Déni de grossesse
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Déni de grossesse
DOSSIER THÉMATIQUE Gynécologie-obstétrique et psy Déni de grossesse Denial of pregnancy I. Nisand* L * CHU de Strasbourg. e déni de grossesse désigne le fait, pour une femme, de ne pas être consciente de sa grossesse (1). Il s’agit d’un phénomène inconscient qui est une défense très particulière. Une défense qu’utilise l’appareil psychique, celui qui compose notre vie relationnelle et affective. Le déni de grossesse est donc un impensable, un état d’être enceinte qui ne se pense pas. Rien, pas d’image, un blanc là où il devrait y avoir une conscience de soi. Le déni permet d’exclure du champ de la conscience, en les isolant, les représentations et les affects qui ne correspondent pas à ce que la femme peut supporter de sa réalité. Il permet de se vider de toute pensée sur ce qui est vécu dans le corps. Ainsi, la femme enceinte ne se sait pas enceinte. Elle ne ment pas, ne feint pas d’ignorer, ne dissimule rien. Elle ne sait rien. L’expression “déni de grossesse” est apparue seulement dans les années 1970 dans la littérature. Jusque-là, on lui préférait la notion de “grossesse cachée” ou bien encore de “grossesse méconnue”. On peut parler d’altération de la représentation, c’est-à-dire d’une impossible image sur ce que le corps éprouve. Pas d’image mentale sur un éprouvé corporel. Comme si ce qui se passe dans le corps n’était pas ressenti et, donc, ne procurait pas de pensée. Car on pense à partir de ce que l’on ressent. Nos émotions corporelles sont les premières à faire éclore des bulles d’images à l’origine de notre vie affective. Mais ces souvenirs, ces images ne sont possibles que si nous nous laissons aller à ressentir de nouveau la sensation connue. Sans cette acceptation et cette ouverture à cette vie sensorielle, rien n’est possible. Si nous poursuivons notre raisonnement en l’appliquant à la femme enceinte, nous pouvons affirmer que les sensations du corps de la femme enceinte facilitent et multiplient les pensées. La mère en devenir est une grande productrice d’images, sa vie affective est particulièrement foisonnante, et c’est d’autant plus vrai quand elle commence à ressentir son bébé. Bien entendu, si elle ignore son état, rien ne se produit et le vide vient en lieu et place de la pensée. 20 | La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 Le déni du déni est visible partout. Cela explique qu’une pathologie aussi fréquente (1 cas pour 500 grossesses) et aussi grave – puisqu’elle peut entraîner la mort du nouveau-né – ne soit pas étudiée et ne donne pas lieu à des publications médicales pour en divulguer le diagnostic et la prise en charge optimale. Il y a 2 causes probables à ce déni du déni : ➤➤ s’apercevoir que le psychisme est si important qu’il peut entraîner de telles conséquences n’est pas une bonne nouvelle et de nombreux médecins préfèrent ignorer cette pathologie plutôt que de la prendre en compte ; ➤➤ le déni de grossesse affecte l’image de la bonne mère mythique que nous avons tous en tête. Notre mère aurait pu ne pas avoir d’instinct et donc ne pas nous adopter ? Encore une mauvaise nouvelle : la maternité aussi est adoptive. Les rares cas qui aboutissent à un fait divers ne doivent pas masquer le fait que cette pathologie est tellement ubiquitaire qu’aucun professionnel de la naissance ne l’ignore, même si, de temps en temps, la désignation précise d’un cas clinique par un médecin ou une sage-femme n’arrive pas jusqu’à l’énoncé du nom de cette pathologie. Chacun a vu des femmes en déni, plus ou moins grave, plus ou moins complet. Et le fait de poser le diagnostic en le nommant permet de penser la suite de la prise en charge qui est si importante. Certains dénis se terminent au premier trimestre de la grossesse, quand une femme qui vient de découvrir sa grossesse demande in extremis une IVG. Cette demande tardive d’une femme qui, jusque-là, ne se savait pas enceinte, est un vrai déni qui nécessite la même prise en charge psychologique que les dénis plus longs. Au deuxième trimestre, l’IVG n’est plus possible et les femmes se retrouvent avec le choix de rattraper le déficit de communication avec leur enfant ou de décider de le confier à l’adoption. Ce n’est que parmi les dénis qui se poursuivent jusqu’au troisième trimestre que l’accident d’un accouchement qui débute dans la solitude risque Points forts »» Le déni de grossesse est fréquent (1 cas sur 500) et grave (risque de mort du nouveau-né). »» Un suivi psychologique est indispensable. »» Il y a une altération de la représentation. de mal se terminer, essentiellement à cause de la panique d’une femme qui se met à accoucher alors qu’elle ne se savait pas enceinte. Près de 25 % des femmes qui accouchent seules perdent leur enfant dans l’anoxie per-partum qui aurait nécessité que quelqu’un soit là pour s’occuper de l’enfant. Au lieu de cela, il n’y a là qu’une femme perdue, éperdue et souvent transitoirement irresponsable du fait d’un accouchement totalement inattendu. Cette pathologie psychique peut être prévenue dans sa forme la plus grave : il ne faut jamais banaliser une déclaration de grossesse tardive ni une IVG tardive chez une femme qui ne se savait pas enceinte, ni d’ailleurs un antécédent de déni de grossesse. La révélation de la grossesse avant son terme survient souvent par hasard et ne dit rien sur la gravité de la pathologie. Et les mêmes causes psychiques, si elles ne sont pas prises en charge correctement, vont produire inlassablement les mêmes effets. Parmi les nombreuses causes de déni – celui-ci n’étant qu’un symptôme –, il y a les situations de maltraitance sexuelle passée, dans l’enfance ou l’adolescence, ou présentes, dans la vie conjugale. Une femme peut effacer sa féminité et la conscience de son corps féminin et fécond, pour la seule raison que celui-ci a été source de honte et d’un sentiment de salissure. Il s’agit presque d’une “psychose localisée à la sphère génitale”. Tout ce qui concerne alors ce corps sexué est impensable, la contraception, le fait d’anticiper des rapports sexuels et celui de les lier à la fécondité. C’est la raison pour laquelle les médecins sont à ce point décontenancés devant cette clinique paradoxale et préfèrent imaginer et dire que la femme ment ou cache sa grossesse, ce qui aggrave son sentiment d’étrangeté et la confine dans un silence suspect pour les équipes médicales. Les femmes en déni ont besoin au contraire d’une compassion et d’une compréhension extrêmes. Le fait de leur tendre la main en leur disant qu’on a compris leur souffrance et la difficulté de ce qu’elles sont en train de vivre peut suffire à créer la confiance et l’apprivoisement qui seront nécessaires pour les prendre en charge, avec l’arrière-pensée de prévenir la récurrence de cette pathologie. Les femmes qui se retrouvent en cour d’assises comme si elles étaient des meurtrières en série sont doublement victimes : de leur pathologie, mais aussi de la méconnaissance de celle-ci par des professionnels qui ont été confrontés à des signaux d’alerte mais n’ont pas compris les enjeux de prévention qui s’offraient à eux. Au total, le déni de grossesse, pathologie fréquente et grave, commence à être pris en compte correctement, c’est-à-dire sans incrédulité de la part des équipes médicales qui prennent ces patientes en charge et avec un suivi psychologique en aval à la hauteur pour prévenir, autant que faire se peut, les séquelles relationnelles entre la mère et l’enfant. Il montre, d’une part, la puissance du psychisme qui peut influencer la silhouette au point de rendre invisible une grossesse à terme. Il nous montre également que la maternité aussi est une adoption et que, pour une mère qui n’adopte pas, il n’y a pas d’enfant. La grossesse psychique dans l’espèce humaine est aussi importante que la grossesse physique. Quand elle est seule présente, cela s’appelle une grossesse nerveuse, disparue depuis l’apparition de l’échographie. Quand elle est absente, cela s’appelle un déni de grossesse et il y a encore du chemin à faire, notamment en ce qui concerne la connaissance et la prévention de cette pathologie grave. n Mots-clés Déni de grossesse Psychose localisée à la sphère génitale Highlights »»The denial of pregnancy is frequent (1 case on 500 pregnancies) and serious (risk of neo-natal death). »»A psychological follow-up is essential »»There is an alteration of selfrepresentation Keywords Denial of pregnancy Psychose localised to the genital area Références bibliographiques 1. Marinopoulos S, Nisand I. Elles accouchent mais ne sont pas enceintes. Paris : LLL, 2011. La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 | 21