Etude d`œuvre : L`Assommoir de Zola

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Etude d`œuvre : L`Assommoir de Zola
Fiche Cours
Nº : 91021
FRANÇAIS
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LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE
Etude d’œuvre :
L’Assommoir de Zola
Plan de la fiche
1. L’espace dans le roman
2. La structure dramatique et les personnages
3. Réalisme et mythologie
4. L’enjeu idéologique de L’Assommoir
L’espace dans le roman
Dès le début du roman, Gervaise est prisonnière du milieu du faubourg, entre un abattoir et un hôpital. Elle est abandonnée
par Lantier et attend son destin, dans un monde clos et sinistre. La nature est absente de cet univers et Gervaise doit toujours
supporter le regard des autres qui l’assiègent et la jalousent. Elle se sent écrasée face à la grande maison ouvrière aux « murailles
grises, mangées d’une lèpre jaune » et dont la promiscuité annonce l’évocation hallucinante des immeubles prolétariens bon marché
dans Voyage au bout de la nuit de Céline. Cette maison est un labyrinthe, et la cage d’escalier un puits noir.Tombée dans la déchéance,
Gervaise doit loger dans « le coin des pouilleux » puis, misérable, s’installer dans une niche sous l’escalier, à la fin du roman. La crasse
envahit tout, depuis le tri du linge sale au chapitre 5, jusqu’au moment où Gervaise ne se lave même plus. Outre la boutique de
Gervaise à l’air putride, nous découvrons le lavoir où l’on s’affronte à coups de battoir ainsi que L’Assommoir, le café du père
Colombe dont nous verrons plus loin la dimension mythologique : « travailleur morne, cuisant et muet » animé d’un ronflement
intérieur, cette « machine à saouler » exerce une influence fatale sur le milieu ouvrier. Quant au quartier, il engloutit chaque jour sa
ration de travailleurs, comme le Voreux de Germinal. Le Louvre, enfin, parcouru le jour de la noce, représente le temple de la culture
bourgeoise et esthétisante, totalement étranger à la classe ouvrière.
La structure dramatique et les personnages
Nous assistons à l’installation convenable de Gervaise puis à sa décadence. Au début du roman, l’ouvrière rêve d’une vie décente
et heureuse et reçoit dans sa boutique, au chapitre 7. Mais dès le retour de Lantier, la situation se dégrade. Sa volonté s’affaiblit et
Gervaise devient victime du déterminisme du milieu, sans oublier la tare de son hérédité en tant que fille de l’ivrogne Macquart.
Dans le premier versant du roman, la vertu de l’économie l’emporte : le profit du travail est accumulé dans un livret de caisse
d’épargne. Mais la fête de l’oie marque l’irruption de la dépense. On se laisse aller à la dette et à la paresse, jusqu’au délire de
Coupeau à l’hôpital, dont les postures grotesques évoquent le carnaval, le cirque, la foire populaire ou le bal des Barrières.
Les personnages ne peuvent échapper aux déterminismes sociaux et il est commun de critiquer leur manque de psychologie
individuelle. Ils sont les produits types de leur milieu et forment des groupes, comme la noce ou le quartier. Gervaise est le
personnage le plus individualisé, tout est vu par elle selon ses sentiments : elle perçoit par exemple l’alambic comme un monstre
dangereux. Elle est sensible à l’animation de la forge de Goujet. Du point de vue de l’intervention du narrateur dans le roman,
Zola choisit la focalisation interne, ce qui le distingue de Balzac qui multiplie les interventions du narrateur omniscient, véritable
romancier démiurge. Gervaise est au centre du roman. Elle se souvient de scènes vécues et revoit son passé, par exemple le jour où
elle boit de l’alcool pour la première fois chez le père Colombe. L’art des contrastes et le regard des autres personnages soulignent
sa déchéance. Des retours thématiques expriment son désir de mener une vie petite-bourgeoise, ou bien la peur de l’avenir et de la
mort annoncée par le croque-mort, le père Bazouge. C’est autour d’elle que s’organisent et se succèdent les temps forts du roman
qui contrastent avec la routine ouvrière : la noce et le parcours dans Paris, la fête de l’oie et la communion de Nana.
L’inaction de Coupeau après son accident, la paresse et l’ivresse font que le zingueur échoue à s’en sortir. L’eau-de-vie, le « tordboyaux » animalise l’homme et le pousse à la violence. C’est ainsi que le père de Lalie Bijard bat férocement sa fille : « Ça rentrait
dans sa tâche de tous les jours d’être battue… Jamais on ne se douterait des idées de férocité qui peuvent pousser au fond d’une cervelle
de pochard. » L’horizon du roman reste toujours matérialiste, c’est celui des instincts, des intérêts, des appétits. Comme l’alcool, la
nourriture est un moyen d’évasion : elle permet de « prendre du bon temps ». La noce et la fête sont des festins, mais peu à peu la
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misère l’emporte dans les derniers chapitres du roman, avec la faim. Contre l’aliénation, Gervaise cherche sans cesse des refuges,
se mettant en ménage avec Coupeau. Au début du roman, elle convoite « un trou un peu propre pour dormir ». Ensuite, la boutique
apparaît comme un monde clos et familier : l’atelier de Goujet est protecteur. Mais la déchéance et le ramollissement mènent
Gervaise au « coin des pouilleux » et à la niche du père Bru.
Zola multiplie les scènes de la vie populaire. La représentation des blanchisseuses, du monde de la rue et des boulevards fait
penser aux peintres impressionnistes, sensibles aux mouvements de la ville, à la modernité et attachés à rendre les perceptions du
promeneur.
Réalisme et mythologie
Romancier du réalisme social, Zola explore la culture populaire, les us et coutumes du petit peuple des faubourgs, alors que Hugo
privilégie des individualités sublimes comme Jean Valjean ou Gavroche. L’Assommoir jette un regard « ethnologique » sur les attitudes
ouvrières face au travail, à l’argent, à la religion et à l’avenir : « C’est vilain de boire » affirme Gervaise.
De plus, fondant ainsi la tradition du roman populiste qui va se développer avec Charles-Louis Philippe, Eugène Dabit (Hôtel du
Nord) et Céline, Zola emploie le parler populaire qui choque le bon goût bourgeois. Balzac et Hugo avaient déjà prêté attention à ce
langage. Hugo avait raillé le « bon goût, précaution prise par le bon ordre » (William Shakespeare). Comme Céline plus tard, Zola retient
les formes les plus significatives du langage populaire, en évitant toutefois de le restituer exhaustivement. Ce choix contribue à la
vérité romanesque, sans se limiter à un simple parler pittoresque. Zola ne distingue pas non plus sa voix de narrateur de celle de ses
personnages. Il ne fait aucun commentaire extérieur à la manière de Balzac et emploie très souvent le style indirect libre. Souvent,
Gervaise et Zola semblent penser à voix haute, inaugurant ainsi un type de roman parlé.
L’intérêt du roman réside dans la métamorphose du réel et le dépassement du projet naturaliste. Zola utilise certaines figures
mythiques primordiales, comme celle de la chute de Gervaise qui se laisse glisser dans la déchéance : « même la saleté était un nid
chaud où elle rêvait de s’accroupir ». Par ailleurs, les métaphores animales sont nombreuses dans L’Assommoir, comme le montre
le choix des noms des personnages : Lerat, Poisson, Putois… Les ouvriers apparaissent comme des bêtes de sommes attelées
à un « collier de misère ». Gervaise veut seulement survivre comme un animal heureux. Face à elle, Madame Lorilleux ressemble
à un insecte vorace et antipathique, relevant du bestiaire de Zola qui distingue les carnassiers profiteurs du temps et les figures
légendaires de tueurs sournois : rats, araignées ou serpents. Dans ce repas rabelaisien qu’est la fête de l’oie où le vin coule à flots,
les convives, animalisés, dévorent à pleines dents le volatile rôti et gras à souhait, selon l’importance sociale qu’ils s’attribuent.
L’oie est une métaphore de Gervaise elle-même puisque « les Lorilleux auraient englouti le plat ; la table et la boutique afin de ruiner la
Banban d’un coup […] toute la nuit un chat croquant les os, acheva d’enterrer la bête avec le petit bruit de ses dents fines. » La référence
au cannibalisme est présente dans le roman. Lantier veut vivre aux dépens de ses maîtresses successives : « Il venait de manger une
blanchisseuse ; à présent, il croquait une épicière… ce matin-là digérait-il encore les Coupeau qu’il mangeait déjà les Poisson… une boutique
avalée, il entamait une seconde boutique. »
Elément central de la mythologie zolienne, l’alambic dans le café du père Colombe est animé d’une vie intérieure sourde et
fascinante. De forme étrange, il distille une « sueur d’alcool » capable d’inonder tout Paris. Comme le Voreux dans Germinal et La
Lison, la locomotive de La Bête humaine, l’alambic est une machine, un ventre à l’intérieur complexe, recélant une vie infernale
et ténébreuse, face à laquelle les hommes sont impuissants. L’alambic est une machine-monstre dont les mystérieuses entrailles
fascinent : « à peine entendait-on un souffle intérieur, un ronflement souterrain, c’était comme une besogne de nuit faite en plein jour. »
D’autres machines-monstres sont présentes, par exemple dans l’atelier de Goujet. L’alcool distillé et avalé par Coupeau et ses
amis, « Boit sans soif » et « Mes bottes », mène l’ouvrier au rang de l’animalité, autre univers mythique. Il parvient à la condition de
« cochon », mot souvent employé par Gervaise. Coupeau est totalement dépendant de l’alambic et cette addiction s’apparente à
une dévotion, à un culte religieux. « Travailleur morne, puissant et muet… avec les reflets éteints de ses cuivres », l’alambic est séparé
des clients par une barrière de chêne, tout comme l’autel dans le culte traditionnel : « On faisait queue devant L’Assommoir du père
Colombe, allumé comme une cathédrale pour une grande messe, et, nom de Dieu ! On aurait dit une vraie cérémonie. On célébrait la SainteTouche, quoi ! une sainte bien aimable, qui doit tenir la caisse au paradis. »
L’enjeu idéologique de L’Assommoir
Zola ne peint pas exactement le prolétariat industriel et la lutte des classes comme il le fera dans Germinal. Les militants
révolutionnaires sont absents de ce roman qui décrit plutôt la vie des artisans parisiens, même si, à côté du monde de la boutique,
des formes de travail moderne (sans la métallurgie par exemple) commencent à se développer. Nous ne sommes plus dans le Paris
de Balzac. Dans ce quartier, on ne s’engage pas, on ne lit pas les journaux. On a été déçu par 1848. Toutefois, loin de se limiter
au tableau « réactionnaire » d’ouvriers alcooliques et fainéants, Zola mène un réquisitoire contre la misère, en insistant sur les
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déterminismes du milieu. Il montre la déchéance de Coupeau et de Gervaise qui sont au départ des individus de nature moyenne et
qui auraient pu vivre différemment. La volonté et le travail ne parviennent pas à les tirer d’affaire. Il en résulte la nécessité implicite,
pour Zola, de réformes sociales susceptibles de corriger cet univers dégradant dans les domaines du travail, du logement et de
l’éducation. En effet, le développement du capitalisme au XIXe siècle paraît plus défavorable à l’ouvrier que les anciennes structures
corporatives.
Reste la valeur de la peinture naturaliste soulignée par Céline dans un discours d’hommage à Zola prononcé à Médan en 1933 :
« depuis L’Assommoir, on n’a pas fait mieux ». Ecrit « en haine du goût », L’Assommoir est le premier roman, depuis Rabelais et Rétif
de la Bretonne, dans lequel on sent l’odeur et la sueur du peuple, on entend la rumeur des rues. La prose, la grande prose française,
s’y nourrit des instincts et des expériences de l’être humain dans leur pureté et leur violence originelles : la faim, le sexe, le plaisir,
la gaieté, le travail, la misère, la souffrance, la folie, la déréliction et la mort.
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