eil sur la montagne

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Alpiniste au sommet du mont Blanc - 03/07/2015
Lettre de La Chamoniarde sur les risques naturels - Août 2015 - N°2
Si l’été 2014 ne nous a pas gâtés côté météo, celui en cours nous a, à l’inverse, franchement rappelé les
conditions de la canicule de 2003. Au-delà des inconvénients ressentis par l’Homme, la montagne a elle
aussi souffert comme à chaque période de chaleur excessive, manifestant clairement son tourment. Une
haute montagne sèche, de maigres couches de glace retenant leur souffle, des rimayes criant leur désarroi la
bouche grande ouverte, des glaciers grisonnants et des parois suintantes en arrière plan, souvent cachées
par des nuages de poussière... un paysage auquel notre oeil n’est pas habitué, un paysage qui manque... de
contrastes.
Un bas de vallée quant à lui surprenant, avec des langues glaciaires assoiffées, des pelouses brunies par
le soleil et à côté de cela, des torrents pleurant abondamment, débordant même de vitalité sous les pluies
orageuses effrénées.
UN ÉTÉ CHAUD BOUILLANT À CHAMONIX... AUSSI
«Record mondial de chaleur», «la planète a battu son record», l’été et particulièrement le mois de juillet ont été chauds, caniculaires. Chamonix malgré ses 1000 m
d’altitude, n’a pas échappé à la règle. Les barbecues se sont éternisés jusqu’au bout de la nuit, en manches courtes svp, phénomène plutôt rare dans une vallée
de montagne dominée par les glaciers et habituellement rafraîchie par les brises.
Gilles Brunot, directeur de Météo France Chamonix nous explique pourtant qu’ avec nos 35,7°C (maximum observé en journée le 5/07/15), le record n’a pas été
battu puisqu’il revient à la journée di 31 juillet 1983 avec une température de 37.2°C (et pas le matin... vous en conviendrez). Par contre, le mois de juillet 2015 a
été le plus chaud jamais enregistré : température moyenne de 20.2°C (ancien record de 20.1°C en juillet 1983 et un mois d’août 2003 - année de la précédente
grande canicule - «seulement» à 18.7°C).
Les précipitations ont de leur côté été largement déficitaires avec cependant d’importantes quantités
d’eau relevées sous les fronts orageux, notamment le 24/07 avec 43 mm de cumul d’eau.
Sous les orages, 5 crues décennales se sont enchaînées en 15 jours sur le bas de vallée et sur la
commune de Vallorcine.
UN ZERO POINTÉ pour le mont Blanc
Crue de la Griaz- Commune des Houches
Youtube/La Chamoniarde/playlist risques naturels
Pendant que les eaux brassaient tumultueusement et que les températures cherchaient l’exclusivité
« en bas », l’isotherme 0°C (entendez la ligne imaginaire reliant tous les points de même température
à une altitude donnée) a tranquillement avoisiné l’altitude du mont Blanc plusieurs fois dans l’été, et
régulièrement dépassé les 4 500 m ! Forcément, ça a inquiété... les alpinistes dans un premier temps
parce qu’avec une température moyenne de 16.8°C en juin (deuxième mois de juin le plus chaud
jamais enregistré, derrière juin 2003 avec 18.6°C), les courses de neige étaient déjà fortement déconseillées à la mi-juillet. Malgré des ciels clairs et pas de vent, le regel nocturne était quasi inexistant.
Les géomorphologues sont quant à eux restés attentifs au «caillou». Les dernières périodes de canicule ont en effet souvent laissé de grosses cicatrices dans
la montagne ou tout du moins annoncé de gros évènements à venir.
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UNE BOMBE A RETARDEMENT SUR LE PERMAFROST
Ami de nos montagnes (parce qu’il leur permet de tenir debout), le permafrost (ou pergélisol) a encore souffert
cet été. En témoignent les quelques 130 écroulements rocheux dans le massif du Mont-Blanc relevés cette
saison par les observateurs de la montagne. Les brutales et importantes précipitations orageuses de l’été ont
aussi participé à la dégradation du permafrost. Mais comme le précise Ludovic Ravanel (CNRS/EDYTEM)
expert en la matière, le plus gros est peut-être à venir : durant l’automne ou début de l’hiver prochain.
Les observations « immédiates » de cet été correspondent en effet à la déstabilisation d’une couche plus ou
moins superficielle de la roche. Mais la chaleur emmagasinée par la roche met parfois du temps à atteindre la
glace « liante » des zones de fractures plus profondes et lorsqu’elle y accède, les volumes mobilisés peuvent
être importants.
INCIDENCES SUR DES ITINERAIRES SENSIBLES : le couloir du Goûter
La traversée du couloir sur la voie normale du mont Blanc est réputée pour ses chutes de pierres durant les
heures chaudes de la journée, mais durant cet été 2015 (tout comme durant la canicule de 2003), la fréquence
et les volumes des blocs mobilisés étaient tels qu’une information sur le bas de vallée n’était pas suffisante. Les
gendarmes présents à Tête Rousse depuis l’été 2013 dans le cadre du dispositif de régulation de la
fréquentation de l’accès au mont Blanc ont alors veillé à
déconseiller cet itinéraire ne pouvant être parcouru dans
des conditions « normales » de sécurité (tout comme ils
l’avaient fait en 2003). Afin de rendre la dissuasion encore plus grande, un arrêté municipal a été lancé à deux
reprises annonçant la fermeture du refuge du Goûter.
Pourquoi ne pas en interdire l’accès ?
On ne peut pas fermer un itinéraire de haute montagne
pour risques naturels exceptionnels, sous peine de ne
Chutes de pierres- Couloir du Goûter - 08/08/2015 jamais pouvoir le réouvrir, faute d’être apte à garantir
Youtube/La Chamoniarde/playlist risques naturels l’absence de risques objectifs.
alp-risk.com
Pensez à partager vos observations !
Eboulements, chutes de séracs,
crues torrentielles, glissement de
terrain ...
Tous les évènements naturels
nous intéressent !
Alp-Risk.com
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UN EFFET IMMEDIAT SUR LES GLACIERS
Si de plus en plus « canicule en montagne » rime avec dégradation du permafrost, chutes de pierres, éboulements et écroulements (tout est question de volume),
la majorité de la population contemplative, voit dans ces températures excessives la disparition des glaciers. Car la glace fond sous l’effet de la chaleur, pas la
roche ! Disons que le lien est plus direct. Mais un glacier ne réagit pas comme un glaçon qui disparaît au soleil. Rien n’est irréversible.
PETIT RAPPEL SUCCINT pour éviter tout malentendu
zone d’accumulation
GLACIER
Un glacier de vallée, comme la Mer de Glace par exemple, qui s’étend de 4000 m à 1450 m d’altitude sur une épaisseur de
400 à 80 m, ne réagit forcément pas de la même façon qu’un glaçon ! La fonte du glacier s’opère principalement dans sa
zone d’ablation, soit en dessous de 3100 m. Au dessus, dans la zone d’accumulation, la glace se fabrique, lentement (grâce
aux précipitations neigeuses) et alimente le glacier.
Il « coule » ensuite naturellement, glissant sous son propre poids, grâce à la déformation de la glace et au lubrifiant que
constitue l’eau entre la glace et le lit rocheux. Des séracs tomberont, très certainement, au niveau
des ruptures de pente du glacier. La glace fond ensuite dans la zone d’ablation. Ceci constitue
le cycle normal d’un glacier. Pas besoin du réchauffement climatique ni de canicules pour que
zone d’ablation
ça fonctionne !
Fluctuation du front de la Mer de Glace - Distances calculées à partir du profil du Chapeau.
Ce qui fait qu’un glacier est en crue ou décrue dépend du bilan de masse annuel :
ce dernier est calculé grâce aux mesures du total des précipitations neigeuses,
duquel on enlève la masse d’eau perdue par la fonte (neige et glace). Le bilan
est soit positif (le front avance), soit négatif (il recule).
D’après les glaciologues, les avancées et reculs des glaciers aux XVIIIème et
XIXème siècles étaient principalement liés à l’augmentation ou diminution des
précipitations hivernales. Mais les études montrent que depuis le début du XXème
siècle, ce sont bien les températures estivales qui expliqueraient les retraits
glaciaires observés.
Les glaciers réagissent très rapidement à des températures comme celles de cet
été : malgré des semaines entières sans pluie, l’Arve est restée en grande forme,
prouvant bien la fonte des stocks d’altitude. Les mesures glaciaires se feront fin
septembre comme chaque année mais il est fort probable qu’avec les températures de cet été et la douceur de l’hiver passé (et peu de précipitations) que le
bilan glaciaire soit fortement négatif...
600 m
40 ans = - 800 m
400 m
20 ans
=
- 600 m
200 m
0
- 200 m
- 400 m
- 600 m
- 800 m
LA FONTE À 4000 m
- 1000 m
source : GLACIOCLIM-LGGE
Le travail de notre stagiaire,
1880
1900
1920
1940
1960
1980
2000
Aurélien Bessot, travaillant sur
« La caractérisation de l’impact du retrait glaciaire sur les itinéraires d’alpinisme du massif du Mont-Blanc » nous
informe que depuis quelques années, une fonte non négligeable se produit à des altitudes plus élevées. Ainsi,
lors de mesures de niveaux glaciaires en pied de parois en plein bassin d’accumulation (entre 3400 et 3600 m),
une perte d’épaisseur de l’ordre de 25 à 35 m a pu être observée par rapport aux niveaux de 1987 (date des photographies constituant le corpus de référence). Notons les résultats de l’étude conduite par le LGGE et le LEGOS
à partir d’images satellitaires (Spot 5 et Pléiades) qui révèlent aussi, mais dans une moindre mesure une ablation
Dégradation de l’arête de l’Aiguille du Midi - août 2015 dans la zone d’accumulation.
Photo : Andy Parkins
Depuis 1993, le retrait glaciaire est vertigineux sur certains glaciers et nul besoin d’être âgé de + de 70 ans ou de faire appel aux photos des grands, voir
arrière grands parents pour en constater l’effet. Il suffit par exemple aux alpinistes d’emprunter régulièrement l’accès à la Mer de Glace ou aux différents refuges
de son bassin pour constater l’augmentation annuelle des équipements spéciaux* (échelles, mains courantes, pédales, etc.) mis en place par le service des
pistes et sentiers de la communauté de communes de Chamonix. Nul besoin non plus d’avoir vécu 100 ans ou plus pour voir certains itinéraires disparaître.
LES BALCONS DE LA MER DE GLACE FONT PEAU NEUVE
Chute de séracs - Glacier de la Charpoua - Août 2014
Photo : Eric Courcier
Cet itinéraire en balcon, en rive droite de la Mer de Glace permettant de rejoindre le refuge de la
Charpoua puis du Couvercle, a été créé en 1998. Réservé aux personnes
autonomes et équipées, connaissant les dangers du monde périglaciaire et
glaciaire (et sachant s’en préserver) a été un véritable succès pendant de
nombreuses années. Mais lui non plus n’a pas échappé à la règle : le rajout
d’équipement a été nécessaire et tout aurait continué ainsi dans les années
à venir si l’itinéraire ne comportait pas une traversée sur dalles, dominée
par le glacier de la Charpoua. C’est d’abord durant l’été 2003, puis durant
les étés 2007, 2009, 2010 et surtout 2014 que le front glaciaire s’est successivement écroulé rendant la traversée trop aléatoire (arrêt de son balisage
et de son entretien par le service pistes et sentiers en août 2014). Selon
Ludovic Ravanel, « le glacier aurait subi au cours de l’été 2014 une déstabilisation régressive peut-être initiée par les fortes précipitations de juillet
de ce même été. Ces dernières auraient entraîné l’accélération de la partie
Nouveau départ - Août 2015
frontale du glacier à l’origine des premières ruptures ».
1998-2014 : telle a été la période de vie de cet itinéraire aujourd’hui modifié (informations à l’OHM),
prenant depuis ce mois d’août un nouveau départ
plus en amont, avec de nouvelles échelles qui un
jour ou l’autre verront s’éloigner le glacier.
La Chamoniarde, dont les activités sont orientées vers une plus grande sécurité en
montagne, vous propose une lettre pour développer chez tout un chacun la connaissance des risques, une culture indispensable pour comprendre le milieu naturel dans
lequel nous vivons mais également pour être acteur de la prévention. Car s’il appartient au Maire, aidé des services de l’Etat, de prendre les mesures nécessaires pour
protéger les populations, il nous appartient de nous informer, de nous responsabiliser face aux risques et aux événements naturels exceptionnels.
Au mois d’août 2015, La Chamoniarde et le laboratoire
EDYTEM ont installé un appareil photographique face
au glacier de la Charpoua permettant de suivre son
évolution et ainsi étudier sa dynamique générale.
Mise en place de l’appareil photo
La Chamoniarde, Société de Prévention et de Secours en Montagne
*
Mains courantes
Pédales
Câbles/Chaînes
Echelles
2001
321 (894 m)
321
8
234 (640 m)
2015
424 (1487.5 m)
761
11
261 (838.25 m)
Tableaux évolutif des principaux aménagements spéciaux pour les accès aux refuges
Source : service piste et sentiers, ComCom de Chamonix
Maison de la Montagne - 190, place de l’Eglise - 74400 Chamonix
Tel. : 04.50.53.22.08 - www.chamoniarde.com
Président : Jean-Christophe Bèche
Directeur : Christophe Boloyan
Rédaction : Anne Revilliod
La Chamoniarde remercie vivement ses partenaires
et en particulier la Commune de Chamonix et la Compagnie du Mont-Blanc.
Cette lettre est distribuée grâce au soutien de la Commune de Chamonix.