Migros magazine - Art of Bharata Natyam

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Migros magazine - Art of Bharata Natyam
VIE PRATIQUE MIEUX VIVRE
Migros Magazine 30, 26 juillet 2010
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Céline Lakmini Girard
enseigne le Bharata
Natyam à Fribourg et à
Préverenges (VD).
La danse des dieux
Colorée, sensuelle, multiple, la danse indienne classique a plusieurs visages. Dont celui
rayonnant de Céline Lakmini Girard. Cette jeune femme propose stages et initiations
de Bharata Natyam à un public conquis d’avance. Pour danser comme à Madras.
E
lle est enveloppée d’un lumineux sari turquoise de Madras, un foulard fuchsia noué
autour de la taille. Et de ses pieds
nus, elle martèle le parquet, tandis que les vocalises de Ragunathan remplissent la salle de danse
à Fribourg.
Des mouvements soyeux, une
grâce portée jusqu’au bout des
doigts et un visage aussi expressif
que ces gravures qui animent les
temples hindous. Céline Lakmini
Girard, la trentaine étincelante,
fait une démonstration de Bharata
Natyam devant une poignée d’élèves. Essentiellement des femmes,
de 20 à 55 ans, qui viennent chaque semaine s’offrir un bain d’exotisme.
Le Bharata Natyam? Céline Lakmini Girard n’en avait jamais entendu parler avant un voyage au Sri
Lanka. Elevée en Suisse dans une
famille d’adoption, ce n’est que lors
d’un séjour dans son pays natal
qu’elle découvre cette danse traditionnelle. «Ça a été magnifique
pour moi de voir ça. Un pur moment de beauté, les costumes, les
couleurs, les mains qui racontent
des histoires. C’était moi!» Retour
aux racines, retour aux sources. Sitôt rentrée en Suisse, la jeune femme trouve une école de Bharata
Natyam et s’attelle à l’apprentissage
de cette discipline, qui «n’est pas
qu’une danse, mais un art complet
millénaire, qui fait appel à la mythologie, à l’intellect et à la mémoire».
Rien à voir donc avec la danse du
ventre, façon Bollywood ou Mille
et une nuits, qui décline la séduction avec roulements du bassin et
voiles transparents. Le Bharata
Natyam, danse sacrée qui plonge
ses grelots dans le sud de l’Inde et
le nord du Sri Lanka, était pratiqué autrefois par les servantes
des temples.
«Il a été interdit pendant les
années de colonisation anglaise
et a resurgi dans les années 50.
Aujourd’hui, il est vraiment populaire et est même enseigné à
l’Université.» La jeune femme se
lance dans cet apprentissage au
long cours. En tout, sept examens,
théorie, pratique et chant carnatique. Pour neuf ans de forma-
tion, patiemment conduits en
marge de ses études de biologie.
Un art qui demande
beaucoup de persévérance
«Pas besoin de qualité spéciale,
mais pour progresser, mieux vaut
être très motivé. Les textes anciens
préconisent aussi un corps harmonieux et un beau visage. Mais une
chose est sûre, on ne fait pas de régime comme les danseurs de ballet!» Pour cette danse plus expressive qu’acrobatique, il faut de la
persévérance. Beaucoup. Dans la
salle, les corps s’échauffent. Pantalons amples et tuniques scintillantes ou simples leggings sous une
blouse tunisienne, les participantes se concentrent,
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Dans le Bharata Natyam,
les mains jouent un rôle
capital: elles aident à
raconter des histoires.
Pour en savoir plus
serrent les mâchoires pour
mémoriser les enchaînements, coordonner bras et pieds en
un mouvement harmonieux. «C’est
bien, mais essayez de garder le sourire», rappelle Céline Lakmini Girard. Pas facile de présenter un visage de divinité quand il s’agit de se
rappeler les gestes des mains, tous
codifiés, précis, chargés de sens. En
tout, une quarantaine de mudras, à
retenir en sanskrit bien sûr.
Chaque danse est un
véritable récit
Le croissant de lune, le bourgeon
de lotus, la biche, ou encore le
poisson, le coquillage, le serpent à
deux têtes, autant de figures exprimées à pleines mains, les doigts
écarquillés. Car chaque danse,
dont les représentations peuvent
durer une heure, est un véritable
récit. Et les mains, souvent peintes
au henné pour en souligner la visibilité, jouent un rôle capital: elles disent les poèmes d’amour, la
beauté et l’histoire des dieux hindous, la grandeur de Brahma,
créateur de la Terre, la lourdeur
comique de Ganesh, le dieu à tête
d’éléphant.
➔ Où s’exercer:
Plusieurs adresses pour s’initier
à la danse indienne, aux
facettes aussi multiples que les
bras de Shiva. Comme il existe
pas moins de sept formes de
danses indiennes classiques,
de la variante populaire Gaana
Dapankhutu au théâtral et très
maquillé Katakali, il faut faire
son choix! A noter que les
Ecoles-clubs Migros
proposent des cours de
Bhangra, danse virile du nord
de l’Inde, et de Bollywood,
variante mâtinée de hip-hop.
Infos sur www.ecole-club.ch.
Les Ateliers d’ethnomusicologie à Genève initient
également adultes et enfants
aux adavus (frappes de pied),
mudras (positions des mains) et
aramandi (posture de base) du
Bharata Natyam. Au même
endroit, on peut également
suivre des cours de Kathak,
originaire du nord de l’Inde.
D’abord danse sacrée, puis de
Les mains se joignent en couronne
sur la tête et c’est Indra, roi des
dieux, qu’il faut reconnaître. Un
doigt se recourbe tel un crochet et
c’est la mort qui entre en scène.
cour sous l’influence moghole,
cette performance narrative
autrefois réservée aux hommes
se pratique avec force
pirouettes et postures
statuesques, les chevilles
enserrées de ghunghurus
tintinnabulants.
Infos sur www.adem.ch.
➔ Que lire:
Bharata Natyam, Odissi,
Kathak, Manipuri… Présentées
dans cet ouvrage écrit par
Leela Venkataraman, critique
de danse dans de grands titres,
comme le «National Herald», et
illustrées par des images à
l’esthétisme parfait, la plupart
des danses classiques
indiennes n’auront plus de
secret pour vous. Sans doute
un des meilleurs livres sur le
sujet. Cent quarante-quatre
pages de pur bonheur. «La
danse classique indienne»,
par Leela Venkataraman,
Ed. de Lodi, 2003.
Un pied levé, les mains ballantes
et c’est Shiva qui apparaît, dieu de
la danse, de la destruction et de la
reconstruction de l’univers. Jusqu’aux yeux qu’il s’agit de faire rou-
ler pour un maximum d’expressivité, puisque le visage est à lui seul
un élément clé du langage chorégraphique.
Fascinées par la culture
ancestrale de l’Inde
«Cette danse est très féminine, elle
est comme une nouvelle langue»,
témoigne Rebecca qui a délaissé la
salsa pour le Bharata Natyam. «Le
mouvement des mains m’a toujours
plu. J’aime le mélange de théâtre, de
danse et de spiritualité, c’est beau à
regarder. Et puis, je suis sûre que les
mudras agissent sur le corps, qu’ils
soignent», enchaîne Esther, qui
aime aussi les pieds qui frappent le
sol avec force, parce que «ça ancre,
ça recentre.» Autant d’arguments de
la part de participantes, toutes fascinées par la culture ancestrale de
l’Inde, sans y avoir jamais glissé un
orteil. «La danse est aussi une façon
de voyager, sans les désagréments»,
conclut Céline Lakmini Girard dans
un sourire.
Patricia Brambilla
Photos Mathieu Rod
Céline Lakmini Girard donne des cours et
ateliers de Bharata Natyam à Fribourg et à
Préverenges (VD). Infos sur www.artofb.ch