Futur Postérieur

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Futur Postérieur
Stéphane Rougeot
Futur Postérieur
Publié sur Scribay le 17/02/2016
Futur Postérieur
À propos de l'auteur
Né en 1971 à Besançon, capitale de la Franche-Comté, j'ai développé mon
imagination en puisant dans le cinéma et mes expériences pour alimenter ma
production littéraire. Après de longues années à stocker mes textes dans des tiroirs,
je me décide enfin à franchir le pas de la publication, tout en poursuivant son oeuvre.
Je vis actuellement dans la Drôme et partage mon temps entre ma passion pour
l’écriture, mon travail d’ingénieur et ma vie de famille.
Attiré sans cesse par de nouveaux horizons, je change constamment de genre. À titre
d’exemple : l’historique, le médiéval-fantastique, la satire, la chronique
contemporaine, le conte pour enfant ou adulte, la nouvelle, le policier, le théâtre, et
bien d’autres.
À propos du texte
Quand votre femme se regarde les fesses dans le miroir, surtout ne dites rien !
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Jérémy est confortablement affalé dans son lit, entièrement nu sous un simple drap
en cette chaude nuit d’été. Une lampe de chevet est allumée juste à côté d’un réveil
affichant vingt-trois heures trente-cinq. L’homme est profondément immergé dans un
documentaire que diffuse un petit écran plat accroché sur le côté d’une coiffeuse
Ikea.
Le narrateur tente d’inculquer aux téléspectateurs noctambules d’une chaîne
généraliste quelques concepts particulièrement ardus pour le commun des mortels.
“Mais si je marche vers lui, il va me voir bouger plus lentement que je ne me vois
moi-même. De manière infinitésimale, bien sûr, personne ne peut le remarquer à
l’œil nu. Vous pouvez donc vous représenter le temps comme une quatrième
dimension, qui est intrinsèquement lié aux trois autres.”
L’exemple des deux horloges atomiques, dont l’une a voyagé en avion et pas l’autre,
et qui affichent une heure très légèrement différente au retour est supposé
convaincre les plus incrédules.
“En fait, l’ensemble de ces quatre dimensions conduit à ne plus se représenter le
temps comme linéaire, avec un passé révolu, un présent, et un futur qui n’existe pas
encore. De grands scientifiques ont établi une structure finie, un peu comme un film
sur votre lecteur DVD, dans lequel vous pouvez vous déplacer pour afficher
n’importe quelle image, sans forcément respecter l’ordre chronologique. Cela
implique qu’il y a un commencement, une fin, et que tous les instants sont
déterminés, et existent tous en même temps en permanence. Notre vision est
influencée par le fait que nous ne disposons pas, pour l’heure en tout cas, de la
télécommande, car nous faisons partie du film. Nous sommes à l’intérieur.”
La notion de différence de point de vue le conduit à aborder un thème cher à la
science-fiction :
“Deux individus immobiles au même instant, quelle que soit leur position, auront
donc la perception de simultanéité de leur instant. Par contre, si l’un d’eux s’éloigne
de l’autre, le plan de son instant à lui n’est plus parallèle aux autres, et il devient
alors simultané de faits qui sont postérieurs à l’autre. Et inversement s’il se
rapproche.”
Ses deux neurones n’étant pas encore parvenus à se toucher, Jérémy affiche un
visage très concentré, que vient troubler l’irruption de Charlène, sa femme, qui sort
du dressing, complètement nue, et se plante à côté du lit, dans la lumière, tournant
le dos à Jérémy, en baragouinant :
— Qu’est-ce que tu penses de mon cul ?
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— Hein ? Quoi ?
Il coupe le son de la télé pour essayer de réfléchir à ce que Charlène attend vraiment
comme réponse. Il est marié depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’une
question féminine n’est jamais innocente, surtout quand l’apparence est le centre des
débats.
Elle se tourne vers lui, prête à l’engueuler :
— T’as oublié ?
— Oublié ton cul ?
— C’est demain que j’ai rendez-vous !
La recherche du type de rendez-vous est assez rapide.
— Ah, oui, le chirurgien esthétique. T’as vraiment pas besoin de ça, je t’ai déjà dit !
Moi je l’aime, ton cul, comme tout le reste, d’ailleurs.
En témoigne un début d’érection sous le drap. La femme lui remet son postérieur
sous le nez :
— Non, sérieusement. J’ai un début de culotte de cheval, ça, tout le monde me le dit.
Et j’ai l’impression, dans la glace, que mes fesses commencent à tomber. Tu peux me
confirmer ? T’as un meilleur angle de vue, toi !
— Sérieusement, Charlie, tes fesses n’ont pas changé depuis que je te connais. Tu te
fais des idées. Et c’est pas ta collègue refaite à neuf par ce “grand spécialiste” qui va
t’en convaincre.
— Laisse Sonia en dehors de ça.
— Prends plutôt exemple sur Malika : elle fait du sport, elle bouge, elle fait un peu
attention à ce qu’elle mange, et…
Jérémy s’arrête brusquement avec la sensation d’être sur le point de sortir une
phrase qui risque d’envenimer la situation.
— Et quoi ?
— Ben…
— Non, vas-y : termine ta phrase ! Je suis curieuse de savoir ce que tu vas dire sur le
cul de ma copine !
— Elle ne donne pas l’impression d’avoir envie de refaire son corps !
— C’est une manière détournée de dire qu’elle te plaît ?
— C’est une manière de dire qu’elle a l’air épanouie. Y a qu’à la voir sortir en boîte
tous les week-ends, avec son mec, à quarante-cinq ans passés, avec des tenues plutôt
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suggestives.
— Comment tu sais ça ? T’es déjà sorti avec elle ?
— Oui, le mois dernier, et tu étais là aussi, je te rappelle…
Il réfléchit un instant, puis propose :
— Imagine un instant que tu puisses faire un voyage dans le temps.
— Qu’est-ce que tu racontes, encore ?
— Tu pourrais te voir dans cinq, dix, ou même vingt ans. Imagine même que tu
puisses visualiser des futurs différents, par exemple un dans lequel tu n’as fait
aucune modification, et un autre dans lequel tu t’es entièrement fait retendre,
botoxer, liposucer ou je ne sais quoi.
— Où tu veux en venir ?
— Crois-moi sur parole : tu préféreras la toi naturelle à la toi artificielle ! Alors oui,
bien sûr, l’une fera son âge, et l’autre ressemblera à une poupée gonflée. L’une
attirera tous les regards lubriques tandis que l’autre n’aura que son cher mari à se
mettre entre les cuisses… Tu veux que je continue ?
— Heu… Ne change pas de sujet, s’il te plaît ! J’ai vraiment besoin de connaître ton
avis.
— Je te répète mon avis : tu es très bien comme ça, ne changes rien du tout ! C’est
clair ?
— Bon, ça va, j’ai compris.
Charlène retourne dans le dressing, visiblement énervée.
— De toute façon, je ne peux jamais rien te demander de sérieux. On verra bien
demain ce qu’en pense un spécialiste professionnel !
Jérémy soulève son drap, et hausse la voix pour être sûr qu’elle va l’entendre :
— S’il a la même trique que moi quand il te verra à poil, ça suffira à te convaincre de
ne rien te faire refaire ?
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