Le point sur l`hypertension artérielle à la phase aiguë de - E
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Le point sur l`hypertension artérielle à la phase aiguë de - E
LE POINT SUR... Le point sur l’hypertension artérielle à la phase aiguë de l’AVC Etre strict sur l’objectif est-il bénéfique pour le patient Charlotte ROSSO, Urgences Cérébro-Vasculaires, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris [email protected] hypertension artérielle, définie par un chiffre de pression artérielle systolique ≥140 mmHg ou diastolique ≥ 90 mmHg est fréquente à la phase aiguë (< 24 heures) de l’accident vasculaire cérébral. On estime sa prévalence à environ 80% des patients. Le maître mot des neurologues vasculaires est de “respecter” la tension artérielle à la phase aiguë. Les objectifs recommandés par les sociétés savantes sont toutefois différents en fonction de la nature (ischémique ou hémorragique) de l’AVC. L’objectif de cette revue est de déterminer si être plus strict sur l’objectif de pression artérielle à la phase aiguë de l’AVC est bénéfique ou non pour le patient, avec un focus sur l’hématome intra parenchymateux (HIP). Hypertension artérielle à la phase aiguë de l’AVC au sens large L’hypertension artérielle à la phase aiguë de l’AVC a des mécanismes divers. Elle résulte à la fois d’une réponse adrénergique à l’agression cérébrale, d’un stress psychologique, mais aussi d’une possible dysrégulation du système nerveux autonome par atteinte cérébrale et de l’existence d’une hypertension artérielle chronique prémorbide entrainant une anomalie de la régulation de la pression artérielle. La présence d’une hypertension artérielle à la phase aiguë de l’AVC est à la fois bénéfique et délétère pour le patient (Tableau 1). Comme la pression de perfusion cérébrale dépend de la pression artérielle moyenne, une pression artérielle élevée est garante d’une bonne perfusion cérébrale. Dans l’infarctus cérébral, la per- fusion cérébrale est nécessaire pour que la pénombre ischémique (qui est ce tissu hypoperfusé, structurellement intact et fonctionnellement inactif) ne se transforme en infarctus, avec des lésions irréversibles. La transformation de la pénombre ischémique en infarctus est le mécanisme numéro un qui explique la croissance de l’infarctus. Mais l’hypertension artérielle entraîne aussi un œdème vasogénique, qui apparaît plus tardivement vers le 2ème jour post AVC. Enfin, il a été clairement démontré que l’hypertension artérielle était liée a un mauvais pronostic chez les patients victimes d’un infarctus cérébral et thrombolysés car elle augmente le risque de transformation hémorragique (par le biais de lésions de reperfusion). Dans les hématomes intraparenchymateux, elle augmente le risque de resaignement et donc le volume final de l’hématome. Management de la pression artérielle : les questions posées L’hypertension artérielle n’a pas les mêmes effets sur l’infarctus cérébral (AIC) et sur les hématomes intraparenchymateux (HIP). En ce qui concerne les infarctus cérébraux, les recommandations actuelles de la SFNV (Société Française de Neurovasculaire) et de l’ESO (European Stroke Organisation) sont de traiter si la PAS ≥ 220 et PAD ≥ 120 mmHg et en cas de thrombolyse, de baisser la PAS ≤ 185 et la PAD ≤ 110 mmHg. Ces objectifs ont été choisis pour une balance bénéfice-risque entre le fait de diminuer la pression artérielle lors de la recanalisation de l’artère pour éviter la trans- TABLEAU 1. AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS D’UNE ÉLÉVATION DE LA PRESSION ARTÉRIELLE DANS LES PREMIÈRES HEURES DE L’AVC. Accident ischémique thrombolysé Inconvénients Bénéfices Hémorragie intra-parenchymateuse Risque de transformation hémorragique Risque de défaillance cardiaque (terrain) Risque accru de resaignement Augmente l’oedème vasogénique Risque de défaillance cardiaque (terrain) Maintien d’une perfusion cérébrale correcte Retarde la transformation de la pénombre en infarctus Maintien d’une perfusion cérébrale correcte JANVIER 2016 26 CORDIAM formation hémorragique symptomatique et le risque de « précipiter » la transformation de la pénombre ischémique en infarctus. Cependant, il y a très peu de données comparant divers objectifs de pression artérielle à la phase aiguë chez les patients thrombolysés: faut-il être plus strict comme l’ont montré certains registres ? Faut il au contraire fixer les mêmes objectifs que chez les patients non thrombolysés pour permettre au tissu cérébral d’être sauvé ? La question de la variabilité tensionnelle et de la prise en charge en fonction du statut de l’artère initialement occluse (recanalisée ou non) est épineuse. En ce qui concerne les hématomes intraparenchymateux, les recommandations des sociétés savantes sont de faire baisser la PAS ≤ 180 mmHg et la PAD ≤ 110 mmHg. Mais, puisque la pression artérielle initiale est délétère à la phase aiguë et plus précisément dans les premières heures car elle favorise le resaignement et augmente la pression intracranienne, il semblerait licite de traiter pour que les patients aient une pression artérielle plus basse (aux alentours de 130-140 mmHg). Les problèmes soulevés par un traitement intensif sont cependant multiples. Comme pour l’hyperglycémie, l’hypertension artérielle est à la fois la cause et la conséquence de la lésion. Par ailleurs, le traitement intensif quel qu’il soit peut entrainer la survenue d’aggravation toute aussi délétère pour le pronostic neurologique. Enfin, comme la variabilité tensionnelle est importante et toute aussi corrélée au mauvais pronostic, la surveillance doit être rigoureuse pour éviter les « à-coups ». Les études sur l’infarctus cérébral thrombolysé La balance bénéfice risque est ici celle du bénéfice du maintien de la perfusion cérébrale face à la transformation hémorragique de l’infarctus. La transformation hémorragique dite symptomatique (c’est-à-dire qui aggrave le patient) est peu fréquente en l’absence de traitement thrombolytique (< 1%) mais celle-ci est quasi multipliée par 10 avec la thrombolyse. L’élévation de la pression artérielle, et la variabilité de celle-ci sont des facteurs prédictifs de cet évènement dramatique. Les recommandations sont alors prudentes. Elles préconisent de traiter les patients qui vont recevoir un traitement thrombolytique si la PAS ≥ 185 mmHg et la PAD ≥ 110 mmHg, mais sans descendre en dessous de 160 mmHg de PAS. Une étude(1) est toutefois en cours (ENCHANTED trial) et teste avec un design factoriel (2x2) à la fois une dose plus basse de rtPa (0.6 mk/kg) versus la dose standard et un protocole plus strict de pression artérielle versus les recommandations standards. CORDIAM Les études sur l’hématome intraparenchymateux L’élévation de la pression artérielle est très fréquente à la phase aiguë des hémorragies intraparenchymateuses, sous l’influence de multiples facteurs. Le volume de l’hémorragie cérébrale est un des facteurs prédictifs de mortalité intrahospitalière les plus robustes et un des seuls modifiables (un volume de 30 ml correspond à une mortalité de 25-50% et un volume de > 60 ml à 90%). Or, l’augmentation de ce volume par resaignement est fréquente au cours des premières heures, et est observée chez environ 1/3 des patients (2). Lutter contre cette expansion volumique représente une des stratégies de prise en charge à la phase aiguë des hémorragies intracérébrales. Or, des travaux ont montré une corrélation significative entre réduction de la pression artérielle à la phase aiguë des HIP et la réduction de la croissance de l’hématome (3). Les études randomisées comparant un traitement intensif versus le traitement standard sont assez peu nombreuses. Parmi celles-ci, il y a la « saga » INTERACT. La première étude INTERACT (phase II) a montré l’intérêt d’une baisse intensive et rapide du niveau de pression artérielle à la phase aiguë des HIP (< 6 heures) (4). Deux stratégies étaient comparées: l’une, intensive avec pour objectif d’atteindre une PAS inférieure à 140 mmHg dans l’heure suivant la prise en charge, l’autre, basée sur les recommandations habituelles, avec pour objectif une PAS inférieure à 180 mmHg. Cette étude menée sur 404 patients a montré qu’une réduction précoce et intense du niveau de pression artérielle était faisable en toute sécurité. Par ailleurs, dans le groupe « intensif », l’augmentation de volume de l’hématome à la 24ème heure était moins importante (+ 13.7% dans groupe « intensif » vs. 36.3% dans le groupe « standard » (p=0.04)). INTERACT 2 publiée en 2013 (5) était l’étude de phase III (n=2794 patients) avec le même schéma expérimental. La « sécurité » est confirmée dans cette étude, tant en terme sd’hypotension (< 1% dans chaque groupe), que d’évènements cardiovasculaires (2%). Cependant, le critère de jugement sur le handicap à 3 mois, n’est pas significatif tant en analyse dichotomisée que ordinale après ajustement sur les variables initiales, (cf. tableau du supplementary appendix). Ces études ont surtout montré l’absence d’un surcroit de complications systémiques. Néanmoins, en l’absence de bénéfice clair, et compte tenu de la surveillance qu’un tel protocole engendre pour descendre et maintenir la pression artérielle dans cet objectif sans à-coups, une telle intervention est-elle justifiée ? La réponse « rationnelle » est non. Cependant, les recommandations de la SFNV sont : « Les JANVIER 2016 27 patients ayant une hémorragie cérébrale de moins de 6 heures, non traumatique, non malformative (« spontanée »), et une PA systolique comprise entre 150 et 220 mmHg, peuvent bénéficier d’une baisse rapide de la PA systolique, avec une PA cible inférieure à 140 mmHg en moins de 60 min. Cette baisse est réalisable, bien tolérée et probablement efficace sur le pronostic fonctionnel. » Ces recommandations peuvent être le reflet du fait que l’HIP, nommé souvent « parent pauvre » de l’AVC suite aux échecs successifs des thérapeutiques hémostatiques, neuroprotectrices etc… font que le contrôle de la tension artérielle est une façon de se dire que les équipes font « quelque chose ». Leçons pour la pratique clinique Références 1- Huang Y, Sharma VK, Robinson T, et al.; ENCHANTED investigators. Rationale, design, and progress of the ENhanced Control of Hypertension ANd Thrombolysis strokE stuDy (ENCHANTED) trial: An international multicenter 2 × 2 quasi-factorial randomized controlled trial of low- vs. standard-dose rt-PA and early intensive vs. guideline-recommended blood pressure lowering in patients with acute ischaemic stroke eligible for thrombolysis treatment. Int J Stroke. 2015;10(5):778-88. 2- Brott T, Broderick J, Kothari R, et al. Early hemorrhage growth in patients with intracerebral hemorrhage. Stroke. 1997;28(1):1-5. 3- Ohwaki K, Yano E, Nagashima H, Hirata M, et al. Blood pressure management in acute intracerebral hemorrhage: relationship between elevated blood pressure and hematoma enlargement. Stroke. 2004 Jun;35(6):1364-7. 4- Anderson CS, Huang Y, Wang JG, et al.; INTERACT Investigators. Intensive blood pressure reduction in acute cerebral haemorrhage trial (INTERACT): a randomized pilot trial. Lancet Neurol. 2008;7(5):391-9. 5- Anderson CS, Heeley E, Huang Y, et al.; INTERACT2 Investigators. Rapid bloodpressure lowering in patients with acute intracerebral hemorrhage. N Engl J Med. 2013;368(25):2355-65. A ce jour, aucune étude n’a montré un bénéfice d’un traitement intensif de la pression artérielle à la phase aiguë sur le handicap des patients avec un AVC. Il existe quatre données consensuelles sur la prise en charge de la tension artérielle si il y a besoin d’un traitement anti-hypertenseur : • Ce traitement ne doit avoir lieu qu’après une imagerie cérébrale (les objectifs n’étant pas les mêmes pour l’AIC que pour l’HIP) • Aucun médicament n’a montré la supériorité de l’un par rapport à l’autre. La voie veineuse doit être préférentiel lement utilisée à la phase aiguë. En France, l’Urapidil et la Nicardipine sont les médicaments les plus utilisés. • Le traitement doit maintenir la pression artérielle dans l’objectif en fonction du type d’AVC et doit absolument éviter les à-coups tensionnels. • En cas de dysfonction d’organe liée à l’hypertension, un traitement anti-hypertensif peut être débuté même si l’objectif « neurologique » n’est pas atteint. Conclusion Le maitre mot reste toujours de « respecter l’hypertension » pour tout accident vasculaire ischémique. Dans le cas particulier de la thrombolyse, l’objectif de pression artérielle pour traiter le patient est un peu moins élevé en raison du sur-risque de transformation hémorragique. Enfin, bien que les données expérimentales suggèrent que l’hypertension artérielle est délétère pour le pronostic fonctionnel et la mortalité dans l’hémorragie cérébrale, les études randomisées sur le traitement intensif sont à ce jour un échec. Les recommandations actuelles de l’European Stroke Organisation conseillent des seuils différents en fonction du type d’AVC et du type de traitement. JANVIER 2016 28 CORDIAM