Modi remet l`Inde "sur la carte du monde" Fichier

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Modi remet l`Inde "sur la carte du monde" Fichier
Modi remet l’Inde « sur la carte du
monde »
LE MONDE | 23.01.2016 à 10h09 • Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Vingt-sept visites à l’étranger en dix-neuf mois : ce sont des chiffres que la presse indienne cite
régulièrement pour rappeler qu’aucun autre premier ministre du pays ne s’était autant déplacé
en aussi peu de temps. Cette hyperactivité diplomatique a été la surprise du début de mandat de
Narendra Modi, élu en mai 2014, qui s’apprête à accueillir dimanche François Hollande, en
visite en Inde pour la deuxième fois, jusqu’au mardi 26 janvier.
Lui, le premier ministre élu au terme d’une campagne axée sur des réformes de politique
intérieure, lui qui, à la tête du Gujarat, un Etat de l’ouest de l’Inde, n’était pas familier des
questions internationales, a finalement déjoué tous les pronostics. « Sa politique étrangère
reste, à ce jour, son seul succès. Il a remis l’Inde sur la carte du monde », observe un diplomate
européen.
Tout a commencé par l’invitation, lors de son intronisation, des huit chefs d’Etat voisins. Ce fut
la première mise en œuvre de la doctrine des « voisins d’abord », selon laquelle l’Inde doit
assurer une stabilité dans son voisinage immédiat. M. Modi est allé restaurer l’influence
indienne dans des régions longtemps négligées. Ce fut le cas en mars 2015 dans l’océan Indien,
où transite la moitié du trafic maritime mondial et où la Chine affirme ses ambitions. Il se rendit
ensuite, en août, aux Emirats arabes unis, qu’aucun premier ministre n’avait visités depuis 1981,
alors que la région abrite huit millions d’Indiens de la diaspora et possède des ressources en
hydrocarbures, cruciales pour alimenter la croissance indienne, l’une des plus élevées de la
planète.
Inde décomplexée
M. Modi sort l’Inde du « non-alignement », doctrine chère à Nehru, la grande figure de
l’indépendance. Ses partenariats dans la défense ont été renforcés avec des alliés comme les
Etats-Unis, le Japon ou encore la Russie. Longtemps condamné à réagir, New Delhi n’a plus
peur de prendre des initiatives. Lors de la COP21 à Paris, en décembre 2015, ses positions
étaient redoutées tant l’Inde s’était montrée inflexible par le passé. New Delhi a finalement
ratifié l’accord final, en s’imposant comme le champion de la « justice climatique ». La
nouvelle politique étrangère est devenue« pro-active », constate Dhruva Jaishankar, chercheur
au German Marshall Fund.
La religion a été introduite comme un nouvel avatar du « soft power », en particulier le
bouddhisme, né en Inde comme ne cesse de le rappeler M. Modi, destiné à resserrer les liens
avec les pays d’Asie du Sud-Est. Il a également obtenu de l’ONU la création d’une « journée
mondiale du yoga », ce qui lui a permis d’associer son pays aux valeurs de la « retenue et de
l’épanouissement » et de l’« harmonie entre l’homme et la nature ».
Cette nouvelle « diplomatie Modi » n’est pas déconnectée de la politique intérieure. Les grands
meetings que le premier ministre tient à l’étranger, sous les acclamations de dizaines de milliers
d’Indiens de la diaspora, comme à Wembley à Londres ou au Madison Square Garden de New
York, sont diffusés en direct sur les chaînes de télévision.
Il n’apparaît plus comme ce personnage controversé, accusé d’avoir fermé les yeux sur les
émeutes entre hindous et musulmans qui avaient fait près de 2 000 morts en 2002, lorsqu’il
dirigeait le Gujarat, mais comme le héros d’une Inde décomplexée, qui prend sa revanche sur
le passé. « Parcourir la scène internationale ne vous rapporte peut-être pas de votes, mais cela
donne certainement un coup de pouce à l’image politique du premier ministre », notait en
novembre 2015 C. Raja Mohan, analyste au cercle de réflexion Observer Research Foundation,
dans les colonnes du quotidienThe Indian Express.
« Que de la communication »
Le premier ministre indien met également en scène ses déplacements à l’étranger comme aucun
autre de ses prédécesseurs : balade en bateau sur la Seine, tir à l’arc en Mongolie… Il les prépare
aussi comme ses réformes : à grand renfort de communication.
Cet appétit de communication ne masque-t-il pas les réelles avancées de la diplomatie
indienne ? Les critiques de M. Modi rappellent que ses rares succès avaient été lancés par ses
prédécesseurs, comme le nouvel accord frontalier avec le Bangladesh. « Que de la
communication », soupirent certains analystes. La doctrine des « voisins d’abord » n’a pas
encore produit de grands résultats, bien au contraire. Les Maldives se sont détournées de l’Inde
pour obtenir de la Chine les financements de grands projets d’infrastructures. New Delhi s’est
engagé dans un bras de fer avec Katmandou, allant même jusqu’à fermer quelques-uns de ses
postes-frontières pour l’asphyxier, et l’obliger à modifier sa nouvelle Constitution.
C’est sur le front de la diplomatie économique, reflet de la prédominance du rôle du secteur
privé dans les affaires indiennes, que M. Modi su le mieux restaurer la confiance des
investisseurs étrangers. Les investissements en direction de l’Inde ont bondi de 75 % en 2015.
Mais pour combien de temps encore ? Au bout d’un an et demi, de nombreuses grandes
réformes annoncées n’ont toujours pas vu le jour, comme l’assouplissement de la loi
d’acquisition des terres ou l’uniformisation de la taxe sur la valeur ajoutée. Or les investisseurs
s’impatientent, malgré la bonne conjoncture économique en Inde.
M. Modi se trouve prisonnier du Parti du Congrès, qui bloque ses réformes à la chambre haute
du Parlement, tout comme de la frange radicale des nationalistes hindous qui veulent imposer
leur programme. La dissonance entre l’image d’une Inde « pro-active » et tolérante à
l’international, et celle d’une Inde passive face à la montée de l’intolérance religieuse et
incapable de se réformer, risque de compromettre la crédibilité de M. Modi à l’étranger.