Cour de cassation de Belgique Arrêt
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Cour de cassation de Belgique Arrêt
15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N° C.10.0456.N AGC FLAT GLASS EUROPE s.a., Me Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation, contre 1. RÉGIE DES BATIMENTS, Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, 2. SOGIAF s.a., Me Pierre van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation, 3. GILLION CONSTRUCT s.a., Me Pierre van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation, 4. BOMBARDIER TRANSPORTATION BELGIUM s.a. Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/2 N° C.10.0464.N BOMBARDIER TRANSPORTATION BELGIUM s.a. Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, contre 1. RÉGIE DES BATIMENTS, Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, 2. SOGIAF s.a., Me Pierre van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation, 3. GILLION CONSTRUCT s.a., Me Pierre van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation, 4. AGC FLAT GLASS EUROPE s.a. I. La procédure devant la Cour Les pourvois en cassation sont dirigés contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2010 par la cour d'appel d'Anvers. Le 27 juin 2011, l'avocat général Guy Dubrulle a déposé des conclusions de greffe. Le conseiller Alain Smetryns a fait rapport et l'avocat général Guy Dubrulle a été entendu en ses conclusions. II. Le moyen de cassation Dans la cause C.10.0456.N (…) Dans la cause C.10.0464.N La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants : 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/3 Dispositions légales violées - article 149 de la Constitution; - articles 1134, 1135, 1137, 1142, 1147 à 1151 et 1641 à 1648 du Code civil. Décision et motifs critiqués La cour d'appel considère que les règles relatives à la garantie des vices cachés en cas de vente peuvent fonder la demande de dommages et intérêts dirigée par la Régie des Bâtiments contre la demanderesse et AGC Flat Glass Europe. L'arrêt considère à cet égard que: « 85 p.c. de la quantité totale livrée de panneaux de verre émaillé qui étaient entachés d'un vice ayant causé leur cassure ont été achetés par la troisième intimée, auprès de la quatrième intimée, qui les fabrique. La troisième intimée a, à son tour, intégré ces panneaux de verre défectueux dans les travaux qu'elle a effectués. Le droit à garantie dont dispose l'acquéreur initial à l'égard de son vendeur constitue un accessoire de la chose qui est vendu avec la chose aux acquéreurs successifs. La circonstance que la chose viciée est livrée par un entrepreneur à son maître de l’ouvrage dans le cadre d'un contrat d'entreprise ne dispense pas le vendeur initial de son obligation de garantie à l'égard de cet usager final. Le maître de l’ouvrage, tout comme le sous-acquéreur, dispose de tous les droits et actions liés à la chose qui appartenait à l'acquéreur initial (…). L'appelante a, dès lors, le droit d'attaquer les troisième et quatrième intimées en vertu des articles 1641 et suivants du Code civil dans la mesure où il est satisfait aux conditions que ces dispositions prévoient » (…). La cour d'appel décide ensuite que les conditions prescrites sont réunies : La cour constate que la cassure régulière et 'asymptomatique' des panneaux de verre est due à un vice intrinsèque – embronchements métalliques insuffisants - rendant les panneaux de verre impropres à l'usage, que ce vice 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/4 était propre à la fabrication, qu’il existait, dès lors, au moment de la vente et qu'il était impossible à découvrir (…). Selon la cour d'appel, il n'existe aucune preuve du caractère absolument indécelable du vice, compte tenu des connaissances disponibles à l'époque notamment dans les publications professionnelles et les méthodes de test tel que le test Heat Soak. La demanderesse et la troisième partie appelée en déclaration d'arrêt commun supportent, dès lors, la responsabilité des vices entachant les panneaux de verre en tant que, respectivement, vendeur professionnel et fabricant (…). La cour d'appel décide finalement que le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil a été respecté compte tenu du fait que l'expertise a pris du temps et qu'une transaction n'était pas exclue peu après celle-ci. « Il faut admettre que le bref délai a été prolongé pendant l'expertise et qu’une transaction ne pouvait être exclue ni pendant celle-ci ni pendant un certain temps après la fin de celle-ci. Dans ces circonstances, eu égard à l'expertise en cours impliquant toutes les parties, et aux discussions entre les parties, les citations au fond émises le 20 avril 1976 et respectivement les 17 et 18 août 1993, n'ont en aucune façon mis en péril l'instruction quant à l'origine des vices et à l'état du bien lors de la livraison, de sorte qu'il y a lieu d'admettre que les actions en garantie au fond ont été introduites en temps utile » (…) Griefs Première branche Violation des articles 1134, 1135, 1137, 1142, 1147 à 1151 et 1641 à 1648 du Code civil. 1. En l'espèce, la demanderesse a contesté que la défenderesse pouvait la citer directement sur la base des règles en matière de vices cachés applicables à la vente. Elle a précisé qu'un contrat d'entreprise a été conclu entre elle et les première et deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun et qu'elle n'avait pas la qualité de vendeur (…) 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/5 2. Selon la cour d'appel, le contrat l'entreprise conclu entre la défenderesse en tant que maître de l'ouvrage et les première et deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun en tant qu'entrepreneurs constitue une 'res inter alios acta' pour la demanderesse en tant que soustraitant et la demanderesse ne peut être citée par la défenderesse sur la base de la responsabilité décennale (…). La cour d'appel considère aussi que la demanderesse a acheté les panneaux de verre viciés auprès de la troisième partie appelée en déclaration d'arrêt commun, qui les a fabriqués, et que la demanderesse a inséré ceux-ci dans les travaux qu'elle a exécutés en sous-traitance (…). La cour d'appel considère néanmoins que la demanderesse peut être citée par la défenderesse en vertu des articles 1641 et suivants du Code civil dans la mesure où les conditions que ces dispositions prévoient sont réunies (…). La cour considère que ces conditions sont remplies : les panneaux de verre sont entachés d'un vice caché, la demanderesse n'établit pas que le vice était absolument indécelable et le bref délai a été respecté lors de l'introduction de la demande (…). 3. Il est admis que l'action en garantie du chef de vices cachés se transmet non seulement en cas de contrats de vente successifs mais aussi en cas de contrat d'entreprise. Le maître de l’ouvrage peut, dès lors, s'adresser au fournisseur de l'entrepreneur sur la base d'un droit qualitatif (‘accessorium sequitur principale – l'accessoire suit le principal). Cette possibilité de recours complémentaire n'existe toutefois que contre le vendeur de l'entrepreneur auquel la chose viciée est livrée. Seules la responsabilité décennale du chef de vices mettant en péril la solidité de l'immeuble en vertu des articles 1792 et 2270 du Code civil et la responsabilité de droit commun à raison des vices cachés véniels incombent à l'entrepreneur. Cette responsabilité de droit commun de l'entrepreneur doit être appréciée exclusivement sur la base des articles 1134, 1135, 1137, 1142 et 1147 à 1151 du Code civil, le juge du fond devant examiner si le manquement reproché repose sur une obligation de moyen ou de résultat. 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/6 En dehors de ces règles, il n'existe aucune garantie légale à raison des vices cachés. Les articles 1641 et suivants du Code civil ne s'appliquent pas à l'entrepreneur. 4. L'arrêt, qui constate que la demanderesse était le sous-traitant des première et deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun et qu'elle a inséré les panneaux de verre achetés dans les travaux qu'elle a effectués en tant que sous-traitant (…) ne décide pas légalement que les règles relatives à la garantie des vices cachés en cas de vente s'appliquent à l'égard de la demanderesse et que ces règles peuvent fonder l'action dirigée par la défenderesse contre la demanderesse. L'application des règles relatives à la garantie des vices cachés en cas de vente méconnaît, dès lors, la qualité de sous traitant de la demanderesse et les règles de responsabilité qui lui incombent, limitées à la responsabilité décennale à raison des vices mettant en péril la solidité du bâtiment (violation des articles 1792 et 2270 du Code civil) et à la responsabilité de droit commun à raison des vices cachés (violation des articles 1134, 1135, 1137, 1142, 1147 à 1151 du Code civil). C'est aussi illégalement que l'arrêt applique les articles 1641 et suivants du Code civil à la demanderesse (violation des articles 1641 à 1648 du Code civil), en particulier la présomption de connaissance des vices cachés qui s'applique uniquement au vendeur professionnel (violation des articles 1641, 1643, 1645 et 1646 du Code civil) et le bref délai dans lequel l'action résultant des vices cachés en cas de vente doit être intentée (violation de l'article 1648 du Code civil). (…) 15 SEPTEMBRE 2011 III. C.10.0456.N C.10.0464.N/7 La décision de la Cour (…) Sur le moyen : Quant à la première branche : 2. Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. Aux termes de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant de vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite. 3. Le droit à garantie de l'acquéreur initial à l'égard du vendeur constitue un accessoire de la chose qui est vendu avec la chose aux acheteurs successifs. La circonstance que la chose viciée est livrée par un entrepreneur à son maître de l’ouvrage ne dispense pas les vendeurs successifs de leur obligation de garantie à l'égard de l'usager final. Cela n'implique toutefois pas que les articles 1641 et suivants du Code civil s'appliquent au rapport entre le maître de l’ouvrage et l'entrepreneur ou encore entre le maître de l’ouvrage et un sous-traitant. 4. Les juges d'appel ont constaté que : - les première et deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun ont été chargées par le prédécesseur de la défenderesse, l'Etat belge, de construire un immeuble de bureaux à Anvers. - les première et deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun ont confié la livraison et l'installation des panneaux de verre en soustraitance à la demanderesse, qui a elle-même acheté les panneaux de verre à la troisième partie appelée en déclaration d'arrêt commun. 5. En décidant ensuite qu'en tant que maître de l’ouvrage la défenderesse pouvait citer la demanderesse, sous-traitant des première et 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/8 deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun, en vertu des articles 1641 et suivants du Code civil, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision. Le moyen, en cette branche, est fondé. (…) Par ces motifs, La Cour (…) dans la cause C.10.0464.N Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne la demanderesse solidairement avec la troisième partie appelée en déclaration d'arrêt commun et in solidum avec les première et deuxième parties appelées en déclaration d'arrêt commun à payer à la défenderesse la somme de 412.788,06 euros, majorée des frais de l'expertise judiciaire, des intérêts compensatoires et judiciaires et des dépens des deux instances ; Déclare l'arrêt commun aux parties appelées en déclaration d'arrêt commun ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ; Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ; Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Edward Forrier, le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Eric Stassijns, et Alain Smetryns, et prononcé en audience publique du quinze septembre deux mille onze par le président de section Edward Forrier, en présence de l’avocat général Guy Dubrulle, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche. 15 SEPTEMBRE 2011 C.10.0456.N C.10.0464.N/9 Traduction établie sous le contrôle du conseiller Martine Regout et transcrite avec l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart. Le greffier, Le conseiller,