La TragéDie Du roi richarD ii

Transcription

La TragéDie Du roi richarD ii
Maison
de l'Éducation
des Yvelines
Mise en scène
Jean-Baptiste Sastre
Scénographie
avec Sarkis
Traduction
Frédéric Boyer
Costumes
Domenika Kaesdorf
Lumière
André Diot
Son
André Serré
La Tragédie du roi Richard II
de William Shakespeare
MAISON DE L’ÉDUCATION
Dossier
pédagogique
CRDP
Académie de Versailles
La Tragédie
du roi Richard II
Introduction
Lecture d’image
Paolo UCCELLO, la Bataille de San Romano
Le diptyque de Wilton
Découvrir la pièce
Création Festival d’Avignon 2010
Pièce
William Shakespeare
Mise en scène
Jean-Baptiste Sastre
Traduction
Frédéric Boyer
Scénographie
avec Sarkis
Lumière
André Diot
Son
André Serré
Costumes
Domenika Kaesdorf
L’homme, l’œuvre, le théâtre élisabéthain
Qui est William Shakespeare ?
La publication des œuvres de Shakespeare
Le monde du théâtre élisabéthain
Les conditions du théâtre dans les années 1695
Les conventions du théâtre élisabéthain
Lecture de la pièce
Le contexte de la fiction dramatique
Richard II dans l’œuvre de son auteur :
la langue ; les chroniques.
Les sources de la pièce
Le monde tragique de Richard II :
le lieu et le temps
La tragédie du Pouvoir
Le personnage de Richard II
Le péché et la Passion de Richard
Les personnages masculins :
les pères : John de Gaunt, York.
Les fils : Bullingbrook, Aumerle
les fidèles
Les religieux : l’évêque Carlisle
Les personnages féminins
Ce dossier pédagogique
destiné aux professeurs a été réalisé par
Danièle Vitry
Professeur agrégé de Lettres classiques
au lycée Émilie de Breteuil
Montigny-le-Bretonneux
Janvier 2011
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Étude de la composition
Tableau de présence des personnages
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Académie de Versailles
Introduction
En 1595 le jeune auteur William Shakespeare fait jouer Richard II. La pièce
suit de près Roméo et Juliette mais la tonalité est bien différente : la comédie des
premiers actes des amants de Vérone a disparu, de l’amour ne reste que la douleur ;
les familles royales s’entre-déchirent comme ne l’ont pas fait Capulet et Montaigu.
Le Prince Escalus, qui tentait de donner un
ordre à une société violente, cherchait les
degrés nécessaires à son bon fonctionnement, il cède la place à un roi en perdition
sous nos yeux.
C’est cette pièce austère qu’a mis en
scène au festival d’Avignon Jean-Baptiste SASTRE sur une traduction nouvelle due à Frédéric BOYER.
Que peut dire aujourd’hui à nos élèves cette pièce de la fin du XVIe siècle ?
Pour les élèves, qui ne connaissent de l’œuvre de Shakespeare que les scènes émouvantes et sentimentales de Shakespeare in
love de John Madden ou la flamboyante
version moderniste de Roméo + Juliette de
Baz Luhrmann, il est intéressant de casser
certaines idées reçues, de rencontrer Shakespeare, un auteur qui met en question
le fonctionnement même de la royauté et
porte un regard sur la vraie grandeur de
l’Homme.
L’étude de Richard II permettra également d’entrer dans ce monde lointain du
Baroque, porté par toutes les désillusions
et les tragédies qui ensanglantent le XVe
et le XVIe siècle sur le continent et en Angleterre.
L’œuvre se révélera aussi plus proche :
elle rejoint les interrogations de notre
monde contemporain, partagé entre sens
de l’absurde, sensibilité pour la dignité de
l’Homme et méfiance à l’égard de l’autorité. Ici, notre travail croise parfaitement
celui de Frédéric Boyer et de Jean-Baptiste
Sastre, tel que le décrit la note d’intention
du spectacle. Les questions qu’aborde la
pièce – Qu’est-ce que le pouvoir ? À quoi
mène-t-il ? Comment l’exercer ? Peut-on
l’exercer autrement qu’en entrant dans une
logique implacable ? Que devient ce roi
déchu qu’est Richard II, parvenu au bout
de l’abandon ? – sont des questions qui
traversent notre propre époque et permettront finalement de la comprendre.
L’enrichissement de la réflexion se prolongera par la découverte de la voix particulière de la pièce : en effet Richard II fait
entrer dans un monde étonnant et contrasté où se mêlent, selon les mots mêmes de
la note d’intention, « brutalité, douceur,
mélancolie, tendresse ». Portée par la nouvelle traduction de Frédéric Boyer, la pièce
se veut « long poème en prose qui s’attache à faire entendre les paradoxes, les jeux
de mots, les renversements du langage ».
Ces quelques mots suffisent à faire comprendre l’importance de la traduction qui
se veut comme le note Frédéric Boyer dans
la postface de son édition « pratique d’appropriation qui fabrique de l’inédit ».
L’étude qui va suivre se propose d’éclairer certaines des facettes de l’œuvre afin
de faciliter l’entrée dans la pièce et de
mieux apprécier le travail réalisé en collaboration par Jean-Baptiste Sastre, Frédéric
Boyer et le plasticien Sarkis pour porter à
la scène la Tragédie du roi Richard II
.
Lecture d’image
Paolo UCCELLO, La Bataille de San Romano.
(image liminaire du dossier de la pièce)
Le peintre
Paolo Uccello est un artiste purement florentin, né et mort dans cette ville en 1397
et 1475. C’est un artiste très divers qui
travaille comme orfèvre de 1407 à 1414,
puis comme mosaïste à Venise entre 1425
et 1430 à San Marco, il dessine ensuite les
vitraux du Dôme de Florence entre 1443
et 1445.
Ce peintre passionné par la perspective,
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que commencent à utiliser en son temps
les artistes, est un « poète de la science »,
il unit dans ses toiles à la rigueur mathématique la puissance suggestive et rythmique de la ligne aux audaces des couleurs
et des formes. Relativement marginal en
son temps, il a été profondément apprécié
au début du XXe siècle : les peintres voient
en lui un précurseur des recherches cubistes et surréalistes.
Parmi ses réalisations les plus connues :
les Épisodes de la Genèse du cloître vert
de Santa Maria Novella à Florence (14451450), Le Monument de John Hawkwood de
Santa Maria del Fiore et La Chasse nocturne
de l’Ashmolean Museum d’Oxford (1468).
L’œuvre : son sujet
Dans l’Italie du XVe siècle, les cités-états
se déchirent dans des luttes fratricides.
En 1432, la Bataille de San Romano
met aux prises Siennois et Florentins, ces
derniers l’emportent et Paolo Uccello réalise entre 1456 et 1460 à la demande des
Médicis trois tableaux de grandeur identique pour fêter le condottiere Niccolo Da
Tolentino qui avait commandé les troupes
florentines. Ces trois panneaux illustrent
trois phases de la bataille et ornent le Palais des Médicis, Via Larga, plus précisément la chambre de Piero de Médicis puis
de Laurent Le Magnifique. Avec le temps,
le souvenir de l’évènement s’efface et la
mémoire des tournois du temps demeure.
Au XIXe siècle, l’œuvre, méconnue, est
dispersée : la première phase du combat
« Niccolo Da Tolentino à la tête des Florentins » est vendue à la National Gallery de
Londres ; la deuxième phase « Contre-attaque de Micheletto Da Cotignola » passe au
Louvre. Seul demeure au Musée des Offices
à Florence la troisième phase du combat
« Bernardino della Ciarda est désarçonné ».
Le troisième panneau du triptyque mesure
3 m 23 sur 1 m 82.
L’œuvre : l’analyse
Dans une harmonie de tons sombres le
peintre oppose deux espaces : le fond lointain, coupé de lignes qui délimitent des
champs, terrain d’une chasse animée par
quelques animaux et le premier plan, ligne
compacte des combattants.
Les lignes verticales des lances hérissées soulignent la composition et complètent le large bandeau que forment les palefrois des combattants. La ligne de front
semble impénétrable. L’accent est mis sur
la violence de l’affrontement.
Dans ce combat plein de fougue, les
corps des combattants sont arc-boutés
pour pourfendre l’autre, les chevaux massifs semblent singulièrement immobiles et
compacts. L’ensemble donne une impression d’immobilité concentrée. La composition décline en les différenciant par leurs
formes et couleurs tous les états de ces
palefrois, cabrés, à la charge, renversés et
bientôt piétinés, images qui font penser
à des chevaux de manège et offrent toute
une variation sur le thème de l’attaque et
de la chute. Le peintre peut ainsi tirer parti de toutes ses études de la perspective
pour traiter l’effet induit de la violence du
choc.
Des hommes plus de traces : ce ne sont
que cuirasses lourdes et complètes qui
recouvrent les corps. Semblables et forcenés, tels sont les guerriers qui s’affrontent
dans un duel sans merci. Rivaux et frères
ennemis, parfaitement semblables et antagonistes. Tout l’effet de la composition est
porté par le coup de lance qui vient désarçonner Bernardino Della Ciarda. L’homme a
disparu, seule reste, manière dérisoire de
différencier les ennemis, la robe des destriers.
Ce combat presque abstrait et mécanique renvoie bien aux luttes fratricides de
Bullingbrook et Richard. Le premier désarçonne le second mais ce sera pour mieux
succomber plus tard. Rien n’arrête la grande mécanique du pouvoir.
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Le diptyque de Wilton
Ce diptyque exprime la vision théocratique du pouvoir de Richard II
N.B. : les images sont disponibles sur Google images et sur l’article de Wikipédia
consacré à cette œuvre.
Le diptyque, réalisé entre 1395
et 1399 par un maître de nationalité inconnue, a été peint pour le roi Richard.
La peinture appartient au courant gothique et a heureusement traversé l’histoire ;
depuis 1929 il appartient à la National
Gallery.
L’œuvre est constituée de deux panneaux de chêne, les panneaux intérieurs en
très bon état représentent d’une part le roi
Richard agenouillé devant saint Jean-Baptiste, saint Edward le confesseur et saint
Edmund le martyr ; la Vierge portant l’Enfant Jésus dans ses bras, entourée d’anges
d’autre part. Le roi s’apprête à baiser le
pied de l’enfant. Sur les faces extérieures,
plus abîmées figurent les armoiries du roi
et un cerf, son emblème.
Les personnages sont peints avec des
couleurs très précieuses, tirées pour les
bleus du lapis-lazuli, et du vermillon pour
le manteau royal. Les fonds sont travaillés
à la feuille d’or. La richesse des matériaux
montre l’importance de la politique culturelle de Richard. Les largesses et munificences servent l’expression du pouvoir.
L’œuvre a été sans doute commandée
par Richard II en 1395 en même temps
que son tombeau doré de Westminster,
dans lequel il ne sera inhumé qu’en 1413
par Henri V, le fils de Bullingbrook devenu
Henri IV.
L’œuvre exprime parfaitement la
conception politico-mystique du roi, désireux de présenter son image, d’asseoir
son pouvoir contre les Lords Appellants,
influencé dans sa vision théocratique
par les souverains français, en particulier
Philippe le Bel et saint Louis. Les chroniqueurs du temps notent en effet que le roi
cherche à augmenter l’assise symbolique
de son pouvoir. Il impose un protocole à la
cour, de longues séances d’hommages où
il trône en majesté. Ce désir de contrôler
son image fait qu’il est du reste le premier
souverain anglais dont on connaisse les
traits. Le diptyque permettra de montrer
que le roi pense accomplir une mission
divine en imposant une forme de monarchie absolue.
Dans le diptyque, Richard en tenue
d’apparat est présenté à la Vierge et à
l’Enfant par trois figures tutélaires et
saintes sans doute vénérés par le roi, chacun ayant sa propre chapelle à l’Abbaye
de Westminster. Aux côtés de saint JeanBaptiste, sur le fond d’une forêt, Edward
le Confesseur et saint Edmund. Le premier
est salué comme un thaumaturge dans
Macbeth le second est également honoré
à Bury St Edmunds où fut élaborée en partie par les barons révoltés la Magna Carta.
Ces deux hommes réconcilient en eux les
composantes de la société anglaise : les
Anglais d’une part honoraient Edmund et
les Anglo-Normands Edward. Chacun des
saints porte un emblème qui le caractérise : Edmond le Martyr, à gauche, porte
la flèche qui l’a tué en 869, Édouard le
Confesseur, au centre, porte l’anneau qu’il
donna à un pèlerin qui se révéla être Jean.
Jean le Baptiste à droite, porte son symbole, l’Agneau de Dieu.
La scène évoque l’adoration des mages, jour de l’Épiphanie : Richard prend la
place de l’un d’eux. Le roi utilise sa propre
date de naissance, le jour de l’Épiphanie
1367 afin de le lier encore davantage au
monde divin. Le geste des mages, qu’il
reprend à son compte, le fait également
entrer dans une représentation toute médiévale du pouvoir.
Le roi Richard se prépare à embrasser
le pied de l’Enfant Jésus, hommage lige
qui appelle en retour la saisine, la remise
d’un objet symbolique représentant le fief
en cause, ici la bannière tenue par l’un des
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anges frappée de la croix de Saint-Georges. Le roi confie donc son royaume à
la Vierge et à l’Enfant Jésus qui le lui
redonnent en garde : le roi est bien donc
« l’image de la grandeur de Dieu. C’est son
capitaine, son serviteur, son représentant,
son élu » comme l’affirme l’évêque Carlisle
(IV, 1).
Ce lien entre le monde humain et divin
transparaît également dans la livrée que
portent les anges : on y trouve la reprise
du cerf, emblème du roi, d’ailleurs représenté sur la tenue de ses soldats. Le roi
représente Dieu et les anges combattent
pour lui, comme Richard l’affirme lui-même en III 2 : « Pour chaque homme enrôlé
par Bullingbrook (…) Dieu recrute un ange
de gloire à la solde de Richard. »
Sur un détail découvert à l’occasion
d’une récente restauration, conformément
à une vieille tradition, l’Angleterre est représentée de manière symbolique. Dans un
orbe peint de 1 cm de diamètre au-dessus
de la croix de la bannière figure une île
verte couronnée d’un château blanc à deux
tours entouré d’arbres ; il domine une mer
peinte où glisse un bateau voile déployée
sur un ciel bleu. Cette Angleterre, c’est la
« dot de Marie ». Cette vision nous la retrouvons dans celle de John de Gaunt (II,
1) : « Île sceptre. Terre de majesté. (…)
cet autre Éden. À moitié paradis. Citadelle
naturelle que s’est bâtie la nature contre
les épidémies et les guerres ». Cette Angleterre correspond également à la vision de Richard, terre sacrée que le roi
veut préserver de la contagion de la guerre
civile, puisqu’il est comptable de la paix
devant Dieu. (« Je ne veux pas salir la
terre de notre royaume du sang chéri que
cette terre a aimé »)
Les deux panneaux baignent dans une
lumière dorée, tout particulièrement le
panneau à la Vierge et l’Enfant. Cette lumière divine, présente, même près du roi,
évoque cette omniprésence du soleil dans
les propos de Richard. (III, 2 tout particu-
lièrement)
Les panneaux intérieurs du diptyque
expriment donc la vision christologique du
pouvoir de Richard. Les panneaux extérieurs le lient à l’Histoire : les blasons
et le cerf son emblème, porteur d’un collier de genêts, souvenir de sa famille, les
Plantagenêt.
L’image du diptyque de Wilton dit donc
magistralement ce que Richard voulait
communiquer de lui et de sa royauté. Et
que Shakespeare exprime en III, 2 : « le
souffle des hommes sur cette terre ne
peut destituer le représentant élu par
le Seigneur ».
Découvrir la pièce
avant sa représentation
L’homme. L’œuvre.
Le théâtre élisabéthain
QUI EST WILLIAM SHAKESPEARE ?
Parler de William Shakespeare, c’est accepter de ne pas tout connaître de son auteur
et découvrir progressivement que le mystère le plus intéressant est sans doute celui
de son œuvre qui se prête à des interprétations diverses, fascine traducteurs, commentateurs et hommes de théâtre. Ainsi
de Richard II, pièce jouée par Jean Vilar
l’année même de la création du Festival
d’Avignon en 1947 et reprise aujourd’hui
cette année devant le Palais des Papes.
La vie de Shakespeare, souvent fragmentaire, reste en partie mystérieuse à
bien des égards. L’orthographe même de
son nom fluctue : le registre paroissial
du 26 avril 1564 porte le nom de Shakspere, nom repris par l’auteur sur des documents juridiques non littéraires (testament), cependant la forme Shakespeare
apparaît sur tous les textes imprimés du
vivant de l’auteur ou après sa mort. Ces
différences orthographiques ont alimenté
toutes les hypothèses sur l’identité réelle
de l’auteur.
Il est également difficile de cerner la
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situation religieuse de la famille de Shakespeare dans le contexte religieux difficile de son époque. Les esprits fluctuent
entre l’anglicanisme voulu par Henry VIII,
la rénovation catholique vigoureuse de sa
fille Mary, puis la volonté affirmée d’Élizabeth de restaurer l’anglicanisme conçu
à la fois comme religion d’état, religion
nationale et synthèse entre catholicisme
et protestantisme. L’œuvre porte la trace
de l’esprit évangélique, de la connaissance
de la Bible et des sacrements, la vision
des prélats de l’Église catholique – hormis dans les pièces situées en Italie, correspond à celle de son époque. Mais des
idées de l’homme privé on ne saurait trouver trace. Cette ignorance des convictions
personnelles de l’auteur, Henri Suhamy la
porte au crédit de son « humilité », vertu
principale qui distingue l’homme privé du
XVIe siècle de l’artiste romantique. Cette
humilité et cette discrétion extérieure
permettent peut-être la liberté totale de
son œuvre qui évoque tous les sujets possibles mais à une hauteur telle que son
auteur échappait à la censure alors même
qu’il portait sur le théâtre les tragédies du
pouvoir.
L’homme Shakespeare appartient à la
classe moyenne, tous les membres de la
famille sortent de la classe des propriétaires campagnards du Warwickshire, région
située à cent cinquante kilomètres au nord
de Londres ; ils sont installés à Stratfordsur-Avon et ses environs.
Il est né dans une famille cossue de
Stratford : son père, d’origine paysanne mais obligé en vertu du strict droit
d’aînesse de trouver fortune en ville, devient peaussier et gantier ; sa mère est fille
de riches propriétaires terriens ; le petit
William est le troisième enfant du couple,
le premier des fils à survivre. La carrière du
père, John, connaît des hauts et des bas :
il exercera les fonctions de maire de Stratford, accédera à la noblesse et recevra en
1596 des armoiries que son fils fera confir-
mer mais il fait aussi de mauvaises affaires
et laisse des dettes à sa mort.
On ne connaît pas vraiment quelle éducation reçut le jeune homme. Il fréquenta
sans doute la Grammar school de Stratford,
école de grammaire qui incluait la rhétorique. Dans cette époque d’essor de l’humanisme, dynamisé par l’imprimerie, le latin
est évidemment une discipline fondamentale. Les professeurs cherchaient à communiquer à leurs élèves le goût des auteurs
païens antiques ; Certes Ben Johnson a dit
de Shakespeare, dans l’éloge funèbre publié en tête de l’édition complète de 1623,
qu’ « il savait peu de latin et pas du tout
le grec », mais il faut comprendre le sens
de cette formule. Loin de se moquer, Ben
Johnson montre que le dramaturge – en
dépit de connaissances imparfaites, a su
recréer les auteurs anciens et en tirer profit dans ses propres compositions.
À dix-huit ans, en novembre 1582, le
jeune William épouse Anne Hathaway, une
veuve de vingt-six ans chargée de progéniture mais enceinte de lui : elle met au
monde six mois après en 1583 leur fille
Susanna puis en 1585 des jumeaux, un fils
Hammet et une fille Judith. Cependant,
pour des raisons inconnues, à vingt-trois
ans, le jeune William Shakespeare quitte
Stratford et sa famille pour Londres.
À Londres, on ne sait pas grand-chose de la vie du jeune Shakespeare mais
le pamphlet d’un auteur jaloux, Robert
Greene (1558-1592) ancien étudiant de
Cambridge, fait allusion à lui en 1592 : il
attaque un « factotum », homme à tout
faire au théâtre qui se prend pour un
auteur, « ébranle la scène », se fait donc
en anglais « shake-scene » et obtient du
succès, chose impardonnable. C’est que
Shakespeare n’a pas étudié dans les universités où les beaux esprits cultivaient de
manière approfondie la connaissance des
auteurs anciens, persuadés que l’art du
théâtre n’était pas un métier de bateleur
de foire mais bien d’érudits.
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À ses débuts, le jeune auteur imite ce
qui se fait autour de lui dans ses drames
historiques, la trilogie de Henri VI et Le roi
Jean. Dans le même temps, Shakespeare
est aussi acteur.
L’activité poétique peut également
avoir précédé son œuvre théâtrale : les
textes antiques traduits et parfaitement
accessibles nourrissent l’œuvre du jeune
auteur qui les a peut-être connus dans
les maisons aristocratiques qu’il fréquentait, comme celle de Henry Wriothesley,
comte de Southampton, protecteur probable auquel est dédié le recueil de Vénus et
Adonis publié en 1593.
À partir de 1593, la chronologie factuelle de la vie de Shakespeare prend de la
consistance à Londres et à Stratford sans
que pour autant notre connaissance de la
personnalité de l’homme progresse beaucoup. Le jeune auteur a dédié son recueil
de poèmes, il fait publier en 1594 trois
pièces Le Viol de Lucrèce, Titus Andronicus
et la seconde partie d’Henry VI. Shakespeare appartient désormais à la troupe du
Lord Chambellan, The Lord Chamberlain’s
Men, dignitaire officiel chargé des fastes
de la cour, maître des cérémonies, chef du
protocole, organisateur de spectacles et
directeur du service de la censure. Les acteurs de la troupe ne recevaient de l’argent
royal que quand ils jouaient devant la cour.
Ce prestige était néanmoins important et
permettait de jouer dans des châteaux, à
l’occasion de festivités de mariage, notamment. En 1603, avec l’accession du roi
d’Écosse au trône d’Angleterre sous le nom
de Jacques 1er, les liens avec la couronne
se renforcèrent et les Hommes du Chambellan devinrent les King’s Men. Pour le
reste, la troupe constituait une compagnie
privée : sans directeur, elle fonctionnait de
manière collégiale et les revenus étaient
répartis entre les sociétaires selon un système de parts et d’actionnariat.
Ce n’est pas comme acteur que Shakespeare s’est rapidement enrichi – il jouait
de manière épisodique des rôles secondaires, mais en tant qu’auteur principal de la
compagnie. Cet argent lui permit de payer
les dettes paternelles et de retrouver une
respectabilité confirmée par l’octroi d’un
blason en 1596. En 1597 il achète une
maison, « New Place », à Stratford, et
poursuit par la suite ses investissements,
champs et pâturages loués à des fermiers
et sources de revenus réguliers.
Une partie de l’argent gagné à Londres fut donc investie à Stratford où sa
famille continua de demeurer, les autres
gains permirent de financer en partie la
construction du Théâtre Le Globe, érigé en
1599, en association avec le célèbre acteur Richard Burbage et son frère. La production dramatique de Shakespeare fait de
lui l’auteur le plus célèbre de son temps
et son activité ne faiblit pas au fil des années.
Publications et représentations se succèdent, on joue pièces nouvelles et anciennes qui constituent donc déjà un répertoire.
La connaissance de la personne privée
reste toujours aussi allusive : il est appelé
à témoigner dans un procès en 1612, est
poursuivi lui-même pour dettes et perd son
fils Hammet en 1596. Les dernières années
se passent à Stratford où il s’installe vers
les quarante-huit ans, il s’y occupe de ses
intérêts, ce qui ne signifie pas qu’il ait
renoncé au théâtre : il compose alors sa
dernière pièce Henry VIII, pièce peut être
écrite en collaboration avec l’auteur John
Fletcher (1579-1625).
Dès la réouverture des théâtres en 1594
après la « Longue peste », l’auteur monte
Les deux gentilshommes de Vérone, Peines
d’amour perdues et Roméo et Juliette en
1594-95. À la fin de l’année, « William
Kempe, William Shakespeare et Richard
Burbage » reçoivent chacun 20 livres pour
« plusieurs comédies et interludes » joués
à la cour. La carrière du jeune auteur est
lancée.
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CRDP
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Les quinze années suivantes voient naître trente-sept pièces, plus longues chacune que les pièces françaises du XVIIe siècle : la plus courte Macbeth compte deux
fois plus de vers que Le Cid, la plus longue
Le roi Lear représente quatre heures de
spectacle.
En 1595-96, il fait paraître anonymement ses premières pièces ainsi que Titus
Andronicus, et donne en 1595-96 Richard
II, Le Songe d’une nuit d’été, et en 1596-97
Le roi Jean, Le Marchand de Venise, Henri
IV. On lui attribue également des poèmes.
Riche et célèbre, Shakespeare joue dans
les pièces de ses confrères et apparaît dans
les siennes. En 1599, il prend avec Richard
Burbage la codirection du Globe nouvellement construit. Certaines grandes pièces
y seront jouées : Beaucoup de bruit pour
rien, Jules César, Comme il vous plaira, La
Nuit des rois en 1599-1600, Hamlet, Les
Joyeuses Commères de Windsor en 16001601.
Au tournant de siècle, la gaieté n’est
plus de mise : la reine vieillissante a pour
successeur le propre fils de Marie Stuart,
sa cousine décapitée, Jacques VI d’Écosse.
On craint un retour aux Guerres civiles,
des complots se trament. La conjuration
du favori de la reine, le comte d’Essex,
échoue et il est décapité mais le signal du
déclenchement de la conjuration était la
représentation de Richard II… Les pièces
deviennent plus sombres, comme Troïlus et
Cressida en 1601-02, Tout est bien qui finit
bien, Mesure pour mesure en 1603-04.
À la mort de la reine en 1603, Jacques VI monte sur le trône d’Angleterre
sous le nom de Jacques 1er et la Troupe
du Chambellan devient la Troupe du roi
par décision royale. Shakespeare fait jouer
en 1604-1605 Othello et la suivante Le roi
Lear, Macbeth.
L’auteur a pleinement réussi : il peut
acheter 440 livres la charge de fermier général de Stratford, ses filles représentent
de beaux partis et il peut prendre des parts
dans le théâtre fermé de Blackfriars dans
la cité de Londres. Sa production se ralentit après 1606 : il écrit les Sonnets mais ne
compose plus qu’une pièce par an : Antoine et Cléopâtre, Coriolan, Timon d’Athènes,
Périclès prince de Tyr. Il écrit encore Cymbeline en 1609-1610, Le Conte d’hiver en
1610-1611 et La Tempête en 1612-1613.
L’incendie du Globe le 29 juin 1613 lors
de la représentation d’Henry VIII explique
peut-être l’absence de manuscrits de Shakespeare. Le théâtre est en effet anéanti
par l’un des effets de la pièce : des salves
tirées sur le plateau pour figurer le siège
de Calais : le feu prend au toit de chaume
et ravage l’édifice sans dommage pour les
spectateurs. Les manuscrits des auteurs
achetés par les troupes et archivés dans
les théâtres disparaissent.
La perte du Globe atteint l’auteur, bien
plus présent encore à Stratford par la suite.
Il ne participera pas à la nouvelle équipe
du Globe reconstruit. Il meurt le 23 avril
de 1616 et fait de sa fille Susanna sa principale héritière.
La vie de l’auteur a posé problème à
certains historiens et critiques. La connaissance de l’individu manque ; à Stratford,
on semble ne pas connaître les activités
de l’auteur : du coup, certains ont mis en
doute depuis le XVIIIe et le XIXe siècle la
paternité de Shakespeare dans ses pièces.
On se souvient de la boutade de Bernard
Shaw : les pièces signées par William Shakespeare n’ont pas été écrites par William
Shakespeare mais par quelqu’un qui s’appelait William Shakespeare. Pour certains,
il serait le prête-nom d’un véritable auteur
désireux de garder l’incognito. On propose
des candidats divers : le véritable auteur
serait le Comte d’Oxford (1550-1604), pair
du royaume, homme d’état assez remuant et
poète à ses heures, ou bien encore Francis
Bacon, Lord Verulam (1561-1626), juriste,
savant, philosophe, essayiste et homme
d’état, candidat bien plus conforme au
portrait préétabli d’un auteur. On a même
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pensé à la reine Élizabeth elle-même et à
la plupart des pairs du royaume. ….
Henri Suhamy dans l’ouvrage qu’il
consacre à Shakespeare fait le tour de la
querelle et montre que les thèses soutenues sont peu étayées d’arguments : les
preuves manquent et le critique parle
même de « révisionnisme opiniâtre ». La
thèse se fonde avant tout sur l’idée qu’il
était impossible à un grand seigneur de
s’avouer auteur de pièces et sans doute
aussi qu’il était impossible à un homme
du commun d’écrire une œuvre de cette
qualité.
LA PUBLICATION
DES ŒUVRES DE SHAKESPEARE
Aucun manuscrit ne subsiste aujourd’hui.
Les œuvres connues de l’auteur ont été
publiées entre 1593 et 1623 et les manuscrits ont probablement disparu après cette
date car les éditions postérieures à 1632
sont fondées sur les premières. L’établissement du texte original n’est pas chose
facile en fonction des erreurs nombreuses
dans la lecture des manuscrits et les travaux d’édition.
Dix–sept pièces ont été imprimées du
vivant de l’auteur, séparément dans des
volumes appelés quartos en raison de leur
format. Mais tous les quartos ne sont pas
bons : il existait des éditions pirates opérées par certains libraires peu désireux de
traiter avec la compagnie propriétaire du
texte : des sténographes prenaient comme
ils le pouvaient le texte pendant plusieurs
représentations, et multipliaient ainsi le
risque d’erreurs. Parfois aussi un acteur
vendait au libraire son rôle et ce dont il
se souvenait de celui de ses partenaires.
Dans les bons quartos aussi, les erreurs
existent, certaines mentions importantes
n’apparaissent pas : on ne trouve pas la
liste des personnages, aucune division en
actes et scènes, prose et poésie sont imprimés de même manière.
La publication des « bons quartos »
s’est faite bien après la représentation, à
la différence des quartos pirates, réalisés
dès la sortie de la pièce. C’est ainsi que
Richard II paraît en 1597 puis 1608.
En 1623, paraît le Folio, sept ans après
la mort de l’auteur. Il présente dans ses
910 pages sur deux colonnes le texte des
pièces et s’ouvre par un portrait de l’auteur
accompagné d’un dizain de Ben Johnson.
Après les dédicaces, les avant-propos, les
dithyrambes, on trouve le texte de 36 pièces regroupées en trois groupes, Comédies, Pièces historiques et Tragédies. Dans
certains cas, le texte de 1623 reprend les
indications des quartos correspondants,
erreurs comprises ; dans d’autres cas des
différences importantes apparaissent. En
1632, suivra un second folio
La date exacte de composition des
pièces n’est pas toujours facile à établir.
Certaines allusions à des faits historiques
fournissent des indices, la date de publication des quartos en donne d’autres, on
prend également en compte l’évolution de
l’art même de l’auteur
QUEL EST LE MONDE
DU THÉÂTRE ÉLISABÉTHAIN ?
Le drame élisabéthain se développe dans
une période brève qui va de 1580 à 1640.
Il couvre une partie du règne d’Élizabeth,
montée sur le trône en 1558, et se poursuit sous celui de ses successeurs, Jacques
1er puis Charles 1er.
Le théâtre va exprimer l’esprit de l’époque.
L’unité humaniste entre les valeurs
spirituelles et celles de l’action se brise
au cours du XVIe siècle. La Réforme, les
Guerres de religion, les rivalités économiques entre les puissances, le goût pour le
matérialisme accentuent cette rupture et
le théâtre va être le lieu où les angoisses
contemporaines seront posées devant un
public concerné et réactif. Le théâtre est
ce lieu de communion entre un auteur et
un public pour dire l’âme d’une époque,
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CRDP
Académie de Versailles
Le public qui se rend au théâtre est très
mêlé : on y trouve les couches les plus populaires mais aussi nobles et bourgeois. La
culture populaire du peuple le rend capable
d’apprécier et de suivre les pièces de Shakespeare car, pour être ignorant des savoirs
savants, le peuple n’est pas dépourvu de
culture. Il est formé aux légendes nationales qu’il retrouvera dans certaines pièces ;
la connaissance de l’Ancien et du Nouveau
Testament, l’habitude de suivre liturgies
et, sermons ont développé la capacité à
comprendre une intrigue complexe, une
œuvre de réflexion dont l’expression est
souvent poétique, enfin la langue orale
expressive du temps s’accommode bien de
la langue shakespearienne.
Pendant la période du théâtre élisabéthain l’Angleterre prend conscience de sa
grandeur, même si elle fait aussi l’expérience de l’échec.
Les ombres des règnes précédents
L’Angleterre a été marquée par la longue
guerre des Deux Roses, ouverte en 1399
à la succession de Richard II. La famille
des Lancastre monte sur le trône mais sa
légitimité est contestée par celle des York.
Toutes deux peuvent prétendre au titre
royal : parmi les sept fils d’Édouard III,
après Édouard prince de Galles, figurent
John de Gaunt, duc de Lancastre et Edmond, duc d’York. Les deux familles lèvent
des troupes et pendant un demi-siècle se
combattent. La guerre civile se termine en
1485 mais laisse le pays ruiné et affaibli
moralement. Richard II et Richard III plongent dans ces périodes troublées.
Le XVIe siècle est marqué par les divisions religieuses : le roi Henri VIII, désireux d’avoir un héritier, entre en conflit
avec le pape qui refuse d’annuler son mariage stérile avec Catherine d’Aragon, tante
de Charles Quint. La querelle dynastique se
double d’une querelle religieuse : afin de
pouvoir épouser à sa guise Anne Boleyn,
le roi Henry devient en 1534 le chef d’une
église nationale anglicane, sorte de protestantisme soumis à l’autorité du souverain.
Il peut ainsi saisir des biens ecclésiastiques au profit de la couronne. Il impose
sa réforme par la force, fait exécuter en
1535 Thomas More et réprime avec violence toute réaction catholique. À la mort du
roi, les luttes religieuses reprennent avec
Mary Tudor entre 1553 et 1158 : « Mary la
Sanglante » persécute les protestants
La grandeur du royaume
L’Angleterre s’impose contre l’Espagne
avec la défaite de l’Invincible Armada en
1588, l’expansion coloniale de la couronne
en est favorisée, la reine assoit son autorité et crée les conditions politiques d’un
enrichissement économique. Élizabeth fait
donc entrer son pays dans la Renaissance ;
l’Angleterre compte désormais davantage
dans le concert des nations européennes
(c’est l’époque glorieuse de corsaires Drake
et Raleigh au service de sa majesté). La
souveraine développe le culte de la personne royale par stratégie politique et conviction personnelle. Si le roi est sacré, toute
tentative de déstabilisation est considérée
comme un crime très grave, non seulement
contre le roi mais aussi contre Dieu et l’ordre du monde. De ce fait, la reine n’autorise pas la représentation de Richard II,
pièce qui met en scène l’abdication d’un
roi puis son exécution, le moment où le
corps du roi cesse d’être sacré pour ses anciens sujets. Ce sentiment d’être maître de
son propre destin est pourtant nuancé par
un sentiment d’échec. Trop de sang a coulé
dans l’histoire récente qui a mis à mal les
certitudes
Une vision sombre du monde
Machiavel et la conscience du temps
Le Prince a été traduit en français en
1553, en latin en 1560 et son influence
est considérable. L’œuvre rejette la vision
médiévale, unifiée en Dieu, et lui oppose
le cinglant démenti des faits. Reprenant le
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Académie de Versailles
« Oderint dum metuant » de Néron, l’auteur
part du principe que la nature humaine ne
tend pas au bien et que le roi a plus besoin d’un vice utile que d’une vertu inutile.
L’homme politique sera un homme cynique
et ambitieux, sur le modèle de César Borgia, attaché à la mauvaise foi comme principe de gouvernement. De cet amoralisme
politique le théâtre se souviendra avec
ses personnages de traîtres et d’ambitieux
prêts à tout pour le pouvoir. Les auteurs
élaborent une vision peu satisfaisante du
monde, singulièrement désaccordée. Dans
Richard II, le roi se déconsidère par sa justice injuste, la spoliation au profit de ses
intérêts, Bullingbrook tombera également,
à son corps défendant, dans l’élimination
de ses ennemis politiques.
L’influence de Sénèque
L’auteur latin, connu et étudié, fournit aux
auteurs un riche répertoire de sujets tragiques et violents, réalistes, agrémentés de
grandes tirades rhétoriques dans le goût
latin, portés par des héros surhumains et
stoïques. Ce stoïcisme désabusé des vaincus est la réponse tragique à un monde
qui se défait et dont le théâtre éprouve
les limites. Richard vaincu, emprisonné,
ne refuse pas de mourir mais refuse d’en
passer par les viles mains d’Exton et « il
se met à frapper le gardien ». Son courage
devant la mort frappera son assassin qui
en exprimera un regret cuisant : « Il avait
autant de courage que de sang royal. J’ai
gâché les deux »
L’esprit baroque
Cet esprit est la réponse esthétique à l’idéal
en partie manqué de la Renaissance. Le
terme portugais « barrocco », qui désigne
une perle irrégulière aux formes étranges,
s’applique bien à cet art dominé par l’idée
de tension, d’irrégularité et de déséquilibre, soucieux d’exprimer toute l’instabilité
et le caractère éphémère du monde. Cet esprit convient bien à ce roi Richard II trahi
au moment où il croit triompher, réduit à
être un « non-roi », un homme dans toute
sa faiblesse. Les grandeurs ne durent pas
et Henri IV, le Bullingbrook de notre pièce,
son successeur, en fera la découverte dans
la pièce du même nom.
Les survivances médiévales :
la pensée analogique
L’Angleterre est éloignée du continent par
son insularité : elle reçoit moins vite les influences contemporaines et conserve plus
longtemps certaines survivances médiévales. La pensée analogique est l’une d’elles : toute atteinte à la hiérarchie dans le
drame se répercute dans toutes les sphères
de la vie et affecte même le macrocosme
Ainsi le capitaine gallois peut-il mentionner, dans la scène 4 de l’acte II, l’accumulation de signes sinistres « annonciateurs
de la mort ou de la chute des rois ». Le
monde tout entier est désaccordé.
QUELLES SONT LES CONDITIONS
DU THÉÂTRE DANS LES ANNÉES 1695 ?
L’évolution du théâtre : le genre
Le théâtre shakespearien est le fruit d’une
évolution du théâtre médiéval. Le théâtre
élisabéthain dont il fait partie, se développe entre 1572 et 1642, date de la victoire des Puritains et de la suppression des
spectacles. il présente dans un dispositif
de semi-plein air des comédiens professionnels tous masculins.
Au Moyen-Âge, l’Angleterre a connu,
comme en France, des Mystères religieux
qui représentent la Passion du Christ pour
les fidèles au moment de fêtes liturgiques
mais aussi des spectacles profanes qui ont
la faveur du public et racontent des histoires de la Vieille Angleterre et des moralités. Ces pièces rappellent l’esprit des fabliaux, elles sont jouées par des amateurs
dans les périodes de carnaval ou de fêtes
corporatives. On y parle de la destinée de
l’Homme, entre vice et vertu, péché et
grâce, tentation et salut. Ces pièces sont
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Académie de Versailles
le plus souvent écrites en vers rimés par
des membres du clergé ou des écrivains
occasionnels, qui restent anonymes. La
musique joue un rôle important dans ces
spectacles rituels et festifs.
À la Renaissance, les universités vont
aussi contribuer à la formation d’un répertoire. Le goût des belles-lettres se diffuse
et l’humanisme fait découvrir les auteurs
anciens, Sénèque pour la tragédie, Plaute
et Térence pour la comédie. Les étudiants
écrivent en latin d’abord puis en Anglais.
Ce théâtre en pleine évolution commence de se développer un peu avant le
règne d’Élizabeth, la première véritable
comédie du répertoire anglais date en effet de 1552, alors que le règne ne commence qu’en 1558. En revanche, c’est bien
sous le règne d’Élizabeth que s’érigent les
théâtres, lieux permanents destinés à accueillir le public.
L’évolution du théâtre : le lieu scénique
et son public
La rédaction de textes pour le théâtre précède la construction d’édifices durables. Le
lieu théâtral va donc subir une évolution
avant d’arriver au modèle du « Globe »,
par exemple.
Au XIVe siècle, les textes, décors et costumes deviennent la propriété de corporations de professionnels. On construit des
« Mansions » roulantes, les « pageants »,
qui portent les différents décors du spectacle (dans les Mystères on avait ainsi l’Enfer, le Paradis…). Ce dispositif itinérant
s’installera dans une cour d’auberge, solution plus lucrative, on peut ainsi réunir
un public à la fois populaire et fortuné :
les uns restent debout devant la scène,
les autres louent des chambres à balcon
et s’y installent pendant la représentation.
L’aubergiste est intéressé à la recette.
Par la suite, les troupes ont besoin de
la protection d’un grand seigneur et s’installent dans des théâtres fixes construits,
circulaires, de semi-plein air, ce à partir
des années 1575. Le premier est « The
Theater » de James Burbage au nord de
Londres. La reine Élisabeth autorise les
activités de la troupe par un privilège.
Shakespeare jouera là ses premières pièces. Ce théâtre, régulièrement réduit en
cendres par les incendies dus aux bougies,
sera finalement rebâti en 1694, sur la rive
sud de la Tamise, il deviendra le fameux
Globe. Une enseigne représentait Hercule
portant le Globe terrestre et une inscription affirmait : « Totus mundus agit histrionem » « Le monde tout entier joue le rôle
de l’acteur », aphorisme que l’on retrouve
dans la pensée et les pièces de Shakespeare : le théâtre reflète le monde, lequel
est lui-même un théâtre où chacun joue le
rôle qui lui a été attribué par la fortune.
D’autres théâtres s’installent en cette
fin du XVIe siècle . En 1585, se construisent sur la rive sud « The Swan » et « The
Rose » ; en 1694 Burbage construira non
loin son nouveau théâtre « The Globe ».
35 pièces de Shakespeare y seront représentées. Ces salles de la rive sud répondent
au désir d’éviter la présence dans la City
des théâtres, toujours suspects d’immoralité aux yeux des autorités Dans le quartier du port et des matelots, la tolérance
est plus grande. Il fallait rentrer en ville
avant la fermeture des portes à la tombée
de la nuit. Les représentations pour cette
raison ont lieu l’après-midi et une grande
affluence populaire traverse en barque la
Tamise ou emprunte le pont pour se rendre
sur le lieu du spectacle.
Effectivement le public est très mêlé :
ivrognes, filles et voleurs à l’affût au parterre, surnommés « les puants », côtoient
belles dames et riches bourgeois. Pour
tous, le spectacle est payant et le programme doit faire recette, les prix varient
du simple au double, on peut louer un
coussin… Le public est très remuant, n’hésite pas à se lever, manifester son plaisir
ou son mécontentement. Quand, à la fin
des années 1990, on a reconstruit à Lon-
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dres le « Globe », les acteurs ont dit avoir
été déstabilisés par ce théâtre qui n’offrait
pas la protection de l’obscurité des salles à
l’italienne. Les acteurs aujourd’hui ne peuvent voir le public comme leurs prédécesseurs du XVIe siècle. On joue d’octobre au
Mercredi des Cendres, qui marque l’entrée
dans le Carême, puis de Pâques à l’été, ensuite la troupe part en tournée dans des
formes de théâtre de rue.
Les théâtres sont de grosses constructions rondes ou polygonales, le « O en
bois » comme le dit le Coryphée dans le
Prologue d’Henri V, bien visibles de loin.
Un drapeau hissé au faîte annonce l’imminence du spectacle, des trompettes sonnent ; le programme est affiché à la porte.
Le dispositif scénique hérité des Pageants
installés dans les cours d’auberge fera l’admiration de gens de théâtre comme Louis
Jouvet. Il permet la simultanéité des actions et la mise en scène dans trois dimensions différentes, grâce à des aires multiples de jeu. .
– L’AVANT-SCÈNE ou PROSCENIUM, une plateforme surélevée, est réservée aux duels,
batailles, scènes champêtres, monologues… On jouait sans rideau et sans doute
aussi sans décor.
– L’ARRIÈRE–SCÈNE est une alcôve fermée
par une tenture. Elle permet d’isoler une
chambre, lieu de meurtre ou d’adultère,
c’est aussi le tombeau de Juliette. Si le
rideau est tiré, apparaît le trône royal.
– La SCÈNE est comprise entre la courtine
de l’arrière-scène et les piliers de l’avantscène, qui soutiennent le balcon.
Le BALCON sous son auvent peut figurer
le rempart d’un château fort, le balcon de
Juliette, la dunette d’un navire.
Le dispositif dans sa multiplicité est très
inventif et permet des intrigues complexes.
Les acteurs peuvent s’interpeller d’un niveau à l’autre et des trappes communiquaient avec le sous-sol, permettant ainsi
aux personnages d’apparaître ou de disparaître.
Il y eut neuf théâtres de ce genre à Londres, nombre considérable pour une ville
de 160 000 habitants.
La pièce de Richard II exploite
toutes les potentialités du théâtre
élisabéthain
La troisième scène de l’acte II se sert de
l’auvent pour donner corps au château
« là-bas, derrière le bosquet », défendu
par les fidèles de Richard.
Dans l’acte III, à la scène 3 les assiégés fidèles à Richard sont établis dans le
château de Flint sous l’auvent, les partisans du banni Bullingbrook campent sur le
proscénium. Le plénipotentiaire Northumberland rencontre le roi au balcon mais
la rencontre entre les rivaux, Richard et
Bullingbrook, a lieu dans la « cour inférieure » et manifeste ainsi scéniquement
l’abaissement du roi.
Ian Kott note que la pièce s’ouvre sur
une scène située dans l’arrière-scène, la
salle du trône, pendant la Cour de justice
tenue par Richard. Pendant cette scène, le
roi prend une décision qui se révélera désastreuse et peine à asseoir son autorité.
Le roi semble pris dans le mécanisme fatal
de son propre règne. En revanche, une fois
détrôné, rendu à sa totale faiblesse, il joue
paradoxalement sur le proscénium après la
scène de destitution dans l’unique scène
de l’acte IV. Richard retrouve conscience
et réflexion à la fin de son histoire, une
fois dépossédé de sa grandeur sacrée : sa
place dans le dispositif scénique le manifeste.
LES MÉTIERS DU THÉÂTRE,
DÉCORS ET COSTUMES
Le souffleur avait une place importante :
c’est à grâce à son livre, the prompt-book,
que beaucoup de textes ont pu être retrouvés. Il jouait aussi peut-être le rôle
de régisseur. En l’absence de metteur en
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CRDP
Académie de Versailles
scène, c’est l’auteur qui devait coordonner
le travail de tous, sa présence sur la scène
explique en partie la pauvreté des indications scéniques.
La question des décors et costumes
se posait peu : les mêmes costumes resservaient pour des pièces différentes. À
défaut de décors, le théâtre possédait accessoires et machines à treuil qui se perfectionnèrent au cours du XVIe siècle ; il y
avait même de petits canons, comme ceux
qui ravagèrent le Globe lors de l’incendie
de 1613 pendant une représentation de
Henry VIII. L’emploi des canons avait servi
alors non à figurer une scène de bataille,
absente de la pièce, mais à accompagner
une cérémonie royale.
Les troupes étaient exclusivement composées d’hommes et de jeunes garçons
dont la voix n’avait pas encore mué : ils
étaient préposés aux rôles féminins du
fait de l’interdiction pour une femme de
jouer. Leur petit nombre dans les troupes
explique l’écrasante supériorité des rôles
masculins : 140 rôles féminins dans tout le
théâtre de Shakespeare pour 900 au total.
L’interdiction faite aux femmes venait du
désir d’empêcher le déferlement des désirs
coupables et collectifs dans une assemblée majoritairement composée d’hommes,
comme dans les salles de combats de coqs,
par exemple. Ces distributions masculines
devaient éloigner encore davantage les
représentations du réalisme et apporter
une distance, que l’on retrouve également
dans le théâtre antique ou médiéval. De
plus, un même acteur pouvait jouer plusieurs rôles : le théâtre élisabéthain est
donc bien un théâtre de convention.
QUELLES SONT LES CONVENTIONS DU
THÉÂTRE ÉLISABÉTHAIN ?
Shakespeare appartient à la deuxième génération d’auteurs élisabéthains, il est le
contemporain d’autres auteurs talentueux,
de Thomas Kyd (1558-1594), de Christopher Marlowe (1564-1593) qui a donné un
ton très personnel au théâtre, particulièrement avec des héros de la démesure dans
les passions, l’ambition ou la cruauté, de
Ben Johnson (1572-1637) enfin.
Notre auteur reprend les habitudes, les
conventions scéniques et la grammaire
dramatique de son temps, il réutilise des
thèmes déjà traités.
Le théâtre élisabéthain fonctionnait
en suivant un certain nombre de conventions, admises et attendues du public
L’unité de découpage de la pièce est
la scène, plutôt assimilable à un tableau,
ou à une séquence au sens cinématographique.
La scène 3 de l’acte I comporte cinq moments très différents
Elle commence par un entretien entre
deux hauts personnages afin d’informer
sur la situation des champions. La scène
se poursuit par l’entrée solennelle du roi
et de la cour en cortège, suivis des adversaires. Cette seconde partie de la scène
permet la présentation des combattants,
le rappel de leurs intentions, l’évocation
précise de leur état d’esprit ; de manière
très protocolaire s’enchaînent les rituels
du duel judiciaire accompagnés des sonneries des trompettes. Mais le roi interrompt
le combat en jetant son bâton, la troisième partie présente alors la sentence choisie par Richard, le bannissement des deux
hommes et le serment qui leur est imposé.
Dans une quatrième partie, la conversation
se fait plus personnelle entre Richard, chacun des bannis successivement et le vieux
John de Gaunt. Ce mouvement se clôt à la
sortie du roi et de sa suite, accompagnée
de fanfare. La fin de la scène est constituée
des adieux rapides d’Aumerle, favori du roi,
et de Bullingbrook puis de ce dernier et
de son vieux père. Ce dernier passage est
vraiment une conversation privée, personnelle, qui contraste avec le côté « à grand
spectacle » des mouvements précédents.
L’unité de lieu et de temps existe mais
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CRDP
Académie de Versailles
au niveau de la scène seulement, la
pièce, elle, peut s’étendre sur plusieurs
années, comme c’est le cas dans Richard
II. Ainsi, la pièce s’ouvre sur la crise de
l’année 1397 qui a vu l’exil de Bullingbrook, nous sommes à l’acte I et à l’acte
II. Le banni revient en Angleterre deux
ans plus tard en 1399 et débarque au mois
de juin, ce qui correspond à la scène 3 de
l’acte II. Cet acte contient donc à la fois
les événements qui déclenchent la crise et
ceux qui conduisent à sa résolution : deux
ans passent entre la scène 1 de la spoliation des biens de John de Gaunt au profit
de la couronne et la scène 2 où déjà les
favoris du roi annoncent à la reine le débarquement du banni. Les événements de
l’acte III se situent pendant l’été 1399, le
roi revient le 24 juillet d’Irlande dans la
scène 2 et dans la scène suivante l’auteur
évoque la rencontre du 12 août avec Northumberland avant celle du château de
Flint. Enfin les événements de la pièce
se poursuivront jusqu’à l’assassinat du roi
autour du 14 février 1400. Cette concentration peut paraître invraisemblable, elle
permet pourtant d’exprimer avec violence
la logique des événements : la violence du
roi, véritable abus de pouvoir, entraîne le
coup de force en retour de Bullingbrook.
Le traitement admis du temps à l’époque élisabéthaine combine donc extrême
concentration dramatique et dilatation
puisque les événements s’étendent sur des
durées qui peuvent être longues. Ce procédé a quelque chose de cinématographique. La composition est marquée par une
grande liberté soulignée par une grande
brusquerie dans le passage d’une scène
à l’autre : on passe d’un temps à l’autre,
d’un horizon à un autre.
Cela est très net dans les scènes qui
font basculer d’un univers masculin à un
univers féminin, comme cela est le cas
dans les scènes dévolues à la reine, dans
le palais d’abord (II, 2 avec les courtisans)
et dans le jardin ensuite (III, 4) : bien plus
encore que le roi, elle prend la mesure de
la catastrophe qui s’approche.
On retrouve également cet effet d’amplification quand l’enchaînement des scènes montre les rapides conséquences d’une
rébellion galopante : le monde tout entier
se détraque. La scène 3 de l’acte II voit la
rencontre de Bullingbrook et de ses soutiens, dans la scène suivante, la machine
du macrocosme est cassée et les signes
inquiétants entraînent la défection du capitaine Gallois, fidèle jusque-là à Richard.
D’un côté, l’adhésion mimétique progresse,
de l’autre la défection gagne les fidèles,
mimétisme dans les deux camps, mais en
sens parfaitement opposé.
Pareille liberté permet de positionner
clairement le théâtre : il n’est pas la réplique servile de la vie, il permet de montrer
de manière fulgurante les décisions ou les
rencontres fatales.
Le théâtre est également un endroit
où l’on parle et Shakespeare reprend les
techniques de la parole théâtrale héritées de ses prédécesseurs, il en tire parti. À l’acte III, scène 4, la reine en plein
désarroi va chercher l’apaisement dans le
jardin. Elle a appris dans la scène 2 de
l’acte II les défections, la rébellion qui gagne. Elle a déjà été abandonnée par York
qui lui demande pardon sans dire vraiment
de quoi. Quand nous la retrouvons, à l’acte
suivant, elle va apprendre l’étendue de son
malheur en surprenant intentionnellement
une conversation qui ne lui est pas destinée, celle des jardiniers. La métaphore
du jardin appliquée à la situation anglaise
va permettre de mettre en perspective les
événements politiques. Pour l’auteur, la
parole au théâtre peut toujours être surprise et se faire révélation de la vérité. Les
jardiniers annoncent le destin de Richard,
le mettent en perspective : le destin de
l’individu Richard est ramené à la vie futile d’une plante inutile qui sera bientôt
arrachée.
Le théâtre élisabéthain emploie un
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certain nombre de types humains, qui
ont aussi une utilité fonctionnelle, comme l’amoureux, la nourrice… Dans Richard
II, on peut trouver une certaine diversité
sociale : la plupart des personnages appartiennent à la noblesse anglaise, mais
on trouve cependant le jardinier et son
aide, le capitaine gallois, le palefrenier
et le gardien de prison : ces personnages
sans nom qui les identifie interfèrent cependant avec le drame : ils expriment leurs
idées, évoluent au gré des événements et
font contrepoint aux « Grands » qui eux
agissent et écrivent l’histoire.
Certains personnages appartiennent à
des types fonctionnels précis : on rencontre à l’acte V l’assassin dévoué au nouveau
roi, Exton ; Northumberland est un flatteur
arriviste et opportuniste qui sait se placer,
lui et son fils.
L’auteur saura pourtant individualiser ses personnages : York père et fils
sont différents et semblables. Le premier
se rallie sans beaucoup d’états d’âme, le
second reste fidèle à Richard et se lance
dans un complot où il risque de perdre la
vie, du fait de l’acharnement de son propre
père à le perdre. Ils incarnent donc deux
fidélités à deux souverains différents.
Dans les deux cas, cette fidélité pousse à
demander la mort de l’autre, Aumerle veut
tuer Bullingbrook et York le sauver au prix
de la mort de son propre fils. Père et fils
rivalisent donc de fidélité et se déchirent.
Ces deux personnages posent sur le théâtre les dommages collatéraux de la course
au pouvoir dans ce besoin terrible de choisir un camp et d’éliminer l’autre.
Lecture de la pièce
Le contexte de la fiction
dramatique
Le destin de Richard II :
tyrannie et faiblesse
L’époque de Richard II la crise de 13971399.
La pièce se situe pendant les deux dernières années du règne de Richard II. Ce règne a connu des phases difficiles, la crise
des années 1397-99 s’ouvre par la volonté
du roi de se débarrasser des grands féodaux turbulents et rebelles auxquels il a
déjà été confronté dans le passé.
La situation générale est celle de la
guerre de Cent Ans
Richard II est le petit-fils du roi Édouard
III, compétiteur malheureux de la couronne de France en 1328. À ce moment, en
l’absence d’héritier capétien direct, les barons français choisissent comme souverain
Philippe de Valois, fils d’un frère de Philippe le Bel, et non Édouard III, roi d’Angleterre, fils d’une fille de Philippe le Bel.
Édouard doit prêter serment de fidélité
pour ses possessions de Guyenne. C’est en
raison des Affaires de Guyenne que commença la guerre qui devait prendre le nom
de guerre de Cent Ans.
Richard II est également fils de ce Prince Noir, Prince de Galles, héritier du trône,
héros des premières années de la guerre.
Le roi Richard est un roi menacé et qui
essaie dans la crise finale de son règne de
reconstruire une autorité contestée.
Richard monte sur le trône très jeune,
âgé de dix ans seulement, après la mort de
son père le Prince de Galles (1376), et du
roi Édouard III, son grand-père, en 1377.
Les membres de la Chambre des Communes au Parlement adoptent cette accession
précoce au trône car ils veulent empêcher
toute usurpation par les grands féodaux,
très proches de la couronne : certains sont
petits-enfants d’Édouard III, parmi eux se
distingue John de Gaunt, duc de Lancastre, père de Bullingbrook, futur Henri IV.
Les premières années du règne sont
marquées par de rudes difficultés.
L’Europe et l’Angleterre ont été très violemment touchées par la Peste noire qui
a sévi pendant les deux années de 13471349 et décima plus de la moitié de la
population anglaise. Ces difficultés déjà
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anciennes vont être relayées par d’autres,
dès les débuts du règne.
Le jeune roi doit affronter la révolte des
paysans en 1381. Cette révolte répond au
lourd fardeau des taxes imposées par l’effort de guerre. Les paysans veulent également la fin du servage. Le jeune roi de
quatorze ans, réfugié à la Tour de Londres,
doit négocier avec des insurgés particulièrement violents. Il emploie clémence et
force pour se tirer de la difficulté.
Plus difficile encore est la contestation des Lords Appelants dans les années
1387. Les grands féodaux, princes et oncles du roi comme John de Gaunt, duc de
Lancastre, ou Thomas de Woodstock, duc
de Gloucester, ont de grandes ambitions
et n’hésitent pas à contrecarrer la volonté
royale : ils poussent à la guerre contre la
France, quand le Parlement n’y est pas favorable, s’opposent à la politique fiscale
du roi. John de Gaunt a même des prétentions sur le trône d’Espagne. Mais surtout
Henry Bullignbrook, duc de Hereford, et
Thomas Mowbray, duc de Norfolk s’opposent directement à la politique du roi et
de ses amis en 1387. Ils font assassiner les
favoris et brisent intégralement le cercle
des amis du roi.
Ces outrages répétés à son autorité marqueront profondément le jeune roi de
vingt ans.
Richard doit composer avec ces opposants : c’est ce qu’il fait entre 1389
et 1397, mais il pense à prendre sa revanche.
Richard arrive à rétablir l’autorité royale. La politique offensive des Appelants
contre la France a échoué ; John de Gaunt,
revenu d’Espagne, joue les modérateurs.
Le roi gouverne seul, renvoie ses tuteurs
en 1389 et dessine une politique de réconciliation avec la France qui aboutit à l’accord de 1396 et au mariage avec Isabelle
de Valois. Ces années sont pacifiques.
Mais la fin des années 1390, celles de
la pièce de Shakespeare, montre une vo-
lonté tyrannique de Richard, sans doute
désireux d’affermir encore son pouvoir et
de se venger des outrages subis dans le
passé.
Il se débarrasse en 1397 du Duc de
Woodstock, son oncle de Gloucester, il fait
également condamner certains de ses ennemis. Les biens confisqués passent aux
favoris du roi, ainsi récompensés.
Cependant la famille de Lancastre, formée par John de Gaunt et son fils Bullingbrook, reste dangereuse. Le roi tire alors
parti de la querelle sur laquelle s’ouvre la
pièce, querelle ouverte entre Bullingbrook
et Mowbray, duc de Norfolk, en décembre 1397. Le roi en profite pour bannir les
deux hommes et écarter d’Angleterre deux
grands seigneurs potentiellement menaçants. La mort de John de Gaunt en 1399
permet au roi d’aller encore plus loin : il
bannit indéfiniment Henry Bullingbrook et
le prive de son héritage.
Pour autant, la politique du roi ne plaît
pas : Richard a conclu en 1396 une trêve avec la France et a épousé une jeune
princesse française de six ans, Isabelle
de Valois, fille de Charles VI. Cependant,
cette suspension des hostilités n’affaiblit
pas la pression fiscale car le roi mène une
politique de prestige et la cour dépense
énormément. La tendance à la monarchie
absolue et l’opulence de la cour participent à l’échec final de Richard.
L’échec de Richard II : l’année 1399.
Les mesures de 1397 ont entraîné l’exil de
Bullignbrook mais il revient en Angleterre
en juin 1399 et il débarque à Ravenspurn
dans le Yorkshire. Son arrivée profite de
l’absence du roi, parti en expédition militaire en Irlande mais aussi du ralliement
de certains personnages importants : Henry Percy, comte de Northumberland, et
Edmond de Langley, duc d’York, pourtant
chargé par le roi de veiller sur le royaume.
Le retour tardif du roi, le 24 juillet, le
place dans une position de faiblesse : il
18
CRDP
Académie de Versailles
rencontre Northumberland pour négocier
le 12 août puis se rend à Henri au château
de Flint contre la promesse d’avoir la vie
sauve.
À son arrivée à Londres, le 1er septembre, il est enfermé à la tour de Londres.
Officiellement, Richard abandonne volontairement la couronne à Henri le 29 septembre 1399 et le Parlement accepte sa
démission. Henri est couronné roi d’Angleterre le 13 octobre. Le nouveau roi,
qui avait promis la vie à Richard, change
rapidement d’avis en voyant que certains
des anciens amis du roi complotent pour
le rétablir. Richard meurt en captivité aux
alentours du 14 février 1400. Des doutes
planent sur la date et la cause réelle de
sa mort. Le corps sera inhumé mais des
rumeurs assurant Richard en vie persistent
un temps sans gagner un crédit décisif.
La dynastie anglaise.
Édouard III 1312-1377 et ses sept fils
– Son fils Édouard, le Prince de Galles, le
« Prince Noir » 1330-1376
– Son petit-fils Richard II 1367-1400
– Ses autres enfants :
Isabelle d’Angleterre 1332-1382
Lionel, duc de Clarence 1338-1368
John de Gaunt, duc de Lancaster 13401399
– Son fils Henry Bullingbrook, duc de Hereford, roi Henry IV
Edmond, duc d’York 1341-1402
– Son fils Aumerle
Thomas Woodstock, duc de Gloucester
1355-1397 assassiné avant le début de la
pièce.
– Autres fils d’Édouard III non-mentionnés
dans la pièce :
William de Hatfield
William de Windsor
RICHARD II DANS L’ŒUVRE
DE SON AUTEUR
Dans quelle langue écrit Shakespeare ?
La langue de Shakespeare est une langue
archaïque et qui n’appartient qu’à lui, sa
beauté est particulièrement liée à la vocalité théâtrale et crée une sorte de musique.
Elle dépend d’une technique, la déclamation versifiée, que la poésie transcende par
la sincérité de l’inspiration.
La poésie shakespearienne n’ignore
pas les vers rimés : l’œuvre dramatique en
compte 7 800 contre 68 500 non rimés. La
prose compte un peu plus du quart du volume total.
Les vers rimés se rencontrent plus dans
les comédies que dans les tragédies et
leur nombre diminue avec le temps. On les
trouve dans les chansons, dans les poèmes récités dans les œuvres, oracles, prologues, situés en dehors de l’action, mais
on les trouve aussi dans les dialogues. En
ce qui concerne Richard II, l’auteur utilise
uniquement le vers (2 644 précisément) à
la différence des autres pièces de la tétralogie qui emploient également pour moitié
la prose.
Sous ses deux formes rimées et non rimée, le vers de Shakespeare est connu sous
deux désignations concurrentes : décasyllabe ïambique et pentamètre ïambique. La
référence explicite à l’ïambe renvoie à la
distinction typique de la langue anglaise
entre syllabes faibles inaccentuées et syllabes fortes, accentuées. Le ïambe dans la
poésie antique était un mètre ascendant
qui faisait se succéder une syllabe faible
et une forte, une brève puis une longue.
Le décasyllabe ïambique va donc faire se
succéder une séquence de dix syllabes où
les accents tombent sur les syllabes paires, accentuées. On parlera de pentamètre
si l’on envisage le vers à la manière des
Anciens et de leur scansion : dans l’Antiquité en effet le ïambe est une cellule
musicale organisée ainsi [ u -] soit une
voyelle brève (notée u) et une voyelle longue, notée (-). L’ensemble crée une unité
musicale qui favorise le tissu sonore. Cette
construction très contraignante du vers va
obliger les poètes à construire leur pensée
19
CRDP
Académie de Versailles
en fonction du sens mais aussi en tenant
compte de cette scansion. Il est à noter
que le ïambe est la cellule fondatrice du
pentamètre mais que l’on peut rencontre
des pieds de substitution (trochées, spondées à deux syllabes et même des pieds
de trois syllabes, amphibraques et anapestes).
Pour autant la réalité ne s’accorde pas
toujours facilement avec la théorie de la
versification en raison des particularités
de la langue anglaise. De plus, la pratique
de Shakespeare a évolué au fil des ans :
l’auteur utilisera de plus en plus les terminaisons dites féminines dans ses vers et
pratiquera également davantage l’enjambement avec les années. Pour Henri Suhamy, ces deux caractéristiques trahissent
un style de moins en moins déclamatoire,
de plus en plus introverti.
La langue de Shakespeare appartient à
une époque de grande création et de vitalité pour la langue anglaise, comparable à
ce qui se passe en France du temps de Rabelais : se côtoient un vocabulaire ancien
rescapé du vieil anglais mais aussi des termes à la mode venus de France ou d’Italie et les mots savants vulgarisés par les
humanistes. L’auteur exploite également
les capacités de création de mots nouveaux de la langue anglaise : il crée ainsi
le fameux « King unkinged » de Richard II
et multiplie les jeux de mots. En réalité
toutes les potentialités du langage, toutes
les figures de la rhétorique connues et répertoriées depuis l’antiquité apparaissent
dans son œuvre, jamais de manière gratuite, même si cela peut paraître parfois
obscur à force de concentration.
Le travail sur la langue est si important qu’il est forcément au cœur de toute
traduction et nous y reviendrons plus en
détail plus avant, en parlant du travail de
Frédéric Boyer traducteur de Shakespeare
dans Richard II.
« Les chroniques »
dans l’œuvre de Shakespeare.
Les caractéristiques de Richard II
Les auteurs élisabéthains ont beaucoup
aimé porter l’histoire nationale sur scène.
Certaines de ces pièces sont appelées Pageant plays, pièces en forme de cortèges ou
de parades : l’accent est mis sur la somptuosité des reconstitutions, notamment quand
le spectacle évoque les rites de la monarchie, célébrations de la personne sacrée
du monarque. D’autres pièces se nomment
plus modestement Chronicle plays, pièces en
forme de chroniques qui reviennent sur des
moments bien réels de l’histoire, en particulier de l’histoire d’Angleterre.
Les auteurs cherchent à proposer au
public un véritable livre d’histoire, en plus
vivant grâce à l’incarnation théâtrale. Les
pièces instruisent mais aussi séduisent
par les sentiments qu’elles suscitent et le
plaisir esthétique qu’elles procurent. Elles
touchent un très large public puisque le
théâtre, comme nous l’avons vu, est un des
lieux, avec l’Église, qui rassemble toutes les
couches de la société du temps.
Shakespeare ne fait pas exception à la
règle, il accorde lui aussi une place prépondérante à l’Histoire – antique ou anglaise
– dans ses pièces : près de la moitié d’entre
elles ont un sujet historique.
Dans ce contexte, Richard II est l’une
des huit pièces groupées en deux tétralogies consacrées par l’auteur à l’histoire nationale anglaise entre 1398 et 1485, de la
fin du règne de Richard II à l’avènement
d’Henry VII Tudor. Dans l’ordre chronologique, les pièces se suivent ainsi : Richard II,
Henry IV (en deux parties), Henry V, Henry VI
(en trois parties), Richard III. C’est du reste
dans cet ordre chronologique des faits que
sont présentées les pièces dans la grande
édition de 1623. L’ordre de la composition
bouleversait en effet l’ordre chronologique des règnes : l’auteur a commencé par
les trois parties d’Henry VI et Richard III,
ce que l’on nomme la première tétralogie ;
20
CRDP
Académie de Versailles
il a poursuivi ensuite par des œuvres qui
remontent dans l’ordre des règnes, ce sont
dans l’ordre Richard II, Henry IV en deux
parties, et Henry V. Ces huit pièces forment
le groupe des English histories pour les distinguer des pièces romaines, par exemple.
Toutes les pièces portent comme titre
le nom d’un monarque mais dans chacune,
c’est l’Angleterre qui est aussi l’héroïne du
drame, la réflexion politique est également
omniprésente. L’auteur aborde son sujet
avec une grande liberté de pensée, même si
certains ingrédients se retrouvent de pièce
en pièce : le pouvoir royal est contesté, le
désordre ne cessera que pour peu de temps,
le nouvel ordre sera aussi menacé que le
précédent et l’histoire n’a pas de fin.
Quelles sont les sources
de la pièce ?
L’auteur se sert essentiellement de deux
sources médiévales Les Chroniques de
Froissart et celles d’Holinshed. Il respecte généralement les faits et informations
qu’il trouve dans ces deux sources mais infléchit parfois certaines données.
La vision du personnage de John de
Gaunt est quelque peu modifiée : présentée dans la Chronique d’Holinshed comme
un fauteur de troubles rapace, il devient
dans la pièce un personnage plein de sagesse et de patriotisme, fidèle au roi et à
la conception du monarque de droit divin.
Pour lui la condamnation du roi appartient
à Dieu seul.
Ainsi il dit à la Duchesse de Gloucester
en I, 2 : « (…) je suis contraint de remettre ce jugement à la volonté du Ciel. C’est
lui, quand les temps seront mûrs, qui fera
s’abattre sur la tête des coupables la pluie
brûlante de la vengeance. » Et plus loin
dans la même scène : « Lui-même décida
d’assassiner Gloucester. Il a eu tort, la vengeance appartient alors au Ciel. Comment
oserais-je, moi, défier son représentant ? »
De la même façon, Shakespeare fait
de York un homme réticent à se rallier à
Bullingbrook, il condamne cette rébellion
contre le roi légitime et déclare, en II, 2 :
« Les nobles ont fui. Le peuple glacial se
révoltera, j’en ai peur, en faveur de Hereford ». Il ajoute un peu plus bas : « Je ne
sais plus quoi faire. » On le sent dépassé
par les événements. Tout est devenu absurde. Plus rien n’est à sa place.
Shakespeare donc insiste sur la légitimité du roi, sur le caractère sacré de sa
monarchie et la condamnation de la rébellion qui se met en place.
Pourtant, dans le même temps, l’auteur
ajoute des détails qui insistent sur le mauvais gouvernement exercé par Richard.
Ainsi dès la fin de l’acte I, apparaît
clairement le vrai motif du bannissement
de Bullingbrook : la jalousie. Dans la scène
4, Richard veut tout connaître des adieux
de son rival, il exprime aussi sa rancœur :
« Bushy et moi avons bien observé son
manège avec le peuple. Comment il a su
toucher le cœur du peuple par ses façons
humbles et familières. »
La pièce insiste également sur les actes
de mauvais gouvernement du roi : York révèle, en II 1, l’influence des modes venues
d’Italie, les « contrats pourris » qui font la
honte de l’Angleterre ; la scène 4 de l’acte
I évoque la triste situation économique
du royaume : « Les coffres sont vides : trop
de courtisans, trop de largesses. Je dois
engager des terres de mon royaume pour
engager l’argent nécessaire. » Non content
d’être égaré par ses passions, la jalousie,
Richard mène une politique dispendieuse
qui ruine le royaume et le rend incapable
de financer convenablement sa guerre en
Irlande.
Shakespeare ajoute également la
condamnation par York et Gaunt du gouvernement de Richard. York insiste sur
l’entêtement du roi : « Il n’écoute aucun
conseil. » Gaunt prophétise : « Vaine vanité. Cormoran glouton qui ayant tout avalé
finit par faire de lui-même sa proie. »
21
CRDP
Académie de Versailles
L’auteur insiste particulièrement sur
deux aspects moins présents dans les
chroniques : le caractère sacré et légitime
de cette royauté si mal exercée.
La présentation de Richard dans la
pièce le montre dépourvu des qualités
prônées par Machiavel dans Le Prince.
Au chapitre X en effet, l’auteur rappelle :
« Toutes les fois que le prince aura pourvu
d’une manière vigoureuse à la défense de sa
capitale, et aura su gagner, par les autres
actes de son gouvernement, l’affection de
ses sujets, ainsi que je l’ai dit et que je
le dirai encore, on ne l’attaquera qu’avec
une grande circonspection ; car les hommes,
en général, n’aiment point les entreprises
qui présentent de grandes difficultés ; et il
y en a sans doute beaucoup à attaquer un
prince dont la ville est dans un état de défense respectable, et qui n’est point haï de
ses sujets ».
Ainsi Shakespeare travaille sur ses
sources historiques : son respect général
ne l’empêche nullement d’ajouter deux
idées essentielles et de donner à un personnage totalement absent de la chronique, le Jardinier, le sens moral de la pièce.
Le roi a manqué à sa tâche, il n’a pas su
veiller en bon jardinier au jardin de l’Angleterre. « Une fois par an nous saignons
l’écorce, la peau des arbres fruitiers. Trop de
sève, trop de sang, trop de richesses peuvent nous étouffer. Le roi aurait réservé le
même traitement aux grands de ce monde,
ils auraient vécu pour porter les fruits de
leur dévouement que lui aurait goûtés ».
LE MONDE TRAGIQUE DE
RICHARD II
Réalisme et abstraction : l’espace et le
temps pris par la guerre
Les personnages sont sans cesse en mouvement dans la pièce. Les didascalies sont
peu soucieuses de pittoresque mais elles
respectent les faits historiques et dessinent une véritable géographie.
La scène du duel judiciaire (I,3) se passe à Coventry et l’on retrouve Bullingbrook
rappelé par lui-même de son exil dans le
pays de Galles dans le Gloucestershire en
II 3. Si le banni part puis revient d’exil,
le roi également quitte l’Angleterre pour
l’Irlande et y revient ; il se trouve au château de Barkloughly, à l’acte III, scène 2,
quand son rival campe à Bristol à la scène
précédente. La guerre entre les deux compétiteurs se livre dans le Pays de Galles où
se trouve le château de Flint : c’est dans
la « cour intérieure » de ce château que
Richard rencontre Bullingbrook en III, 3.
L’oscillation tragique fait passer sans
cesse du camp de l’un à celui de l’autre.
C’est l’espace scénique tout entier qui
est la proie de la guerre.
Les déplacements permettent de dessiner une sorte de ballet tragique qui
culmine dans la rencontre de l’acte III : à
ce moment précis, les trajectoires s’inversent. Richard descend vers sa perte fatale quand Henry s’impose.
Les déplacements guerriers du pays
de Galles cessent ensuite et la pièce se
concentre à Londres, lieu du pouvoir d’Henry et de la déposition de Richard. C’est au
centre politique du royaume que se joue
la destitution de l’acte IV : Richard n’est
plus le « centre » politique de son peuple,
il est dépouillé de sa royauté sacrée, même
s’il reste au centre des préoccupations de
l’auteur dans la mesure où il approfondit
son sentiment d’existence.
L’acte V reprend apparemment sur le
mode mineur le tournoiement du complot : les déplacements très brefs entre
les scènes 1 et 2 sont comme une coursepoursuite entre York et son fils Aumerle : le
premier accuse son fils rebelle qui demande le pardon du nouveau roi. De nouveau
recommence la lutte des rivaux, lutte démultipliée, concentrée puisqu’elle se joue
dans la même famille.
Les scènes 4 et 5 de l’acte V nous
éloignent une nouvelle fois de Londres
22
CRDP
Académie de Versailles
afin de montrer la difficulté d’exercer le
pouvoir. Henry tâchait bien de se tenir en
dehors de la culpabilité meurtrière - n’a-til pas pardonné à Aumerle ? En réalité ses
intentions coupables et sanguinaires ont
été comprises et exaucées par Exton, l’assassin. La scène s’éloigne de Londres pour
se transporter au Château de Pomfret dans
le Yorkshire, lieu apprécié du père d’Henry,
John de Gaunt, ironie ultime. C’est dans
cette forteresse que meurt Richard, loin de
Londres, au centre même de sa vie, roi de
ses douleurs.
Tous ces lieux et ces déplacements
sont purement masculins, cours de justice, séance au Parlement, rencontres de
conjurés, scènes de camp : le pouvoir est
définitivement affaire d’hommes. Richard
II compte peu de personnages féminins.
Le jardin est cependant le lieu où nous
rencontrons la reine à l’acte III, scène4.
Mais ce lieu n’est plus le « locus amœnus »
médiéval : la reine le remplit de ses plaintes et surtout y découvre la vérité en surprenant la conversation des jardiniers. Le
lieu de l’amour a disparu, seule reste la
douleur. Dès lors la pauvre reine ne fera
plus que passer, elle s’accroche comme elle
le peut à son mari qui la renvoie au moment des adieux, pauvres adieux du couple royal dans « une rue conduisant à la
tour ». Lieu et moment se lient dans ce
moment de grande douleur : « Ne retardons
plus follement notre séparation » conclut
finalement Richard. Il ne reste plus qu’à
aller au bout du malheur.
Temps et mythe de la destruction
et de la passion dans la pièce.
Bizarrement, alors que le texte prévoit les
lieux du conflit et de la descente au nadir
de Richard, les dates manquent. L’auteur
retient les phases essentielles de cette
lutte à mort entre Richard et Henry, multiplie les ellipses, fait se bousculer la scène
du jugement de Richard, roi apparemment
épris de justice et celle du soupçon tyrannique (I 3 et 4), complète le tableau dès
le début de l’acte suivant avec l’abus de
pouvoir royal et la confiscation des biens
de Lancastre. Ces scènes s’enchaînent dans
une temporalité concentrée qui met l’accent sur la violence du pouvoir et la rapidité de la rébellion qui en est la conséquence. Sitôt parti en exil, Henry Bullingbrook revient et s’empare du pouvoir.
Cette rapidité dans l’enchaînement des
actions dit la violence des désirs, l’impatience des personnages à prendre ou
conserver le pouvoir. La pièce est une longue journée violente dont toutes les phases se succèdent à un rythme haletant :
l’issue ne peut être que fatale.
Bizarrement, une seule date est clairement indiquée, c’est celle du duel judiciaire. La décision de Richard le fixe « à
Coventry, le jour de la saint Lambert ».
Cette date dit bien l’écart entre le monde
de la Grâce et celui de Richard II. Saint
Lambert, évêque de Maestricht mort en
620, fut sous deux rois différents, Childéric puis Pépin, la victime des envieux et
de leurs complots. À chaque occasion, il
se montre un modèle de patience, endure
l’exil sans murmure et finalement la mort
reçue dans la prière. Cette date voulue par
Richard sonne comme un conseil qui ne
sera pas entendu : les ambitieux ne sont
pas patients et se servent quand on leur
fait tort. Le patronage du saint conviendra-t-il mieux à Richard ? Pas davantage,
puisqu’à l’heure suprême le roi déchu se
bat et essaie d’atteindre son adversaire (IV
5). Il meurt en roi, désireux de se battre
et son assassin lui rendra hommage : « Il
avait autant de courage que de sang royal.
J’ai gâché les deux »
Si les dates manquent, les références
aux saisons abondent dans la pièce. Richard bannit son cousin « pour deux fois
cinq étés et leurs moissons » (I, 3) puis
change de saison quand il raccourcit l’exil :
« seulement six hivers glacés ». Ce pouvoir
ne donne pour autant pas au roi la maîtrise
du temps, comme le fait remarquer John
23
CRDP
Académie de Versailles
de Gaunt. Richard est simplement associé
au pouvoir destructeur du temps.
De plus, la pièce joue avec l’écoulement
du temps. Au début de la pièce, Richard
est un roi jeune, comme le signale York à
son frère en II, 1 (« Le roi. Il est jeune.
Sois tendre avec lui. »). Pourtant, la pièce
est marquée par une sorte de vieillissement accéléré de Richard. Dès la captation
des biens de John, les barons mécontents
parlent de lui comme d’un homme fini et
vieux, en fin de règne : « Il n’a pas fait de
guerres. Mais à coups de compromis minables, il a englouti tout ce que ses ancêtres
avaient gagné en se battant » (…) « Roi
dégénéré ». De Richard, on parle comme
d’un homme à bout de souffle. Quand il revient d’Irlande, « un jour trop tard », (III,
2), dans ses propos mêmes, la mort pointe :
« Comment ne pas paraître blanc et mort ? »
dit-il à Aumerle inquiet, en III, 2. Dans le
même temps en sens opposé, Bullingbrook
est marqué par une jeunesse et une vie qui
manquent à Richard. Cette métamorphose
allégorique du roi et de son rival exploite
le thème du temps pour illustrer la courbe
ascendante de l’un, descendante de l’autre.
L’auteur emploiera les figures mythologiques de Phaëton et d’Apollon pour les illustrer en III, 3 : « Phaëton scintillant, c’est
moi. » Dans la même scène, le thème de la
jeunesse a disparu, le temps qui convient
à Richard, c’est celui des funérailles : « Je
veux choisir mes exécuteurs testamentaires. Je veux dire mes dernières volontés.
Mais non, inutile ». Le jeu mythique avec
le temps crée une sorte de mythologie :
la fin de règne de Richard s’accompagne
de tous les phénomènes d’un monde qui
se désagrège : les catastrophes naturelles
se multiplient, « Jour d’orage hors de saison. Les rivières d’argent ont inondé leurs
berges » (III, 2), et l’ordre social se défait
(femmes, vieillards, enfants et bedeaux
même se rebellent, recréant ainsi ce temps
de misrule que connaissait l’Angleterre entre Noël et l’Épiphanie, monde renversé où
les enfants pouvaient commander et où ici
le roi devient un non-roi rejeté de ses sujets). Le roi est ce roi des saturnales que
l’on s’apprête à sacrifier afin de repartir
cycliquement sur d’autres bases, dans une
jeunesse renouvelée. La pièce s’ouvre sur la
jeunesse festive et inconsciente de Richard
mais la figure royale se défait et le roi des
saturnales est sacrifié tandis qu’une autre
figure royale monte sur le trône.
Mais la pièce entre en résonance également avec une autre temporalité : celle
de la Passion du Christ dont Richard va
connaître certaines des stations. À plusieurs passages de la pièce, Richard établit
le lien entre la Passion du Christ et sa propre situation : en III 2, il compare Bagot,
Grenne et Bushy à Judas ; dans la grande
scène de l’acte IV, devant Bullingbrook et
les seigneurs réunis pour orchestrer son
couronnement à l’envers, sa dépossession,
il rappelle les saluts hypocrites de ses
« amis » dans le passé « comme Judas devant le Christ » ; puis il applique la comparaison avec Pilate à ses juges « Ah, comme
Pilate, certains d’entre vous s’en lavent les
mains ». Dans cette scène, le roi est obligé
de supporter les moqueries de Northumberland, une sorte de torture morale, il devient ce roi nu devant tous les autres, ses
bourreaux, perd son visage, dans la scène
du miroir brisé. La scène des outrages sera
suivie du cortège infamant dans les rues
de Londres, rappelant la montée au Golgotha : Richard y rencontre son épouse,
comme Jésus les femmes, et est abreuvé
« d’ordures et d’excréments » V, 2.
La pièce organise donc une temporalité
d’une grande complexité entre jeunesse et
vieillesse, violence galopante, conception
cyclique du pouvoir et vision christique.
Ces dimensions, liées à l’imaginaire baroque, montrent l’extrême faiblesse du pouvoir, et se retrouveront dans d’autres pièces, comme Le roi Lear, mais aussi comme
Roméo et Juliette entre fête de la jeunesse
et de l’amour et tragique cortège final des
funérailles.
24
CRDP
Académie de Versailles
Annexe
Les comtés d’Angleterre
1. Bedfordshire
21. Lincolnshire
2. Berkshire
22. Middlesex
3. Buckinghamshire
23. Norfolk
4. Cambridgeshire
24. Northamptonshire
5. Cheshire (County of Chester) *
25. Northumberland
6. Cornwall
26. Nottinghamshire
7. Cumberland
27. Oxfordshire
8. Derbyshire
28. Rutland
9. Devon
29. Shropshire (County of Salop)
10. Dorset
30. Somerset Bristol à la frontière entre Gloucestshire
11. Durham (County Durham) *
et Somerset, l’armée de Bullingbrook y campe en III,1
12. Essex
31. Staffordshire
13. Gloucestershire retour du Banni Bullingbrook en II 3
32. Suffolk
14. Hampshire †
33. Surrey
15. Herefordshire
34. Sussex
16. Hertfordshire
35. Warwickshire lieu du jugement initial en I, 3
17. Huntingdonshire
36. Westmorland
18. Kent
37. Wiltshire
19. Lancashire (County of Lancaster)
38. Worcestershire
20.*Leicestershire
39. Yorkshire lieu de l’assassinat de Richard en V 5
Scènes situées à Londres :
La mort de John de Gaunt à Ely House II, 1
La destitution de Richard par le Parlement en IV, 1
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CRDP
Académie de Versailles
RICHARD II , LA TRAGÉDIE DU POUVOIR
La pièce s’inscrit dans tout un ensemble
de chroniques historiques consacrées au
pouvoir royal.
Elle permet une représentation des rites du pouvoir et nous fait participer en
direct à son exercice dans quatre scènes
bien différentes .
Les deux premières scènes sont à l’initiative de Richard, les deux suivantes sont
marquées par son progressif retrait.
I, 1, La cour de justice
Elle commence par une déclaration liminaire de Richard, la présentation des deux
partis et de leurs insultes alternées, les défis. Ensuite, seulement viennent les accusations réclamées par Richard. La scène se
poursuit par les encouragements de Richard
à Mowbray puis les dénégations de celui-ci.
Le roi s’engage personnellement en demandant la fin de la querelle et le pardon mais
essuie les refus des deux seigneurs et fixe
finalement la date de l’ordalie.
I, 3, L’ordalie et le bannissement
L’ordalie débute par les questions du Lord
Marshall à Aumerle sur les préparatifs des
champions, ils sont ensuite solennellement interrogés et déclinent leur identité
et leurs griefs, l’accusé puis le plaignant.
Devant le roi, les champions s’expriment
et le lord Marshall engage le combat dans
les formes. La suspension d’armes suit le
geste du roi de jeter à bas son « bâton »
et, après un moment consacré au conseil,
intervient la décision de bannissement annoncée aux parties avec serment devant le
roi d’obéir.
L’envoi des plénipotentiaires, III
Bullingbrook tient conseil de guerre devant le château où s’est replié le roi et y
envoie Northumberland porteur d’un message. De loin, il observe la rencontre entre
le roi et son envoyé, la scène nous fait
assister ensuite, après les réflexions dé-
senchantées de Richard, à l’entrevue entre
les deux rivaux.
La séance au Parlement et l’abdication,
IV, 1
Elle commence par un moment de vérité
mais aussi de désaccord puisque les affirmations sont contradictoires. Bagot,
ancien favori de Richard, accuse en effet
Aumerle : responsable de la mort de Gloucester il s’est réjoui du bannissement de
Bullingbrook. Ainsi se reproduit la scène
liminaire de la pièce puisqu’Aumerle demande immédiatement le duel judiciaire
afin de répondre aux outrages. Des cartels
sont ensuite lancés contre lui par d’autres
lords ralliés, seul Surrey se range à ses
côtés. Toute vérité s’avérera finalement
impossible à établir : la mort de Norfolk
empêche toute révélation fiable.
Elle se poursuit par l’opposition de l’évêque de Carlisle. Opposé à l’usurpation pour
des raisons théologiques, il expose avec
courage sa vision mais se heurte aux motivations purement politiques d’un Northumberland qui viole la dignité épiscopale en
le faisant arrêter pour haute trahison.
Le troisième moment de la scène est
constitué de l’abdication proprement dite.
Shakespeare reprend un geste du sacre
mais le renverse. La couronne posée sur
la tête du roi pendant le sacre est ici donnée par Richard à son cousin et passe de
main en main. L’ancien roi se voit ensuite
contraint d’accepter une forme de procès
en lisant les accusations portées contre
lui et qui sont autant de légitimations de
l’usurpation. Les derniers échanges sont
le premier reniement de Bullingbrook : il
jure d’accorder sa demande à Richard mais
transforme son désir de départ loin de la
cour en enfermement.
Les quatre actes du pouvoir sont donc
très liés à l’exercice de la justice. Il s’agit
d’abord de justice rendue par le roi dans
une affaire de trahison, le roi se veut alors
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CRDP
Académie de Versailles
arbitre à l’acte I. La décision apparaîtra
injuste. La justice peut aussi s’entendre
autrement : les sujets mettent leur monarque en accusation et rendent illégitime un
roi légitime ; le banni entre en rébellion à
l’acte III et lance son ultimatum au roi ; à
l’acte IV, les accusations lancées contre le
fidèle Aumerle servent à légitimer l’usurpation et les paroles de Carlisle n’empêcheront rien, le procès du roi peut alors
se tenir, il est finalement condamné. Le
parcours est donc complet : le roi d’arbitre
est devenu accusé, coupable condamné ; la
couronne a changé de main et le monde a
changé d’ère puisque la conception théocratique du roi comptable devant Dieu seul
a volé en éclats. Le roi est « couronné »
non-roi, « unkinged ».
Le moment de la crise initiale. Les ombres du pouvoir. Envie et mimétisme
La pièce porte sur scène la crise du pouvoir. L’un de ses aspects est conjoncturel,
l’autre s’est construit dans la durée.
Le règne des favoris
Le roi Richard est entouré de favoris et règne sur une cour dont il mesurera trop tard
le caractère profondément hypocrite : « Je
me souviens encore des faveurs de ces hommes. Ils étaient à moi, non ? ils me criaient
bien : Salut à toi ? » (IV, 1)
Ces favoris accompagnent toujours Richard à l’acte I, ce sont Bushy, Greene et
Bagot, mais aussi Aumerle. Le roi leur fait
jouer le rôle d’espions : Aumerle témoigne
ainsi des adieux entre Bullingbrook et son
père. Les favoris orientent également la
politique royale et Greene lance Richard
dans la guerre d’Irlande : « Le voilà parti.
(…) aux insurgés d’Irlande maintenant ».
Ils semblent disposer d’une réelle autorité
dans leurs conseils et c’est cette influence
que veut briser le vieux John de Gaunt
dans la première scène de l’acte II.
Flatté par ses favoris, le roi ne supporte
aucune contradiction : les « explosions de
rage et (…) flambées de violence » le caractérisent ; Gaunt n’en a cure au moment
de mourir, il veut bien courir le risque d’affronter cette arrogance.
Ce règne des favoris est en réalité lié
à une situation tragique qui condamne le
pouvoir.
Un exercice contestable du pouvoir,
expression de la crise morale qui affecte
l’Angleterre.
John de Gaunt la révèle dans sa dernière grande scène . Cette crise est liée à
un exercice contestable du pouvoir qui défigure le pays. Le texte oppose en effet les
termes qui faisaient de l’île, dans un passé
mythique et sacré, un monde clos, fermé,
une « citadelle », un « autre Éden », jardin de Paradis, « monde en miniature »,
terre sacrée dans sa vocation à se mettre
par sa chevalerie « au service du Christ ».
Le texte reprend alors certains des accents
de L’Apocalyspe de Jean pour évoquer la
Jérusalem céleste sur le modèle de laquelle paraît conçue cette Angleterre sans
tache et rayonnante. Ce monde voué à
l’idéal chevaleresque chrétien est sauvé de
la « jalousie des terres moins heureuses »,
et il fait le « bonheur de cette race d’hommes ». La vision sacrée pourtant s’écroule,
elle n’est plus qu’une référence à un passé
défunt. La vision théologique rejoint en
effet la critique politique : le roi présent
n’est pas celui qui peut faire de l’Angleterre ce « Royal pays des rois ». Le vieil homme met alors en cause le principe du mal :
l’envie, le désir de richesses qui conduit à
violer la justice pour s’accaparer le bien
d’autrui. Il évoque les « contrats pourris
(…) parchemins souillés d’encre ».Tout
cela est véridique : car nous avons entendu
les amis du roi et Richard lui-même. Dans
la scène 4 de l’acte I, ce dernier a reconnu
cyniquement : « Les coffres sont vides :
trop de courtisans, trop de largesses. » Il
a proposé un « programme détestable » :
« engager des terres de mon royaume pour
trouver de l’argent », « signer des ordres de
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Académie de Versailles
paiement en blanc » et, en dernier ressort,
emploie l’exaction caractérisée en prenant
l’argent chez les riches sujets du royaume.
Ce programme, il le mettra en pratique à
la mort de John de Gaunt en s’appropriant
la succession des Lancastre, grâce à l’exil
de l’hériter.
Ce culte de l’envie, ce désir mimétique
défigure le pays et le condamne. « Le désir
boulimique nous étrangle », il menace de
détruire le royaume. Et John le révélera
sans ménagement à son roi, en condamnant également le règne des « mille flatteurs » attentifs eux aussi à servir leurs
désirs personnels : « Tu as fait de ton pays
pas moins que ton lit de mort sur lequel tu
es couché, atteint dans ta propre gloire. »
Mais afin que le tableau soit complet,
la crise qui couve va trouver à s’incarner de
manière manifeste dans l’affaire Bullingbrook.
La crise conjoncturelle : les accusations
de Bullingbrook.
Shakespeare choisit comme point de
départ de la pièce un moment de crise lié
à l’absence de justice : le duc de Gloucester
a été assassiné et son meurtre n’a pas été
puni. Les proches sont tenus au devoir de
vengeance mais n’ont pas agi par loyalisme
envers la condition sacrée du roi, par peur
aussi. Le meurtre est scandaleux mais John
de Gaunt n’ose pas agir car « l’assassin était
le représentant de Dieu, et son élu. Sacré
à ses yeux. Lui-même décida d’assassiner
Gloucester ». Le vieil homme s’en remet au
ciel et à son fils qui ose porter la querelle
devant le roi en accusant Thomas Mowbray
de trahison envers son roi et d’implication
dans la mort de Gloucester.
Faute de pouvoir s’en prendre directement au roi, Bullingbrook entre dans la surenchère verbale avec Mowbray et demande
l’ordalie pour faire triompher le Droit.
La situation du roi apparaît comme difficile : il ne veut pas du duel judiciaire. La
situation et très dangereuse pour lui ; la
victoire de Bullingbrook contre Mowbray
ferait peser la suspicion sur sa propre responsabilité, il préfère dès lors incriminer
la violence inacceptable des nobles toujours prêts à en découdre. Richard se présente comme le sage désireux d’apaiser les
tensions : « Il faut vider cette passion sans
verser une goutte de sang. Je ne suis pas
pourtant médecin, mais c’est ma façon à
moi de vous soigner. » Il est le lion qui
« dompte les léopards » (I, 1). Il prêche
hypocritement le pardon des offenses
et l’amnésie : « Cher oncle, qu’on efface
tout. » Dans la suite, il refuse l’ordalie qu’il
avait pourtant acceptée et rend un verdict
étonnant : l’exil pour les deux hommes, de
durée différente.
Cette justice apparaît injuste : l’exil
frappe les deux ennemis, différencie les
peines, semble donner raison à Bullingbrook en n’imposant qu’un exil temporaire
au lieu de l’exil perpétuel infligé à Mowbray. Cela semble une demi-justice : le roi
a sacrifié Mowbray sans vouloir vraiment
donner raison au plaignant. C’est que l’occasion est belle de se débarrasser d’un
cousin bien gênant. Dans cette affaire, la
justice n’a en fait été qu’une parodie et
l’arbitraire l’a emporté.
C’est que le roi est agité par des passions bien humaines, la plus terrible pourrait bien être encore l’envie. Seule l’envie
permet de comprendre pourquoi Richard,
qui a autorisé le combat, l’interdit subitement. En effet, Bullingbrook a manifesté
le bonheur d’une âme pure de toute culpabilité, il incarne de ce fait un reproche vivant et insupportable pour Richard : « Je
vais à la mort et n’en suis pas malade. Je
me sens fort et jeune, et gai. Ah ! je respire. » (I, 3) Il invoque avec piété son père
au nom duquel il combat, il vit alors une
forme de plénitude qui fait bien de l’ombrage à un souverain susceptible.
La suspension d’armes est finalement
non un acte de justice mais un acte despotique qui frustre les consciences d’un
combat qu’elles désiraient, et surtout qui
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CRDP
Académie de Versailles
enlève toute occasion à Bullingbrook de
faire la preuve de sa valeur.
Sous couvert de paix civile (« Je veux
éviter la haine du spectacle terrible d’une
guerre civile entre voisins qui se labourent le ventre à coups d’épée »), Richard
reprend la main, évite l’étude du cas de
Gloucester et finira par manifester sa rivalité envieuse dans la scène 4 ; il voulait à
toute force se débarrasser d’un personnage influent, aimé du peuple, préféré sans
doute des petites gens et dépeint par ses
courtisans-espions : « Bushy et moi avons
bien observé son manège avec le peuple.
Comment il a su toucher le peuple par ses
façons humbles et familières. Allant jusqu’à
saluer respectueusement des esclaves. »
Le « désir boulimique » de pouvoir
rend le roi sourd à toute réflexion. Il ne
peut ni ne veut entendre les très sévères
reproches de son oncle de Gaunt (II,1)
et la seule règle politique est la fuite en
avant : c’est la captation sans états d’âme
de l’héritage des Lancastre. Dès lors la position de Bullingbrook change vis-à-vis de
Richard : il était au départ le contradicteur
de Mowbray, il devient ensuite le rival de
Richard lui-même dans deux causes, l’une
– privée ­ – retrouver son patrimoine saisi
indûment : « Je suis venu chercher ce nom
de [Lancaster] en Angleterre et je veux t’entendre dire ce titre avant de répondre »…
« C’est moi en personne qui réclame l’héritage qui m’appartient » ; l’autre cause, publique, fait de lui le champion de la justice
face à un pouvoir corrompu : dans la même
scène 3 de l’acte II, Bullingbrook invite finalement son oncle York à l’accompagner
à Bristol : « Viens avec nous au château de
Bristol tenu par Bushy, Bagot et leurs complices. Parasites de la nation que j’ai juré
d’éliminer et d’arracher. »
Richard II propose une vision
du pouvoir
Les deux trajectoires
La pièce propose deux trajectoires royales
inversées, de l’acte I à l’acte V, Richard II
descend progressivement toutes les marches de ce que Ian Kott nomme le « grand
escalier » du pouvoir. Acteur de l’histoire à
l’acte I par ses décisions de justice, bourreau de son cousin de Hereford, il finit
broyé par le « mécanisme » du pouvoir et
en devient la victime, assassiné dans ce
même château de Pomfret où Richard III
assassinera lui aussi. L’acte IV fait de lui
ce roi – non-roi –, ce « king unkinged »,
néologisme de Shakespeare pour parler de
celui qui est dépossédé de sa royauté sans
cesser d’être roi.
À l’inverse, Henry de Hereford, Lord
Bullingbrook, de la famille de Lancastre,
commence victime du pouvoir, exilé pour
six ans, pour s’élever finalement à la dignité royale et recommencer ainsi un cycle, celui du périlleux et criminel exercice
du pouvoir.
La pièce se construit donc sur une
structure simple : le souverain légitime est
haï de ses anciens soutiens en raison de
ses injustices, son désir d’autorité ne fait
que renforcer la haine des opposants. Le
duc exilé revient pour défendre son bon
droit et, le droit violé, les opposants du roi
se rallient à lui. Mais la prise du pouvoir
reproduit la situation initiale : le nouveau
pouvoir lui aussi criminel mécontente,
suscite des révoltes, des complots comme
celui d’Aumerle, de Carlisle et de l’abbé de
Westminster (IV, 1) né dès l’annonce du
couronnement de Bullingbrook.
À la fin de l’acte V, les jeux sont déjà
faits, les fruits du nouveau règne sont
pourris : Richard est assassiné et six têtes
coupées sont « expédiées » à Londres par
les serviteurs zélés du nouveau souverain,
Northumberland et Fitzwater. (V, 6). Les
opposants sont sacrifiés à la sécurité du
nouveau monarque.
Les deux trajectoires sont en définitive la
même histoire réécrite pour deux hommes
différents à quelques années de distance.
Rien ne change et c’est peut être aussi
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pour cela que la chronologie est si floue :
Shakespeare nous plonge dans la « nuit
noire et impénétrable de l’histoire », comme le note Ian Kott.
D’une pièce à l’autre s’écrit la même histoire tragique portée par des Henry, Richard, Édouard, Northumberland, Gloucester. Seuls les numéros des rois changent.
Dans la pièce s’effondre
devant les yeux des spectateurs
la vision médiévale du roi
Le roi sacré
La pièce commence dans la lumière du roi
sacré en plein exercice de ce pouvoir de
Justice dont il est dépositaire.
Le roi a le juste orgueil de son pouvoir
et se sent capable de démêler l’écheveau
des accusations contradictoires
« Eh bien ! Appelle-les devant moi.
Face à face.
Confrontation.
Je les écouterai parler librement, accusateur et accusé ».
Les seigneurs multiplient les paroles
d’allégeance et protestations d’amour, à ce
moment paroles sincères et flatteries. Cet
amour est lié à une vision cosmique du roi,
centre du bonheur, objet des souhaits qui
permettront à l’harmonie sacrée de durer :
« Ah ! Toujours plus de bonheur pour toi
chaque jour. Bonheur sur terre à rendre le
Ciel jaloux et ta couronne immortelle » renchérit Mowbray. Le pouvoir immortel du roi
renvoie à une conception sacrée du temps :
le roi participe du temps sacré, distinct du
temps historique et contingent. John de
Gaunt permet de mieux comprendre cet
idéal dans la scène 1 de l’acte II quand
il évoque ce monde mythique de stabilité et de protection, centré et rayonnant
qu’est l’Angleterre fidèle à son Dieu sous la
conduite d’un roi « image de Dieu ».
Afin de dire ce pouvoir salvateur et unificateur, pont entre les hommes et Dieu,
la métaphore du soleil apparaît plusieurs
fois dans la pièce : en III, 3, Bullingbrook
découvre Richard en haut des murailles du
château « Richard en personne apparaît.
Soleil rouge irrité à la porte rougeoyante de
l’orient », et Richard partage cette vision,
Ainsi le roi est-il l’élu de Dieu et l’évêque Carlisle en rappelle la conception dans
la grande scène 1 de l’acte IV. « Le roi est
l’image de la grandeur de Dieu. C’est son capitaine, son représentant, son élu. Il est sacré, couronné, établi depuis si longtemps ».
Cette conception repose sur l’idée d’un
choix de Dieu qui s’implique dans l’histoire
d’un peuple et incarne sa présence dans le
corps d’un homme. Le roi Richard « image
de la grandeur de Dieu » est un révélateur.
L’acte qui consacre, c’est précisément le
sacre qui a donné au roi et à son propre
corps une dimension transcendante. Pendant la cérémonie du sacre, le roi a reçu
« l’onction sacrée », « le sceptre », symbole de son autorité, il a reçu également
l’onction dont Richard dira : « Toute l’eau
de la mer déchaînée ne pourrait laver l’huile
de l’onction du roi ».
Cette conception médiévale du corps
sacré du roi, l’évêque la rappelle dans sa
tirade solennelle. Il affirme le caractère
impossible de toute usurpation, en définitive un sacrilège, met en garde contre
les tragédies qu’engendrerait cette rupture
de l’Ordre qui réconcilie Dieu et les Hommes dans la personne du roi. La parole se
fait alors prophétique : « Couronnez-le et
je vous annonce. Le sang anglais servira
de fumier. Acte fou. Écoutez déjà gémir le
futur. » L’évêque en appelle à l’action de
Dieu lui-même qu’il apostrophe : « Dieu. Tu
dois empêcher qu’un pays chrétien se montre si noir, si haineux, si obscène. »
Pourtant la pièce de Richard II est l’histoire d’une usurpation légitimée, d’une
longue fuite en avant qui tue l’idée de la
monarchie médiévale.
La crise de la pièce est justement
celle où « un roi sacré est réduit à cacher
sa tête » et si Bullingbrook emploie bien
pour parler de Richard la métaphore du so-
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CRDP
Académie de Versailles
leil c’est pour envisager son coucher dans
la querelle mimétique et cosmique qui les
oppose : « Soleil rouge irrité à la porte rougeoyante de l’Orient. L’ombre jalouse des
nuages va effacer son éclat ; salir sa trace
brillante en direction de l’Occident. » Dans
l’espace, les éléments rivaux se font bien
la guerre et pour Richard la course va inéluctablement vers l’ouest, le déclin.
La pièce montre comment l’idée théologique médiévale s’efface peu à peu. Le
rejet sera, comme toute chose, mimétique,
désir de changement, sentiment partagé
et validé par l’usage, ainsi que le faisait
remarquer John de Gaunt : il parlait des
flatteurs et des modes, mais l’idée de la
royauté est une pensée dont les personnages se déprennent sous nos yeux. « Le
monde s’entiche d’une bêtise, on s’empresse de rapporter le bruit qu’elle fait.
C’est rien mais c’est nouveau. Et c’est ce
qui compte ».
Tout commence par les récriminations des
lords indignés par le sort de l’un d’entre eux
et dans lesquelles il faut voir la peur de subir
le même sort. Sourd aux remontrances de son
oncle York, Richard persiste dans son désir de
« prendre [la] vaisselle, ses biens, [l’] argent
et [les] terres » de son oncle défunt (II, 1).
Le roi parti, les langues se libèrent encouragées par Northumberland, témoin de la mort
du vieux John. À la condamnation expresse
de la décision s’ajoute une peur personnelle :
aucune famille n’est à l’abri de la convoitise
royale alimentée par les flatteurs : Northumberland évoque « leur haine pour dénoncer
n’importe qui d’entre nous et le roi engagera
des poursuites contre nous, nos vies, nos enfants et nos biens ». La répétition des personnels et possessifs de première personne
montre bien cette méfiance vive à l’encontre
du pouvoir. Les soutiens du roi se sont déjà
désolidarisés de lui.
L’usurpation est désormais en marche,
elle existe dans les cœurs, elle paraît dans
le vocabulaire de Northumberland dès le
départ insultant pour autoriser mieux la
révolte. Les premiers ralliés rivalisent dans
ce domaine : le roi fait « des compromis
minables » pour Northumberland, pour
Willoughby « c’est un homme fini », Northumberland en rajoute en le traitant de
« roi dégénéré ». Ce crescendo de haine
permet de passer à la phase suivante : la
révélation par Northumberland du retour
du grand banni. La scène montre bien comment se met en place l’oscillation violente
entre le roi et ses lords : la guerre est en
cours, le royaume désaccordé, le désamour
a remplacé l’harmonie.
Le désamour envers Richard s’accompagne de déclaration d’amour envers son
rival et futur successeur : c’est chose faite
dans la scène 3 de l’acte II, Northumberland s’y emploie et aussi le jeune Percy,
son fils, avec beaucoup de fraîcheur. Désormais le camp et choisi, la menace de
l’exaction royale s’éloigne et Bullingbrook
s’engage et aliène l’avenir : « Le pauvre
ne paie qu’avec des mercis ; Et tant que je
n’aurai rien d’autre, je vous paierai largement avec. »
Afin de donner des gages au nouveau
champion que les lords se sont choisis,
Northumberland s’emploie à dépouiller
Richard de tous ses titres, il parle de lui
comme d’un criminel « Richard cache sa
tête pas loin d’ici », (III, 3). Dans sa rencontre avec lui, il omet délibérément les
marques de respect, fait attendre l’agenouillement ; la « crainte sacrée » due au
roi a disparu. Enfin, dans la grande scène
de l’acte IV, le même Northumberland se
montrera acharné à traiter le roi en criminel, insistant afin qu’il reconnaisse ses
crimes, sans la moindre humanité.
La monarchie médiévale avait donc
doublement vécu : attentif à son intérêt,
jaloux et concupiscent, le roi avait visiblement trahi l’idéal qui faisait de lui le
représentant de Dieu parmi les hommes.
Mais ses sujets ne valent pas mieux. Le
trio des barons révoltés Northumberland
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Académie de Versailles
Ross et Willoughby, comme le trio maléfique de Bagot, Bushy et Greene, affligés
des mêmes tares, sont prêts à tuer pour les
bonnes grâces d’un souverain, pour défendre leurs biens. Tous ont sacrifié au Dieu
de l’Utile, autrement dit de l’Argent et du
Pouvoir. Tous sont bien les fils de leur époque, ceux pour lesquels Machiavel écrivait
Le Prince. Et du reste, John de Gaunt ne
parlait-il pas des modes pernicieuses venues d’Italie : « Ces modes qui nous viennent de la belle Italie et que notre nation
à la traîne se met à singer. Imitation boiteuse et lamentable ».
Décidément dans le domaine des idées,
la monarchie médiévale n’est plus de mode
et dans la scène 1 de l’acte IV celui qui
la défendra, l’évêque de Carlisle, sera tout
bonnement considéré comme coupable de
haute trahison quand il signale le risque
de violence infernale qu’induirait la déposition de Richard. Cependant, afin d’éviter
le sacrilège, Bullingbrook fera tout pour
transformer la déposition en abdication
volontaire, recueillant le consentement du
roi transformant la mesure en acte légitime ; il demande à Richard : « Mais acceptestu d’abdiquer la couronne ? » On voit bien
que l’acte n’est pas le même pour Bullingbrook et ceux qui le soutiennent : le duc
de Lancastre tient à fonder une nouvelle
dynastie et veut reprendre à son compte
l’idée dynastique dont ses alliés se sont
visiblement affranchis : les lords peuvent
apparemment faire et défaire les rois…
Le pacte social et politique sur lequel
reprend la royauté est donc passablement
bancal et désaccordé.
En définitive la pièce fait découvrir
l’extrême difficulté dans l’exercice du pouvoir.
Bullingbrook hérite de toutes les difficultés dès son investiture, il l’avoue à son
rival défait dans un moment d’abandon
et de communion avant que, de nouveau,
tout les sépare : « Tu me donnes une part
de tes angoisses avec ta couronne. » Dès ce
moment, son étoile pâlit même quand le
« non-roi Richard » appelle sur lui « soleil
soleil des années durant ». Le sang des amis
de Richard a coulé, lui-même ira en prison
à cause de la défiance de Bullingbrook, incapable de croire que son cousin veuille
honorer sa parole : « Je m’en irai pour ne
plus jamais te déranger. » Les hommes ne
semblent capables de reproduire que leur
propre violence, ils projettent leurs craintes sur autrui, habitués qu’ils sont à ces
relations depuis leur plus jeune âge. la réponse de Bullingbrook « Emportez-le à la
tour » montre bien l’image qu’il se fait du
pouvoir. La justice ne sert qu’à asseoir sa
propre sécurité et chosifie l’autre jusqu’à
le tuer, sans en avoir l’air, en en donnant
l’idée à un serviteur zélé.
Ainsi la boucle est-elle bouclée : aucun
roi n’échappe à la culpabilité. Dans la querelle des doubles mimétiques a disparu la
Justice, seule reste la Force légitimée au
profit des intérêts des plus puissants.
Dans ce drame du pouvoir aux accents
métaphysiques, il est juste de parler dans
les derniers vers de Caïn, meurtrier d’Abel
et père des premières Villes, donc de la Civilisation. Le meurtrier est assimilé à Caïn :
« Avec Caïn va errer dans les ombres de la
nuit » ; le roi criminel n’a plus qu’à dire sa
souffrance, sincère, et qu’à expier devant
Dieu, dans l’incapacité de tout homme de
sortir de ses contradictions et conditionnements.
« Je vais partir en Terre Sainte pour laver mes mains coupables de tout ce sang ;
suivez-moi tristement. Honorez mon deuil.
Pleurez en suivant ce cercueil prématuré. »
Ce départ dit le désir de trouver enfin le centre, cette pleine réalité de l’être
qu’est le contact avec la Terre Sainte, ce
centre du monde chrétien. Ce contact se
fera dans un pèlerinage de deuil et de repentir. Le roi, devant les contradictions
du pouvoir et les errements humains, est
voué à la nostalgie, il ne peut que chercher l’amour qu’il se sent déjà totalement
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impuissant à donner à ses peuples. Il rejoint dans ce dénouement le parcours qui
semble avoir été celui de Thomas Mowbray
lui aussi parti combattre pour Jésus Christ
et mort dans la terre du repos, l’Italie,
dans la « terre aimante de ce beau pays, il
a donné son âme au Christ, capitaine dont
il a si souvent défendu les couleurs ».
La réflexion sur le pouvoir conduit finalement à la mise en question, et presque
en accusation, de celui-ci. La monarchie
absolue de Richard était illusion, la royauté de Bullingbrook, appuyée sur les barons
paraît instable et violente. Même si leur
pouvoir semble contrecarrer l’absolutisme,
la violence des barons est là. Les deux
systèmes sont finalement renvoyés dos à
dos.
Le roi Richard
Un roi jeune dans la lumière du pouvoir
le roi Richard est monté sur le trône à
l’âge de dix ans ; au moment de la crise de
1497-1499, il est, à 31 ans, encore jeune
et la pièce conserve certains aspects de
cette jeunesse.
Richard aime les plaisirs : sa cour lui
coûte cher, « trop de courtisans, trop de
largesses » confie-t-il à Green en I, 4. Cette cour l’accompagne sur le théâtre, elle
compte ses fidèles amis, son oncle York,
Aumerle, le fils de celui-ci, Bushy, Greene
et Bagot, Scroope, également, d’autres nobles et la reine.
Roi jeune, il va d’une activité à l’autre
et accueille avec ardeur la perspective de
la guerre proche : « Je vais en personne
mener cette guerre. (…) Je pars immédiatement pour l’Irlande » lance-t-il dans la
dernière scène de l’acte. Il voit donc dans
la guerre un divertissement royal, une occasion d’aventures qu’il accueille avec plaisir mais aussi sans particulière réflexion.
Ce roi jeune est aussi un roi amoureux. Richard est le roi d’une très jeune
reine. On a peine à croire que Shakespeare
ait respecté son âge réel, dix ans à peine.
En fait, il s’agit ici d’un jeune couple royal
qui va sous peu être séparé. « Viens ma
reine. Nous devons demain nous séparer.
Sois gaie. Il nous reste si peu de temps. »
La séparation sous le signe de la précipitation est pour le roi appel au plaisir.
Richard connaît également deux caractéristiques de la jeunesse : confiance excessive et besoin d’être conseillé. En effet, il semble agir poussé par ses amis, en
particulier Greene qui le lance dans l’aventure irlandaise, il ne manque pas non plus
d’assurance, notamment dans la première
scène de l’acte I, où il parle avec autorité à son oncle John de Gaunt, prend au
sérieux les devoirs de sa charge, annonce
à l’avance sa manière d’agir, respectueuse
du droit : « Je les entendrai parler librement
accusateur et accusé. »
Pourtant dans son comportement envers les lords, il semble ne pas avoir une
complète mesure des rapports humains.
En effet, il ironise sans tact sur les révélations de Bullingbrook en parlant de sa
« dernière accusation fracassante » et de
sa « détermination impressionnante » et
ne semble pas voir à quel point est naïf
son rêve de réconciliation après les insultes échangées entre Mowbray et Bullingbrook.
C’est que peut-être l’attitude de roi
attentif n’est qu’une façade : il dévalorise la cause de Bullingbrook et laisse
paraître une forme de parti pris en faveur
de Thomas Mowbray. Il multiplie les assurances données à l’accusé et révèle aussi
son orgueil : « Sur l’effroi de mon sceptre,
je promets que même étant si proche de
mon sang sacré, jamais il ne sera privilégié
ni ne me fera oublier mon inflexible droiture, mon intégrité. » Cet orgueil, on le
voit, prend sa source dans la conception
théologique du roi : il se veut expression
absolue de la justice, immuable et inflexible comme la divinité. Ces qualités, il
croit les posséder. De cette conception il
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CRDP
Académie de Versailles
use comme héritier sans s’être réellement
sans doute penché sur elle, sur les devoirs
profonds qu’elle crée. Il est le propriétaire d’une vision qui, mal gérée, ne lui
sera d’aucun secours au temps de l’épreuve. Pour le moment, le jugement rendu à
l’acte I manquera de courage : condamner
Mowbray à l’exil à vie semble donner raison dans la querelle à son accusateur : en
condamnant également Bullingbrook il
abaisse son jugement et le rend incompréhensible, ou plutôt il révèle ce qu’il en
fait : une arme contre les Lancastre.
Centré sur lui-même et pénétré de
l’importance de sa personne, Richard en
effet connaît l’envie et tombe dans un
travers qui lui sera fatal : le cynisme né
du sentiment qu’il peut prendre toutes les
décisions, même les plus arbitraires. Il se
satisfait pleinement de cet exil qui l’a débarrassé de Bullingbrook en qui il voyait
un dangereux rival, un « souverain des
cœurs » gênant. De même, informé à la fin
de la scène 4 de l’acte I de la maladie du
vieux John de Gaunt, il quitte rapidement
le théâtre avec une parfaite inhumanité.
Déjà il voit tout le parti à tirer de ce décès annoncé : « Ses coffres bien remplis
offriront des manteaux à nos soldats en Irlande. » Cette brutalité, nous la retrouverons à l’œuvre face à John à l’acte suivant.
Cette absence de réflexion politique inquiète, le roi semble ne pas mesurer où
il va.
Gêné et offusqué des cinglantes accusations du vieux John, il réagit en retour
avec même agressivité : « Et meurent les
vieux et les amers » puis emploie le sarcasme et l’ironie, révélant lui-même ses propres sentiments envers les Lancastre : « Tu
as raison. Il m’aime comme Hereford. Et
moi aussi je les aime tous les deux. » Aucune parole de compassion à l’annonce du
décès et tout de suite après les décisions
qui tombent, brutales : « En conséquence
je réquisitionne la vaisselle, l’argent, les
rentes et les meubles qui appartenaient à
mon oncle John. » On pense presque aux
divagations d’un Ubu. Le sens du langage
échappe au roi qui en fait un usage désastreux.
Finalement quelle image de ce jeune
roi ? Impétueux, sûr de lui et très fragile,
pressé, centré avant tout sur lui-même et
la conscience de son importance, il aborde les autres et la vie comme une fuite
en avant irréfléchie, et il se conduit en
tyran par ses décisions arbitraires.
Le temps de l’épreuve
Elle commence dès la scène 2 de l’acte II
puisque les soutiens du roi s’effondrent :
la reine a de sombres pressentiments ;
York des états d’âme et les trois favoris,
informés de la haine qui monte dans le
royaume, courent s’enfermer chacun dans
un château, sûrs d’une chose : « Le seul
petit service que la meute cruelle du peuple voudra bien nous rendre sera de nous
déchiqueter tous. »
Quand nous retrouvons Richard sur le
théâtre, le vent a tourné : York est rallié ;
Northumberland et ses amis sont d’actifs
soutiens pour Bullingbrook revenu d’exil ;
Bushy et Green ont été « apportés » devant leur vainqueur (III, 1) et sont allés
vers leur fin.
C’est dans la scène 2 de l’acte III que
pour la dernière fois Richard exprime sa
vision théophanique de la royauté juste
avant le basculement. Ce moment va être
le passage de l’Illusion à la réalité. Dans
le premier mouvement de la scène Richard
entonne l’hymne de sa hiérogamie avec la
Terre d’Angleterre. Mère-Époux, il retrouve
sa terre : « Je suis une mère trop longtemps
privée de son enfant.(….) Je te retrouve ma terre. Je te caresse de mes mains
royales. Terre douceur. Ne te donne pas à
mon ennemi. Ne donne pas tes plaisirs à
son désir rapace. » Mais les imprécations
de Richard, qui appellent les forces de la
Terre à combattre pour lui contre son ennemi, semblent celles d’un fou : « Non, ne
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Académie de Versailles
riez pas : cette terre va s’animer. On verra
ces pierres devenir des soldats armés pour
empêcher leur roi de tomber sous les coups
tordus de la rébellion. » Le roi reste dans
une vision surnaturelle que ses proches
ne partagent plus : Aumerle, lui, parle de
troupes et d’armées bien plus concrètes
quand Richard parle de lutte cosmique et
théophanique : « Pour chaque homme enrôlé par Bullingbrook (…) Dieu recrute un
ange de gloire à la solde de Richard. (…)
Le ciel est du côté du droit. »
Mais le plus grand effondrement est celui qui se produit dans la conscience du roi
lui-même. Redire son credo de roi sacré ne
peut contenir le doute qui vient ; sa pâleur extrême devant Salisbury porteur de
mauvaises nouvelles signe la défaite de la
pensée.
Le basculement du roi se fait dans une
seule scène, dans un temps d’une grande
brièveté : l’apparente confiance se brise,
l’orgueil reçoit l’épreuve des faits : il apprend la désaffection des troupes au profit
de l’ennemi ; le ralliement à la guerre civile des êtres les plus faibles de la société,
signe de la désaffection totale de la population à la couronne (de vieux barbons
ont armé leur petit crâne chauve contre toi.
Des gamins efféminés essayent de faire la
grosse voix… Jeunes et vieux se rebellent »
III, 2) ; la « paix » des favoris, ou plutôt
leur mort à Bristol. Le rival Bullingbrook
l’a emporté dans les cœurs et l’avenir promis à Richard est celui du bouc émissaire
dont on se débarrasse dans une parfaite et
violente unanimité : « La colère de Bullingbrook déborde et recouvre ton pays épouvanté de l’éclat tranchant de l’acier. (…)
jeunes et vieux se rebellent. Et pire encore… imposible de dire à quel point. »
Le dernier mouvement de la scène est
celui dans lequel Richard tire lui-même les
leçons de cette totale désacralisation.
La grandeur de la désacralisation
Paradoxalement, c’est au moment où Richard n’est plus rien qu’il retrouve toute
sa grandeur, sans doute parce que, cette
grandeur était un placage emprunté, un
discours sans vérité.
Il la trouve parce que pour la première
fois, il trouve un interlocuteur à sa mesure
et à la mesure de son malheur : Dieu, dont
jusque-là il se prévalait mais auquel il ne
parlait jamais. « Dieu d’amour. Assis par
terre je veux raconter la triste histoire de la
mort des rois. » On pense au Livre de Job.
La parole qui jusque-là était autoritaire, ironique, sarcastique se fait alors
lyrique pour parler de ces malheureux rois
destitués dont il fait maintenant lui-même
partie. Et soudainement, l’aveuglement
cesse sous l’effet de la thérapeutique du
malheur. À la métaphore triomphante du
soleil, Richard substitue celle du théâtre,
le roi n’est qu’un petit rôle de la distribution, Dame la Mort est le vrai monarque
de ce monde : « Oh roi mortel, à l’intérieur
de la couronne vide qui couronne ta tête,
Dame la Mort tient sa cour. (…) Elle ne
t’accorde qu’un tout petit rôle, le temps
d’un souffle pour jouer au monarque. »
L’humanité vient donc à Richard de
la perte assumée de la grandeur, la vraie
grandeur du personnage vient de la rapidité et de l’honnêteté avec lesquelles il va
voir exactement ce qu’est sa réelle condition.
Dès la fin de l’acte III, tout est dit. Richard voulait transformer le monde à son
avantage, il n’est plus que consentement
à son propre abaissement, l’orgueil se fait
humilité, même si certains manquements
restent encore difficiles à supporter (les
insolences calculées de Northumberland
en III 3, par exemple) et même si le roi
reste encore persuadé de la catastrophe
cosmique engendrée par le sacrilège envers sa personne.
Richard garde toute sa capacité d’humour mais la retourne maintenant contre
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Académie de Versailles
lui-même au lieu de la tourner contre
autrui. Il peut se servir de l’aphorisme de
John de Gaunt (II, 1, « Le sport préféré
du malheur, c’est de se moquer de lui-même »). Il l’exerce contre lui-même : « La
cour inférieure ? Cour inférieure où vont les
rois inférieurs remercier les traîtres qui les
appellent. » Dans cette pièce dépourvue
de fou, à la différence du Roi Lear, c’est
le monarque déchu lui-même qui assume
pour lui-même ce rôle pour chanter le glas
de sa propre gloire. Dans ce moment de
grande vérité, pas plus que John de Gaunt,
Richard n’est audible et Northumberland
réagit dans les deux circonstances de la
même façon, en traitant de « fous » ceux
qu’il ne peut comprendre parce qu’ils sont
allés trop loin sur le chemin de la vie en
découvrant la condamnation de la logique
violente du pouvoir.
Car Richard a maintenant compris le
testament de John de Gaunt qui lui disait : « Tu te moques bien de faire couler le
sang d’Edward.(…) Ta vie c’est ta honte. »
Richard a compris la logique perverse du
pouvoir et peut se comparer à « Phaéton
scintillant(…) incapable de tenir ses indomptables bêtes vicieuses ». Northumberland ne peut rien comprendre lui qui croit
encore que la révolution permettra de se
débarrasser d’un coupable haï de tous pour
repartir vers de beaux matins clairs quand
c’est la machine humaine qui fait perdurer
la violence et cherche à persuader de la
culpabilité des boucs émissaires.
On mesure donc bien que le chemin de
Richard est un chemin de la conscience, de
l’approfondissement intérieur dans et par
la douleur.
Richard la sacralisation de la faiblesse
La grandeur de la faiblesse se marque par
l’extrême simplicité des paroles de Richard
dans cet abandon où il se trouve devant
Bullingbrook : « C’est à toi. Je suis à toi.
Tout est à toi. »
Cette grandeur est maintenant capable
d’une parole vraie, dite sans aigreur, ainsi
à Bullingbrook soucieux de fléchir le genou devant son roi : « J’aurais préféré que
ton amour touchât mon cœur. Mes yeux
malheureux voient ta comédie. Debout,
cousin. Debout. Ton cœur est debout, je le
vois bien. » La parole dite en vérité prend
acte des faits et relève les logiques perverses sans en porter grief à son auteur.
Cette grandeur sera capable d’assumer
la scène 1 de l’acte IV, de révéler la vraie
nature de la souveraineté : la couronne
comparée à un trou dans lequel dansent
les deux seaux, celui de la gloire et de Bullingbrook en haut et l’autre, « le seau tout
en bas et plein de larmes, c’est moi ». La
comparaison montre l’ambiguïté du pouvoir, il porte au faîte et détruit : pour le
moment Bullingbrook peut caresser l’illusion de rester dans la lumière glorieuse,
il n’a pas encore compris que rois passent
inexorablement d’un seau à l’autre, simple
question de temps.
Cette scène est celle du dépouillement
volontaire mais ce dépouillement est finalement une libération : toutes les contraintes matérielles, tous les devoirs et les
toutes les obligations tombent dans une
profonde sérénité : « Dieu pardonne à tous
ceux qui m’ont trahi. Dieu veille sur tous
ceux qui te jurent fidélité. » Au bout de
trois renoncements assumés à la première
personne de manière très sacramentelle
(« J’y renonce (…) je laisse tomber (…)
je les renie »), ce qui émerge finalement,
c’est la personne, enfin débarrassée de la
tyrannie de l’ego, de la « vaine vanité » et
du « moi » dont parlait Richard à la scène
2 de l’acte III. Finalement, cette scène
permet enfin à Richard de respirer librement : « Mon souffle me libère de tous mes
serments. » Or le verbe « respirer » a plusieurs fois été employé depuis le début de
la pièce, mais toujours dans l’illusion de la
force, dans la jactance du défi, jamais dans
la réelle plénitude de l’être.
Pour autant, le « vieil homme » n’est
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Académie de Versailles
pas forcément toujours mort en Richard.
« Un roi me demande et je pense toujours
comme un roi. » Cependant, il a gagné la
capacité à mettre en accusation les pièges
du pouvoir. Il fait comprendre à l’imperturbable Northumberland, à quel point il
est lui-même accablé de crimes quand il
prétend condamner les autres. La figure
du Christ s’impose alors pour attribuer aux
uns et aux autres le rôle de Pilate, responsables d’une crucifixion à laquelle ils donnent leur consentement attendri de pitié.
« Mais c’est vous les Pilate qui m’avez cloué
sur ma désolante croix » leur dit-il en mettant en accusation avec lucidité tous les
faux-semblants de la force ; ils sont éminemment coupables : « Je peux encore voir
ici tout un gang de traîtres. »
Le roi – non-roi – ira au bout de
l’abaissement sans pour autant accomplir
la dimension christique décelable dans certains vers : dans cet abaissement, il cède
à la force, il n’accomplit aucune rédemption, ne sauve personne, il va au bout de
lui-même et dans cette aventure découvre
la pauvreté de l’Homme. Dans cette agonie de l’acte IV, le sommet est la scène du
miroir dans laquelle Richard contemple un
reflet mensonger de lui-même : le malheur
ne transparaît même pas sur les traits du
roi déchu, ultime ironie. Il aura alors le
courage de briser le miroir qui lui vole
même le spectacle de ce qu’il est devenu,
tant il est difficile de voir la vérité avec la
chair. « Ce visage : l’éclat d’une gloire fragile. Visage aussi fragile que toute gloire »,
dira-t-il avant de jeter violemment l’objet
à terre.
Le parcours du roi a conduit Richard à
abandonner toute grandeur terrestre mais
il lui reste encore à renoncer à l’amour.
C’est l’objet de la rencontre furtive avec
la reine dans les rues de Londres sur le
chemin de la Tour aussi vieille que la violence des Hommes, construite dit le texte
par « Jules César ». On apprendra dans la
scène suivante par les révélations de York
à son épouse ce qu’aura été ce chemin de
Croix de Richard au milieu de la foule hurlante ivre de lynchage : le roi y deviendra
vraiment roi à devoir soutenir les « sans
foi ni loi qui des fenêtres sur les toits jetaient ordures et excréments sur la tête du
roi Richard ». Mais dans la première scène
de l’acte V, le roi s’entretient encore avec
la reine postée sur le parcours. Cet homme hier encore préoccupé des plaisirs de
l’amour avec une jeune épouse prône avec
douceur et tendresse (« ne sombre pas dans
la douleur, beauté, non ne fais pas ça ») la
nécessité d’une nouvelle perspective à la
reine incapable au début de la scène de
comprendre les propos de renoncement :
« Un lion, dit-elle, meurt toutes griffes dehors. » Richard l’aide à évoluer mais garde
sa nature royale pour, avec noblesse et
lucidité, comme autrefois John de Gaunt
dans ses derniers instants, fixer par avance
le triste destin du traître Northumberland,
sorte de Macbeth voué au meurtre par la
course au pouvoir (« Il ne faudra pas attendre beaucoup d’heures pour que crève le
furoncle purulent de ton crime abject. Et
même s’il partage le royaume et t’en donne
la moitié, tu ne pourras t’empêcher de penser que ce n’est pas assez pour qui l’aida à
tout avoir ») et s’indigner contre la séparation indue des époux. La grandeur du personnage, c’est d’accomplir ces épousailles
de la douleur dans lesquelles les cœurs
resteront proches quoique séparés.
Le dépouillement ultime se jouera dans
la prison. Richard vit dans une pièce, solitaire, voué par sa situation et aussi par
son évolution à l’intériorité, confronté aux
multiples pensées toujours contradictoires
qui peuplent son esprit, reproduction du
monde même par leur diversité. Le roi a
gagné en lucidité, maintenant capable de
classer les pensées, « les meilleures, comme les pensées du divin », « les pensées
ambitieuses », « les pensées sans ambition ». Toutes ces pensées sont marquées
par leur caractère fluctuant, ambivalent,
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Académie de Versailles
par la tentation du doute en face de la foi,
par celle de l’orgueil ou du fatalisme imbécile. La lucidité du roi s’impose : « Voilà.
À moi tout seul je joue plusieurs rôles ».
La seule chose qui apparaisse clairement,
c’est la constante oscillation de la pensée,
le dualisme dont elle est affligée et qui
la désespère : « Qui que je sois, ni moi ni
aucun homme, rien qu’un homme, ne sera
jamais heureux jusqu’à la douceur de n’être
rien. »
Cette dernière partie de la vie de Richard est le temps des bilans : une vie
royale insensible à la musique désaccordée du monde et du royaume, la tyrannie
du temps au cadran de la douleur (« J’entends les cordes désaccordées qui cassent le
temps. Mais au temps de mon gouvernement
et de mon État, je n’ai pas eu assez d’oreille
pour entendre mon propre temps cassé »).
La scène 5 permettra à Richard d’exprimer
sa compassion – envers le palefrenier fidèle devenu vraiment un « frère humain »,
« noble alter ego », envers ce pauvre cheval Barbarie usurpé par Bullingbrook au
jour du couronnement et condamné trop
vite pour son infidélité : « Oh pardon, cheval. Pourquoi t’en vouloir ? Tu as été créé
pour que l’homme te domine (…) Je ne
suis pas un cheval et pourtant je porte un
fardeau comme un âne. »
Pourtant, au moment de la mort, face à
Exton, il lance ses dernières malédictions
et reste ainsi dans l’ordre de la condamnation. Il entre dans la mort et oppose encore chair et âme en deux destins opposés
tout en regardant vers le ciel. « Ta main
brûlera dans l’inextinguible feu. Ta main
qui m’abat, Exton (…) ah, monte, monte,
monte mon âme. Assieds-toi tout là-haut.
Et ma chair dégoûtante coule au fond et
meurt. »
Quel est finalement le parcours de Richard ? Celui de tout homme qui passe de
l’illusion de la grandeur à la grandeur de la
faiblesse assumée et revendiquée, le par-
cours d’un homme qui passe de l’avoir à
l’être, de l’extériorité à l’intériorité, de l’ardeur inconsciente et irréfléchie de la jeunesse aux défaites apparentes de l’âge mûr,
source d’un enrichissement intérieur. Les
contradictions ne sont pas toutes apaisées,
la douleur ne s’éteint pas mais l’homme a
avancé sur le chemin de la connaissance
de lui-même et à découvert le prix de cet
amour qui lui manquait tant autrefois :
« L’amour pour Richard est un étrange bijou
dans ce monde de haine totale. »
Dans son développement complet,
l’homme fou et sage, sage dans la folie
après voir été fou dans son apparente sagesse, mérite l’estime et la compassion,
celle qu’il obtiendra de Bullingbrook même
au moment du dénouement quand il reconnaîtra la faillite du pouvoir : « Je n’ai
pu grandir qu’en m’aspergeant de sang. Faites le deuil avec moi. »
Le péché
et la passion de richard
La pièce est marquée par de très nombreuses images bibliques tirées de l’Ancien et
du Nouveau Testament, propres à lui donner une dimension plus profonde.
L’auteur reprend des moments essentiels : le péché originel, le meurtre d’Abel
le juste par Caïn le civilisateur criminel et
enfin la Passion du Christ. Le chemin de
Richard passe d’une figure à l’autre, comme
il le dit lui-même à l’annonce de la mort
de John de Gaunt : « Il n’est plus rien mais
notre voyage à nous se poursuit. »
LE PÉCHÉ DE RICHARD
La figure adamique et caïnique
Alors que le roi est « l’élu » de Dieu, qu’il
a été l’objet de toutes ses faveurs, Richard
trahit et commet ce que l’acte I présente
comme un péché originel : le déni de justice et l’interruption de l’ordalie, le jugement de Dieu, réclamée par les ennemis.
Cette suspension d’armes est faite pour de
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mauvaises raisons : échapper à toute remise en cause dans l’affaire du meurtre de
Gloucester. De plus, il ose prononcer un
souhait sacrilège dès la fin de l’acte (I, 4)
en espérant avec brutalité la mort de son
oncle Gaunt : « qu’il crève vite. (…) prions
pour en arrivant vite, arriver trop tard. »
Le roi peut paraître séduit par les propos de ses fidèles criminels, il incarne luimême aussi la figure de Caïn, comme le
révèle Bullingbrook dans le défi lancé par
procuration à Thomas Mowbray et dont Richard est le destinataire caché : « C’est lui
qui a influencé des opposants trop naïfs et
a provoqué – traître, lâche – la mort d’un
innocent dans un bain de sang – le sang
d’Abel victime qui, du fond des cavernes
sans voix de la terre, me crie justice et
châtiment. » Bullingbrook veut assumer
le rôle de vengeur d’Abel, rôle difficile à
tenir. En effet dans le récit de la Genèse,
Yahvé, afin de rompre le cercle infernal du
sang versé, « mit un signe sur Caïn afin
que le premier venu ne le frappât point ».
Ainsi l’élu se métamorphose-t-il en
criminel. Profondément coupable, le roi
va connaître progressivement une chute
terrible au cours de laquelle il apparaîtra
pourtant comme une victime.
Le chemin de croix de Richard
Il commence dès les défections de son armée, notamment dès II, 4 la scène du capitaine gallois. Il révèle la mort du roi, les
signes annonciateurs de la chute traduits
immédiatement en langage mythique par
le fidèle Salisbury : « Étoile filante qui
tombe du ciel sur la terre abjecte. Ton soleil
s’enfonce dans la nuit de l’Occident. »
Dans un premier temps, en III, 2 le roi
croit naïvement au soutien du ciel, pense
être soutenu par une légion d’anges, reprise ironique de saint Mathieu (26, 52-53) :
Jésus arrête Pierre qui vient de frapper à
l’oreille le serviteur du grand prêtre et lui
dit : « Remets ton glaive à sa place car tous
ceux qui prennent le glaive périront par
le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse
prier mon Père, qui me fournirait à l’instant
douze légions d’anges et plus ? »
Dans le cours de la scène, les illusions
tombent et le roi se sent trahi, il assimile
Bushy, Greene et Bagot, pourtant fidèles,
au serpent adamique « Salauds. Vipères »
(…) « des serpents que j’ai cajolés dans
mon cœur et qui me transpercent le cœur ».
Il les assimile à Judas : « trois Judas. Trois
fois pire que Judas ». Il les voue à la damnation.
Dans le chemin de croix qui commence,
Richard passe de l’extrême assurance à l’extrême désespoir : les adieux de Richard à
la royauté sont autrement plus déchirants
que ceux de Bullingbrook à l’Angleterre à
la fin de l’acte I. En III, 3, semble obsédée
par le sang versé (« L’herbe de nos prairies
sera noyée du fidèle sang anglais »).
À la différence du Christ avec lequel
il tendra à se confondre, Richard ne sait
cependant que maudire (« des plaies par
milliers frapperont vos enfants à naître »)
puis abaisser sa propre personne dans une
sorte de délire où il accepte tout et choisit
d’assumer la destinée du pénitent (« mon
sceptre pour un bâton de pèlerin »), du
pauvre (mes habits d’apparat pour un manteau de mendiant »), du grand sacrifié,
banni voué à l’oubli, à la damnatio memoriæ (« Je veux qu’on m’enterre sur la
route royale. Ou sur un simple chemin de
passage. Tout le monde pourra piétiner la
tête de son roi »).
C’est dans l’acte IV que les ressemblances entre Richard et le Christ apparaissent
de la manière la plus manifeste. Confronté
à ses juges, il subit des outrages, accomplit un couronnement inversé quand il
donne la couronne à Bullingbrook, vit les
faits en établissant lui-même les parallèles
avec Pilate et Judas. Cependant, il n’est
pas la victime d’un seul traître mais de
tout le groupe des courtisans de la veille.
Ainsi ses souffrances peuvent-elles sem-
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bler plus terribles encore que celles de
Jésus, ce qui frôle le blasphème (« sur les
douze, tous étaient sincères sauf un. Et moi
sur douze mille pas un ne l’était »). Dans
le récit de Saint Mathieu (26, 59-63), les
grands prêtres du Sanhédrin produisent
des faux témoins, cherchent toutes les raisons de condamner à mort, de même ici
Northumberland s’acharne-t-il et Bullingbrook reprend le geste de Pilate (ah, comme Pilate, certains d’entre vous s’en lavent
les mains.… mais c’est vous les Pilate qui
m’avez cloué sur ma désolante croix »).
Par la suite, Richard dépose la royauté
d’une manière à la fois semblable et opposée à la scène de la Passion. Le Christ
est d’abord revêtu d’un manteau de soldat et couronné d’épines, dans le désir de
se moquer de sa royauté, il sera ensuite
dépouillé de ses vêtements lors de la crucifixion. La moquerie consiste donc à présenter comme un roi celui auquel on dénie
toute royauté. Dans la pièce, Richard le roi
perd tous les attributs de la royauté qu’on
lui dénie et donne volontairement le sceptre et la couronne à son cousin, et tout
le corps entre dans cette renonciation :
« mes larmes… mes mains… ma langue…
mon souffle ». Les actions, les décisions
sont autant de renoncements : « j’y renonce… je laisse tomber… je les renie. » Le
roi constate alors le vide dans lequel il se
trouve, seul devant la mort. Tout culmine
dans la perte du nom : « J’ai vu passer bien
des hivers et aujourd’hui je ne sais plus
quel est mon nom. » L’image de la neige
dit la disparition et l’anéantissement. Le
visage est défiguré par les larmes, Richard,
le « roi de neige », n’a plus d’identité.
Pour autant, ce roi de souffrance ne
peut s’identifier au serviteur souffrant
d’Isaïe, préfiguration de Jésus (Isaïe 50,
5-6) ; celui-ci en effet dit : « Je n’ai pas
soustrait ma face aux outrages et aux crachats. » Plus loin le prophète parlant du
serviteur déclare (52,14) : « Il n’avait plus
figure humaine. » Richard, lui, conserve
son visage, le malheur ne l’a pas transformé : cette identité insupportable porte la
douleur à son comble.
Le cortège infamant dans la rue de
Londres sous les quolibets et les sarcasmes rappelle évidemment la montée au
Golgotha. La rencontre de Northumberland
permet de mettre dans la bouche du personnage une formule qui rappelle celle des
Juifs à Pilate : « Que ma faute retombe sur
ma tête. » La douleur de Richard donne de
lui une image émouvante et l’auteur oppose son sort à celui d’Aumerle, coupable
gracié, comparable au brigand Barabbas,
relâché à la place de Jésus, conformément
aux habitudes de la . De ce personnage,
Christopher Marlowe avait justement fait
le héros de sa pièce Le Juif de Malte.
La scène finale du château de Pomfret
évoque les tourments de Richard : la prison
de son crâne n’est pas sans évoquer le Golgotha, « lieu du crâne » en hébreu. Dans
ce dernier moment, il découvre la vanité
des attachements humains. Les derniers
mots lancés au moment de mourir font
écho à celles du Christ en croix : « Père,
entre tes mains je remets mon esprit »
(Luc 23, 46) Richard, lui s’écrie : « Monte,
monte, monte mon âme, assieds-toi tout
là-haut. Et ma chair dégoûtante coule au
fond et meurt. » Les tentations de la chair,
de l’envie et de l’orgueil qui ont assailli
Richard sont maintenant dépassées.
La mort de Richard est finalement le
moyen de parvenir à un niveau supérieur
de conscience et de connaissance de soi.
Elle permet de retrouver son unité véritable en Dieu « tout là-haut ».
La mort de Richard restaure donc sa dignité d’homme mais n’accomplit en revanche aucune rédemption pour l’Angleterre.
roi centré sur lui-même, Richard n’a jamais
envisagé sa vie comme un don rédempteur.
Les deux destins restent finalement totalement différents au-delà des parallèles.
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Les personnages masculins de la pièce
Les personnages masculins de la pièce appartiennent pour certains à des familles
proches du pouvoir, ce sont des oncles
et cousins, descendants du défunt roi
Édouard III : outre le roi Richard, fils du
Prince de Galles, le Prince Noir, on trouve
deux autres « Enfants d’Édouard » en la
personne de John de Gaunt et de son fils
Bullingbrook de la famille de Lancastre et
l’autre branche celle des York, représentée
par le vieil Edmond, autre fils d’Édouard,
et son propre fils, Aumerle. C’est de la désunion de ces deux familles, également
capables de revendiquer le trône, une fois
éliminée la branche aînée, que naîtront les
combats de la guerre des Deux Roses.
Shakespeare choisit donc les personnages d’un drame familial et national et met
en place sur le théâtre des générations différentes : celles des pères, hommes d’âge,
Gaunt et York, celle des fils, Bullingbrook
et Aumerle. Dès le début de l’étude apparaît le caractère symétrique des personnages autour de Richard, l’équilibre fragile
de cette construction : tout sera finalement brisé par la déposition du roi.
À la différence de Roméo et Juliette où
le drame était vu et vécu plutôt du point
de vue des parents de l’héroïne, ici la pièce nous fait successivement connaître le
point de vue des Lancastre puis des York
après la fin de John de Gaunt.
À cette galerie de personnages, il faut
ajouter les autres nobles de la cour : Northumberland, Bushy, Bagot, Greene qui
soutiendront l’un et l’autre camp.
La vision des personnages permet d’individualiser ces hommes qui vont chacun
incarner une attitude face au pouvoir mais
aussi face à la vie.
Les pères, John de Gaunt et Edmond
d’York
John de Gaunt supporte aussi mal que
son frère Edmond l’assassinat de leur frère
Gloucester par Richard, il parle des « bou-
chers » qui l’ont perpétré mais il est fait
à la résignation et au respect. Il reste
étrangement absent dans la querelle portée devant le roi, ne le contredit jamais
et l’appelle « Maître » (I,1). C’est l’école
du malheur qui le fera évoluer. En effet,
trop âgé pour agir par lui-même, il commence par refuser devant sa belle-sœur (I,
2) d’entrer directement en rébellion contre
le roi et s’en remet à Dieu dans l’ordalie,
il laisse monter son fils en première ligne
dans le défi initial (I, 1). Il n’ose pas le
soutenir dans le conseil du roi et tâche de
faire endurer au mieux à son fils la nécessité de l’exil en minimisant sa durée. Pour
autant, il se rend compte de sa lâcheté et
en rend responsable Richard qui a exploité
son loyalisme : John s’est finalement montré incapable de prendre ses distances visà-vis du pouvoir et a sacrifié son enfant :
le conditionnement de l’obéissance s’est
imposé et sa vie est maintenant perdue (I,
3) : « Ma lampe éteinte. Ma lumière gâchée
par le temps. (…) J’ai détruit ma propre vie
avec ce verdict. Non, tu m’as laissé dire ce
que je ne voulais pas. Et faire le mal que je
ne voulais pas. »
Les suites de ce jugement scellent son
destin : la maladie le prend dès le début
de l’acte II et change son comportement :
maintenant très critique vis-à-vis de Richard, il aura le courage de lui dire ce
qu’il pense en homme qui n’a rien à perdre
devant la mort. Les menaces du roi n’empêcheront rien, l’ironie est mordante visà-vis de lui-même quand il ironise sur son
nom (« Old Gaunt. Un pauvre vieux gant
tout plat » II, 1) mais elle s’exerce surtout
vis-à-vis du roi dont il révèle sans ménagements la maladie («  Moi je te vois malade. Et te voir malade me rend malade. Tu
as fait de ton pays pas moins que ton lit de
mort sur lequel tu es couché, atteint dans
ta propre gloire »).
Il devient alors le premier à lancer des
malédictions sur la génération montante :
« Mes mots seront tes bourreaux. » Dans
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CRDP
Académie de Versailles
cette histoire où tout se répète et où les
fils sont vraiment tels que les pères, tout
est donc déjà dit et il faut la vieillesse et
l’expérience du malheur pour condamner la
violence sans pouvoir jamais rien y changer soi-même.
Edmond, duc d’York. D’âge, il est proche
de Lancastre, les deux hommes n’ont dans
les faits qu’un an de différence. Le tempérament de York, plus encore que celui de
son frère le porte à la soumission vis-àvis du pouvoir. Lui aussi nourrit des griefs
contre le roi mais il excuse sa jeunesse
dans son entretien avec Gaunt (II, 1) et
semble également conscient des dangers
de l’entreprise : « Le roi. Il est jeune. Sois
tendre avec lui. Gare au jeune et bouillant
poulain que l’on bride. » Mélange de bienveillance, de réalisme politique et de sens
de son intérêt, il pense qu’il vaut mieux
plier et attendre des moments plus propices pour être entendu du roi,
Il y a en York la conscience aiguë de
la vieillesse qui le rend inapte à agir , le
regret d’un autre temps : « Ah si j’étais
encore maître de ma folle jeunesse… mon
bras, aujourd’hui prisonnier de tremblements, t’aurait infligé une telle raclée en
punition de ta faute » déclare-t-il à Bullingbrook revenu en Angleterre (II, 3). On
trouve également chez lui cette lucidité
pour analyser les comportements d’autrui,
en particulier la comédie de la soumission
dans l’agenouillement du banni, il le signale dans des termes qui seront plus tard
ceux mêmes de Richard : « Je veux voir la
soumission de ton cœur plutôt que l’hommage hypocrite de ton genou. »
Chargé par Richard de défendre le royaume,
York finira par trahir son suzerain. Le duc
est troublé par le départ du roi pour l’Irlande, il ne se retrouve pas dans la situation,
est dépassé par toutes les mauvaises apprises d’un coup, manque aussi de confiance
dans la cause qu’il défend : « L’heure vient
où vomira ses excès. Où il affrontera l’hypo-
crisie de ses amis. » Conscient du caractère
illégitime de l’action de Bullingbrook, il la
condamne mais dans la même scène et à
quelques répliques de distance, une nouvelle fois, il cède à la force, fidèle dans
l’infidélité puisqu’il se rallie une nouvelle
fois au pouvoir dominant : « Bon. Bon. Je
vois bien l’issue de ces combats. Je n’y peux
rien. Je l’avoue… Mais n’y pouvant rien,
je resterai neutre. Sachez-le. » Cette neutralité n’est qu’une façade puisqu’il invite
aussitôt les insurgés à venir « se reposer
pour la nuit » dans son château : les mots
cachent le ralliement et la trahison.
Dès lors, et pour être sans doute en paix
avec sa conscience, présent à la cour du
nouveau maître, il se montrera sourcilleux
en matière de vocabulaire : pas question de
manquer de respect au roi Richard, comme
le fait le bouillant Northumberland (III,3)
ou Bullingbrook lui-même (« Tu dépasserais les bornes. Le ciel veille au-dessus de
nos têtes ») : c’est que cette peur répond à
la conception de Dieu comme un suzerain
dangereux et attentif à punir les manquements. De même à l’acte V, il s’apitoie sur
le calvaire de Richard dans les rues de Londres mais se montre enthousiaste quand
il parle de l’entrée triomphante de Bullingbrook dans la ville : « Voici le duc, le
grand Bullingbrook. Il apparaît sur un pursang. Sauvage. Fougueux. » Le duc porte
un regard très enfantin, sans recul sur les
événements et se montre victime des apparences. Pour ce personnage sans grande
réflexion, la politique est avant tout un
spectacle, une pièce de théâtre : « Comme
dans un théâtre : un superbe acteur quitte
la scène et tous les yeux sont braqués sur
lui. Le suivant n’a droit qu’à des regards
distraits. On trouve son babil ennuyeux. »
Pour York, Richard est vite passé aux
poubelles de l’histoire devant les débuts
brillants de son successeur, nouvel acteur
d’une pièce à succès. Homme superficiel,
le duc ne voit pas que la scène pourrait
bien se reproduire.
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CRDP
Académie de Versailles
Le chef de la maison de York ne sort pas
grandi des premiers actes : sans beaucoup
de courage, il suit le pouvoir et manque
finalement de convictions profondes alors
qu’il ne cesse de donner des leçons aux
autres. C’est un vieillard bavard, dépassé
par les événements et sans beaucoup de
consistance morale.
Le pire se verra à l’acte V dans la scène
de ménage tragique et comique à la fois.
York découvre la fidélité scandaleuse d’un
fils qu’il vient de sauver de la disgrâce
complète et entreprend de réclamer sa tête
au nouveau monarque, sans doute pour
sauver la sienne. Il affronte l’opposition
farouche de son épouse, se lance dans une
ridicule course à la dénonciation, gagné
de vitesse cependant par fils et femme.
Les beaux sentiments, l’amour paternel et
conjugal (« Femme hystérique. Que vienstu faire ici ? Traîner tes vieilles mamelles
pour encore nourrir un traître ? » V, 3), tout
cela vole en éclat quoique le personnage
continue de parler de son honneur : « C’est
la vie de mon honneur contre la mort de
son déshonneur. »
La clef du personnage nous est donnée
par la duchesse, York est représentatif de
ce monde sans amour : seul en effet un
homme qui « ne s’aime pas lui-même »
peut proposer sans hésitation la mort de
son fils. Au fond de l’âme de York se trouve
donc un égoïsme profond, une dureté de
cœur maquillée sous des dehors d’homme
de devoir. Hypocrite et vrai Pilate voilà ce
qu’est finalement le chef de la maison des
York.
Les fils, Bullingbrook de Lancastre et
Aumerle, fils du Duc d’York. Deux types
d’hommes bien différents
Aumerle, fils du Duc d’York, hérite d’une
partie seulement des traits paternels. Sa
fidélité pour Richard est sans faille, cette fidélité va à la personne et non à la
fonction. C’est elle qui lui fait dire adieu
à son cousin Lancastre de manière froide,
c’est elle qui le fait soutenir constamment
Richard en particulier dans la scène 2 de
l’acte III : « Courage mon prince » dira-t-il
à deux reprises. C’est encore cette fidélité
que le rend présent au moment de l’abaissement de Richard face à Nothumberland :
le roi s’analyse et se confie à son ami. C’est
elle enfin qui le fait « pleurer », réaction
inhabituelle dans cette pièce. Aumerle
pleure la première fois devant Richard qui
s’épanche mais le roi refuse cette tentation de jouer « les petites putes malheureuses à qui versera le plus de larmes ». Il
pleure une seconde fois au moment de la
destitution et ce sera la cause de sa participation au complot. Aumerle se révèle
ainsi un soutien sans faille de Richard,
prêt à lutter contre le nouveau monarque,
par fidélité à son suzerain, à la différence
de son père.
Cependant, cette dimension tragique
du personnage est cassée par une certaine présence comique : les adieux très
brefs jetés à Bullingbrook semblent une
pirouette ridicule, dont il se montrera très
fier en rapportant la scène à Richard dans
la scène 4. Il y exprime son mépris pour
« l’immense Hereford », rend la réplique
comique en mentionnant le vent froid qui
lui a mis la goutte à l’œil et fait croire à
de vraies larmes. La réplique suivante fait
apparaître un cœur sec et peu sensible à
la douleur d’autrui. Il fait donc partie des
favoris du roi, essaie de lui complaire de
manière assez ridicule. Ce caractère ridicule, Richard le relève à plusieurs reprises,
et même avec agacement dans la scène 2
de l’acte III : Aumerle s’entête à vouloir
aider son cousin quand il n’est plus temps
et cette aide importune gêne Richard qui
coupe d’une remarque acerbe sa dernière
intervention : « Double peine ! tu me blesses
par tes flatteries. Fais partir tout le monde.
Quitter la nuit de Richard pour la lumière
de Bullingbrook. » Les talents d’Aumerle
semblent, enfin, fort limités. Il est un piètre conjuré qui porte au cou, bien visible,
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CRDP
Académie de Versailles
la lettre qui le lie à ses complices. Son
père la découvre au premier coup d’œil.
Face à son père fou de rage qui vient de
découvrir le complot, il a les mots d’un
enfant : « Je t’en supplie, pardonne-moi. »
Son père le considère d’ailleurs comme tel,
l’appelle « mon petit monsieur », quand
sa mère l’infantilise encore plus : « pauvre
garçon, tu es sonné », « Viens, vieil enfant » (V, 2 et 3). Ce terrible conjuré est
finalement assez pitoyable et Bullingbrook
ne doit pas le juger bien dangereux pour
accorder très facilement son pardon quand
il se montre sans pitié pour les autres. Le
personnage est du reste singulièrement
silencieux pendant la scène entre ses parents et Bullingbrook, comme s’il laissait à
de plus grands que lui le soin de décider
de son sort.
Aumerle est donc un personnage assez
ridicule chez qui le tragique n’arrive pas
à émerger malgré certaines potentialités.
Ami de Richard auquel il veut complaire et
qu’il souhaite défendre, il finira par rentrer dans le rang après la crise de l’acte V,
obéissant en cela à sa chère « maman ».
Bullingbrook, duc de Lancastre
Le rival de Richard va faire lui aussi l’épreuve des désillusions du pouvoir.
Bullingbrook : le vengeur et la victime
du pouvoir
Le jeune duc apparaît d’abord comme un
vengeur qui vient faire rendre gorge au
crime. Il ne faut pas se laisser tromper
par les paroles pleines d’amour de Bullingbrook au début de la pièce : quand
on sait les motivations du lord, qui veut
faire condamner l’exécuteur du duc de
Gloucester, les protestations d’amour envers le roi sont ironiques (« Roi gracieux.
Maître que j’aime tant » I, 1). La violence
de l’attaque, ses insultes répétées contre
Mowbray en disent long sur la haine qui
couve dans le cœur de Bullingbrook contre
le roi lui-même, qu’il sait être l’instigateur
du crime ; les accents bibliques qu’il emploie le prouvent quand il évoque le sang
du défunt assassiné : « Cette mort, c’est le
sang d’Abel victime qui, du fond des cavernes sans voix de la terre, me crie justice et
châtiment. » (I, 1)
Cette violence est parfaitement purificatrice et lui donne une assurance et
une gloire étonnantes. Dans la scène 3 de
l’acte I, il fait ombre au roi même dans
l’affirmation de son bonheur à combattre. Bullingbrook connaît l’enthousiasme,
la dilatation physique de la conscience
en plein accord avec soi-même : « Je vais
à la mort et n’en suis pas malade. Je me
sens fort et jeune, et gai. Ah je respire. »
Bullingbrook est très nettement inspiré, et
particulièrement par la conscience d’être
le champion de son propre père : « Le nom
de John brillera de nouveau sous les coups
vigoureux de son fils. »
L’entrée de Bullingbrook est donc marquée par une force, une ardeur communicatives qui font de lui d’emblée un rival
dangereux et un signe de ralliement pour
tous ceux que la politique de Richard indispose : aussi n’est-il pas étonnant de
voir très vite éveillée la jalousie du roi,
dès I, 4.
Condamné à l’exil, le jeune duc ne
s’abaisse aucunement devant le roi et
même le défie en signalant que le soleil
« réchauffera » le roi mais « brillera » aussi
sur lui pour lui faire un « exil doré ». C’est
devant son père seul qu’il révélera la profondeur de sa douleur. Son départ est marqué par la grandeur quand il lance : « Banni peut-être mais Anglais sûrement. »
Victime du pouvoir, le jeune duc recueille la sympathie populaire par ses
« manières simples et familières ». Nous
voyons s’éveiller dans la conscience du roi
le sens d’une menace : Bullingbrook, exilé
par le roi, pourrait bien être « le prochain
espoir de nos sujets ». À la fin du premier acte, la métamorphose du condamné
en victime est en passe de s’opérer. C’est
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Académie de Versailles
l’acharnement du roi qui fabrique un martyr capable de rallier les mécontents. Le
reste de la pièce se chargera de nuancer
cette impression favorable.
Le héros de justice ?
Le héros semble désireux de se battre pour
la justice mais il agit également en grand
féodal, sans doute assez proche de son
modèle historique : il veut retrouver son
titre, son patrimoine spolié. Il exprime
très nettement ses griefs, en II, 3, en mettant en accusation le pouvoir royal qui lui
a fait tort. Il envisage la politique comme
une affaire de famille, considère l’Angleterre comme une partie de son patrimoine
pour lequel il fait valoir ses droits. Cette
conception aristocratique des relations
politiques conduit très facilement à la
dissolution du pouvoir par la constitution
de coteries rivales, soutenues chacune par
leurs partisans. L’intérêt général n’existe
pas, le seul prisme est l’intérêt particulier.
Héros de justice, il est aussi celui qui paradoxalement va faire perdurer l’injustice.
De plus, son départ pour l’Angleterre intervient très rapidement, semble être préparé dès avant la mort de John de Gaunt
et comme le dit Greene en II, 2 : « Bullingbrook le banni s’est absous lui-même. Armé
jusqu’aux dents, il a rejoint Ravenspurgh
sans encombre. » Faut-il aller jusqu’à penser qu’il n’avait cure de respecter la parole
donnée à Richard ?
Très vite, il va être prisonnier de ses
encombrants soutiens, particulièrement du
violent Northumberland. Sa position n’est
donc pas aussi claire qu’il veut bien le dire.
Il lui faut se faire des alliés, s’attirer leur
bonne volonté, organiser autour de lui un
groupe et se l’attacher par de bonnes paroles, comme il le fait avec Percy et Northumberland, l’un des premiers ralliés. Or,
cet attachement passe par des promesses
matérielles, ce qui corrompt toute tentative future de justice (II,3, « Ma gratitude
pour l’instant n’est qu’un trésor immatériel.
Mais une fois enrichi, je récompenserai votre amour et votre peine. »)
Bullingbrook essaie de respecter certaines formes : l’agenouillement devant le duc
d’York en charge du royaume, le respect
dû à la reine, mais ses efforts ne pourront s’imposer à la logique des faits qui le
pousse vers l’usurpation. Tout se passe en
fait comme si le duc se trouvait lancé dans
un conflit qui le dépasse en faisant très
vite de lui non plus un sujet en quête de
justice mais un réel rival du roi.
Le passage de la première à la seconde
dimension s’opère entre les actes II et III.
C’est en effet avec l’autorité d’un compétiteur à la couronne qu’il condamne à
mort les favoris du roi faits prisonniers.
Sa violence éclate dans le choix du verbe
« apporter » par le traducteur : « Apportezmoi ces hommes », ainsi s’ouvre la scène
1 de l’acte III. Pourtant, à y regarder de
près, on trouve aussi comme une faiblesse
dans cette décision : Bullingbrook a entériné sans difficulté la haine et la vindicte
de ses nouveaux amis –Northumberland ne
disait-il pas dès II 1 en parlant des favoris
exécutés à l’acte III : « le roi n’est pas luimême. Devenu le jouet des flatteurs. Leur
haine peut dénoncer n’importe que d’entre nous et le roi engagera des poursuites
contre nous, nos vies, nos enfants et nos
héritiers. » De plus il entend bien rester
pur de toute accusation et avec lâcheté
se présente en Pilate content de lui-même
(« Mais avant tout je veux laver mes mains
de votre sang en donnant les causes de
votre mort »), idée qu’il reprendra par la
suite à l’annonce de la mort de Richard. On
trouve chez Bullingbrook comme une naïve
rouerie à croire pouvoir se disculper alors
qu’il ne fait, comme ses prédécesseurs et
Richard lui-même, que se débarrasser de
ses ennemis personnels et de ceux de ses
amis.
Bullingbrook retrouve bien les accents
prophétiques de l’acte I pour annoncer le
sens de sa rencontre avec Richard mais on
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CRDP
Académie de Versailles
peut se demander s’il n’est déjà pas en
plein rêve de gloire, en pleine illusion.
Comme Richard, il essaie de se hisser à
une dimension cosmique du conflit en
assumant le rôle dévastateur mais fécondant de l’eau en face de Richard le feu.
Pourtant le texte révèle les incohérences
du discours : le scénario de la soumission
s’accorde mal avec la pluie de sang promise au pays en cas de résistance : « J’utiliserai la force à mon avantage. J’arroserai
de sang la poussière de l’été. » Comment
croire au désir de réconciliation quand le
texte promet « le choc foudroyant de l’eau
et du feu ».
Bullingbrook pourrait bien être finalement le héros du mensonge : il ment
et se ment sur ses véritables intentions,
conscientes et inconscientes, fruit des circonstances qui le portent et le dépassent
et continue de parler de paix quand tout
dans le détail de la rencontre imposée à
Richard dit le désir de prendre sa place.
Ce mensonge apparaîtra nettement dans la
comédie de l’agenouillement relevée lucidement par Richard.
En cette fin de l’acte III se défait déjà
le portrait flatteur du banni.
Un roi faible, un tyran
La logique du pouvoir s’impose d’emblée
dès les défis qui ouvrent l’acte III. Bullingbrook ne peut plus qu’assumer la fonction
royale et faire arrêter Carlisle qui lui rappelle ses devoirs de sujet. Le duc manque
de ce que Carlisle appelle la « vraie grandeur », celle qui consisterait à empêcher
le pays de glisser vers la guerre civile.
Étrangement, la scène de la reddition,
de l’abdication réunit dans un même destin les deux rivaux. Ils sont seuls devant
toute cette cour qui a choisi son nouveau
roi qu’elle entend bien finalement sacrifier
à ses propres intérêts et Bullingbrook sent
bien le danger de cette place, même si le
« seau » de la gloire semble pour le moment nager » tout en haut ». Il commente
avec amertume : « Tu me donnes une part
de tes angoisses avec ta couronne. » La
faiblesse de la condition royale, au-delà
de son apparente grandeur, lui apparaît
alors et cette fraternité nouvelle explique sans doute pourquoi il reste ensuite
silencieux et, dans le lynchage orchestré
par Northumberland, intervient avec humanité et lâcheté pour demander : « Ne
le bouscule pas davantage Northumberland. » Que veut-il éviter ? La souffrance
pour Richard ou la vision horrible de ce
qui pourrait, un jour, lui arriver à lui ou à
l’un de ses descendants ? Mais l’humanité
n’ira pas loin et, passé le moment d’apitoiement, Bullingbrook retrouvera le soin
de sa propre sécurité. Il retrouvera alors
le vilain verbe « emporter » pour envoyer
son « beau cousin » à la Tour et ainsi sceller son destin.
Il ne reste plus à Bullingbrook qu’à
jouer la vilaine comédie du pouvoir qui va
achever de le déposséder de lui-même et
faire de lui un tyran.
Comédie de l’entrée glorieuse dans la
ville de Londres sous les regards unanimes
mais dangereux car ce sont tous des « regards envieux » (V, 2), laideur du cortège
infamant fait à Richard et qui ressemble à
une montée au Calvaire (« des sans foi ni
loi jetaient ordures et excréments sur la tête
du roi Richard » : on pense au pharmakos
de la tragédie antique, au bouc émissaire
que la pièce nous a montré finalement innocent dans la mesure où tous les autres
sont également coupables). Sinistre comédie du pouvoir qui conduit lâchement
à se plaindre du prisonnier devant des
serviteurs zélés désireux de complaire en
tout au souverain, lâcheté avide qui accepte la mort des ennemis mais refuse
d’en assumer la culpabilité. Northumberland, Fitzwater et Percy s’imposent comme
les gardiens redoutables du nouveau roi
et massacrent, ce sont des bouchers : ils
seront récompensés mais Bullingbrook refuse toute gratitude à Exton qui l’a si bien
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débarrassé de sa peur.
Ainsi la pièce désacralise-t-elle celui
qu’elle avait consacré. Bullingbrook ne
vaut pas mieux que Richard. Dans sa gloire,
il vaut même moins que Richard dans son
dénuement. Le pouvoir et sa mécanique,
la lâcheté de l’homme on fait du héros un
tyran et un hypocrite qui triche avec les
autres et lui-même.
Pour autant, la grandeur finale de Bullingbrook paraîtra dans son lucide regard
final sur lui-même et cet aveu terrible :
« Lords, il faut me croire, je suis si malheureux. Je n’ai pu grandir qu’en m’aspergeant
de sang. » La seule attitude qui convient
à l’homme, incapable d’empêcher sa propre violence, c’est le deuil : la rédemption
finale de Bullingbrook, bien modeste,
consiste à le comprendre : « Faites le deuil
avec moi ; (…) Je vais partir en Terre sainte
pour laver mes mains de tout ce sang.»
Finalement, Bullingbrook aura-t-il fait
en quelques jours l’apprentissage du pouvoir ? Aucune innocence ne peut lui résister et il rejoint dans son désir de départ
en pénitence son ancien rival Thomas
Mowbray, dont l’évolution ultime nous a
été révélée au début de l’acte V. La seule
grandeur semble finalement bien résider
pour les hommes dans l’abaissement et le
deuil.
Les fidèles
Répartis dans l’un et l’autre camp, ils illustrent deux moments opposés : la faveur
montante et triomphante pour les uns soutiens du banni devenu roi, la défaveur et
la mort pour les autres, enveloppés dans la
ruine de leur maître. On trouve chez eux des
constantes psychologiques manifestes.
Chez tous, on retrouve le même sentiment de son intérêt personnel, le défaut
cardinal de l’envie, de l’orgueil et la peur
de voir ses intérêts abaissés. Les personnages sont donc irrémédiablement rivaux
dans la course aux richesses et aux biens
matériels, aux marques d’honneur également. Northumberland et ses amis en veu-
lent aux « flatteurs » qui gouvernent le
roi. Les hommes qui cernent les rois sont
donc des voleurs contents ou des voleurs
frustrés, aspirant à contenter leur désir de
puissance : tels sont les flatteurs en place, Bushy, Bagot et Green, les favoris de
Richard, tels sont Northumberland, Ross,
Willoughby, les futurs alliés de Bullingbrook.
La révolte des lords provient de la menace que font peser sur eux les dépenses
du roi et le moyen contestable trouvé pour
remplir les coffres : la confiscation des
biens de Lancastre. Les exactions royales
sont pour eux une « castration ». En II, 1,
Ross évoque la situation de Bullingbrook
« dépouillé et castré de son patrimoine ».
La cause de la révolte vient donc de la
frustration mutilante créée par le roi : le
désir de posséder inassouvi et menacé
s’exacerbe en révolte.
Dans le concert de récriminations, Northumberland, en II 2 , joue le rôle de
meneur bientôt imité par tous les autres :
le premier avec audace, il ose se plaindre,
catalyser les critiques sur la personne du
roi puis parler de Bullingbrook et faire
entendre le sens qu’il donne à son débarquement sur les côtes anglaises : « Nous
approchons de notre consolation. Mais je
n’ose rien dire. »
La pièce montre bien l’attitude mimétique des autres personnages qui, autorisés
par la première intervention de Northumberland, se mettent ensuite à rivaliser de
critiques : Ross qui n’avait « rien à dire »
résume avec violence la situation : « Le
peuple pillé par les impôts. Le roi a perdu
son amour. Les nobles rançonnés pour de vilaines histoires. Le roi a perdu leur amour. »
Les trois nobles présents sur scène lancent
d’une réplique à l’autre des critiques toujours plus acerbes et la vérité se fait toujours pour eux toujours plus évidente : le
roi Richard a failli ; son comportement justifie la rébellion dans laquelle ils vont se
précipiter et dont Bullingbrook leur donne
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justement l’occasion. C’est donc en pleine
bonne conscience qu’ils vont se rebeller,
leur cause est juste, ils sont des victimes
en quête de « consolation ». Au bout de
cet entraînement haineux contre Richard,
l’unanimité se fait autour de Northumberland qui brandit Bullingbrook comme un
drapeau de ralliement et l’affaire personnelle, économique et relationnelle à la
fois prend enfin un habillage politique et
idéologique. Dans la rébellion les valeurs
arrivent donc bien en dernier dans un dernier moment d’exaltation qui fédère dans
la haine : « Vous voulez vous libérer de l’oppression ? et rendre ses plumes à l’aile brisée de notre pays ? Racheter aux usuriers la
couronne salie ? Dépoussiérer l’or du sceptre ? Rendre au pouvoir sa majesté ? » La
question posée, la solution indique la direction dans laquelle il faut aller : elle propose un chef, un lieu, un ordre de marche
et, avec habileté, Northumberland propose aux autres de s’abstenir afin de piquer
au vif leur orgueil et leur donner envie de
s’engager. Tous sont d’un égal mépris visà-vis de leurs compétiteurs qu’ils haïssent
et lorsque le vent tourne les favoris du roi
savent qu’ils n’ont aucune mansuétude à
attendre.
La pièce explore donc à la fois la psychologie des traîtres et des mutins, mais
elle montre également comment se met en
place la mécanique subtile du bouc émissaire entre paroles différées, secret entretenu savamment et révélations fracassantes qui désinhibent les tièdes.
Chez tous, la cruauté et bien présente,
elle qui fait assassiner sans difficulté une
fois lancée la mécanique du bouc émissaire. Ils ont construit un coupable auquel
ils refusent maintenant les titres de l’humanité : Northumberland oublie de s’agenouiller devant le roi, s’autorise à une parole de lèse-majesté : pour « faire court »,
il « oublie » le titre dû à la personne de
Richard. La violence s’exercera à l’encontre
des anciens favoris tués sans états d’âme :
chacun participe à la curée à l’acte V en
annonçant les meurtres pour en recueillir
l’avantage : en V, 6, les têtes tombent et
Bullingbrook, définitivement prisonnier
de ses alliés n’a plus qu’à promettre des
récompenses : « merci, cher Percy. Tu t’es
dépensé sans compter et je dépenserai pour
toi davantage encore. »
La violence a été morale à l’encontre
de Richard : elle se dit dans l’acharnement
de Northumberland dans l’acte IV. Le roi
n’est plus un homme, mais un captif que
l’on peut torturer en lui enlevant par le tutoiement toute dignité, auquel on donne
des ordres en le harcelant : « Allons, lis
ce papier en attendant. » Cette lecture
est d’autant plus importante qu’elle légitime la rébellion, range définitivement
Richard dans la catégorie des coupables et
ses persécuteurs dans celle des innocents.
Mais le texte ne sera pas lu : l’intervention
de Bullingbrook empêche le tortionnaire
de poursuivre et renverse la situation :
le spectateur sait ce qu’il faut comprendre. En cet instant, Richard est devenu le
moins coupable : les puissants le sont totalement.
Aussi la peinture des mutins persécuteurs, amis tyranniques de Bullingbrook,
vrais auteurs de la déposition royale parle-t-elle de psychologie, mais plus encore
constitue une anthropologie. L’auteur y
dépeint l’homme dans l’étendue de ses
choix maléfiques, égaré dans l’illusion que
le coupable qu’il s’est fabriqué, une fois
éliminé, laissera place nette et que pourra
alors commencer une ère nouvelle. C’est
oublier la mécanique du désir et l’injustice
de toute cette fabrication.
Cette révélation, il appartient à Richard
de la proférer dans les dernières paroles
qu’il adresse à Northumberland en V 1 : il
lui révèle le caractère insatiable du désir,
le piège qui fait des alliés d’hier les rivaux
de demain, la graine de guerre civile cachée dans cette méchante alliance. Il lui
révèle en fait sa culpabilité. (« L’amour de
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Académie de Versailles
deux salopards se change en haine. La peur
en haine. Et la haine conduit tout droit à
un juste piège et à une mort méritée. ») À
ce moment, dans une nouvelle réactivation
de la Passion, ressurgit non la figure de
Pilate, elle est assumée par Bullingbrook
lui-même, mais celle des prêtres qui ont
condamné Jésus et de la foule qui les suit :
« Que ma faute retombe sur ma tête. » Tout
est dit : l’aveuglement reste le plus fort et
la position hic et nunc prévaut sur tout
autre considération. Aucune compassion
à attendre pour ce roi démuni, nu et sa
jeune épouse, la force se donne le ridicule
de vouloir les séparer et fait l’épreuve de
son pauvre pouvoir. Il appartenait à Northumberland d’aller à ce point d’abjection.
L’humanité cède devant la politique.
Que deviennent les trop zélés serviteurs du pouvoir quand le vent tourne ?
La pièce nous montre la violence qui les
attend et à laquelle ils sont faits. Ils ont
eux-mêmes trop tué pour espérer la mansuétude de leurs rivaux. Assez lucidement,
ils analysent la situation dès II, 2, sans
pour autant reconnaître de crimes ; il vaut
mieux parler de l’affection qui les liait au
roi : les favoris ont des délicatesses : Si le
peuple est seul juge, nous sommes nous
aussi condamnés. Nous avons toujours été
près du roi. » Sans grand désir cependant
d’aider leur ancien bienfaiteur, ils l’abandonnent en espérant sauver leur peau et
Greene de dire : « Bien. Je vais immédiatement me réfugier au château de Bristol. » Les adieux sont brefs dans la pleine
conscience de leur futur destin tragique.
Dès l’acte III scène I, leur sort se règle
rapidement, à peine lancent-ils une dernière bravade : « Je préfère la mort ici et
maintenant à Bullingbrook en Angleterre. »
C’est le seul moyen de rester digne.
Le sort qui attend Bushy, Greene et Bagot, c’est sûrement aussi celui qui attendra
les partisans des York et des Lancastre dans
la guerre civile qui viendra.
À aucun moment, on n’aura pu saisir
chez ces hommes la moindre prise de recul,
la moindre conscience de leur culpabilité :
ils meurent comme ils ont vécu, sans regret de leurs exactions, prisonniers de l’enchaînement des faits : la vie aura été un jeu
violent dans lequel ils auront pensé un moment gagner la mise perdue finalement.
Les religieux
Ils sont représentés dans la pièce par deux
prélats de l’Église, l’évêque Carlisle et l’abbé de Westminster.
L‘évêque Carlisle intervient assez peu
dans la pièce, dans trois scènes III, 2 ; IV,
1 et V, 6. Cependant, il joue un rôle important dans la mesure où il assume la seule
opposition claire à Bullingbrook.
Dépositaire d’une vision théologique
de la royauté, il encourage d’abord le roi
et l’assure de la présence de Dieu à ses
côtés : « N’aie pas peur. Le pouvoir qui t’a
fait roi a le pouvoir de te garder roi ; envers
et contre tout ». Plus loin dans la scène,
Carlisle fait la leçon au roi épouvanté avec
douceur et discrétion : il s’adresse toujours
à celui qui est son « maître », se situe au
niveau de la psychologie humaine la plus
élémentaire, rappelle le danger de la peur :
« (…) avoir peur de ton ennemi, c’est par
ta faiblesse renforcer ton ennemi. (…) se
battre et mourir, c’est détruire la mort par
la mort. Avoir peur et mourir, c’est payer
la mort de sa vie. » À chaque fois cependant, ses propos sont traduits – presque
comiquement, par Aumerle qui parle de
forces et d’armées, comme effrayé de voir
le roi ne pas réagir. À l’évêque les principes, au cousin de Richard leur traduction
concrète pour un roi trop vite découragé
dans le flou et l’absurdité d’une réalité qui
dérape. Et de fait, l’impact des propos de
Carlisle est quasiment nul, emportés par
les révélations terribles de Salisbury puis
de Scroppe : les armées de Salisbury l’ont
abandonné, le peuple est mutiné, les favoris décapités à Bristol, York rallié et le
pays réuni dans le rejet de son roi. Les
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CRDP
Académie de Versailles
faits imposent silence à l’évêque qui quitte la scène sur un échec : la guerre civile
est en marche. La scène se termine sur un
complet retournement, Richard s’écrie :
« Encouragez-moi encore et je vous haïrai
pour l’éternité. » L’évêque n’a plus rien à
faire sur scène.
Quand nous le retrouvons, c’est pour
essayer de sauver la légalité royale et une
idée de la Guerre Juste en IV, 1. Il intervient d’abord après la longue suite des
cartels lancés contre Aumerle et limitée
dans la mise en scène de Jean-Baptiste
Sastre au seul défi lancé par Bagot, désireux de sauver sa peau en sacrifiant celle
de l’ancien favori de Richard. L’évêque Carlisle intervient pour signaler l’impossibilité de toute confrontation entre Aumerle
et Mowbray le banni. Au moment où semble recommencer la scène de l’acte I entre
deux anciens amis qui se déchirent, Carlisle révèle le sort de Mowbray depuis son
départ de la Cour : il a quitté la querelle
entre chevaliers d’un même camp pour une
autre guerre, une guerre sainte, la Croisade, lui qui « s’est battu si souvent pour
Jésus-Christ », «  a fait flotter l’oriflamme
de la croix du Christ », « son âme a donné
au Christ, capitaine dont il a si souvent défendu les couleurs ». Toute la réplique est
un éloge appuyé de celui qui de traître est
devenu un héros de la foi. La réplique doit
s’entendre comme un appel à dépasser les
guerres civiles qui ensanglantent le sol anglais, Carlisle vise à défendre le concept de
guerre Juste, celle qui se mène non pour
des intérêts personnels bassement matériels mais au nom de valeurs, la défense
de la Terre sainte menacée. Cette guerre
a été menée comme un service, d’une manière quasi monastique et Mowbray redevient dans l’éloge de Carlisle l’un des preux
des Chansons de geste qui s’en sont allés
vers leur fin, le corps et l’âme en repos.
Ce repos dévolu à l’âme purifiée de sa violence dans la Militia Dei, les protagonistes
du drame ne le trouveront jamais, même
quand ils en rêvent comme Bullingbrook
en III, 1 - « Partons messieurs. Combattre
Glendower et ses complices. Au travail, et
demain le repos » – soldats d’une guerre
dénaturée et impie. Le repos n’est pas
pour les hommes quand ils restent englués
dans leur violence.
Cependant, l’essentiel de l’intervention de l’évêque concerne son opposition
frontale et violente au projet impie de
Bullingbrook, « Non. Dieu te l’interdit ».
Ce cri du cœur jaillit dès le début de la
réplique adressée à l’usurpateur. L’opposition s’articule sur la définition d’un sujet
– droits et devoirs –, sur une définition de
la justice – « Même les pires voleurs sont
entendus avant d’être jugés », sur une définition de ce qu’est un roi de droit divin :
« le roi est l’image de la grandeur de Dieu.
C’est son capitaine, son serviteur, son représentant, son élu » sur une définition de
ce que serait la « vraie grandeur » : « la
vraie grandeur serait de s’interdire absolument un crime aussi fou », autrement dit
de s’abstenir de toute violence, ce serait le
seul « bon combat » à mener. Cet homme,
naguère si discret dans ses interventions,
puise dans la force de ses convictions le
courage de s’interposer au moment de cette révélation ; il est « excité par Dieu luimême à défendre son roi », il ose donner
à Bullingbrook le titre auquel il a droit :
« le sale traître du roi de Hereford ». Prophète inspiré, il retrouve les accents terribles de John de Gaunt pour mettre en
garde contre le danger des guerres civiles,
sa parole rejoint alors les contemporains
de Shakespeare dans le sinistre tableau de
ce qui peut rappeler la guerre des Deux
Roses : « Écoutez déjà gémir le futur. Et
la paix coucher avec les Turcs et les infidèles. Et les guerres frénétiques détruire
notre pays à nous », avant de révéler le
nom de ce pays d’emballement, de rivalité
et d’acharnement fou à détruire le semblable : « Golgotha. Pays des morts ». Carlisle
relie alors l’histoire anglaise au temps de
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CRDP
Académie de Versailles
la passion : en faisant du pays ravagé par
le mal un Golgotha, il fait de Richard un
nouveau Christ crucifié injustement par la
violence humaine. Cependant, le sacrifice
de Richard ne peut être semblable à celui
du Christ : le « Golgotha », « Lieu du Crâne » où le Christ, nouvel Adam et nouvel
Abel, donne librement sa vie pour le Salut
du monde pour tout accomplir en lui, reste
ici « la plus atroce division qu’ait jamais
connue cette terre maudite ». La parole
alors se fait cri devant le sacrilège : l’unité du monde, le rêve de la cité humaine
confiée à un roi commis par Dieu pour se
faire le serviteur du Christ s’écroule devant
Carlisle : il défend la cause théologique garant de la paix de l’homme dans des impératifs désespérés : « Empêchez ça. Résistez.
Faites que cela ne soit pas. » La dernière
phrase n’est pas un souhait, ni une malédiction mais la vision terrible de ce qui se
profile et qu’il faut coûte que coûte éviter
« ou vos enfants de vos enfants verseront
contre vous des larmes de malheur ».
C’est donc un combat terrible que livre l’évêque Carlisle, combat pour le roi,
combat pour la foi, pour défendre un ordre et une vision du Monde, l’ordre médiéval qui s’effondre devant ces fils violents,
combattants et chefs d’armée ambitieux,
assoiffés de puissance, lecteurs sans doute
de Machiavel, hommes de la Renaissance,
auteurs d’un droit fondé sur l’occasion,
l’avantage et la force.
Mais ce combat est perdu d’avance : dès
ce moment, il est arrêté pour haute trahison.
La pièce de Shakespeare fait à ce moment intervenir une autre figure de religieux en la personne de l’abbé de Westminster, supprimé dans la mise en scène
de Jean-Baptiste Sastre. C’est lui, et non
l’évêque, qui se charge d’organiser la
conjuration et trouve en Aumerle un défenseur décidé. C’est l’abbé qui organise
le crime d’état en utilisant la « sainte
communion » comme un moyen de souder
les conjurés, c’est lui qui retrouve le désir
de Northumberland de combattre Richard,
violence contre violence.
La mise en scène supprime les deux scènes, à l’acte II comme à l’acte V. Aumerle
reste dans la représentation responsable
avec ses amis du meurtre projeté de Bullingbrook et l’évêque Carlisle demeure pur
de tout reproche, comme dans le texte
original de Shakespeare. Il aura écouté
jusqu’au bout les demandes de son Maître
en refusant toute violence. Cette grandeur
dans le renoncement à tout usage de la
force sera finalement saluée par Bullingbrook même. Incapable de sévir comme le
souhaiterait Percy, le nouveau roi exprime
même un regret secret: « Si tu vis en paix,
tu mourras libéré des soucis. » La solitude
et la retraite à laquelle il condamne Carlisle deviennent une chance, celle de la
sainteté : « Choisis un lieu secret, une cellule. » L’estime s’exprime clairement : « Tu
as toujours été mon ennemi mais j’ai vu
souvent en toi l’honneur faire des étincelles. » La nostalgie pointe donc dans les
propos de Bullingbrook et la leçon de Carlisle est peut-être entendue, quoique tardivement, dans le désir final de deuil, de
repentir et de départ vers la Terre sainte
en pèlerin comme vers une patrie perdue
et réparatrice.
Dans Richard II comme dans d’autres
pièces de Shakespeare, Roméo et Juliette,
Le roi Lear, la pièce se clôt sur le deuil et
les regrets devant la tragique farce humaine. Carlisle, dont la voix s’éteint dans le
silence, traverse la pièce et s’efface mais il
fait entendre une AUTRE voix.
Les personnages féminins
Les femmes dans Richard II
La pièce compte peu de personnages féminins, trois seulement, situation logique vu
l’interdiction faite aux femmes de jouer.
Cependant, les femmes dans Richard II
sont placées comme « à côté » de l’intri-
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Académie de Versailles
gue, aucune d’elles n’assume la place importante d’une Juliette, par exemple.
Ces personnages féminins appartiennent tous les trois à la plus haute aristocratie, deux épouses de lords, celle du
défunt Gloucester et celle du duc d’York,
la reine. La pièce fait donc l’économie de
personnages secondaires plus populaires.
Ces trois femmes appartiennent à des
générations différentes : les duchesses
d’York et de Gloucester sont des femmes
âgées, l’une veuve, l’autre épouse de deux
des fils d’Édouard, le roi précédent. La duchesse d’York a pour fils Aumerle, compagnon de Richard son cousin. À l’inverse la
reine est une très jeune femme, venue de
France épouser Richard.
Ces trois femmes sont liées directement au drame, elles en sont les victimes
mais à des titres divers. La veuve du duc
de Gloucester, épouse d’un mari assassiné
sur ordre du roi demande à son beau-frère
Lancastre vengeance, lui adresse des reproches très nets : « Tu te fais largement
complice de la mort de ton père en laissant
massacrer lamentablement ton frère. Qui
fut modèle parfait de ton père de son vivant. » Elle incarne le devoir de vengeance
contre le coupable, les liens du sang, la
filiation entre les générations. Avec un
grand sens politique, elle montre que ce
crime impuni est finalement menace pour
Lancastre lui-même : « Supporter le massacre de ton frère, c’est offrir tout nu l’accès à ta propre vie. » Elle a conscience de
vivre dans un monde désaccordé voué au
malheur et se meurt de ne rien obtenir,
elle se retire seule et refuse finalement
la compagnie de quiconque : « Pas besoin
de venir chercher là-bas la tristesse qui est
partout dans le monde ». Sa mort, annoncée par un serviteur, dans la scène 2 de
l’acte II, met le comble aux malheurs du
Duc d’York, un autre de ses beaux-frères,
au moment même où il voulait demander
à sa belle-sœur de l’argent pour soutenir
la guerre contre Bullingbrook, demande
plus qu’étonnante vu les sentiments de la
duchesse. Elle disparaît donc au moment
de la tourmente, brisée par une injustice
qu’elle aura été incapable de faire punir.
La duchesse d’York intervient dans une
situation différente. Elle agit de plainpied dans le nouveau règne, celui d’Henri
IV, règne aux prémices violents causes de
mécontentements et complots : Aumerle et
ses amis en sont et son propre père découvre dans la scène 2 de l’acte V la lettre
fatale de la conjuration. La duchesse essaie alors de tout mettre en œuvre pour
enrayer le déferlement de la violence et de
la vengeance royale contre son fils, elle se
heurte avec force à son propre mari. Les
deux femmes découvrent donc toutes les
deux la difficulté de faire valoir l’humanité
contre un pouvoir injuste et criminel. Toutes deux défendent les droits de la famille
et du sang contre ceux du pouvoir. La première est obligée de lutter pour obtenir
vengeance contre un ennemi commandité
par le roi, la seconde découvre l’impossible rupture du respect masculin autour de
l’autorité. John de Gaunt n’osait affronter
directement Richard meurtrier de son propre frère, York rallié de fraîche date, est
prêt à sacrifier son propre fils coupable
envers le roi.
Les deux duchesses expriment donc
une lutte courageuse contre la tentation
d’oubli de la justice pour l’une, de goût
injuste de la violence et de la vengeance
pour l’autre. La duchesse d’York agit en
mère désireuse de sauver son enfant, elle
essaie de désarmer les raisons secrètes de
son mari : « Tu crois que c’est un bâtard et
non ton fils. York mon amour. Mon homme.
Ne pense pas ça. » Elle dicte à son fils la
ligne de conduite à tenir « Aumerle. Suisle. Prends ton cheval. Vite. Au galop. Arrive
chez le roi avant lui. Demande-lui pardon
avant d’être accusé. Je te rejoindrai très
vite. » Avec un grand courage, elle prend
son époux de vitesse auprès du nouveau
roi afin de sauver Aumerle compromis et
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Académie de Versailles
« justement » trahi par son père.
Les deux femmes sont donc amenées
pour des raisons opposées (venger un
mort, sauver un conjuré prêt à tuer) l’une à
demander le sang, l’autre à empêcher qu’il
ne coule, toutes deux au nom de l’attachement familial. Toutes les deux entrent
en conflit avec la mécanique du pouvoir :
la raison d’état a demandé le meurtre de
Gloucester, la fidélité à Henry demande le
châtiment du traître Aumerle, lui-même fidèle au roi Richard. À travers les femmes,
Shakespeare fait prendre conscience de la
mécanique de la violence mimétique et
montre le caractère fluctuant de la fidélité.
Que vaut la fidélité inhumaine de York prêt
à trahir son fils et à demander sa mort ?
Comment croire à son honneur (« Ma vertu ? Se faire la maquerelle de son vice ? Et
mon honneur se perdre dans sa honte ? »)
quand il a lui-même finalement abandonné
Richard ? Comment appeler la réserve de
Lancastre ? Lâcheté ? Les deux duchesses
en marge des hommes jouent finalement
un rôle important : elles ont le courage de
faire apparaître leurs impostures.
Chez toutes les deux on retrouve le
même parler viril, la même détermination,
particulièrement chez la duchesse d’York
qui se bat pour un fils bien vivant ; elle
incarne un vrai amour agissant qu’elle oppose violemment à l’attitude contrainte de
son époux : « Regarde-le. Ses yeux secs. Ses
prières de comédie. Il parle avec sa bouche. Et moi avec mon cœur. » Elle permet
au nouveau roi un moment de compassion
et d’amour qui le sauve de la mécanique
cruelle qui se met en place déjà. Aumerle
sera finalement sauvé.
La reine apparaît comme un personnage profondément tragique, sensible à un
malheur qu’elle ne peut éviter. Absente à
l’acte I, des décisions prises par Richard,
elle est présente auprès du roi au moment
de la spoliation des biens des Lancastre
mais reste muette quand le roi la convie au
plaisir avant son départ en Irlande : « Viens
ma reine. Nous devons demain nous séparer.
Sois gaie. Il nous reste si peu de temps. »
Elle n’a droit à la parole que dans la scène
suivante et nous découvre sa sensibilité
au malheur. À la différence des conseillers
du roi, elle est sensible « à quelque chose qu’[elle] ne connaît pas encore. (…)
un mal innommable » qui la plonge dans
une tristesse inconnue des autres personnages. Cet accouchement du malheur ne
tarde pas, dès l’arrivée de Greene porteur
des sinistres nouvelles de rébellion. (« Oh
Greene : tu es la sage-femme qui me fait
accoucher de mon mal. Et Bullingbrook : le
sombre enfant de ma tristesse. »)
Aucune désillusion ne lui est épargnée
et c’est un peu la chronique d’un désastre annoncé. En effet la Reine entend les
rapports catastrophiques de Greene, est
témoin du désespoir de York, pourtant
chargé de la sécurité du royaume. Dans
ce royaume qui se défait, sa place est incertaine : elle accompagne son oncle York
lors de sa sortie en II, 2 mais celui-ci ne
sait seulement où aller ; à l’acte III, elle
se trouve toujours avec lui, mais à Bristol.
Reine d’un roi menacé, elle n’a déjà plus
de statut bien défini, elle est à la dérive,
en quête d’une impossible consolation,
tributaire de l’aide improbable d’autrui :
Bullingbrook s’empresse de manifester un
attachement pour elle sans grande signification lors de son entrevue avec York
(« Dis-lui bien tout le respect que je lui
porte. Fais-lui savoir toute mon affection »)
sans suspendre aucun préparatif de guerre : ce respect n’est qu’une coquille vide.
Il est donc logique de retrouver la reine
dans la scène 4 de l’acte III dans un lieu
totalement éloigné de la vie publique et
politique, un lieu de plaisir qui ressemble
à une relégation. Paradoxalement, ce lieu
clos, le jardin, sera celui de la révélation.
La scène du jardin révèle pour commencer la personnalité de la reine. La reine est
un être d’amour : dans sa situation, elle
paraît vouée au malheur. Toute relation
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Académie de Versailles
heureuse lui est impossible, les moindres plaisirs ne rendent que plus aiguë la
conscience de son malheur et elle rejette
avec douceur les différentes propositions
de la dame qui l’accompagne. Courageuse
et lucide, elle choisit la vérité. Elle la recherche en choisissant de se cacher des
jardiniers pour surprendre leur conversation : les derniers développements de la
lutte et la vision populaire de l’action de
Bullingbrook. Déterminée et active, elle
réagit à ces terribles nouvelles : elle sort
de sa retraite et exprime sa souffrance,
exprime son indignation aux prophéties
du jardinier, son amertume à être si tardivement informée, prend tout de suite
la décision de rejoindre le roi à Londres
et épouser son malheur : « Venez, Mesdemoiselles, venez. Retrouvez à Londres le roi
malheureux de Londres. » Ainsi devientelle, elle aussi, une héroïne du cœur et de
la fidélité. Comme la duchesse d’York, elle
court à Londres mais ne manifeste aucune
illusion de pouvoir sauver Richard. Elle
sera simplement la compagne du malheur.
Face au roi dans la première scène de
l’acte V, elle manifeste un cœur royal et
généreux quand elle refuse l’abaissement
de Richard, son indignation est appel à la
révolte pour retrouver dignité et grandeur :
« Déchire la terre à défaut d’autre chose.
Furieux d’être dominé. Et toi comme un bon
petit élève tu subis sagement le châtiment.
Tu lèches la trique. Petite biche servile qui
s’aplatit. »
Pourtant, son silence pendant le dialogue entre Richard et Northumberland
lui permet d’évoluer. Le roi déchu maudit
le zélé soutien de son rival, les mots très
durs qu’il emploie montrent que sa fierté
n’est pas abolie et sans doute rassurent
la reine. Elle peut alors juger là où est la
vraie grandeur. La fin de la scène devient
duo lyrique où l’on retrouve certains des
accents de Roméo et Juliette dans l’ultime
rivalité des amants pour savoir qui souffrira le plus. La reine refuse de « prendre
le cœur » de Richard, le désir de souffrir
sans « tuer le cœur » de son époux lui
commande de « garder » son cœur. Le jeu
précieux entre les amants sur la possession du cœur de l’autre permet d’exprimer
l’amour pur, le soin de l’autre, le désir de
rompre avec la vie antérieure. Les adieux
sont brefs, écourtés par Richard qui aura
été, en cette matière, maître dans l’art du
dénuement pour la reine. À ce moment,
l’éducation de la jeune reine à la vie, c’està-dire à la souffrance, est achevée : elle
quitte le théâtre. À la différence des deux
duchesses, ses aînées, elle n’a plus rien à
attendre du nouveau roi : elle a parcouru
en quelques jours la totalité de la vie qui
épuise les bonheurs du pouvoir et de la vie
conjugale et conduit à la séparation définitive. Elle est allée plus loin que ses deux
sœurs en acceptant cette séparation.
Les personnages féminins dans la pièce
apparaissent finalement assez proches et
complémentaires : tous trois campent des
personnages de femmes courageuses, fidèles et fières, plus attentives que les hommes aux souffrances, conscientes des dangers du pouvoir, critiques de ses crimes.
Compagnes du malheur, elles retiennent
l’attention par leur détermination et leur
grandeur d’âme. La plus fragile et la plus
jeune est celle qui est capable d’aller le
plus loin dans son attention pour un roi
condamné que rien ne protège plus et pour
lequel elle accepte de mourir en « tuant
[son] cœur ».
Conclusion
Shakespeare écrit dans Hamlet : « La mémoire, c’est l’œil de l’esprit. » (I, 2) En
1695, cet œil avisé regarde le lointain passé de l’Angleterre pour y scruter les heurs
et malheurs du roi Richard. Il y découvre
la faiblesse de toute vie, même – et surtout – royale. Le parcours de Richard, c’est
celui du dénuement, sa grandeur, celle d’y
consentir.
La lecture attentive de la pièce permet
de comprendre en profondeur la vision de
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Académie de Versailles
Frédéric Boyer dans sa postface, elle prépare la découverte de la mise en scène de
Jean-Baptiste Sastre, le travail de Sarkis
et de tous les comédiens.
J’espère que ces pages pourront contribuer modestement à cette découverte et
témoigneront du très grand plaisir que j’y
ai moi-même trouvé. La lecture de cette
œuvre ne peut que convaincre du très beau
travail accompli au service de la pièce par
tous ceux qui l’ont portée. Je leur adresse
toute ma gratitude.
Danielle Vitry
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Bibliographie
Éditions de la pièce
– BOYER, Frédéric, Tragédie du roi Richard II, Éd. P.O.L
– MARKOWICZ, André, La vie et la mort du roi Richard II, Les Solitaires intempestifs
traduction créée pour les représentations au Théâtre de la Ville en 2004.
– Pour consulter le texte anglais de la pièce dans ses différentes versions : le site de
Shakespeare : http://internetshakespeare.uvic.ca/Library/plays/R2.html
Sur le théâtre élisabéthain
DEGAINE, André, Histoire du théâtre dessinée, Éd. Nizet, 1993.
Sur Shakespeare
– FLUCHERE, Henri, Shakespeare, dramaturge élisabéthain, coll. TEL Gallimard,
1987. – GIRARD, René, Shakespeare, les feux de l’envie, Éd. Bernard Grasset, Paris 1990.
– JOHNSTON, Derek, Shakespeare, Éd. PUF, coll. « Figures et Plumes » 2008.
– KOTT, Ian, Shakespeare notre contemporain, traduit du polonais par Anna Posner,
Éd. Julliard, Paris 1965.
– SUHAMY, Henri, Shakespeare, Éd. Le Livre de Poche, coll. « Références », Paris
1996.
Sur Richard II
– WINTER, Guillaume, Autour de Richard II, Éd. Artois Presses université, 2005.
– Les sources de Shakespeare : http://www.shakespeare-online.com/sources/R2sources.html
Autres lectures
ELIADE, Mircéa, Le sacré et le profane, Éd. Folio Essais, 1987.
GIRARD, René, La violence et le sacré, Éd. Hachette Littérature, 1998.
Représentations scénographiques, crédits photographiques
– Des photos des différentes représentations de la personne du roi Richard, depuis
l’époque médiévale aux acteurs du XXe siècle : ramel.pagesperso-orange.fr/r2/index.
html
– La Bataille de San Romano (l’épisode de la retraite des Siennois) de Paolo UCCELLO : http://www-lyc58-romain-rolland.ac-dijon.fr
– Le diptyque Wilton : https://wwwencyclopedie.bseditions.fr
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Annexes
RICHARD II
ETUDE DE LA COMPOSITION
TABLEAU DE PRESENCE DES PERSONNAGES
ACTES
I
De
mauvaises
décisions,
une royauté
indigne
SCENES PERSONNAGES
1 Richard, John de Gaunt ,
nobles et serviteurs
TEMPS
LIEUX
Pas
d’indication
fonds, serait responsable de la mort de Gloucester ; les deux hommes
demandent le duel judiciaire.
Le Roi essaie d’éviter la violence mais les 2 partis refusent de cesser la
querelle. Le combat est alors remis à La Saint Lambert à Coventry.
Bullingbrooke , Mowbray
2 J de G ; Duchesse de
Gloucester
Après la
cour de
justice
3 lord Marshall et Duc
d’Aumerle
Saint
Lambert
Coventry
Pas
d’indication
Coventry
Pas
d’indication
Ely House
demeure de
John de
Gaunt
Déploration par sa veuve de l’assassinat de Gloucester.
Elle appelle John de Gaunt à venger son frère : mais le duc refuse d’agir
contre le roi.
La duchesse lance des malédictions contre Mowbray.
Ellipse entre I 2 et 3
Ensuite Norfolk et enfin
Bullingbrook
Sortie du Roi et de sa suite
Duc d’Aumerle
Arrivée de Buschy
II
1 John de Gaunt, le duc d’York
La
rébellion
Arrivée de Richard, la Reine,
Aumerle, Bushy, Bagot, Green,
Ross et Willoughby
Northumberland
2Bushy, La reine, Bagot,
Greene
Ellipse
imprécise
Arrivée de York
3 Bullingbrook Northumberland
Ellipse
imprécise
Arrivée de Henry Percy, fils de
Northumberland
Puis de Ross et Willoughby et
de Berkeley et de York
4 le Capitaine gallois, Salisbury
Attente
« depuis
dix jours »
Jour du duel judiciaire
Les champions se présentent devant le Roi, les conditions du duel sont
réglées par le lord Marshall et 2 hérauts.
Le roi impose un appel et fait connaître sa décision : le refus du duel, de la
violence et le bannissement des duellistes, à des durées différentes
(Hereford : 10 ans remis finalement à 6 ans ; Mowbray : bannissement à vie).
Les bannis prêtent serment de respecter la sentence royale.
John de Gaunt, tient d’amers propos, pour avoir été obligé de parler contre
son fils au conseil royal.
Sortie du Roi
les adieux du père et de son fils .
Entretien de Gaunt et de son fils : vains efforts de réconfort, détresse de
Bullingbrook qui affirme son sentiment anglais.
Puis Richard et sa suite
4 Richard, Green et Bagot
CENTRES D’INTERET
Cour de justice = Bullingbrook accuse Mowbray : il aurait détourné des
Gloucestershi
re, près de
Berkeley
Le camp de
l’armée royale
Le Roi et ses courtisans-espions.
Le roi Interroge Aumerle , désireux de connaître la teneur des adieux. Richard
exprime sa rancœur et sa jalousie .
Green rappelle la nécessité de la guerre en Irlande, le roi évoque le manque
d’argent de la couronne et propose des solutions cyniques. L’arrivée de
Bushy ,qui annonce la maladie subite de John de Gaunt, réjouit le Roi.
Au chevet du malade : mises en garde inutiles ; la spoliation .
John de Gaunt, malade, affirme pouvoir conseiller utilement Richard contre la
corruption et la honte malgré les impressions contraires de York qui constate
l’entêtement du roi.
Arrivée du roi et de sa suite.
John de Gaunt prophétise la maladie du roi et lui adresse de sévères
reproches
Sortie de John de Gaunt.
Richard annonce la réquisition des biens de Gaunt pour financer la guerre en
Irlande, York adresse reproches et mises en garde au roi Départ de York puis
du roi et de sa cour pour l’Irlande .
Les mécontents.
Northumberland annonce la mort de John de Lancastre, Ross, Willoughby
dénoncent la politique dispendieuse et mauvaise du roi. Annonce de l’arrivée
prochaine d’Henry de Hereford, tous partent pour Ravenspurgh.
Douleur et pressentiments de la reine . Les favoris du Roi lui annoncent
le débarquement de Bullingbrook et la défection de Northumberland, Ross,
Willoughby .
Désarroi des fidèles .
Un serviteur annonce la mort de la duchesse de Gloucester à York. York
exprime son désespoir dans une situation qu’il juge absurde..
Les favoris du roi restés seuls expriment leurs craintes : Bagot part en Irlande,
les deux autres à Bristol.
Retour du banni accueilli par les flatteries de Northumberland.
Percy annonce le ralliement de Worcester.
Les Lords loyaux à Richard viennent voir Bullingbrook et York lui adresse des
reproches mais est sensible à ses arguments : il affirme finalement sa
neutralité.
Défection du Capitaine Gallois devant l’absence de nouvelles du roi et
l’accumulation se signes sinistres.
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CRDP
Académie de Versailles
Annexes
III
Le retour du
Banni
1 Bullingbrook, York,
Northumberland + Bushy et
Green prisonniers
2 Roi Aumerle Carlisle
soldats
Bristol camp
de
Bullingbrook
Pas
d’indication
Château de
Barkloughly
Durée
imprécise
du siège
Château de
Flint
Arrivée de Scroope
Hors scène entre actes II et III : défaite des favoris du Roi
Bullingbrook s’arroge le droit de justice royal en condamnant à mort
ses ennemis vaincus : énoncé de la sentence et des motifs ; Bullingbrook
affirme son désir de prendre soin de la reine. Il part pour d’autres combats.
Bonheur du retour du Roi en Angleterre ; Richard, d’abord confiant dans
sa conception sacrée du roi, s’effondre après la révélation par Carlisle de
l’ampleur de la révolte.
Scroope annonce l’exécution de Bushy et Greene puis le ralliement de York :
Départ désespéré de Richard pour le château de Flint.
3 Bullingbrook, York,
Northumberland et suite
Cour
inférieure
IV
Fin de
partie et
retour
V
Le cercle de
la violence
4 Reine, dame
Jardinier et serviteur
Pas
d’indication
Jardin
1 Bullingbrook & Lords :
Aumerle, Northumberland,
Percy, Fitzwater, Surrey,
Carlisle, Abbé de
Westminster Lord, héraut,,
officier
Pas
d’indication
Londres
Parlement
Pas
d’indication
Londres, rue
conduisant à
la Tour
Chez les York
Pas
d’indication
Aumerle, l’évêque Carlisle,
l’abbé de Westminster
1 Roi Richard, reine, gardes
Northumberland
2 York, la duchesse
Pas
d’indication
Aumerle
Même
moment
Au palais
Pas
d’indication
4 Exton, un serviteur
Pas
d’indication
Pas
d’indication
, après le
couronnem
ent de
Henry IV
Pas
d’indication
Pas
d’indication
Château de
Pomfret
6 Bullingbrook York, autres
lords et serviteurs
Entrent Nortumberland puis
Fitzwater, Percy et Carlisle,
puis Exton et le cercueil
Entrevue entre Richard et Bullingbrook dans la « cour inférieure »
du château : regard lucide de Richard et abandon : départ pour Londres.
Désarroi de la reine.
Cachée, elle surprend le dialogue du jardinier et de son aide : entretien
métaphorique entre l’art des jardins et le gouvernement, écho des nouvelles
politiques (résumé des actes précédents, annonce de la destitution).
la Reine exprime sa douleur et part pour Londres après avoir maudit ce fatal
jardin Les jardiniers expriment leur compassion.
3 Roi, Percy, autres Lords
York, Aumerle, la duchesse
5 Richard, le palefrenier, le
gardien
Les assassins dont Exton
Désacralisation de Richard dans le camp des révoltés: Northumberland
en parlant lui refuse le titre.
Envoi des plénipotentiaires de Bullingbrook porteurs d’un ultimatum
Entrevue entre Richard et Northumberland.
Détresse de Richard : tirade de l’abandon.
Pas
d’indication
DESTITUTION DE RICHARD.
Elucidation de la mort de Gloucester.
Bagot accuse Aumerle d’avoir commandité le meurtre, les lords lui lancent
des défis. : Bullingbrook souhaite rappeler Mowbray banni pour témoignage
mais Carlisle annonce sa mort en Italie après avoir lutté pour le Christ.
L’abdication de Richard et l’avènement de Henry IV.
L’évêque Carlisle refuse cette mesure au nom d’une conception théocratique
de la royauté : cette transgression causerait violences et guerres civiles.
Northumberland arrête Carlisle pour haute trahison.
Comparution de Richard : abandon de la royauté,
Richard accepte tout, brise le miroir qui ne garde aucune trace de ce si cruel
abandon. Sa requête d’exil est refusée : il reste prisonnier du nouveau roi.
Sortie du Roi Henry, des Lords et de Richard captif.
Un complot se monte contre le nouveau roi-tyran : Aumerle, Carlisle,
l’abbé de Westminster.
Dans la rue ont lieu les adieux des époux, finalement séparés par
Northumberland.
Chez les York.
Le duc raconte à son épouse les derniers développements : les outrages
adressés à Richard et fière arrivée de Bullingbrook dans la liesse populaire : la
duchesse exprime sa compassion.
Arrivée d’Aumerle privé de son titre par Bullingbrook pour avoir aimé Richard
mais sauvé par son père au Parlement..
York découvre la lettre du complot au cou de son fils : les époux s’opposent
violemment sur la conduite à suivre.
Chez le Roi : le pardon.
Bullingbrook récrimine contre son fils mais veut pardonner et espérer
La trahison d’Aumerle est découverte : Aumerle se défend, son père
l’accuse, sa mère supplie Bullingbrook et emporte le pardon.
Exton rend Le service de l’assassin : il veut être « l’ami » qui
« débarrasse de cette peur vivante » le nouveau roi.
La mort du Roi Richard.
Richard médite seul sur les pensées contradictoires qui torturent son esprit ,
sur le temps et son désespoir . Il s’entretient avec le palefrenier :qui révèle la
dernière usurpation d’Henry, prendre le cheval de Richard au couronnement.
Richard est tué par Exton : le meurtrier exprime un fugitif regret devant la
noblesse et le courage du roi.
Les violences du nouveau roi.
Les favoris apprennent au roi les cruautés du nouveau règne
Bullingbrook exile Carlisle dans un monastère et refuse de remercier Exton
pour son crime.
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