Tour de Babel et tour Eiffel

Transcription

Tour de Babel et tour Eiffel
Piste 4 - Tour de Babel et tour Eiffel : Un texte polémique
Texte : La Tour Eiffel :“Protestation des artistes contre la Tour Eiffel”, lettre publiée
dans Le Temps du 14 février 1887
Objectif
- montrer comment dans l’imaginaire occidental encore au XIXe siècle la tour de Babel est
encore connotée négativement.
- montrer en quoi elle constitue une prouesse technique
- montrer en quoi la modernité de la tour Eiffel est polémique
- étudier la notion de scandale artistique.
Activités
a- Cherchez à quelle occasion la tour Eiffel a été construite.
b- Pourquoi est-elle comparée à la tour de Babel ? Cette comparaison est-elle positive ou
négative ? Justifiez votre réponse en relevant les adjectifs la qualifiant.
c- Quels sont les arguments des artistes contre la tour ?
d- Faites des recherches sur les signataires et citez quelques-unes de leurs œuvres. À quel type
de milieu artiste appartiennent-ils ?
e- Cherchez dans d’autres domaines artistiques, d’autres œuvres qui ont fait scandale au XIXe
ou au XXe siècle.
Eléments d’analyse
Ce texte publié dans le journal Le Temps, l’un des organes de presse les plus prestigieux de
l’époque, témoigne de la réception du projet de tour de Gustave Eiffel (1832-1923) et du
scandale qu’il provoqua.
Construite à partir de 1887, la tour Eiffel fut inaugurée au moment de l’exposition universelle
de 1889, cent ans après la Révolution française. Ce monument était en rupture avec tous les
édifices parisiens célèbres et prestigieux, tant par ses matériaux – le fer – que par ses
techniques de construction et surtout sa dimension – 300 mètres de haut. Considérée par les
auteurs de l’article comme une utopie « un rêve stupéfiant », elle est devenue un chef-d’œuvre
de l’architecture métallique. Cette « quincaillerie superbe » (Léon Bloy) marquait le triomphe
du monde de la machine, de la civilisation industrielle et du capitalisme.
Œuvre d’un ingénieur et non d’un architecte, elle était un formidable défi technique par sa
hauteur et devenait ainsi l’édifice le plus élevé jamais construit à Paris et dans le monde.
Comme le montre cet article du Temps, de nombreux artistes s’opposèrent à ce projet dont la
modernité effrayaient, et leur protestation signe le divorce entre l’art et la technique, l’un des
enjeux artistiques (et architecturaux) majeurs du XIXe siècle. Les signataires étaient tous des
artistes connus et reconnus et, hormis Maupassant, appartenaient au milieu artistique
conservateur que l’on a nommé les « pompiers ». Ils qualifient la tour Eiffel de tour de Babel
en référence à la démesure du projet d’Eiffel et à l’orgueil humain dont elle devenait un
exemple. Ce texte montre l’écho du mythe dans l’imaginaire occidental au XIXe siècle. En
réalité, la tour Eiffel fut visitée durant l’exposition par plus de deux millions de visiteurs et fut
un lieu de rassemblement à l’opposé de l’image de la dispersion des peuples attachée au
mythe biblique. Rejetée en son temps, elle devint le symbole de la grande ville et de la
modernité et, bien que conçue comme un monument éphémère, elle ne fut pas démontée. Elle
est aujourd’hui encore le symbole de Paris.
Document ressource
La tour Eiffel : “Protestation des artistes contre la Tour Eiffel”, lettre publiée dans Le
Temps du 14 février 1887
« Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté
jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du
goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire française menacés, contre l’érection, en
plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel que la malignité publique,
souvent empreinte de bon sens et d’esprit de justice, a déjà baptisée du nom de Tour de Babel.
Sans tomber dans l’exaltation du chauvinisme, nous avons le droit de proclamer bien haut que
Paris est la ville sans rivale dans le monde. Au-dessus de ses rues, de ses boulevards élargis,
le long de ses quais admirables, au milieu de ses magnifiques promenades, surgissent les plus
nobles monuments que le genre humain ait enfantés. […]
La ville de Paris va-t-elle donc s’associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles
imaginations d’un constructeur de machines, pour s’enlaidir irréparablement et se
déshonorer ?
Car la tour Eiffel, dont la commerciale Amérique ne voudrait pas, c’est, n’en doutez pas, le
déshonneur de Paris ! Chacun le sait, chacun le dit, chacun s’en afflige profondément, et nous
ne sommes qu’un faible écho de l’opinion universelle et légitimement alarmée. […]
Il suffit, d’ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer une tour
vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’un noire et gigantesque cheminée d’usine,
écrasante de sa masse barbare: Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le
Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos
architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans, nous
verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, comme
une tache d’encre, l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée. […]
Et si notre cri d’alarme n’est pas entendu, si nos raisons ne sont pas écoutées, si Paris
s’obstine dans l’idée de déshonorer Paris, nous aurons du moins, vous et nous, fait entendre
une protestation qui honore ».
Parmi les signataires figurent : Charles Gounod, Charles Garnier, Guy de Maupassant,
Alexandre Dumas fils, François Coppée, Leconte de l’Isle, Victor Sardou, Sully Prudhomme,
entre autres.

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