à la manière de JACQUES VILLEGLE.

Transcription

à la manière de JACQUES VILLEGLE.
JACQUES VILLEGLÉ
AFFICHE & ALPHABET 1956 / 2013
MUSÉE DE L
OUVIERS
16 MAI AU 1er
NOV
2015
DOSSIER PEDAGOGIQUE
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Jacques Villeglé
Affiche & Alphabet, 1956 - 2013
Présente dans de nombreux musées et exposi ons à travers le monde,
l’œuvre de Jacques Villeglé (né en 1926), a été consacrée par une rétrospec ve
« La comédie urbaine » au Centre Pompidou Paris en 2008 – 2009.
Elle est de celle qui au tournant du XXème siècle a défini un nouveau langage visuel issu du
quo dien : c’est le Nouveau Réalisme souvent présenté comme le pendant français du
Pop Art américain.
Bien avant que l’art ne descende dans la rue, Villeglé fait entrer la rue dans les galeries
puis les musées en prélevant des affiches lacérées par des passants, sans quasiment
d’autre interven on qu’un marouflage et un ne'oyage parfois rapides.
Dans les années 1970, au fil de ses « flâneries », l’ar ste voit dans les symboles qui
fleurissent dans les graffi s les signes d’un « alphabet socio-poli que ». Sans tabou vis-àvis des signes prélevés, qu’ils soient religieux (étoile de David), controversés (le A de
l’anarchie) voire détestés (la Svas ka nazie), il va composer des planches illustrées de ce'e
nouvelle écriture, des sculptures (comme son fameux « Yes ») ou encore des graffi s en
forme d’haïkus humoris ques.
Traversée par la subversion, l’humour, le goût de la rue et de l’humain,
l’œuvre de Jacques Villeglé, âgé aujourd’hui de 89 ans, parle par sa fraîcheur,
sa spontanéité et son esthé que parle aux jeunes généra ons et au monde
d’aujourd’hui.
En même temps qu’une découverte pour les élèves de tous niveaux, c’est
l’occasion d’aborder de nombreux thèmes en Arts Plas ques, histoire de l’art,
histoire ou philosophie.
Alors à très bientôt !
Laurent Cavelier, service éduca f.
YES, 2007
54 x 111 cm, Acier corten
Photo François Poivret
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SOMMAIRE
● Présenta7on de l’exposi7on : Jacques Villeglé, affiches
● Pistes de réflexion pour les enseignants
ᴑ Arts plas7ques : ateliers d’ini7a7on ar7s7que
ᴑ L’œuvre de Villeglé dans l’histoire de l’art au XXème siècle
ᴑ L’œuvre de Villeglé dans l’histoire
ᴑ Philosophie : un point de vue sur la place de l’ar7ste
● Vocabulaire
● Bibliographie / sitographie
● Exposi7on, modes d’emploi
Jacques Villeglé - Rue Joubert (Angers), septembre 1957, 42,5 x 62 cm
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PRESENTATION DE L’EXPOSITION
JACQUES VILLEGLE, AFFICHES
1949 : accompagné de son ami Raymond Hains, Jacques Villeglé arrache un
large pan d’affiches lacérées collées près du restaurant La Coupole à
Montparnasse, Hains imaginant pouvoir faire de ce matériau une nouvelle
tapisserie de Bayeux. A par7r des éléments typographiques encore visibles,
ceux qui ont échappé aux lacéra7ons des passants, ils nomment ceFe
première affiche prélevée Ach Alma Manetro.
C’est un point de départ et un abou ssement. Insa sfait tant par ses études aux Beaux-Arts
de Rennes (sec on peinture puis sculpture) autant que par les peintures exposées dans les
galeries parisiennes, Villeglé a porté son regard ailleurs : dehors, du côté de l’architecture
(découverte de Le Corbusier), de l’urbanisme et surtout, avec Raymond Hains rencontré à
Rennes, des débris du Mur de l’Atlan que dont ils ont commencé ensemble une collecte.
« Pour Jacques Villeglé, c’est une révéla on. Très vite, il voit les richesses du support :
l’affiche avec la variété des signes typographiques et des couleurs, …, son épaisseur selon les
couches superposées, et bien sûr, les altéra ons au fil des jours et des intempéries, celles du
vent par exemple, mais surtout celle de la main du passant qui s’amuse à décoller et déchirer
un peu, par facé e, ou plus violemment, par réac on… [L’affiche] devient une sorte de
« peinture de la réalité » celle de l’espace urbain et de ceux qui s’y meuvent» (Patrick Le Fur,
bibliographie).
Dès lors Villeglé va élaborer sa posture ar s que,
celle de l’homme sans profession, du flâneur « qui
porte un regard poé co-poli que et amusé sur ce
qui transpire de l’espace urbain, … Il adopte l’idée
de capter et de s’approprier des images issues de
la rue pour les faire entrer dans le champ de
l’art » (Michel Na er, extrait du catalogue de l’exposi on).
Comment ? Au travers de l’interven on déterminante qui signe son choix d’ar ste : le cadrage.
Dès lors, il se refuse à modifier en quoique ce soit
le matériau prélevé hormis les indispensables interven ons de ne'oyage et de marouflage*.
Rue Linois, décembre 1958
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1959 : le « lacéré anonyme »
« Mon œuvre, s’est organisée sous l’égide du "Lacéré Anonyme"… ce+e
no on d’anonymat m’a sauvé : car si j’avais produit moi-même des
affiches ou des tableaux, j’en aurais fait un très calme le ma n puis un
autre expressionniste une heure plus tard. Or j’avais besoin, en tant
qu’ar ste, d’oublier mon iden té et mes humeurs personnelles. Au moment où est apparue l’idée de "Lacéré Anonyme" j’ai su que j’avais trouvé l’idée générale. »
C’est à l’occasion de sa première exposi on personnelle – Hains et lui explorent désormais des
voies différentes – que Villeglé choisit le tre de « Lacérés anonymes » pour présenter ses producons. C’est le sens qu’il donnera désormais à une œuvre d’un demi-siècle où il condamne le mythe
de la créa on individuelle, privilégiant « le ravir plutôt que le faire » (J.V.).
Que reste-t-il alors en Villeglé de l’ar ste dont même la signature disparaît ? La cri que d’art Catherine Francblin répond à ce'e ques on : « [l’idée du « Lacéré Anonyme »] n’est pas la néga on
de l’auteur. Elle est l’inven on d’un auteur, dans lequel se croisent et interfèrent des subjec vités
mul ples, l’inven on d’un auteur polygloBe et polygraphe, d’un auteur qui nourrit l’ambi on de
réaliser une œuvre digne de la Comédie Humaine balzacienne, à savoir une Comédie Urbaine. De
ce fait l’œuvre mul plie les styles, s’avère protéiforme. »
Et protéiforme, l’œuvre affichiste de Villeglé le sera. Jusqu’en 2000 environ où il met fin à ce travail, au travers de sa
collecte de 4000 Lacérés anonymes, c’est une véritable
« comédie urbaine » qui se joue, baromètre des gestes de
contesta on poé que à l’égard du publicitaire ou du polique. Mais l’œuvre mul plie aussi les styles.
Daniel Buren écrira à propos de Hains et Villeglé : « Leur
originalité était de faire de grandes peintures abstraites sans
toucher un pinceau. » Dans une veine moins typographique,
plus proche de l’impressionnisme chez Raymond Hains, plus
expressionniste chez Villeglé.
Rue Saint-Jacques, 1992
Affiches lacérées marouflées sur toile
150 cm x 120 cm,
Les Lacérés anonymes des années 50 ou 60 ressemblent
davantage à de grands monochromes. Plus tard les cadrages
insistent sur l’irrup on de la société de consomma on et
des objets. D’autres affiches lacérées de toutes parts témoignent des âpres débats poli ques des années 1970 – 80.
Chaque œuvre en tous cas témoigne du point de vue déterminant de l’auteur, qui, comme le photographe qui cadre sa
prise de vue, crée l’objet et décide de l’effet produit sur le
regardeur.
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PRESENTATION DE L’EXPOSITION
JACQUES VILLEGLE, ALPHABETS
1969, 28 février : « A Paris, ce jour-là, le général De Gaulle reçoit son homologue
des U.S.A., le président Richard Nixon. Sur les murs d’un couloir de métro, le regard
de l’ar ste bute sur tout un lot de graffi s vilipendant le nom de ce dernier à grand
renfort de signes graphiques singuliers : les trois flèches du par socialiste français,
la croix de Lorraine, la croix gammée, la croix cel que inscrite dans le cercle du
mouvement d’extrême droite Jeune Na on. Comme il est li+éralement fasciné par
ces graffi s, l’idée ne tarde pas à germer dans son esprit de créer un alphabet
socio-poli que renvoyant à la guérilla des symboles dont traite Serge Tchakho ne
dans ouvrage Le Viol des foules par la propagande » (Philippe Piguet, extrait du
catalogue de l’exposi on).
Alphabet,1994
peinture sur toile synthé que
89 x 120 cm
« L’alphabet socio-poli7que » devient dès lors la seconde orienta on du travail de Villeglé et
l’occupe de façon exclusive depuis 2000. Tout comme pour l’affiche, il s’agit d’un prélèvement
d’un objet de la rue, d’un signe mais il y a désormais transforma on.
« À chacune des leBres de A à Z - sauf le J… excep on oblige ! -, il se contente, soit d’ajouter, soit
de subs tuer un ou plusieurs éléments graphiques qui soient proches de la structure même de la
leBre transformée. Dans ce but, Villeglé n’hésite pas à faire se télescoper les signes entre eux, à
mêler leur composants, à les accoupler parfois de façon improbable, voire à choquer leur sens
originel, non par esprit de bravade mais par pur plaisir esthé que. Ainsi le A s’est-il vu remplacer
par celui encerclé de l’anarchie ou par l’hexagramme du judaïsme ; le D, adopter la croix et le
cercle du mouvement Occident ; le L, s’accaparer le signe de la livre sterling ; le T, celui du
Golgotha ; le Y du yen… et tout à l’avenant. Le croissant à l’étoile de l’Islam, la faucille et le
marteau, les symboles féminin et masculin, le trident du dieu de la mer, la croix du chris anisme,
la svas ka, le bâton d’Esculape… : l’ar ste les a tous passés à la moulineBe de son imaginaire.
Graphiquement parlant, le résultat est tout un monde de signes nouveaux qui s’offrent à voir dans
une satura on formelle et un trouble visuel qui nous font prendre conscience de la surcharge
informa ve qui caractérise notre époque » (Philippe Piguet, extrait du catalogue de l’exposi on).
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« En relevant les signes qui, en un passé proche, ont été les symboles de
forces éta ques, idéologiques, tyranniques, destructrices, je ne réveille
pas plus la haine que je ne la banalise, précise Villeglé. Tout au plus, je
secoue les ensommeillés, ceux qui refusent de regarder l’histoire en
face. »
C’est donc en tant qu’historien que Jacques Villeglé prétend agir. En tant qu’historien mais
également en tant qu’ar ste pourvoyeur de messages pour lesquels il va mul plier les medium :
gravure, lithographie, collage, photocopie, dessin, pochoir, bombage, peinture, sculpture, sous
tous types de supports : papier, ssus, toile, ardoise, acier, etc.
Je me disais qu’au départ, je me servirai de mon alphabet socio-poli que pour communiquer
brièvement avec les autres ». Cette communication va prendre un tour protéiforme : celle de
planches d’alphabet (ci-dessus) à la manière « d’un simple dessinateur de planches
encyclopédistes » - dessinateur toutefois engagé à fois dans la transforma on plas que des
formes et dans leur contenu lorsqu’il crée en 1983 son « Alphabet de la guérilla », communica on
également sous forme de cita ons ou textes repris, de « simples » mots non dénués d’ironie
comme le « Yes », composé des signes des trois monnaies dominantes de la planète, ou encore de
graffi s érudits voire d’Haïkus comme : « Héros quent ou les zéros cs »(1995), « Travailler
Produire Consommer le Cycle Infernal » (1996) ou encore « Si les signes vous fâchent quand vous
fâcheront les choses signifiées » (2006).
«
L’alphabet socio-poli que apparait dès lors dans le parcours créa f de Jacques Villeglé, jeune de
près de soixante-dix années de réinven ons, comme la poursuite de la recherche d’un nouveau
langage visuel au service de l’irrup on de la subversion.
Les murs ont la parole, 2001
Huile sur papier
13 cm x 95 cm,
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Pistes de réflexion pour les enseignants : Ateliers d’ini7a7on ar7s7que
PREMIER ATELIER POSSIBLE : « DE L’AFFICHE AU TABLEAU » A LA MANIERE DE JACQUES VILLEGLE
Niveaux : de la maternelle au lycée
► Dans un premier temps, la visite commentée de l’exposi on permet de me're en évidence et
d’explorer la démarche plas que de l’ar ste et son processus de créa on :
- récupéra7on d’affiches lacérées, déchirées par des anonymes dans la rue.
- elles font ensuite l’objet d’un recadrage par l’ar ste et d’un marouflage sur toile.
- puis sont encadrées, suivant les normes conven onnelles du tableau afin d’être présentées
dans des lieux d’exposi ons.
Les fragments d’affiches de textures* et de tailles différentes, composés de couleurs et de mots ;
créent de violentes ruptures au sein d’un espace déstructuré : phrases amputées, images « en
charpie » y perdent leur efficacité première…la communica on.
Jacques Villeglé nous propose ces images sans aucune autre interven on plas que de sa part que celle de
sélec7onner telle ou telle par e, libéré de toute sorte de démarche de représenta on de la réalité
visible.
► Dans un second temps, il s’agit (en pe t groupe sur un support papier format raisin) à par r d’un
ensemble d’affiches et de magasines mis à la disposi on du groupe classe, d’en sélec7onner des
par es, de les déchirer pour en faire des « lambeaux », de se les approprier et de les
décontextualiser en les réorganisant sur un nouveau support pour créer une proposi7on
plas7que et esthé7que nouvelle, non figura7ve, non narra7ve.
Ce sera l’occasion d’aborder les no ons de composi on*, cadrage, contraste, rythme, dynamisme,
couleur, graphisme, collage…
NB : il est demandé aux classes inscrites aux ateliers de collecter avant leur venue des affiches pas
forcément en bon état, et de porter des tenues ves mentaires adaptées à la pra que des arts
plas ques.
DEUXIEME ATELIER POSSIBLE : « MON ALPHABET/ MES MOTS »
Niveaux : maternelle et primaire
► Dans un premier temps, la visite commentée de l’exposi on permet aux visiteurs de découvrir
une série d’œuvres qui met en scène des alphabets dont chacune des leFres a été réinventée
par l’ar7ste : mélange hybrides de signes, de symboles et des leFres tradi7onnelles.
Nous assistons à la naissance de nouveaux caractères qui vont perme're l’écriture de MOTS, DE
MESSAGES, DE NOMS…enrichis d’une poé que nouvelle.
► Dans un second temps, l’atelier :
1ère étape : au fil des œuvres rencontrées et sous forme de croquis au crayon, les enfants de manière
subjec ve vont s’approprier les caractères de Jacques Villeglé pour se cons7tuer un alphabet personnel,
composé de le'res hybrides relevées dans ses œuvres.
2ème étape : sur une feuille de papier canson de couleur 21x29,7 chacun va ensuite écrire au pastel,
son prénom, son nom, un message…en réu lisant les le'res de son alphabet personnel.
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Pistes de réflexion pour les enseignants.
Histoire de l’art au XXème siècle :
Villeglé entre Duchamp et le Street Art ?
L’irrup7on du réel
Les démarches de Duchamp et de Villeglé sont à la fois dissemblables et voisines.
En bap sant un urinoir Fontaine (1917), la démarche de Duchamp est conceptuelle. Qui plus est, sa
ma ère première est un objet manufacturé de série alors que les Lacérés anonymes sont des pièces
uniques, un peu comme dans la grande tradi on picturale. De plus, les « ravissements » de Villeglé
cons tuent également une « importa on symbolique d’ac ons subversives » (Michel Na er, catalogue) les rapprochant de la performance.
Mais on ne peut s’empêcher de voir une parenté entre les deux œuvres.
D’une part, les deux ar stes introduisent dans le champ de l’art des objets qui lui sont extérieurs.
D’autre part, l’acte créateur de Villeglé s’inscrit profondément dans la formule émancipatrice de
Duchamp : « c’est le regardeur qui fait l’œuvre », accordant ainsi la primauté à l’ar ste… et au spectateur,
ce qu’est bien tout à tour Jacques Villeglé au fil de ses flâneries.
Du passé faisons table rase ?
Comme aux alentours des années 1910 – 1915, les années d’après la Seconde Guerre Mondiale vont voir
la floraison de nouveaux courants ar s ques (voir chronologie ci-dessous).
Pour les jeunes Raymond Hains et Jacques Villeglé, dans ces années-là, on ne peut plus représenter le
monde comme avant, comme ils le voient représenté dans les galeries parisiennes de l’époque ou comme
on va le leur enseigner à l’Ecole des Beaux-Arts.
C’est précisément dans les débris du monde ancien, le Mur de l’Atlan que, qu’ils vont recueillir en 1947,
les premiers éléments d’un nouveau vocabulaire de débris ou de déchets. Leur première composi on Fils
d’acier, Chaussée des Corsaires, Saint-Malo, présente dans les collec ons du Centre Pompidou, est
considérée par certains comme une œuvre fondatrice du futur Nouveau Réalisme.
Les ravissements d’affiche amènent Hains et Villeglé à bousculer le
champ de la représenta on picturale. Braque et Picasso avaient
intégré des éléments du réel à certains de leurs tableaux. Hains et
Villeglé en transportant des affiches lacérées dans des galeries et en
leur accordant de fait le statut de peintures tantôt plutôt abstraites,
tantôt plutôt narra ves « [font] exploser le cadre de la
représenta on picturale ».
Fils d’acier, Chaussée des Corsaires, Saint-Malo, août 1947
Sculpture en 2 éléments. Fils d'acier, 63 x 47 x 9 cm
Centre Pompidou, Musée na onal d’art moderne, Paris
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Nouveau réalisme
Dans son ouvrage « Jacques Villeglé ou l’éclatement régénérant des signes », Didier Dauphin
poursuit : « Plutôt que de transposer le réel, il [J.V.] a opté pour le transporter directement sur les
lieux d’exposi on. Si le geste paraît aujourd’hui convenu et si l’art contemporain nous a habitués à
ces transports d’objets bruts, ceBe appropria on était à l’époque révolu onnaire et préfigurait non
seulement le mouvement des Nouveaux Réalistes mais aussi, dans une moindre mesure, ce
recyclage de l’imagerie de la société de consomma on que va systéma ser le Pop Art tout au long
des années 1960 ».
Nouveaux Réalistes, le mot est lâché et génère ce nouveau mouvement informel de fortes
individualités qui se cons tuera au début des années 1960 à l’ini a ve du cri que d’art Pierre
Restany et d’Yves Klein. Pour Villeglé, Klein, Arman, François Dufrêne, Hains, Tinguely, Mar al
Raysse, puis César, Niki de Saint-Phalle ou Christo, il s’agit de revenir à la réalité, en s’opposant au
lyrisme de la peinture abstraite de ce'e époque (Pollock, Ma'hieu) mais sans tomber dans le
piège de la figura on, connotée (au choix) pe te-bourgeoise ou stalinienne en u lisant des objets
prélevés dans la réalité de leur temps. Démarche parallèle à celle du Pop Art américain dont le
point de vue sera considéré toutefois comme moins cri que.
Si les Lacérés anonymes ne cons tuent pas au sens ar s que du terme des performances comme
le seront celles d’Yves Klein, en tant que transcrip on symbolique d’actes (ceux des passants) mais
aussi en tant que témoignage des ravissements de l’ar ste (qui seront d’ailleurs parfois filmés), ne
peut-on pas les considérer comme une préfigura on de ces nouveaux objets issus du réel que
seront les performances ?
Villeglé et après ?
Au carrefour de bien des champs d’inves ga on,
l’œuvre de Jacques Villeglé est donc de celles qui au
tournant du siècle dernier a façonné un nouveau
langage visuel mais également fait évoluer notre
regard. Elle occupe dès lors une place singulière
tant dans l’art contemporain que dans notre patrimoine culturel.
Mais qu’elle soit patrimoniale ne signifie pas que
l’œuvre de Villeglé ne soit pas encore féconde.
Elle « hante l’œuvre de nombreux ar stes du Street
art contemporain » notamment « en ma ère d’arrachage, de décollage et de collage » (Patrick Le
Fur, bibliographie), mais aussi par l’intérêt que Villeglé a porté aux graffi s à l’origine de ses alphabets
socio-poli ques et les détournements de sens qu’il
leur a fait subir et plus généralement par le regard
qu’il a porté sur la rue comme lieu de nouvelles expériences socio-poé ques, esthé ques, ar s ques.
Rue Rambuteau, janvier 1972
10
Pistes de réflexion pour les enseignants : histoire
« En prenant l’affiche, je prends l’histoire » (J.V.)
« Une an dote contre toute propagande »
C’est, entre autres, ainsi que Jacques Villeglé se plait à considérer son œuvre, qu’il s’agisse d’une
« héraldique de la subversion » composée de signes détournés dans les Alphabets socio-poli ques ou des
affiches, témoins des lacéra ons anonymes des passants.
Et ces passants, c’est bien un geste de contesta on plus ou moins conscient qu’ils accomplissent ainsi,
dans la société française des années 1950 – 1960 en proie à des conflits poli ques violents (pour ou
contre l’U.R.S.S., les U.S.A., pour ou contre la Guerre d’Algérie ou l’indépendance) et à une propagande
tous azimuts (stalinienne, gaulliste).
Souvent Villeglé fait référence au Viol des foules par la propagande poli que, l’ouvrage de Serge
Tchakho ne, disciple de Pavlov et socialiste qui analysait la manière dont les régimes de Hitler et
Mussolini étaient parvenus à une adhésion des foules en faisant appel aux ins ncts psychiques primaires.
Par ailleurs, en ne privilégiant aucune opinion, Villeglé nous permet d’observer plusieurs niveaux de
discours en conflit.
« La lacéra on est un Non ! »
La première exposi on de Hains et Villeglé en 1957 chez
Cole'e Allendy est in tulée : Loi du 29 juillet 1881 ou le
lyrisme à la sauveBe. Ladite loi s pule que « ceux qui
auront enlevé, déchiré, recouvert ou altéré par un procédé
quelconque, de manière à les traves r ou à les rendre
illisibles, des affiches apposées par ordre de l’administra on
dans les emplacements à ce réservés seront punis d’une
amende de 5 à 15 francs ».
L’art n’est-il pas la plus haute forme de l’esprit de
contradic on ?
Rue Beaubourg,1979
Affiches lacérées marouflées sur toile
89 cm x 116 cm,
En arrachant des affiches, Villeglé contrevient à la loi.
Ce qui lui vaudra des rencontres épiques avec des agents
de police, l’incompréhension de certains militants
poli ques et surtout « une censure qui
s’exprima
néga vement de diverses manières. Esthé quement, très bien mais que cela reste abstrait. » « Surtout ne
pas montrer des images qui peuvent rappeler des souvenirs cuisants ou douloureux, des faits qu’on
aimerait cacher, oublier, des personnages qui ne sont pas de votre bord ou qui, si vous les respectez, sont
caricaturés. » (J.V.)
Les années 1960 voient l’émergence de la société de consomma on en France. Didier Dauphin (déjà cité)
voit dans les Lacérés anonymes « des déchets », des objets « usés et abîmés par eux-mêmes à l’opposé de
la ru lance des objets de consomma on ». Il poursuit : « leur caractère ins nc f est l’obs na on des
sujets anonymes à ne pas vouloir entrer dans le monde parfaitement lissé de la sollicitude publicitaire ».
Au travers de ce qu’il nomme sa « collec on » de 4000 affiches, Villeglé a bien contribué à écrire un demi
-siècle de Comédie urbaine de la société française du XXème siècle. Comme il se plait à le dire toujours
un brin provocateur : « J’es me avoir ramené la peinture d’histoire dans l’histoire de l’art ».
11
Pistes de réflexion pour les enseignants : philosophie
« L’oisiveté du flâneur, comme observa on acharnée de la vie
urbaine est au fond un travail intense » (Walter Benjamin).
Flâneur
acharné à « relever ces traces de civilisa on » (W. Benjamin) que sont affiches, signes et
graffi s, Jacques Villeglé refuse la posture de l’ar ste démiurge d’une œuvre qui serait l’expression de
son individualité. Au « faire de la transposi on esthé que » (J.V.) il veut subs tuer l’acte d’appropria on
jusqu’à annihiler en lui le mé er de peintre. Plus tard avec Raymond Hains, il revendiquera, non sans
humour, la pra que du non-ac on pain ng (en référence et en opposi on à l’ac on-pain ng de Jackson
Pollock par exemple).
Dans son texte in tulé « Des réalités collec ves » Villeglé condamne le mythe de la créa on individuelle.
Le génie collec f des lacérateurs d’affiches le dispense du moindre geste de créa on (sa devise n’est-elle
pas « le ravir plutôt que le faire » !).
Avec les Lacérés anonymes dès 1959, ce qu’il convient néanmoins d’appeler les œuvres de Villeglé ne
sont plus signées. « Tandis qu’un certain nombre de leurs confrères désignent et signent le réel, écrit
Catherine Millet, les affichistes entreprennent plutôt de "dé-signer"». L’ar ste s’efface au profit de
l’expression spontanée de la rue.
Inventeur
Villeglé a tendance à se penser comme le collec onneur des Lacérés Anonymes. L’écrivain Michel
Tournier apporte un éclairage par culier sur ce travail.
Au Japon, rapporte-t-il, il existe depuis des siècles une tradi on qui est fondée sur « le ramassage des
cailloux ». « Plus le ramasseur est grand, génial, inven f, plus les cailloux qu’il choisit sont à la fois
semblables entre eux dans leur variété – appari on d’un style – introuvables par d’autres que lui et bien
entendu beaux. » Michel Tournier demande par ailleurs « de réfléchir sur le double sens du mot
« inventer ». « Inventer c’est bien sûr créer, faire sor r du néant. Mais c’est aussi – selon un sens
archaïque et qui n’est plus usité que par les juristes – découvrir une chose existant au préalable. L’homme
qui déterre un trésor dans son jardin est appelé juridiquement l’inventeur de ce trésor. » De ce fait, Villeglé
est un inventeur, du genre qui ne cherche pas mais trouve. C’est la posture de l’ar ste en Occident qui est
par là même réinventée.
Situa7onniste
« La ville en pleine muta on efface les repères géographiques, écrit Guy Debord, si bien que seuls les
repères psycho-géographiques sont encore visibles ». Jacques Villeglé ne partage pas ce'e seule vision de
l’espace urbain avec le créateur de l’Interna onale Situa onniste (à laquelle il assiste) puis auteur de la
Société du spectacle. Même goût pour l’arpentage des rues mais surtout pour la clandes nité (héritage de
la guerre) qui est en fait une volonté à travailler à l’effacement de soi et qui se traduira également pour
Villeglé à travers l’alphabet socio-poli que et ses langages codés.
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Vocabulaire
Abstrac on : tendance ar s que née au XXè siècle qui ne cherche pas à représenter la réalité visible mais
invente un langage plas que autonome. Peu avant la Seconde Guerre Mondiale avec Pollock et Rothko
aux U.S.A. mais surtout après, en Europe, avec MaBhieu en France, l’Abstrac on lyrique est le courant
ar s que dominant. Il prône une grande liberté du langage plas que au service de l’expression directe de
l’émo on individuelle. CeBe posture qui met au centre l’individu ar ste est récusée par Jacques Villeglé.
Collage : procédé associant dans une composi on ar s que des éléments et des matériaux de différentes
natures.
Composi on : posi on des différents éléments organisés sur un support.
Maroufler : coller un dessin, une peinture ou une photo sur un support rigide.
Nouveau Réalisme : ceBe « nouvelle approche percep ve du réel » sera revendiquée par un groupe d’arstes signataires d’un texte élaboré par le cri que d’art Pierre Restany dans l’atelier d’Yves Klein en 1960.
Contre l’abstrac on lyrique, ils prônent un retour à la réalité qui intègre des objets prélevés dans la réalité de leur temps (compressions d’objets de César, objets accumulés d’Arman, machines de Jean Tinguely,
affiches de Villeglé, performances d’Yves Klein, etc).
Situa onnisme : mouvement poli que autant que philosophique ini é par Guy Debord, fondateur en
1957 de l’interna onale Situa onniste (J.V. assista à sa fonda on et fut proche de Debord). La cri que de
Debord, s’en prend à la no on de " spectacle " média sa on totalitaire de l’univers individuel. Il convient
dès lors d’abolir l’art en tant que tel pour le transposer en " vie libre ". Car l’art, selon Debord, fait par e
de ce " spectacle " qui réduit l’homme à un consommateur passif, qui lui fait miroiter le bonheur et
l’aventure tout en le confinant dans l’ennui du quo dien. CeBe aboli on de l’art revenait en premier lieu
à abolir toutes les formes de représenta on et à la créa on de situa ons comme moyen de réappropriaon de la vie libre, notamment de détournements de manifesta ons de la « Société du spectacle ». Le
détournement devait premièrement permeBre de replacer dans un nouvel ensemble significa f subjec f
les débris du " spectacle " et devenir ainsi créa f dans sa propre vie.
On peut supposer que Debord a vu dans les Lacérés anonymes des détournements de la société du spectacle.
Texture : aspect visuel et tac le de toute ma ère.
Rue Pelleport, 20ème,
Affiches lacérés marouflées sur toile
121 cm x 106 cm
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Bibliographie, sitographie
Bibliographie
Bernard Blistène, Une histoire de l’art du XXème siècle, Beaux-Arts Edi on, Paris, 2008
Didier Dauphin, Jacques Villeglé ou l’éclatement régénérant des signes, Archibooks, Paris 2008
Patrick Le Fur, Jacques Villeglé, l’art urbain s’affiche, Opus Délits, Grenoble 2011
Michel Na er, Philippe Piguet, Jacques Villeglé, affiches et alphabets 1956 - 2013, catalogue de l’exposion du musée de Louviers, Edi ons Points de vue, Rouen, 2015.
Sitographie
Site de l’ar ste : h'p://villegle.free.fr/
Le Monde des arts, ar cle Jacques Villeglé
h'p://media on.centrepompidou.fr/educa on/ressources/ENS-villegle/ENS-villegle.html
Jacques Villeglé, la comédie urbaine, exposi on du Centre Pompidou, sept 2008 – janv 2009, dossier pédagogique :
h'p://media on.centrepompidou.fr/educa on/ressources/ENS-villegle/ENS-villegle.html
h'p://www.histoiredelart.net/
Carré magique arbre généalogique, 2009
Encre de Chine sur papier, 34,4 cm x 31 cm
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Ateliers d’ini7a7on ar7s7que
Premier atelier possible
« DE L’AFFICHE AU TABLEAU »… à la manière de JACQUES VILLEGLE.
Dans un premier temps : la visite commentée de l’exposi7on permet de meFre en évidence et d’explorer
la démarche plas7que de l’ar7ste et son processus de créa7on.
-récupéra7on d’affiches lacérées, déchirées par des anonymes dans la rue.
-elles font ensuite l’objet d’un recadrage par l’ar7ste et d’un marouflage sur toile.
-puis sont encadrées, suivant les normes conven7onnelles du tableau afin d’être présentées dans des
lieux d’exposi7ons.
Les fragments d’affiches de textures et de tailles différentes, composés de couleurs et de mots ; créent de
violentes ruptures au sein d’un espace déstructuré : phrases amputées, images « en charpie » y
perdent leur efficacité première…la communica7on.
Jacques Villeglé nous propose ces images sans aucune autre interven7on plas7que de sa part que celle de
sélec7onner telle ou telle par7e, libéré de toute sorte de démarche de représenta7on de la réalité
visible.
Dans un second temps : il s’agit ( en pe7t groupe sur un support papier format raisin) à par7r d’un
ensemble d’affiches et de magasines mis à la disposi7on du groupe classe, d’en sélec7onner des
par7es, de les déchirer pour en faire des « lambeaux », de se les approprier et de les décontextualiser
en les réorganisant sur un nouveau support pour créer une proposi7on plas7que et esthé7que
nouvelle, non figura7ve, non narra7ve.
Pour se faire seront abordées les no7ons de :
-composi7on, cadrage, contraste, rythme, dynamisme, couleur, graphisme, collage…
NB : il est demandé aux classes inscrites aux ateliers de collecter avant leur venue des affiches pas forcément
en bon état, et de porter des tenues ves7mentaires adaptées à la pra7que des arts plas7ques.
Vocabulaire :
Texture : aspect visuel et tac le de toute ma ère.
Composi on : posi on des différents éléments organisés sur un support.
Maroufler : coller un dessin, une peinture ou une photo sur un support rigide.
Collage : procédé associant dans une composi on ar s que des éléments et des matériaux de différentes
natures.
Abstrac on : tendance ar s que née au XXè siècle qui ne cherche pas à représenter la réalité visible mais
invente un langage plas que autonome.
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Ateliers d’ini7a7on ar7s7que
Deuxième atelier possible
« MON ALPHABET» à la manière de…
Au cours de la visite commentée de l’exposi on, les visiteurs découvrent une série
d’œuvres qui met en scène des alphabets dont chacune des leFres a été réinventée par
l’ar7ste : mélange hybrides* de signes, de symboles et des leFres tradi7onnelles.
Nous assistons à la naissance de nouveaux caractères qui vont perme're l’écriture de
MOTS, DE MESSAGES, DE NOMS…enrichis d’une poé que nouvelle !
1ère étape,
A la manière de Jacques Villeglé, chaque enfant va créer une ou plusieurs leFres de
l’alphabet sur une feuille de papier canson blanc ou de couleur. Il va à son tour fabriquer
ces nouvelles le'res par un exercice d’hybrida7on de signes, de symboles, de formes
qui appar ennent à son univers et vocabulaire formel personnel. (cf : Enluminures,
histoire de l’art)
Technique mixte
2ème étape :
Le groupe classe fédère ses créa ons et
travaille en classe une mise en scène
originale de l’alphabet, c’est-à-dire une
présenta on dans l’espace non linéaire.
Chaque enfant se rend à l’atelier muni
d’une feuille de papier Canson couleur
21x29,7 ou 24x32
*hybride : qui résulte du croisement de deux espèces
différentes, qui est composé d’éléments de nature
différente.
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Exposi7on, modes d’emploi
VISITE DE L’EXPOSITION POUR LES ENSEIGNANTS
MERCREDI 20 MAI A 14H30
inscrip7ons au 02.32.09.58.55.
possibilité d’une autre visite à la rentrée
QUAND ?
DATES DE L’EXPOSITION: DU 16 mai au 1er NOVEMBRE 2015
OU ?
MUSEE OUVERT DU MERCREDI AU LUNDI : 14H – 18H. ENTREE LIBRE.
VISITE GUIDEE GRATUITE LE PREMIER DIMANCHE DU MOIS A 15H.
PLACE ERNEST THOREL, LOUVIERS. 02.35.09.58.55.
COMMENT ?
Visites et ateliers de pratique artistique sont gratuits pour les établissements de la C.A.S.E.
(Communauté d'Agglomération Seine-Eure).
Venir au musée : à pied ou en bus (lignes 1, 2, B, C, H, V1 et 390)
QUI CONTACTER ?
POUR PREPARER UNE VISITE, UN ATELIER
Isabelle Aubert ou Laurent Cavelier (service éducatif), le vendredi matin
06.60.10.75.87. ; [email protected]
POUR RESERVER UNE VISITE ET/OU UN ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE :
Isabelle Aubert (médiatrice culturelle), les lundi, mardi après-midi, jeudi et vendredi
au 02.32.09.55.69. [email protected]
Dossier pédagogique réalisé par Laurent Cavelier, service éduca f du musée de Louviers
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