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cinéma
Le mythe du samouraï
Harakiri
La mort n’est pas un métier
Le rite du suicide – seppuku – est indissociable du mythe entourant la figure du samouraï. Pourtant, jusqu’à l’ère
Tokugawa, il reste rare et n’a lieu qu’après une défaite au combat. Ce n’est qu’au XVIIe et au XVIIIe siècle qu’il se formalise
comme un moyen d’éviter une exécution honteuse. D’abord réservé aux seuls samouraïs, le rite se propage au
XXe siècle à l’ensemble de la société sous l’influence du militarisme. On escomptait que chaque soldat fasse montre du
même esprit de sacrifice que les bushis. Mais il est moins question, à ce moment, d’honneur personnel que de mourir
pour l’empereur et pour l’État. M. Kobayashi, Harakiri, 1962.
Le samouraï, loin d’être un
héros, est réduit à l’état de simple
artisan gagnant maigrement
sa pitance, comme prisonnier
de sa condition. Ici, les baleines
de l’ombrelle agissent comme
des barreaux derrière lesquels le
samouraï est privé de liberté.
Fig. 1
Fig. 2
Les barbes drues et les habits rapiécés
différencient les ronins, héros des films de
Kurosawa et de Kobaysahi, des samouraïs
bien rasés, mais soumis à l’autorité
seigneuriale. Ils annoncent quelques années
avant l’heure, l’aspect négligé des anti-héros
des westerns spaghetti.
C’est justement l’opposition entre
le groupe et l’individu qui traverse
le film de Masaki Kobayashi, Harakiri (1962) dont l’action se déroule au
début de l’ère Tokugawa (vers 1630)
qui voit nombre de samouraïs perdre,
avec la paix, leur emploi. Au milieu du
XVIIe siècle, ces ronins, au nombre de
400 000, posent même un sérieux problème. Loin d’être la célébration de
plusieurs de ces hommes trouvant un
nouvel idéal dans la défense des paysans, comme dans Les Sept Samouraïs,
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Kobayashi se plaît à montrer la descente aux enfers de l’un d’entre eux,
Tsugumo Hanshiro, obligé de travailler pour subvenir aux besoins de sa
famille (fig. 1). Ayant tout perdu, il se
rend dans la demeure du clan Iyi et
demande la permission de se suicider
pour laver son honneur. Il va se servir
de cette cérémonie pour mettre à jour
l’hypocrisie du système féodal (fig. 2). Le suicide du mythe
La critique ne vise pas tant l’ancienne
aristocratie que le régime militariste
qui entraîna à partir des années 30 le
Japon dans la guerre puis la défaite en
1945. Kobayashi a en effet passé une
partie du conflit sous les drapeaux
et a refusé de devenir un officier.
Dès 1953, il réalise un film traitant des
crimes de guerre commis par les soldats japonais. Entre 1959 et 1961, il
consacre avec La condition humaine une
trilogie complète à la vie d’un intellectuel pacifiste enrôlé de force sous les
drapeaux, ballotté entre le militarisme
fascisant de son pays et le totalitarisme
stalinien. Le premier rôle de ces films
et d’Harakiri est assuré par le même
acteur, Tatsuya Nakadai – il apparaîtra plus tard dans deux grandes
œuvres de Kurosawa, Kagemusha
(1980) et Ran (1985). Ce n’est pas un
hasard, car Kobayashi place ces quatre
œuvres dans une continuité : « Pour
toutes les époques, je critique l’autoritarisme. Dans La condition humaine,
il prenait l’apparence du militarisme ;
dans Harakiri, celui du féodalisme. Ces
deux systèmes induisent les mêmes
conflits moraux opposant l’individu à
la société »(1) (fig. 3).
Kobayashi ne s’en prend pas seulement au passé ancien et récent du
Japon. Il traite aussi d’un présent brûlant. En 1960, l’écrivain nationaliste
Yukio Mishima consacre la nouvelle
Patriotisme à un officier, qui, après un
coup d’État raté en 1936, se suicide par
éventration, à l’image des samouraïs.
William Blanc
Photos : M. Kobayashi, Harakiri, 1962 (sauf mention contraire)
Fig. 3
Fig. 4
Lo Wei, La fureur de Vaincre, 1972.
L’occupant japonais, habillé en samouraï traditionnel,
prouve sa lâcheté en attaquant avec son katana un
homme combattant à mains nues.
Seul contre tous. Si Kurosawa, dans Les Sept
Samouraïs, célèbre la victoire d’un groupe,
Kobayashi montre lui la défaite d’un individu
isolé, pris dans un huis clos implacable
symbolisé par des plans en contre-plongée
dans lequel le protagoniste est écrasé par
l’architecture de la demeure aristocratique qui
l’entoure.
Mishima adaptera en 1966 cette nouvelle en film qui annonce sa propre tentative de putsch et son seppuku. Le 12
octobre 1960, le premier secrétaire du
Parti Socialiste du Japon, Inejiro Asanuma, une des figures du mouvement
contre l’Anpo (voir art. précédent),est
assassiné à l’arme blanche – selon certaine source, un sabre court de samouraï, le wakizashi – en direct à la télévision par un jeune militant d’extrêmedroite, Otoya Yamaguchi. Peu après,
celui-ci se pend dans sa cellule en inscrivant sur le mur la phrase « sept vies
pour mon pays, dix mille années pour
Sa Majesté l’Empereur » attribuée à un
samouraï du XIVe siècle : Kusunoki
Masashige, dont la figure fut détournée par la propagande impériale à
la charnière des XIXe et XXe siècles
(voir art. précédent).
Dans un pareil contexte dans lequel
le sacrifice individuel est perçu, par
certain, comme le summum de l’engagement politique et de l’honneur,
Kobayashi se plaît à montrer des
samouraïs poussés au suicide par un
système féodal injuste tout en n’hésitant pas, loin du tout esthétisme, à
montrer le sang et la souffrance des
condamnés.
L’armure et le vide
Harakiri s’ouvre sur un plan d’une
armure de samouraï exposée dans
la demeure du clan Iyi. Vide – les
gros plans sur le masque (menpo) le
montrent assez clairement – elle est
la parfaite représentation de l’honneur creux des samouraïs de cour.
Lors de la scène finale explosive, Tsugumo Hanshiro, blessé, la soulève
comme un ridicule pantin inarticulé.
On remarque une étonnante concordance de ce thème iconographique
dans plusieurs oeuvres occidentales,
du Chevalier inexistant Italo Calvino
(publié 1959) au Templiers de Stellio
Lorenzi (1961 – Voir HIM n°51, aoûtsept. 2013) en passant par Merlin l’enchanteur de Walt Disney (1963)(2) , qui
ont tout en commun de traité la chevalerie comme une métaphore d’un
monde traditionnel et aristocratique
qui s’oppose au progrès et à la démocratie. Harakiri n’échappe pas à cette
règle, en y ajoutant une dimension
supplémentaire. Après avoir saisi l’armure, Tsugumo Hanshirō se retrouve
confronté à une rangée de samouraïs
qui pressé d’en finir, sorte des mousquets et l’abattent. Pour Kobayashi,
non seulement les bushis représentent
un monde archaïque, mais leur prétention à l’honneur basée sur le respect des traditions est hypocrite au
point qu’ils n’hésitent pas à user des
armes les plus lâches qu’aient produites la modernité et l’Occident.
L’idée d’une opposition entre katana
et arme à feu qui symboliserait la lutte
entre l’honneur et la couardise était
déjà présente dans Les Sept Samouraïs,
où l’un des bandits attaquant le village
utilise lui aussi des armes à feu. Mais
si Kurosawa célèbre le triomphe de la
détermination du samouraï qui finit,
au prix de sa vie, par tuer son adversaire, le réalisateur d’Harakiri montre
lui la victoire du système qui finit par
broyer l’individu révolté. La scène de Kobayashi fera des émules.
Elle a sans doute servi de modèle aux
dernières minutes du deuxième film
hongkongais de Bruce Lee, La fureur
de vaincre (Jing wu men – 1972) (fig. 4)
dans lequel un jeune maître chinois
de kung-fu est fusillé à bout pourtant par une escouade de soldats pour
avoir osé mettre en cause l’occupation de son pays par des Japonais –
l’action se déroule durant la première
moitié du XXe siècle. Dans plusieurs
scènes de combat, le personnage joué
par Lee, Chen Zhen, combat à mains
nues des Japonais en kimono armés de
katana. Ici, la dénonciation du samouraï vise non seulement l’impérialisme
japonais en Chine durant la première
moitié du XXe siècle, mais sert également à l’affirmation du nationalisme
chinois. La Fureur de Vaincre connaîtra de nombreux remakes dans les
années 90 et 2000 dans lequel à chaque
fois la figure du samouraï sera utilisée comme repoussoir, insistance qui
doit aussi s’analyser au travers des
tensions incessantes scandant les relations sino-japonais depuis ces dix dernières années(3). n
(1) Interview du réalisateur donnée en 1972, publiée dans Harakiri (DVD),
Crierion Collection, 2005.
(2) Voir notre article « Merlin l’enchanteur. Back in the USA », him-mag.com
(3) Voir à ce sujet Siu Leung Li, « Kung Fu. Negociating nationalisme and
modernity », Cultural Studies, 15:3-4, 2001, p. 515-542.
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