Quelle est l`influence de la Chine?

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Quelle est l`influence de la Chine?
Quelle est
l’influence de la Chine?
Vivek Arora et Athanasios Vamvakidis
L
’ÉCONOMIE chinoise s’est développée de façon considérable depuis le
lancement de la stratégie de réforme et
d’ouverture en 1978. C’est aujourd’hui
la deuxième économie au monde, le plus grand
exportateur et un investisseur de plus en plus
important. Pour alimenter ses exportations,
elle importe du monde entier des volumes
considérables de matières premières et de
produits semi-finis.
Il n’y a cependant que peu d’études empiriques
analysant l’impact de la croissance chinoise sur
les autres pays — qu’il s’agisse de ses voisins
asiatiques, des pays exportateurs de matières
premières en Afrique ou en Amérique latine, ou
des grands consommateurs de produits chinois.
Nous avons donc quantifié les effets de la
croissance chinoise sur le reste du monde et
concluons que l’effet de l’expansion chinoise sur
la croissance mondiale est positif et s’est renforcé
et étendu. Il y a quelques décennies, la croissance
chinoise n’avait d’effet que sur la croissance de
ses voisins; elle a désormais un effet dans le
monde entier. Nos conclusions confirment le
pressentiment que les économistes ont depuis
des années; à tout le moins, elles apportent des
éléments chiffrés tendant à le confirmer.
Une croissance inouïe
Les conséquences de l’ouverture de la Chine
sont bien connues. Pourtant, les faits sont
impressionnants. Partie d’une position de
pauvreté il y a trente ans, l’économie chinoise
n’est aujourd’hui dépassée que par celle des
États-Unis. Le produit intérieur brut (PIB)
réel a cru d’environ 10 % par an, soit un doublement du PIB tous les sept à huit ans. Cette
multiplication par seize du revenu national
d’une grande économie en une génération est
sans précédent.
Il suffit de rappeler que cela touche un
cinquième de la population mondiale pour
comprendre l’ampleur de cette réussite. Plusieurs centaines de millions de personnes sont
sorties de la pauvreté et les conditions de vie
d’un nombre plus élevé encore de personnes se
sont améliorées plus vite que jamais.
L’intégration et
la croissance
rapides de la
Chine ont de
plus en plus de
répercussions
sur le reste
du monde
Des liens resserrés de par le monde
L’ouverture de la Chine a eu pour conséquence
de renforcer ses liens avec le reste du monde,
comme le montre sa part croissante dans le
commerce international, dans les marchés
mondiaux pour certains biens et dans les flux
financiers internationaux. Cette intégration de la
Ci-dessus : Une vendeuse dans
un magasin de tissus à Pékin.
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Chine a également eu pour conséquence l’utilisation croissante
de sa monnaie à l’étranger, de même qu’une corrélation plus
étroite entre l’attitude des marchés en Chine et dans le reste
de l’Asie et, plus récemment, le reste du monde. La part de la
Chine dans le commerce mondial a été multipliée par plus de
dix en une trentaine d’années et atteint aujourd’hui près de 9 %;
sa part dans le PIB mondial est passée de moins de 3 % à 13 %
(en parité de pouvoir d’achat, voir graphique 1).
Bien que le rôle de la Chine dans l’économie mondiale se soit
nettement accru, il reste modeste comparé aux États-Unis. Au
taux de change actuel, le PIB de la Chine ne représente qu’un
tiers de celui des États-Unis et la consommation des ménages
L’importation par la Chine de produits
de base, de biens intermédiaires et de
produits finis accroît les exportations
et le PIB de ses partenaires.
seulement un cinquième. Elle n’est donc pas près de les remplacer comme consommateur mondial. Elle reste néanmoins
un partenaire commercial de premier ordre pour de nombreux
pays et son expansion économique peut influer sur la croissance
d’autres pays de diverses manières.
L’augmentation de la part de la Chine dans le commerce
mondial est particulièrement visible pour certains produits.
La Chine représente aujourd’hui près d’un dixième de la
demande mondiale de matières premières. Ses exportations
représentent plus d’un dixième des exportations mondiales
de produits manufacturés de moyenne et de haute technologie. La Chine est devenue un grand exportateur de produits
électroniques ou liés aux technologies de l’information, et est
aujourd’hui le principal fournisseur des États-Unis en électronique grand public (lecteurs DVD, ordinateurs portables,
téléphones portables, etc.).
La part croissante de la Chine dans les échanges mondiaux depuis une trentaine d’années est soutenue par une
augmentation de sa part dans le commerce extérieur de
toutes les grandes régions du monde (voir graphique 2).
Répercussions
Les flux commerciaux et financiers entre la Chine et le reste
du monde influent sur la croissance dans les autres pays de
diverses manières. L’importation par la Chine de matières
premières, de biens intermédiaires et, de plus en plus, de
produits finis, fait directement croître les exportations et le
PIB de ses partenaires. Par contre, les exportations chinoises
ont un effet négatif direct sur les exportations nettes de ses
partenaires. Toutefois, l’effet indirect sur le bien-être et le PIB
pourrait être positif dans la mesure où les produits chinois
assez bon marché rehaussent les possibilités de consommation
et de production des pays partenaires.
Le rôle de la Chine comme intermédiaire commercial a
aussi des conséquences pour les autres pays faisant partie de
la chaîne logistique asiatique : les produits chinois destinés
à l’exportation vers l’Occident nécessitent, pour être produits, des volumes considérables de biens intermédiaires
du reste de l’Asie. Cette chaîne logistique offre aux autres
pays asiatiques, plus particulièrement aux plus petits, un
meilleur accès aux marchés mondiaux. Les flux de capitaux
en provenance et à destination de la Chine peuvent aussi
influer sur l’offre et la demande mondiales de capitaux. Ce
qui se passe en Chine semble avoir un effet sur la confiance
des marchés étrangers, etc.
Graphique 1
Graphique 2
Une part croissante
Une poussée des échanges
La part de la Chine dans le PIB et les échanges mondiaux
augmente rapidement.
La Chine est un partenaire commercial de plus en plus
important pour toutes les régions.
(en pourcentage)
(en pourcentage des échanges totaux d’une région)
14
1980
12
2009
10
8
6
4
2
0
Union
Afrique
Pays
Moyen-Orient Hémisphère
émergents d’Asie
européenne
occidental
(hors Chine)
15
1980
2000
2009
12
9
6
3
0
PIB ($)
PIB (PPP)
Échanges
Source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale et Direction of Trade Statistics.
Note : PPA = parité de pouvoir d’achat (prend en compte le coût de la vie dans chaque pays).
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Il n’est guère surprenant que cette part soit la plus grande
dans les échanges des autres pays émergents d’Asie (13 %),
et cette part a augmenté de manière fulgurante. Mais elle est
presque aussi élevée pour l’Afrique et, pour le Moyen-Orient,
l’Hémisphère occidental et l’Europe, elle a été multipliée au
cours des dernières décennies.
L’intégration croissante de la Chine avec le reste du monde
va bien au-delà des échanges. Ce qui se passe en Chine semble
influer de plus en plus sur l’attitude des entreprises et des
consommateurs étrangers. Les flux de capitaux en provenance
et à destination de la Chine augmentent de manière soutenue.
Ainsi, les investissements directs étrangers (IDE) en Chine
représentaient 7 % des IDE bruts mondiaux en 2009, contre
seulement 1 % en 1980. Les IDE de la Chine constituent un
phénomène plus récent : ils étaient négligeables jusqu’en 2004,
mais représentaient 4 % des IDE bruts mondiaux en 2009.
Finances & Développement Décembre 2010
Source : FMI, Direction of Trade Statistics.
Graphique 3
Répercussions
La croissance chinoise a des effets sur les autres pays d’abord
par la voie commerciale uniquement, ensuite par d’autres voies.
(Effet cumulé d’une hausse de 1 point de pourcentage de la croissance
chinoise sur la croissance d’autres pays, en points de pourcentage)
0,4
0,3
Effets sur le reste du monde
Effets sur le reste du monde,
hors effets sur les échanges
0,2
0,1
0
2 ans
3 ans
4 ans
5 ans
Source : Calculs des auteurs à partir de la base de données des Perspectives
de l’économie mondiale du FMI.
Note : Estimations d’une autorégression sans restriction à double décalage, à l’aide
des données annuelles de 172 pays pour le reste du monde.
Mesurer les effets
Pour quantifier l’effet de la croissance chinoise sur le reste du
monde, nous avons procédé à une analyse empirique basée sur
les données des dernières décennies. Étant donné la multiplicité
des voies par lesquelles elle influence la croissance à l’étranger
et la difficulté à les détecter, sans parler de les quantifier, notre
analyse se limite à en quantifier l’effet agrégé. D’autres que nous
s’essaieront à établir le poids relatif de chacune d’entre elles.
Notre analyse empirique semble montrer que la croissance
chinoise explique en grande partie, et de plus en plus, les fluctuations de la production à l’étranger. Nous avons observé des
effets sur la durée d’un cycle économique moyen (1 à 5 ans),
ainsi qu’à plus long terme.
À court et à moyen terme, une hausse de 1 point de pourcentage
de la croissance du PIB chinois entraîne une variation cumulée
de la croissance des autres pays de 0,2 point de pourcentage
après trois ans et de 0,4 point de pourcentage après cinq ans
(voir graphique 3). Comment cela s’explique-t-il? Notre analyse
semble montrer que, initialement, l’effet se fait sentir presque
entièrement par la voie commerciale, mais que les autres voies
prennent de l’importance avec le temps. Sur cinq ans, il semble
que l’effet de la croissance chinoise soit transmis à 60 % par les
échanges et à 40 % par les autres voies, par exemple les flux de
capitaux, le tourisme (très important pour certains voisins de
la Chine) et le tourisme d’affaires, ainsi que la confiance des
entreprises et des consommateurs.
Nous avons évalué l’effet de variations de la croissance chinoise
à plus long terme sur le reste du monde en lissant les variations
à court terme liées au cycle économique traditionnel et en nous
concentrant sur les fluctuations à plus long terme. Nous avons analysé les variables dont nous savons qu’elles ont un effet significatif
sur la croissance du PIB, comme l’investissement, les échanges,
le revenu initial, le rapport de dépendance (ratio inactifs/actifs),
les dépenses publiques et l’inflation. Comme d’autres études,
nous avons conclu que la croissance est corrélée positivement
avec l’investissement et les échanges, et négativement avec le PIB
par habitant initial, le rapport de dépendance, la consommation
publique et l’inflation. Nous avons fait plusieurs tests pour éliminer
l’effet de facteurs qui pourraient toucher simultanément la Chine
et le reste du monde, comme un choc économique mondial.
À long terme, tout comme à court et à moyen terme, la croissance de la Chine a un effet sur celle des autres pays. Comme
nous l’avons noté, l’ampleur et la portée du phénomène se sont
renforcées dans les dernières décennies : la croissance chinoise
n’avait initialement d’effet notable que sur ses voisins asiatiques,
mais elle influe désormais sur le monde entier. De plus, l’effet de
la croissance chinoise à l’échelle mondiale, qui était négligeable il
y a encore une vingtaine d’années, est aujourd’hui considérable.
Sur la base des données des vingt dernières années, il semble
qu’une variation de la croissance chinoise de 1 point pendant
cinq ans s’accompagne d’une variation de la croissance mondiale
de 0,4 point (le résultat est le même à court et à moyen terme).
De plus, une analyse sur une période plus longue (1963–2007)
semble indiquer que cet effet augmente avec le temps. La distance
semble influencer l’intensité de cet effet : plus un pays est proche
de la Chine, plus l’effet est marqué. Nos estimations indiquent
aussi que la distance est de moins en moins importante.
Un premier pas
Nous avons ouvert une piste dans l’évaluation de l’influence de la
croissance chinoise sur les autres pays, mais n’en avons quantifié
que les effets agrégés. Il reviendra à d’autres d’établir et de quantifier les différentes voies de transmission, qui pourraient changer
au fil du temps, en fonction de la structure de l’économie chinoise,
et de la composition de ses flux commerciaux et financiers. ■
Vivek Arora est un sous-directeur au Département Asie et
Pacifique du FMI et Athanasios Vamvakidis est un Chef de
division adjoint au Département de la stratégie, des politiques
et de l’évaluation du FMI.
Cet article repose sur le document de travail 10/165 du FMI, rédigé par les
auteurs et intitulé «China’s Economic Growth: International Spillovers».
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