La main dans le sac

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La main dans le sac
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arménie
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La main dans le sac
“Et cette loi 305 du nouveau code pénal qui interdit
d’évoquer dans les médias turcs le Génocide arménien et
l’occupation de Chypre ?...”, interroge Bayrou, mû depuis
plusieurs mois en spécialiste de la question turque. Son
interlocuteur " en duplex d’Ankara " ne scille pas.Tout juste
la large poitrine du n°2 Turc ornée d’une cravate rouge
s’écarte-t-elle pour marquer une respiration. “Mais la loi 305
ne dit pas une telle chose, répond avec calme Abdullah Gül.
Nulle part n’est fait mention d’une telle interdiction”. A
voir l’expression sur le visage de Bayrou, on comprend qu’il
ne s’attendait pas à recevoir ce coup-là. Christine Ockrent
non plus – aussi rôdée soit-elle. Malaise sur le plateau. Ce
n’est pas tous les jours qu’un responsable politique ment
avec un tel aplomb sur un point qui aurait pu (et qui aurait
dû) être vérifié dans la seconde.
Alors, ce que découvre sans doute à cet instant François
Bayrou, relayé implicitement au rang d’affabulateur, c’est
l’expérience intime du négationnisme. Cette expérience qui
fait la spécificité arménienne (elle aurait été complète si les
racines de François Bayrou s’étaient situées quelque part en
Anatolie) : devoir fournir, encore et toujours, des pièces à
conviction quand bien même il reviendrait à la partie adverse
de s’expliquer. Sur l’instant, le bluff engagé par le ministre
turc est tel que ni Bayrou ni Ockrent ne songe à venir s’y
frotter. Un quart de seconde suffit pour que le doute instille
son effet tétanisant. Gageons qu’on n’y reprendra pas une
deuxième fois le patron de l’UDF, désormais condamné à
circuler sur les plateaux de télévision muni d’un code pénal
turc.
Autre scénario possible : qu’aurait fait Gül si le leader
français avait brandi le texte de loi original et lui avait
demandé de le traduire aux téléspectateurs, là, en direct ?
Probablement la même chose que dans la séquence
précédente. Il aurait lancé à la face de son interlocuteur
comme du public le plus outrecuidant des mensonges sans
davantage risquer d’être interpellé. Un de ces mensonges
d’Etat qui confère à son porte-parole l’immunité
diplomatique et que la seule preuve, sans un rapport de force
véritablement équitable, ne peut suffire à éradiquer. Les uns
et les autres ne jouent donc pas aux mêmes règles.Telle est la
leçon que les Français ont appris ce soir-là à leur dépens.
Tandis qu’il semble difficile, de ce côté-ci de l’Europe, de
remettre directement en doute la parole d’un dirigeant
étranger, rien ne semble empêcher les propagandistes
d’Ankara de soumettre médias et décideurs à leurs thèses en
prétextant les règles de l’hospitalité. Et tandis que certains
cherchent les frontières de l’Europe du côté du Bosphore, ils
en oublient ce qui distingue véritablement les deux rives : leur
culture politique respective. C’est en substance ce que
dénonce Vartan Oskanian lorsqu’il ne “juge pas digne” la
candidature turque et lorsqu’il appelle les Européens à
jauger Ankara avant tout sur ses actes. Enfin, le ministre
arménien des Affaires étrangères a raison de répéter que la
sécurité de l’Arménie n’est pas assurée tant qu’elle trouve à sa
frontière un Etat négationniste. Comment la Turquie
pourrait-elle prétendre respecter les frontières alors même
que ses dirigeants opèrent avec la réalité des arrangements
dignes des régimes soviétiques ?
Comment, dans ces conditions, tendre la main ? Et à qui ?
Les maîtres ès tolérance qui reprochent si souvent aux
Arméniens – au moins implicitement – de ne pas passer
l’éponge, ont oublié une chose essentielle. Pour dialoguer, il
faut être deux. Il faut aussi que les mots aient un minimum de
sens pour chacune des parties et qu’ils ne soient pas utilisés
systématiquement comme des armes de désinformations
massives.Tel est l’autre versant de l’expérience arménienne :
être seul à aspirer à la paix - celle des mémoires - se voir
dénier cette aspiration. En stigmatisant l’exigence de vérité
formulée par les Arméniens comme une obsession maladive,
les tartuffes de la réconciliation ne font rien d’autre que
relayer le Génocide de 1915 au rang de point de détail. Pire :
ce faisant, ils n’aident pas les dirigeants turcs à se réconcilier
avec la réalité – à l’instar de commissaires européens trop
frileux pour parler de "Génocide" dans leur rapport du 6
octobre dernier. Reste un effet éminemment positif du
rapprochement des deux rives. Et non des moindres ! En
s’invitant à la table des Européens, la Turquie prend le risque
de se découvrir. Pour autant que le spectacle offert à France
Europe Express, ce 12 octobre-là, ait été affligeant, il aura
permis de prendre un dirigeant turc la main dans le sac, face
à des millions de témoins. Un flagrant délit de mensonge
d’autant plus accablant pour la Turquie qu’il éclate au nez et
à la barbe des acteurs politiques français, désormais
contraints de prendre toute la mesure du négationnisme turc
d’Etat. En retour, les représentants d’Ankara se voient
interpellés comme jamais sur leurs responsabilités
historiques.
Tendre la main : c’est pourtant bien ce que les citoyens
d’origine arménienne font. En direction, naturellement, de
tous ceux qui confèrent à la parole encore une valeur.Tel est
donc le véritable défi : ne pas céder à la tentation du repli, à la
méfiance systématique, voire, pire encore, à l’accoutumance
au mensonge.Voilà une ardeur que 90 ans de discours
négateur et débilitant n’ont pas réussi à détruire. En
multipliant leurs actions auprès des acteurs politiques et des
communautés de mémoires, à Lyon, Paris ou Bruxelles, en
partageant leur expérience, les Arméniens multiplient l’espoir
de changement.A Bruxelles, tout d’abord : ils formulent leur
revendication au cœur des institutions de l’Union à
l’occasion de leur première Convention.A Lyon, ensuite, ils
convient les "peuples victimes" à rompre le silence orchestré
autour des crimes de "seconde catégorie" et créent entre tous
une nouvelle solidarité.A Paris, enfin, devant l’Assemblée, ils
se font les supporters de la fronde parlementaire qui devrait
aboutir à un vote "sauvage" sur le dossier turc. Certains
escomptaient une lassitude arménienne. Or, c’est bien tout le
contraire. Dix-sept ans après le vote de Strasbourg et à un
mois du Sommet des chefs d’Etat, jamais ils n’ont été aussi
désireux d’entendre et de se faire entendre. Les Arméniens ne
sont pas “les derniers défenseurs de l’Europe”, comme le dit
le député André Santini, mais bien les premiers. Ils sont à
l’avant-garde de cette “Europe éthique” . Et d’autres
suivront.
Varoujan Sarkissian
FranceArménie / novembre 2004
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