multimédia et éducation à l`image
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multimédia et éducation à l`image
MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras MULTIMÉDIA ET ÉDUCATION À L’IMAGE Bernard Darras Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne « Qui maîtrise les images maîtrise les esprits71.” Bill Gates72 Résumé : Cet article présente quatre arguments prioritaires plaidant en faveur du développement d’une véritable éducation aux images. Le premier est technologique et renvoie au développement sans précédent des technologies de l’image. Le second est techno-culturel et renvoie à l’émergence d’un changement radical dans le rapport aux images. Celles-ci ne sont plus seulement des lieux de représentation et de production, mais aussi des occasions d’interaction. Le troisième est cognitif et c’est sans doute l’argument principal. Il concerne la reconnaissance de l’importance capitale du rôle des images, notamment d’origine visuelle, dans la pensée et la connaissance. Enfin, le quatrième concerne le rôle que les multimédias interactifs peuvent jouer dans l’éducation interactive à l’image. Dans cette direction, l’article propose une typologie commentée des opérations et interactions multimédias qui peuvent explorer une image source. 1. Arguments pour une éducation aux images a) La société L’un des nombreux paradoxes de la société contemporaine concerne le couple image et éducation. Alors que la société reconnaît unanimement l’importance des images fixes ou animées dans la construction symbolique du monde et l’importance de celles-ci, tant dans les médias que dans les loisirs, l’éducation formelle ou informelle ne lui consacre qu’une part dérisoire au regard de l’importance accordée au développement de la langue sous ses formes orale et surtout écrite. 71 Guérin, M. (1999), La guerre des Images et le Photojournalisme, L e Monde, n° 17011, 6 XI 1999, p. 1 et 19. 72 Bill Gates est le très connu PDG de Microsoft, mais il est aussi le fondateur et propriétaire de CORBIS second groupe international sur le marché du contenu visuel. MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras Certes les images sont régulièrement utilisées dans l’enseignement mais elles le sont plus comme servantes d’autres disciplines que pour ce qu’elles sont et valent. Depuis des lustres, ce débat est régulièrement ouvert et ne trouve pas de solution, ce qui, en soit, est un indice des plus pertinents pour le chercheur attentif aux paradoxes et résistances de la société. Pourtant, la littérature scientifique ou documentaire concernant l’image sous toutes ses formes est très abondante, les centres de recherche qui, d’une manière ou d’une autre, se consacrent à ce domaine, sont légions et il s’en crée régulièrement. De même, les ouvrages qui traitent de la relation entre le monde des images et celui de l’éducation ou celui de l’enfant sont aussi relativement abondants. Il reste que l’enseignement général, et pas seulement l’enseignement français, de l’école maternelle à l’université, est plutôt aveugle aux mondes des images. Ceci, alors que chaque innovation technologique apporte son lot d’espoirs et de promesses. Seules la photographie et ses techniques d’impression ont vraiment contribué à des changements profonds, notamment par l’exploitation des documents iconiques mais cette étude est restée du côté documentaire sans vraiment questionner les modalités poïétiques, esthétiques, plastiques et sémiotiques des images. Quant au cinéma et à l’audiovisuel – qui jouent un rôle éminemment éducatif dans la sphère privée – ils sont restés très en retrait à l’école, ceci à la fois dans l’utilisation documentaire et dans l’étude de la création et de la fabrication. En dépit des aspirations des enseignants novateurs et des performances de la vidéo miniaturisée, l’audiovisuel traverse les systèmes éducatifs en les marquant à peine. Globalement, c’est seulement dans le cadre de l’étude des médias que le rôle de l’image est évoqué pour lui-même mais il est rapidement dilué dans des débats souvent biaisés sur la séduction, la manipulation et la persuasion. En résumé, dans le domaine des technologies et techniques de l’image, les pratiques pédagogiques ont très peu changé, sauf en ce qui concerne le déploiement des illustrations dans les manuels scolaires et il est vrai l’utilisation massive des photocopies. Le multimédia en réseau ou sur support numérique viendra-t-il bouleverser cette tradition de prudence, d’évitements et de rendezvous manqués ? 147 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras Le développement des relations entre éducation et multimédia aux USA est intéressant à observer. Une enquête73 commandée par la revue Education Week montre que l’utilisation des outils informatiques et de l’Internet se fait de plus en plus fréquemment dans l’enseignement primaire et secondaire américain : 53 % des enseignants utilisent des moyens informatiques, et 61 %, la navigation sur Internet. Proportions que confirment les élèves qui déclarent que dans les semaines ordinaires, quatre enseignants sur dix n’utilisent pas l’ordinateur dans la classe. Il apparaît aussi dans cette enquête que les professeurs les plus âgés ne sont pas plus réticents que leurs collègues plus jeunes à l’utilisation de ces nouvelles technologies, mais qu’en revanche tous les enseignants rencontrent les mêmes difficultés dans l’usage pédagogique qu’ils souhaitent en faire. Plus de la moitié des répondants affirme avoir des difficultés pour trouver des sites Internet ou se procurer des logiciels éducatifs adaptés à leurs besoins74. b) Les motivations perceptives et cognitives d’une éducation aux images Selon C. Cossette (1983), 90 % de notre information sur le monde extérieur passent par les nerf optiques. Information que corrobore les chiffres annoncés par G. Jacquinot (1997), qui note que “11 % des apprentissages se font par l’ouïe et 83 % par la vue, que nous retenons 20 % de ce que nous entendons et 50 % de ce que nous voyons et entendons” (p. 11). Il semble que l’organisme accorde cette priorité au canal visuel en raison de la directionnalité du canal visuel et en conséquence de son incapacité à alerter l’organisme sur les informations qui se déroulent hors du champ perceptif. En ce domaine, l’ouïe, l’odorat et la proprioception sont plus généralistes. L’arrivée du multimédia et de l’interactivité devrait permettre de corriger, ne serait-ce qu’un peu, la propension de l’école à privilégier le verbal par rapport au visuel et aux interactions. Ce faisant, l’enseignement serait enfin destiné à cultiver et développer les potentialités cognitives des apprenants. Sur ce point, les études sur les styles cognitifs ont montré la disparité des modes d’accès à l’information et en conséquence la ségrégation 73 74 Technology counts, ’99. Building the Digital Curriculum disponible sur le site www.edweek.org En outre, le coût de l'équipement demeure un obstacle majeur à l'utilisation accrue de cette technologie pour 48 % des enseignants et moins il y a d’ordinateurs dans la classe, moins il y a de pratique intensive (et réciproquement). 148 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras « involontaire » que le système éducatif opère dans la population des élèves. Avec le multimédia, la compétition entre les modalités informationnelles est potentiellement abolie et c’est l’efficacité communicationnelle qui devrait permettre de privilégier tel ou tel type de canal ou d’association de canaux. L’expérience et de nombreuses études montrent que, selon le contexte et l’utilisateur, tel ou tel message est mieux traité ou mémorisé s’il est écrit, ou sonore, ou en image. Nous ne pouvons que renforcer la formule de Francis Balle en réaffirmant que si l’écrit est indépassable, l’image est irremplaçable, le son indispensable et que l’interaction est incontournable. Bien qu’“on ne dispose toujours pas d’une synthèse des informations pratiques sur l’efficacité relative des canaux auditif et visuel en enseignement » (Denis Harvey, 1999), les recherches de la psychologie différentielle montrent qu’il est possible de distinguer les individus en fonction de leurs préférences perceptives et cognitives. En ce domaine, de nombreux travaux attribuent ces préférences au style cognitif de l’individu. Riding et Calvey (1981), par exemple, montrent que le rappel des informations d’un texte par des enfants de 7 ans varie selon leur style cognitif et notamment en fonction de leur orientation vers l’imagerie ou vers les activités verbales. Dans leurs études, Dunn, Beaudry et Klavas (1989), pensent que 70 % de la population des jeunes scolarisés est sensible aux effets de la préférence perceptive. Ce que les travaux de Barbe et Swassing, (1979) annonçaient. A partir de leur étude portant sur des enfants de 5 à 11 ans, ils obtiennent les répartitions suivantes : 33 % de dominants visuels, 24 % de dominants auditifs, 14 % de dominants tactiles et kinesthésiques, et 29 % d’enfants utilisant une combinaison de ces modalités. Les sujets fortement imageurs se distinguent par exemple de ceux qui le sont moins ou faiblement, par un plus long temps de lecture – temps nécessaire pour la construction mentale des images – et par une plus grande solidité des acquis. (e.g., Katz, 1983). Les conclusions des recherches adoptant la perspective différentielle sont généralement nuancées et font remarquer que selon les tâches, les sujets, enfants ou adultes, sont susceptibles d’adopter des stratégies différentes. En ce domaine, les travaux récents affinent les méthodes et critiquent les approches trop unidimensionnelles qui opposent radicalement les “visualiseurs” aux “verbaliseurs”. (Voir Denis, 1990). 149 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras Il reste que la plupart des chercheurs considèrent qu’il existe bel et bien des styles cognitifs différents et que les sujets peuvent se caractériser (entre autres) selon la prédominance des orientations visuelles et imageantes, auditives et verbales, ou tactiles et kinesthésiques. Les individus qualifiés “d’imageants” ou de “visualiseurs” sont certainement des sujets disposant d’aptitudes spécifiques en ce domaine. Encore faut-il ajouter à cette population les nombreux sujets polyvalents ou cognitivement flexibles qui sont capables d’adopter une conduite imageante si elle facilite le traitement d’une tâche ou si la situation le réclame. Les études comparatives sur les performances des informations présentées sous forme de textes, d’images fixes ou animées, d’images réalistes ou de schémas sont assez nombreuses et plaident généralement en faveur de l’utilisation de l’image et notamment d’une image animée qui ne soit ni trop schématisée ni trop réaliste75. Si l’environnement scolaire et universitaire n’offre pas la variété requise par la diversité des styles cognitifs des élèves et étudiants, les outils audiovisuels, et maintenant multimédias, devraient permettre de compenser les défaillances les plus criantes. Néanmoins, si les sujets visualiseurs – imageants sont moins défavorisés, un cap reste à franchir pour les sujets privilégiant les approches tactiles et kinesthésiques. En ce domaine, l’interactivité de certains multimédias doit permettre le développement des simulateurs, des manipulations virtuelles et des interfaces à retour d’effort. c) Image et cognition En ce qui concerne plus spécifiquement la dimension imageante de la pensée, de nombreuses études affirment le rôle capital que peuvent jouer les informations visuelles dans la construction des savoirs, leur manipulation, leur appropriation et leur mémorisation. En ce domaine, les recherches sur la pensée sans langage se multiplient et permettent de renouveler le débat (e.g. Laplane (1997, 1999). Les neurologues attribuent à l’imagerie mentale un rôle grandissant et une participation déterminante aux fonctions les plus complexes de l’esprit, c’est par exemple la thèse défendue par Antonio Damasio (1999) pour qui « il y a production de conscience lorsque les dispositifs de représentation du cerveau engendrent un compte rendu en images, non verbal, de la manière dont le propre état de l’organisme est affecté. » 75 Sur ce point, Denis Harvey (1999) fait une excellente synthèse des recherches. 150 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras Kosslyn et Sussman (1995), qui étudient l’activité cognitive par la technique de tomographie par émission de positron (TEP), pensent que l’imagerie mentale fonctionne comme un pont entre la perception et la mémoire. Par ailleurs, Kosslyn, Alpert et al. (1993) et Kosslyn, Thompson et al. (1995) ont montré que le cortex visuel primaire est activé quand les sujets visualisent mentalement des objets. Pour Michel Denis (1988), « l’image (mentale) par les propriétés structurales qu’elle hérite de la perception, est un instrument cognitif permettant à l’individu d’effectuer des calculs, des simulations, des inférences, des comparaisons, sans devoir recourir à des systèmes calculatoires formels. » p. 714 C’est ce que semblent confirmer les travaux en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle de Stanislas Dehaene (1999)76 sur les sources de la pensée mathématique. En conclusion de ce rapide bilan cognitif, nous reprendrons les propos de M. Cocude (1993) : « Les images mentales fournissent des équivalents cognitifs (non linguistiques) du réel, sur lequel peuvent être mises en œuvre des manipulations symboliques (…). L’imagerie s’avère particulièrement utile dans trois domaines : la reconnaissance explicite d’une information stockée en mémoire, les simulations mentales, et l’apprentissage (…). On comprend, dans ces conditions, que certains individus particulièrement imageants l’utilisent plus spontanément que d’autres et en tirent un plus grand bénéfice dans leur activité mentale. Etant donné la variété des types d’imagerie et la place centrale qu’ils occupent dans le fonctionnement psychique – conscient et inconscient – on pourrait regretter que ce système de représentation ne soit pas systématiquement développé et intégré au système éducatif. Les images interagies Dans son texte intitulé « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Walter Benjamin (1971-1983) attribue trois principales valeurs à la réception des œuvres d’art : la valeur cultuelle, la valeur d’exposition et la valeur de reproductibilité. Bien que l’on puisse contester la linéarité historique et le principe de substitution dans le temps de ces trois phases (e.g. Darras, 1992), il est aujourd’hui tentant d’ajouter une quatrième phase. Plus encore, il est possible de considérer que dans le domaine de l’image, les trois premières phases correspondent à l’univers de la représentation et qu’émerge au 76 Dehaene, S et al. (1999). Science, 284, 970. 151 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras croisement de l’univers de la production un nouvel univers : celui de l’interaction. Pour Serge Tisseron (1999, “"la multiplication des images" importe moins par l’accroissement de leur nombre que par le bouleversement de la forme de relation que nous entretenons avec elles”. Il faut entendre ici les nombreuses possibilités d’interagir avec l’image qui concernent aussi bien le zapping, les fonctionnalités du magnétoscope et surtout les jeux vidéo, les multimédias interactifs, la diffusion des logiciels de retouche et de montage vidéo numérique grand public, les truquages numériques réalisés et dénoncés par les médias, etc. Nous partageons l’avis de Serge Tisseron quant à l’émergence d’un nouveau rapport aux images mais nous ne souscrivons pas, pas plus avec lui qu’avec Walter Benjamin, à la thèse de la substitution. Au contraire, nous voyons dans le changement l’œuvre des processus de diversification, d’enrichissement et de complexification qui affectent les modes de relation aux images. L’univers des images « interagies » émerge au point de rencontre des logiques de fabrication-production et des logiques de réception-consommation. La diffusion des machines et des outils de fabrication d’images, ainsi que leur prolifération électronique puis informatique, n’est évidemment pas étrangère à l’apparition de cette nouvelle technoculture. Toutefois, dans les faits, les valeurs des différentes phases se perpétuent et tout au plus se déplacent. C’est ainsi par exemple qu’en maintenant l’image à distance et en « interdisant » sa manipulation par les profanes, certaines des valeurs et des pratiques héritées de la phase cultuelle se sont perpétuées dans les phases d’exposition et de reproduction. Les nouveaux outils d’interaction vont à leur tour contribuer au déplacement de cette relation sacralisée, mais l’image représentation et ses nombreuses autres valeurs survivront à l’image en interaction. Outre des déplacements de champ et d’influence, il y aura même production de zones de superposition entre tous les modes de relation et les régimes composites ne manqueront pas de se multiplier. Sans discrimination, l’éducation aux images devrait être capable d’accompagner les processus de construction sociale et individuelle de tous les registres d’images. Là où l’éducation informelle est négligente ou incomplète, elle devrait veiller à compenser et à combler les lacunes. La typologie suivante montre que le multimédia peut jouer indépendamment ou simultanément sur les dimensions représentatives, productives et interactives de l’image. A ce titre, il est 152 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras un outil polyvalent que l’éducation formelle et informelle peut amplement exploiter Le multimédia, un bon candidat à l’éducation aux images Nous ne comptons pas présenter ici un programme d’éducation à l’image, mais plus modestement évaluer la contribution que peuvent lui apporter les technologies multimédias. Cette réflexion est essentiellement fondée sur la pratique, l’observation et l’étude critique de différents produits audiovisuels et multimédias et notamment ceux que nous avons produits77. Elle propose un outil d’exploration destiné à la fois à la conception d’audiovisuels et de multimédias éducatifs et à l’évaluation des performances des produits existants. Technologiquement, toutes les opérations sémiotiques audiovisuelles sont intégrables dans le multimédia, et les capacités du DVD-Rom comme celles des réseaux à haut débit en apportent la démonstration. En accord avec Françoise Séguy (1999), nous considérons que les capacités d’association de plusieurs médias numérisés ne réclament pas que le dispositif soit interactif. La réciproque est d’ailleurs tout aussi vraie puisqu’un document fortement interactif peut être faiblement multimédia. Les hypertextes ne sont pas nécessairement des hypermédias. Considérons les diverses possibilités d’étude d’une image source par les moyens plurimédias, audiovisuels et multimédias. Dans le diagramme suivant sont présentées les huit grandes familles d’opérations susceptibles d’exploiter un document source. Celui-ci peut être une image fixe – dessin, peinture, photographie, image de synthèse – un photogramme, un vidéogramme et même un plan ou une séquence audiovisuelle (dans ces deux derniers cas, l’outil ici proposé n’intègre pas les fonctionnalités audio qui pourraient aisément être introduites). 77 Darras, B., Casanova, F. (1997). 153 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras On notera qu’à l’exception des opérations d’appropriation, la plupart de ces opérations auraient pu être réalisées soit dans un dispositif plurimédia, tels qu’une exposition ou un livre, soit dans un dispositif audiovisuel, tels qu’un film ou une vidéo. A ce titre, le multimédia est une technologie intégrative qui assimile les technologies en les numérisant et en les restituant dans leurs divers canaux. Quant aux liens hypertextes et hypermédias, comme les hyperliens, ils offrent les fonctionnalités d’un puissant assistant documentaire automatisé. 154 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras 1. Nous débuterons le commentaire de ce tableau en commençant par son premier palier, c’est-à-dire à la fois la reproduction de l’information initiale – l’image source – et la dimension documentaire de cette reproduction. Dans le domaine de la reproduction des images sources, il importe de distinguer trois grandes familles. D’une part, les images dont les procédés de fabrication offrent des qualités de surface et de format excédant irrémédiablement les capacités du dispositif de reproduction (sculpture, peinture, dessin, gravure, film, etc.), des images qui sont compatibles avec la reproduction (certaines photos argentiques ou imprimées, la vidéo), ou qui sont des répliques numériques issues d’une matrice numériques, (image de synthèse, photo et vidéo numériques)78. En ce qui concerne les images de la première famille, la recherche d’exactitude et de conformité est prioritaire. En conséquence, la définition, tant colorimétrique que densitométrique, est privilégiée. Quant aux problèmes posés par les différences d’échelle, ils sont le plus souvent insurmontables. Ici, nous sommes au cœur de l’univers de la représentation et simultanément dans les phases d’exposition et de reproduction. 2. Les opérateurs d’analyse sont au nombre de quatre : Explorations, Indexations, Manipulations et Simplifications. Toutes ces opérations et leurs dérivés sont possibles dans les dispositifs plurimédias et audiovisuels et bien évidemment multimédias79. Dans ce dernier cas, l’informatique peut donner accès à des animations automatisées qui convertissent en temps réel les modifications des différentes données. Ces opérations et leurs manifestations relèvent de l’idéographie dynamique chère à Pierre Levy (1991). Dans tous les cas, selon que l’opération est déterminée par le concepteur ou offerte à la manipulation de l’utilisateur, ces opérations analytiques relèvent des univers de la représentation ou de l’interaction. a) Le module d’explorations est fondé tant en qualité qu’en validité sur la définition de la reproduction. On peut distinguer deux principales opérations. D’une part, les divers grossissements permettant d’accéder à des vues de détail grâce aux divers outils 78 Sur le sujet de la reproduction, voir Chateau, Darras, (1999), RieussetLemarié, (1999). 79 Voir à ce sujet, dans cet ouvrage, l’article de F. Casanova et B. Darras. 155 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras numériques que sont les loupes et les effets de grossissement progressifs (effet de zoom), d’autre part, les parcours linéaires ou en séquences qu’autorisent les déplacements latéraux de ces loupes. b) Le module d’indexations comprend tous les dispositifs de guidage de l’attention tant visuels (plastique ou symbolique) que sonores ou textuels. c) Le module de manipulations concerne toutes les transformations de l’image. Il comprend de nombreuses opérations comme les rotations, les permutations, les déformations, les changement de taille, les suppressions, les substitutions, etc. Ces opérations sont, selon le cas, des outils ou des illustrations de l’analyse. d) Le module de simplifications est l’un des plus complexes car il donne accès à de nombreux dispositifs d’abstraction. Nous les avons regroupés dans trois sous modules. - la schématisation permet de révéler les différents contrastes chromatiques, de luminance et de texture de l’image source, mais aussi ses différentes structures perspectives et ses modes d’organisation et de composition ainsi que ses propriétés plastiques, graphiques, etc. - la modélisation concerne toutes les opérations de neutralisation et de visualisation statistiques. - la codification peut conduire à différentes formalisations, visuelles ou textuelles. 3. Nous avons distingué deux opérateurs de référence. L’un gère les références externes, l’autre les références internes. Ce sont tous les deux des outils documentaires qui relèvent massivement des univers de la représentation et secondairement de celui de l’interaction. Ils peuvent être plurimédia, audiovisuels, multimédia, mais ils sont particulièrement pertinents quand ils sont hypermédias, et plus encore s’ils sont ouverts sur des réseaux. 80 80 Voir à ce sujet B. Darras (1999). 156 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras a) Les références internes donnent accès à trois opérateurs : D’une part, les archives généalogiques pouvant présenter différents documents comme des études, des croquis préparatoires, des repentirs, des repeints, des restaurations, des planches contact, des rushes, etc. D’autre part, un opérateur d’information sur les propriétés physiques, chimiques, électroniques, numériques et techniques de l’image, Enfin un opérateur donnant accès à différents modules de reconstitution 2D ou 3D permettant de comprendre le fonctionnement ou l’organisation de l’image. b) Les références externes donnent, elles aussi, accès à trois modules. L’un procure des informations sur les différents contextes de l’image source, informations historiques, différents propriétaires, différents lieux de présentation, etc. Les deux autres sont des instruments de comparaison et d’étude des écarts. Le premier favorise les comparaisons d’ensemble et les opérations sur des groupes de transformation. Il permet d’accéder à d’autres images de la même catégorie ; il autorise les typologies et la constitution de genres, de styles, etc. Le second donne accès à des bibliothèques de paradigmes concernant les différents composants de l’image (les différents visages de la Vierge, les différents modèles d’un photographe, les différentes actrices d’un rôle ou d’un réalisateur, etc.). 4. Le dernier module est celui de l’Appropriation de l’image source. Il peut se gérer dans le multimédia lui-même si celui-ci intègre les logiciels adéquats d’infographie et de montage numérique mais après exportation, il peut aussi être une invitation à procéder à de telles opérations à partir des outils informatiques dont dispose l’utilisateur. Les opérations d’appropriation concernent autant les détournements, les recréations, les réinterprétations que les réorganisations, et autres ouvertures de l’imagination. Toutes ces opérations sont facilitées par les outils informatiques, mais elles peuvent être produites avec les outils traditionnels. Nous sommes ici au croisement des univers de production et d’interaction. Toutefois, s’il est intéressant, le résultat des appropriations ne manquera pas de rejoindre l’univers de représentation, notamment dans ses phases de reproduction et d’exposition. Conclusion 157 MEI « Médiation et information », nº 11, 2000 _____________ Bernard Darras Pour le moment, et à notre connaissance, aucun dispositif multimédia n’offre une palette d’intervention aussi riche que celle qui est proposée dans cette typologie. Il n’est d’ailleurs pas certain que tous les outils soient requis pour accéder à une bonne compréhension de l’image, à son interprétation riche et complexe et à des manipulations pertinentes. Ainsi que nous l’avons montré, en situant de tels dispositifs documentaires, analytiques et exploratoires, au carrefour des conceptions représentatives, productives et interactives de l’image, nous contribuons à renforcer la diversification des registres d’accès en évitant leur substitution, nécessairement appauvrissante. Ce faisant, nous invitons les concepteurs de multimédias à la création de prototypes en espérant qu’ils contribueront au développement de l’éducation aux images. Références bibliographiques Barbe, W., Swassing, R. (1979) Teaching through Modality Strengths, Concept and Practices. Columbus, OH, Zaner-Bloser. Benjamin, W. (1971-1983) Essais 2 1935-1940, Paris, Denoël/Gonthier. Chateau, D., Darras, B. (1999) Arts et Multimédia, Paris, Publications de la Sorbonne. Cocude, M. 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