multimédia et éducation à l`image

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multimédia et éducation à l`image
MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras
MULTIMÉDIA ET ÉDUCATION À L’IMAGE
Bernard Darras
Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
« Qui maîtrise les images maîtrise les esprits71.”
Bill Gates72
Résumé : Cet article présente quatre arguments prioritaires plaidant en
faveur du développement d’une véritable éducation aux images. Le premier
est technologique et renvoie au développement sans précédent des
technologies de l’image. Le second est techno-culturel et renvoie à
l’émergence d’un changement radical dans le rapport aux images. Celles-ci
ne sont plus seulement des lieux de représentation et de production, mais
aussi des occasions d’interaction. Le troisième est cognitif et c’est sans doute
l’argument principal. Il concerne la reconnaissance de l’importance capitale
du rôle des images, notamment d’origine visuelle, dans la pensée et la
connaissance. Enfin, le quatrième concerne le rôle que les multimédias
interactifs peuvent jouer dans l’éducation interactive à l’image. Dans cette
direction, l’article propose une typologie commentée des opérations et
interactions multimédias qui peuvent explorer une image source.
1. Arguments pour une éducation aux images
a) La société
L’un des nombreux paradoxes de la société contemporaine concerne le
couple image et éducation. Alors que la société reconnaît
unanimement l’importance des images fixes ou animées dans la
construction symbolique du monde et l’importance de celles-ci, tant
dans les médias que dans les loisirs, l’éducation formelle ou
informelle ne lui consacre qu’une part dérisoire au regard de
l’importance accordée au développement de la langue sous ses formes
orale et surtout écrite.
71
Guérin, M. (1999), La guerre des Images et le Photojournalisme, L e
Monde, n° 17011, 6 XI 1999, p. 1 et 19.
72
Bill Gates est le très connu PDG de Microsoft, mais il est aussi le fondateur
et propriétaire de CORBIS second groupe international sur le marché du
contenu visuel.
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Certes les images sont régulièrement utilisées dans l’enseignement
mais elles le sont plus comme servantes d’autres disciplines que pour
ce qu’elles sont et valent.
Depuis des lustres, ce débat est régulièrement ouvert et ne trouve pas
de solution, ce qui, en soit, est un indice des plus pertinents pour le
chercheur attentif aux paradoxes et résistances de la société. Pourtant,
la littérature scientifique ou documentaire concernant l’image sous
toutes ses formes est très abondante, les centres de recherche qui,
d’une manière ou d’une autre, se consacrent à ce domaine, sont
légions et il s’en crée régulièrement. De même, les ouvrages qui
traitent de la relation entre le monde des images et celui de l’éducation
ou celui de l’enfant sont aussi relativement abondants. Il reste que
l’enseignement général, et pas seulement l’enseignement français, de
l’école maternelle à l’université, est plutôt aveugle aux mondes des
images. Ceci, alors que chaque innovation technologique apporte son
lot d’espoirs et de promesses. Seules la photographie et ses techniques
d’impression ont vraiment contribué à des changements profonds,
notamment par l’exploitation des documents iconiques mais cette
étude est restée du côté documentaire sans vraiment questionner les
modalités poïétiques, esthétiques, plastiques et sémiotiques des
images. Quant au cinéma et à l’audiovisuel – qui jouent un rôle
éminemment éducatif dans la sphère privée – ils sont restés très en
retrait à l’école, ceci à la fois dans l’utilisation documentaire et dans
l’étude de la création et de la fabrication.
En dépit des aspirations des enseignants novateurs et des
performances de la vidéo miniaturisée, l’audiovisuel traverse les
systèmes éducatifs en les marquant à peine. Globalement, c’est
seulement dans le cadre de l’étude des médias que le rôle de l’image
est évoqué pour lui-même mais il est rapidement dilué dans des débats
souvent biaisés sur la séduction, la manipulation et la persuasion. En
résumé, dans le domaine des technologies et techniques de l’image,
les pratiques pédagogiques ont très peu changé, sauf en ce qui
concerne le déploiement des illustrations dans les manuels scolaires et
il est vrai l’utilisation massive des photocopies.
Le multimédia en réseau ou sur support numérique viendra-t-il
bouleverser cette tradition de prudence, d’évitements et de rendezvous manqués ?
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Le développement des relations entre éducation et multimédia aux
USA est intéressant à observer. Une enquête73 commandée par la
revue Education Week montre que l’utilisation des outils
informatiques et de l’Internet se fait de plus en plus fréquemment dans
l’enseignement primaire et secondaire américain : 53 % des
enseignants utilisent des moyens informatiques, et 61 %, la navigation
sur Internet. Proportions que confirment les élèves qui déclarent que
dans les semaines ordinaires, quatre enseignants sur dix n’utilisent pas
l’ordinateur dans la classe. Il apparaît aussi dans cette enquête que les
professeurs les plus âgés ne sont pas plus réticents que leurs collègues
plus jeunes à l’utilisation de ces nouvelles technologies, mais qu’en
revanche tous les enseignants rencontrent les mêmes difficultés dans
l’usage pédagogique qu’ils souhaitent en faire. Plus de la moitié des
répondants affirme avoir des difficultés pour trouver des sites Internet
ou se procurer des logiciels éducatifs adaptés à leurs besoins74.
b) Les motivations perceptives et cognitives d’une
éducation aux images
Selon C. Cossette (1983), 90 % de notre information sur le monde
extérieur passent par les nerf optiques. Information que corrobore les
chiffres annoncés par G. Jacquinot (1997), qui note que “11 % des
apprentissages se font par l’ouïe et 83 % par la vue, que nous retenons
20 % de ce que nous entendons et 50 % de ce que nous voyons et
entendons” (p. 11).
Il semble que l’organisme accorde cette priorité au canal visuel en
raison de la directionnalité du canal visuel et en conséquence de son
incapacité à alerter l’organisme sur les informations qui se déroulent
hors du champ perceptif. En ce domaine, l’ouïe, l’odorat et la
proprioception sont plus généralistes.
L’arrivée du multimédia et de l’interactivité devrait permettre de
corriger, ne serait-ce qu’un peu, la propension de l’école à privilégier
le verbal par rapport au visuel et aux interactions. Ce faisant,
l’enseignement serait enfin destiné à cultiver et développer les
potentialités cognitives des apprenants.
Sur ce point, les études sur les styles cognitifs ont montré la disparité
des modes d’accès à l’information et en conséquence la ségrégation
73
74
Technology counts, ’99. Building the Digital Curriculum disponible sur le
site www.edweek.org
En outre, le coût de l'équipement demeure un obstacle majeur à l'utilisation accrue
de cette technologie pour 48 % des enseignants et moins il y a d’ordinateurs dans la
classe, moins il y a de pratique intensive (et réciproquement).
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« involontaire » que le système éducatif opère dans la population des
élèves.
Avec le multimédia, la compétition entre les modalités
informationnelles est potentiellement abolie et c’est l’efficacité
communicationnelle qui devrait permettre de privilégier tel ou tel type
de canal ou d’association de canaux. L’expérience et de nombreuses
études montrent que, selon le contexte et l’utilisateur, tel ou tel
message est mieux traité ou mémorisé s’il est écrit, ou sonore, ou en
image. Nous ne pouvons que renforcer la formule de Francis Balle en
réaffirmant que si l’écrit est indépassable, l’image est irremplaçable, le
son indispensable et que l’interaction est incontournable.
Bien qu’“on ne dispose toujours pas d’une synthèse des informations
pratiques sur l’efficacité relative des canaux auditif et visuel en
enseignement » (Denis Harvey, 1999), les recherches de la
psychologie différentielle montrent qu’il est possible de distinguer les
individus en fonction de leurs préférences perceptives et cognitives.
En ce domaine, de nombreux travaux attribuent ces préférences au
style cognitif de l’individu. Riding et Calvey (1981), par exemple,
montrent que le rappel des informations d’un texte par des enfants de
7 ans varie selon leur style cognitif et notamment en fonction de leur
orientation vers l’imagerie ou vers les activités verbales. Dans leurs
études, Dunn, Beaudry et Klavas (1989), pensent que 70 % de la
population des jeunes scolarisés est sensible aux effets de la
préférence perceptive. Ce que les travaux de Barbe et Swassing,
(1979) annonçaient. A partir de leur étude portant sur des enfants de 5
à 11 ans, ils obtiennent les répartitions suivantes : 33 % de dominants
visuels, 24 % de dominants auditifs, 14 % de dominants tactiles et
kinesthésiques, et 29 % d’enfants utilisant une combinaison de ces
modalités. Les sujets fortement imageurs se distinguent par exemple
de ceux qui le sont moins ou faiblement, par un plus long temps de
lecture – temps nécessaire pour la construction mentale des images –
et par une plus grande solidité des acquis. (e.g., Katz, 1983).
Les conclusions des recherches adoptant la perspective différentielle
sont généralement nuancées et font remarquer que selon les tâches, les
sujets, enfants ou adultes, sont susceptibles d’adopter des stratégies
différentes. En ce domaine, les travaux récents affinent les méthodes
et critiquent les approches trop unidimensionnelles qui opposent
radicalement les “visualiseurs” aux “verbaliseurs”. (Voir Denis,
1990).
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Il reste que la plupart des chercheurs considèrent qu’il existe bel et
bien des styles cognitifs différents et que les sujets peuvent se
caractériser (entre autres) selon la prédominance des orientations
visuelles et imageantes, auditives et verbales, ou tactiles et
kinesthésiques.
Les individus qualifiés “d’imageants” ou de “visualiseurs” sont
certainement des sujets disposant d’aptitudes spécifiques en ce
domaine. Encore faut-il ajouter à cette population les nombreux sujets
polyvalents ou cognitivement flexibles qui sont capables d’adopter
une conduite imageante si elle facilite le traitement d’une tâche ou si
la situation le réclame.
Les études comparatives sur les performances des informations
présentées sous forme de textes, d’images fixes ou animées, d’images
réalistes ou de schémas sont assez nombreuses et plaident
généralement en faveur de l’utilisation de l’image et notamment d’une
image animée qui ne soit ni trop schématisée ni trop réaliste75.
Si l’environnement scolaire et universitaire n’offre pas la variété
requise par la diversité des styles cognitifs des élèves et étudiants, les
outils audiovisuels, et maintenant multimédias, devraient permettre de
compenser les défaillances les plus criantes. Néanmoins, si les sujets
visualiseurs – imageants sont moins défavorisés, un cap reste à
franchir pour les sujets privilégiant les approches tactiles et
kinesthésiques. En ce domaine, l’interactivité de certains multimédias
doit permettre le développement des simulateurs, des manipulations
virtuelles et des interfaces à retour d’effort.
c) Image et cognition
En ce qui concerne plus spécifiquement la dimension imageante de la
pensée, de nombreuses études affirment le rôle capital que peuvent
jouer les informations visuelles dans la construction des savoirs, leur
manipulation, leur appropriation et leur mémorisation. En ce domaine,
les recherches sur la pensée sans langage se multiplient et permettent
de renouveler le débat (e.g. Laplane (1997, 1999). Les neurologues
attribuent à l’imagerie mentale un rôle grandissant et une participation
déterminante aux fonctions les plus complexes de l’esprit, c’est par
exemple la thèse défendue par Antonio Damasio (1999) pour qui « il y
a production de conscience lorsque les dispositifs de représentation du
cerveau engendrent un compte rendu en images, non verbal, de la
manière dont le propre état de l’organisme est affecté. »
75
Sur ce point, Denis Harvey (1999) fait une excellente synthèse des recherches.
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Kosslyn et Sussman (1995), qui étudient l’activité cognitive par la
technique de tomographie par émission de positron (TEP), pensent
que l’imagerie mentale fonctionne comme un pont entre la perception
et la mémoire. Par ailleurs, Kosslyn, Alpert et al. (1993) et Kosslyn,
Thompson et al. (1995) ont montré que le cortex visuel primaire est
activé quand les sujets visualisent mentalement des objets.
Pour Michel Denis (1988), « l’image (mentale) par les propriétés
structurales qu’elle hérite de la perception, est un instrument cognitif
permettant à l’individu d’effectuer des calculs, des simulations, des
inférences, des comparaisons, sans devoir recourir à des systèmes
calculatoires formels. » p. 714 C’est ce que semblent confirmer les
travaux en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle de
Stanislas Dehaene (1999)76 sur les sources de la pensée mathématique.
En conclusion de ce rapide bilan cognitif, nous reprendrons les propos
de M. Cocude (1993) : « Les images mentales fournissent des
équivalents cognitifs (non linguistiques) du réel, sur lequel peuvent
être mises en œuvre des manipulations symboliques (…). L’imagerie
s’avère particulièrement utile dans trois domaines : la reconnaissance
explicite d’une information stockée en mémoire, les simulations
mentales, et l’apprentissage (…). On comprend, dans ces conditions,
que certains individus particulièrement imageants l’utilisent plus
spontanément que d’autres et en tirent un plus grand bénéfice dans
leur activité mentale. Etant donné la variété des types d’imagerie et la
place centrale qu’ils occupent dans le fonctionnement psychique –
conscient et inconscient – on pourrait regretter que ce système de
représentation ne soit pas systématiquement développé et intégré au
système éducatif.
Les images interagies
Dans son texte intitulé « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité
technique », Walter Benjamin (1971-1983) attribue trois principales
valeurs à la réception des œuvres d’art : la valeur cultuelle, la valeur
d’exposition et la valeur de reproductibilité. Bien que l’on puisse
contester la linéarité historique et le principe de substitution dans le
temps de ces trois phases (e.g. Darras, 1992), il est aujourd’hui tentant
d’ajouter une quatrième phase. Plus encore, il est possible de
considérer que dans le domaine de l’image, les trois premières phases
correspondent à l’univers de la représentation et qu’émerge au
76
Dehaene, S et al. (1999). Science, 284, 970.
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croisement de l’univers de la production un nouvel univers : celui de
l’interaction.
Pour Serge Tisseron (1999, “"la multiplication des images" importe
moins par l’accroissement de leur nombre que par le bouleversement
de la forme de relation que nous entretenons avec elles”. Il faut
entendre ici les nombreuses possibilités d’interagir avec l’image qui
concernent aussi bien le zapping, les fonctionnalités du magnétoscope
et surtout les jeux vidéo, les multimédias interactifs, la diffusion des
logiciels de retouche et de montage vidéo numérique grand public, les
truquages numériques réalisés et dénoncés par les médias, etc. Nous
partageons l’avis de Serge Tisseron quant à l’émergence d’un nouveau
rapport aux images mais nous ne souscrivons pas, pas plus avec lui
qu’avec Walter Benjamin, à la thèse de la substitution. Au contraire,
nous voyons dans le changement l’œuvre des processus de
diversification, d’enrichissement et de complexification qui affectent
les modes de relation aux images. L’univers des images « interagies »
émerge au point de rencontre des logiques de fabrication-production et
des logiques de réception-consommation. La diffusion des machines
et des outils de fabrication d’images, ainsi que leur prolifération
électronique puis informatique, n’est évidemment pas étrangère à
l’apparition de cette nouvelle technoculture.
Toutefois, dans les faits, les valeurs des différentes phases se
perpétuent et tout au plus se déplacent. C’est ainsi par exemple qu’en
maintenant l’image à distance et en « interdisant » sa manipulation par
les profanes, certaines des valeurs et des pratiques héritées de la phase
cultuelle se sont perpétuées dans les phases d’exposition et de
reproduction. Les nouveaux outils d’interaction vont à leur tour
contribuer au déplacement de cette relation sacralisée, mais l’image
représentation et ses nombreuses autres valeurs survivront à l’image
en interaction. Outre des déplacements de champ et d’influence, il y
aura même production de zones de superposition entre tous les modes
de relation et les régimes composites ne manqueront pas de se
multiplier.
Sans discrimination, l’éducation aux images devrait être capable
d’accompagner les processus de construction sociale et individuelle de
tous les registres d’images. Là où l’éducation informelle est négligente
ou incomplète, elle devrait veiller à compenser et à combler les
lacunes.
La typologie suivante montre que le multimédia peut jouer
indépendamment ou simultanément sur les dimensions
représentatives, productives et interactives de l’image. A ce titre, il est
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un outil polyvalent que l’éducation formelle et informelle peut
amplement exploiter
Le multimédia, un bon candidat à l’éducation aux images
Nous ne comptons pas présenter ici un programme d’éducation à
l’image, mais plus modestement évaluer la contribution que peuvent
lui apporter les technologies multimédias.
Cette réflexion est essentiellement fondée sur la pratique,
l’observation et l’étude critique de différents produits audiovisuels et
multimédias et notamment ceux que nous avons produits77. Elle
propose un outil d’exploration destiné à la fois à la conception
d’audiovisuels et de multimédias éducatifs et à l’évaluation des
performances des produits existants.
Technologiquement, toutes les opérations sémiotiques audiovisuelles
sont intégrables dans le multimédia, et les capacités du DVD-Rom
comme celles des réseaux à haut débit en apportent la démonstration.
En accord avec Françoise Séguy (1999), nous considérons que les
capacités d’association de plusieurs médias numérisés ne réclament
pas que le dispositif soit interactif. La réciproque est d’ailleurs tout
aussi vraie puisqu’un document fortement interactif peut être
faiblement multimédia. Les hypertextes ne sont pas nécessairement
des hypermédias.
Considérons les diverses possibilités d’étude d’une image source par
les moyens plurimédias, audiovisuels et multimédias.
Dans le diagramme suivant sont présentées les huit grandes familles
d’opérations susceptibles d’exploiter un document source.
Celui-ci peut être une image fixe – dessin, peinture, photographie,
image de synthèse – un photogramme, un vidéogramme et même un
plan ou une séquence audiovisuelle (dans ces deux derniers cas, l’outil
ici proposé n’intègre pas les fonctionnalités audio qui pourraient
aisément être introduites).
77
Darras, B., Casanova, F. (1997).
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On notera qu’à l’exception des opérations d’appropriation, la plupart
de ces opérations auraient pu être réalisées soit dans un dispositif
plurimédia, tels qu’une exposition ou un livre, soit dans un dispositif
audiovisuel, tels qu’un film ou une vidéo. A ce titre, le multimédia est
une technologie intégrative qui assimile les technologies en les
numérisant et en les restituant dans leurs divers canaux. Quant aux
liens hypertextes et hypermédias, comme les hyperliens, ils offrent les
fonctionnalités d’un puissant assistant documentaire automatisé.
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1. Nous débuterons le commentaire de ce tableau en
commençant par son premier palier, c’est-à-dire à la fois la
reproduction de l’information initiale – l’image source – et la
dimension documentaire de cette reproduction.
Dans le domaine de la reproduction des images sources, il importe de
distinguer trois grandes familles. D’une part, les images dont les
procédés de fabrication offrent des qualités de surface et de format
excédant irrémédiablement les capacités du dispositif de reproduction
(sculpture, peinture, dessin, gravure, film, etc.), des images qui sont
compatibles avec la reproduction (certaines photos argentiques ou
imprimées, la vidéo), ou qui sont des répliques numériques issues
d’une matrice numériques, (image de synthèse, photo et vidéo
numériques)78.
En ce qui concerne les images de la première famille, la recherche
d’exactitude et de conformité est prioritaire. En conséquence, la
définition, tant colorimétrique que densitométrique, est privilégiée.
Quant aux problèmes posés par les différences d’échelle, ils sont le
plus souvent insurmontables. Ici, nous sommes au cœur de l’univers
de la représentation et simultanément dans les phases d’exposition et
de reproduction.
2. Les opérateurs d’analyse sont au nombre de quatre :
Explorations, Indexations, Manipulations et Simplifications. Toutes
ces opérations et leurs dérivés sont possibles dans les dispositifs
plurimédias et audiovisuels et bien évidemment multimédias79. Dans
ce dernier cas, l’informatique peut donner accès à des animations
automatisées qui convertissent en temps réel les modifications des
différentes données. Ces opérations et leurs manifestations relèvent de
l’idéographie dynamique chère à Pierre Levy (1991).
Dans tous les cas, selon que l’opération est déterminée par le
concepteur ou offerte à la manipulation de l’utilisateur, ces opérations
analytiques relèvent des univers de la représentation ou de
l’interaction.
a) Le module d’explorations est fondé tant en qualité
qu’en validité sur la définition de la reproduction. On peut distinguer
deux principales opérations. D’une part, les divers grossissements
permettant d’accéder à des vues de détail grâce aux divers outils
78
Sur le sujet de la reproduction, voir Chateau, Darras, (1999), RieussetLemarié, (1999).
79
Voir à ce sujet, dans cet ouvrage, l’article de F. Casanova et B. Darras.
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numériques que sont les loupes et les effets de grossissement
progressifs (effet de zoom), d’autre part, les parcours linéaires ou en
séquences qu’autorisent les déplacements latéraux de ces loupes.
b) Le module d’indexations comprend tous les
dispositifs de guidage de l’attention tant visuels (plastique ou
symbolique) que sonores ou textuels.
c) Le module de manipulations concerne toutes les
transformations de l’image. Il comprend de nombreuses opérations
comme les rotations, les permutations, les déformations, les
changement de taille, les suppressions, les substitutions, etc. Ces
opérations sont, selon le cas, des outils ou des illustrations de
l’analyse.
d) Le module de simplifications est l’un des plus
complexes car il donne accès à de nombreux dispositifs d’abstraction.
Nous les avons regroupés dans trois sous modules.
- la schématisation permet de révéler les différents contrastes
chromatiques, de luminance et de texture de l’image source, mais
aussi ses différentes structures perspectives et ses modes
d’organisation et de composition ainsi que ses propriétés plastiques,
graphiques, etc.
- la modélisation concerne toutes les opérations de neutralisation et de
visualisation statistiques.
- la codification peut conduire à différentes formalisations, visuelles
ou textuelles.
3. Nous avons distingué deux opérateurs de référence. L’un
gère les références externes, l’autre les références internes. Ce sont
tous les deux des outils documentaires qui relèvent massivement des
univers de la représentation et secondairement de celui de
l’interaction. Ils peuvent être plurimédia, audiovisuels, multimédia,
mais ils sont particulièrement pertinents quand ils sont hypermédias,
et plus encore s’ils sont ouverts sur des réseaux. 80
80
Voir à ce sujet B. Darras (1999).
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a) Les références internes donnent accès à trois
opérateurs :
D’une part, les archives généalogiques pouvant présenter différents
documents comme des études, des croquis préparatoires, des repentirs,
des repeints, des restaurations, des planches contact, des rushes, etc.
D’autre part, un opérateur d’information sur les propriétés physiques,
chimiques, électroniques, numériques et techniques de l’image,
Enfin un opérateur donnant accès à différents modules de
reconstitution 2D ou 3D permettant de comprendre le fonctionnement
ou l’organisation de l’image.
b) Les références externes donnent, elles aussi, accès à
trois modules.
L’un procure des informations sur les différents contextes de l’image
source, informations historiques, différents propriétaires, différents
lieux de présentation, etc.
Les deux autres sont des instruments de comparaison et d’étude des
écarts. Le premier favorise les comparaisons d’ensemble et les
opérations sur des groupes de transformation. Il permet d’accéder à
d’autres images de la même catégorie ; il autorise les typologies et la
constitution de genres, de styles, etc. Le second donne accès à des
bibliothèques de paradigmes concernant les différents composants de
l’image (les différents visages de la Vierge, les différents modèles
d’un photographe, les différentes actrices d’un rôle ou d’un
réalisateur, etc.).
4. Le dernier module est celui de l’Appropriation de l’image
source. Il peut se gérer dans le multimédia lui-même si celui-ci intègre
les logiciels adéquats d’infographie et de montage numérique mais
après exportation, il peut aussi être une invitation à procéder à de
telles opérations à partir des outils informatiques dont dispose
l’utilisateur. Les opérations d’appropriation concernent autant les
détournements, les recréations, les réinterprétations que les
réorganisations, et autres ouvertures de l’imagination. Toutes ces
opérations sont facilitées par les outils informatiques, mais elles
peuvent être produites avec les outils traditionnels. Nous sommes ici
au croisement des univers de production et d’interaction. Toutefois,
s’il est intéressant, le résultat des appropriations ne manquera pas de
rejoindre l’univers de représentation, notamment dans ses phases de
reproduction et d’exposition.
Conclusion
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Pour le moment, et à notre connaissance, aucun dispositif multimédia
n’offre une palette d’intervention aussi riche que celle qui est
proposée dans cette typologie. Il n’est d’ailleurs pas certain que tous
les outils soient requis pour accéder à une bonne compréhension de
l’image, à son interprétation riche et complexe et à des manipulations
pertinentes. Ainsi que nous l’avons montré, en situant de tels
dispositifs documentaires, analytiques et exploratoires, au carrefour
des conceptions représentatives, productives et interactives de
l’image, nous contribuons à renforcer la diversification des registres
d’accès en évitant leur substitution, nécessairement appauvrissante. Ce
faisant, nous invitons les concepteurs de multimédias à la création de
prototypes en espérant qu’ils contribueront au développement de
l’éducation aux images.
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