paris, rappelant de fait que la concentration des ressources pour l'exercice du pouvoir y demeure plus forte qu'en province21. 2 - La vision des spectateurs Rendre compte de la vision des spectateurs aurait de fortes chances de manquer l'essentiel du regard si le compterendu se limitait aux seules observations phénoménologiques que permet le terrain et s'il n'interrogeait pas dans le même temps la structure organisatrice des rapports au monde qui le sous-tendent. La course n'est pas seulement une course, elle est aussi une relation à l'univers social qui le produit et dans lequel sont jouées en permanence les expériences qui lui sont relatives, telles que les oppositions décrites au-dessus entre le nord et le sud, les frontaliers et l'étranger, Paris et la province. Comme les spectateurs ne font guère plus qu'assister à un spectacle cycliste, les expériences qui ordonnent le regard ont peu de chances de s'exprimer explicitement et ne se laissent percevoir qu'à la condition de rompre avec l'évidence des motifs exposés pour participer au spectacle. Pour le dire autrement, personne ne saurait affirmer qu'il vient voir Paris-Roubaix pour expérimenter les formes de domination exercées par la capitale, et pourtant l'expérience de cette relation est constitutive du regard porté sur l'événement. Suivant cette remarque, la linéarité manifeste de l'épreuve déterminée principalement par le travail des cyclistes qui cumulent les kilomètres parcourus, les minutes d'effort et la fatigue vers une fin prédéterminée, n'est sans doute pas le mode le plus productif pour appréhender et rendre compte du point de vue des spectateurs. Ces derniers inclinent en effet à percevoir la course comme une juxtaposition de lieux, dont l'importance et la signification varient selon la dramaturgie de l'épreuve et qui composent autant de rendez-vous potentiels pour appréhender comme en pointillés les différentes étapes de la manifestation. Le temps et l'espace continus des coureurs sont au fond perçus d'une manière discontinue chez les spectateurs selon des modalités qu'il convient de décrire plus finement. L'analyse factorielle des correspondances s'est ici révélée comme un instrument efficace pour rompre avec la vision linéaire de l'épreuve et restituer dans un espace aux dimensions multiples les différents points de vue depuis lesquels les spectateurs se forgent une vision singulière de Paris-Roubaix. Pour les besoins de l'enquête, l'observation des spectateurs a combiné plusieurs méthodes qui, outre l'observation ethnographique du terrain, se sont enrichies de l'enregistrement d'entretiens semi-directifs et de la diffusion d'un questionnaire22 le jour de l'épreuve et sur des sites choisis de façon raisonnée, selon leur notoriété et leur intérêt de la Capitale. J. Vincent, Y. Gougeon, "Au Nord… le Sport : identités autonomes et dépendances identitaires" in S. Fauché, J-P. Callède, J-L. Gay Lescot, J-P. Laplagne, Sport et identités, L'Harmattan, 2000, pp. 317-325. 19 Entretien du 29 mars 2001. 20 Se reporter aux travaux de Pascal Sergent. 21 On veut souligner par là et à titre d'exemple que la survie de la course reste, pour une part essentielle, suspendue aux décisions conjointes des ministères de la Culture, de l'Environnement, de la Jeunesse et des sport, qui ont donné l'ordre en 2000, par le truchement de leurs administrations déconcentrées respectives, de procéder à une étude prospective sur la conservation et l'entretien de l'itinéraire Paris-Roubaix. Cette commande fait suite au classement de la tranchée d'Aremberg au titre du patrimoine en 1992 par Ségolène Royal alors Ministre de l'Environnement. Sur le fonctionnement des institutions de décentralisation, se reporter à l'ouvrage Philippe Poirrier, Jean-Pierre Rioux, Affaires culturelles et territoires 1959-1999, Documentation Française, 2000, 333 pages. 22 On a pu recueillir 192 questionnaires exploitables. Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -5- stratégique. Ainsi, quatre secteurs pavés ont été sélectionnés dont le "Carrefour de l'Arbre" et la tranchée de WallersAremberg qui célèbrent les passages réputés les plus difficiles de l'épreuve, le Vélodrome de Roubaix qui ponctue l'arrivée, et enfin un secteur de moindre notoriété (choisi pour cette raison) proche de Pont-à-Marcq. L'hypothèse selon laquelle ces sites se présentaient comme autant de points de vue particuliers sur la course, a conduit à cerner les différentes manières possibles d'y assister en les associant aux caractéristiques socio-démographiques du public (âge, sexe, profession, lieu d'habitation, etc.). Selon cette hypothèse, il apparaît effectivement que chaque site associe un public tout à fait spécifique qui ne participe au spectacle ni de la même manière ni selon les mêmes attentes23 (voir tableaux reproduits en annexes statistiques). Le "carrefour de l'Arbre" dont la notoriété est populaire, réunit par exemple une majorité de fins connaisseurs de l'épreuve, souvent cyclotouristes ou vététistes eux-mêmes, et qui se déplacent aisément en famille ou entre amis. Habitués du lieu, ils y viennent à l'avance pour consommer un pique-nique et préparer à l'aide des informations radiophoniques le passage attendu des cyclistes afin de les reconnaître du mieux possible. Enfin, le spectacle a de fortes chances de se prolonger après la course par une visite chez les amis et les membres de la famille qui sera l'occasion d'évoquer une dernière fois le point de vue que l'on a sur la course. Dans le même esprit, la Tranchée d'Aremberg regroupe plus facilement des spécialistes, inconditionnels de l'épreuve depuis au moins une quinzaine année, qui se déplacent en groupes plus restreints composés surtout de cyclistes ayant pratiqué l'activité en compétition. Leur longue expérience de la course les incline à citer en référence plus souvent qu'ailleurs les grands vainqueurs de l'épreuve aussi bien étrangers que français. C'est en quelque sorte les impératifs technique et tactique de la course qui les a conduit sur ce site particulier perçu comme un des passages les plus délicats et les plus risqués avant l'arrivée à Roubaix. Parce que la course est ici conçue comme un spectacle en soi qui se suffit à lui-même, et les probabilités de prolonger la journée par une visite amicale ou familiale demeurent réduites. Par opposition, le site de Pont-à-Marcq se présente presque comme une sorte de non-lieu24, c'est-à-dire un lieu dénué de toute connotation mythique, qui attire principalement une population résidant à proximité du parcours, venue là surtout par curiosité et non par réelle passion du cyclisme25. C'est aussi parmi cette population qu'on retrouve le plus de spectateurs occasionnels qui connaissent relativement peu le monde des coureurs, citant bien rarement un vainqueur récent ou passé, et ne suivant pas particulièrement le résumé de la course dans les médias. Pour finir, si les spectateurs situés le long du parcours proviennent majoritairement des communes rurales du NordPas de Calais et sont le plus souvent employés ou ouvriers dans les entreprises locales, le vélodrome marque enfin une rupture contrastée en concentrant un public plus urbain, venu surtout de la communauté urbaine de Lille, plus fortement doté en titres scolaires et diplômes du supérieur et occupant les postes des professions intermédiaires, des cadres et des professions intellectuelles. L'arrivée sur le vélodrome de Roubaix consacre le vainqueur de la course et figure en tant que telle le clou du spectacle ou encore l'apothéose d'un parcours dramatisé à l'extrême. Le vélodrome devient du même coup le lieu où l'on voit le vainqueur pour lui rendre hommage et où l'on se donne à voir au un moment crucial de la manifestation. Les modes de fréquentations du public confère de fait à chaque lieu des propriétés spécifiques organisatrices d'un espace protéiforme de la course bien différent de celui des cyclistes. D'abord les rapports à la temporalité de l'épreuve alternent une phase d'attente – qui peut s'avérer très longue – génératrice de lien social, d'essence populaire à certains endroits, de nature plus mondaine à d'autres ; et une phase d'émotion intense fondée entre autres choses sur l'exaltation des sens au passage ou à l'arrivée des coureurs26. Toutes les variations possibles autour du temps vécu de l'épreuve vient légitimer le lieu de prédilection du spectateur dans une relation au territoire et à ses structures (le nord, la frontière, la province) qui trouve à s'exprimer physiquement dans les manières dont le corps investit l'espace et ressent la course, à l'image de ce picotin pensé comme typique du Nord : "Pourquoi vous pensez que j'attends six heures pour deux ou trois minutes de passage, et j'attends six heures. J'arrive à huit heures du matin avec ma fille, mon gendre, ma femme, la petite table, le petit matériel de chaise pliante, notre petite cantine avec notre petit casse-croûte, notre petit porto, notre petit verre de vin rouge qui accompagne nos sandwichs, et un petit fruit. Nous prenons tout sur place parce que là où nous nous mettons, il n'y a pas de buvette ambulante. Nous sommes situés à peu près à la moitié de la trouée d'Aremberg. Et l'an 23 Les travaux de Paul Boury évoquent bien les différents statuts des spectateurs du Tour de France selon qu'ils viennent au départ d'une étape ou à son arrivée, etc. Cependant ces observations ne reposent sur aucune donnée objectivante et participent plutôt de l'intuition phénoménologique. Paul Boury, La France du Tour…, op. cit., pp. 385-397. 24 Marc Augé, Non-Lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992, 149 pages. 25 Cette curiosité dénuée de passion réelle pour le cyclisme est aussi désignée par le maire d'une commune qui accueille l'épreuve, comme un élément du folklore local permettant, à l'occasion, de reparler le patois : "Les personnes âgées se mettent à la fenêtre pour regarder tous ceux qui passent, bon là effectivement, elles vont parler patois. Si on parle de Paris-Roubaix, on a des chances de parler patois par exemple, c'est inscrit dans les mentalités". Entretien avec le maire d'une commune d'Inchy le 05 novembre 2001. 26 A titre d'exemple, on soulignera la puissance du tremblement des pavés, annonciatrice du passage imminent du peloton, et qui sollicite la sensualité du corps bien avant la perception visuelle des coureurs. Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -6- dernier, nous étions mêmes carrément dans le bois, parce qu'on n'a pas pu se remettre dans l'emplacement habituel. Donc j'ai six heures d'attente à meubler, à s'informer, on prend notre petit transistor bien entendu, et on s'informe et on patiente, et le temps passe bien, on se sent bien. Et au bout de six ou sept heures de patience, enfin ils arrivent. - Donc vous trouvez que cette course est relativement positive ? - En ce qui nous concerne, elle concentre les foules aux différents lieux de passage. Parce que même dans mon village, elle y passe, puisqu'elle vient de Paris. Et elle mobilise des foules, des foules, des foules. Et l'arrivée au bois, c'est une foule immense. Et il y a une raison à ça. Les gens aiment. Allez expliquer ce phénomène de société. Les gens aiment ça. D'ailleurs ici, dans le Nord on dit picotin, c'est une forme d'impatience le picotin, c'est un peu péjoratif mais bon. Il y a déjà le picotin qui se fait sentir à l'approche de la date, et on regarde dans notre petit truc, je voyage beaucoup, j'attelle la caravane et je m'en vais, et il s'avère qu'on regarde et on pinaille si cette date-là ne va pas être contrariée par quelque chose d'autre. Parce que je sais que nous serons là."27 Avec les rapports différenciés au temps de la course, l'espace protéiforme de Paris-Roubaix tient aussi à la possibilité de circuler d'un lieu à l'autre et par là même de vivre l'intermittence d'une épreuve pourtant ininterrompue. Chaque spectateur a au fond la possibilité de réaliser le parcours de son choix composé selon ses aspirations soit d'un lieu unique, soit de plusieurs, de sorte qu'il se constitue un point de vue original et personnalisé de l'événement. Selon cette logique, il y a pour ainsi dire autant de Paris-Roubaix qu'il y a de manières de vivre l'épreuve, le nomadisme composant une modalité spécifique des spectateurs les plus aguerris : "[Les spectateurs] sont très passionnés là où nous sommes par exemple, mais se dépêchent de rejoindre un autre un endroit. En somme, c'est un petit peu pour eux aussi, une course à étapes, ils font énormément de voiture ce jour-là, beaucoup plus que moi. Mais eux, ils ont autant d'engouement, ils sont fanas aussi, en particulier les Belges qui viennent avec leur camion, et d'autres nations comme les Italiens, ils ne sont pas les derniers non plus, ils ont eux aussi leur pépinière de champions qui ont gagné le Paris-Roubaix, il faut bien le savoir. Mais la trouée d'Aremberg, je crois que c'est un des points clés, on parle avant l'arrivée de l'Arbre, qui est en général le révélateur, mais avant l'Arbre, il y a Aremberg, et ça c'est important, ça c'est énorme. Il y a un tamisas qui se fait là. C'est endroit, on est tout près d'eux, on est très près, on arrive à sentir la pédale, si c'est lourd, si c'est véloce, ça se sent ça."28 Contrairement à la rencontre de football qui rassemble les spectateurs pour la durée du match en un même endroit, l'épreuve de Paris-Roubaix ne présente ni l'unité de temps, ni celle du lieu pour produire l'illusion d'une expérience collectivement partagée. Néanmoins, et c'est là tout le paradoxe, l'épreuve parvient, à travers son émiettement, à rassembler toutes les formes de projections liées aux conditions de vie dans le Nord pour constituer un fonds identitaire commun : celui du courage, de la générosité face à la difficulté29. Conclusion La portée parabolique de Paris-Roubaix, relativement à l'histoire locale, est bien résumée par un spectateur sous la formule suivante : [la course] retrace les anciens chemins fréquentés par les anciens mineurs et la rudesse au travail accompli30. Bien qu'idéalisée, cette formulation pose la question de l'appropriation de la course par son public au titre de symbole régional. Jusqu'à la fin des années 80, l'épreuve suscite peu d'intérêt vis à vis des pouvoirs publics et de la population en raison de l'image négative qu'elle véhicule, celle de la difficulté, à une période où l'industrie du charbon achève l'exploitation de ses mines31. Depuis la création de l'épreuve en 1896, la diminution progressive des distances parcourues sur les secteurs pavés suggère un relatif déclin d'intérêt pour ce qui détermine, de fait, le caractère spécifique de l'épreuve avec le lot d'incertitudes et de difficultés que les pavés alimentent. 27 Entretien du 29 mars 2001, spectateur de la course depuis une trentaine d'années, retraité, ancien ouvrier du verre. 28 Entretien du 9 avril 2000, site d'Aremberg, agent de maîtrise. 29 On reprend là littéralement les termes d'une réponse à l'interrogation posée dans le questionnaire diffusé au moment de l'épreuve, et formulée ainsi "Pensez-vous que cette course est représentative de la région Nord-Pas de Calais ? Pourquoi ?" Site de Pont-à-Marcq, étudiant de 21 ans, résidant à Villeneuve d'Ascq. 30 Réponse à la même question que précédemment. Site d'Aremberg, ouvrier de 27 ans, titulaire d'un CAP, résidant à Valenciennes. 31 Ce constat est repris par le président des "Amis de Paris-Roubaix" : "Depuis 25 ans, on rame à l'envers. Parce qu'il y a 25 ans, il était hors de question de sauvegarder une route pavée, le pavé c'était l'enfer du Nord et c'était l'horreur. Plus personne n'en voulait." Entretien du 9 mars 2001. Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -7- S'en tenir à ce constat, pour aussi vrai qu'il soit32, conduit cependant à faire abstraction de la prise de conscience observée par les spectateurs quant à la valeur culturelle et patrimoniale de la course et donc à la nécessité d'entretenir les derniers secteurs caractéristiques du parcours. Alors que le travail d'interpellation sur les menaces que fait peser la disparition des pavés, prend une forme visible dans les années 80 avec le plaidoyer de Jean-Marie Leblanc33 et surtout les actions accomplies par "les amis de Paris-Roubaix"34, l'observation approfondie des rapports que les spectateurs entretiennent à la course, révèlent au fond qu'aujourd'hui les enjeux liés à la conservation des secteurs pavés sont bien intériorisés. Près du tiers d'entre eux (30,2%) estime ainsi que la course est représentative du Nord, une autre fraction (23.4 %) songeant que le parcours valorise le patrimoine touristique de la région. Par ailleurs, la conscience de la valeur patrimoniale de la course émerge aujourd'hui avec force avec plus du tiers des spectateurs (34,9 %) qui se rallie aux objectifs définis par l'association "Les amis de Paris-Roubaix". A ceux-ci favorables à l'entreprise de conservation dans sa globalité, il convient d'ajouter les fractions de ceux qui précisent dans le détail leur approbation, soit dans une logique purement sportive pour préserver l'intérêt de la course (13.5 %), soit dans une logique plus touristique pour valoriser la région (12 %) (voir annexes statistiques). Alors qu'il y a une vingtaine d'année, l'image véhiculée par le Paris-Roubaix suscitait encore des réticences dans un contexte de crise sociale que la course ne faisait que rappeler d'une façon aiguë, la tendance semble aujourd'hui inversée dans la mesure où l'épreuve symbolise aussi au-delà des troubles sociaux, la force qui permet d'en venir à bout. 32 Il ne reste plus en effet qu'une cinquantaine de kilomètres de secteurs pavés. Jean-Marie Leblanc, Les pavés du Nord, La table ronde, 1993. 34 "Les amis de Paris-Roubaix" constituée en association 1901 depuis le 20 mars 1995 ont pour objet "La promotion des épreuves cyclistes. La protection, l'aménagement, la valorisation et la défense de l'itinéraire et notamment de secteurs pavés et toutes actions favorisant la défense des Paris Roubaix" (source : "Statuts de l'association"). 33 Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -8- Annexes statistiques Tris à plat Tableau 1 : Professions et catégories sociales des spectateurs Non réponse Exploitants agricoles Artisans, commerçants, chefs d'entreprise Cadres, professions sup. Professions intermédiaires Employés Ouvriers Autres Retraités Sans emploi, chômage TOTAL Tableau 2 : En Effectifs 12 0 % 6,3 0 7 28 20 39 43 19 18 6 192 3,6 14,6 10,4 20,3 22,4 9,9 9,4 3,1 100 quoi l'épreuve est-elle représentative du Nord ?* Parabole de l'enfer Valorisation touristique Autre Ne s'exprime pas TOTAL Effectifs 58 45 12 77 192 % 30,2 23,4 6,3 40,1 100 * Question ouverte codée selon les items ci-dessus a posteriori. Tableau 3 : Que pensez-vous du classement de l'épreuve au titre du patrimoine ?* Sans opinion Approuve le classement Bien pour la course Bien la région Désapprouve TOTAL/ réponses Effectifs 78 67 26 23 2 196 % 39,8 34,2 13,3 11,7 1 100 * Question ouverte codée selon les items ci-dessus a posteriori. Quatre réponses ont été codées selon deux items. Tris croisés Nota : on a préféré transcrire les tableaux croisés qui caractérisent les différents sites plutôt que de reproduire le graphe factoriel dont la lecture demeurait difficile. Tableau 4 : Types de consommations en fonction du site En colonnes: 1. Site En lignes: Type de consommations Vélodrome Aremberg Aucune 36,8 13,8 Pique Nique 26,3 43,7 Coupe-faim 36,8 39,1 Autres 3,4 3,2 TOTAL 100,0 100,0 Carr. Arbre 16,0 38,3 42,6 5,0 100,0 Pont-à-Marcq 87,2 2,6 10,3 TOTAL 28,6 34,0 34,7 100,0 100,0 Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. -9- Tableau 4 : Types de grands champions cités en fonction du site En colonnes: Site En lignes : Types de grands champions cités Vélodrome Aremberg Carr. Arbre 40,0 37,9 23,1 20,0 24,1 26,2 Champion français Champion étranger Champions français et étrangers 26,7 Pas de champion 13,3 TOTAL 100,0 Tableau 5 : 27,7 23,1 100,0 TOTAL 30,7 23,4 10,3 51,3 100,0 21,4 24,5 100,0 Pont-à-Marcq ,5 5,1 23,1 28,2 25,6 15,4 100,0 TOTAL Tranches d'âge des spectateurs en fonction du site En colonnes: Site Non réponse Moins de 20 ans Moins de 30 ans Moins de 40 ans Moins de 50 ans Plus de 50 ans TOTAL Tableau 6 : Types En colonnes: Site Non réponse VTT compét VTT Loisir Tradition Compét Tradition Loisir Cyclotourisme TOTAL Tableau 4 : 22,4 15,5 100,0 Pont-à-Marcq 20,5 17,9 En lignes : Tranche d'âge Vélodrome Aremberg 2,6 6,7 6,9 40,0 27,6 20,0 15,5 20,0 22,4 13,3 27,6 100,0 100,0 Carr. Arbre 7,7 16,9 33,8 21,5 20,0 100,0 6,8 22,4 24,5 22,4 23,4 100,0 de pratique cycliste en fonction du site En lignes : Cyclisme Vélodrome Aremberg 21,1 23,2 4,3 21,1 29,0 10,5 5,8 36,8 23,2 10,5 14,5 100,0 100,0 Carr. Arbre 24,7 1,2 28,4 3,7 27,2 14,8 100,0 Pont-à-Marcq 48,8 23,3 25,6 2,3 100,0 TOTAL 30,3 1,7 26,4 4,8 25,5 11,3 100,0 Statut du groupe de spectateurs en fonction du site En colonnes: Site Non réponse Famille nucléaire Famille élargie Amis Collègues Seul TOTAL En lignes : Statut du groupe Vélodrome Aremberg 2,8 35,3 50,0 5,9 11,1 4,2 29,4 29,2 29,4 2,8 100,0 100,0 Carr. Arbre Pont-à-Marcq 41,3 22,5 7,5 27,5 1,3 100,0 59,1 11,4 18,2 11,4 100,0 Sébastien Fleuriel - Sport, identité, culture Staps - Université du Droit et de la Santé de Lille. - 10 - TOTAL ,9 48,7 14,0 3,9 25,4 7,0 100,0