les prêtres des campagnes de la france du xviie siècle : la

Transcription

les prêtres des campagnes de la france du xviie siècle : la
LES PRÊTRES DES CAMPAGNES DE LA FRANCE DU
XVIIE SIÈCLE : LA GRANDE MUTATION
Serge Brunet
2007/1 n° 234 | pages 49 à 82
ISSN 0012-4273
ISBN 9782130560531
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2007-1-page-49.htm
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Serge Brunet, « Les prêtres des campagnes de la France du XVIIe siècle : la grande mutation »,
Dix-septième siècle 2007/1 (n° 234), p. 49-82.
DOI 10.3917/dss.071.0049
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.
© Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière
que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en
France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Presses Universitaires de France | « Dix-septième siècle »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
« Seigneur, nous ne sommes aussi que de chétives
gens, de pauvres laboureurs et paysans ; et quelle
proportion y a-t-il de nous, misérables, à un emploi si
saint, si éminent et si céleste ! [...] Ce sont donc les
prêtres ; oui, nous sommes la cause de cette désolation qui ravage l’Église ».
Vincent de Paul1.
La France du XVIIe siècle reste profondément rurale ; on estime à plus de 85 % la
part de la population qui vit à la campagne. Plus encore qu’en ville, la paroisse en
constitue le cadre de vie, non seulement religieux et administratif mais tout simplement social. Même si les relations entre paroisses et communautés d’habitants
étaient fort variées dans la France d’Ancien Régime, la Réforme catholique en renforce l’unicité2. Le regroupement des paroisses auquel nous avons assisté très
récemment, constitue un bouleversement sans précédent d’un cadre qui avait traversé, non sans quelques aménagements, les siècles et les affres de la déchristianisation révolutionnaire pour survivre dans nos 36 565 communes3. Le clergé séculier a
1. « Entretien de septembre 1655 sur les prêtres », « La dépravation du clergé est cause de la ruine
de l’Église », « Les prêtres doivent se convertir », « Rôle de la Compagnie dans cette tâche » (Vincent de
Paul, Entretiens spirituels aux missionnaires, textes réunis et présentés par André Dodin (CM), Paris, Le
Seuil, 1959, p. 266).
2. Ne prenons que deux exemples fort différents : le Lyonnais et le Beauvaisis. Dans le diocèse de
Beauvais, la communauté d’habitants se confondait avec la paroisse (Anne Bonzon, L’Esprit de clocher.
Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais, 1535-1650, Paris, Le Cerf, 1999). En Lyonnais, c’était au sein
des confréries du Saint-Esprit que s’exprimait la communauté d’habitants. La réforme tridentine
pousse à l’intégration des fidèles au sein de la paroisse sous l’autorité accrue du curé, au profit de nouvelles confréries du Rosaire et du Saint-Sacrement (Jean-Pierre Gutton, « Confraternities, Curés and
Communities in Rural Areas of the Diocese of Lyons under the Ancien Régime », Kapar von Greyerz
(éd.), Religion and Society in Early Modern Europe, 1500-1800, The German Historical Institute, London,
George Allen & Unwin, 1984, p. 202-211 ; La sociabilité villageoise dans l’ancienne France. Solidarités et voisinages du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1979 ; rééd. 1998).
3. Antoine Follain, « Les communautés rurales en France (XVe-XIXe siècle) », Histoire et sociétés rurales,
no 12, 1999, p. 29-31.
XVII e siècle, no 234, 59e année, no 1-2007
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes
de la France du XVIIe siècle :
la grande mutation
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
vocation à encadrer des laïcs et il a bien fallu une pénurie de prêtres pour se résoudre à
ce chamboulement administratif, à séparer définitivement les cadres paroissiaux et
communaux, non sans traumatismes, dans une France à la physionomie confessionnelle et simplement croyante pourtant bien éloignée de celle du XVIIe siècle.
C’est alors le souci d’encadrement pastoral contemporain qui a entraîné les historiens à réaliser les premières études quantitatives et sérielles sur le clergé à l’Époque
moderne4. Celles-ci participaient d’une volonté de dater et de mesurer un mouvement de « déchristianisation » et elles se sont naturellement d’abord portées sur la
période prérévolutionnaire et le XVIIIe siècle. Elles ont utilisé pour cela les registres
d’ordinations et les insinuations ecclésiastiques conservés dans les archives des diocèses. La cartographie historique qui commençait à se dessiner laissait entrevoir de
forts contrastes dans les zones de vocations, avec des polarités positives qui engendraient des migrations cléricales vers d’autres régions, négatives. Certains de ces flux
semblaient anciens, mais le défaut de conservation des précieux registres pour les
siècles antérieurs, et cela dès le XVIIe siècle, rendait impossible toute synthèse.
Dans la lignée de Latran IV (1215), contre le « sacerdoce universel » des protestants, les Pères du concile de Trente (1545-1563), s’étaient attachés à valoriser le
prêtre, ses fonctions d’enseignement et d’encadrement. Il était rappelé que la cura
animarum était le fondement de l’Église catholique romaine. Il fallait donc s’assurer
de la bonne formation du prêtre curé et de la régularité de ses mœurs. Des conciles
provinciaux sont réunis par les archevêques de Bordeaux (1582), d’Aix (1585) ou de
Toulouse (1590), empreints du modèle borroméen, et des évêques, comme celui
d’Agen, reprennent les visites pastorales (1592), mais ces prélats réformateurs restent encore totalement captés par leur engagement politico-religieux de la fin de la
Ligue5. Il faut donc attendre l’issue des guerres de Religion et la réception des
canons du concile par la monarchie gallicane (1615), pour que l’épiscopat français,
désormais résident, constitue un puissant relais pour la Réforme catholique dans les
campagnes6.
Lorsque enfin les prêtres ruraux réapparaissent sous la plume de l’autorité diocésaine, ou celle des missionnaires, il s’agit d’une cléricature plurielle, inlassablement
qualifiée de « déficiente ». Le curé de paroisse, dont l’absentéisme est désormais jugé
intolérable, accompagné de son vicaire qui n’est plus son substitut mais son aide, est
l’objet de toutes les sollicitudes. Ce sont eux qui sont connus à travers les sources
diocésaines. L’historien est alors souvent surpris de constater, par des voies détourées, que de nombreux autres prêtres vivent également dans les paroisses, alors que
les comptes rendus de visites pastorales ne les mentionnent souvent pas. Le plus
souvent originaires de la paroisse dans laquelle ils officient, ils sont appelés natifs,
filleuls, communalistes, portionnaires, mépartistes, purgatoriers ou simplement obituaires. Qu’en est-il alors d’autres clercs ruraux : simples tonsurés, acolytes, sousdiacres ou diacres, dont la progression vers le sacerdoce se trouve de plus en plus
4. Fernand Boulard, Essor ou déclin du clergé français ?, Paris, Le Cerf, 1950.
5. Serge Brunet, « De l’Espagnol dedans le ventre ! », Les catholiques du sud-ouest de la France face à la
Réforme (vers 1540-1589), Paris, Champion, 2007.
6. Joseph Bergin, The Making of the French Episcopate, 1589-1661, Yale University Press, 1996 ; Crown,
Church and Episcopate under Louis XIV, Yale University Press, 2004.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
50
XVIIe
siècle
51
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
souvent interrompue par les nouvelles exigences épiscopales ? À défaut de conservation d’archives comptables et/ou obituaires, lorsqu’ils forment des communautés
sacerdotales, ce n’est guère qu’à travers des sources judiciaires ou simplement notariales qu’on les rencontre, lesquelles trahissent leurs diverses activités profanes et,
partant, leur immersion dans la société environnante.
Il y a bien alors des clergés séculiers que la Réforme catholique tend à fondre dans
un corps homogène, plus restreint. Les prêtres des campagnes vont devoir changer
leur comportement, mais leur nombre va aussi diminuer. Entre le début du XVIe siècle
et la fin du XVIIe siècle, l’effectif du clergé séculier limousin chute de 80 %7 ! C’est cela
la « grande mutation » du clergé rural, au sortir de la première modernité.
Malgré un vif débat sur la notion générale d’acculturation, ce changement n’a
pas été réellement mesuré. Il n’a pas été aussi doux qu’on le croit habituellement,
non pas seulement en raison du rigorisme de certains prélats, mais aussi des réels
traumatismes que le changement du statut du prêtre rural a entraîné dans la société
environnante8. En effet, se moulant dans la structure hiérarchique de l’Église
catholique romaine, l’historiographie a surtout retenu une réforme par le haut (in
capito et in membris) et privilégié des sources normatives, voire la censure ecclésiastique9. Depuis quelques années, c’est une appréciation depuis le bas qui est privilégiée. Celle-ci cherche à comprendre la place du clerc dans la société environnante
7. En 1520, dans les 300 paroisses du département actuel de la Creuse, un État du clergé ne recense
pas moins de 3 000 prêtres, essentiellement regroupés en communautés de « prêtres filleuls » (Louis
Pérouas, Les Limousins. Leurs saints, leurs prêtres, du XVe au XXe siècle, Paris, Le Cerf, 1988, p. 68). Pour
l’Auvergne : Stéphane Gomis, Les « enfants prêtres » des paroisses d’Auvergne, XVIe-XVIIIe siècle, ClermontFerrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2006.
8. Les théories rigoristes du XVIIe siècle, notamment sur la nécessité de contrition pour obtenir la
confession, échouèrent largement auprès des masses rurales, d’abord par le refus des curés de s’engager
dans un conflit ouvert avec leurs paroissiens (Robin Briggs, « The Catholic Puritans. Jansenists and
Rigorists in France », Donald Pennington and Keith Thomas (eds), Puritans and Revolutionaries. Essays in
Seventeenth-Century History presented to Christopher Hill, Oxford, 1978 ; Communities of Belief. Cultural and
Social Tensions in Early Modern France, Oxford, Clarendon Press, 1989 ; Jean-Louis Quantin, Le rigorisme
chrétien, Paris, 2001 ; « Le rigorisme : sur le basculement de la théologie morale catholique au
XVIIe siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, t. LXXXIX, 2003, p. 23-43).
9. Pierre Goubert écrivait : « À partir du milieu du XVIIe siècle, trois faits nouveaux ont profondément transformé les curés de campagne [...] : les séminaires, le jansénisme, le richérisme » (Ernest
Labrousse et al., Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, 1970, t. 2, p. 596). Les registres des
officialités diocésaine et métropolitaine font souvent défaut, comme pour les provinces ecclésiastiques
d’Auch ou de Bordeaux. Mais, durant la première moitié du XVIIe siècle, bon nombre (la plupart ?)
d’affaires disciplinaires étaient directement réglées par les évêques comme celui de Cahors, Alain de
Solminihac, qui n’hésitait pas lors de ses visites pastorales à suspendre ipso facto des prêtes scandaleux et
à les faire emprisonner sans aucune information (Eugène Sol, Le vénérable Alain de Solminihac, abbé de
Chancelade et évêque de Cahors, Cahors, Delsaud, 1928, p. 157-158). Le parlement de Toulouse jugea qu’il
n’y avait pas là d’abus (Jean Albert, Recueil du parlement de Toulouse, Toulouse, Camusat, 1686, p. 263). Sur
la prison ecclésiastique, qui se transforme ensuite en séjours punitifs au séminaire, comme en Comminges : Jean-Pierre Gutton, « À propos de la prison ecclésiastique sous l’Ancien Régime », Foi, amitié
en Europe à la période moderne. Mélanges offerts à Robert Sauzet, Tours, Publication de l’Université de Tours,
1995, t. 1, p. 201-209). Pour une approche générale : Pierre de Vaissière, Curés de campagne de l’ancienne
France, Paris, 1932, actualisée, entre villes et campagnes, par Nicole Lemaitre (dir.), Histoire des curés,
Paris, Fayard, 2002.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
52
Serge Brunet
et d’abord dans sa famille, et ainsi à saisir les mutations de son statut avec la
réforme du clergé. Ce sont ces nouvelles orientations que nous nous proposons de
présenter ici.
D’OÙ VENAIENT LES PRÊTRES DES CAMPAGNES ?
POSITION DU PROBLÈME : D’UNE ESTIMATION QUANTITATIVE
« Comment se soutiendraient donc des intrus que le caprice, que l’orgueil, que la
paresse, que l’ambition, que la cupidité auraient fait Prêtres ; des hommes qui seraient
entrés dans l’état ecclésiastique par ces raisons seules, ou parce qu’ils ne sont pas nés
les aînés de leurs familles, ou qui n’ont pas montré assez de talents pour le monde, ou
parce que des parents, pour se débarrasser d’eux, les ont donné à Dieu »10 ?
Jean-François de Montillet, archevêque d’Auch.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Plutôt que de parler de « vocations » sacerdotales, nous choisissons les termes,
plus neutres, de « recrutement », voire de « production » de prêtres.
Partant de la phase de « déchristianisation » révolutionnaire, les historiens modernistes se sont interrogés sur l’ample mouvement qui l’aurait précédé, sinon déjà de
laïcisation, du moins de désacralisation de la société. Le XVIIIe siècle, période préstatistique, offrait suffisamment d’éléments pour tenter une approche sérielle du
recrutement clérical, sur l’ensemble du territoire français11. C’est Charles Berthelot
du Chesnay qui a signalé l’intérêt des registres d’insinuations ecclésiastiques pour la
connaissance du clergé diocésain français12. L’enquête a révélé ensuite d’autres types
de documents qui se prêtaient aux études statistiques13. Alors que se développait
10. Instruction pastorale de Monseigneur l’archevêque d’Auch, sur l’état sacerdotal, Toulouse, Robert, 1770,
1re partie, chap. 1 : « De la vocation à l’état ecclésiastique », p. 20.
11. M.-L. Fracard, La fin de l’Ancien Régime à Niort, Paris, 1956 (édition partielle de sa thèse, intitulée : La vie religieuse à Niort à la fin de l’Ancien Régime, 1954) ; J. McManners, French Ecclesiastical Society in
Angers under the Ancien Regime, 1962 ; Dominique Julia, « Le clergé paroissial dans le diocèse de Reims à
la fin du XVIIIe s. », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1966, t. XIV, p. 195-216 ; Dominique Julia et
Denis McKee, « Le clergé paroissial dans le diocèse de Reims sous l’épiscopat de Charles-Maurice Le
Tellier. Origine, carrière, mentalités », Le curé Meslier et la vie intellectuelle, religieuse et sociale à la fin du XVIIe et
au début du XVIIIe siècle, Actes du colloque international de Reims, 17-19 octobre 1974, Bibliothèque de
l’Université de Reims, 1980, dactyl. Depuis ces travaux pionniers, les recherches sur le recrutement clérical se sont poursuivies essentiellement sur le XVIIIe siècle : Charles Berthelot du Chesnay, Les prêtres
séculiers en Haute-Bretagne au XVIIIe s., Rennes, PUR 2, 1974 ; Anne-Marie Kaminski-Parisot de Bernecourt, Les curés de campagne en Franche-Comté au XVIIIe siècle, thèse de l’École des chartes, 1975 ; Guy
Mandon, La société périgorde au siècle des Lumières, t. 1 : Le clergé paroissial, Périgueux, Éditions Médiapress,
1982 ; Gilles Deregnaucourt, De Fénelon à la Révolution. Le clergé paroissial de l’archevêché de Cambrai, Lille,
PUL, 1991 ; Fabrice Vigier, Les curés du Poitou au siècle des Lumières, La Crèche, Geste Éditions, 1999 ; Éric
Wenzel, Curés des Lumières : Dijon et son diocèse, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2006.
12. Charles Berthelot du Chesnay, « Le clergé diocésain français et les registres d’insinuations
ecclésiastiques », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1963, t. XI, p. 241-269.
13. M.-L. Fracard, « Le recrutement du clergé séculier dans la région niortaise au XVIIIe siècle », Revue
d’Histoire de l’Église de France, 1971, t. LVII (159), p. 241-265 ; Philippe Loupès, « Le clergé paroissial du
diocèse de Bordeaux d’après la grande enquête de 1772 », Annales du Midi, t. LXXXIII, 1971, p. 5-24.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
À UNE APPROCHE HOLISTIQUE
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
53
l’étude quantitative de la source testamentaire, celle des listes d’ordinands venait
enrichir le tableau religieux de la France des Lumières14. Jean Quéniart a pu ainsi
dresser une première synthèse, sur le clergé diocésain français à la fin de l’Ancien
Régime15. Au même moment, Timothy Tackett livrait un essai de cartographie,
pénétrant, du recrutement clérical16.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Grâce à une courbe cumulée pour 14 diocèses, entre 1730 et 1789, Timothy
Tackett a dégagé un trend qui situe l’apogée du recrutement sacerdotal au milieu du
XVIIIe siècle. Celui-ci est suivi d’un net déclin dans les années 1760, avec un nadir
vers 1770, une brève reprise entre 1775 et 1784, et, enfin, une nouvelle chute à la
veille de Révolution. Entre le milieu du XVIIIe siècle et la fin de l’Ancien Régime, la
chute globale avoisine les 20 %. Le bas clergé rural est alors principalement issu de la
petite bourgeoisie urbaine et la baisse des vocations accompagne aussi une réduction des flux migratoires cléricaux, qui renforce le caractère autochtone des prêtres.
Cette descente devient effondrement avec les troubles révolutionnaires. Cependant,
certaines zones que Timothy Tackett qualifie de « réservoirs » de prêtres, voient les
courbes d’ordinations continuer à croître dans la seconde moitié du XVIIIe siècle,
poursuivant ainsi un recrutement dans des milieux très majoritairement ruraux et
paysans (ce sont les diocèses des Pyrénées, des Alpes, du Massif central et du nordouest de la côte atlantique)17.
Comment expliquer une telle diversité, tant géographique que sociale, du recrutement ecclésiastique français à la fin de l’Ancien Régime ? La moyenne nationale se
14. Timothy Tackett, Priest and Parish in Eighteenth-Century France. A Social and Political Study of the
Curés in a Diocese of Dauphiné, 1750-1791, Princeton, Princeton University Press, 1977 ; La Révolution,
l’Église, la France, Paris, Le Cerf, 1986 ; A. Playoust-Chaussis, La vie religieuse dans le diocèse de Boulogne au
XVIIIe s. (1725-1790), Arras, 1976 ; Dominique Dinet, « Les ordinations sacerdotales dans les diocèses
d’Auxerre, Langres et Dijon (XVIIe-XVIIIe s.) », Revue d’Histoire de l’Église de France, 1980, t. LXVI, p. 211241 ; Michel Vovelle, La Révolution contre l’Église. De la raison à l’Être suprême, Bruxelles, Complexe, 1988 ;
Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne, XVIIe-XVIIIe s., Paris, Fayard,
2002.
15. Jean Quéniart, Les hommes, l’Église et Dieu dans la France du XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1978,
p. 297-306.
16. Timothy Tackett, « L’histoire sociale du clergé diocésain dans la France du XVIIIe s. », Revue
d’Histoire moderne et contemporaine, t. XXVII, 1979, p. 198-234.
17. Au XIXe siècle, ce sera à nouveau un prêtre d’abord d’origine rurale qui dominera le regain des
vocations, avec de nouvelles terres fertiles et débordantes, comme la Bretagne, alors que les autres
régions pourvoyeuses de prêtres sous l’Ancien Régime, poursuivent leur production. Les Limousins se
détachent par contre d’une pratique religieuse, et tournent le dos, voire deviennent hostiles, au
personnel clérical (Louis Pérouas, « Le nombre des vocations sacerdotales est-il un critère valable en
sociologie religieuse historique aux XVIIe et XVIIIe s. ? », Actes du 87e congrès national des sociétés savantes, Poitiers, 1962, Paris, 1963, p. 35-40 ; « L’évolution du clergé dans les pays creusois depuis 450 ans », Revue
d’Histoire de l’Église de France, 1978, t. LXIV (172), p. 5-26 ; « Clergé et peuple creusois du XVe au XXe s.
De l’osmose à l’agressivité », Jean Delumeau (éd.), Histoire vécue du peuple chrétien, Toulouse, t. 2, p. 127155 ; Refus d’une religion, religion d’un refus en Limousin rural, 1880-1940, Paris, 1985).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Des prêtres autochtones mais aussi migrants
54
Serge Brunet
Des ruraux lettrés
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Un premier argument pour expliquer cette disparité pourrait être de nature économique. Il semblerait que les régions de départ soient situées en dehors des grandes zones d’openfield du royaume. L’activité pastorale représentait toujours un élément important dans ces régions pauvres, dont la croissance démographique rapide
provoquait un excédent de population et une émigration. Ainsi, l’exode des prêtres
constituerait seulement un des aspects de migrations continues de populations,
tout particulièrement pour les montagnes18. Mais, si ces caractéristiques permettent
parfois de comprendre les raisons du départ, elles ne sont pas suffisantes pour
expliquer la nature du flux migratoire. En effet, toutes les régions montagnardes
qui sont dans la situation décrite ne participaient pas à ces flux cléricaux. Leur émigration se limitait souvent à la recherche d’emplois saisonniers ou définitifs pour
des laïcs uniquement. D’autres éléments d’explication doivent donc compléter cet
argumentaire.
On a présenté le critère du taux d’alphabétisation, mais celui-ci ne s’avère pas
non plus déterminant. En effet, le Rouergue, le Quercy, comme aussi le Comminges, qui alimentaient des flux cléricaux importants, révélaient des populations largement analphabètes19. À l’inverse, des zones aux populations particulièrement alphabétisées ne fournissaient pas de forts contingents de prêtres, comme par exemple le
Briançonnais20. L’approche sérielle et statistique montre ici ses limites. Il faut croiser
alphabétisation et systèmes familiaux et successoraux. Ainsi, dans les Pyrénées centrales, c’est au même titre qu’un autre métier que les études constituent un apprentis-
18. Abel Poitrineau, Remues d’hommes. Les migrations montagnardes en France, XVIIe-XVIIIe s., Paris,
Aubier, 1983.
19. Pour le Rouergue et le Quercy, il faut atténuer les données reçues de l’enquête lancée par le recteur Maggiolo par les résultats obtenus par Guy Astoul à partir des signatures sur les actes notariés
(Guy Astoul, Les chemins du savoir en Quercy et Rouergue à l’époque moderne. Alphabétisation et apprentissages culturels, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1999).
20. Anne-Marie Granet-Abisset, La route réinventée. Les migrations des Queyrasiens aux XIXe et XXe siècles,
Grenoble, PUG, 1994 ; « Entre autodidaxie et scolarisation. Les Alpes briançonnaises », Histoire de
l’éducation, 1996, p. 11-141 ; « Religions et alphabétisation : la modernité des isolats montagnards ?
L’exemple du Briançonnais aux XVIIIe et XIXe siècles », Serge Brunet et Nicole Lemaitre (éd.), Clergés,
communautés et familles des montagnes d’Europe, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 343-354.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
situe à une production de 1 à 2 prêtres pour 1 000 habitants tous les vingt-cinq ans,
mais des déserts apparaissent dans le recrutement (Bassin parisien, Loire moyenne,
Bordelais rural). Ils s’opposent à des terres fertiles (Basse-Normandie, Rouergue,
Quercy, Comminges, Embrunais, Jura). Ces dernières atteignant 4 à 5 prêtres pour
1 000 habitants. Les flux cléricaux relient alors traditionnellement ces diverses
régions, conduisant les prêtres des Ardennes vers la plaine de Champagne, ceux de
Normandie vers l’Île-de-France, l’Orléanais et le Poitou, ceux du Haut-Dauphiné,
de l’Auvergne et du Vivarais vers le Bas-Languedoc et la Basse-Provence. Ceux du
Comminges, du Rouergue et du Quercy descendent dans la plaine de la Garonne.
XVIIe
siècle
55
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
sage, et donc un investissement pour des familles qui choisissent de le concentrer sur
des enfants cadets, exclus de l’héritage, au détriment de l’aîné, héritier de la maison21.
Des zones de faible alphabétisation peuvent ainsi se révéler des régions de forte production de clercs.
Ce type de logique familiale engage à réfléchir plus largement à la « gestion » des
bénéfices ecclésiastiques, tant décriée par les réformateurs. L’avènement du système
bénéficial, qui était au cœur du dispositif de la réforme grégorienne et tendait à dégager les clercs du contrôle des laïcs, avait abouti à lui substituer d’autres formes
d’influences, plus subtiles. Malgré l’ample mouvement de « restitution » des dîmes,
nombre de patrons et de collateurs de bénéfices curiaux, et a fortiori simples, demeuraient des laïcs, individuels ou collectifs, comme l’étaient parfois les marguilliers ou
même des communautés d’habitants dans leur ensemble, dans certaines vallées des
Pyrénées, des Alpes, ou encore dans le Mezzogiorno22. Là, les chiese ricettizie nous
livrent d’autres modalités de contrôle des biens et revenus d’Église par les familles23.
Si elles ne représentent qu’un peu moins du tiers des paroisses, elles rassemblent
55 % des revenus dans la première moitié du XIXe siècle, et sans doute 70 à 75 % au
siècle précédent.
Manœuvres lignagères : resignatio in favorem et permutation des bénéfices
Lorsqu’il s’agissait de patronage ecclésiastique et non plus laïc, le choix de
l’ordinaire ou de quelque institution religieuse pouvait encore être contourné. La
21. Anne Zink, L’héritier de la maison. Géographie coutumière du sud-ouest de la France sous l’Ancien Régime,
Paris, Éd. de l’EHESS, 1993 ; Serge Brunet, Les prêtres des montagnes. La vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous l’Ancien Régime (Val d’Aran et diocèse de Comminges), Aspet, Éd. PyréGraph, 2001.
22. C’est par exemple le cas dans les Pyrénées pour les vallées de Boí et d’Áneu (diocèse d’Urgell),
d’Aran (diocèse de Comminges) (Enric Moliné, « Organitzacions eclesiastiques autónomes al Pirineu
durant l’antic régim : les valls d’Áneu, de Boí i d’Aran », Urgellia, 1982, no 5, p. 331-452), dans les Alpes
suisses pour Uri (Anselm Zurfluh, Un monde contre le changement, une culture au cœur des Alpes : Uri en Suisse,
XVIIe-XXe siècle, Paris, Economica, 1993, p. 222) et dans l’Italie du Mezzogiorno (Antonio Lerra, Chiesa e
società nel Mezzogiorno. Dalla « ricettizia » del sec. XVI alla liquidazione dell’Asse ecclesiastico in Basilicata, Éd.
Osanna Venosa, « Collana di studi e fonti per la storia del Mezzogiorno », 3, 1996). La détention du
droit de patronage des cures par les communautés rurales est bien présente dans les régions alpines, du
Tyrol aux cantons suisses et de l’Autriche au sud de l’Allemagne, comme encore du Trentin à la
Vénétie. Elle caractérise d’abord des terres marginales, de montagne ou périphériques, où les revenus
ecclésiastiques, faibles, n’attirent pas la convoitise. Elle se développe à l’époque moderne. Sur cette
question peu étudiée, voir Cecilia Nubola, « Giuspatronati popolari e comunità rurali (secc. XV-XVIII) »,
Acta Histriae, Koper, 7, 1999, p. 391-412.
23. Les églises « ricettizie » étaient des églises particulières de patronage laïc, dotées de biens communs de nature et d’origines variées. L’admission active ou passive à la direction, au service, à la participation, était réservée aux prêtres du lieu ou originaires d’une terre ou d’un lieu déterminé, ou bien descendants d’un groupe particulier ou enfin membres de certaines familles, sans ingérence de la cour de
Rome ou de l’ordinaire. Chaque prêtre disposait de « participations » qui n’étaient pas des prébendes
(Enrica Robertazzi Delle Donne, « Le chiese ricettizie nella politica anticurialista : aspetti giuridici e
socioeconomici », Ricerche di storia sociale e religiosa, A. 17 (34), 1988, nuova serie, 75-99 ; Antonio Lerra,
Chiesa e società nel Mezzogiorno. Dalla « ricettizia » del sec. XVI alla liquidazione dell’Asse ecclesiastico in Basilicata,
Éd. Osanna Venosa, « Collana di studi e fonti per la storia del Mezzogiorno », 3, 1996).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
56
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
pratique de la resignatio in favorem, comme la permutation des bénéfices, permettaient
à des familles de transmettre un bénéfice d’oncle à neveu sur plusieurs générations.
Le titulaire d’un bénéfice s’en démettait en faveur d’un tiers, souvent parent. Elle
privait donc le patron du bénéfice de son droit de nomination. Effectuée devant
notaire, cette résignation obligeait le bénéficiaire à verser une pension à l’ancien titulaire, qui correspond communément au tiers des revenus du bénéfice24. Cette procédure consolidait des dynasties cléricales, au grand dam de l’évêque ou du collateur
du bénéfice. Connue pour les bénéfices majeurs, ce n’est guère qu’à partir des actes
de la pratique que ces stratégies – pourtant fort répandues – sont repérables pour les
bénéfices mineurs. Jean Quéniart estime qu’en Bretagne la résignation restreint
de 20 à 30 % le pourcentage des vacances effectivement concernées25 ! Il faut également réduire l’impact réel de la règle tridentine de la collation par concours, voire de
l’expectative des gradués, qui étaient censées garantir un niveau de formation des
clercs26.
Nous devons donc rechercher des corrélations entre les vocations sacerdotales et
les modes d’organisation de la famille et des communautés d’habitants, avec les coutumes et les usages liés à l’exploitation du sol et à la transmission des patrimoines.
Ces situations locales contribuent à l’explication des disparités que l’on observe à la
fin de l’Ancien Régime. Une approche dynamique permet d’entrevoir dans certaines
régions des résistances et des adaptations aux changements initiés par la Réforme
catholique du XVIIe siècle. L’étude du titre clérical, qui est désormais exigé par
l’évêque afin d’accéder au séminaire, coûteux pour les familles, peut s’avérer
éclairante.
Atténuer l’exigence d’un titre clérical
« Au commencement de l’Église, tous ceux qui voulaient être prêtres quittaient
leurs biens [...] il y en avait fort peu ; on n’en faisait que ceux qui étaient nécessaires,
autant qu’il y avait de bénéfices ; [...] mais enfin l’on a jugé à propos, et il a été expédient, même nécessaire, qu’il y eût davantage de prêtres. C’est pourquoi, bien qu’on
n’eût pas de bénéfice, on a reçu aux ordres avec un titre patrimonial, et ainsi accru le
nombre des prêtres. Or, ce titre est différent selon les lieux, ou du moins nos seigneurs les évêques ont demandé plus en un endroit qu’en un autre ; à Paris, il faut
24. Plusieurs arrêts avaient inutilement tenté de réduire l’usage de cette pension. En juin 1671,
Louis XIV rend un édit stipulant que la résignation ne peut avoir lieu que dans le cas de maladie ou
d’infirmité reconnue du résignataire, avec réserve de pension qu’après avoir desservi durant quinze
années entières et la pension ne doit pas excéder le tiers du revenu.
25. Jean Quéniart, « La culture des prêtres de campagne bretons au XVIIIe siècle », Marc Venard et
Dominique Julia (éd.), Sacralités, culture et dévotion. Bouquet offert à Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Marseille,
La Thune, 2005, p. 236.
26. L’expectative des gradués, qui donnait une priorité aux gradués de l’université pour l’obtention
d’un bénéfice vacant, était limité aux bénéfices de patronage ecclésiastique à l’exclusion du patronage
laïc (Traité du droit de patronage (...), op. cit., p. 56). Voir également l’ouvrage pratique, mais parfois trop
simplificateur (comme sur ce dernier point) de Rosie Simon-Sandras, Les curés à la fin de l’Ancien Régime,
Paris, PUF, 1988.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Serge Brunet
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
57
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Pour conférer à un clerc l’ordre du sous-diaconat, une rente viagère est exigée par
l’évêque. Celle-ci permet d’exclure des aspirants à la prêtrise issus des familles paysannes les plus modestes, qui seraient contraints de mendier leur pain, déshonorant
ainsi le sacerdoce. Le titre est dit « bénéficial » lorsqu’il est établi sur un bien ecclésiastique, et « patrimonial » quand il est assis sur un bien de famille, par un acte notarié. Quand des séminaires sont fondés, seule voie désormais d’accès aux ordres et au
sacerdoce, l’évêque le réclame dès que l’ordinand se présente, afin qu’il puisse subvenir à ses frais de formation.
Les exigences épiscopales varient donc à son sujet, entraînant de fortes disparités
sur sa valeur, de un à trois, voire quatre. La situation diffère également selon que
l’on se trouve dans un pays de coutume d’égalité stricte, dans une coutume d’option
ou bien dans un pays de droit écrit. Dans le diocèse de Mende, région de droit
romain où les cadets n’héritent pas, le titre patrimonial repose principalement sur la
terre et souvent les mêmes titres servaient à plusieurs clercs de la même « maison »28.
Dans le diocèse de Comminges, lorsque le séminaire fonctionne, seulement à partir
de 1714, les aspirants au sacerdoce du Val d’Aran parviennent à détourner la réglementation en se faisant attribuer des titres cléricaux par les communautés d’habitants, qui conservaient les patronages actif et passif29. Sur le versant français du
diocèse de Comminges, les Larboustois trouvent d’autres parades. Afin de concilier
la nécessité d’un titre clérical assis sur des biens fonds patrimoniaux et la coutume
successorale qui interdit de distraire une partie des biens fonciers de la maison pour
un cadet, ils créent des « fils de messe ». Cette expression désigne un clerc parrainé et
cautionné tout au long de ses études et jusqu’à l’obtention d’un bénéfice par un
membre de sa famille qui n’est pas obligatoirement l’héritier de la maison30. Les
27. Conférence du 6 août 1655 sur la pauvreté (Vincent de Paul, op. cit., p. 182).
28. Patrick Cabanel, Cadets de Dieu. Vocations et migrations religieuses en Gévaudan (XVIIIe-XIXe siècles),
Paris, CNRS Éditions, 1997.
29. « Instruits [...] du grand nombre des prêtres qui étoient dans les paroisses de la vallée d’Aran,
lesquels n’ayant pas de quoi subsister du produit des dixmes, et prémices et fondations s’employent à
des œuvres serviles qui deshonoroient leur caractère, nous nous serions déterminé de ne plus recevoir
pour titres cléricaux ceux qui seroient faits par les communautés qui n’en auroient jamais refusé à personne : en conséquence nous aurions exigé que tous les ecclésiastiques de la vallée d’Aran qui se présenteroient pour obtenir de nous d’être promus aux Ordres sacrés, seroient tenus préalablement de
nous remettre un titre clérical sur des biens fonds, qui pussent au moins produire une somme annuelle
de cent livres de rente, monoye de France » (Mandement de Monseigneur l’évêque de Comminges
[Gabriel-Olivier de Lubière du Bouchet] pour les habitans de la vallée d’Aran, Alan, 24 août 1731
(Archives de l’évêché d’Urgell, « Val d’Aran » et Revue de Comminges, t. XXXVII, 1023, p. 134-152). « Le
patronage passif est celui qui oblige de présenter une personne de telle famille ; le patronage actif, lorsqu’il n’y a qu’une personne de telle famille, ou d’une telle qualité qui puisse présenter » (Traité du droit de
patronage par M., chanoine de l’église d’Orléans, Paris, Nyon, 1789, p. 17).
30. Cette démarche retrouve celle des familles du Beauvaisis. Là, plusieurs titres patrimoniaux font
intervenir des parents déjà curés, auquel l’étudiant pourra succéder. Le séminaire ouvre dès 1647 (Anne
Bonzon, op. cit., p. 110-111).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
50 écus, ailleurs 100 et en d’autres lieux 80 suffisent ; Il y en a qui se contentent de
50 livres, plus ou moins ».
Vincent de Paul27.
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Savoyards parvenaient également à détourner l’obstacle du titre clérical par un contrat de pure forme qui permettait, là encore, de conserver un recrutement populaire.
La moitié du clergé ordonné à la fin du règne de Victor-Amédée III (1680-1730)
demeure ainsi de souche paysanne31.
Ces pratiques tendent à maintenir un débouché clérical pour des familles relativement modestes issues de la terre, mais les exigences croissantes en matière de formation et donc d’investissement financier engagent inexorablement à les exclure au
profit des bourgeoisies urbaines. Les derniers exemples choisis sont pris dans des
sociétés de montagnes, vraisemblablement plus résistantes au changement et pour
cela plus inventives. Leur mode d’appropriation des espaces, partagé entre propriété
familiale et propriété (ou usages) collective, les incitait à de tels aménagements.
Mais la Bretagne occidentale va également à contre-courant de l’évolution générale. Le caractère rural et autochtone de ses prêtres tend à se renforcer à la fin de
l’Ancien Régime et à devenir exclusif en Haute-Cornouaille. Ainsi, grâce à l’étude
des inventaires après décès, Jean Quéniart nous décrit des prêtres bien éloignés du
modèle tridentin, qui demeurent totalement insérés dans « un environnement géographique, social, voire parental particuliers »32. Cette ruralité maintenue ne peut que
contribuer à la naissance d’une nouvelle terre de prêtres, excédentaires, que l’on
retrouvera dans les cinq parties du monde33 ?
Pour bien saisir ces traditions familiales et culturelles locales, il est donc nécessaire d’envisager différemment le fait religieux. L’apport de l’anthropologie religieuse a été déterminant. Les études pionnières de Gabriel Le Bras, d’Alphonse
Dupront, et, sur d’autres rivages, de Nathan Wachtel, ont permis de penser autrement le fait religieux34. Mais le cadre diocésain, longtemps imposé à l’étude du
clergé, malgré l’effort de comparatisme, n’était pas toujours compétent pour saisir
ces spécificités. Les travaux de William Christian, sur la Castille, ou bien ceux de
Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, sur la Provence, comme le jeu de l’histoire
régressive, prônée par Marc Bloch, et illustrée notamment par Nathan Wachtel,
démontrent à quel point l’étude du fait religieux, en quelque sorte décentrée, devient
31. Jean Nicolas, La Savoie au XVIIIe siècle. Noblesse et bourgeoisie, t. 1 : Situations au temps de VictorAmédée II, Paris, Maloine, 1978, p. 262.
32. Jean Quéniart, « La culture des prêtres de campagne bretons au XVIIIe siècle », Marc Venard et
Dominique Julia (éd.), Sacralités, culture et dévotion. Bouquet offert à Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Marseille,
La Thune, 2005, p. 256-266. Pour le diocèse de Tréguier, voir Georges Minois, La Bretagne des prêtres en
Trégor d’Ancien Régime, Rennes, Beltan, 1987.
33. La Bretagne ne constitue pas un réservoir de prêtres au XVIIIe siècle. Alors qu’elle totalise 8,5 %
de la population française en 1789, elle ne représente que 6 % du clergé séculier. Durant la seconde
moitié du XIXe siècle, le trop-plein de prêtres bretons va, par contre, alimenter les diocèses français
déficitaires, l’enseignement et les missions étrangères. Malgré ces fluctuations numériques, on constate
une étonnante permanence depuis la fin du Moyen Âge des « terres à prêtres » (Léon, l’axe baie de
Saint-Brieuc - golfe du Morbihan, ouest de l’Ille-et-Vilaine, pays de Vitré, confins de l’Anjou et de la
Vendée) et des « mauvaises terres » (diagonale Trégor - Monts d’Arée - bassin de Carhaix - Cornouaille), sans explication convaincante (Georges Minois, Histoire religieuse de la Bretagne, Luçon, Gisserot, 1991, p. 73, 90-91).
34. Gabriel Le Bras, Études de sociologie religieuse, Paris, 2 t., 1956 ; Alphonse Dupront, Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, Paris, Le Seuil, 1987 ; Nathan Wachtel, Le retour des ancêtres. Les Indiens
Urus de Bolivie, XXe-XVI e s. Essai d’histoire régressive, Paris, Le Seuil, 1990.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
58
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
59
riche d’enseignements. Durant ces dernières années, différents travaux, notamment
en Italie et en Espagne, sont venus apporter un regard neuf sur les relations entre
l’institution ecclésiastique et les communautés rurales35.
« Je suis né pauvre et paysan, destiné par mon état à cultiver la terre ; mais on crut
plus beau que j’apprisse à gagner mon pain par le métier de Prêtre, et l’on trouva le
moyen de me faire étudier ».
« Profession de foi du vicaire savoyard », Jean-Jacques Rousseau, L’Émile, 1762.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Au cours des siècles, sont donc nées, et ont muté, des formes locales d’organisation du système bénéficial, facilitées par l’impact du droit coutumier de chaque
province sur le droit canonique, entre logiques familiales et volonté réformatrice.
Confréries, communautés sacerdotales, collégiales...
Prenons seulement l’exemple des communautés sacerdotales à vocation majoritairement obituaire, dont nous pensons que l’étude ne devrait pas être séparée de
celle des autres prêtres paroissiaux, et d’abord des curés36. Leur repli sur la paroisse
et sur ses natifs entendait préserver les intérêts de l’ensemble des chefs de famille de
la communauté d’habitants. On a assisté à la fin du Moyen Âge, et encore au
XVIe siècle, à la transformation de nombre de ces communautés sacerdotales obituaires en collégiales. Chacun de ses membres, devenu chanoine, disposait désor-
35. Carla Russo, Chiesa e comunità nella Diocesi di Napoli tra cinque e settecento, Napoli, 1984 ; Angela
Torre, Il consumo di devozioni. Religione e comunità nelle campagne dell’Ancien Régime, Venezia, 1995 ;
S. T. Nalle, God in La Mancha. Religious Reform and the People of Cuenca, 1500-1650, Baltimore, The Johns
Hopkins University Press, 1992 ; E. Perea Simon, Església i societat a l’Arxidiócesi de Tarragona durant el
segle XVIII, Tarragona, Diputación de Tarragona, 2000 ; Joaquim Maria Puigvert, Església, territori i sociabilitat (s. XVII-XIX), Vic, Eumo Editorial, 2001 (publication allégée d’une imposante thèse : La parròquia
rural a Catalunya (Bisbat de Girona, segles XVIII-XIX), Universitat de Barcelona, 1990, 3 vol.).
36. Il subsiste d’ailleurs des curés collectifs à l’époque moderne. C’est le cas des curés hebdomadiers du Roussillon, qui se succèdent sur un mode alternatif hebdomadaire, témoignant d’une scissiparité des fonctions curiales alors que l’on trouve des communautés de prêtres séculiers dans toutes les
bourgades (Raymond Sala, Dieu, le roi, les hommes. Perpignan et le Roussillon (1580-1830), Perpignan, Éd.
Trabucaire, 1996, p. 342). Elles agissent comme un curé collectif, ainsi que le démontre encore les
douze « filleuls » de Prades qui, au milieu du XVIIIe siècle s’opposent énergiquement à la nomination par
l’évêque d’un vicaire perpétuel qui les dessaisirait de leurs fonctions curiales. On trouve des cas similaires en Normandie et la paroisse de Mouliherne, en Anjou, dispose de neuf curés et deux presbytères
alors que Biéville-en-Auge a deux curés qui se partagent une église unique (Bernard Plongeron, La vie
quotidienne du clergé français au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1974, p. 138). En Flandres, Saint-Omer a des
« cocurés » (Georges Coolen, « Les concurati de Saint-Omer », Bulletin de la Société des Antiquaires de la
Morinie, t. XVII, fasc. 314, 1947). En Val d’Aran, il faudra attendre 1731 pour que l’évêque de Comminges instaure une véritable distinction entre les prêtres « portionnaires » et les curés. La situation est
semblable dans les vallées espagnoles d’Áneu et de Boí.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
DES FORMES RÉGIONALES DE CULTURE RELIGIEUSE
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
mais d’une prébende. La collation de ces bénéfices collégiaux engageait à une inéluctable individualisation de ressources, qui au départ étaient plus ou moins collectives,
et à une transformation de familles de patrons ut universi (comme formant un corps)
à des patrons ut singuli. C’est ce que refusent les Aranais dans le diocèse de Comminges. Leurs prêtres « portionnaires » continueront à se partager un revenu collectif,
malgré l’instauration d’un numerus clausus par l’évêque de Comminges, en 1731, qui
tendait à faire correspondre à chaque charge un revenu minimum.
On peut aussi considérer que de nombreuses communautés de prêtres obituaires
restent dans un état intermédiaire entre la confrérie et la collégiale, d’où l’expression
employée à leur égard de « collégiale au petit pied »37. La chute des messes pour les
morts et des fondations obituaires au XVIIIe siècle accompagne la fonte des effectifs
de ces prêtres « rémouleurs de messes » (V. Tabbagh). Comme les revenus bénéficiaux, nécessaires à la rémunération des curés et de leurs vicaires, n’augmentent pas
en proportion et limitent même souvent, comme à Bordeaux, les capacités d’emploi
de vicaires pourtant bien nécessaires à l’encadrement des campagnes, la conséquence c’est que la masse cléricale des campagnes fond38.
Nous devons donc rechercher ce type de structures particulières dans l’organisation du système bénéficial, jusque dans l’univers des chapellenies, dans la dynamique de confréries qui pouvaient continuer à attirer des clercs nombreux, malgré
l’effort de réforme39. Cependant, lorsque l’on se pose la question des fondements
des « châteaux d’eau cléricaux », il est en fait difficile de déceler la cause de la conséquence. Est-ce que ce sont ces divers postes de prêtres habitués qui attirent les candidats au sacerdoce, ou bien ne serait-ce pas plutôt le grand nombre de clercs qui
incite les laïcs à créer de tels emplois ?
Ainsi, dans les vallées de Larboust et d’Aure, en diocèse de Comminges, les prêtres soucieux d’assurer un revenu pour leurs neveux qui les suivaient dans la carrière
fondaient habituellement des services de messes au cours de la première modernité.
Il en est de même en Haute-Bretagne où le quart des fondations de messes, souvent
modestes, sont le fait de prêtres40. Lorsque les exigences épiscopales se renforcent
37. Pour une première approche : Vincent Tabbagh, « Un projet de recherches : les collégiales en
Bourgogne au Moyen Âge », Annales de Bourgogne, t. LXXI, 1999, p. 99-117 ; Michelle Fournié (dir.), Les
collégiales dans le Midi de la France au Moyen Âge, Actes de l’atelier-séminaire des 15 et 16 septembre 2000
(Carcassonne), Millau, UMR Framespa - GDR Salve - CVPM, 2003. Il y a relativement peu de travaux
d’historiens modernistes sur les chapitres cathédraux (comparé à la grande enquête des Fasti Ecclesiae
Gallicanae, répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines de France de 1200
à 1500) et les collégiales, présentes dans de nombreux bourgs ruraux restent méconnues entre le
XVIe siècle et la Révolution.
38. Le principal obstacle au faible encadrement des paroisses rurales du diocèse de Bordeaux est
l’impossibilité financière d’y faire vivre un vicaire. La seule solution aurait été de transférer une partie
des bénéfices de la ville sur les campagnes, ce qui ne sera jamais effectué (Bernard Peyrous, La Réforme
catholique à Bordeaux (1600-1719), Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1995 (thèse soutenue
en 1982), t. 2, p. 754).
39. Sur la réforme des confréries, on se reportera à la synthèse récente de Marie-Hélène FroeschléChopard, Dieu pour tous et Dieu pour soi. Histoire des confréries et de leurs images à l’époque moderne, Paris,
L’Harmattan, 2006.
40. Bruno Restif, La Révolution des paroisses. Culture paroissiale et Réforme catholique en Haute-Bretagne
aux XVIe et XVIIe siècles, Rennes, PUR, 2006.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
60
XVIIe
siècle
61
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
en matière de formation et de concours, que l’on assiste à une réduction des effectifs
de prêtres natifs et que l’émigration cléricale se développe, leur attitude change. Les
vieux prêtres sont plus soucieux d’assurer une formation comme un viatique à leurs
neveux. Pour cela ils contribuent puissamment à la multiplication d’écoles dans les
vallées, toujours grâce à des fondations. Celles qui étaient obituaires régressent, au
profit des scolaires. Au siècle suivant les cadets prêtres deviendront des cadets colporteurs de librairie puis instituteurs, témoignant de l’adaptabilité de familles montagnardes soucieuses de maintenir des débouchés à leurs cadets lettrés41.
Thimothy Tackett a noté la corrélation que l’on pouvait établir entre la vocation
sacerdotale et la densité de certaines confréries de piété, ou bien encore le rapport
existant entre la présence, dans certaines régions, de minorités calvinistes vivaces et
le faible nombre de prêtres. Le fait que les terres fertiles en prêtres le restent, pour la
plupart, jusqu’au XXe siècle, appuierait cette hypothèse d’une plus grande intensité de
la vie religieuse et d’une place de l’Église dans certaines sociétés locales, qui permettent d’alimenter un recrutement clérical assez régulier. Cependant, l’approche géographique doit se doubler d’un questionnement diachronique.
Dans son étude du Limousin au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, Michel Cassan remarque que les zones de résistance du catholicisme face à l’expansion d’un
protestantisme rural sont celles dans lesquelles il décèle une forte densité de « prêtres communalistes ». Ceux-ci entretiendraient une sorte de culture religieuse plus
intense, plus en prise avec les populations42. La même corrélation peut être faite
pour le diocèse de Rodez, mais aussi pour celui de Comminges, où les communautés
sacerdotales s’appellent mesaus et pour le diocèse voisin de Tarbes, où elles se nomment fadernes43.
En poursuivant vers l’ouest de la chaîne et le bassin de l’Adour, on rencontre une
autre forme de contrôle des biens et revenus d’Église par des laïcs, non plus en tant
que communautés d’habitants mais de familles, prises individuellement, qui, au contraire, a pu servir à ancrer le protestantisme. Ce sont les abbadies ou abbayes laïques44.
Les abbés qui les détenaient étaient des laïcs qui possédaient en fief le patronage de
l’église paroissiale, avec droit de présentation, ainsi que la dîme de la paroisse et
divers droits utiles ou honorifiques45. Considérés comme des nobles, ils ne jouissaient cependant pas du droit d’entrée aux États de Béarn. Jeanne d’Albret, qui désirait bannir le catholicisme de ses terres de Béarn, en appliquant le principe du cujus
regio ejus religio, mais qui ne pouvait pas imposer sa politique religieuse sans l’adhésion
41. Jean-Jacques Darmon, Le colportage de librairie en France sous le Second Empire. Grands colporteurs et
culture populaire, Paris, Plon, 1972.
42. Michel Cassan, Le temps des guerres de religion. Le cas du Limousin (vers 1530 - vers 1630), Paris,
Publisud, 1996, p. 128-141.
43. Jacques Poumarède, « Les fadernes du Lavedan. Associations de prêtres et sociétés de crédit
dans le diocèse de Tarbes (XVe-XVIIIe s.) », Mélanges offerts à Jean Dauvillier, Toulouse, 1979, p. 677-694 ;
Jean-François Soulet, Traditions et réformes religieuses dans les Pyrénées centrales au XVIIe siècle, Pau, Marrimpouey, 1976, p. 125-149.
44. Benoït Cursente, « Les abbadies ou abbayes laïques : dîme et société dans les pays de l’Adour
(XIe-XVIe siècle) », Annales du Midi, t. CXVI, 2004, no 247, p. 285-305.
45. Jean Bourdette, Notice sur les abbés lays du Labéda. La noblesse des Sept Vallées, Toulouse, 1911.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
62
Serge Brunet
Du curé médiateur au curé procédurier
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Le recours au prêtre dans les affaires privées entre paroissiens est un fidèle
témoin du changement. Du Jura à la Provence et aux Pyrénées, on a pu remarquer
que notaires et prêtres, qui ne pouvaient plus être la même personne, restaient liés
par leurs activités complémentaires et aussi par leurs familles, au cours de la première modernité. L’un relevait les services de messes et prenait en charge le devenir
de l’âme alors que l’autre gérait le devenir des biens48. Dans cette société largement
analphabète qui, craignant les dépenses de la justice et de ses auxiliaires, recherchait
à tout prix la conciliation, le prêtre apparaît comme le lettré de proximité, le quasijuge de paix, auquel on a recours. La monarchie, faute d’agents en place, transforme
d’ailleurs le curé en administrateur et ses tâches d’encadrement se multiplient depuis
le XVIe siècle : enregistrement, censure des mœurs et plus largement informateur du
pouvoir central auprès des rustres49. Les missionnaires ruraux utilisent alors la fonction médiatrice du curé pour apaiser les tensions entre les paroissiens.
Les évêques magnifient ce rôle car désormais les prêtres dont ils ont la collation
sont détachés des familles du village où ils officient. Mais la littérature à ce sujet reste
ambiguë quand il faut concilier le médiateur qui apaise et le prêtre qui doit rester en
46. Denis Labau, Lescar. Histoire d’une cité épiscopale du Béarn, Pau, Marrimpouey Jeune, 1975, p. 36.
47. Mark Greengrass, « L’expérience calviniste en Béarn », Revue de Pau et du Béarn, 1994, no 21,
p. 37-60.
48. Michel Vernus, « Notaires et familles notariales du bailliage de Lons-le-Saulnier », Société
d’émulation du Jura, 1976, p. 173-201 ; Alain Collomp, La maison du père. Famille et village en Haute-Provence
aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1983 ; Giovanni Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le
Piémont du XVIIe siècle, 1985, trad. fr., Paris, Gallimard, 1989 ; Nicole Lemaitre, Le scribe et le mage. Notaires
et société rurale en Bas-Limousin aux XVIe et XVIIe siècles, Ussel, Musée du Pays d’Ussel, 2000.
49. Voir, par exemple, l’accroissement des charges des curés du jeune diocèse de Dijon, dont les
campagnes connaissent toujours un clergé paroissial pléthorique. On trouvait encore dans la Bourgogne
du XVIIIe siècle de nombreux prêtres rassemblés dans des sociétés appelées mépart ou familiarités alors
que la foule des prêtres « habitués » échappait à toute comptabilité (Éric Wenzel, op. cit.). Les mêmes
« familiarités » subsistent en Franche-Comté, négligées pourtant par les historiens (Anne-Marie Kaminski-Parisot de Bernecourt, op. cit.). Voir également les fonctions du curé définies par un prêtre arlésien
en 1652 (Louis Secondy, « Le curé idéal au XVIIe siècle selon le P. I. Bouis », Religions et pouvoirs dans le midi
de la France de l’Antiquité à nos jours, Actes du 70e congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Nîmes, 2001, p. 199-210) et plus tard en Périgord (Guy Mandon, op. cit., 253285) ou bien en Haute-Bretagne (Charles Berthelot du Chesnay, op. cit., p. 525-585).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
de la noblesse béarnaise, a eu l’habileté de s’appuyer sur les abbés laïcs auxquels elle
a accordé le droit d’entrée aux États de Béarn. C’est grâce à leurs voix qu’elle obtient
la majorité à la session d’avril 156846. Elle peut prendre alors les Ordonnances
de 1571, qui leur accorde un traitement de faveur. Si les abbés adhèrent au protestantisme, ils leur sera accordé des pensions et leurs veuves et leurs jeunes enfants
bénéficieront d’un traitement de faveur auprès des œuvres de charité et d’éducation
contrôlées par l’État. En 1573, leur jus patronatus est remplacé par le droit à une inscription gratuite à l’université de Béarn par toute personne âgée de 8 à 18 ans, sur
désignation du patron laïque47. Ceux-ci sont ainsi engagés à orienter leurs enfants
vers le pastorat et non plus vers la prêtrise.
XVIIe
siècle
63
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
dehors des affaires du siècle50. Son détachement familial et son autonomie bénéficiale l’amènent à devenir lui-même procédurier et à multiplier au cours du
XVIIIe siècle les occasions de conflit avec ses paroissiens. L’évêque de Comminges
met ses prêtres en garde contre de telles dérives51. On est bien loin du défenseur
naturel du pauvre et de l’opprimé lorsqu’il réclame sa dîme plutôt que de choisir la
congrue. Pour tout dire, le « bon prêtre » du XVIIIe siècle a perdu la spiritualité bérullienne qui avait pourtant été à l’origine des institutions qui l’ont formé et, au premier
rang, le séminaire. Il se démarque par « un ascétisme tatillon, plus préoccupé de respecter les règles apprises que de prendre des initiatives pastorales. Le bon prêtre fuit
désormais tous les excès dénoncés par les évêques dans leurs visites pastorales, c’est
devenu un homme à part »52.
Dans tout le royaume, on constate cette augmentation significative des conflits
entre le curé et ses paroissiens. Il ne s’agit pas tant d’un anticléricalisme latent que des
conséquences d’un changement de position. Ainsi, dans le bailliage du Beaujolais, ce
type de conflit, qui représente moins de 1 % des procédures avant 1650 atteint 4 %
des procès entre 1751 et 178853. Au même moment, dans le vaste ressort du parlement de Toulouse, le curé est mêlé à 7 % du contentieux rural porté en appel devant
le parlement et jugé au petit criminel. Dans 57,9 % des cas il intervient à titre
d’accusateur et seulement dans 42,1 % à titre d’accusé54 ! Ces chiffres sont bien contradictoires avec sa vocation de conciliation affirmée au siècle précédent. Nicole Castan a pu cerner cette mutation. Avec 33 % des recours, ce clergé est nettement au pre-
50. Yves Durand, « Le curé médiateur social aux XVIIe et XVIIIe siècles », Bernard Barbiche, JeanPierre Poussou et Alain Tallon (éd.), Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne. Mélanges en
l’honneur du P r Yves-Marie Bercé, Paris, PUPS, 2006, p. 715-730. Voir également les diverses communications de Danielle Pister (éd.), L’image du prêtre dans la littérature classique (XVIIe-XVIIIe siècles), Actes du colloque du Centre Michel Baude de l’Université de Metz, 20-21 novembre 1998, Berne, Peter Lang,
2001.
51. « Nous conjurons [...] les curés d’éviter avec leurs paroissiens toutes sortes de procès ; qu’ils
évitent avec soin de se partialiser entre leurs paroissiens, d’entrer dans les affaires de la communauté.
Leur ministère, leurs talents, leurs soins doivent être bornés à inspirer la paix, la concorde et la justice, à
se rendre médiateurs des paroissiens et jamais leur partie et à mériter la confiance, le respect et l’amitié
de tous. » Plus loin il est précisé : « Qu’ils évitent avec une sainte religion d’abuser du pouvoir que leur
donne leur ministère pour satisfaire la prévention ou l’animosité dont ils pourraient être susceptibles
contre leurs paroissiens, par des refus injustes ou des délais affectés des fonctions spirituelles, par des
invectives dans leurs instructions et leurs avis ; qu’ils travaillent au contraire avec un saint empressement à gagner les cœurs de leurs peuples par leur douceur et leur charité » (Mgr Antoine de Lastic, Statuts synodaux du diocèse de Commenges, tirés du synode général des 25 et 26 août 1751, Toulouse, Cazanove,
1752). À l’occasion de l’affaire des billets de confession et du refus des sacrements qui agita le royaume,
ces statuts furent cependant condamnés par les parlements de Toulouse (1754) puis de Paris (1755).
52. Yves Krumenacker, « Du prêtre tridentin au “bon prêtre” », Danielle Pister (éd.), op. cit., p. 139.
Voir également, du même auteur, L’École française de spiritualité, Paris, Le Cerf, 1998.
53. Jean-Pierre Gutton, « Confraternities, Curés and Communities in Rural Areas of the Diocese
of Lyons under the Ancien Régime », Kapar von Greyerz (ed.), Religion and Society in Early Modern
Europe, 1500-1800, The German Historical Institute, London, George Allen & Unwin, 1984, p. 202211 ; Philip Hoffman, Church and Communities : The Parish Clergy and the Counter Reformation in the Diocese of
Lyons, 1500-1789, Ph.D., Yale University, 1979.
54. Nicole Castan, Les criminels de Languedoc. Les exigences d’ordre et les voies du ressentiment dans une société
pré-révolutionnaire (1750-1790), Toulouse, 1980, p. 127-128.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
64
Serge Brunet
mier rang dans l’arbitrage rural, avant même les gens de loi, les seigneurs et les
bourgeois. Mais, au cœur de combats qui souvent le touchent, il s’allie ou s’oppose
aux différentes factions et il se trouve de plus en plus mêlé aux soucis du siècle. Le
curé médiateur idéalisé par la Contre-Réforme du XVIIe siècle se transforme en un
administrateur désireux de récupérer la totalité du prélèvement décimal, d’assurer sa
mainmise sur l’assistance, sur l’enseignement et la distribution des secours. Nicole
Castan n’hésite pas à affirmer que certains curés de Gascogne et du Bas-Languedoc
se comportent « davantage en fonctionnaires du culte qu’en pasteurs dévoués »55.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les sociétés de prêtres sont valorisées par la Réforme catholique, mais sur
d’autres fondements que ceux des anciennes sodalités. Elles visent d’abord à la formation des prêtres diocésains. Un peu partout naissent des initiatives. Dans le diocèse de Genève, c’est l’éphémère groupe des sept prêtres de la Sainte Maison, souhaité par François de Sales. Dans celui de Beauvais, il s’agit de la non moins
éphémère communauté de Liancourt, de Bourdoise56. Dans celui de Bordeaux, la
Communauté des prêtres du clergé est fondée par Jean de Fonteneil en 1643, sur le
modèle des lazaristes. Ce sont ces derniers qui reprendront la gestion du séminaire
diocésain57. Dans le sud du diocèse d’Auch, des prêtres missionnaires s’installent
dans le sanctuaire marial de Garaison. Un temps, il est envisagé qu’ils se fondent
avec les jésuites qui viennent de créer la Mission des Pyrénées58. Mais l’obstacle
majeur à cette union est que ces prêtres diocésains vivent de revenus obituaires, vice
rédhibitoire pour la Compagnie de Jésus. Capucins, eudistes... tous démontrent la
vitalité de communautés sacerdotales qui portent la Réforme catholique dans les
campagnes, dénués de revenus obituaires et régis par une règle stricte qui les assimile
à des réguliers, ce que refusent avec véhémence des prêtres quercynols en lutte avec
leur évêque-abbé Alain de Solminihac.
TROP DE PRÊTRES ? PAS ASSEZ DE PRÊTRES ?
Pas assez : les prêtres de campagne sur les « frontières religieuses »59
Le paysage français est fort contrasté. Sur les théâtres des combats entre catholiques et protestants, les prêtres ont beaucoup souffert du demi-siècle de guerres reli55. Nicole Castan, Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, Flammarion, 1980,
p. 38-44. Pour les curés procéduriers de l’archevêché de Cambrai : Gilles Deregnaucourt, op. cit., p. 384394.
56. Anne Bonzon, op. cit., p. 175.
57. Bernard Peyrous, op. cit., t. 2, p. 798-802.
58. Serge Brunet (éd.), Relation de la Mission des Pyrénées (1635-1649). Jean Forcaud, jésuite, et la montagne,
Paris, Éd. du CTHS (à paraître).
59. Robert Sauzet (éd.), Les frontières religieuses en Europe du XVe au XVIIe siècle, Actes du 31e colloque
international d’études humanistes, Paris, Vrin, 1992 ; Keith P. Luria, Sacred Boundaries. Religious Coexistence and Conflict in Early-Modern France, Washington, The Catholic University of America Press, 2005.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
De nouvelles formes de communautés sacerdotales
XVIIe
siècle
65
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
gieuses qui s’achève. Leur nombre aurait diminué de moitié dans le diocèse de Toulouse60. En aval, les huguenots « cour[ai]ent à force les prestres et les religieux en
Agenez, comme l’on faict les lièvres en Beauce »61. Dans de tels diocèses, « vaste[s]
et dévasté[s] »62 comme se plaît à l’écrire à Paul V l’évêque in partibus de Genève, les
coupes furent sombres. Dans les diocèses de Lescar et d’Oloron où le culte catholique n’est rétabli que dans les années 1620, les clercs ont officiellement disparu. Il
en est, officieusement, de même dans la partie cévenole du diocèse de Nîmes, même
si le catholicisme a su résister63. C’est la raison pour laquelle est fondé par démembrement le diocèse d’Alès.
L’intérêt du Béarn et des Cévennes au XVIIe siècle est de présenter des diocèses où
le culte catholique est rétabli, ce qui permet de mieux mesurer les nouvelles orientations64. La situation est semblable sur une autre « frontière de catholicité » : les villages du nord de l’Alsace, la Sarre et le Palatinat après la capitulation de Strasbourg
(1681). Les biens ecclésiastiques avaient été réunis aux possessions princières et
Louis XIV devait verser une pension aux prêtres choisis pour desservir les « cures
royales », paroisses démunies de revenus. Le roi devait également pourvoir aux frais
du culte. Il n’y avait plus ni bénéfice ni droit du collateur, si l’évêque intervenait
c’était au nom du roi, véritable patron. La différence de statut entre le curé et le pasteur tendait ici à se rapprocher.
Louis Châtelier considère d’une manière générale que le pouvoir des curés s’est
nettement affaibli au milieu du XVIIe siècle. Outre la concurrence de nouveaux
ordres religieux missionnaires, comme des jésuites, c’est l’esprit même de la ContreRéforme, qui va dans le sens d’une conception pyramidale de l’Église, contrairement
à la promotion de la « puissance sacerdotale » chère à Edmond Richer, qui provoque
le déclin, au moins relatif, du pouvoir des curés au temps de la Réforme catholique65.
60. Les pouillés du diocèse de Toulouse, qui sous-évaluent le nombre de prêtres obituaires, recensent 834 prêtres en 1538 et seulement 440 en 1596 (Jean Lestrade, Pouillé du diocèse de Toulouse en 1538,
Toulouse, 1935 ; Georges Baccrabère, « La pratique religieuse dans le diocèse de Toulouse aux XVIe et
XVIIe siècles », Annales du Midi, t. LXIV, 1962, p. 287-314).
61. Lettre d’Antoine de Noailles, gouverneur de Bordeaux, 26 novembre 1561 (BN, ms. fr. 6948).
62. Saint François de Sales à Paul V, Annecy, 23 novembre 1606 (Œuvres, Annecy, Niérat, 18921964, lettre CXLII, t. XIII, p. 70, cité par Blandine Delahaye, « Le visage du prêtre selon François de
Sales (1567-1622) à la lumière de sa Correspondance », Danielle Pister (éd.), op. cit., p. 32).
63. Robert Sauzet, Les Cévennes catholiques. Histoire d’une fidélité, XVIe-XXe siècle, Paris, Perrin, 2002.
64. Véronique Castagnet, Prosopographie d’une société en reconstruction : le clergé béarnais des diocèses de
Lescar et d’Oloron de l’édit de Fontainebleau à la Révolution (1599-1780), thèse d’histoire, Université de Pau
et des Pays de l’Adour, 2002 ; François Pugnière, Clergé et encadrement clérical en Cévennes de la Révocation à
la Révolution. Le diocèse d’Alès, 1687-1791, thèse d’histoire, Université Paul-Valéry - Montpellier III,
2002.
65. De ecclesiastica et politica potestate, d’Edmond Richer, est parue en 1611. Il développe l’idée que, si le
pape occupe le plus haut rang dans l’Église, le gouvernement de cette dernière a été confié à l’ensemble
du clergé. La popularité de ce livre inquiète de nombreux évêques qui craignent une subversion de leur
autorité par leurs prêtres. Louis Châtelier, « Le curé, le pasteur et le missionnaire. Réflexions sur le changement de nature du pouvoir ecclésiastique à l’époque moderne », Bernard Barbiche, Jean-Pierre
Poussou et Alain Tallon (éd.), op. cit., p. 909-914. Voir également l’ouvrage fondamental de Louis
Pérouas, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724. Sociologie et pastorale, Paris, SEVPEN, 1964.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
66
Serge Brunet
Trop : la suspension ipso facto, la prison, et l’émigration
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Non seulement la physionomie du prêtre rural va devoir rapidement changer,
mais celui-ci est confronté à des « curés de choc »69. Si l’absentéisme des curés de
campagne était loin de poser systématiquement des problèmes d’encadrement, les
prêtres natifs palliant leur défection, leur résidence fait naître d’autres tensions.
Comme ils ne peuvent pas vivre dans leur famille, les communautés doivent édifier
– au mieux réparer – d’onéreux presbytères. Leurs exigences disciplinaires sont souvent incomprises des prêtres natifs et, comme dans les vallées des Pyrénées centrales, de véritables conflits larvés entre « prêtres à l’ancienne » et « nouveaux prêtres »
agitent les familles. Le fossé peut être d’autant plus profond que certains évêques
n’hésitent pas à choisir systématiquement des curés étrangers lorsqu’ils le peuvent.
En 1618, François de Sales souhaite ainsi n’introduire à Gex que « les Prêtres de
l’Oratoire, bons à toute sorte de services spirituels et qui plus aysement peuvent se
mesler parmi les adversaires [protestants] »70. En Comminges, Gilbert de Choiseul
s’efforce de ne nommer que des curés étrangers71. Il agira de même dans le diocèse
de Tournai (1671-1689). Gallican et janséniste, « bien aimé » d’Arnauld selon l’abbé
de Rancé, lequel lui reconnaît également un rôle décisif dans son choix de réformer
La Trappe, il participe à la diffusion du rigorisme dans les provinces belges72. Il
66. Les évêques se voient confirmer par le roi le pouvoir d’empêcher leurs prêtres diocésains
d’exercer leur ministère, voire de les emprisonner (Pierre Goubert, « Société traditionnelle et société
nouvelle », Ernest Labrousse et al., op. cit., p. 596).
67. Henri Tribout de Morembert, Le diocèse de Metz, Paris, Letouzey et Ané, 1970, p. 139.
68. Réforme et Contre-Réforme en Normandie, numéro spécial de la Revue du département de la Manche,
t. XXIV, 1982, fasc. 93-95.
69. Pierre Goubert, op. cit.
70. Saint François de Sales à Louis XIII, Annecy, 21 janvier 1618 et à Roger, duc de Bellegarde,
Annecy, 25 avril 1618 (Œuvres, Annecy, Niérat, 1892-1964, lettre MCCCXCII, t. XVIII, p. 155 et
lettre MCDXVII, t. XVIII, p. 199, cité par Blandine Delahaye, « Le visage du prêtre selon François de
Sales (1567-1622) à la lumière de sa Correspondance », Danielle Pister (éd.), op. cit., p. 33).
71. « Il [Mgr de Choiseul] a aussi distribué ses cures à des gens qu’il a choisi en différentes provinces. J’ai su que dans son diocèse il y avoit 50 à 60 prêtres qui estoient de bons prédicateurs et c’est
avec ces personnes qu’il a trouvé quelque douceur parmi la brutalité même » (M. de Froidour à M. de
Héricourt, Bagnères-de-Bigorre, 23 septembre 1667, Revue de Gascogne, t. XL, 1899, p. 147-148).
72. Jean-Louis Quantin, « Le rigorisme : sur le basculement de la théologie morale catholique au
XVIIe siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, t. LXXXIX, 2003, p. 31-33. Choiseul n’avait publié la
bulle condamnant les cinq propositions de Jansénius (1653) qu’en l’accompagnant d’un mandement
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les décisions royales de 1695 et de 1698 renforcent encore le pouvoir exercé par les
évêques sur le bas clergé66.
La situation est aussi critique dans le diocèse de Metz qui manifeste une pénurie
et un nomadisme des prêtres jusqu’à la fin du XVIIe siècle67. En Normandie cependant, où les communautés rurales étaient massivement passées à la Réforme au
début du XVIe siècle, comme dans les Cévennes, on assiste à une surprenante volteface dès la fin du règne d’Henri IV. Cette région redevient en majorité catholique, et
rapidement excédentaire en prêtres, ne conservant que quelques îlots protestants68.
XVIIe
siècle
67
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
confie le séminaire diocésain à des prêtres pénétrés de son esprit tant en matière
dogmatique que morale et il fait de même pour la collation aux cures.
Le journal du P. Dubois, curé de Rumegies et fidèle propagateur des enseignements de celui qui l’a nommé, témoigne de l’impact du « plus grand prélat qu’il y
avait dans l’Église de Jésus-Christ » sur les prêtres ruraux sortis du moule73. On
doit cependant lui opposer un autre journal, celui de Pierre Ignace Chavatte,
modeste artisan lillois, qui révèle des vives résistances des paroissiens belges après
les pyrénéens, notamment lorsque le prélat s’en prend au culte de la Vierge. Face à
ces prêtres zélés « bien loin de profiter de leurs corrections charitables [ils] conçoivent le dessein de s’en venger et l’exécutent en enlevant nuitamment dans les
champs leurs dismes dans le temps de la moisson ou en dégradant les arbres et les
hayes et coupant les légumes de leurs jardins »74. L’évêque s’éteint le 31 décembre 1689 et, dans leurs mémoires, les intendants de Flandre et Hainaut, Le
Peletier de Souzy (1683) puis son successeur Dugué de Bagnols (1698), loin de
signaler une amélioration sensible, jugent toujours fort sévèrement l’ensemble du
clergé de la région.
Dans le diocèse de Besançon, si tous les curés sont francs-comtois au XVIIIe siècle,
l’usage veut qu’on ne les mette jamais à la tête de la paroisse dont ils sont originaires75. Mais, ce sont d’abord les exigences épiscopales qui peuvent aboutir à la
guerre ouverte.
Grâce aux sources de l’officialité, l’ampleur de la « répression » contre les mauvais
prêtres peut être mesurée dans le diocèse de Beauvais. Entre 1650 et 1679, plus de
400 prêtres passent en jugement devant l’évêque janséniste Nicolas Choart de
Buzenval, alors que le diocèse est composé de 438 paroisses76 !
Les nouvelles volontés des évêques dans les diocèses traditionnellement excédentaires ont pu, dans le courant du XVIIe siècle engager des prêtres plus nombreux à
migrer. C’est notamment le cas de ceux qui auparavant pouvaient espérer subsister
dans leur paroisse d’origine sur des revenus obituaires et de ceux dont la faiblesse de
la formation rendait l’obtention d’un bénéfice bien aléatoire avec la mise en place
d’un examen sérieux. Ils peuvent alors saisir l’aubaine de la reconstruction de diocèses ravagés par les guerres de religion. Ainsi, des prêtres commingeois se dirigent
vers les diocèses de Pamiers, d’Oloron et de Lescar. L’émigration cléricale s’ac-
restrictif qui fut ensuite mis à l’index. Il agit, sans trop d’effet, comme médiateur entre les deux partis.
À la faveur de la « paix clémentine » (1668) il est transféré à Tournai. Il a ensuite un rôle de tout premier
plan lors de l’assemblée du clergé de 1682, qui aboutit à la déclaration des quatre articles, code du gallicanisme. Aux côtés de Bossuet, il le dépasse par ses positions anti-romaines. Avec moins d’éclat, son
œuvre janséniste se marquait par son zèle pastoral (F. Desmons, Gilbert de Choiseul, Tournai, 1907 ;
Serge Brunet, op. cit., p. 157 et sq.).
73. Henri Platelle (éd.), Journal d’un curé de campagne au XVIIe siècle, 1965, rééd., Villeneuve-d’Ascq,
Presses universitaires du Septentrion, 1997.
74. A. M. Lille, Reg. aux Ord. Roi no 51, fo 123 ro, 1698 (cité par Alain Lottin, Vie et mentalité d’un
Lillois sous Louis XIV, Lille, Raoust, 1968, p. 218).
75. Anne-Marie Kaminski-Parisot de Bernecourt, op. cit. ; Michel Vernus, Le clergé paroissial du
doyenné de Lons-le-Saunier (diocèse de Besançon), fin XVIIe-XVIIIe siècles, thèse de 3e cycle, dactyl., 1975.
76. Pierre Goubert, Les paysans français au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1998, p. 197 ; Anne Bonzon,
op. cit., p. 181-195.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
centue également au milieu du XVIIe siècle à partir de la Montagne limousine et de la
Haute-Marche77.
Au point d’arrivée, les sources diocésaines négligent souvent et ignorent parfois
les prêtres non bénéficiers. Cette cécité peut gagner l’historien qui assimile alors
curés et vicaires aux prêtres dans leur totalité. Prenons l’exemple du diocèse d’Agen,
à partir des visites pastorales de Nicolas de Villars (1587-1608) puis de Claude Joly
(1665-1678)78.
Celles-ci témoignent de la persistance de plusieurs clergés agenais. Mgr de Villars
constate une capture des bénéfices ecclésiastiques par des familles originaires du
diocèse d’Agen et la non-résidence des bénéficiers. Curés et vicaires ne sont pas du
même monde : 44 % des curés mais seulement 9,8 % des vicaires sont Agenais.
Dans leurs réponses, les paroissiens confondent d’ailleurs souvent « curé » et « seigneur », car de nombreuses dîmes sont inféodées. Ce lapsus répété nous éclaire sur
l’ignorance que ces paysans ont des fonctions curiales. La même capture des bénéfices se remarque pour les canonicats et les chapellenies. Les guerres civiles ont
désorganisé le culte en l’ouvrant plus largement aux clercs migrants qui descendent
du Limousin, du Périgord, du Rouergue et du Quercy. Ceux-ci n’hésitent pas à
cumuler les vicariats.
La situation est identique dans le diocèse de Bordeaux, où la vacance du siège
archi-épiscopal (1591 - mars 1600) a encore facilité cette immigration. En Agenais,
comme en Bordelais, ces prêtres errants sont accusés de tous les maux et de la corruption des autochtones79.
Sous l’épiscopat de Claude Joly, disciple d’Olier formé à Saint-Sulpice, il y a
encore 61,45 % des curés (et non de l’ensemble des prêtres) du diocèse dont les origines sont extérieures. Ils proviennent surtout des diocèses de Rodez (12,5 %), de
Cahors (6,25 %) et de Condom (4,16 %) alors que 2,08 % viennent du Comminges.
Il y a encore 14 % de violents, 10 % qui restent vêtus comme des laïcs et autant de
concubinaires ou de débauchés. Les curés vivent d’ailleurs rarement seuls ; ils sont
accompagnés par une sœur, une belle-sœur ou une nièce et un tiers d’entre eux
77. Louis Pérouas, Marie-Claude Lapeyre, « L’émigration des maçons creusois avant le
siècle », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, t. XVIII, 1976, p. 369-393.
78. Gregory Hanlon, L’univers des gens de bien. Culture et comportements des élites urbaines en AgenaisCondomois au XVIIe siècle, Bordeaux, PUB, 1989, p. 123-129. Dans ses statistiques, cet auteur ne prend en
compte que les curés et les quelques vicaires, alors qu’il y a d’autres prêtres dans les paroisses, systématiquement négligés par les visites pastorales. Sandrine Messines, Nicolas de Villars, évêque d’Agen (15871608), et Catherine Moga, L’état du diocèse d’Agen à travers les visites pastorales de Mgr Claude Joly (1664-1678),
maîtrises d’histoire (S. Brunet, dir.), Université de Toulouse - Le Mirail, 2000.
79. « Une fois qu’il [Mgr Antoine Prévost de Sansac] se fût endormi dans le Seigneur, la cupidité
insatiable des fils de Bélial emplit de ruines un siège qui devait demeurer longtemps vacant : on demandait des prêtres de tous côtés, et c’étaient des prêtres paresseux et cupides à qui on confiait les charges
sacerdotales. Les bénéfices étaient donnés aux personnes, et non les personnes aux bénéfices. C’étaient
des cuisiniers, des courtisans, des chasseurs, des indolents, qui étaient chargés de ces bénéfices. Si bien
que tout l’ordre sacerdotal étant méprisé, très peu de Bordelais étaient initiés à la religion et le peuple
mourait de langueur par famine de la Parole de Dieu. Il était déchiré par la langue des loups » (Jean Bertheau (secrétaire de Mgr de Sourdis), Digestis amplissimi Cardinalis Surdisii, AD 33, G 533, cité par Bernard
Peyrous, op. cit., t. 1, p. 57). L’évêque d’Agen leur reproche l’analphabétisme, des superstitions et la pratique de la magie.
XIXe
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
68
XVIIe
siècle
69
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
habite dans sa famille et non pas au presbytère. Malgré cela, beaucoup de curés ne
résident toujours pas et il n’y a guère qu’un tiers d’entre eux qui est exempt de reproches. Pour pallier la précarité des vicaires amovibles, peu aptes à un encadrement
valable des paysans, Claude Joly s’efforça de les transformer en vicaires perpétuels,
mais il doit faire face à de vives oppositions. En 1665 il publie une ordonnance sur la
tonsure dans laquelle il refuse que l’on se présente avant 12 ans révolus et une
retraite suivie d’un examen dans le séminaire ; en 1668 il porte l’âge limite à 14 ans80.
Cette mesure rendait les jeunes Agenais inaptes au bénéfice et les familles, soutenues
par les consuls d’Agen, en appellent à la justice du parlement de Bordeaux. L’affaire
est évoquée jusqu’à l’assemblée du clergé de France et devant le Conseil du roi.
Dans les campagnes du diocèse de Bordeaux des années 1702-1713, la moitié des
prêtres employés seront encore des migrants, toujours majoritairement venus du
Massif central et de la Gascogne81.
Les comportements sont identiques dans la France du Sud-Est. Le service ecclésiastique de la province d’Avignon ne peut être assuré que grâce à un appel constant
à des prêtres étrangers. Alors que les clercs autochtones s’installent en priorité dans
les bénéfices sans cures d’âmes, prébendes canoniales et chapellenies, ce sont les
immigrés qui prennent plus de la moitié des vicairies perpétuelles et la quasi-totalité
des cures amovibles, des secondairies et autres services précaires. Ce sont donc eux
qui encadrent les rustres. Au début du XVIe siècle ils viennent tous des confins montagneux de la province d’Avignon (Dauphiné, Languedoc, Provence). À la fin du
siècle et des troubles religieux les Dauphinois et Languedociens ont presque totalement disparu et il ne reste que des prêtres venus de la Provence intérieure et montagnarde (diocèses d’Aix, Apt, Sisteron, Riez et tout particulièrement d’Embrun)82.
Dans les années 1600-1620, un peu plus du quart seulement des clercs qui insinuent leur titre de prieurs-curés du diocèse de Nîmes en est originaire ; il leur suffit
d’ailleurs d’être simplement tonsurés. Autant proviennent des autres diocèses du
Bas-Languedoc et les autres descendent des diocèses du Massif central, de Provence, du Comtat et même du Haut-Languedoc, des Alpes du Sud et des Pyrénées.
Pour les vicaires perpétuels, aux revenus bien plus modestes, la proportion des desservants étrangers au diocèse passe aux neuf dixièmes ! Ces rapports restent identiques au milieu du siècle, et la part des clercs originaires des hautes terres du sud du
Massif central s’accroît. Le service des paroisses est assuré par des montagnards
rouergats ou gabalitains et pour un cinquième par des prêtres venus des Alpes du
Sud. Durant le troisième tiers du XVIIe siècle, la part des autochtones ordonnés prêtres diminue encore alors qu’ils sont prépondérants parmi les tonsurés, témoignage
d’une certaine atonie spirituelle et de l’intérêt maintenu de la simple tonsure. Là
encore, il faut attendre la révocation de l’édit de Nantes (1685) et le tournant du
80. P. Hébrard, Histoire de Messire Claude Joly, évêque et comte d’Agen (1610-1678), Agen, Brousse, 1905,
p. 90-92 et 152-153.
81. À la fin du XVIIIe siècle, c’est l’ensemble des diocèses du Midi aquitain qui manifestera cette
pénurie de prêtres autochtones (Bernard Peyrous, op. cit., t. 2, p. 749-750).
82. Marc Venard, « Le recrutement sacerdotal dans la province d’Avignon », Annales. Économies,
sociétés, civilisations, 1968, p. 987-1016 ; Réforme protestante, Réforme catholique dans la province d’Avignon au
XVIe siècle, 1977, rééd. Paris, Le Cerf, 1993, p. 695-697.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
siècle pour assister à une augmentation du nombre des desservants originaires du
diocèse, qui dépassent en nombre les Provençaux et les montagnards du sud du
Massif central, et à une sacerdotalisation des bénéficiers. Si le niveau intellectuel et
moral s’améliore, il reste assez inégal et dans les Cévennes, au moment de la création
du diocèse d’Alès, on stigmatise des ecclésiastiques qui sont « plustost des monstres
que des prestres [...] presque tous des étrangers qu’on est contraint d’employer faute
d’autres »83. L’intendant Basville fait les mêmes reproches au clergé séculier des
Cévennes, et il est fait appel aux réguliers – jésuites, franciscains et capucins – pour
mener l’offensive catholique84.
Mais des prêtres condamnés par leur évêque choisissent aussi de résister, voire de
se révolter. En Quercy, des prêtres sanctionnés par l’official diocésain n’hésitent pas
à faire appel, même devant le parlement de Toulouse, trop heureux de condamner
Mgr de Solminihac connu pour ses positions ultramontaines85. La révolte dure, avec
toujours autant de violence, pendant douze ans. Les prêtres rebelles, auxquels se joignent des vicaires forains, forment un syndicat et usent de tous les artifices de la chicane au parlement, au Conseil du roi et devant le pape. Lors de l’assemblée synodale
du 20 avril 1651, le chef des syndiqués n’hésite pas à s’asseoir sur le siège épiscopal à
la place de l’évêque et à proposer aux autres prêtres de « prendre des lettres
d’approbation de lui pour servir de vicaires dans le diocèse »86 ! Par de nombreux
libelles, ils critiquent les statuts synodaux, l’institution du séminaire, la création des
congrégations foraines et des conférences ecclésiastiques. « La faute en vient de ce
qu’il a voulu soumettre le droit ecclésiastique et la liberté du sacerdoce à la vie et aux
maximes du cloître et de la réforme [...] Il a troublé les fonctions des prêtres et la
quiétude de leur ministère »87. Gagnant quelques chanoines du chapitre cathédral à
leur cause, les prêtres syndiqués contraignent l’évêque à tenir l’assemblée synodale
de 1654 accompagnés d’hommes d’armes à leur solde afin d’assurer leur propre protection. Ils sont aussi combattifs lors du synode de 1657 et leur évêque rigoriste,
épuisé par une vie de mortifications, s’éteint sans avoir pu étouffer la révolte88. Dans
un autre « château d’eau » clérical, le diocèse de Limoges, Mgr de La Fayette fait face
à de semblables résistances. Dans les hautes vallées du diocèse de Comminges, particulièrement du Val d’Aran, c’est un terrible bras de fer entre Mgr de Choiseul et les
prêtres.
83. Robert Sauzet, Contre-Réforme et Réforme catholique en Bas-Languedoc au XVIIe siècle. Le diocèse de
Nîmes de 1598 à 1694 (Étude de sociologie religieuse), thèse, Université de Lille III, 1976, t. 1, p. 51-88, 454477 et t. 2, p. 628-644.
84. « On a ôté les plus mauvais, maintenant il faut penser aux moyens d’en mettre de bons » (cité
par Robert Sauzet, Les Cévennes catholiques. Histoire d’une fidélité, XVIe-XXe siècle, Paris, Perrin, 2002, p. 136).
85. Alain de Solminihac était né à Belet (Périgord) en 1593. Il commence ses études à l’Université
de Cahors et les termine à Paris, en philosophie au collège d’Harcourt, puis en théologie à La Sorbonne
dont il sort bachelier. Réformateur de l’abbaye des chanoines réguliers de Saint-Augustin de Chancelade (1623), il devient évêque de Cahors le 17 juin 1636. Il fait l’admiration de Vincent de Paul. Il
s’éteint le 21 décembre 1659 (Eugène Sol, op. cit.).
86. Alain de Solminihac à Vincent de Paul, 26 avril 1651 (Pierre Coste, Saint Vincent de Paul. Correspondance, entretiens, documents, Paris, Gabalda, t. 4, p. 185-186).
87. Pamphlet postérieur à mai 1658 (AN, L 729, no 1).
88. Eugène Sol, op. cit., p. 198-204.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
70
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
71
Des prêtres croquants ou miquelets
Mais une autre forme de révolte mobilise certains prêtres ruraux dans ce pénible
siècle. Celle-ci est plus subtile car elle témoigne de la persistance de liens forts
entre les clercs et la société environnante. En effet, pour employer un néologisme,
ce n’est plus sur des « revendications catégorielles » qu’agissent ces prêtres mais, au
contraire, au nom des familles et de communautés d’habitants dans lesquelles ils
vivent, et dont ils s’estiment les défenseurs face à un État au poids réglementaire et
d’abord fiscal grandissant. Yves-Marie Bercé a attiré notre attention sur le rôle leader
de prêtres des campagnes dans la révolte. C’est le cas dans l’Angoumois, en 1548 et
en 1636, dans le soulèvement des communes du Périgord (1637-1641), et tout particulièrement dans ceux du Bas-Poitou et des vallées pyrénéennes. Comme ce prêtre
croquant du Périgord, ils prenaient les armes parce « qu’il[s] deffendoi[en]t le bien
public »89. Pendant la guerre de Succession d’Espagne, les prêtres du Val d’Aran
n’hésitent pas à prendre la tête de miquelets, dangereux supplétifs, pour s’opposer à
l’accession au trône d’Espagne de Philippe V. C’est le rôle de spécialistes des écritures au sein de communautés largement illettrées qui rendait le concours de ces
prêtres précieux, les engageait à rédiger les délibérations consulaires, à servir de syndic et, parfois, à troquer la plume pour l’épée ou l’arquebuse.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Plutôt les conférences ecclésiastiques que les séminaires
Si le concile de Trente, lors de sa 23e session, a institué les séminaires, les réalisations restent rares et éphémères dans la France du premier XVIIe siècle et ne constituent souvent que des retraites pour ordinands. Des clercs sont instruits dans les
collèges jésuites, une minorité fréquente la Faculté, mais l’essentiel reste formé sur le
tas. C’est dans l’entourage de Bérulle, de Condren d’Adrien Bourdoise et de Vincent
de Paul que se manifestent des initiatives pour former le clergé. Les cercles dévots,
parfois dans l’ombre comme au sein des mystérieuses AA cléricales (« Associations
des Amis », créées dans l’ambiance des congrégations mariales des jésuites), travaillent également dans ce sens90. À partir des années 1640, les lazaristes, les oratoriens,
les eudistes participent à la fondation de séminaires dans lesquels la durée du séjour
des ordinands s’allonge de quelques semaines à une année. Ce n’est qu’au tournant
du siècle que le clergé sera massivement issu de ces « pépinières »91. Qu’en était-il
donc des prêtres qui les ont précédés ?
Charles Borromée, dans les Actes de l’Église de Milan, développe toute une législation sur les vicaires forains, chargés d’animer des conférences ecclésiastiques dans
89. Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants. Étude des soulèvements populaires dans le sud-ouest de la
France, Genève-Paris, Droz, 2 vol., 1974.
90. Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la Terre, Paris, Belin, 2004,
p. 26.
91. Antoine Degert, Histoire des séminaires français jusqu’à la Révolution, Paris, Beauchesne, 2 t., 1912.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
XVIIe
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
tous les diocèses92. Le saint archevêque les considère comme un moyen privilégié
d’action dans les campagnes. Ce type de « formation continue » revêt une grande
importance pour l’instruction des clercs, particulièrement ruraux, tout au long du
XVIIe siècle et il n’a pas suffisamment attiré l’attention des chercheurs. Vincent de
Paul, qui créera en 1633 les Conférences du mardi pour ses lazaristes, considère qu’il
revient à l’archevêque de Bordeaux, François de Sourdis, de les avoir le premier en
France appliquées à son diocèse, dès 160993. Le modèle est amplement suivi dans
l’ensemble des diocèses français et il est d’abord destiné au contrôle et à l’enseignement des prêtres. Régulièrement les prêtres du diocèse étaient invités à assister à
des exposés suivis d’entretiens sur les matières diverses du dogme, des cas de conscience, de la discipline et de tous les sujets nécessaires à une bonne administration
des paroisses. Avertis à l’avance, ils devaient s’y préparer. Les vicaires forains étaient
choisis avec soin par l’évêque, souvent à l’extérieur. Bien que la présence de chacun
était contrôlée et que l’absence non justifiée était sanctionnée, on note partout des
résistances d’ampleur variable. Les aspirants au sacerdoce étaient conviés. Pour
mieux assurer la présence de chacun, éviter longs voyages et si possible les repas,
permettre au même orateur d’agir en plusieurs endroits, le diocèse était divisé en districts spécialement affectés à cet usage. Un calendrier fixait les dates et lieux de réunion de l’ensemble du diocèse. La pérennité de ces nouvelles circonscriptions, qui
venaient s’ajouter aux anciens archiprêtrés et archidiaconés, témoigne de l’importance et de la performance de ces structures. L’évêque de Limoges les réalise
en 1650. Chaque subdivision ne rassemble qu’une dizaine de paroisses afin que le
visiteur délégué par l’ordinaire puisse passer selon une périodicité trimestrielle94.
Celui de Tulle agit de même cinq ans plus tard en découpant ses districts95. Dans le
vaste diocèse de Rodez, les districts deviennent les seules subdivisions administratives compétentes. En Comminges, les évêques s’évertuent à substituer aux anciennes confréries sacerdotales à vocation obituaires, les mesaus, les districts des conférences. Ainsi, les évêques constituent un maillage de surveillance et d’enseignement
dans ces terres à prêtres.
92. L’institution remontait au Moyen Âge (P.-L. Péchenard, Étude historique sur les conférences ecclésiastiques, Paris, 1896). Charles Borromée les établit, avec une périodicité mensuelle, lors du premier
concile provincial de Milan (1565).
93. « Sur l’œuvre des conférences ecclésiastiques » (Saint Vincent de Paul, op. cit., entretien 153,
p. 873-874) ; Bernard Peyrous, op. cit., t. 1, p. 257-261 et 536-546. Les diocèses italiens de l’Aquilée
(1596), de Lorenza (1606) et de Ravenne (1607) sont les premiers à fonder les conférences dans la
péninsule, mais, en France, l’expérience est tentée plus précocement à Rouen (1581), Reims (1585), Aix
(1585) et Toulouse (1590).
94. J. Aulagne, Un siècle de vie ecclésiastique en province. La réforme catholique du XVIIe siècle dans le diocèse de
Limoges, Paris-Limoges, 1906.
95. Jean-Paul Besse, Le diocèse de Tulle, de la Réforme catholique à l’ère des Lumières, thèse de 3e cycle,
Angers, 1984.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
72
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
73
« PRÊTRES DES MONTAGNES » ET/OU CLÉRICATURE DES MARGES ?
L’expression « prêtres des montagnes », couramment utilisée en Gascogne, signalait l’origine de prêtres qui se démarquaient toujours par leur comportement, mais
aussi l’admiration des paysans de la plaine pour la piété des hautes terres. Il ne s’agit
naturellement ni d’un déterminisme simple, ni d’un quelconque idealtypus. C’est seulement en replaçant la fonction cléricale dans la société globale, que ce soit dans des
montagnes comme dans les Mauges ou dans les Pouilles, en interrogeant des
archives qui ne sont pas seulement religieuses, que l’on peut répondre à la question
de la spécificité ou de la banalité locale, de la capacité de résistance et d’adaptation
des populations96.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Prêtres de Vallouise
L’action réformatrice du « cardinal des montagnes », Mgr Le Camus, dans le diocèse de Grenoble à partir de 1671 est connue97. Le prélat découvre un clergé misérable. Durant les années 1672 et 1673, pas moins du tiers des prêtres fait l’objet de
sanctions diverses. Les manques sont surtout patents dans la partie montagnarde de
son diocèse où François de Sales avait déjà constaté l’importance des vocations98.
En 1673, il visite 150 paroisses dans les vallées de l’Isère, du Drac et de la
Romanche : la moitié des curés y vit maritalement ou bien est déclaré fornicateur !
Dix ans plus tard, sur 25 paroisses des montagnes de Chartreuse et d’Oisans, 20
auront changé de curé ! Nicolaïsme, ignorance, ivrognerie, brutalité, simonie et avarice... le tableau semble, là encore, affligeant. Mais comment faut-il apprécier le
concubinage ? Et est-ce seulement l’ « amour de l’argent » qui conduit ces prêtres à
diverses activités profanes ? Il est évident que les visites et ordonnances épiscopales
nous livrent, avec cette remarquable enquête, une interprétation. Les travaux de
Timothy Tackett, et désormais ceux de Michel Prost, nous permettent de nous déta96. Serge Brunet, Nicole Lemaitre (dir.), Clergés, communautés et familles des montagnes d’Europe, Actes
du colloque « Religion et montagnes », Tarbes, 30 mai - 2 juin 2002, Paris, Publications de la Sorbonne,
2005.
97. Le cardinal des montagnes, Étienne Le Camus évêque de Grenoble (1671-1707), Grenoble, 1974 ;
R. Avezou, « Le niveau d’instruction du clergé rural dans la partie montagneuse du diocèse de Grenoble à la fin du XVIIe siècle », Actes du congrès des sociétés savantes de Savoie, 1964-1966 ; Keith P. Luria, Territories of Grace : Cultural Change in the Seventeenth-Century Diocese of Grenoble, Berkeley and Los Angeles,
University of California Press, 1991.
98. Le saint évêque tonsure de nombreux diocésains (175 dès les premières semaines de sa visite
pastorale, d’octobre à décembre 1605) et, en moins de deux ans, au cours de sa visite (1605-1606) ce
chiffre s’élève à 570. Les aspirants à la tonsure viennent à sa rencontre : 14 à Mégève, 15 à Chavornay, à
Ceysérieu et à Bonne, 18 à Belmont, 20 à Vieu, 24 à Sallanches, 25 à Cluses et jusqu’à 25 dans le petit
village de Touvière. Dans ce diocèse sans séminaire, il ordonne environ 900 prêtres durant ses vingt
années d’épiscopat. Il voulut fonder à Thonon, sans succès, une « Sainte Maison » ou « presbytère »,
sorte de communauté sacerdotale à vocation missionnaire (Francis Trochu, Saint François de Sales, Paris,
Vitte, 1956, t. 2, p. 218-219).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
DES ALPES AUX PYRÉNÉES
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
cher de l’œil du censeur afin d’interpréter ces documents et de les comprendre. Partant du cas de la Vallouise, dans les Alpes dauphinoises, nous présenterons en
regard des vallées des Pyrénées centrales, françaises et espagnoles99.
Michel Prost a étudié le parcours de 421 prêtres de la Vallouise, entre le XVe et le
XIXe siècle, et il les a replacés dans leur configuration familiale100. Il nous révèle ainsi
la place majeure qu’occupent les prêtres ruraux du Haut-Dauphiné. Si les sept
dixièmes d’entre eux proviennent des familles qu’il qualifie de « décideurs », même
dans les familles modestes on ressent qu’ils expriment cette volonté et cette capacité
à s’élever. En effet cette société connaît une orientation précoce vers l’apprentissage
de l’écriture et de la lecture qui permet à ses enfants de se diriger vers le notariat,
l’enseignement et la prêtrise. Ces lettrés, et tout particulièrement les prêtres, jouent
ce rôle décisif d’intermédiaires culturels101.
En Vallouise, même si nous sommes en pays de partage égalitaire, les prêtres sont
majoritairement des puînés. Outre leurs fonctions religieuses, leur rôle au niveau
familial est essentiel. Ils concourent à ne pas disloquer l’héritage familial, à évacuer les
surplus grâce à leur maîtrise de l’apprentissage102 ; 77,3 % des prêtres sont titulaires à
l’extérieur de la vallée ce qui leur permet de fournir aux familles restées au pays la
logistique au sein de l’aire de chalandise, à la fois pour le commerce et pour les professions intellectuelles. Là, la pauvreté, loin d’entraver l’alphabétisation, au contraire la
justifie. Ceux qui se vouaient initialement à la prêtrise, deviennent les instituteurs,
puis, en raison de lois scolaires contraignantes, les colporteurs des années 1820-1840.
Au niveau communautaire, les prêtres de Vallouise jouent le rôle de banquiers
mutualistes. Ils exercent également un contrôle du marché matrimonial, en obtenant
des dispenses de consanguinité. Enfin, ils assistent les consuls et les auditeurs. Au
niveau provincial, ils jouent un rôle d’intermédiaires, garantissant les transactions,
les contrats et les différents arrangements. Enfin, au niveau national, ce sont des
émissaires, propres à capter les informations à la source pour les rétrocéder aux
communautés. Le prêtre sert également de banquier et de caution lors d’engagements entre le pouvoir central et les dirigeants des escartons. La Révolution et
l’Empire vont tendre à restreindre ce rôle.
Michel Prost conclut que la place des prêtres montagnards des communautés
dauphinoises, au cours du Moyen Âge et de l’Époque moderne, constitue le rouage
indispensable du point de vue sociodémographique et l’un des éléments primordiaux du point de vue économique.
99. Serge Brunet, op. cit. ; Corine Cathala, Les communautés ecclésiastiques dans les vallées de Larboust et
d’Oueil au XVIIe siècle (1636-1689), maîtrise d’histoire (S. Brunet, dir.), Université de Toulouse - Le Mirail,
1999.
100. Michel Prost, « Les ecclésiastiques et leurs familles. Étude des structures sociales et des pratiques migratoires en Haut-Dauphiné du XVe au XIXe siècle », Annales de démographie historique, 2004, no 1,
p. 197-214.
101. Les intermédiaires culturels, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, 1978, Paris, Champion, 1981 ;
Jean-Pierre Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois 1760-1848, Lille, PUL, 1987.
102. En Haute-Provence, pays de partage égalitaire, la solution idéale pour maintenir un seul fils
héritier de la maison est également de faire des autres des prêtres (Alain Collomp, « Le statut des cadets
en Haute-Provence avant et après le Code civil », Martine Ségalen et Georges Ravis-Giordani (dir.), Les
cadets, p. 157-167).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
74
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
75
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Faisant écho à saint Vincent de Paul, l’évêque de Comminges, Hugues de Labatut, s’emporte lors du synode de 1641, déclarant que « ce diocèse n’a pas besoin de
tant de prêtres, ny de gens dépourveus des qualités nécessaires pour l’exercice desdits Ordres »103 ! Le diocèse de Comminges participe en effet de ces « châteaux
d’eau » cléricaux, en triplant l’indice moyen de 1 à 2 prêtres formés tous les vingtcinq ans, pour 1 000 habitants dans la France du XVIIIe siècle. Mais ce sont les
7 archiprêtrés de la partie montagnarde du diocèse, qui ne rassemblent que 15,2 %
de la population totale, qui fournissent pourtant 42,9 % des nouveaux prêtres
entre 1712 et 1762. Les deux archiprêtrés du Val d’Aran, avec 3,6 % de la population du diocèse, donnent à eux seuls 20,9 % des prêtres ! Cette prédominance des
paroisses de montagne se poursuit durant la période concordataire.
La première originalité de l’organisation cléricale de ces vallées est la force de
solidarités qui s’inscrivent dans le cadre de l’ensemble de la vallée (Larboust,
Oueil, etc.), ou d’une portion de vallée, quand celle-ci est vaste (Aran, Aure, etc.),
qui reproduit le découpage des archiprêtrés. L’archiprêtré du Haut-Aran correspondait d’ailleurs durant le haut Moyen Âge à une organisation collégiale des fonctions
curiales de l’ensemble des paroisses qui le composaient. Durant la période moderne,
ce sont des confréries à vocation essentiellement obituaire que nous livrent les archives. Elles rassemblent la totalité du clergé séculier, bénéficier ou non, et portent le
nom de « mesaus » (gascon) ou de « taulas » (catalan). À la fin du Moyen Âge et au
cours de la première modernité, la règle non écrite qui transparaît dans la pratique
est que pour les funérailles de tout habitant de la vallée, l’ensemble des prêtres du
mesau est convié. Ils captent également les obits fondés à cette occasion. Outre les
messes qu’il peut commander de sa propre initiative, le défunt bénéficie de la fondation obituaire de sa « maison » (cat. casa ou gasc. ostau), dont la pension est acquittée
par le chef de maison. L’inscription de ce dernier dans la confrérie obituaire est un
acte que l’on peut qualifier de « civique », au même titre que sa participation à
l’assemblée des habitants. On constate cependant tout au long de la période
moderne une tendance au repli des suffrages sur la paroisse, au détriment des solidarités pluriparoissiales. Jointes aux revenus dîmaires, les demandes de messes alimentent un circuit de crédit circonscrit à l’espace des solidarités obituaires qui correspond à celui de la gestion collective des montagnes. Les formes d’organisation des
communautés cléricales, de paroisses et de mesaus diffèrent dans le détail. Elles
103. Profitant de la vacance du siège épiscopal, entre 1638 et 1640, de nombreux clercs « qui
avoient esté refuzés aux Ordres » avaient détourné les nouvelles contraintes de l’examen pour accéder
au sacerdoce, en recevant la prêtrise d’évêques voisins, moins regardants. Ancien official ecclésiastique
et vicaire général de son prédécesseur, Hugues de Labatut réagit avec vigueur (Verbal du synode de
Comenge, 16-18 avril 1641, dans Ordonnances et statuts synodaux du diocèse de Comenge par Ill. et Rév. P. en Dieu
Messire Hugues de Labatut, évesque de Comenge, Toulouse, Boude, 1643). 36 prêtres choisissent d’avouer
immédiatement avoir obtenu le sacerdoce dans un diocèse voisin durant cette vacance, 34 d’entre eux
sont originaires des archiprêtrés montagnards du diocèse, dont 15 du Val d’Aran. Ils seront examinés ;
l’évêque interdit d’exercer à tous ceux qui ne se seront pas signalés.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Dans les Pyrénées centrales : le « capellan de casa » ou « prêtre de la maison »
76
Serge Brunet
visent, dans tous les cas, à offrir des débouchés aux cadets des familles du lieu, et à
restreindre au minimum la capture des biens et revenus d’églises par des individus
ou des institutions extérieurs à la vallée. En Val d’Aran, les chefs de famille, joints
aux prêtres natifs, disposent du patronage actif et passif. Seuls les prêtres originaires
de la paroisse, et à défaut de la vallée, peuvent concourir. Ailleurs, l’absentéisme des
prêtres bénéficiers conduit au même résultat : les clercs présents dans les paroisses
sont exclusivement des enfants du lieu.
« Un jeune prêtre qui veut vivre selon l’esprit de son état, court souvent de grands
dangers dans le sein de sa famille »104.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Au moment d’une réforme grégorienne tardive, de nombreuses paroisses sont
parvenues à conserver sur place une bonne proportion des revenus dîmaires convoités par l’évêque et les chanoines de Comminges. Elles restent attribuées aux fabriques, comme en vallée d’Aure, où les paroisses gardent communément un cinquième, voire un quart de la grosse dîme. Les habitants du Val d’Aran conservent
quant à eux la totalité des dîmes. Au cours du XIVe siècle, par un transfert dont les
modalités précises nous échappent, les dîmes d’Aran détenues par les lignages ont
été rassemblées dans des sortes de « pots communs » paroissiaux, auxquels sont
venus s’adjoindre les revenus obituaires ainsi que diverses offrandes accordées par
l’universitat (communauté d’habitants). Ce mouvement est en harmonie avec la gestion des terres communes (pâturages, forêts) par ces communautés. Chaque chef de
famille ou plutôt de « maison », outre le patrimoine foncier dont il est le détenteur,
par son appartenance à la communauté d’habitants ou de « voisins », participe au
partage des usages et des revenus des terres collectives. Cette jouissance lui permet
de faire pâturer ses bestiaux sur les estives ou bien d’aller couper son bois dans les
forêts. L’organisation des communautés sacerdotales se fait sur la même logique. Le
clerc de la paroisse est ordonné grâce à un document qui fait office de titre clérical
(patrimoni de vila) par lequel la communauté d’habitants déclare qu’elle subviendra
aux besoins du futur prêtre, sur les biens et revenus communs. Lorsqu’il est reçu,
après son ordination, il jouit, outre de ce qu’il lui est apporté par sa famille, en viager, d’une « portion » indivisible de l’ensemble des revenus de la communauté de
prêtres de sa paroisse. Même s’il n’y a dans chaque paroisse qu’un curé, les autres
prêtres étant simplement appelés « portionnaires », ces revenus indivis permettent
d’augmenter ou de restreindre le nombre de prêtres de chaque lieu, suivant
l’évolution démographique et les désirs des familles. Communément, le produit de
l’ensemble des dîmes est partagé de manière égale entre la fabrique et la communauté de prêtres de chaque paroisse. On peut dire que les Aranais gèrent leurs prêtres et les revenus ecclésiastiques comme ils gèrent leurs troupeaux sur les pâturages.
Selon des modalités diverses, les autres vallées ont des pratiques similaires, et les
104. Miroir du clergé, 1797 ; rééd., Besançon-Paris, 1843, p. 109.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Le prêtre dans sa famille
XVIIe
siècle
77
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
communautés de prêtres s’organisent naturellement dans des cadres qui sont ceux
de la paroisse, de la vallée ou d’une portion de vallée.
Le capellan de casa – c’est ainsi que les actes désignent le prêtre du Val d’Aran
durant l’époque moderne – s’il appartient à la communauté de vallée et à la communauté paroissiale, le prêtre fait d’abord partie de sa « maison ». Même si les rudiments sont apportés par des éducateurs proches, et si le séminaire de Comminges
n’est pas installé avant 1712, élever un enfant vers la prêtrise constitue un investissement pour les familles. Il s’agit alors de le rentabiliser. Communément, aux XVIe et
XVIIe siècles, les aînés, qui vont prendre en charge la gestion du patrimoine familial,
et qui seront également amenés à administrer les biens de la communauté, demeurent analphabètes. Leurs cadets concentrent l’effort d’éducation. Ils jouent alors
auprès d’eux le rôle de spécialistes en écritures – et en comptabilités – dans la famille
comme au sein de la communauté paroissiale et de la communauté de vallée. Ils
conservent, savent interpréter et utiliser les actes notariés. Non seulement ils assistent spirituellement les membres de la casa et prient pour ses morts, mais ils défendent les intérêts des vivants. Ils allègent les maisonnées de la charge de trop nombreux enfants en s’occupant des neveux et des nièces enfants de l’hereu de casa
(héritier de la maison). Ils n’oublient jamais de coucher les enfants de l’hereu sur leur
testament, facilitant le mariage des unes en les dotant, l’accès à la prêtrise des autres.
Parrain de multiples fois, le prêtre de la maison évite aussi par là un inceste spirituel de plus en plus contrôlé par les autorités diocésaines, à mesure que se répand
la tenue d’un « registre des confirmés avec le nom et surnom du parrain et de la
marraine, afin d’empêcher plusieurs inconvénients qui se peuvent rencontrer aux
mariages »105. Celui-ci peut, en effet, entraver la stratégie familiale des unions, déjà
contrainte par un système coutumier et des pratiques non écrites, comme celle qui
prohibe le mariage entre héritiers, et des mariages consanguins de plus en plus difficiles à cacher. Toujours supérieurs à 10 % des unions en Val d’Aran, certaines
paroisses bien documentées, comme Casau, révèlent 26 % de mariages qui nécessitent une dispense pour consanguinité, entre 1639 et 1725, mais jusqu’à 61 %
de 1687 à 1723 ! Cela peut expliquer la subite augmentation du nombre des prêtres
parrains dans cette vallée, autant pour les filles que pour les garçons, durant les
années 1680, au moment où l’autorité épiscopale se renforce. Partant de l’ordre de
6 % du total, les prêtres dépassent le tiers du nombre des parrains à la fin du siècle !
Leur proportion chute aussi rapidement, pour pratiquement disparaître après la
publication d’une ordonnance épiscopale de 1724, qui condamne sévèrement cette
pratique106. Une analyse plus fine des familles démontre qu’une parenté naturelle
entre prêtres parrains et filleuls, n’est avérée que dans le tiers des cas, témoignant
d’une pratique qui dépasse les manœuvres étroitement familiales. Si quelques prêtres
(19 %), souvent qualifiés de « vicaires », accumulent les filleuls (54,5 % des baptêmes), l’ensemble de leurs confrères se plie à cette pratique. La reconstitution des fratries montre que le choix d’un prêtre parrain n’est pas un comportement élitiste et
que, si elle se renouvelle dans nombre de couples, elle n’est jamais exclusive. Enfin,
ce n’est que très rarement que le baptisé prend le prénom de son prêtre parrain.
105. Visites pastorales de Barthélemy de Donnadieu de Griet, évêque de Comminges (1627-1632).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les prêtres des campagnes de la France du
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
L’étude des testaments laissés par ces prêtres montre bien que ce ne sont guère que
les neveux et nièces enfants de l’héritier de la maison qui bénéficient de leurs libéralités. Si le bénéfice du parrainage sacerdotal ne semble pas pécuniaire, il peut permettre toutefois de régler la dépense des tributs rituels qui sont exigés des compères,
et dont la valeur double si ceux-ci sont étrangers à la paroisse. Bien qu’officiellement
le parrainage ne donne aucun droit sur l’enfant, dans ces temps de fréquente mortalité, il arrive souvent que le parrain devienne le substitut paternel, et, surtout, le curateur et administrateur des biens de son filleul. Ainsi, un parrain étranger peut se
trouver, indirectement, dans la jouissance de biens et d’usages communs de la
paroisse d’origine de son filleul, ce qui peut justifier ce rite d’agrégation à son égard.
La subite croissance du nombre des prêtres parrains peut enfin participer de
l’inquiétude exprimée par les familles face aux nouvelles exigences imposées à leurs
enfants pour accéder au sacerdoce ; celle-ci culmine avec l’ouverture du séminaire
diocésain. La multiplication des échecs inciterait les familles qui destinent leurs
enfants à l’état ecclésiastique à les placer plus précocement auprès des prêtres de la
vallée.
« Nourri » de la communauté d’habitants, le prêtre portionnaire l’est d’abord de
sa casa. S’il dispose d’une légitime, celle-ci fait systématiquement retour à l’hereu lors
de la rédaction de son testament. Les acquêts viennent alors renforcer la situation
financière de la maison107. Durant sa vie, le prêtre jouit notamment d’un logement
plus ou moins spacieux selon la richesse de la casa, appelé abadia. Simple chambre ou
bien petit édicule adventice à la maison, il est parfois accompagné d’un oratoire qui
devient chapelle privée. Quand la mère veuve doit laisser la place au nouveau couple
d’héritiers, c’est encore le prêtre de la maison qui l’accueille et l’assiste dans ses derniers jours dans son abadia. Comme parfois elle abrite déjà plusieurs générations de
capellans de casa, l’abadia peut s’avérer surpeuplée.
Si le mot « abadia » est inconnu dans les vallées d’Oueil et de Larboust, l’institution n’en existe pas moins. Là, le prêtre vit dans sa borda (étable-fenil). Il y possède
ses bestiaux qui représentent le fruit de ses activités profanes. Cette proximité des
activités pastorales et d’élevage le rapproche de ses autres frères cadets restés laïcs.
Ceux-ci, tant qu’ils demeurent célibataires, sont des « nourris » de la maison, éternels
bergers qui gravitent à sa périphérie : des granges foraines aux estives. Le prêtre jouit
d’un prestige bien supérieur à celui du berger, mais leurs savoirs peuvent malgré tout
s’identifier pour partie. Le maître de la parole et des écrits hermétiques peut devenir
un expert en simples, potions bénéfiques et maléfiques et diverses incantations dia106. « Nul Prêtre ni Clerc de la dite Vallée, ne pourra, hors le cas de nécessité, être parrain au baptême sans une expresse permission par écrit de notre part. Nous leur défendons aussi de porter les
petits enfants en public entre leurs bras, en prenant soin d’eux, pendant que leurs mères ou nourrices
sont absentes pour le travail » (Mandement de Mgr Gabriel-Olivier de Lubière du Bouchet (...), art. 9).
107. « Nous défendons à tous les Prêtres et autres, constituez dans les ordres sacrés de la vallée
d’Aran, de labourer la terre, même de leur propre fonds ; d’aller travailler à couper du bois, fût-ce pour
leur propre usage ; de conduire des bêtes de charge ; de mener paître ou boire toute sorte de bestiaux ;
de les conduire eux-mêmes aux foires ou marchés ; d’aller même aux foires pour y acheter des bestiaux,
pour les revendre ensuite ; de faire des bas à l’éguille en se promenant hors de leurs maisons ; et enfin
de s’employer en public à quelque œuvre servile que ce puisse être » (Mandement de Mgr Gabriel-Olivier de
Lubière du Bouchet (...), art. 11).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
78
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
79
boliques, comme en témoignent les prêtres de la vallée de Barège et du Lavedan
épinglés par la justice108.
Enfin, contrairement au Val d’Aran où l’on peut considérer que le système bénéficial est prohibé, certaines fondations de messes deviennent des chapellenies dont
les revenus sont réservés en priorité aux clercs de la famille du fondateur. Les mesaus
ne captent pas la totalité des revenus obituaires, comme ils le font en Aran, et
l’individualisme familial peut, modérément, s’exprimer.
« L’ecclésiastique a renoncé au siècle, il doit laisser aux séculiers le soin de leurs
affaires séculières »109.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Les communautés de prêtres du Val d’Aran jouent un rôle de mutuelles par le
crédit qu’elles financent par les revenus de fondations de messes. Outre des dispositions individuelles, chaque casa s’acquitte d’une rente (censal) pour une fondation de
messes dont le bénéfice s’étend à l’ensemble de ses membres, vivants et morts. Le
fondateur promet de payer une pension annuelle, en hypothéquant un bien foncier
dont la valeur représente le capital de la rente. Ainsi, lorsqu’un cap de casa meurt, son
héritier opère la lluicio de la fondation, c’est-à-dire qu’il paie une somme correspondant au montant du capital. Aussitôt, il contracte une nouvelle fondation de casa.
Celle-ci ne correspond généralement qu’à un service annuel pour une messe
chantée. Les pensions versées par chaque casa ne s’élèvent guère qu’à 1 à 2 livres
maximum à la fin du XVIIe siècle. Les grosses fondations sont plutôt le fait de prêtres,
qui concentrent ainsi un certain nombre de dettes dont ils sont les créanciers.
Chaque remboursement de capital apporte de l’argent frais à la communauté, qu’elle
s’empresse de placer contre une nouvelle rente constituée. Les intérêts sont communément de 8,33 % jusqu’en 1661, puis de 5 % après un mandement épiscopal. Cette
diminution des taux, favorable aux emprunteurs, ne l’est pas pour les fondateurs. En
effet, alors qu’il fallait verser le montant de 12 annuités (8,33 %) pour se débarrasser
108. Le 6 février 1643, Arnaud Fontbenoist, apothicaire à Esquièze, en vallée de Barège, est pendu
et son corps brûlé sur la place du marché de Luz, à la suite de sa condamnation pour « crimes et maléfices, sortilèges, superstitions et autres execrables ». Dans son réseau apparaissent huit ou neuf prêtres
« magissiens » de Barège, du Lavedan et de Lourdes (Jean-François Le Nail, « L’affaire Fontbenoist »,
Tolérance et solidarités dans les pays pyrénéens, Actes du colloque de Foix pour la commémoration de l’édit de
Nantes, septembre 1998, Foix, Archives départementales de l’Ariège, 2000, p. 513-547.
109. Ordonnances de Monseigneur l’évêque de Lectoure, Agen, Gayau, 1747, p. 93. « Nous leur défendons
[aux clercs] très estroitement de faire aucune négociation ou commerce indigne d’un ecclésiastique,
comme de retenir les testaments des laïques hors d’une extreme nécessité, de servir de procureur, receveur, solliciteur ou œconome de quelque Seigneur que ce soit, de prendre la charge d’exacteur de
deniers royaux, de faire le tavernier ou d’exercer autres semblables vils offices. Nous voulons aussi
qu’ils s’abstiennent d’exercer en aucune façon l’art de médecine ou de chirurgie [...], et défendons à
ceux qui vont estudier dans les Universités de s’appliquer à l’estude de la médecine ou jurisprudence
civile » (Ordonnances et statuts synodaux [...] par [...] Hugues de Labatut évesque de Comenge, Toulouse, Boude,
1642, p. 9-10).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Au service de la communauté d’habitants
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
d’une pension de fondation, il faut désormais payer l’équivalent de 20 annuités
(5 %). Ce renchérissement ne ralentit cependant pas le mouvement de fondations de
messes, qui peut continuer à s’appuyer sur les opérations de crédit. Ainsi, on peut
dire que le crédit offert par les communautés de prêtres contribue non seulement à
la subsistance des prêtres gestionnaires, mais qu’il permet de faire vivre les fondations obituaires. Afin de mieux gérer leurs revenus, de pouvoir suivre les hypothèques et les transports de créances, les communautés de prêtres pratiquent entre elles
des accords de compensation. Par ces opérations de clearing, elles cherchent à garder
les seules fondations de messes et créances de leurs paroissiens. D’autre part, elles
ne conservent jamais les biens fonciers qui leur sont attribués, pour un capital de
rente ou bien à la suite d’une saisie d’hypothèque. Elles les réintroduisent dans le
marché foncier, qui reste toujours fortement « contraint »110. Évitant de devenir
des concurrentes pour les casas, elles ne cherchent nullement à se constituer un
patrimoine foncier, comme le feraient des chapitres, mais elles ne veulent que des
rentes constituées. Disposant d’un numéraire toujours trop rare, elles pratiquent
l’escompte des créances de leurs paroissiens.
Les fabriques, qui disposent en Aran de la moitié des dîmes de chaque lieu, mais
aussi souvent d’un quart et même d’un tiers en vallée d’Aure, font, elles aussi, des
stocks, surtout de grains. Elles les prêtent, là encore, dans le cercle prioritaire étroit
des paroissiens111.
Gardien des archives familiales, le prêtre l’est aussi pour les archives des communautés d’habitants. Il est notaire, mais aussi secrétaire des assemblées, non seulement témoin, syndic, mais encore arbitre. L’extension de ses attributions protectrices va jusqu’aux pratiques d’exorcisme contre les orages destructeurs de récoltes
et autres fléaux. Des édifices spécifiques, orientés, servent à cet usage. Ils sont appelés conjuradors ou plus souvent comonidós. Ce second vocable rappelle l’usage de ces
édifices élevés dans le cimetière pour permettre également à ces clercs de partager
des repas en commun que les communautés d’habitants leur offrent à différentes
occasions de l’année, comme lors de l’afferme des tavernes, des estives, ou bien
pour certaines fêtes religieuses. « Nourris » de leurs familles, ces prêtres le sont aussi
de leur communauté d’habitants.
Dans les vallées d’Oueil et de Larboust, si les ressources des mesaus sont moins
importantes qu’en Aran, elles permettent également des opérations de crédit, qui
s’avèrent bien nécessaires dans les temps de crise, comme durant les années pesteuses 1652-1653. Dans les archives notariales, les prêts d’argent aux particuliers et aux
communautés sont plutôt le fait de prêtres qui agissent indépendamment de leur
mesau, sur leurs revenus propres. Certains d’entre eux semblent se spécialiser dans
les contrats de gazaille (bail à cheptel, à demi-perte et profit), qui sont bien en accord
avec leurs activités d’élevage.
110. Laurence Fontaine, « Le marché contraint, la terre et la révocation de l’édit de Nantes dans
une vallée alpine », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, t. XXXVIII, 1991, p. 275-293.
111. Serge Brunet, « Gestion de fabriques et communautés montagnardes : le cas du Val d’Aran,
milieu XVIIe - début XVIIIe s. », Bernard Plongeron et Pierre Guillaume (éd.), De la charité à l’action sociale :
religion et société, Actes du 118e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, section
d’histoire moderne et contemporaine, Pau, 25-29 octobre 1993, Paris, Éd. du CTHS, 1995, p. 93-105.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
80
Les prêtres des campagnes de la France du
XVIIe
siècle
81
Les prêtres des mesaus du haut Comminges jouent un rôle déterminant en matière
d’enseignement. Devant les nouvelles exigences pour l’accession au sacerdoce, des
écoles sont fondées dans le cadre de la vallée. Les prêtres en sont les fondateurs et
les régents avec un souci de conserver aux enfants des vallées le débouché de la
cléricature.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Nous percevons l’effet de la frontière politique en Comminges. Les effets de la
réforme catholique se font ressentir plus précocement sur le versant français des
Pyrénées qu’en Val d’Aran. Là les prêtres se révoltent au cours de la Guerra dels Segadors (1640-1652) et à nouveau durant la guerre de Succession d’Espagne et l’autorité
de l’évêque a bien du mal à s’imposer sur la frontière. Il faudra attendre le
XVIIIe siècle, la rencontre de la modernisation de l’État espagnol, du centralisme
bourbonien, avec l’effort disciplinaire des évêques de Comminges.
Dans les vallées françaises, le rythme est plus rapide. Les évêques de Comminges
s’accordent avec le Père jésuite Jean Forcaud, d’Auch, fondateur de la « Mission des
Pyrénées ». Partout, les missionnaires installent des confréries du Saint-Sacrement
qui absorbent les anciennes sodalités. Elles exercent un véritable contrôle sur la gestion municipale, assurant le respect de la séparation entre les comptes des fabriques
et ceux des communautés profanes, ordonnée par l’évêque. Elles prennent également l’aspect d’une sorte de tribunal des mœurs, qui stigmatise notamment certains
comportements festifs.
Visites pastorales et missions s’attachent efficacement à convertir les mesaus en
congrégations foraines, conférences mensuelles pour l’instruction des clercs. Le
mesau de Larboust devient la confrérie Notre-Dame de Garin, le mesau d’Oueil est
scindé en deux : la confrérie du Saint-Sacrement, à Saint-Paul, et la confrérie de la
Vierge Marie, à Cirès. Les évêques exigent la résidence des curés, que Gilbert de
Choiseul s’efforce donc de choisir à l’extérieur du diocèse, alors que le nombre de
clercs par paroisse tend à diminuer, même si les familles continuent à en produire
beaucoup. La lutte contre l’envahissement des dévotions aux morts et le contrôle
disciplinaire, joints au renchérissement du coût des études, incitent les clercs commingeois à émigrer. À la fin du XVIIe siècle, les mesaus ont déjà disparu. Les cadets en
surnombre s’orientent vers d’autres voies que la cléricature. Au XVIIIe siècle, ils vont
travailler en Espagne, particulièrement à Saragosse. Comme jadis les prêtres, ils sont
des dispensateurs de numéraires et jouent un rôle non négligeable dans les luttes
d’influence entre les maisons. Au siècle suivant, ces cadets quelque peu savants
investissent sans partage le commerce de colportage de librairie. On les retrouvera
encore parmi les instituteurs.
Mais l’adaptation des stratégies des familles « productrices » de prêtres ne doit pas
être interprétée comme une simple réaction à l’attaque de l’État et de l’Église contre
une forme d’équilibre trouvé dans des échanges de services entre les casas et leurs
prêtres. Le système se désagrège également de l’intérieur. Plusieurs indices témoignent d’une contestation de l’ « ordre des maisons ». Les cadets sont de plus en plus
nombreux à tester au cours du XVIIIe siècle. On remarque aussi que les dotés, qui
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
Une réforme catholique différenciée
Serge Brunet
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
semblaient mourir le plus souvent avant d’avoir obtenu le paiement de la totalité de
leur dû, exigent désormais une tercera part pour leurs obsèques. Celle-ci correspond
au tiers de la valeur de la dot. Cette « autonomisation » à l’article de la mort témoigne
d’une mise à distance de leurs propres intérêts à l’égard de ceux de leur maison. Les
cadets de Larboust qui reviennent d’Espagne avec du numéraire, au XVIIIe siècle,
cherchent à fonder leur propre maison plutôt qu’à renforcer leur ostau d’origine, qui
fait souvent les frais de cette ambition. L’arsenal des coutumes des « systèmes à maison » est remis en cause par les exclus, au moment de la transition démographique112.
On note des fissures dans l’édifice de la casa-ostau, bien avant le Code civil. D’une
manière générale, le statut spécifique de lettré du prêtre natif se délite, accompagnant les progrès de l’alphabétisation. Sa place de secrétaire des assemblées ou simplement de témoin des actes tend à s’effacer, contestée également par sa hiérarchie113. Ainsi, à Vielha (Val d’Aran), 420 mariages sont célébrés, entre 1664
et 1795. Dans les années 1664 à 1687, 27,5 % des témoins sont des prêtres. Ils ne
sont plus que 14 % dans les années 1688 à 1702, 8,6 % de 1710 à 1751, puis ils disparaissent totalement.
Alors que les fondations de messes se maintiennent malgré tout dans cette vallée
d’Aran toujours excédentaire en prêtres, elles se tarissent assez brutalement dans les
vallées françaises. C’est là la fin de cette « économie de la mort », un bon siècle avant
le Val d’Aran. La frontière politique et les événements diplomatiques et militaires
expliquent pour beaucoup cet étonnant décalage au sein d’un même diocèse.
Les hautes vallées du Comminges, comme la Vallouise, révèlent la spécificité de
l’organisation sacerdotale de ces pays de montagne qui, selon des modalités diverses,
tendent à conserver un débouché pour leurs migrants lettrés, mais aussi le maximum
de contrôle des biens et revenus de leurs églises. Elles témoignent aussi de la résistance et surtout des capacités d’adaptation des familles au défi d’une Église et d’un
État réformateurs. C’est donc d’abord une différence de rythme qui signale, à
l’époque moderne, l’originalité du comportement de certains clergés montagnards.
Plus largement, nous mesurons combien la Réforme catholique, dans des campagnes fort contrastées, a soumis le prêtre rural non seulement à de nouvelles migrations mais à une profonde métamorphose à laquelle participe toute la société
environnante.
Serge BRUNET,
Université Paul-Valéry - Montpellier III.
112. André Etchélecou, Transition démographique et système coutumier dans les Pyrénées occidentales, Paris,
Éd. INED-PUF, 1991.
113. « Nul prêtre ni clerc ne servira d’avocat ou conseil, et ne pourra être syndic des communautés » (Mandement de Mgr Gabriel-Olivier de Lubière du Bouchet, évêque de Comenge pour les habitants de la vallée
d’Aran (Espagne), donné à Vielha, le 26 août 1724).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 88.126.140.206 - 29/05/2015 08h42. © Presses Universitaires de France
82