PARCOURS DIDACTIQUE : CINQ TABLEAUX DE BRAUN
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PARCOURS DIDACTIQUE : CINQ TABLEAUX DE BRAUN
PARCOURS DIDACTIQUE : CINQ TABLEAUX DE BRAUN-VEGA à l’occasion de l’exposition à l’Espace Saint Rémi, Bordeaux La Melancolia de Don Pablo (Velázquez, Rembrandt, Ingres, Duncan) 2005, Acrylique sur toile, 200 x 200 cm Double éclairage sur Occident 1987 (Velázquez et Picasso) 1987, Acrylique sur toile, 195 x 262 cm La leçon... à la campagne (Rembrandt) 1984, Acrylique sur toile, 195 x 300 cm ¡Caramba! (Rembrandt, Goya, Ingres, Cézanne, Matisse, Picasso) 1983, Acrylique sur bois, 224 x 168cm ¿Que tal? Don Francisco à Bordeaux ou le rêve du novillero (Goya, Velázquez, Manet, Monet, Botan) – 2007, Acrylique sur toile, 200 x 200cm (¿Que tal? = Ca va ? expression pour saluer ou demander une opinion) 2 Il faut d’abord rappeler que Goya quitta l’Espagne en 1824 et s’installa à Bordeaux jusqu’à sa mort en 1828, exceptions faites d’un bref séjour à Paris cette même année puis d’un retour à Madrid à la Cour du Roi, dont il était le peintre officiel, pour demander la prolongation de son congé. La ville de Bordeaux était alors un des lieux de résidence privilégiés des Espagnols qui fuyaient le régime de Ferdinand VII et son « Tribunal de Réhabilitation » qui exerçait une forte répression sur les intellectuels et, plus généralement, tous ceux qui étaient soupçonnés de libéralisme. Il y retrouva des amis en exil, au nombre desquels le poète Leandro Fernandez de Moratin dont il fit le portrait. Il continua de peindre jusqu’à sa mort. Dans ce tableau, je situe Goya en 1827, à Bordeaux, dans un atelier imaginaire. La fenêtre donne sur l’angle formé par la rue de l’Hôtel de Ville et la place Pey Berland, où l’on aperçoit la cathédrale et la terrasse d’un café. Cette ouverture évidente est la principale source de lumière de l’atelier. Il y a deux autres sources de lumière, l’une est une petite verrière zénithale et l’autre est une fenêtre qui se trouve dans la prolongation du mur sur lequel est accroché le tableau de Goya, « Une Dame en costume espagnol » (1). Ces deux dernières se trouvent hors champ. Je souhaite montrer les filiations ascendantes et descendantes de Goya, j’ai donc mis au premier plan deux personnages peints par Velázquez, assis sur un coussin rouge, le (1) Bouffon Niño de Vallecas (2) et le Nain Calabacillas (3). Il ne faut pas oublier que Velázquez, d’une certaine manière, est le père conceptuel de Don Francisco. Il a eu une grande importance dans sa formation. A ses débuts, Goya a fait des copies à l’huile et à la pointe sèche de certains tableaux du grand maître. Derrière Goya, que je représente de profil dans le tableau, on voit un guitariste, « Le Chanteur espagnol » (4), peint par Manet en 1860, où on remarque l’influence capitale que autant (2) (3) Velázquez que Goya ont eu dans la for Derrière le guitariste, on aperçoit le portrait de Mme Gaudibert (5), peint par Monet qui dans sa première période, fut influencé par Manet. Accroché au mur du fond, on peut voir la reprise du tableau de Manet titré « L’Homme mort », peint en 1865 (On prétend qu’il l’a réalisé après avoir observé le tableau “El Soldado muerto” attribué à Velázquez au 19e siècle). Il s’agit sans doute d’un novillero. On appelle ainsi les jeunes aspirants au titre de torero qui, pour le devenir, doivent recevoir l’alternative d’un torero confirmé avant de pouvoir revêtir les habits de lumière. Devant lui, on voit une scène de tauromachie. Cette juxtaposition d’images me permet de modifier le titre original en le remplaçant par « Le rêve du novillero » (6). mation de cet artiste. (4) 3 Sur le chevalet devant Goya, on voit une version du tableau Les Vieilles ou le Temps (7). Il est en train de le retoucher? Dans ce tableau, on peut voir une vieille femme blonde qui orne sa chevelure d’un bijou en forme de flèche incrusté de diamants, elle est accompagnée d’une entremetteuse, à peu près du même âge. Or, un tel bijou figure déjà dans le tableau représentant la famille de Charles IV peint en 1801 par Goya où cette même parure est arborée par la Reine et par l’Infante. La représentation de ce bijou, coiffant cette vieille femme, constitue à l’évidence une critique acerbe de la famille royale espagnole. Derrière ces Vieilles, on peut lire dans des coupures de journaux parus au moment où je réalisais ce tableau des nouvelles de violences et de désarroi contemporains. (6) On peut lire ainsi: « Un ex-membre du Ku Klux Klan condamné 43 ans après... », « La lutte contre l’insécurité grandissante est devenue la priorité des Vénézuéliens », « L’ex-chef des renseignements japonais fait des affaires avec une association nord-coréenne ». « Au Pakistan, la Mosquée rouge aujourd’hui occupée », « Attentat-suicide de Al Qaida contre une caserne de l’armée algérienne », « Ouverture et réforme des socialistes en plein trouble ». On voit aussi quatre gravures de Goya, trois sur les Désastres de la guerre (8,9,10), une des Caprichos, dans laquelle on voit à nouveau les deux Vieilles (11). Graffité par dessus les journaux, on peut voir la lampe, tirée du tableau “Guernica” de Picasso, une lampe électrique, seul élément contemporain à l’époque où le Maître a fait ce tableau, qui peut être pris comme un symbole de l’utilisation perverse de la modernité pour annihiler l’être humain. Le personnage féminin inconnu qui dialogue avec Don Francisco, comme le paysage urbain qu’on voit par la fenêtre, servent de relais entre les différentes époques représentées dans le tableau, depuis Velázquez jusqu’aujourd’hui. On peut donc voir, dans ce tableau, une filiation depuis Velázquez jusqu’à Monet, et malgré mon absence dans ce tableau, du fait même de l’avoir inventé et de m’être approché de ces maîtres avec une impertinence amicale, je deviens le débiteur de tous ces grands artistes qui sont intervenus dans ma formation, voilà ma place dans la continuité de cette filiation. (11) (8) (9) (10) 4 LA MELANCOLÍA DE DON PABLO La fenêtre éclaire d’une lumière d ’été l’atelier (imaginaire) où se trouve Picasso. A l’ext érieur on peut voir une partie de la ville de Valderrobres et son château (lieu d’exposition de ce tableau lors d’une rétrospective de mon travail 'M émoires 1979-2006' en 2006). A une vingtaine de kilomètres se trouve le village de Horta de San Joan. Picasso y avait séjourné durant l’été 1898 pour s’y rétablir d’une scarlatine qu’il avait contractée lors d’un court séjour à l’Académie de San Fernando à Madrid. A cette époque, le village portait encore le nom de Horta de Ebro. Il y restera huit mois qui le remettront d’aplomb. Il retournera à Horta de Ebro au printemps 1909 et y réalisera ses premières oeuvres cubistes, inspiré par les paysages du village. Un voisinage si extraordinaire, à peine distant d’une vingtaine de kilomètres, m’a incité à l’inviter dans ce tableau que je situe à Valderrobrès en 2005. Don Pablo est présent dans mon oeuvre de façon constante depuis l’année 1968, par filiation conceptuelle, en particulier par sa façon syncrétique d’associer temps et cultures dans son oeuvre. (1) Mais à quoi est due sa mélancolie? (1) Au sommeil agité et peut-être même angoissé de la femme nue au corps torturé qui se trouve devant lui? Tableau cubiste peint à Paris en 1942! (Sleeping nude) (2). Ou alors aux nouvelles avec des portraits des terroristes qui figurent dans les transferts d’encre de journaux imprimées sur le fond bleu du tableau où se trouvent représentés Velázquez (autoportrait vers 1643) (2) et Rembrandt (autoportrait de 1665-1666) (3) et sur lesquels on peut lire en espagnol “Un informe del equipo legal del 11-S liga la red 5 de Al-Zarquawi con detenidos del 11-M” (Un rapport du groupe d’experts juridiques du 11-S fait le lien entre le réseau de Al-Zarquawi et des détenus du 11-M). Velázquez, Rembrandt et Ingres présent par La baigneuse de Valpinçon (1808) (4) peint sur le mur rose du fond - trois de ses pairs qui l’avaient formé - et qu’il a déconstruit, inventant ainsi un nouveau langage plastique. La jeune fille (métisse afro-européenne), la nature morte (sur le guéridon devant la fenêtre) avec des produits agricoles originaires des différents continents mais qui font aujourd’hui partie intégrante de nos cultures (syncrétisme) et l’atelier ensoleillé, on pourrait supposer que tout est prêt pour passer une après-midi sereine et laborieuse. Ou alors, c’est le constat que même en 2005 la violence et les guerres continuent, sous prétextes de religion, de race, de préjugés et d’idéologie qui le rend mélancolique? Dois-je rappeler que mes tableaux racontent des histoires inventées à contenu véridique et vérifiable? DOUBLE ECLAIRAGE SUR OCCIDENT 1987 6 La culture occidentale s’est imposée dans la plupart des continents. Pour un natif du continent européen, l’appartenance à la culture occidentale va de soi. Dans les autres continents, la situation est plus complexe. Si l’on observe les pays andins du continent américain, on constate que la culture occidentale est la culture officielle du pays, que l’apprentissage dans les écoles et universités est sensiblement similaire à l’européenne et qu’il est pratiqué en langue espagnole. A la suite de différentes colonisations (dont l’espagnole était la plus importante) l’Amérique a été occidentalisée, c’est une réalité irréversible, mais à la différence de l’européenne, elle a reçu des apports importants de la culture aborigène et aussi des cultures africaines et asiatiques, dont il résulte une sorte de syncrétisme qui enrichit et identifie les cultures des pays d’Amérique latine. En Bolivie, l’élection d’Ivo Morales à la présidence est un signe important d’une reprise en main par les descendants des natifs qui occupaient le pays avant l’arrivée des espagnols, la colonisation brutale qui s’en est suivie a décimé et marginalisé les cultures natives et ceci avec l’aval et même la collaboration active de l’Eglise catholique. Après ces préalables, revenons au tableau : je pars d’un rappel du tableau “Las Meninas” de Velázquez, je m’inspire de l’espace architectural de ce tableau. Sur la droite, on peut voir des portes-fenêtres et une porte au fond de la pièce qui éclairent la scène. Sur le mur du fond on aperçoit au centre un miroir, sur la gauche, devant un tableau qu’on voit de dos, on trouve deux personnages, un peintre qui a pris la même pose que Velázquez dans Las Meninas (1) et un autre personnage qui semble trouver très drôle ce qu’il voit sur la toile... Accroupie devant eux, l’une des Meninas offre un morceau de viande à l’Infante Margarita, à côté d’elle un enfant blond qui avance vers nous. A l’extrême droite, on voit une jeune fille à la peau couleur cuivre qui nous tourne le dos et avance vers la Naine Maribarbola, aux pieds de laquelle somnole un vieux chien. Les visiteurs de cet atelier représentent le melting pot, composant de la culture de la zone andine d’Amérique et en particulier du Pérou, où les natifs se sont métissés avec les Européens et/ou les Africains et/ou les Asiatiques. La nudité de certains d’entre eux facilite l’appréciation de cette réalité. La nudité apporte aussi un aspect intemporel, à la différence de l’Infante et de la Naine dont les habits illustrent la régression vers le 17e siècle. Ces deux personnages avec leurs attitudes et habits passéistes représentent les familles et les hommes d’état qui nous ont gouvernés pour leur profit personnel en négligeant la population péruvienne. Ce sont des Péruviens honteux qui se réclament d’une ascendance espagnole ou européenne et qui traitent la population indigène ou métisse - largement majoritaire dans le pays - comme des individus de castes inférieures. Vingt ans ont passé depuis que j’ai peint ce tableau, la situation a commencé à changer malgré eux. En haut des marches, dans une pièce que l’on aperçoit derrière la porte ouverte on trouve un jeune chien bâtard qui nous fixe d’un regard alerte. Sur le mur dans le tableau accroché, on voit Picasso habillé en Arlequin qui regarde une femme hilare, mutilée de façon semblable à La Victoire de Samothrace. Au-dessus de leurs têtes, on peut voir une réplique de la lampe électrique tirée de Guernica. Au-dessus du miroir, il y a une deuxième lumière, la première est traité graphiquement, telle que dans le tableau de Picasso. La deuxième, qui éclaire la scène centrale est traité picturalement. Double représentation de l’éclairage. Dans le miroir de Velazquez, l’omniprésence du pouvoir est représentée par le couple royal espagnol. Dans mon tableau, le miroir reflète le Pape Jean-Paul II qui tient sur ses genoux le journal Libération du 4 juillet 1987 qui annonce la condamnation à la prison à perpétuité pour Klaus Barbie (dit “Le Boucher de Lyon”. Il arrive en France en 1942 et dirige la Section IV de la Gestapo à Lyon. Le bilan de ses crimes en France : 4.342 morts, 7.581 juifs déportés, 14.311 résistants arrêtés et torturés). 7 A côté du Pape se trouve le Président autrichien et ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kurt Waldheim (pendant qu’il était à la tête de l’ONU, le “secret” de ses antécédents nazis a été bien gardé . Cela arrangeait quelques uns? En 1943, il a servi dans les Balkans lors des exactions nazis. Après son élection à la présidence de l’Autriche, on a “découvert” et rendu public son passé criminel). Le seul état qui l’a reçu pendant sa présidence était le Vatican, où Jean-Paul II l’a reçu le 25 juin 1987. Deux criminels, l’un condamné à la prison à vie, l’autre blanchi par la plus haute autorité morale du catholicisme. Le miroir et ce qui s’y reflète, le tableau où l’on trouve représenté Picasso, deux objets plats, représentent l’approche que peut avoir un sud-Américain de la culture occidentale d’origine, pure et dure dans le cas du Vatican dans son cynisme et généreuse vers les autres cultures pour leurs intérêts syncrétiques, représenté par Picasso... donc Double éclairage sur Occident. (1) LA LECON… A LA CAMPAGNE La Leçon ... à la campagne (Rembrandt) de 1984 est l'un des plus réussis parmi les tableaux de Braun-Vega des années 80, peut-être parce que la Leçon d'anatomie du docteur Tulp (1) a toujours fasciné le peintre qui a par ailleurs eu connaissance d'une introuvable étude hollandaise de 1948 identifiant le cadavre. On connaît l'anecdote: des notables d'Amsterdam demandent à Rembrandt de faire leur portrait groupé, en train d'assister à une leçon de dissection par le professeur Tulp. C'est sa première commande officielle; il a vingt-six ans. Malgré sa timidité devant Jacob Koolved, qui parle pour les autres et qui voudrait, selon l'usage, un alignement 8 conforme à la hiérarchie sociale au sein du groupe, il impose sa conception du tableau à faire: un mouvement naturel des auditeurs du professeur Tulp autour du corps que le chirurgien a magistralement dépecé en public en janvier 1632. Mais ce que Rembrandt ne peut dire, c'est que le cadavre l'intéresse infiniment plus que les visages des fantoches. Une pyramide s'élève bientôt, dont le mort est la base lumineuse et verdâtre. Les sept bourgeois qui sont là, pleins de leur importance et du sérieux de leurs fonctions, reçoivent la lumière de cette dépouille proche de la pourriture, l'unique objet du tableau. Qui était donc le mort, Adriaen Adriaensz, alias Aris Kindt, de Leyde, la ville natale du peintre? Un pauvre hère, fils d'un demi-clochard connu pour son goût de l'alcool, un SDF du XVIIe siècle. C'est ce que les clients de Rembrandt ne peuvent savoir et ce qu'a découvert plus tard Braun-Vega et que confirme de manière éclatante l'organisation plastique de la Leçon. Rembrandt connaissait Adriaensz, son aîné de deux ans. Il avait sans doute été son compagnon de jeu dans les dunes qui séparent Leyde de la mer. Adriaensz, un brave garçon devenu plus tard un pauvre bougre sans travail à Amsterdam, avait fini par voler un manteau, un unique manteau destiné à le protéger du froid en ce dur mois de décembre 1631. Pas de chance: les magistrats de la ville avaient besoin de faire un exemple pour que l'ordre règne, en un temps où les gueux grouillaient dans les cités. Adriaensz fut longuement torturé, suspendu à une poutre avec cent kilos attachés aux pieds, aussi longtemps qu'il fallut pour qu'il avoue assez de méfaits justifiant la mort, et condamné à être pendu pour avoir menacé la quiétude de classe du bourgeois qui découpe maintenant devant nous son pauvre corps blême. Adriaensz avait été interdit de séjour à Amsterdam à l'âge de dix-huit ans pour un petit vol, et avait récidivé dix ans plus tard dans la même ville: ce qui faisait de lui, décidément, un irrécupérable. Tulp et les autres, Mathijs Kalkoen, Jacob Koolved, Adrian Slaban et Jacob Block, insupportables de vanité bouffie et de cruauté bien-pensante, comment BraunVega ne les verrait-il pas en songeant aux oligarchies fascisantes qui ruinent l'Amérique latine? Tulp en sera donc l'autorité galonnée et ricanante, assisté par une paysanne péruvienne hilare, qui lui tend un énorme couteau de boucher. Une autre femme plume une volaille en jetant un regard à la fois angoissé et intéressé. BraunVega croit à la «conscientisation» des peuples latinaaméricains, mais il constate qu'une minorité de la population reste toujours complice de l'oppresseur. (1) Lorsque Guevara tombe dans le maquis bolivien, un photographe est requis pour fixer l'image du «Che» enfin devenu inoffensif (2). Regardez la photo: elle correspond exactement au cadrage adopté par Rembrandt pour la tête d'Adriaensz. Braun-Vega ne croit pas au hasard: il y a des connivences qui s'imposent à l'inconscient et que seul peut repérer celui qui a voué sa vie à faire des tableaux. Braun-Vega aime la complicité qui voit, à travers son art, le guérillero abattu lié au Flamand supplicié pour un manteau. Du point de vue formel, Herman Braun-Vega a appliqué avec bonheur son système des «trois mémoires », élaboré à partir des variations sur Le Bain turc d'Ingres et résumant l'essence de sa démarche. La représentation de la mémoire historique à travers l'iconographie du passé (ici, un tableau de Rembrandt), la représentation de la mémoire sociale ou politique à travers les événements du monde (ici, la mort du «Che ») et la représentation de la mémoire quotidienne du peintre (c'est-à-dire tout ce qu'un enfant ou une personne peu cultivée peut reconnaître dans le tableau et associer à son vécu), tout cela se combine dans une construction qui, pour être savante, n'en frappe pas moins le regard par son évidence et son efficacité.” Jean-Luc Chalumeau, “Les Trois Mémoires”“Un langage, des styles”, extrait de Braun-Vega, éd. Somogy, 2002, p. 25-31 9 CARAMBA !1 En 1983, le critique Jean-Luc Chalumeau m’a invité à participer à une exposition qu’il organisait, « Tels Peintres, Quels Maîtres ? ». Le projet - ou la « règle du jeu » - de cette rencontre, original, était que chacun des 24 peintres exposant réalise un tableau en réponse à la question qu’il adressa à chacun des participants : « Quels sont vos maîtres en peinture ? Accepteriez-vous de nous les désigner picturalement, c’est-à-dire : de nous les « citer » dans une œuvre spécialement conçue pour notre exposition ? Nous vous demandons une œuvre qui révèlera de manière aussi immédiatement visible que possible vos références picturales : en somme, le tableau par lequel vous témoignerez de ce qui vous concerne directement dans l’histoire de l’art. » Jean-Luc Chalumeau, in “TEL peintre, Quels MAITRES?”, Catalogue de l’exposition à la Galerie Christian Cheneau, Paris (p. 2) Il nous avait également demandé de commenter brièvement notre œuvre pour le catalogue. J’adressai ainsi le texte suivant: Tableau de groupe, réunion de famille, on n'est jamais mieux servi que ... 1 Expression espagnole, interjection dénotant l'étonnement ou la colère. (1) (3) 10 (2) Dans le fond à droite, à côté de la porte, un pan de mur recouvert d'un papier peint de Matisse (1), sur lequel on peut voir accroché "Le Bain Turc" d'Ingres (vers 1862) (2). Par la porte ouverte, on voit un paysage, "Les Peupliers"de Cézanne (vers 1880) (3). La nature morte au milieu est composée d'un fragment de "Chandelier, pot et casserole émaillée" de Picasso (1945) (4) et d'un détail de "Pommes et oranges" de Cézanne (vers 1895) (5). D'un côté de la table, on trouve un personnage des "Caprichos" de Goya (5) (gravure n°69 "Sopla") (6) utilisant un enfant comme soufflet pour éteindre la bougie de Picasso. Son tablier porte l'inscription “I love the neutron bomb" . Aux pieds de ce personnage, deux petits monstres taladomisés par Goya (gravure n° 20 "Ya van desplumados!") (7). En face, Cézanne (8) offre une pomme - le péché de la connaissance? au spectateur. Au milieu, assis dans un rocking chair, Picasso (9), son front dans l'axe du tableau, de la peinture, de ma peinture? Derrière lui, Rembrandt (10) qui appuie sa main sur mon épaule, car je suis présent dans ce tableau (égotisme!), dans la position même que prenait Velazquez dans Las Meninas et Goya (qui se représente lui-même dans la position de Velazquez) dans son tableau "La famille de Charles IV" (1800-1801). Sept peintres donc, comme les sept doigts de la main de Picasso. “7” Chiffre magique. HBV, octobre 1983 (10) (8)