Texte 2 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et idéal

Transcription

Texte 2 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et idéal
Texte 2 : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et idéal »,
« L’Invitation au voyage »
Question : Comment ce poème nous révèle-t-il l’idéal baudelarien ?
Introduction :
Jeanne Duval, Mme Sabatier et Marie Daubrun ont été les inspiratrices de Charles Baudelaire,
auteur des Fleurs du Mal, précurseur du symbolisme. Le poème L’invitation au voyage, extrait de
« Spleen et Idéal », première partie des Fleurs du mal, est inspiré par Marie Daubrun. Il ne décrit
pas un voyage réel mais celui que lui inspire le regard de cette femme, un voyage imaginaire dans
un « pays qui (lui) ressemble ». On peut en relever la composition originale : 3 strophes séparées
par un refrain, heptasyllabes et pentasyllabes alternent ; d’autre part, le jeu des sonorités produit
un ensemble harmonieux : le poème présente une forte musicalité.
Cette « invitation au voyage » ne nous donne-t-elle pas les clés de l’idéal baudelairien ? C’est
ce que nous analyserons en étudiant le lieu, miroir de la femme aimée, puis la vision idéale de ce
endroit imaginaire et enfin les composantes du bonheur telles que nous les suggère ici Baudelaire
I – Un lieu miroir
a) la correspondance femme paysage
- l’invitation se fonde sur une correspondance étroite entre la femme et le paysage : « au
pays qui te ressemble (v.6)
- cette correspondance est explicitée dans la deuxième partie de la 1ère strophe : des
éléments identiques qualifient la femme et le pays : l’eau et le feu « les yeux / Brillant à travers
leurs larmes » (v.7-8)/ « Les soleils mouillés » (v.11-12)
- la fascination exercée par le regard de la femme aimée et par le pays imaginé est soulignée
par le mot « charmes » (v.9), qu’il faut prendre au sens de fort « envoûtement »,
« enchantement », de même que l’adjectif « mystérieux » (v.10) est mis en évidence par la diérèse
« mystéri-eux » et l’adverbe d’intensité « si »
- l’esthétique et le sentiment sont associés : « les ciels » (v.8), terme de peinture, sont
associés au regard de la femme aimée
➜ impression générale de mystère, d’imaginaire que le regard de la femme provoque ; rôle
unificateur de cette femme : la rêverie part de son regard et revient à elle dans les derniers vers
« pour assouvir / Ton moindre désir » (v.32-33)
b) une relation fusionnelle
- l’évocation du pays idéal suscité par Marie Daubrun nous entraîne vers un ailleurs : « làbas » (v.3) où l’amour est roi :l’on peut y « vivre ensemble » (v.3), « Aimer à loisir, / Aimer et
mourir » (v.4-5)
- C’est une femme idéalisée : femme enfant à protéger « Mon enfant »(v.1), femme double
et l’égale du poète « ma sœur » (v.1), source de « douceur » (v.2), elle permet une relation
fusionnelle « vivre ensemble » jusqu’à la mort
- pourtant une ambiguité « traîtres yeux » (v.11) qui ajoute cependant au climat de mystère
qui traverse ce poème.
c) un lieu idéal parce qu’imaginaire
- C’est un pays créé par l’imagination : l’impératif « songe » (v.2) au début du poème nous
place tout aussitôt dans le domaine du rêve
- de même les conditionnels : « décoreraient » (v.17), « parlerait » (v.24) énoncent des
actions possibles mais non réalisées.
- cependant,l’indicatif est utilisé dans dernière strophe : le rêve est si prégnant qu’il en
devient réel
- La structure du poème facilite la rêverie : les strophes longues la déploient par tableaux
successifs ; c’est une vision de plus en plus large, du regard (1ère strophe) à la chambre (2ème
strophe) au paysage tout entier (3ème strophe) ; les heptasyllabes et les pentasyllabes, vers impairs,
par leur souplesse rendent mieux le mouvement de la rêverie.
- l’harmonie est soulignée par les aspects mélodieux du retour fréquent des mêmes sonorités dans
tous le poème :
assonances
en « a » : « D'aller là-bas », « à loisir », « charmes », « larmes », » rares », « vagues »,
« orientale », « À l'âme en secret / Sa douce langue natale », « Les canaux, la ville
entière, / D'hyacinthe »
• en « en » : «enfant », « ensemble », « ressemble », « brillant », « luisant », « ans » ,
« chambre », « ambre », « splendeur », « langue », « couchants », « champs », « s’endort »
• en « on » : « Mon », « « Songe », « plafonds », « profond », « vagabonde », « monde » (2
fois), « dont »
• en « é » : « aimer » (2 fois ), « mystérieux », « volupté », « beauté »,« mêlant », « les » (2
fois), « ces » (2 fois)
• en « eu » : « sœur », « douceur », « mystérieux », « fleurs », « odeurs », « senteurs »,
« splendeur »
• en « ou » : « douceur », « mouillés », « brouillés », « douce », « assouvir », « bout »,
« couchants »
allitérations des liquides
« r » : « sœur », « douceur », « vivre », « ressemble », « brouillés », « charmes »,
« traîtres », « larmes », « ordre », « décoreraient notre chambre », « fleurs », « odeurs »
« senteurs de l’ambre », « riches », « splendeur orientale », « parlerait », « secret », « dormir »,
« l’humeur », « C'est pour assouvir / Ton moindre désir », « entière », « d’or », « s’endort »,
« lumière »
et « l » : « là-bas », « ensemble », « loisir », « ressemble », « ciels », « larmes », « luxe »,
« calme », « volupté », « luisants », « polis », « les ans », « Mêlant leurs odeurs /Aux vagues
senteurs de l'ambre, /Les riches plafonds », « parlerait / À l’âme en secret / Sa douce langue
natale. », « l’humeur », « ville », « lumière ».
- la rêverie s’ancre dans la réalité, celle des pays du nord, de la Hollande particulièrement :
« ciels brouillés » « calme », « ordre » « canaux »
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II – Le paradis baudelairien
a) un paradis originel
comparable à l’Eden, le lieu d’origine comme peut l’indiquer l’expression « la langue natale »
de l’âme
une évasion hors du temps : « aimer à loisir » : en toute liberté, sans contrainte temporelle ;
« Aimer et mourir » : l’éternité que suggère par ailleurs l’emploi de l’infinitif : il n’y a pas
d’actualisation précise
impression d’éternité mise en relief aussi par le rythme du poème, son harmonie des
sonorités
b) la tentation exotique
un ailleurs : « là-bas » : la formulation est imprécise et significative ; on peut y deviner une
opposition avec la réalité présente.
- une coloration exotique très présente : « senteurs de l’ambre », « splendeur orientale »
font référence à l’Orient, retour aux sources de la civilisation, berceau culturel et religieux de
l’Ocident : les rimes « orientale » / « natale » le soulignent
c) la réconciliation des contraires
association constante du clos et de l’ouvert : clôture du regard, de la chambre, de la ville.
Mais chaque strophe développe à partir de ce lieu fermé un élargissement : des yeux au pays
rêvé (1ère strophe), de la chambre à l’exotisme de l’orient (2ème strophe), des canaux au
monde (3ème strophe)
une promesse de voyage : les bateaux ne partent pas, ils reviennent ; ils dorment, ont
l’humeur vagabonde (3ème strophe) : personnification qui associe les vaisseaux au poète
III – Les composantes du bonheur baudelairien
a) la richesse des sensations
- l’odorat et la vue : ces sensations sont caractérisées par leur richesse : des pluriels « leurs
odeurs », « vagues senteurs », « riches plafonds », « miroirs profonds », par les termes
« luxe », « splendeur », « volupté » ; des sensations raffinées : « les plus rares fleurs »
- harmonie et unité soutenues par le jeu des sonorités : 2ème strophe : allitérations de
consonnes liquides « l » et « r » (les plus rares fleurs / Mêlent leurs odeurs » + assonances
en «a », « an », « eu » et « è » + mots qui se ressemblent : « luisants » / « les ans » ;
« plafonds » / « profonds »
- ➜ correspondance entre poète et lieu : « Tout y parlerait / À l’âme en secret / Sa douce
langue natale »
-
bonheur associé à la lumière : cham lexical « hyacynthe », « or », « soleils couchants »,
« chaude lumière »
b) les mots clés
- substantifs du refrain : vie sensuelle raffinée « luxe », « volupté » mais maîtrisée « ordre et
beauté » , « calme et volupté »
- ➜ exigence de rigueur
- expression de la sérénité dans la dernière strophe : le calme : « dormir ces vaisseaux », « Le
monde s’endort » ; la lumière : « D’hyacinthe et d’or », « chaude lumière » ; le paysage
crépusculaire
c) un univers harmonieux
- une construction en triptyque : 3 strophes, elles-mêmes composées de deux sizains (aabccb).
Chacune marque une étape dans le voyage : analogie femme-paysage ; intérieur hollandais ; la ville
- approche picturale : « ciels » ; « miroirs profonds » : peinture hollandaise ; champ lexical de la
couleur
➜ peintres hollandais Ruysdael et Vermeer
- jeu des sonorités et des vers impairs : les distiques créent des échos sonores « sœur » /
« douceur » et les heptasyllabes riment entre eux et prolongent les correspondances « ensemble » /
« ressemble »
Conclusion :
- un rêve baudelairien : rencontre d’une femme et d’un lieu rêvé
- jeu des correspondances : femme-paysage ; femme-poète ; paysage-âme du poète
mais imaginaire, jamais réalisé
➜ un voyage imaginaire où se révèle l’idéal baudelairien, une harmonie luxueuse, sensuelle mais
maîtrisée qui cependant n’existe que dans le rêve,