à la manière de JACQUES VILLEGLE.
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à la manière de JACQUES VILLEGLE.
JACQUES VILLEGLÉ AFFICHE & ALPHABET 1956 / 2013 MUSÉE DE L OUVIERS 16 MAI AU 1er NOV 2015 DOSSIER PEDAGOGIQUE VI SEIGN N E S E L R ITION POU S O P X E ’ L SITE DE MERCRE ANTS 0 3 H 4 1 A I DI 20 MA Jacques Villeglé Affiche & Alphabet, 1956 - 2013 Présente dans de nombreux musées et exposi ons à travers le monde, l’œuvre de Jacques Villeglé (né en 1926), a été consacrée par une rétrospec ve « La comédie urbaine » au Centre Pompidou Paris en 2008 – 2009. Elle est de celle qui au tournant du XXème siècle a défini un nouveau langage visuel issu du quo dien : c’est le Nouveau Réalisme souvent présenté comme le pendant français du Pop Art américain. Bien avant que l’art ne descende dans la rue, Villeglé fait entrer la rue dans les galeries puis les musées en prélevant des affiches lacérées par des passants, sans quasiment d’autre interven on qu’un marouflage et un ne'oyage parfois rapides. Dans les années 1970, au fil de ses « flâneries », l’ar ste voit dans les symboles qui fleurissent dans les graffi s les signes d’un « alphabet socio-poli que ». Sans tabou vis-àvis des signes prélevés, qu’ils soient religieux (étoile de David), controversés (le A de l’anarchie) voire détestés (la Svas ka nazie), il va composer des planches illustrées de ce'e nouvelle écriture, des sculptures (comme son fameux « Yes ») ou encore des graffi s en forme d’haïkus humoris ques. Traversée par la subversion, l’humour, le goût de la rue et de l’humain, l’œuvre de Jacques Villeglé, âgé aujourd’hui de 89 ans, parle par sa fraîcheur, sa spontanéité et son esthé que parle aux jeunes généra ons et au monde d’aujourd’hui. En même temps qu’une découverte pour les élèves de tous niveaux, c’est l’occasion d’aborder de nombreux thèmes en Arts Plas ques, histoire de l’art, histoire ou philosophie. Alors à très bientôt ! Laurent Cavelier, service éduca f. YES, 2007 54 x 111 cm, Acier corten Photo François Poivret 2 SOMMAIRE ● Présenta7on de l’exposi7on : Jacques Villeglé, affiches ● Pistes de réflexion pour les enseignants ᴑ Arts plas7ques : ateliers d’ini7a7on ar7s7que ᴑ L’œuvre de Villeglé dans l’histoire de l’art au XXème siècle ᴑ L’œuvre de Villeglé dans l’histoire ᴑ Philosophie : un point de vue sur la place de l’ar7ste ● Vocabulaire ● Bibliographie / sitographie ● Exposi7on, modes d’emploi Jacques Villeglé - Rue Joubert (Angers), septembre 1957, 42,5 x 62 cm 3 PRESENTATION DE L’EXPOSITION JACQUES VILLEGLE, AFFICHES 1949 : accompagné de son ami Raymond Hains, Jacques Villeglé arrache un large pan d’affiches lacérées collées près du restaurant La Coupole à Montparnasse, Hains imaginant pouvoir faire de ce matériau une nouvelle tapisserie de Bayeux. A par7r des éléments typographiques encore visibles, ceux qui ont échappé aux lacéra7ons des passants, ils nomment ceFe première affiche prélevée Ach Alma Manetro. C’est un point de départ et un abou ssement. Insa sfait tant par ses études aux Beaux-Arts de Rennes (sec on peinture puis sculpture) autant que par les peintures exposées dans les galeries parisiennes, Villeglé a porté son regard ailleurs : dehors, du côté de l’architecture (découverte de Le Corbusier), de l’urbanisme et surtout, avec Raymond Hains rencontré à Rennes, des débris du Mur de l’Atlan que dont ils ont commencé ensemble une collecte. « Pour Jacques Villeglé, c’est une révéla on. Très vite, il voit les richesses du support : l’affiche avec la variété des signes typographiques et des couleurs, …, son épaisseur selon les couches superposées, et bien sûr, les altéra ons au fil des jours et des intempéries, celles du vent par exemple, mais surtout celle de la main du passant qui s’amuse à décoller et déchirer un peu, par facé e, ou plus violemment, par réac on… [L’affiche] devient une sorte de « peinture de la réalité » celle de l’espace urbain et de ceux qui s’y meuvent» (Patrick Le Fur, bibliographie). Dès lors Villeglé va élaborer sa posture ar s que, celle de l’homme sans profession, du flâneur « qui porte un regard poé co-poli que et amusé sur ce qui transpire de l’espace urbain, … Il adopte l’idée de capter et de s’approprier des images issues de la rue pour les faire entrer dans le champ de l’art » (Michel Na er, extrait du catalogue de l’exposi on). Comment ? Au travers de l’interven on déterminante qui signe son choix d’ar ste : le cadrage. Dès lors, il se refuse à modifier en quoique ce soit le matériau prélevé hormis les indispensables interven ons de ne'oyage et de marouflage*. Rue Linois, décembre 1958 4 1959 : le « lacéré anonyme » « Mon œuvre, s’est organisée sous l’égide du "Lacéré Anonyme"… ce+e no on d’anonymat m’a sauvé : car si j’avais produit moi-même des affiches ou des tableaux, j’en aurais fait un très calme le ma n puis un autre expressionniste une heure plus tard. Or j’avais besoin, en tant qu’ar ste, d’oublier mon iden té et mes humeurs personnelles. Au moment où est apparue l’idée de "Lacéré Anonyme" j’ai su que j’avais trouvé l’idée générale. » C’est à l’occasion de sa première exposi on personnelle – Hains et lui explorent désormais des voies différentes – que Villeglé choisit le tre de « Lacérés anonymes » pour présenter ses producons. C’est le sens qu’il donnera désormais à une œuvre d’un demi-siècle où il condamne le mythe de la créa on individuelle, privilégiant « le ravir plutôt que le faire » (J.V.). Que reste-t-il alors en Villeglé de l’ar ste dont même la signature disparaît ? La cri que d’art Catherine Francblin répond à ce'e ques on : « [l’idée du « Lacéré Anonyme »] n’est pas la néga on de l’auteur. Elle est l’inven on d’un auteur, dans lequel se croisent et interfèrent des subjec vités mul ples, l’inven on d’un auteur polygloBe et polygraphe, d’un auteur qui nourrit l’ambi on de réaliser une œuvre digne de la Comédie Humaine balzacienne, à savoir une Comédie Urbaine. De ce fait l’œuvre mul plie les styles, s’avère protéiforme. » Et protéiforme, l’œuvre affichiste de Villeglé le sera. Jusqu’en 2000 environ où il met fin à ce travail, au travers de sa collecte de 4000 Lacérés anonymes, c’est une véritable « comédie urbaine » qui se joue, baromètre des gestes de contesta on poé que à l’égard du publicitaire ou du polique. Mais l’œuvre mul plie aussi les styles. Daniel Buren écrira à propos de Hains et Villeglé : « Leur originalité était de faire de grandes peintures abstraites sans toucher un pinceau. » Dans une veine moins typographique, plus proche de l’impressionnisme chez Raymond Hains, plus expressionniste chez Villeglé. Rue Saint-Jacques, 1992 Affiches lacérées marouflées sur toile 150 cm x 120 cm, Les Lacérés anonymes des années 50 ou 60 ressemblent davantage à de grands monochromes. Plus tard les cadrages insistent sur l’irrup on de la société de consomma on et des objets. D’autres affiches lacérées de toutes parts témoignent des âpres débats poli ques des années 1970 – 80. Chaque œuvre en tous cas témoigne du point de vue déterminant de l’auteur, qui, comme le photographe qui cadre sa prise de vue, crée l’objet et décide de l’effet produit sur le regardeur. 5 PRESENTATION DE L’EXPOSITION JACQUES VILLEGLE, ALPHABETS 1969, 28 février : « A Paris, ce jour-là, le général De Gaulle reçoit son homologue des U.S.A., le président Richard Nixon. Sur les murs d’un couloir de métro, le regard de l’ar ste bute sur tout un lot de graffi s vilipendant le nom de ce dernier à grand renfort de signes graphiques singuliers : les trois flèches du par socialiste français, la croix de Lorraine, la croix gammée, la croix cel que inscrite dans le cercle du mouvement d’extrême droite Jeune Na on. Comme il est li+éralement fasciné par ces graffi s, l’idée ne tarde pas à germer dans son esprit de créer un alphabet socio-poli que renvoyant à la guérilla des symboles dont traite Serge Tchakho ne dans ouvrage Le Viol des foules par la propagande » (Philippe Piguet, extrait du catalogue de l’exposi on). Alphabet,1994 peinture sur toile synthé que 89 x 120 cm « L’alphabet socio-poli7que » devient dès lors la seconde orienta on du travail de Villeglé et l’occupe de façon exclusive depuis 2000. Tout comme pour l’affiche, il s’agit d’un prélèvement d’un objet de la rue, d’un signe mais il y a désormais transforma on. « À chacune des leBres de A à Z - sauf le J… excep on oblige ! -, il se contente, soit d’ajouter, soit de subs tuer un ou plusieurs éléments graphiques qui soient proches de la structure même de la leBre transformée. Dans ce but, Villeglé n’hésite pas à faire se télescoper les signes entre eux, à mêler leur composants, à les accoupler parfois de façon improbable, voire à choquer leur sens originel, non par esprit de bravade mais par pur plaisir esthé que. Ainsi le A s’est-il vu remplacer par celui encerclé de l’anarchie ou par l’hexagramme du judaïsme ; le D, adopter la croix et le cercle du mouvement Occident ; le L, s’accaparer le signe de la livre sterling ; le T, celui du Golgotha ; le Y du yen… et tout à l’avenant. Le croissant à l’étoile de l’Islam, la faucille et le marteau, les symboles féminin et masculin, le trident du dieu de la mer, la croix du chris anisme, la svas ka, le bâton d’Esculape… : l’ar ste les a tous passés à la moulineBe de son imaginaire. Graphiquement parlant, le résultat est tout un monde de signes nouveaux qui s’offrent à voir dans une satura on formelle et un trouble visuel qui nous font prendre conscience de la surcharge informa ve qui caractérise notre époque » (Philippe Piguet, extrait du catalogue de l’exposi on). 6 « En relevant les signes qui, en un passé proche, ont été les symboles de forces éta ques, idéologiques, tyranniques, destructrices, je ne réveille pas plus la haine que je ne la banalise, précise Villeglé. Tout au plus, je secoue les ensommeillés, ceux qui refusent de regarder l’histoire en face. » C’est donc en tant qu’historien que Jacques Villeglé prétend agir. En tant qu’historien mais également en tant qu’ar ste pourvoyeur de messages pour lesquels il va mul plier les medium : gravure, lithographie, collage, photocopie, dessin, pochoir, bombage, peinture, sculpture, sous tous types de supports : papier, ssus, toile, ardoise, acier, etc. Je me disais qu’au départ, je me servirai de mon alphabet socio-poli que pour communiquer brièvement avec les autres ». Cette communication va prendre un tour protéiforme : celle de planches d’alphabet (ci-dessus) à la manière « d’un simple dessinateur de planches encyclopédistes » - dessinateur toutefois engagé à fois dans la transforma on plas que des formes et dans leur contenu lorsqu’il crée en 1983 son « Alphabet de la guérilla », communica on également sous forme de cita ons ou textes repris, de « simples » mots non dénués d’ironie comme le « Yes », composé des signes des trois monnaies dominantes de la planète, ou encore de graffi s érudits voire d’Haïkus comme : « Héros quent ou les zéros cs »(1995), « Travailler Produire Consommer le Cycle Infernal » (1996) ou encore « Si les signes vous fâchent quand vous fâcheront les choses signifiées » (2006). « L’alphabet socio-poli que apparait dès lors dans le parcours créa f de Jacques Villeglé, jeune de près de soixante-dix années de réinven ons, comme la poursuite de la recherche d’un nouveau langage visuel au service de l’irrup on de la subversion. Les murs ont la parole, 2001 Huile sur papier 13 cm x 95 cm, 7 Pistes de réflexion pour les enseignants : Ateliers d’ini7a7on ar7s7que PREMIER ATELIER POSSIBLE : « DE L’AFFICHE AU TABLEAU » A LA MANIERE DE JACQUES VILLEGLE Niveaux : de la maternelle au lycée ► Dans un premier temps, la visite commentée de l’exposi on permet de me're en évidence et d’explorer la démarche plas que de l’ar ste et son processus de créa on : - récupéra7on d’affiches lacérées, déchirées par des anonymes dans la rue. - elles font ensuite l’objet d’un recadrage par l’ar ste et d’un marouflage sur toile. - puis sont encadrées, suivant les normes conven onnelles du tableau afin d’être présentées dans des lieux d’exposi ons. Les fragments d’affiches de textures* et de tailles différentes, composés de couleurs et de mots ; créent de violentes ruptures au sein d’un espace déstructuré : phrases amputées, images « en charpie » y perdent leur efficacité première…la communica on. Jacques Villeglé nous propose ces images sans aucune autre interven on plas que de sa part que celle de sélec7onner telle ou telle par e, libéré de toute sorte de démarche de représenta on de la réalité visible. ► Dans un second temps, il s’agit (en pe t groupe sur un support papier format raisin) à par r d’un ensemble d’affiches et de magasines mis à la disposi on du groupe classe, d’en sélec7onner des par es, de les déchirer pour en faire des « lambeaux », de se les approprier et de les décontextualiser en les réorganisant sur un nouveau support pour créer une proposi7on plas7que et esthé7que nouvelle, non figura7ve, non narra7ve. Ce sera l’occasion d’aborder les no ons de composi on*, cadrage, contraste, rythme, dynamisme, couleur, graphisme, collage… NB : il est demandé aux classes inscrites aux ateliers de collecter avant leur venue des affiches pas forcément en bon état, et de porter des tenues ves mentaires adaptées à la pra que des arts plas ques. DEUXIEME ATELIER POSSIBLE : « MON ALPHABET/ MES MOTS » Niveaux : maternelle et primaire ► Dans un premier temps, la visite commentée de l’exposi on permet aux visiteurs de découvrir une série d’œuvres qui met en scène des alphabets dont chacune des leFres a été réinventée par l’ar7ste : mélange hybrides de signes, de symboles et des leFres tradi7onnelles. Nous assistons à la naissance de nouveaux caractères qui vont perme're l’écriture de MOTS, DE MESSAGES, DE NOMS…enrichis d’une poé que nouvelle. ► Dans un second temps, l’atelier : 1ère étape : au fil des œuvres rencontrées et sous forme de croquis au crayon, les enfants de manière subjec ve vont s’approprier les caractères de Jacques Villeglé pour se cons7tuer un alphabet personnel, composé de le'res hybrides relevées dans ses œuvres. 2ème étape : sur une feuille de papier canson de couleur 21x29,7 chacun va ensuite écrire au pastel, son prénom, son nom, un message…en réu lisant les le'res de son alphabet personnel. 8 Pistes de réflexion pour les enseignants. Histoire de l’art au XXème siècle : Villeglé entre Duchamp et le Street Art ? L’irrup7on du réel Les démarches de Duchamp et de Villeglé sont à la fois dissemblables et voisines. En bap sant un urinoir Fontaine (1917), la démarche de Duchamp est conceptuelle. Qui plus est, sa ma ère première est un objet manufacturé de série alors que les Lacérés anonymes sont des pièces uniques, un peu comme dans la grande tradi on picturale. De plus, les « ravissements » de Villeglé cons tuent également une « importa on symbolique d’ac ons subversives » (Michel Na er, catalogue) les rapprochant de la performance. Mais on ne peut s’empêcher de voir une parenté entre les deux œuvres. D’une part, les deux ar stes introduisent dans le champ de l’art des objets qui lui sont extérieurs. D’autre part, l’acte créateur de Villeglé s’inscrit profondément dans la formule émancipatrice de Duchamp : « c’est le regardeur qui fait l’œuvre », accordant ainsi la primauté à l’ar ste… et au spectateur, ce qu’est bien tout à tour Jacques Villeglé au fil de ses flâneries. Du passé faisons table rase ? Comme aux alentours des années 1910 – 1915, les années d’après la Seconde Guerre Mondiale vont voir la floraison de nouveaux courants ar s ques (voir chronologie ci-dessous). Pour les jeunes Raymond Hains et Jacques Villeglé, dans ces années-là, on ne peut plus représenter le monde comme avant, comme ils le voient représenté dans les galeries parisiennes de l’époque ou comme on va le leur enseigner à l’Ecole des Beaux-Arts. C’est précisément dans les débris du monde ancien, le Mur de l’Atlan que, qu’ils vont recueillir en 1947, les premiers éléments d’un nouveau vocabulaire de débris ou de déchets. Leur première composi on Fils d’acier, Chaussée des Corsaires, Saint-Malo, présente dans les collec ons du Centre Pompidou, est considérée par certains comme une œuvre fondatrice du futur Nouveau Réalisme. Les ravissements d’affiche amènent Hains et Villeglé à bousculer le champ de la représenta on picturale. Braque et Picasso avaient intégré des éléments du réel à certains de leurs tableaux. Hains et Villeglé en transportant des affiches lacérées dans des galeries et en leur accordant de fait le statut de peintures tantôt plutôt abstraites, tantôt plutôt narra ves « [font] exploser le cadre de la représenta on picturale ». Fils d’acier, Chaussée des Corsaires, Saint-Malo, août 1947 Sculpture en 2 éléments. Fils d'acier, 63 x 47 x 9 cm Centre Pompidou, Musée na onal d’art moderne, Paris 9 Nouveau réalisme Dans son ouvrage « Jacques Villeglé ou l’éclatement régénérant des signes », Didier Dauphin poursuit : « Plutôt que de transposer le réel, il [J.V.] a opté pour le transporter directement sur les lieux d’exposi on. Si le geste paraît aujourd’hui convenu et si l’art contemporain nous a habitués à ces transports d’objets bruts, ceBe appropria on était à l’époque révolu onnaire et préfigurait non seulement le mouvement des Nouveaux Réalistes mais aussi, dans une moindre mesure, ce recyclage de l’imagerie de la société de consomma on que va systéma ser le Pop Art tout au long des années 1960 ». Nouveaux Réalistes, le mot est lâché et génère ce nouveau mouvement informel de fortes individualités qui se cons tuera au début des années 1960 à l’ini a ve du cri que d’art Pierre Restany et d’Yves Klein. Pour Villeglé, Klein, Arman, François Dufrêne, Hains, Tinguely, Mar al Raysse, puis César, Niki de Saint-Phalle ou Christo, il s’agit de revenir à la réalité, en s’opposant au lyrisme de la peinture abstraite de ce'e époque (Pollock, Ma'hieu) mais sans tomber dans le piège de la figura on, connotée (au choix) pe te-bourgeoise ou stalinienne en u lisant des objets prélevés dans la réalité de leur temps. Démarche parallèle à celle du Pop Art américain dont le point de vue sera considéré toutefois comme moins cri que. Si les Lacérés anonymes ne cons tuent pas au sens ar s que du terme des performances comme le seront celles d’Yves Klein, en tant que transcrip on symbolique d’actes (ceux des passants) mais aussi en tant que témoignage des ravissements de l’ar ste (qui seront d’ailleurs parfois filmés), ne peut-on pas les considérer comme une préfigura on de ces nouveaux objets issus du réel que seront les performances ? Villeglé et après ? Au carrefour de bien des champs d’inves ga on, l’œuvre de Jacques Villeglé est donc de celles qui au tournant du siècle dernier a façonné un nouveau langage visuel mais également fait évoluer notre regard. Elle occupe dès lors une place singulière tant dans l’art contemporain que dans notre patrimoine culturel. Mais qu’elle soit patrimoniale ne signifie pas que l’œuvre de Villeglé ne soit pas encore féconde. Elle « hante l’œuvre de nombreux ar stes du Street art contemporain » notamment « en ma ère d’arrachage, de décollage et de collage » (Patrick Le Fur, bibliographie), mais aussi par l’intérêt que Villeglé a porté aux graffi s à l’origine de ses alphabets socio-poli ques et les détournements de sens qu’il leur a fait subir et plus généralement par le regard qu’il a porté sur la rue comme lieu de nouvelles expériences socio-poé ques, esthé ques, ar s ques. Rue Rambuteau, janvier 1972 10 Pistes de réflexion pour les enseignants : histoire « En prenant l’affiche, je prends l’histoire » (J.V.) « Une an dote contre toute propagande » C’est, entre autres, ainsi que Jacques Villeglé se plait à considérer son œuvre, qu’il s’agisse d’une « héraldique de la subversion » composée de signes détournés dans les Alphabets socio-poli ques ou des affiches, témoins des lacéra ons anonymes des passants. Et ces passants, c’est bien un geste de contesta on plus ou moins conscient qu’ils accomplissent ainsi, dans la société française des années 1950 – 1960 en proie à des conflits poli ques violents (pour ou contre l’U.R.S.S., les U.S.A., pour ou contre la Guerre d’Algérie ou l’indépendance) et à une propagande tous azimuts (stalinienne, gaulliste). Souvent Villeglé fait référence au Viol des foules par la propagande poli que, l’ouvrage de Serge Tchakho ne, disciple de Pavlov et socialiste qui analysait la manière dont les régimes de Hitler et Mussolini étaient parvenus à une adhésion des foules en faisant appel aux ins ncts psychiques primaires. Par ailleurs, en ne privilégiant aucune opinion, Villeglé nous permet d’observer plusieurs niveaux de discours en conflit. « La lacéra on est un Non ! » La première exposi on de Hains et Villeglé en 1957 chez Cole'e Allendy est in tulée : Loi du 29 juillet 1881 ou le lyrisme à la sauveBe. Ladite loi s pule que « ceux qui auront enlevé, déchiré, recouvert ou altéré par un procédé quelconque, de manière à les traves r ou à les rendre illisibles, des affiches apposées par ordre de l’administra on dans les emplacements à ce réservés seront punis d’une amende de 5 à 15 francs ». L’art n’est-il pas la plus haute forme de l’esprit de contradic on ? Rue Beaubourg,1979 Affiches lacérées marouflées sur toile 89 cm x 116 cm, En arrachant des affiches, Villeglé contrevient à la loi. Ce qui lui vaudra des rencontres épiques avec des agents de police, l’incompréhension de certains militants poli ques et surtout « une censure qui s’exprima néga vement de diverses manières. Esthé quement, très bien mais que cela reste abstrait. » « Surtout ne pas montrer des images qui peuvent rappeler des souvenirs cuisants ou douloureux, des faits qu’on aimerait cacher, oublier, des personnages qui ne sont pas de votre bord ou qui, si vous les respectez, sont caricaturés. » (J.V.) Les années 1960 voient l’émergence de la société de consomma on en France. Didier Dauphin (déjà cité) voit dans les Lacérés anonymes « des déchets », des objets « usés et abîmés par eux-mêmes à l’opposé de la ru lance des objets de consomma on ». Il poursuit : « leur caractère ins nc f est l’obs na on des sujets anonymes à ne pas vouloir entrer dans le monde parfaitement lissé de la sollicitude publicitaire ». Au travers de ce qu’il nomme sa « collec on » de 4000 affiches, Villeglé a bien contribué à écrire un demi -siècle de Comédie urbaine de la société française du XXème siècle. Comme il se plait à le dire toujours un brin provocateur : « J’es me avoir ramené la peinture d’histoire dans l’histoire de l’art ». 11 Pistes de réflexion pour les enseignants : philosophie « L’oisiveté du flâneur, comme observa on acharnée de la vie urbaine est au fond un travail intense » (Walter Benjamin). Flâneur acharné à « relever ces traces de civilisa on » (W. Benjamin) que sont affiches, signes et graffi s, Jacques Villeglé refuse la posture de l’ar ste démiurge d’une œuvre qui serait l’expression de son individualité. Au « faire de la transposi on esthé que » (J.V.) il veut subs tuer l’acte d’appropria on jusqu’à annihiler en lui le mé er de peintre. Plus tard avec Raymond Hains, il revendiquera, non sans humour, la pra que du non-ac on pain ng (en référence et en opposi on à l’ac on-pain ng de Jackson Pollock par exemple). Dans son texte in tulé « Des réalités collec ves » Villeglé condamne le mythe de la créa on individuelle. Le génie collec f des lacérateurs d’affiches le dispense du moindre geste de créa on (sa devise n’est-elle pas « le ravir plutôt que le faire » !). Avec les Lacérés anonymes dès 1959, ce qu’il convient néanmoins d’appeler les œuvres de Villeglé ne sont plus signées. « Tandis qu’un certain nombre de leurs confrères désignent et signent le réel, écrit Catherine Millet, les affichistes entreprennent plutôt de "dé-signer"». L’ar ste s’efface au profit de l’expression spontanée de la rue. Inventeur Villeglé a tendance à se penser comme le collec onneur des Lacérés Anonymes. L’écrivain Michel Tournier apporte un éclairage par culier sur ce travail. Au Japon, rapporte-t-il, il existe depuis des siècles une tradi on qui est fondée sur « le ramassage des cailloux ». « Plus le ramasseur est grand, génial, inven f, plus les cailloux qu’il choisit sont à la fois semblables entre eux dans leur variété – appari on d’un style – introuvables par d’autres que lui et bien entendu beaux. » Michel Tournier demande par ailleurs « de réfléchir sur le double sens du mot « inventer ». « Inventer c’est bien sûr créer, faire sor r du néant. Mais c’est aussi – selon un sens archaïque et qui n’est plus usité que par les juristes – découvrir une chose existant au préalable. L’homme qui déterre un trésor dans son jardin est appelé juridiquement l’inventeur de ce trésor. » De ce fait, Villeglé est un inventeur, du genre qui ne cherche pas mais trouve. C’est la posture de l’ar ste en Occident qui est par là même réinventée. Situa7onniste « La ville en pleine muta on efface les repères géographiques, écrit Guy Debord, si bien que seuls les repères psycho-géographiques sont encore visibles ». Jacques Villeglé ne partage pas ce'e seule vision de l’espace urbain avec le créateur de l’Interna onale Situa onniste (à laquelle il assiste) puis auteur de la Société du spectacle. Même goût pour l’arpentage des rues mais surtout pour la clandes nité (héritage de la guerre) qui est en fait une volonté à travailler à l’effacement de soi et qui se traduira également pour Villeglé à travers l’alphabet socio-poli que et ses langages codés. 12 Vocabulaire Abstrac on : tendance ar s que née au XXè siècle qui ne cherche pas à représenter la réalité visible mais invente un langage plas que autonome. Peu avant la Seconde Guerre Mondiale avec Pollock et Rothko aux U.S.A. mais surtout après, en Europe, avec MaBhieu en France, l’Abstrac on lyrique est le courant ar s que dominant. Il prône une grande liberté du langage plas que au service de l’expression directe de l’émo on individuelle. CeBe posture qui met au centre l’individu ar ste est récusée par Jacques Villeglé. Collage : procédé associant dans une composi on ar s que des éléments et des matériaux de différentes natures. Composi on : posi on des différents éléments organisés sur un support. Maroufler : coller un dessin, une peinture ou une photo sur un support rigide. Nouveau Réalisme : ceBe « nouvelle approche percep ve du réel » sera revendiquée par un groupe d’arstes signataires d’un texte élaboré par le cri que d’art Pierre Restany dans l’atelier d’Yves Klein en 1960. Contre l’abstrac on lyrique, ils prônent un retour à la réalité qui intègre des objets prélevés dans la réalité de leur temps (compressions d’objets de César, objets accumulés d’Arman, machines de Jean Tinguely, affiches de Villeglé, performances d’Yves Klein, etc). Situa onnisme : mouvement poli que autant que philosophique ini é par Guy Debord, fondateur en 1957 de l’interna onale Situa onniste (J.V. assista à sa fonda on et fut proche de Debord). La cri que de Debord, s’en prend à la no on de " spectacle " média sa on totalitaire de l’univers individuel. Il convient dès lors d’abolir l’art en tant que tel pour le transposer en " vie libre ". Car l’art, selon Debord, fait par e de ce " spectacle " qui réduit l’homme à un consommateur passif, qui lui fait miroiter le bonheur et l’aventure tout en le confinant dans l’ennui du quo dien. CeBe aboli on de l’art revenait en premier lieu à abolir toutes les formes de représenta on et à la créa on de situa ons comme moyen de réappropriaon de la vie libre, notamment de détournements de manifesta ons de la « Société du spectacle ». Le détournement devait premièrement permeBre de replacer dans un nouvel ensemble significa f subjec f les débris du " spectacle " et devenir ainsi créa f dans sa propre vie. On peut supposer que Debord a vu dans les Lacérés anonymes des détournements de la société du spectacle. Texture : aspect visuel et tac le de toute ma ère. Rue Pelleport, 20ème, Affiches lacérés marouflées sur toile 121 cm x 106 cm 13 Bibliographie, sitographie Bibliographie Bernard Blistène, Une histoire de l’art du XXème siècle, Beaux-Arts Edi on, Paris, 2008 Didier Dauphin, Jacques Villeglé ou l’éclatement régénérant des signes, Archibooks, Paris 2008 Patrick Le Fur, Jacques Villeglé, l’art urbain s’affiche, Opus Délits, Grenoble 2011 Michel Na er, Philippe Piguet, Jacques Villeglé, affiches et alphabets 1956 - 2013, catalogue de l’exposion du musée de Louviers, Edi ons Points de vue, Rouen, 2015. Sitographie Site de l’ar ste : h'p://villegle.free.fr/ Le Monde des arts, ar cle Jacques Villeglé h'p://media on.centrepompidou.fr/educa on/ressources/ENS-villegle/ENS-villegle.html Jacques Villeglé, la comédie urbaine, exposi on du Centre Pompidou, sept 2008 – janv 2009, dossier pédagogique : h'p://media on.centrepompidou.fr/educa on/ressources/ENS-villegle/ENS-villegle.html h'p://www.histoiredelart.net/ Carré magique arbre généalogique, 2009 Encre de Chine sur papier, 34,4 cm x 31 cm 14 Ateliers d’ini7a7on ar7s7que Premier atelier possible « DE L’AFFICHE AU TABLEAU »… à la manière de JACQUES VILLEGLE. Dans un premier temps : la visite commentée de l’exposi7on permet de meFre en évidence et d’explorer la démarche plas7que de l’ar7ste et son processus de créa7on. -récupéra7on d’affiches lacérées, déchirées par des anonymes dans la rue. -elles font ensuite l’objet d’un recadrage par l’ar7ste et d’un marouflage sur toile. -puis sont encadrées, suivant les normes conven7onnelles du tableau afin d’être présentées dans des lieux d’exposi7ons. Les fragments d’affiches de textures et de tailles différentes, composés de couleurs et de mots ; créent de violentes ruptures au sein d’un espace déstructuré : phrases amputées, images « en charpie » y perdent leur efficacité première…la communica7on. Jacques Villeglé nous propose ces images sans aucune autre interven7on plas7que de sa part que celle de sélec7onner telle ou telle par7e, libéré de toute sorte de démarche de représenta7on de la réalité visible. Dans un second temps : il s’agit ( en pe7t groupe sur un support papier format raisin) à par7r d’un ensemble d’affiches et de magasines mis à la disposi7on du groupe classe, d’en sélec7onner des par7es, de les déchirer pour en faire des « lambeaux », de se les approprier et de les décontextualiser en les réorganisant sur un nouveau support pour créer une proposi7on plas7que et esthé7que nouvelle, non figura7ve, non narra7ve. Pour se faire seront abordées les no7ons de : -composi7on, cadrage, contraste, rythme, dynamisme, couleur, graphisme, collage… NB : il est demandé aux classes inscrites aux ateliers de collecter avant leur venue des affiches pas forcément en bon état, et de porter des tenues ves7mentaires adaptées à la pra7que des arts plas7ques. Vocabulaire : Texture : aspect visuel et tac le de toute ma ère. Composi on : posi on des différents éléments organisés sur un support. Maroufler : coller un dessin, une peinture ou une photo sur un support rigide. Collage : procédé associant dans une composi on ar s que des éléments et des matériaux de différentes natures. Abstrac on : tendance ar s que née au XXè siècle qui ne cherche pas à représenter la réalité visible mais invente un langage plas que autonome. 15 Ateliers d’ini7a7on ar7s7que Deuxième atelier possible « MON ALPHABET» à la manière de… Au cours de la visite commentée de l’exposi on, les visiteurs découvrent une série d’œuvres qui met en scène des alphabets dont chacune des leFres a été réinventée par l’ar7ste : mélange hybrides* de signes, de symboles et des leFres tradi7onnelles. Nous assistons à la naissance de nouveaux caractères qui vont perme're l’écriture de MOTS, DE MESSAGES, DE NOMS…enrichis d’une poé que nouvelle ! 1ère étape, A la manière de Jacques Villeglé, chaque enfant va créer une ou plusieurs leFres de l’alphabet sur une feuille de papier canson blanc ou de couleur. Il va à son tour fabriquer ces nouvelles le'res par un exercice d’hybrida7on de signes, de symboles, de formes qui appar ennent à son univers et vocabulaire formel personnel. (cf : Enluminures, histoire de l’art) Technique mixte 2ème étape : Le groupe classe fédère ses créa ons et travaille en classe une mise en scène originale de l’alphabet, c’est-à-dire une présenta on dans l’espace non linéaire. Chaque enfant se rend à l’atelier muni d’une feuille de papier Canson couleur 21x29,7 ou 24x32 *hybride : qui résulte du croisement de deux espèces différentes, qui est composé d’éléments de nature différente. 16 Exposi7on, modes d’emploi VISITE DE L’EXPOSITION POUR LES ENSEIGNANTS MERCREDI 20 MAI A 14H30 inscrip7ons au 02.32.09.58.55. possibilité d’une autre visite à la rentrée QUAND ? DATES DE L’EXPOSITION: DU 16 mai au 1er NOVEMBRE 2015 OU ? MUSEE OUVERT DU MERCREDI AU LUNDI : 14H – 18H. ENTREE LIBRE. VISITE GUIDEE GRATUITE LE PREMIER DIMANCHE DU MOIS A 15H. PLACE ERNEST THOREL, LOUVIERS. 02.35.09.58.55. COMMENT ? Visites et ateliers de pratique artistique sont gratuits pour les établissements de la C.A.S.E. (Communauté d'Agglomération Seine-Eure). Venir au musée : à pied ou en bus (lignes 1, 2, B, C, H, V1 et 390) QUI CONTACTER ? POUR PREPARER UNE VISITE, UN ATELIER Isabelle Aubert ou Laurent Cavelier (service éducatif), le vendredi matin 06.60.10.75.87. ; [email protected] POUR RESERVER UNE VISITE ET/OU UN ATELIER DE PRATIQUE ARTISTIQUE : Isabelle Aubert (médiatrice culturelle), les lundi, mardi après-midi, jeudi et vendredi au 02.32.09.55.69. [email protected] Dossier pédagogique réalisé par Laurent Cavelier, service éduca f du musée de Louviers 17