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VENDREDI 10 AVRIL 2009 | LIBÉRATION
s»
poisson se raréfie et la concurrence s’intensifie. Beaucoup se sont enrôlés dans
l’armée, dans la police ou travaillent dans
des bureaux. A Tulcea, Sulina, Bucarest ou
alors plus loin quand ils ont pu: en Espagne, en France ou en Italie. Il y a trois ans,
faute d’élèves, l’école a fermé. Depuis le
village compte sept enfants. «Il vaut mieux
qu’ils nous quittent. Ils n’ont rien à faire ici»,
reconnaît Irina. Comme la majorité des
vieux Lipovènes, la jeune babouchka porte
l’habit traditionnel: une jupe longue et un
foulard noué lâche sur ses cheveux. Elle
soupire: «L’hiver, nous ne voyons personne.
Les enfants ne viennent pas. Le canal gèle.
L’été au moins, des étrangers nous rendent
visite.» Dans les alentours, le tourisme se
développe. Les vacanciers sont surtout des
pêcheurs ou des chasseurs. Un peu plus
loin, Igor, 73 ans, ressent aussi l’isolement.
«Les vieux sont morts, les enfants sont partis.
Il ne reste que nous.» On le surnomme le capitaine du port. «Même s’il n’y a pas de port.»
Qu’importe. C’est vrai, il aurait pu être capitaine. Avec son corps tout en longueur,
son regard franc, son port altier et son nez
droit. «Quand j’étais jeune, j’étais beau, beaucoup plus beau que vous!» Le vieux capitaine
se marre. Sa touffe de cheveux gris gigote
au sommet de son crâne. Derrière lui, une
de ces maisons lipovènes. Basse, la façade
colorée, le toit en chaume et les murs en
boue séchée. Dans la cour, une étagère
supporte deux ou trois casseroles en fonte.
Une tonnelle de vigne et quelques légumes qui s’éparpillent dans le potager. Une
vie en miniature. Igor est à la retraite.
Il énumère. Il possède: «Trois taureaux,
trois vaches, quatre veaux» et pêche pour se
nourrir. Au fond du jardin, il déploie fièrement son filet tout troué. «Parfois, les poissons s’échappent. C’est normal, ils sont comme
nous. Ils veulent vivre.» Lui aussi, avec sa
femme, il aimerait bien s’en aller. Puis il se
reprend: «Pour partir où? Nous nous sommes habitués.»
Imberbes et croyants
Sfistovca,
où vivent
80 Lipovènes,
comme on nomme
les vieux-croyants
en Roumanie.
Ils sont plus de
20 000 répartis
dans les
cinq villages du
delta du Danube.
ROUMANIE
MOLD.
Pro
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Braila
UKRAINE
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D a n u be
Sfistovca
ROUMANIE
Bucarest
e
nub
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Constanta
BULGARIE
Mer
Noire
40 km
Sfistovca serait un de ces villages où il faut
être né pour rester? Auquel on s’habitue
presque contre son gré. Pourtant, il possède quelque chose de plus. Peut-être ces
canaux étriqués dans leurs murs de roseaux, cette pluie de pollen argentée et les
épais buissons de lilas violet. Ou bien cette
histoire dont les anciens se souviennent
parfois. «La mère, de la mère de ma mère
nous racontait… A son arrivée, elle avait à
peine 4 ans. Pierre le Grand a voulu couper la
barbe des Lipovènes. Pourtant, selon la Bible,
il faut la garder.» Barbichette de trois jours
au menton, Nikita concède: «Certains ont
fini par se raser. Nous n’avons pas eu besoin
d’un tsar pour nous convaincre!» Il rigole.
Même imberbes, les Lipovènes sont restés
très croyants. Dans le salon de la petite
maison, plusieurs icônes de la Vierge
Marie témoignent de cette foi. Avec les
autres villageois, Nikita assiste à la messe
plusieurs fois par semaine.
Ses œufs rouge sang devant lui, Oktavius
est venu s’installer ici il y a quelques années. Ce peintre roumain est orthodoxe
mais pas Lipovène. Avec le temps, ce village est devenu le sien. Une terre esseulée,
«un endroit reclus, où rien ne change. Les habitants acceptent seulement la télévision et le
téléphone portable». Alanguie sur son tapis
de verdure, Sfistovca demeure un havre de
paix. Oktavius ne parle pas d’ennui. Au
contraire, il sourit puis confie: «Isolé du
monde, j’ai pour moi la nature et le silence.»
• MARINE DUMEURGER
Photo JÉRÔME PESNEL
De haut en bas :
femmes lipovènes
en habit
traditionnel
(longue jupe et
lâche foulard
noué) ; les enfants
partis, il ne reste
que les retraités
au village.
Pratique
Y aller
Vol pour Bucarest :
aux alentours de 300 euros
au départ de Paris. Puis liaison
pour Tulcea par train
ou par autobus.
Renseignements
Un tel voyage, en marge
des circuits classiques,
se prépare à l’avance.
En France
Ambassade de Roumanie
5, rue de l’Exposition
75007 Paris.
Tél. : 01 47 05 10 46.
Office national
du tourisme roumain
7, rue Gaillon
75002 Paris.
Tél. : 01 40 20 99 33.
Association échange Roumanie
BP131, 42173 Saint-Just-SaintRambert Cedex.
Tél. : 04 77 36 44 35.
Cette association fournit des
adresses pour les logements
à la ferme dans les villages
du réseau Opération villages
Roumains (OVR).
Sur place
Ambassade de France
13-15, Strada Biserica-Amzei,
BP 143, à Bucarest.
Tél. : 40 (1) 312 02 17 (à 20).
Office du tourisme roumain
7, Bulevardul Magheru
à Bucarest.
Tél. : 40 (1) 312 25 98.
Un site
www.romania-tours.ro
Avec

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