L`armure

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L`armure
L’armure
de
Cathy MONTREUIL*
I
l y a très longtemps, dans un pays lointain, vivait un preux chevalier vêtu d’une
armure étincelante.
Tous les jours au lever du soleil, le brave chevalier revêtait son habit de fer et allait
protéger les gens du pays, des dragons qui menaçaient les innocents paysans.
Tous les soirs au coucher du soleil, le vaillant chevalier enlevait son armure de métal,
l’astiquait jusqu’à ce qu’elle brille, et se laissait choir, épuisé, sur sa couche de paille.
Au commencement de sa mission, le chevalier, grâce à son armure bien entretenue
par ses soins quotidiens, ne ressentait point la chaleur ardente des flammes des dragons.
Plus le temps passait et plus la réputation du courageux chevalier s’étendait des lieux
à la ronde. Chaque jour de nouveaux villageois en détresse venaient le supplier de
les délivrer d’un dragon qui les terrorisait. Or l’héroïque chevalier, ne pouvant refuser
d’aider les habitants des dangers qui les guettaient, grignota sur les moments où il
enlevait et astiquait son armure, pour sauver un nombre croissant de petites gens.
Évidemment, au bout de peu de temps, la brillante armure perdait de plus en plus de
son lustre et commençait même à rouiller à certains endroits.
La brûlure des flammes se faisait ressentir un peu plus chaque jour, mais puisque la
quête chevaleresque comptait plus que tout, le brave sauveur ne se préoccupait pas
outre mesure de son armure.
Un soir, où la journée avait été particulièrement harassante, le preux chevalier brûlé
par endroits, puisqu’il n’avait pu s’offrir le temps qu’il fallait pour entretenir son armure
protectrice, décida alors de rentrer plus tôt au château pour la frotter jusqu’à ce qu’elle
étincelle comme au tout début de sa noble mission.
Malheureusement, bien des heures plus tard, le chevalier avait beau frotter, astiquer,
polir avec les chiffons les plus doux qu’il trouvait, son armure demeurait encore rouillée
à plusieurs endroits.
Découragé, le chevalier alla finalement chercher conseil auprès de l’artisan qui avait
fabriqué son uniforme de fer. Vêtu de la tête au pied de son habit métallique, il se présenta devant le ferblantier en lui montrant la preuve, à l’aide de sa besace pleine de
chiffons usés, qu’il avait minutieusement frotté, jusqu’à s’en arracher la peau de doigts,
son armure jadis si belle, et maintenant terne et rouillée depuis un long moment.
Après l’avoir écouté et observé tranquillement, l’artisan retire doucement l’armure du
chevalier et l’étendit au soleil dans les champs dorés derrière son atelier.
Le chevalier, impatient de reprendre sa quête, demanda au ferblantier, quand il pourrait remettre son uniforme métallique pour aller sauver les habitants du village.
Et l’artisan de lui répondre :
« Lorsque ton corps sera purifié de la sueur qui l’inonde, puisqu’elle seule à le pouvoir
de faire rouiller l’armure de l’intérieur… »
* de Saint Jérôme - CANADA
Métaphore - Mars 2010 - n° 56 • 3