La main dans le sac
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La main dans le sac
france arménie BP 3365 69405 Lyon Cedex 03 Tél : 04 72 33 24 77 Fax : 04 72 34 59 05 e-mail : [email protected] site web : www.france-armenie.fr Edition FRANCE-ARMÉNIECOMMUNICATION Fondateurs : Mihran Amtablian, Kévork Képénékian, Jules Mardirossian, Vahé Muradian Directrice de la publication : Maral Assadourian Pages en langue française Rédacteur en chef Varoujan Sarkissian Collaborateurs de ce numéro Nouné Abrahamyan,Arminé Adjamian, Paul Adjamian, Sevan Ananian, Amandine Arzoumanian, Zmrouthe Aubozian,Ara Babanian, Stéphanie Bagdikian, Laure Canosa-Lastricati Florence Gopikian-Yérémian, Jean-Claude Gorizian, Guiliguia Jilda Hacikoglu, Hoviv, Dikran Karaoglanian, Mariam Khatlamajyan,Ara Krikorian, Varoujan Mardikian, Edouard Mardirossian, Jules Mardirossian, Elise Oskian-Yéchichian, Léontine Ozkirizyan, Kayané Pekmezian, Sévane Seropian, Max Sivaslian, Jean Yérémian. Pages en langue arménienne Rédacteur en chef adjoint Vartan Kapriélian Rédacteurs de ce numéro Arminé Adjamian, Sirvart Saboundjian, Angela Sahakian. Secrétaire de rédaction et conception graphique Véronique Sanchez-Chakérian Responsables régionaux Paris Varoujan Sarkissian Lyon Zmrouthe Aubozian Marseille Alice Derderian Régie publicitaire : France entière : Odette Eutudjian 06 22 12 22 40 Imprimerie IMAV - Feyzin Commission Paritaire des journaux et publication n° 64545 Reproduction interdite de tout article, photo ou document sans l’accord de l’administration du journal. La rédaction n’est pas responsable des documents qui lui sont adressés spontanément. La main dans le sac “Et cette loi 305 du nouveau code pénal qui interdit d’évoquer dans les médias turcs le Génocide arménien et l’occupation de Chypre ?...”, interroge Bayrou, mû depuis plusieurs mois en spécialiste de la question turque. Son interlocuteur " en duplex d’Ankara " ne scille pas.Tout juste la large poitrine du n°2 Turc ornée d’une cravate rouge s’écarte-t-elle pour marquer une respiration. “Mais la loi 305 ne dit pas une telle chose, répond avec calme Abdullah Gül. Nulle part n’est fait mention d’une telle interdiction”. A voir l’expression sur le visage de Bayrou, on comprend qu’il ne s’attendait pas à recevoir ce coup-là. Christine Ockrent non plus – aussi rôdée soit-elle. Malaise sur le plateau. Ce n’est pas tous les jours qu’un responsable politique ment avec un tel aplomb sur un point qui aurait pu (et qui aurait dû) être vérifié dans la seconde. Alors, ce que découvre sans doute à cet instant François Bayrou, relayé implicitement au rang d’affabulateur, c’est l’expérience intime du négationnisme. Cette expérience qui fait la spécificité arménienne (elle aurait été complète si les racines de François Bayrou s’étaient situées quelque part en Anatolie) : devoir fournir, encore et toujours, des pièces à conviction quand bien même il reviendrait à la partie adverse de s’expliquer. Sur l’instant, le bluff engagé par le ministre turc est tel que ni Bayrou ni Ockrent ne songe à venir s’y frotter. Un quart de seconde suffit pour que le doute instille son effet tétanisant. Gageons qu’on n’y reprendra pas une deuxième fois le patron de l’UDF, désormais condamné à circuler sur les plateaux de télévision muni d’un code pénal turc. Autre scénario possible : qu’aurait fait Gül si le leader français avait brandi le texte de loi original et lui avait demandé de le traduire aux téléspectateurs, là, en direct ? Probablement la même chose que dans la séquence précédente. Il aurait lancé à la face de son interlocuteur comme du public le plus outrecuidant des mensonges sans davantage risquer d’être interpellé. Un de ces mensonges d’Etat qui confère à son porte-parole l’immunité diplomatique et que la seule preuve, sans un rapport de force véritablement équitable, ne peut suffire à éradiquer. Les uns et les autres ne jouent donc pas aux mêmes règles.Telle est la leçon que les Français ont appris ce soir-là à leur dépens. Tandis qu’il semble difficile, de ce côté-ci de l’Europe, de remettre directement en doute la parole d’un dirigeant étranger, rien ne semble empêcher les propagandistes d’Ankara de soumettre médias et décideurs à leurs thèses en prétextant les règles de l’hospitalité. Et tandis que certains cherchent les frontières de l’Europe du côté du Bosphore, ils en oublient ce qui distingue véritablement les deux rives : leur culture politique respective. C’est en substance ce que dénonce Vartan Oskanian lorsqu’il ne “juge pas digne” la candidature turque et lorsqu’il appelle les Européens à jauger Ankara avant tout sur ses actes. Enfin, le ministre arménien des Affaires étrangères a raison de répéter que la sécurité de l’Arménie n’est pas assurée tant qu’elle trouve à sa frontière un Etat négationniste. Comment la Turquie pourrait-elle prétendre respecter les frontières alors même que ses dirigeants opèrent avec la réalité des arrangements dignes des régimes soviétiques ? Comment, dans ces conditions, tendre la main ? Et à qui ? Les maîtres ès tolérance qui reprochent si souvent aux Arméniens – au moins implicitement – de ne pas passer l’éponge, ont oublié une chose essentielle. Pour dialoguer, il faut être deux. Il faut aussi que les mots aient un minimum de sens pour chacune des parties et qu’ils ne soient pas utilisés systématiquement comme des armes de désinformations massives.Tel est l’autre versant de l’expérience arménienne : être seul à aspirer à la paix - celle des mémoires - se voir dénier cette aspiration. En stigmatisant l’exigence de vérité formulée par les Arméniens comme une obsession maladive, les tartuffes de la réconciliation ne font rien d’autre que relayer le Génocide de 1915 au rang de point de détail. Pire : ce faisant, ils n’aident pas les dirigeants turcs à se réconcilier avec la réalité – à l’instar de commissaires européens trop frileux pour parler de "Génocide" dans leur rapport du 6 octobre dernier. Reste un effet éminemment positif du rapprochement des deux rives. Et non des moindres ! En s’invitant à la table des Européens, la Turquie prend le risque de se découvrir. Pour autant que le spectacle offert à France Europe Express, ce 12 octobre-là, ait été affligeant, il aura permis de prendre un dirigeant turc la main dans le sac, face à des millions de témoins. Un flagrant délit de mensonge d’autant plus accablant pour la Turquie qu’il éclate au nez et à la barbe des acteurs politiques français, désormais contraints de prendre toute la mesure du négationnisme turc d’Etat. En retour, les représentants d’Ankara se voient interpellés comme jamais sur leurs responsabilités historiques. Tendre la main : c’est pourtant bien ce que les citoyens d’origine arménienne font. En direction, naturellement, de tous ceux qui confèrent à la parole encore une valeur.Tel est donc le véritable défi : ne pas céder à la tentation du repli, à la méfiance systématique, voire, pire encore, à l’accoutumance au mensonge.Voilà une ardeur que 90 ans de discours négateur et débilitant n’ont pas réussi à détruire. En multipliant leurs actions auprès des acteurs politiques et des communautés de mémoires, à Lyon, Paris ou Bruxelles, en partageant leur expérience, les Arméniens multiplient l’espoir de changement.A Bruxelles, tout d’abord : ils formulent leur revendication au cœur des institutions de l’Union à l’occasion de leur première Convention.A Lyon, ensuite, ils convient les "peuples victimes" à rompre le silence orchestré autour des crimes de "seconde catégorie" et créent entre tous une nouvelle solidarité.A Paris, enfin, devant l’Assemblée, ils se font les supporters de la fronde parlementaire qui devrait aboutir à un vote "sauvage" sur le dossier turc. Certains escomptaient une lassitude arménienne. Or, c’est bien tout le contraire. Dix-sept ans après le vote de Strasbourg et à un mois du Sommet des chefs d’Etat, jamais ils n’ont été aussi désireux d’entendre et de se faire entendre. Les Arméniens ne sont pas “les derniers défenseurs de l’Europe”, comme le dit le député André Santini, mais bien les premiers. Ils sont à l’avant-garde de cette “Europe éthique” . Et d’autres suivront. Varoujan Sarkissian FranceArménie / novembre 2004 7