L`enquête - Roquette

Transcription

L`enquête - Roquette
18
GRAND ANGLE
> L’enquête
Éco121 Novembre 2011
> La région
veut être pionnière
de la chimie verte
et des polymères
végétaux pour
préparer l’aprèspétrole. Ci-dessous,
le Gaïalène développé
par Roquette et
quelques exemples
d’applications.
GRAND ANGLE
19
L’enquête
La région
se rêve en capitale
du développement
durable
Un institut d’excellence
sur le plastique végétal,
un pôle de compétitivité
sur l’économie circulaire,
le premier parc éolien
français, des éco-quartiers
comme s’il en pleuvait :
la région Nord-Pas-deCalais, archétypale du
développement non
durable, affiche à nouveau
ses ambitions. Avec de
vraies chances de succès
cette fois.
D
es champs à perte de vue
produisant du maïs transformé dans de nouvelles
usines pour produire des
résines et des plastiques végétaux :
l’avenir du Nord-Pas-de-Calais pourrait être celui-ci. Au terme de plus
d’un an de travail aussi intense que
discret, le projet d’Institut Français
de Matériaux Agro-Sourcés, ou
IFMAS, devrait être labellisé par
l’Etat avant la fin de l’année. Nicolas
Sarkozy l’a annoncé de manière informelle, la préfecture de région a
renchéri au terme d’une communication inhabituellement précoce,
l’Etat attendant généralement toutes
les notifications et procédures avant
tout feu vert.
Le sujet est majeur. « Il faut faire
avancer la science vers un système
de carbone renouvelable, sinon, on
finira par être mal », lâche sans ambages Antonio Molina, président du
groupe lillois Mäder, leader mondial
des peintures ferroviaires. Le groupe
constitue avec Roquette Frères le
soubassement privé du projet
IFMAS, auquel s’ajoute le sélectionneur de semences Florimond Deprez
et le pôle de compétitivité MAUD
(Matériaux et applications pour une
utilisation durable). Côté public,
l’aréopage est également de haut
vol : CNRS, école de chimie de Lille,
Mines de Douai, INRA, Lille 1, Polytech, entre autres. Les enjeux aussi :
le projet affiche une perspective de
chiffre d’affaires d’un milliard d’euros
à un horizon de 10 ans et 5 000 créations d’emplois. Des liens doivent
être tissés avec un autre institut
d’excellence sur les énergies décarbonées, picard celui-là, PIVERT,
adossé au pôle de compétitivité Industries et Agro-Ressources.
C’est très loin d’être de la science
fiction. « Les différents industriels
ont développé des technologies de
Éco121 Novembre 2011
20
GRAND ANGLE
> L’enquête
«
Les minicentrales
décentralisées,
c’est ça
l’avenir »
CHRISTIAN TRAISNEL,
DIRECTEUR DU CD2E
rupture », s’enthousiasme Christian
Rolando, directeur général adjoint
de l’Institut de chimie du CNRS.
« Je suis très optimiste », lance Antonio Molina. Et dans cette course
au décarboné, la région a de l’avance
grâce à Roquette, spécialiste mondial
des produits amylacés. Il a développé
le « Gaïalène », un polymère déjà à
base d’amidon pour 50 %. « Dans les
10 ans, il doit être biosourcé à 100 %
et devenir un plastique de spécialité », analyse Christian Rolando.
Une perspective vitale aussi pour le
pôle plasturgique régional et ses 250
entreprises et 11 000 salariés.
Course au décarboné
L’IFMAS n’est pas un pôle isolé.
L’écologie appliquée devient clairement un enjeu économique. La région, incarnation du développement
non durable depuis 150 ans, s’est
positionnée depuis de nombreuses
années sur ce créneau : la première
présidente Verte d’une région, MarieChristine Blandin, a donné une impulsion politique. La première ferme
éolienne française avait été implantée
à Dunkerque. Les premiers panneaux
photovoltaïques, le long de la rocade
« L’entrepreneur
investit pour être
compétitif ou répondre
à des obligations »
BERTRAND FONTAINE,
DIRECTEUR RÉGIONAL
D’OSÉO
« Dans le domaine du développement durable, les projets financés par Oseo doivent
avoir un intérêt économique.
De nombreuses demandes
présentent des aspects favorables à l’environnement
sans qu’ils soient forcément identifiés comme tels
par l’entrepreneur, qui investit avant tout pour être
compétitif ou répondre à des obligations. Mais il est
sûr que le volet éco-performant d’un projet facilite
l’accès au financement de l’innovation, sous forme
d’avances remboursables, prêts à taux zéro ou subventions en faisabilité. Depuis le début de l’année, le
Prêt Vert est spécifiquement dédié aux entreprises
qui investissent dans un nouveau produit ou process
qui induit des économies d’énergie, un bilan carbone
favorable ou évite des pollutions. Cinq ou six entreprises en bénéficient déjà pour des opérations
proches des 3 M€. »
Éco121 Novembre 2011
Les éco-entreprises :
un secteur (enfin ?) à par
L
’économie de l’environnement
est devenue un des secteurs
importants de notre tissu régional. Le Nord-Pas-de-Calais occupe
déjà le quatrième rang français. Sa
montée en puissance est nette depuis
dix ans. La région pèse désormais
11 % du marché national en chiffre
d’affaires et 8,5 % en effectifs.
Avec 600 entreprises et 18 000 emplois (dont 400 chercheurs dans 60
labos), elle compte parmi les poids
lourds français, alors même que les
effets du nouveau pôle de compétitivité Team2 ne sont bien sûr pas encore perceptibles. La croissance
annuelle du secteur est de 6 %, audessus de la moyenne nationale. Et
le Nord-Pas-de-Calais concentre pas
moins de 15 % des investissements
du pays consacrés à l’environnement.
RÉPARTITION
DES ÉCOENTREPRISES
RÉGIONALES
Source : Cd2e
LMK Energy investit 8 M€
C’est dans une ancienne friche industrielle à Mazingarbe que Franck
Lavarde a choisi d’implanter un projet très ambitieux : sa société LMK
Energy va investir 8 M€ dans un
process industriel, validé par l’université de Compiègne (UTC), visant
à la torréfaction de déchets végétaux,
pour les transformer en combustible
pour centrale thermique. Un pilote
est déjà en place et l’installation industrielle sera opérationnelle début
2012. L’unité est autorisée pour
40 000 tonnes par an. La production, des « pellets » de 2e génération,
affiche un très gros avantage compétitif grâce à un taux d’humidité
très faible (moins de 1 %, contre 9 à
minière. Le premier lycée HQE à
Calais. Mais la mayonnaise n’a pas
vraiment pris en termes de tissu
d’entreprises et d’emploi : trop d’opérateurs isolés et atomisés, manque
de moyens, peu de passerelles entre
acteurs. Seule réussite très visible et
10 % pour les pellets classiques), ce
qui assure un rendement énergétique très amélioré. Autre intérêt : le
besoin en énergie (du gaz naturel)
est beaucoup plus faible pour ce
procédé. A priori, les risques sont limités car le marché du pellet est en
pleine expansion : il représente 8
millions de tonnes en 2010, et devrait
en atteindre 60 dans le monde à
l’horizon 2020.
« J’ai voulu monter ça dans le Pasde-Calais car c’est ma région, souligne Franck Lavarde, mais si ça
fonctionne, mon objectif est d’aller
dans une région riche en bois pour
y construire une unité beaucoup plus
grosse ». Le projet de Mazingarbe
emblématique : la reconquête du site
Metaleurop, ex-friche industrielle la
plus polluée de l’Hexagone, devenue
vitrine du savoir-faire du groupe
Suez. L’écopôle Sita Agora à NoyellesGodault réunit aujourd’hui plus de
370 salariés dans 18 entreprises
GRAND ANGLE
! Abonnez-vous en ligne sur www.eco121.fr !
21
> L’enquête
« Le développement
de la chimie végétale
est stratégique »
t entière
MARC ROQUETTE, PDG DE ROQUETTE FRÈRES
« Avec le renchérissement et la raréfaction du
pétrole, le développement de la chimie végétale
est stratégique et il est important que la France y participe. Nous
sommes très heureux d’y contribuer, en réseau avec la recherche privée
et académique pour mettre au point les polymères de demain. Même si
nous avons beaucoup investi dans la recherche en interne, nous
sommes convaincus que, pour réussir, la voie est au développement collaboratif et à l’innovation en réseau. »
Qui en sont les acteurs ? Pour la majorité des entreprises de traitement
et valorisation des déchets, du traitement de l’eau et de l’air. Mais de
nouveaux champs s’ouvrent avec
l’énergie renouvelable, aussi les économies d’énergie, ou encore la gestion des sites et sols pollués. Parmi
les derniers investissements, citons
l’implantation d’Entyrecycle (valorisation de pneus, 26 M€ d’investissement, 240 emplois annoncés), à
Blaringhem, la plate-forme de recyclage de Coenmans à Béthune, Terra
Nova et la valorisation des métaux
précieux.
Et le flux ne se tarit pas malgré la
crise, à l’exemple du projet de la société LMK Energy, à Mazingarbe (lire
ci-dessous) ou encore le développement du fabricant de luminaires en
LED Epled, à Loon plage.
par Thierry Méchin, ex-président de
Sita Nord, il espère générer 1 000
emplois nouveaux en quatre ans.
Emergence des écotechnologies
Les autres pôles sont aussi concernés : i-Trans, via Railenium, qui vise
à augmenter le débit des infrastructures tout en diminuant la consommation d’énergie, l’empreinte
carbone et les nuisances sonores…
UpTex et les applications des biofibres dans la construction, les transports, la santé, etc.
Le Cd2e, d’un rôle initial de centre de
ressources, s’est transformé progressivement en plate-forme d’émergence
des écotechnologies. Il est engagé
dans l’Analyse du cycle de vie, qui
veut évaluer les impacts environne-
Flexineo ou comment
économiser du temps
et du CO2
CHIFFRES CLÉS
600
> Les pellets classiques sont distancés
par ceux de LMK et leur taux d’humidité
proche de zéro.
doit générer 20 emplois. Finorpa accompagne ce projet à raison de 1 M€,
tout comme Croissance Nord-Pasde-Calais. O.D.
pour un investissement évalué à
100 M€ au terme du déploiement
complet du pôle. Il aura quand même
fallu attendre 2010 pour que l’Etat
labellise dans notre région le seul
pôle de compétitivité dédié à l’économie du recyclage, Team2. Présidé
éco-entreprises
18 000 emplois
directs
400 chercheurs
dans 60 laboratoires
30 formations
supérieures
15% des
investissements
français
11% du CA national
30MT de déchets
par an produits,
traités, recyclés
Source : Cd2e
« Tu bouges ou tu bouges pas ? » L’apostrophe est celle de Flexineo,
toute jeune entreprise lilloise, sur sa page Facebook, ouvrant sur une
application permettant de mesurer les gains que des changements simples de déplacement permettraient. Le métier de Flexineo ? L’organisation et l’optimisation du travail par l’utilisation des nouvelles
technologies. Une des problématiques est le temps perdu, qui se
conjugue souvent avec un mauvais
bilan carbone dû aux embouteillages et
aux déplacements.
« Combien de fois vous déplacez-vous
pour voir finalement quelqu’un qui
reste devant son écran ? Quand on
rencontre quelqu’un, il faut qu’il y ait
un vrai intérêt humain, les autres
échanges peuvent souvent être faits à
distance », souligne la jeune femme.
Illustration : une révision de l’organisation d’une chef de projet chez Castorama a permis d’économiser 12 000 km !
La start-up travaille actuellement sur
un programme de R&D avec le ministère du Développement durable, pour évaluer l’impact du télétravail à
l’échelle d’un territoire, en l’occurrence celui de la CUDL. Flexinéo, passée
par l’incubateur Créinnov, est désormais hébergée avec ses cinq collaborateurs à la Haute-Borne dans la ruche Ciel.
Éco121 Novembre 2011
22
GRAND ANGLE
> L’enquête
Vents porteurs pour
l’éolien régional
> Les éoliennes
flottantes Nénuphar
seront testées
en mer en 2013.
L’AppleWind
(en bas) est
une des éoliennes
moyenne puissance
attendues pour
les projets
d’aménagement
urbain.
C
’ est sur le créneau des projets
innovants de moyenne puissance que la région semble
pouvoir tirer son épingle du jeu.
« Tout comme le photovoltaïque a
tendance à s’installer sur les toits, il
existe une véritable voie de développement structurel pour des éoliennes
de petite et moyenne puissances »,
commente Jean-Luc Harion, responsable du département énergétique
industrielle à l’École des mines de
Douai. Trois projets régionaux de
machines à axe vertical offrent des
alternatives prometteuses aux grands
moulins qui parsèment nos champs.
Parc flottant
La start-up lilloise Nénuphar a le
vent en poupe avec la toute première
éolienne offshore française. Cette
éolienne flottante conçue par Charles
Smadja et Frédéric Silvert, ingénieurs
en aérospatiale et aéronautique, dispose de pales verticales résistant aux
tempêtes. Arrimée loin des côtes,
elle peut bénéficier des vents forts
du large. Son faible tirant d’eau facilite son remorquage depuis la terre,
où elle est entièrement montée et
équipée. D’où des coûts et délais de
mise en œuvre inférieurs à ceux des
éoliennes conventionnelles. Un premier proto, construit dans les labos
des Arts et Métiers à Lille, est en test
sur le site des Carrières du Boulonnais.
Éco121 Novembre 2011
Premiers essais grandeur nature en
2013. Objectif : construire d’ici 2015
un parc de 13 machines produisant
26 MW.
Toutes voiles dehors
Les voiles de sa cousine Voiléo seront,
elles, implantées sur la terre ferme.
Conçue par Charles Sarrazin, Niçois
de 55 ans, elle est une première au
monde. Ses voiles à géométrie variable disposées comme sur un manège
conjuguent performance et simplicité
d’utilisation, selon son inventeur, et
intéressent particulièrement collectivités et entreprises. Voiléo est le
fruit d’une incubation au sein de
l’école des Mines de Douai, à laquelle
s’est associé Innotex, l’incubateur
textile de la plate-forme Geni, et le
MITI. Le proto est lancé et l’installation de la première machine programmée pour avril 2012. Le secret
est encore de mise, mais l’aventure
bénéficie de soutiens publics et partenariats privés, annonce Sébastien
Damageux, DG de l’entreprise créée
en août dernier.
L’éolien urbain
Avec ses cinq mètres de diamètre,
AppleWind se pose sur les toitures
(entreprises, lycées, hôpitaux, etc.)
et rend les bâtiments partiellement
autonomes en énergie. Inventée par
Alain Burlot, elle capte tous les vents,
La région
totalise
une puissance
éolienne de
417 MW,
avec 32 parcs,
dont 28 dans
le Pas-de-Calais.
Source :
www.suivi-eolien.com
y compris tourbillonnaires, et est silencieuse. Mûri lui aussi au sein de
l’Ecole des mines de Douai, en collaboration avec son département
énergétique industrielle, le projet
s’est essoufflé financièrement. La
société qui le portait a été reprise en
mai par Hoffmann & Boulanger,
distributeur de matériel électrique
industriel à Avelin. La Pme, qui s’est
vu accorder une subvention d’Oséo
de 50 K€, reprend le projet au stade
de la R&D et du proto. Très attendue
par les architectes aux dires de Marion Hoffmann, gérante, l’éolienne
sera fabriquée dès 2012 entièrement
dans la région.
Jusqu’alors le Nord-Pas-de-Calais
n’affichait pas que des réussites. Le
port du Havre a ravi à Dunkerque
l’implantation d’un parc éolien offshore dans le cadre de l’appel d’offre
européen pour le développement de
l’éolien en mer. La société de maintenance d’éoliennes Windtechnics
basée à Bapaume (75 salariés en
France), victime de la défaillance de
son client principal, 6e constructeur
mondial, a été liquidée… Les projets
offrant des ruptures technologiques
sont propres à repositionner favorablement la région, et la France, dans
la course à l’éolien. S.P.
GRAND ANGLE
23
> L’enquête
mentaux d’un produit, service ou
procédé, de l’extraction des matières
premières jusqu’à sa fin de vie. C’est
là, à Loos-en-Gohelle, que Team2 est
né, mais aussi la plate-forme d’expérimentation des énergies renouvelables LumiWatt, le cluster Aquapris,
initié avec la CCI Grand Lille sur
l’innovation dans la filière eau. Et
l’écoconstruction y trouvera dès la
fin de l’année un centre d’information et de formation, qui intégrera la
dimension recherche fin 2012, en
lien avec le Laboratoire de génie
civil et de géo-environnement
(LGCgE) à Béthune, pour devenir
un véritable pôle des performances
du bâti.
Dans le Douaisis, l’écoconstruction
est intensément à l’ordre du jour
avec l’aménagement des 166 ha de
l’écoquartier du Raquet. La Communauté d’agglo a créé Douaisis
Habitat durable, une grappe d’une
quarantaine d’entreprises, « outil
d’intelligence collective sur la
construction vertueuse », en partenariat avec le master Bâtiment à
énergie positive de l’École des mines
et la Chambre de métiers. Un centre
de formation de 350 apprentis y
sera associé.
Entreprises et développement
durable : la mayonnaise
est-elle si bio ?
«
Courants porteurs
Le contexte
est favorable
après les états
généraux
de l’industrie
et le PIA,
et il existe
vraiment
une logique
amont-aval
de l’agroressource »
OLIVIER VARLET,
DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL
DU PÔLE DE
COMPÉTITIVITÉ
MAUD
Grâce à son action et à des courants
porteurs, la filière de l’environnement
donne progressivement sa mesure.
La région est déjà dans le peloton de
tête en matière de développement
d’éco-entreprises, avec un chiffre
d’affaires qui a grimpé de 28 % entre
2004 et 2008.
En 2009, le secteur, pour moitié représenté par la filière du recyclage,
a néanmoins accusé un fléchissement. Le recyclage industriel a souffert du ralentissement de l’activité et
de la chute des cours, celui des déchets ménagers a vu ses débouchés
se resserrer et les prix de revente
baisser. En 2010, c’est celui des
Trajectoires DD à Rio
Le CERDD a 10 ans. Le Centre de ressource du développement durable, GIP basé à Loos-en-Gohelle, a bâti
le projet « Trajectoires DD » pour établir le bilan de
cette décennie et dresser des propositions pour les
dix ans à venir. Un appel à contributions a permis de
remonter des expériences qui seront compilées pour
dessiner les perspectives du développement durable
en Nord-Pas-de-Calais. Une proposition globale sera
mise en débat lors d’un forum les 1er et 2 février
2012, en vue d’en porter la synthèse au Sommet de la
Terre à Rio en juin 2012.
«
YANNICK BOUCHER, RESPONSABLE DU SERVICE ÉCO
DE LA VOIX DU NORD
Que tous ceux qui de bonne foi croient au développement durable
s’interrogent : constatent-ils un recul de la déforestation ? Un recul
des émissions de gaz à effet de serre ? Un recul de la bitumisation des
campagnes, de la disparition des espèces, des ventes de voitures, de la
pollution des eaux ?… Autre manière de poser le débat : nos patrons sontils vraiment sincères dans leur volonté d’agir en faveur d’une responsabilité sociale et environnementale (RSE), déclinaison du développement
durable dans le monde des affaires ? Au cas par cas, oui. Plus globalement,
non. La lutte contre le changement
climatique n’est pas encore le mode
déterminant de leurs stratégies de
développement.
Les chefs d’entreprises seraient-ils
d’ailleurs là pour ça ? La croissance
verte est une réalité dans le NordPas-de-Calais et elle commence à
muscler notre économie avec plus
de 3 milliards d’euros de chiffre
d’affaires. Mais on fait de l’environnement de deux manières en
France, par la contrainte des réglementations et/ou par la dynamique proactive. Or, les dirigeants
d’entreprises évoquent bien plus
souvent la contrainte que leur
amour stratégique de la nature,
sentiment qu’ils préfèrent réserver
à une dimension plus personnelle, dans une vie plus privée. Si le NordPas-de-Calais devient champion de la productivité de la ressource, s’il
montre l’exemple sur les bonnes pratiques qui éviteront la « tragédie
des biens communs » (l’eau, l’air, la terre), c’est bien davantage à l’esprit
commando des politiques régionales lancées par Marie-Christine Blandin
en 1992 qu’on le doit, plus qu’à la conversion écologique des comptes
d’exploitation. Mais peu importe, après tout, que le politique se mêle
des réparations curatives à inventer d’urgence. Les ingénieries mises
en place par le Cd2e, piloté par le Conseil régional, comme celles des
CCI, de certaines fédérations patronales ou de certains réseaux de type
Alliances offrent aux dirigeants les moyens d’une RSE non plus d’incantation, mais de faisabilité. C’est le moins que l’on pouvait espérer dans
la région la plus cumularde de France en handicaps environnementaux,
aux écosystèmes les plus globalement éreintés par la croissance industrielle, aux territoires les plus fragmentés par l’artificialisation des terres
et à la biodiversité la plus invariablement menacée du pays.»
énergies renouvelables qui a pris la
douche froide avec la chute des tarifs de rachat. Mais dans ce domaine
les perspectives sont encourageantes
selon Christian Traisnel, directeur
du Cd2e, à condition de s’orienter
vers une offre globale : production
d’énergie – bouquet éolien, solaire
et géothermie –, stockage et couplage
avec le réseau. « Les mini-centrales
décentralisées, c’est ça l’avenir. Et
ce sera rentable dans le Nord d’ici
2015-2018, et sans subvention dès
2020 », assure le Monsieur Développement durable de la région.
Olivier Ducuing
et Sophie Pecquet
Éco121 Novembre 2011