Précis de littérature égyptienne contemporaine

Transcription

Précis de littérature égyptienne contemporaine
Panorama de la littérature égyptienne contemporaine
Richard Jacquemond
I. Introduction
Au sein du monde arabe, l’Egypte occupe une place centrale par sa situation géographique, par son poids
démographique (près d’un Arabe sur trois est égyptien) et aussi par la position dominante qu’elle a
occupée dans la formation de la culture arabe moderne, en particulier dans le domaine littéraire. Cette
e
position dominante s’affirme d’abord dans les dernières décennies du 19 siècle, quand Le Caire
s’impose, malgré l’occupation britannique, comme le centre de la renaissance intellectuelle arabe, la
Nahda.
Cette période est celle de la formation d’une littérature moderne, ce qui passe à la fois par la revivification
des formes d’expression anciennes, en particulier dans la poésie, et par le développement de formes
nouvelles, importées d’Europe, en particulier dans la prose romanesque et le théâtre. Le roman arabe
moderne naît au Caire à travers la grande série de romans historiques de Jurji Zaydan (22 romans publiés
de 1891 à 1914), Zeinab (1914) de Mohammed Hussein Heikal, et surtout Ce que nous conta ‘Isa Ibn
Hichâm (1907), le premier chef d’œuvre de la littérature arabe moderne, où Mohammed al-Muwaylihi,
dans un style brillant, remet au goût du jour le genre classique de la maqâma et en même temps invente
le réalisme égyptien, dans sa version satirique.
Après la Première Guerre mondiale, la dissolution de l’Empire ottoman et la révolution égyptienne de
1919 débouchent sur l’indépendance formelle du pays : formelle, dans la mesure où les puissances
européennes, la Grande-Bretagne en particulier, continuent de limiter de diverses manières la
souveraineté nationale. Cette période est néanmoins celle où s’affirme le nationalisme égyptien, et la
littérature de l’époque en est le premier témoin. Les écrivains de « l’école moderne » (Mahmoud Taymour,
Mahmoud Taher Lachine) acclimatent en Egypte la nouvelle réaliste à la Maupassant. Quelques années
plus tard, Naguib Mahfouz (1911-2006) débute en renouant avec l’ambition de Zaydan, mais à la
différence de ce dernier, ses romans historiques se limitent au cadre égyptien. Mais les grands écrivains
de l’époque sont avant tout des polygraphes. Taha Hussein (1889-1973) domine de son aura intellectuelle
tout l’entre-deux-guerres. Historien de la littérature et des idées, critique littéraire, professeur et intellectuel
engagé dans tous les débats de son temps, il sera même brièvement ministre de l’Education nationale.
Son œuvre la plus forte et la plus connue est son autobiographie, Le livre des jours (1933). Formé comme
lui en France, Tewfik El-Hakim (1898-1987) est surtout connu dans le monde arabe comme le fondateur
du théâtre arabe moderne. Auteur de dizaines de pièces écrites entre les années 1920 et les années
1960, il publie aussi dans l’entre-deux-guerres quelques romans d’inspiration autobiographique, dont
L’âme retrouvée (1933) et Un substitut de campagne en Egypte (1937) sont les plus marquants.
Jurji Zaydan (1861-1914) : Saladin et les assassins, Paris-Méditerranée, 2003 ; La bataille de Poitiers,
Non Lieu, 2011.
Mohammed Muwaylihi (1858?-1930), Ce que nous conta ‘Isa Ibn Hichâm et Trois Egyptiens à Paris,
Editions du Jasmin, 2005 et 2008
Taha Hussein (1889-1973), Le livre des jours, La traversée intérieure, Au-delà du Nil, Gallimard
Tewfik El Hakim (1898-1987), Un substitut de campagne en Egypte, Plon Terre humaine-CNRS, 2009
Naguib Mahfouz (1911-2006), La malédiction de Râ, Librio, 2000, et L’amante du pharaon, Nouveau
Monde, 2005
II. L’âge d’or du réalisme égyptien
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la fin des mandats français et britanniques au ProcheOrient (Syrie, Liban, Palestine, Irak) permet à l’Egypte d’affirmer son leadership : elle prend dès 1945 la
tête de la Ligue arabe. Le coup d’Etat révolutionnaire des Officiers libres en 1952, suivi de l’ascension
politique de Gamal Abdel-Nasser, confirment cette position et la longue décennie qui va de 1956 (l’échec
de la tentative franco-anglo-israélienne de reprendre le contrôle du Canal de Suez) à 1967 (la défaite
humiliante de l’armée égyptienne dans la guerre des Six jours) est celle de l’apogée de l’influence
régionale, politique et culturelle, de l’Egypte. Les années 1950 et 1960 sont aussi celles où la littérature
arabe d’Egypte s’impose dans le monde arabe, par le roman et la nouvelle mais aussi par les nombreuses
adaptations cinématographiques auxquelles ils donnent lieu. Mais du fait de la rupture politique entre
l’Egypte de Nasser et les puissances occidentales, la production littéraire de cette période ne sera traduite
que très tardivement et très partiellement.
Naguib Mahfouz est bien sûr l’auteur emblématique de cette période. Son chef d’œuvre, la Trilogie (195557), brosse, à travers une saga familiale, un extraordinaire tableau de l’histoire sociale et politique de
l’Egypte de l’entre-deux-guerres. Mais sa production romanesque, dans ces années qui sont les plus
riches de sa longue carrière, est très variée, dans ses thèmes comme dans ses formes : souvent
imprégnée de questionnements philosophiques, elle est aussi déterminée par les louvoiements de son
auteur pour échapper à la censure, qui pourtant le rattrape en 1959 (Les fils de la médina). Si Mahfouz
est, grâce au prix Nobel qui lui a été décerné en 1988 (le seul Nobel de la littérature arabe à ce jour), le
plus connu de cet âge d’or du réalisme égyptien, il ne doit pas faire oublier ses contemporains Yahya
Haqqi et surtout Youssef Idris, maître incontesté de la nouvelle réaliste et inventeur, au milieu des années
1950, d’une langue littéraire plus vivante et plus proche de l’arabe égyptien parlé, qui va profondément
marquer les nouvelles générations d’écrivains égyptiens.
Enfin, bien qu’écrit en français et pour l’essentiel à Paris où il s’installe définitivement en 1945, l’œuvre
romanesque d’Albert Cossery se rattache incontestablement, par son contenu profondément égyptien et
sa verve satirique, à cet âge d’or du réalisme égyptien.
Naguib Mahfouz : outre la Trilogie (Pochothèque, 1993), la plupart de ses romans sont disponibles en
Folio (Gallimard) ou Actes Sud Babel.
Yahya Haqqi (1905-1992), Réveille-toi !, Actes Sud Sindbad, 2003.
Youssef Idris (1927-1991), La Sirène (1986) et Maison de chair (1999), Actes Sud Sindbad.
Albert Cossery (1913-2008) : ses huit romans, publiés de 1941 à 1999 ont tous été réédités récemment
chez Joëlle Losfeld.
III. La génération des années soixante
En 1966, Sonallah Ibrahim publie son premier roman, Cette odeur-là, court récit très autobiographique où
il évoque, d’un ton très cru et radicalement nouveau, le mal-être d’un jeune militant communiste
récemment libéré des prisons nassériennes. Malgré sa censure immédiate, il devient le livre culte d’une
nouvelle génération d’écrivains qui va à la fois approfondir le réalisme des maîtres de la génération
précédente et pousser plus loin qu’eux la contestation des contraintes esthétiques, politiques et morales
qui brident l’expression littéraire arabe et multiplier les expérimentations et innovations de toutes sortes.
Cette nouvelle avant-garde littéraire émerge dans un contexte politique très agité : la défaite de 1967
déclenche un mouvement de contestation sans précédent du régime, qui va s’accentuer dans les années
1970 du fait du virage à droite opéré par Anouar El-Sadate, le successeur de Nasser. La plupart des
écrivains dont on va parler maintenant ont soit connu les prisons de Nasser, soit été interdits de
publication ou poussés à l’exil sous Sadate, quand ce n’est pas les deux à la fois. C’est ce mixte d’avantgardisme littéraire et d’engagement politique qui fait l’originalité de cette génération, et Sonallah Ibrahim
en est l’incarnation exemplaire, dans ses grands romans (Etoile d’août, 1974 ; Le Comité, 1981 ; Les
années de Zeth, 1992 ; Warda, 2000) comme dans son positionnement politique. En 2003, son refus du
prix du roman arabe décerné par le ministre égyptien de la Culture a eu un retentissement considérable
dans tout le monde arabe.
L’innovation majeure de la génération des années soixante consiste à dépasser le chiasme forme
importée/contenu local dans lequel se sont développés le théâtre de Tewfik El Hakim, le roman de Naguib
Mahfouz comme la nouvelle de Youssef Idris. Entre 1964 et 1968, Naguib Sorour invente un théâtre
arabe révolutionnaire, inspiré de légendes paysannes et qui met au centre de la scène le conteur
(hakawati) accompagné de son rebab. Cette démarche sera reprise par quantité d’écrivains égyptiens et
arabes, sous des formes variées. Parmi les plus grandes réussites de ce courant, Les sept jours de
l’homme (1969) d’Abdel-Hakim Qassem, bildungsroman rythmé par les rituels d’initiation soufis ; les
nouvelles et les courts romans de Yahya Taher Abdalllah, malheureusement pas accessibles en français
(The Collar and the Bracelet, 1978), où il invente un langage poétique inspiré de la culture orale de la
Haute-Egypte dont il est originaire ; et bien sûr l’abondante production de Gamal Ghitany. Dans Zayni
Barakat (1974), son premier roman qui est aussi son chef d’œuvre, il pastiche l’écriture des chroniqueurs
égyptiens de l’époque mamelouke et élabore, à travers une allégorie historique, ce qui reste à ce jour la
critique la plus subtile et la plus radicale de l’Etat policier mis en place par Nasser. Dans cette génération,
Edouard al-Kharrat occupe une place particulière: plus âgé, il devient à partir de 1968 l’un des principaux
animateurs et théoriciens de cette nouvelle vague, notamment à travers la revue Galerie 68, qui aura une
influence beaucoup plus durable que sa courte vie (1968-1971). Lui-même se consacre d’abord à la
nouvelle, avant de donner, dans les années 1980, une série de romans très personnels, marqués par son
immense culture littéraire et son enracinement (plus culturel que religieux) dans la communauté copte.
Alexandrie, terre de safran (1986) est la meilleure porte d’entrée dans son œuvre.
Etouffée et marginalisée par le pouvoir politique jusqu’au milieu des années 1980, cette génération très
riche prend ensuite toute sa place et domine la scène littéraire égyptienne. C’est aussi la première à
accéder largement à la traduction et une bonne partie des auteurs égyptiens traduits en français depuis
1985 sont issus de ce moment fondateur : Ibrahim Aslan, Ibrahim Abdel Meguid, Mohamed El Bisatie,
Khayri Chalabi, Baha Taher, Mahmoud Wardany, etc.
Ibrahim Aslan (1935-2012), Kit-Kat Café, 2004, et deux autres romans publiés par Actes Sud.
Ibrahim Abdel-Méguid (1946), Personne ne dort à Alexandrie, Desclée de Brouwer, 2001, et trois autres
romans publiés par Actes Sud et Folies d’encre.
Salwa Bakr (1949), Les messagers du Nil, L’esprit des péninsules, 2003
Mohamed El Bisatie (1938), La Clameur du lac, 1996, et quatre autres romans publiés par Actes Sud.
Gamal Ghitany (1945), une dizaine de titres en français, publiés principalement par Le Seuil.
Sonallah Ibrahim (1937), Les années de Zeth, 1993, et huit autres romans tous publiés par Actes Sud.
Edouard Al-Kharrat (1926), Alexandrie Terre de Safran, 1997, et trois autres romans tous chez Actes Sud.
Mohammed Mostagab (1938-2005), Les tribulations d’un Egyptien en Egypte, Actes Sud, 1997.
Abdel-Hakim Qassem (1935-1990), Les sept jours de l’homme, Actes Sud SIndbad, 1998.
Khayri Shalabi (1938-2011), Le temps du kif, Actes Sud Sindbad, 2006.
Baha Taher (1935), Tante Safeya et le monastère, Autrement, 1996 ; Oasis du couchant, Gallimard, 2011.
Mahmoud Wardany (1950), Le jardin parfumé, Actes Sud Sindbad, 2007.
IV. Les nouvelles générations
De même que 1967 a marqué une rupture à la fois politique et esthétique, c’est à la suite d’un autre
traumatisme politique, celui de la seconde guerre du Golfe en 1991, que s’affirme une nouvelle avantgarde littéraire, le gil at-tis’inat, la génération des années 1990. Rompant avec l’idéal de fusion de
l’innovation esthétique et de l’engagement politique de leurs aînés, ils revendiquent le droit de se
détourner des « grandes questions » sociales et politiques et se tournent vers l’écriture du soi, du corps,
du quotidien, renouent avec les techniques expérimentales inaugurées dans les années 1960 en les
modernisant. Le roman culte de cette nouvelle vague sera Dans la peau de Abbas el-Abd (2003) d’Ahmed
Alaidy, « objet littéraire non identifié » où l’autodérision et le nihilisme s’expriment à coup de sms,
d’onomatopées et de néologismes anglo-arabes. Significativement, c’est la première génération où les
femmes, effacées jusque là (Salwa Bakr, seule citée dans la génération précédente), font jeu égal avec
les hommes et même les doublent sur le marché de la traduction : parmi elles se détachent Somaya
Ramadan, Miral Tahawy, May Telmissany, et la jeune poète Iman Mersal. En même temps, leurs partipris d’écriture exigeants, leur refus délibéré de s’intégrer dans la scène littéraire officielle, mais aussi le
choix de nombre d’entre eux d’émigrer en Europe et en Amérique du Nord, tout ceci retarde leur
reconnaissance tant en Egypte qu’à l’étranger, car le public étranger ne trouve pas dans leurs œuvres la
dimension exotique, le supplément de connaissance quasi ethnographique qu’il va souvent chercher dans
la littérature arabe traduite.
A l’opposé de cette mouvance, c’est une nouvelle vague d’auteurs beaucoup plus classiques qui va
réconcilier le roman égyptien avec le grand public national mais aussi lui faire une place sans précédent
sur le marché international. Avec plus d’un million d’exemplaires vendus dans le monde en plus de vingt
langues, L’immeuble Yacoubian (2003) d’Alaa El Aswany est le premier bestseller mondial de la littérature
arabe. Cette fresque sociale du Caire contemporain remet avec succès au goût du jour le réalisme
mahfouzien, avec cette verve satirique caractéristique de l’écriture égyptienne depuis Muwaylihi, Cossery,
et le Sonallah Ibrahim des Années de Zeth (1992). Dans une veine assez proche, les récits tantôt drôles,
tantôt poignants, de chauffeurs de taxis cairotes réunis par Khaled Al Khamissi dans Taxi ont eu aussi un
grand succès en Egypte comme en traduction. Aswany et Khamissi renouent aussi, chacun à sa manière,
avec la posture de l’écrivain engagé, ce qui contribue aussi à asseoir leur réputation locale et
internationale, en particulier dans le contexte de la nouvelle Egypte en formation depuis la révolution de
2011.
Les années précédant la révolution ont vu d’autres succès de librairie inattendus. Youssef Zaydan (Azazil,
2008 ; Le Nabatéen, 2010) renouvelle brillamment le genre du roman historique en revisitant des périodes
méconnues de l’histoire égyptienne et arabe. Omar Taher (C’est foutu, 2006), Ahmed El-Esseili (Un livre
sans nom, 2009) ou Ghada Abdel-Aal (Je veux me marier, 2008) ont conquis des dizaines de milliers de
lecteurs en donnant un coup de jeune au genre, très populaire en Egypte, de la littérature satirique. Enfin,
Ahmed Mourad (Vertigo, 2007) et Ahmed Khaled Tawfik (Utopia, 2008) corrigent une incongruité
historique en imposant enfin en Egypte le thriller, dans la forme classique du polar pour le premier, dans
une version plus originale, sorte de politique fiction, pour le second. La majeure partie de ces derniers
titres, non encore traduits en français, devraient l’être prochainement.
Hamdi Abou Golayel (1968), Petits voleurs à la retraite, Editions de l’Aube, 2005
Ahmed Alaidy (1974), Dans la peau de Abbas el-Abd, Actes Sud, 2010.
Khaled Al Khamissi (1962), Taxi, Actes Sud, 2009.
Alaa El Aswany (1957), L’immeuble Yacoubian (2006) et trois autres titres publiés par Actes Sud
Somaya Ramadan (1951), Feuilles de narcisse, Actes Sud Sindbad, 2006.
Miral Tahawy (1968), La tente, Paris Méditerranée, 2001.
May Telmessany (1965), Doniazade, 2000, et Héliopolis, 2003, Actes Sud Sindbad.
Ahmed Mourad (1978), Vertigo, et Ahmed Khaled Tawfik (1962), Utopia, à paraître en 2013 (Ombres
noires Flammarion)
V. Voix singulières
Revenons d’abord sur les femmes, longtemps marginalisées sur la scène littéraire égyptienne. L’une
d’entre elles s’est pourtant imposée, en portant longtemps à elle seule pratiquement la voix du féminisme
arabe. Un peu comme Assia Djebar, qui l’a fait connaître en français, Nawal El Saadaoui publie dès les
dernières années 1950, mais c’est bien plus tard, à partir de 1975, qu’elle se fait connaître avec une série
d’essais puis de romans. Largement traduite en anglais et très connue dans le monde anglo-saxon, elle
l’est moins en France. Moins prolixe, son aînée Latifa Zayyat est néanmoins une grande figure de la
littérature égyptienne moderne, connue aussi pour ses combats politiques dès avant 1952 et, à partir de
1978, contre la normalisation égypto-israélienne. Aujourd’hui, la voix féminine égyptienne la plus forte à
l’étranger est celle d’Ahdaf Soueif. Auteure de deux romans majeurs écrits en anglais, partageant son
temps entre Londres et Le Caire, très engagée dans la révolution égyptienne, ses reportages et tribunes
dans la presse anglo-saxonne sont aussi très lus.
Bien qu’il ait toujours écrit en arabe et publié en Egypte, Nabil Naoum a plus souvent vécu à l’étranger
(Etats-Unis puis France). Maître du récit court, ses romans et nouvelles ont pour cadre une Egypte
fantasmée voire fantastique, chargée de références mystiques : trajectoire littéraire très originale qui fait
de lui une sorte de Cossery revu par Borges et Cortázar.
Enfin, on ne peut pas ne pas mentionner l’égyptianité littéraire plus ou moins marquée de plusieurs
écrivains qui, nés en Egypte et ayant émigré plus ou moins rapidement en France, ont écrit exclusivement
en français. Dans l’Egypte monarchique et coloniale d’avant 1952, le français est la langue de l’élite
aristocratique et de la grande bourgeoisie égyptiennes, dont les racines sont souvent plus
méditerranéennes (levantines, turques, grecques, italiennes) que locales. Dans ce pays sous domination
britannique, le français n’est pas, comme au Maghreb, perçu comme la langue du colonisateur, mais
plutôt comme une langue universelle, vernaculaire d’un cosmopolitisme littéraire. De la production
égyptienne francophone de cette époque, c’est d’abord celle de deux grands poètes surréalistes, Georges
Henein et Joyce Mansour, qui passera à la postérité et sera redécouverte et traduite en arabe, à partir des
années 1980, par les nouvelles avant-gardes poétiques égyptiennes. Proche de Henein dans sa
jeunesse, Edmond Jabès s’éloigne du surréalisme pendant le Seconde Guerre mondiale et construit à
partir de là une œuvre poétique majeure, méditative et tourmentée, marquée par son identité juive (Le
livre des questions, 1963-73).
Si Jabès, Henein, Mansour (et aussi Cossery) ont d’abord écrit en français d’Egypte même, d’autres, nés
et formés en Egypte, ne sont venus à l’écriture qu’après avoir émigré en France. Andrée Chedid, issue de
la communauté libanaise d’Egypte, s’installe en 1946 à Paris, d’où elle construira une œuvre prolixe,
profondément humaniste, mais aussi très marquée par ses racines égyptiennes : il n’est pas indifférent
que Le sixième jour (1960), un de ses nombreux romans ayant l’Egypte pour cadre, ait été adapté par le
grand cinéaste égyptien Youssef Chahine, et qu’il ait choisi pour le rôle-titre Dalida, née dans la
communauté italienne d’Egypte. Enfin, bien qu’ils aient quitté l’Egypte très tôt (à huit ans pour la première,
après leurs études secondaires pour les deux autres), leur pays natal a inspiré de nombreux romans à
Paula Jacques, Robert Solé ou Gilbert Sinoué, tous trois issus aussi de ces communautés
« minoritaires » (dans leurs cas, respectivement juive, chrétienne syrienne et grecque catholique) qui
émigrèrent massivement au temps de Nasser, mais qui sont restés attachés à l’Egypte, car comme dit le
proverbe, « qui a bu l’eau du Nil y reviendra toujours ».
Auteurs arabophones
Nawal El Saadawi (1931), Ferdaous, une voix en enfer, Des Femmes, 2007
Nabil Naoum (1944), cinq romans et recueils de nouvelles publiés par Actes Sud
Latifa Zayyat (1923-1996), Perquisition ! Carnets intimes, Actes Sud Sindbad, 1996
Auteurs francophones
Andrée Chedid (1920-2011) a publié près de 70 livres (poésie, romans, théâtre, récits, essais). Ses
romans et recueils de nouvelles ont été réédités dans les collections J’ai lu et Librio (Flammarion).
Georges Henein (1914-1973), Œuvres. Poésies, récits, essais et articles, Denoël, 2006.
Edmond Jabès (1912-1991) : son œuvre poétique est publiée notamment par Gallimard et Fata Morgana.
Paula Jacques (1949) a publié une dizaine de romans, réédités en Folio (Gallimard).
Joyce Mansour (1928-1986), Prose et poésie, Œuvre complète, Actes Sud, 1991.
Gilbert Sinoué (1947), notamment L’Egyptienne et La fille du Nil, Folio.
Robert Solé (1946) a publié une quinzaine de romans et d’essais sur l’Egypte, principalement au Seuil.
Auteure anglophone
Ahdaf Soueif (1950), In the Eye of the Sun (1992) ; Lady Pacha, Lattès, 2000.
Richard Jacquemond, professeur de langue et littérature arabes à l’université d’Aix-Marseille, auteur d’une
thèse sur le champ littéraire égyptien contemporain dont une version résumée a été publiée sous le titre
Entres scribes et écrivains, Le champ littéraire dans l’Egypte contemporaine, Actes Sud Sindbad, 2003. Il
a également traduit une quinzaine d’ouvrages de l’arabe, principalement d’auteurs égyptiens (Sonallah
Ibrahim, Naguib Mahfouz, Nabil Naoum, Mahmoud Wardany, Latifa Zayyat).