Dieppe dans l`Entre-deux-guerres

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Dieppe dans l`Entre-deux-guerres
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Dieppe dans
l’Entre-deux-guerres
Des Années folles à la Crise,
les métamorphoses d’une ville
Exposition réalisée par le service d’Animation du Patrimoine de Dieppe (Dieppe Ville d’art et d’histoire)
et le Service régional de l’Inventaire et du Patrimoine de Haute Normandie.
Commissaires d’exposition : Viviane Manase, conservateur du patrimoine, Région Haute Normandie,
Stéphanie Soleansky, animatrice de l’architecture et du patrimoine,
avec la participation de Pierre Guérard, étudiant en histoire à l’université de Rouen.
Remerciements :
• Véolia
• Sodineuf, Dieppe
• Archives municipales
• Archives départementales
• Château-Musée de Dieppe
• Chambre de Commerce et d’Industrie de Dieppe
• Fonds et ancien local de la médiathèque Jean Renoir
• Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Paris
• Dominique Corrieu-Chapotard, Jérôme Decoux, Claude De Mazeux,
Claire Etienne, Michel Hauduc, Monsieur Leroy, Alain Lieury,
Monsieur Ligny, M.et Mme Ouvry, M.Michel Patenotte, Alice Perrotte,
Florence Plantrou, Emmanuelle Réal, Mme Richomme, M. et Mme Vallois
Conception Graphique : Ludwig Malbranque, Ville de Dieppe
Relecture : Emilie Vallois, Ville de Dieppe
Cartographie : Guillaume Gaillard, Région Haute-Normandie
Crédits photographiques : Yvon Miossec, Christophe Kollmann,
Denis Couchaux, Viviane Manase, Région Haute-Normandie
Ludwig Malbranque, Ville de Dieppe
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Le contexte économique et social
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la vie dieppoise reprend ses droits,
baignée par l’atmosphère insouciante des
années folles, aux rythmes endiablés d’un
jazz, d’un charleston ou d’un tango. Dieppe
renoue avec la prospérité, portée par son
statut mixte de ville portuaire et de station
balnéaire. La triple vocation du port –
pêche (harengs), commerce et voyageurs –
qui draine et dynamise toute
l’économie et l’industrie de la
ville va prendre une toute
autre ampleur. Entre les deux
guerres, les importations augmentent et se diversifient
Réception puis
classement par
lots des régimes de
bananes, 1939,
© coll. Chambre
de Commerce
de Dieppe
mais la ville devient surtout un centre d’importation de fruits et légumes d’envergure
nationale, et en particulier l’un des tout premiers ports bananiers français. Enfin, l’importance du trafic passagers « Dieppe –
Newhaven » (260 000 passagers par an
entre 1924 et 1927), classe la ville au 5e rang
des ports français.
En revanche, bien qu’encore source d’opulence, les activités balnéaires proposées par le
casino municipal ne connaissent plus le brillant succès d’avant-guerre, entravées par une
rude concurrence et une difficile mise au goût du jour de
l’édifice, puis par les effets de
la crise de 1929.
Promenade de la
plage de Dieppe,
vers 1935,
© Fonds ancien de
la Ville de Dieppe
Dans le même temps, le manque de logements partout ressenti dans le pays freine
l’essor industriel et commercial de la ville.
Certains acteurs de la vie dieppoise s’appliquent à y remédier, en favorisant le
développement de logements sociaux et la
construction d’écoles, à l’origine de nouveaux quartiers, et créent la paroisse de
Janval. Ce mouvement en faveur des
Habitations à Bon Marché paraît cependant
s’essouffler dès le milieu des années 1930,
peut-être en raison de la difficile conjoncture
mondiale suscitée par la crise de 1929.
L’extension de la ville — due plus au renouvellement de l’habitat qu’à la faible progression de sa population (de 23 000 et 25 000
habitants) — la mutation des modes de vies
et des loisirs marqués par la pratique du
sport,
l’héliotropisme
ou
le
cinéma
impliquent la modernisation et l’émergence
de réseaux publics et d’équipements qui vont
changer la physionomie de la cité
L’industrie aussi…
La reprise des industries d’avant-guerre, la généralisation de
l’électrification et le dynamisme de certaines usines nouvellement installées près du port comme la firme Vendeuvre (1920)
pionnière en matière de mécanisation agricole, de moteurs et de
groupes électrogènes, l’huilerie Robbe (1922) ou la scierie Porte
& Bourgault participent à l’essor économique de la ville.
Huilerie Robbe : Le bâtiment
principal probablement élevé
vers 1922 a survécu aux
bombardements de la dernière
guerre mondiale. Il présente
des façades en briques claires
ornées de bandeaux de briques
rouges, et une structure en
béton armée apparente,
caractéristiques de
l’Entre-deux-guerres.
Avec l’acquisition de
nouvelles presses en 1930,
l’huilerie Robbe peut alors
broyer plus de 200 tonnes de
graines de lin par jour.
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Les courants architecturaux dans l’Entre-deux-guerres
Musée des Travaux Publics, Paris, architectes Auguste et Gustave Perret, 1937-1948
Cinéma Rex, Paris,
architecte Auguste Bluysen, 1931-1932
En réaction à l’éclectisme et à l’historicisme
Bauhaus, mouvement de Stijl, constructivisme
en vogue dès la fin du XIXe siècle, la création
russe) Le Corbusier se fait le chantre d’une
architecturale s’oriente vers de nouvelles
architecture pure et intemporelle, c’est-à-dire
Jules Ferry, Villas Perrotte et Aramys, Bureau
formes, simples et rationnelles. Le potentiel
basée sur les volumes et les formes
des Douanes) reprennent clairement certains
offert par l’emploi d’ossatures en béton et
géométriques simples, dénués d’ornements.
principes de ce mouvement (volumes et formes
l’influence d’artistes européens d’avant-
géométriques, plan flexible, fenêtres en ban-
garde contribuent au renouvellement de la
deau, nudité des façades, rationalisme des
pensée et de la pratique architecturale dont
espaces), matinées de décors intérieurs ou
émergent deux courants.
mobilier Art déco.
Le premier emprunte à la modernité la
Parallèlement, le style régionaliste, né en
géométrisation des formes, les surfaces lisses
Normandie vers 1860, garde la faveur du
public. Exaltant l’authenticité et le retour aux
et l’utilisation du béton, mais conserve de la
tradition classique française le goût de la
Villa Savoye, Poissy, architecte Le Corbusier, 1929-1931
racines régionales, prônant la diversité et le
pittoresque de l’architecture rurale face à
symétrie, des colonnades et de l’ornement,
bien que stylisé.
Il affirme également la beauté du fonction-
l’aspect lisse et géométrique d’un style moderne
Ce courant moderne — rebaptisé Art Déco
nalisme, soit l’adaptation de la forme à la
peu apprécié, considéré comme « étranger »,
dans les années 60 — traverse avec succès
fonction, à l’image des engins modernes tels les
ce courant représente une valeur refuge,
l’Entre-deux-guerres. A Dieppe, le casino ou
paquebots, les automobiles ou les avions.
notamment après les traumatismes de la
encore les bains-douches relèvent de cette
L’esthétique de ce groupe, minoritaire dans la
Première Guerre mondiale. On observe alors
nouvelle esthétique.
construction publique, s’exprimera le plus sou-
une standardisation et une prolifération de
Le second courant, plus radical, mené par
vent dans le domaine privé, pour une élite
formes néo-normandes dans toute la construc-
Le Corbusier, ne s’imposera véritablement
sociale restreinte (Villa Savoye, Le Corbusier,
tion, caractérisées en particulier par l’emploi
qu’après la Seconde Guerre mondiale. Marqué
villas Cavrois de Mallet-Stevens). A Dieppe,
de faux pans de bois, de basses toitures débor-
par les avants-gardes européennes (école du
certaines réalisations de Georges Féray (école
dantes et de demi-croupes.
Villa Cavrois, Croix, architecte Robert Mallet-Stevens, 1932
La villa Rothschild, Deauville,
1907, architecte Pichereau
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Les matériaux de construction
Transformation du casino en novembre 1927 :
vue de la structure porteuse type « poteau-poutre »
en béton armé © Château-Musée de Dieppe
Détail de la façade rue Pasteur de l’Emulation Dieppoise,
1932 : vue de l’ossature en béton armé laissé apparent
Certains choix stylistiques de l’architecture de
L’exploitation du galet de silex normand offre
l’Entre-deux-guerres, l’industrialisation à
aux architectes la possibilité de varier encore
grande échelle des matériaux de construction,
le gros-œuvre et les façades —
préfabriqués et standardisés, l’émergence
en texture et en coloris — sous
d’autres encore peu connus ou nouveaux vont
la forme de gros galets laissés
avoir un impact certain sur les modes de con-
bruts, ou encore taillés en cube.
struction et l’apparence des édifices.
Connu dès le milieu du XIXe siècle, le béton
va ainsi se généraliser : parfaitement adapté à
la simplicité du style Art Déco, ses qualités
formelles, ses facultés de moulage et sa
résistance à la compression lui assurent un
succès grandissant. L’invention progressive du
Mur en silex,
pierre calcaire et
briques, église du
Sacré Coeur de
Janval, 1926
En raison de son faible coût ou de sa malléabilité, l’utilisation encore novatrice de pierres
artificielles est à souligner: pierre factice en
béton, gravillon et ciment employés aux BainsDouches, ou encore parpaings de mâchefer
(aggloméré issu de résidus de charbon) aux
lotissements d’HBM de Janval et du Pollet.
béton armé de 1822 à 1892, plus économique
Le pan de bois si généreusement employé au
que l’acier et ignifugé (« fireproof »), et celle
début du XXe siècle se simplifie et subsiste sous
du béton précontraint (Eugène Freyssinet,
une forme déguisée: de faux pans
brevet 1 929) confortent l’engouement
de bois sont peints sur le ciment,
pour ce matériau malléable et solide.
d’un coût nettement moindre.
L’ossature en béton armé désormais quasi
systématique, montée à partir de la structure
« poteau poutre », suscite le développement
du toit terrasse qui devient un véritable
stéréotype technique et esthétique de ce
courant architectural.
Si le béton reste parfois caché sous un
placage de brique ou de pierre, il peut aussi
être apparent, lissé en ciment et souvent
peint en blanc, ou « brut de décoffrage ».
Sa plasticité lui permet un jeu de pleins et
de vides d’un fort effet décoratif qu’illustrent notamment les claustras, les hublots
de style dit paquebot, l’une des composantes du modernisme. Marque d’une
autre manière de bâtir, le béton traduit
Mur construit
en mâchefer, Cité
Bonne Nouvelle
Employée pour le gros œuvre ou comme alternative au placage de pierre agrafée trop coûteux, la brique connaît un regain de fortune,
d’autant qu’elle est reconnue pour sa durabilité et
son absence d’entretien. Sa production industrielle selon divers coloris et
l’emploi
courant
de
briques
vernissées, très en vogue dès le
XIXe siècle, se poursuivent et s’en-
Décor de faux
pans de bois,
Cottage
Françoise,
1929, avenue
de l’esplanade
richissent durant cette période. Les adeptes
du style éclectique ou régionaliste se complaisent dans la surenchère de ce matériau
coloré à des fins ornementales, tandis que
leurs concurrents proches du style moderne
jouent plutôt sur les formes et le relief de
briques plus sobres pour animer une façade.
ainsi une esthétique nouvelle.
Détail de la façade en briques, maison Simon,
vers 1930 par Georges Feray (aujourd’hui Tribunal
d’Instance), rue du faubourg de la barre
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Matériaux de revêtement et décors
Quelques architectes recherchent parfois des
matériaux de revêtement plus raffinés. Ainsi
grès cérames, mosaïques décoratives et
Porte de maison,
rue Pasteur,
vers 1930,
Neuville-lès-Dieppe
d’escalier, des grilles de radiateurs ou des
lustres rassemblent ainsi tous les motifs chers
au mouvement stylistique de l’Art déco :
même des pâtes de verre teintées seront
motifs géométriques ou en éventail, vagues,
employés, tout comme les céramiques et les
festons, etc. Vitraux géométriques, moulures
carreaux émaillés déjà appréciés vers 1880-
verticales ou cannelures, frises denticulées et
1914. On aime leur potentiel de teintes,
bas-reliefs ornés de disques, nuages ou fleurs
vives ou nuancées, leur richesse ornementale
stylisées complètent avec bonheur la palette
et leur texture variée, mais aussi leur capacité
de l’ornementation du mouvement moderne.
à protéger le béton et leur étanchéité,
La gamme colorée se singularise: couleurs primaires, murs blancs, ferronneries noires et
Détail du décor
en grès cérame
et mosaïque,
vers 1930,
Boulangerie la
Mie câline,
ancienne Épicerie
Pommier,
par Gilardon
céramiste
à Rouen
Détail du décor
de mosaïque du
monument à la
Victoire, par
G.Feray, 1925,
square Carnot
motifs or s’harmonisent dans une discrète
Décor en ferronnerie d’une porte de
maison,
rue A. Briand,
vers 1930,
Neuville-lès-Dieppe
Détail du décor
de la porte de la
villa Aramys,
avenue des Belges,
1931 quartier
de l’esplanade
élégance, associés à la sobriété du lettrage particulier des inscriptions apposées sur les façades.
Cheminée avec
décor de cannelures et de
fleurs stylisées,
villa Perrotte,
rue Jules Ferry,
1928
Cette période voit également l’aboutissement
de la longue conquête de la transparence,
synonyme d’espaces lumineux et aérés, qui se
concrétise par l’emploi de pavés de verre.
source de qualités hygiéniques très prisées,
Bureau des
Douanes (actuelle
DDE maritime),
quai du Tonkin, par
G. Feray, 1935
notamment pour les façades des commerces
alimentaires, les cuisines, les salles d’eau.
Le « granito » enfin, mélange coloré de
morceaux de marbre et de ciment, apparaît
comme un nouveau revêtement de sol, bon
marché et hygiénique.
La régulière remise au goût du jour des
Rampe d’escalier
en fer forgé,
villa Perrotte,
rue Jules Ferry,
1928
devantures de commerces ou de cafés a été
l’occasion d’afficher l’esthétisme et le lettrage
Ancienne
devanture du
magasin Cordier,
1938, Grande rue
© fonds B. Das,
coll. part.
Alice Perrotte
Lustre et garde
corps en fer forgé,
villa Perrotte,
rue Jules Ferry,
1928
Ce bâtiment
de style résolument
moderne comportait
à l’origine une
étonnante tour
d’escalier à deux
niveaux, semblable
à une tour
d’aéroport, en pavés
de verre Nevada.
© fonds B. Das,
coll. part.
Alice Perrotte
Si l’introduction du métal a permis, dès le
XIXe siècle l’apparition de grandes parois de
caractéristiques de courant moderne, mais bien
verre, le béton armé, l’acier et les dalles de
peu d’exemples nous sont parvenus.
Le décor de l’architecture moderne, simplifié
à l’extrême — s’il n’est pas inexistant — se
concentre souvent sur quelques éléments.
Les clôtures, les portes et surtout la ferronnerie
Détail du
vitrail, cage
d’escalier,
villa Perrotte,
rue Jules Ferry,
1928
verre moulé translucides vont peaufiner
encore les effets de lumière plus ou moins
changeants de nos intérieurs. La brique ou
dalle de verre moulée existe depuis 1890,
mais ce n’est que vers 1930, avec la mise sur
des garde-corps, des portes, des rampes
le marché des briques Nevada, que l’on
Détail de clôture
d’une maison,
impasse Loucheur,
vers 1930,
Neuville-lès-Dieppe
prendra vraiment conscience de son intérêt
Détail du décor de
feuilles stylisées,
monument à la
Victoire, par G.Féray,
square Carnot,
1925
architectural (Maison de verre à Paris, architectes P. Chareau et B. Bijvoët, 1928-1932).
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Le développement urbain dans l’Entre-deux-guerres
L’ambitieuse politique du logement menée par l’Etat favorise l’implantation plus ou moins cohérente de nombreux lotissements et l’extension
anarchique des villes et de leurs faubourgs. C’est le cas du quartier de
Janval à Dieppe ou de la commune de Neuville qui s’urbanise rapidement
au détriment des anciens maraîchages et vergers.
Confronté à ce problème d’urbanisme, le pouvoir central va exiger des
villes la mise en place d’un plan d’extension, d’embellissement et d’aménagement (lois du 14 mars 1919 et du 19 juillet 1924). La ville de Dieppe
confie alors en 1927 à M. Agache, architecte-urbaniste réputé au plan
international, ce projet d’urbanisme qui sera achevé en 1930. Il en est de
même pour la commune de Neuville, dont le plan sera réalisé par
M. Penlevey.
Grâce à cette nouvelle réglementation, la voirie urbaine des anciens et
Bâtiment de l’usine d’autocurage,
G. Feray et L. Filliol
nouveaux quartiers se trouvera désormais réglementée, tout comme le
raccordement des lotissements aux réseaux d’eau, de
gaz, d’électricité et de tout-à-l’égout, selon des principes
de sécurité, d’hygiène et d’esthétique. Suivant cette
logique, la loi Sarraut (1928) obligera également la
création pour les nouveaux lotissements de conseils
syndicaux destinés à conduire l’amélioration obligatoire des dysfonctionnements en terme de voirie et de
raccordement aux réseaux, financée à part égale par
l’Etat et les propriétaires.
En outre, on affirmait ainsi les principes mêmes
d’un urbanisme moderne c’est à dire, la division et
la spécialisation des fonctions (quartiers à vocation
industrielle ou à usage de résidence, centres d’approvisionnement, édifices publics), la mise en place d’espaces
libres de construction et d’une voirie organisée,
avec notamment l’amélioration de la circulation et
de l’aération des quartiers anciens, et l’ouverture de
larges percées par où pénètrent l’air et la lumière.
Le comblement du Bassin Bérigny et sa transformation
en jardin public (en projet dès 1936), et l’idée de
boulevards périphériques circulaires proviennent
Usine d’autocurage, 19321933, architectes G. Féray
et L. Filliol, ingénieur
Pierre Gandillon
Ce réseau d’assainissement
comporte en particulier
une élégante et
moderne usine
d’autocurage
édifiée par
G. Féray et L. Filliol,
mais aussi un ingénieux
système du à l’ingénieur
Pierre Gandillon, toujours
en fonctionnement. Basé
sur le principe de
« chasses d’air »
(en utilisant le vide
et l’air comprimé),
l’appareillage du
« système Gandillon »,
novateur à l’époque, est
composé de compresseurs,
de pompes à vide,
de pompes de refoulement
et d’éjecteurs à air comprimé. Il a pour rôle de
dissocier les boues
des liquides, et de les
envoyer séparément vers
la station d’épuration
directement de cette planification de l’urbanisme dieppois, alors
envisagée pour les 30 ans à venir. Cependant, un certain nombre de
projets ne verra jamais le jour.
Les réseaux
Le relèvement et le développement de la ville après la guerre entraînent
naturellement la modernisation et l’extension des réseaux publics.
L’éclairage dispensé par des becs de gaz est remplacé entre 1925 et 1930
par un éclairage électrique, installé par l’entreprise Lebon.
L’électrification de Neuville est également réalisée progressivement dans
ces mêmes années. De même, de grands travaux d’assainissement sont
entrepris en 1932, avec en particulier l’installation du « tout-à-l’égout »
(1934) comprenant une usine d’autocurage moderne, édifiée par
Georges Féray et Louis Filliol au sein de l’ancien entrepôt des Douanes.
L’adduction d’eau est remaniée et étendue en 1934-1935 par
l’ingénieur Marcel Caseau : un réservoir en béton armé est ainsi
élevé à Caude-Côte (détruit) pour alimenter en eau les quartiers neufs
de Caude-Côte et de Janval, et l’établissement élévateur des eaux (usine
des eaux rue Chanzy) est transformé et électrifié (1933-1935).
Coupe du bâtiment et du
système d’autocurage
« Gandillon »
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Le port de Dieppe, cœur économique de la cité
Déchargement du premier bateau de bananes de Guadeloupe le 28 janvier 1935,
vue des portiques et du hangar des Antilles © Chambre de Commerce de Dieppe
Profondément transformé dès la fin du XIXe siècle (plan Freycinet
1880-1914), le vaste port de Dieppe connaît après la 1re Guerre mondiale un renouvellement de ses infrastructures. Deux modifications
majeures sont à souligner: le comblement du Bassin Bérigny (1934-1936)
et l’implantation, à l’est du Bassin de Paris, de hangars spécifiquement
Vue du hangar du Levant
avec ses 4 norias en 1938
© Chambre de
Commerce de Dieppe
dévolus à la réception des fruits puis des bananes. Axe de développement
essentiel du port de commerce, l’importation de bananes des Canaries
(en caisses) puis de nos colonies antillaises (en sacs) affiche en effet une
croissance spectaculaire. Entre 1924 et 1932, elle passe de 19 370
tonnes réceptionnées à 82 191 tonnes.
Hangar du Levant : une
des norias en 1938
© Chambre de
Commerce de Dieppe
Gestionnaire du port, la Chambre de Commerce et d’Industrie a dû
investir dans des infrastructures portuaires adaptées à ces flux importants.
Elle fait ainsi élever, en 1932, les hangars voisins d’Afrique et des Antilles,
dotés de systèmes isothermes et de portiques de déchargement électriques
(1934), semi-automatiques, une nouveauté pour l’époque. Bâtis en rez-dechaussée en béton armé par l’entreprise parisienne Dumez, leur ampleur
et leurs caractéristiques techniques facilitent le déchargement, le stockage
et l’expédition des bananes et autres fruits par camion ou voie ferrée.
De 1932 à 1937, l’entreprise Dumez construit en avant de ces entrepôts
le large et exceptionnel hangar du Levant, en béton et briques.
Les ingénieurs de la Chambre de Commerce et d’Industrie ont conçu là
un édifice vraiment novateur qui marque une étape supplémentaire
dans la rationalisation et la qualité du circuit réception-stockageexpédition des bananes : amélioration et accélération du déchargement
et de la manutention par le biais de 4 norias et la présence d’un étage
et d’ascenseurs, perfectionnement des circulations et des chargements
Le comblement
du Bassin Bérigny
Le Bassin Bérigny est finalement comblé de 1934 à 1936 car
on le jugeait trop dangereux, en mauvais état et inadapté au
passage des nouvelles machines ferroviaires. Respectant le
plan d’extension, d’embellissement et d’aménagement de
Dieppe proposé en 1930, son comblement offre l’occasion à
la Ville d’aménager un vaste jardin public, qui finalement ne
sera réalisé qu’après la 2nde guerre mondiale. En 1936,
G. Féray présente cependant un grandiose et rare projet de
jardin aux parterres géométriques d’inspiration Art Déco,
qui prévoyait un théâtre de plein air, des jeux pour enfants,
un kiosque à musique, un « guignol » etc.
en wagons ou en camions au rez-de-chaussée (à l’est), mais aussi
meilleure conservation grâce à une installation de climatisation spécifique.
D’autres entrepôts en béton et briques (entreprise Dumez) améliorent
l’activité du port, notamment le hangar d’Asie achevé en 1939, dont la
vocation est l’échantillonnage des grains. Presque tous endommagés lors
de la dernière guerre, ces bâtiments sont remis en état ou reconstruits à
l’identique – par la même entreprise — et souvent agrandis.
Projet de jardin public par Georges Feray à l’emplacement du bassin Bérigny
© fonds B. Das, coll. part. Alice Perrotte
Coupe des hangars du Levant et des Antilles et système de déchargement,
d’après projets © Guillaume Gaillard, Service régional de l’Inventaire
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Les édifices publics, de loisirs
et les équipements sportifs
Durant toute cette période, la municipalité a
fort à faire en ce qui concerne la mise en place
d’équipements nouveaux, d’allure moderne,
Art Déco ou régionaliste. Les enjeux sont
importants: il s’agit à la fois d’améliorer l’attrait
touristique de la station balnéaire, érigée en
station climatique en 1925, de participer au
réaménagement du port et de soutenir son
activité, mais aussi d’accompagner au mieux
l’extension rapide de la ville, et de l’embellir.
Outre le nouveau casino qu’elle achève, la Ville
fait édifier, quai du Carénage, une poissonnerie
en gros, un établissement de bains publics
(rue Thiers, détruit), la Poste du Pollet, une
usine de relèvement des eaux (1935, pour
la distribution d’eau, ingénieur Marcel
Caseau) et une autre d’autocurage (pour le
nouveau réseau d’égouts, 1932, architecte
Georges Féray et Louis Filliol).
Elle permet également l’établissement du
Stade Maurice Thoumyre, d’un aérodrome
(inauguré en 1934), modernise la gare (19191921) et enfin transforme le château en musée
(1923). Elle comble le Bassin Bérigny, crée le
square du Canada (1924, architecte-paysagiste
Fernand Miellot), et réédifie la fontaine du
Puits Salé (1930, même architecte). C’est aussi
à cette époque que l’église de Janval est élevée
au sein d’une nouvelle paroisse (1924-1926,
architecte G. Féray) et que les amateurs de
golf profitent d’un nouveau Club House
(1929). De nouvelles salles de cinéma voient le
jour tel que le Kursaal, rue Duquesne ou le
Royal Palace, Grande Rue, confirmant le succès
des séances du cinématographe auquel on
assiste également au casino. Enfin, avec
l’installation du téléphone
automatique
Puits salé, reconstruit par
Fernand Miellot, 1930
(1927), et la mise en place de lignes d’autobus
(vers 1930), Dieppe s’affiche désormais
comme une ville moderne, agréable pour ceux
qui y vivent, y travaillent ou y séjournent pour
la saison estivale.
Square du Canada,
par F. Miellot, 1924
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Les équipements de loisirs
Le casino municipal
(Raoul Jourde, 1926 et Marcel Hélion, 1932)
Socle majeur et emblème de la ville sur lequel
repose toute l’économie touristique et la renommée
de la station balnéaire, le casino est laborieusement
reconstruit de 1926 à 1932, en raison de sérieuses
difficultés (financières et autres) rencontrées par la
société gérante. Après avoir envisagé divers
édifices, d’un luxe assez grandiose, c’est finalement
un casino typiquement Art Déco qui sera
élevé, conçu en béton armé par l’architecte
Raoul Jourde. On y retrouve les motifs et reliefs
ornementaux géométriques et stylisés caractéristiques de ce style, les volumes, lignes, toits terrasses
et murs lissés du mouvement moderne — avec un
rappel des deux tours du casino précédant —, des
galeries marchandes désormais rattachées au casino
proprement dit, ainsi qu’une entrée à couvert
prévue pour les arrivées en automobile, concession
intéressante à l’essor de ce moyen de locomotion.
Entrée du casino, par R. Jourde, vers 1932
© coll. Part. Michel Hauduc
Des espaces sont consacrés aux loisirs en vogue:
« dancing populaire », salle de spectacle-cinéma, restaurant avec
orchestre, mais aussi « balneum » avec solarium, réponse à l’héliotropisme
ambiant, ainsi que des courts de tennis. Cette partie réservée au balneum
(aile ouest) est en fait l’œuvre de l’architecte Marcel Hélion qui, à la
demande et aux frais de la Ville, achèvera le casino en 1932. Ce dernier
casino situé sur la plage sera dynamité et rasé par les troupes allemandes
en 1942. Deux projets (non réalisés) signés G. Féray prévoyaient la réalisation sur la plage d’un extraordinaire complexe sportif avec piscine
(1934), ou d’une école de natation (1938). Il s’agissait plutôt d’un complément jugé indispensable aux loisirs proposés par le casino en ces temps
marqués par un engouement croissant pour les sports et l’héliotropisme.
La plage et le casino, vers 1935
© Château-Musée de Dieppe
Le stade Maurice Thoumyre
(Marcel Hélion, 1926,1928, 1938)
sera établi rue Vauban. Acquis dès 1920, le
terrain ne sera achevé qu’en 1926 et inauguré le
11 septembre 1927. L’initiative en revient au
Football-Club-Dieppois, devenu locataire du
stade suite à l’interdiction de jouer sur les
pelouses de la plage, son précédent terrain.
En 1928, l’attrait exercé par le football et les
sports athlétiques incite la Ville à mieux
Stade Maurice Thoumyre, tribune couverte,
par M. Hélion, 1928
aménager ce stade baptisé Maurice Thoumyre,
sous la conduite de l’architecte Marcel
Hélion : création d’un terrain, de forme
Les pratiques sportives déjà en plein essor
elliptique, entouré d’une piste de course à
avant-guerre (tennis, golf, football, course
pied, avec mise en place d’une tribune couverte.
automobile) provoquent désormais un véri-
Des gradins populaires non couverts en béton
table engouement auquel va répondre la
armé occupent l’autre côté du terrain (1200
municipalité. Si les projets spectaculaires de
personnes). Trop dégradés, ils seront reconstruits
Stade Maurice Thoumyre, détail de la tribune couverte
complexes sportifs avec piscine et tennis
10 ans plus tard: le stade doit être à la hauteur
installés sur la plage ne verront finalement
du passage en 2nde division du F.C.D.
Accessible par deux escaliers à double volée, la tribune
couverte (800 personnes) est construite en béton
armé et pans de fer avec remplissage de briques.
Elle s’élève au-dessus de vestiaires, dotés d’une
infirmerie et d’installations sanitaires avec eau courante.
pas le jour à cette époque, un stade municipal
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Les équipements publics
Le bureau des Douanes, quai du Tonkin
actuellement D.D.E. Maritime (Georges Feray, 1934)
En 1934, l’administration des Ponts et
spécialement par les ateliers Prouvé de Nancy (meubles de bibliothèque
Chaussées commande quant à elle un immeuble
avec des glaces mobiles, casiers en épis avec échelle coulissante sur rail
de bureaux, complément de leur siège adminis-
pour la salle des archives). Des cloisons métalliques vitrées interchangeables
tratif situé quai du Tonkin. Elle s’adresse pour
permettaient de modifier l’espace des bureaux, rappels de la
cela aux architectes G. Féray et L. Filliol, asso-
notion d’espace libre
ciés à l’ingénieur des Ponts et Chaussées
modulable préconisée
M. Pétry. Pourvus à l’origine d’une cage
par Le Corbusier.
d’escalier en pavés de verre Névada et de baies
Tour d’escalier
à l’origine
en pavés Névada
© fonds B. Das,
coll. part. Alice
Perrotte
à guillotine, ces bureaux assez
remaniés, situés près du Bassin
Duquesne, possédaient un
mobilier fonctionnel, créé
© fonds B. Das, coll.
part. Alice Perrotte
La poissonnerie en gros, (quai du Carénage, détruit)
(Fernand Hamelet, 1926)
En 1926, la Ville fait édifier par l’architecte
grands toits pentus débordants et contrastés,
rebord des toitures latérales évoquent cepen-
Fernand Hamelet une étonnante poissonnerie
par la présence d’un pignon en façade sous une
dant, avec discrétion, le style moderne.
en gros (Quai du Carénage, détruite) de style
demie croupe centrale, d’un haut clocheton, et
néo-normand, qui n’est pas sans rappeler ce
par l’usage d’un faux pan de bois (peint). Cette
qu’on appelle le « néo-normand balnéaire » des
poissonnerie néo-normande en briques affiche
environs de Deauville. Ce goût du pittoresque
également des réminiscences classiques dans sa
qui fait référence à l’architecture traditionnelle
parfaite symétrie (façade et plan) et ses trois
de notre région caractérise une réaction de rejet
ouvertures cintrées de sa façade, particulière-
vis-à-vis du mouvement moderne international.
ment soignées. Les motifs en
Cet édifice se distingue par la silhouette de ses
damier et la courbe du
Poissonnerie en gros,
1926 © AD76
La poste du Pollet
(Fernand Hamelet, 1928-1929)
Pour répondre à l’expansion du quartier du
mixte, à mi-chemin entre les styles régionaliste
bases très marqués, l’arrondi au-dessus de
Pollet à partir des années 1920, l’administration
et moderne. En effet, les toitures dissymétriques,
l’entrée et la sobriété du décor.
des postes commande à Fernand Hamelet,
débordantes, les baies de l’étage comprises dans
architecte diplômé de l’Ecole Nationale des Arts
la toiture brisée assez basse et le jeu décoratif
décoratifs et professeur à l’Ecole Régionale des
des briques (briques rouges et briques claires de
Beaux Arts de Rouen, un bureau de poste.
Dizy) confèrent à cet édifice un aspect proche
Cet architecte à qui l’on doit à Rouen et à Paris
du régionalisme, contrastant avec des détails
de nombreuses oeuvres de style Art Déco
plus modernes tels les baies fortement scandées
s’est efforcé d’adapter son art à la région.
par des meneaux en béton
Ce mélange d’influences aboutit à un édifice
armé, leurs linteaux et leurs
La poste du Pollet,
F. Hamelet, 1928
L’établissement de Bains-Douches (rue Thiers, détruit),
(Cabinet Hélion-Pelleray, 1928)
Afin de remplacer les Bains Chauds démolis en
salle de bains de vapeur et une autre de douche
1927, la Ville prévoit la construction d’un étab-
en jet sont à la disposition du public.
lissement de Bains Publics, achevé en 1928 par
Si le style architectural illustre le mouvement
le cabinet d’architectes Hélion-Pelleray.
moderne avec son toit-terrasse et sa porte ornée
Ce long bâtiment en béton armé, de style
de volutes typiquement Art Déco, l’innovation
moderne, propose à la suite d’un grand hall
réside dans l’emploi de matériaux nouveaux,
d’attente pourvu de mobilier en bois laqué huit
tels que la pierre artificielle en façade ou le
cabines de bains individuelles, trois cabines de
« granito » pour le sol, parallèlement à l’utilisa-
« bains sulfureux » pour les femmes et autant
tion de briques et de pierres dures.
pour les hommes. Au centre de l’édifice, une
Dessin de la façade des Bains Douches, rue Thiers,
détruit (cabinet Hélion-Pelleray, 1928) © AD76
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L’habitat privé, entre tradition et modernisme
Villas jumelées « l’Ailly », par G. Féray et L. Filliol,
avenue de l’esplanade, lotissement de l’esplanade, 1929
© Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris
Villa Aramys, 1931, G. Féray et L. Filliol, avenue des Belges, lotissement de l’Esplanade
© Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris
Immeuble, avenue Gambetta, Cabinet Helion, Pelleray,
Chalvérat, 1929, entrepreneur Saint Martin
Face à la crise du logement, beaucoup
de l’Esplanade du Château, est conçu sur
avec les réseaux d’eau, de gaz, d’électricité et
d’habitants investissent dans des logements
un plan en éventail, au bord de la falaise.
d’assainissement nécessaires. Ce nouveau
individuels, parfois dans le cadre de lotisse-
Le lotisseur est la Société Générale Foncière,
quartier au panorama d’exception ne doit
ments, conduisant à l’extension considérable
une société parisienne, également à l’origine
comporter, selon le cahier des charges, que
des faubourgs périphériques. Outre de nom-
du Lotissement Beausoleil de Neuville-lès-
des villas ou cottages de plaisance, voire des
breux petits groupes d’habitat dus à des par-
Dieppe (vers 1930-1932). Elle aménage à
« bungalows » de style Californien conseillés
ticuliers, deux lotissements marquent le
partir de 1926, 89 lots sur l’Esplanade, au
par la Société.
paysage urbain. Le plus cossu, le Lotissement
sein d’un ensemble soigneusement dessiné,
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Plan du lotissement de l’esplanade du Château
Maison, avenue des Anglais, lotissement de l’esplanade
Maison, vers 1930, rue A. Briand, lotissement Beausoleil
Immeuble avec garages, avenue des Canadiens, vers 1929
Le Lotissement des Hospices comprend lui
le style moderne est plus rare, et parfois spec-
82 lots structurés selon un plan rayonnant à
taculaire (villas Perrotte, Aramys, L’Ailly, Simon).
partir d’une place centrale. Ces terrains, vendus
D’autres encore ne retiennent du mouvement
à partir de 1926, appartiennent aux Hospices
moderne que quelques motifs décoratifs (pans
qui en assurent difficilement l’aménagement, si
coupés, dents de scie etc.), ou quelques éléments
l’on en croit les retards constatés en matière de
traités « à la façon moderne » (bow-window,
canalisations d’eau, de gaz, d’évacuation des
entrée avec auvent). Bien que certains bâtiments
eaux usées et d’électricité. Afin d’inciter les
aux allures d’immeubles émergent timidement,
nouveaux propriétaires à « réaliser un ensemble
l’habitat pavillonnaire demeure largement
décoratif », et dans un esprit « d’embellissement
majoritaire. L’apparition du garage enfin
de la ville », des récompenses sont attribuées
affirme le modernisme de cette époque attachée
aux plus jolies façades.
à l’automobile et aux sports de vitesse.
Les logements compris dans ces lotissements,
mais aussi la multitude de maisons individuelles
construites dans toute la ville sont dues surtout
à certaines élites et à la petite bourgeoisie qui,
depuis les années 1900, a les moyens d’accéder
à la propriété. La grande majorité de ces
maisons ne présente pas une originalité architecturale flagrante, et se situe dans la lignée des édifices
élevés
avant-guerre.
D’un
coût
raisonnable, souvent bâties par des entrepreneurs locaux en brique et pierre meulière, ces
maisons comportent en général une façade à
Villa, G. Féray et L. Filliol, rue I. Bloch, vers 1930
deux travées, une salle à manger, un salon et
Plan du lotissement des Hospices,
1928, quartier Saint Pierre
trois ou quatre chambres. Si les références
Maison, rue Joseph Prunier, vers 1928
régionalistes – le néo-normand – sont courantes,
Lotissement des Hospices, 1928,
rues Maurice Thoumyre et Denieport
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Le logement social à Dieppe et Neuville,
un développement sans précédent
permettent une participation financière des
collectivités territoriales à la création
d’HBM, la loi Ribot (1908) institue les
sociétés de Crédit immobilier.
Malgré ces dispositifs, la France connaît au
lendemain de la première Guerre Mondiale
une grave crise du logement, accentuée par
l’inflation monétaire. La ville de Dieppe n’est
pas épargnée : plusieurs quartiers (Bout du
Quai, Saint Rémy et Saint Jacques) sont
surpeuplés et bon nombre d’immeubles
Projet de lotissement d’HBM sous la falaise du Pollet, vers 1922, non réalisé © Sodineuf, Dieppe
s’avèrent vétustes et insalubres.
La question de la condition ouvrière et donc de
est affaire de principe : les uns voient dans le
La promulgation, en 1919 et 1924, de deux
l’habitat social intéresse les élites locales dès le
logement individuel un facteur de moralisation
nouvelles mesures destinées à augmenter les
milieu du XIXe siècle. Les premières initiatives
et d’intégration sociale, les autres dans le
subventions publiques allouées aux sociétés
émanent des patrons d’industrie, des milieux
logement collectif un élément de solidarité et
d’HBM n’a qu’un effet limité. Il faut attendre
philanthropiques catholiques et de person-
d’émancipation des ouvriers.
1928 et la loi Loucheur pour que l’Etat s’engage
nalités acquises aux principes du socialisme.
Au début du XXe siècle, l’Etat s’empare à son
véritablement dans le domaine du logement
Leurs motivation s’appuient sur des principes
tour de la question. Plusieurs lois en faveur de
social en se substituant aux structures privées.
divers : paternaliste, hygiéniste (limiter les
l’habitat social sont promulguées : la loi
Un vaste programme national est élaboré, qui
maladies), social (moraliser la classe ouvrière)
Siegfried (1894) encourage la création d’or-
porte sur la construction de 200000 logements.
et politique (garantir la paix sociale, contrôler).
ganismes d’Habitations à Bon Marché (HBM),
Par ailleurs, la loi Loucheur facilite l’accession à
Le choix entre habitat collectif ou individuel
les lois Strauss (1906) et Bonnevay (1912)
la propriété pour les ménages à faibles revenus.
Les Habitations à Bon Marché de Dieppe et Neuville
Habitation à bon marché,
1930 - 1933
impasse Loucheur,
Neuville-lès-Dieppe,
entrepreneur Lefebvre
A Dieppe, la Société dieppoise d’HBM est
Afin d’être accessible financièrement à la popu-
En principe la construction de lotissements
créée en 1900 par Paul de Laborde-Noguez,
lation ouvrière, les Habitations à Bon Marché
d’HBM induit une certaine normalisation
sociologue et riche propriétaire local. Cette
devaient être bâties « à l’économie » (matériaux,
et rationalisation des terrains occupés afin
société à but philanthropique édifie quelques
espaces intérieurs sans dégagement ou couloir,
de réduire les coûts fonciers et d’organiser
dizaines d’HBM à Dieppe (Janval et Le Pollet)
avec une seule pièce commune à usage de
au mieux la voirie et les réseaux d’eau,
avant la Première Guerre mondiale, en
cuisine), tout en respectant les principes d’hy-
d’assainissement, de gaz et d’électricité.
« démonstration ». Après la guerre, grâce aux
giène alors exigés (environnement sain, jardin
En pratique, il faudra attendre les lois de 1919
lois de 1919 et 1924, elle dispose de plus larges
ou cour, aération, buanderie, wc, sol lessivable).
(loi Cornudet) et 1924, puis la loi Sarraut
possibilités financières et peut désormais
Les besoins minimums de familles souvent
(1928) pour que soit établie une véritable
implanter de plus importants lotissements
nombreuses en terme d’espace intérieur sont
planification des lotissements à l’échelle de la
d’HBM, à Janval, au Pollet et à Neuville-lès-
pris en compte: pièces pas trop exiguës et nom-
ville, avec un raccordement cohérent aux réseaux
Dieppe. La Société Normande des HBM va
bre important de chambres, cellier. Les maisons
urbains. Ces lotissements, une fois achevés,
elle compléter les programmes entrepris par la
sont alors accessibles à la location mais les lotis-
voient leurs rues officiellement « classées » au
Société dieppoise en installant à Janval la Cité
seurs d’HBM encouragent fortement la loca-
sein de la voirie urbaine par la municipalité, et
des Officiers, affectée aux militaires.
tion-vente ou l’achat.
les rues reçoivent chacune un nom.
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Les groupes scolaires
La naissance de l’archictecture scolaire
Dès le XIXe siècle, le nouvel équipement que représente l’école fait l’objet de nombreuses
réflexions. On insiste sur la prise en compte de critères pédagogiques, hygiénistes et
économiques dans les constructions scolaires que l’on
Façade principale, groupe scolaire
Paul Bert, rue de la Victoire,
Neuville-lès-Dieppe
souhaite avant tout solides, salubres avec une distribution simple. Ces exigences favorisent alors l’emploi de
la brique et le développement d’une architecture de type
rationaliste, dont l’approche pragmatique correspond
aux attentes du ministère.
Cependant, une certaine normalisation voire une monotonie
liée à la diffusion de plans-modèles par le ministère et la
mise en place de dispositions règlementaires apparaissent.
En réaction, dès début du le XXe siècle, des expériences
innovantes seront menées, favorisées notamment par la
liberté dont disposent les communes en terme d’implantation comme d’esthétique des groupes scolaires.
Le plan du groupe scolaire forme
un carré fermé par des préaux, doté
à ses extrémités de logements pour
les sous-directeurs. L’originalité de
l’édifice réside dans le pavillon central,
qui abritait la conciergerie, le logement
des directeurs de chaque école et une
cantine convertible en salle de spectacle.
La présence du clocheton surmontant le
pignon très pentu du pavillon central
et les hautes toitures apportent le
pittoresque cher aux adeptes du
style régionaliste. Cet établissement
est à rapprocher du groupe
scolaire d’Offranville,
élevé par le même architecte.
Entrée des élèves et logements des directeurs au centre,
groupe scolaire Jules Ferry, rue Jean Jaurès, quartier
de Janval à Dieppe, par G. Féray et L. Filliol
Le groupe scolaire Jules Ferry est bâti selon une composition symétrique, avec au centre les logements
contigus du directeur et de la directrice et de part et
d’autre, les classes destinées aux filles et aux garçons.
Les préaux sont répartis autour des deux cours de
récréation séparées à l’origine par les sanitaires, dont
la conception fut considérée comme un modèle du
genre. En dehors de l’esthétique résolument moderne de
l’édifice, les architectes ont apporté un soin particulier
aux détails en multipliant les formes variées d’ouvertures,
les décrochements et le jeu de reliefs des briques.
Les écoles dans l’Entre-deux-guerres
A la fin des années 1920, le quartier de Janval
Inaugurés à la rentrée de 1933, ces trois nou-
Enfin, le bâtiment de l’Emulation dieppoise
à Dieppe comme la commune de Neuville
veaux établissements scolaires, bien que
affiche une conception et une esthétique très
enregistrent une forte augmentation de popu-
dessinés par deux architectes différents,
rationalistes, tempérées par le traitement
lation, due à la construction de nouveaux
partagent de nombreuses similitudes : une
décoratif du béton ici apparent qui magnifie
lotissements. La nécessité d’accueillir un plus
ossature en béton armée complétée en façade
les deux entrées.
grand nombre d’élèves dans des écoles devenues
par un remplissage de briques, la recherche du
trop petites, suscite l’édification de nouveaux
confort, de l’hygiène et de la sécurité pour les
groupes scolaires. Ainsi à Janval, l’architecte
élèves (plancher insonorisé, chauffage central,
Georges Féray se voit confier la réalisation du
électricité,
groupe scolaire Jules Ferry (1928), tandis que
fenêtres), une organisation intérieure relative-
le groupe scolaire Paul Bert à Neuville (1932)
ment identique à Paul Bert et Jules Ferry, et en
est édifié par Marcel Helion.
façade des décors jouant sur les matériaux
De son côté, l’Emulation dieppoise, créée en
(brique et béton). En revanche, leur
1877 par un petit groupe de patrons et d’ou-
conception esthétique témoigne des dif-
vriers, peine à trouver un local adapté.
férents courants artistiques de l’époque.
L’école professionnelle doit en effet accueillir
Ainsi, l’école Jules Ferry rappelle —
un nombre croissant d’élèves, ce qui nécessite
par ses toits-terrasses et l’imbrication
de disposer de larges espaces à usage d’ateliers.
recherchée des volumes, soulignés par
Aussi, grâce au don de Mme Thoumyre d’un
un jeu de lignes horizontales ou verti-
terrain situé rue Pasteur puis à l’achat d’un
cales — les principes du mouvement
terrain attenant, l’école va pouvoir faire élever
moderne, tandis que le pavillon cen-
un nouveau bâtiment adapté à ses besoins, et en
tral du groupe Paul Bert est clairement
confie la conception à Marcel Hélion.
rattaché à l’esthétique régionaliste.
système
d’aération,
grandes
L’Emulation dieppoise, rue Pasteur
(local actuellement désaffecté)
Les nouveaux locaux de l’Emulation dieppoise
organisés sur 4 étages et un sous-sol, répondent aux
besoins spécifiques de l’enseignement technique :
ateliers de 4m de hauteur, grandes fenêtres, système
d’aération et parquet insonorisé. La volonté de laisser
visible la structure porteuse en béton et d’en faire un
élément fort du décor est à remarquer.
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Les Habitations à
Bon Marché de Janval
Les HBM du Pollet :
la cité Bonne Nouvelle
Projet de façades pour les maisons
rue Charles Blound, cité Bonne Nouvelle, 1923,
quartier du Pollet , architecte J. Walter © Sodineuf
En 1907, la Société dieppoise d’HBM fait
construire un premier lotissement à l’origine
de la cité des Quatre Vents, réenglobé
dans une plus vaste cité ouvrière, d’allure
régionaliste, bâtie à partir de 1923 par la
même Société d’HBM, sur les plans de
l’architecte
parisien
Jean
Walter.
Construite en 1923 rue Levasseur
par la Société dieppoise d’HBM, la
cité Bonne Nouvelle proposait d’offrir
un logement décent aux familles de
marins, près du port, au moment
Maison jumelée, cité des Quatre Vents, lot n° 2,
1923, rue Jules Siegfried, architecte J. Walter
L’ensemble compose alors une cité de plan
carré, avec deux places de plan carré mar-
ou l’industrie de la pêche manquait
de personnel.
Projet pour la cité Bonne Nouvelle,
1923 © Sodineuf, Dieppe
quant les centres de chacun des deux
lotissements d’origine. Une visite du
Après l’étude de plusieurs projets, c’est une disposition triangulaire qui est retenue avec au cen-
chantier en mars 1923 fait état d’habita-
tre, dans l’esprit des « cités-jardins », un espace vert et des jeux d’enfants, finalement remplacés
tions saines et confortables, aux murs
par une place et des voies de circulation. L’architecte Jean Walter en est l’auteur. Il reprend pour
doublés, construites en aggloméré de
les maisons jumelées d’angle un type de structure semblable aux logements doubles de Janval,
mâchefer, avec des sols en granito posés
avec, pour chaque habitat, une entrée cintrée, couverte, située à l’extrémité de la façade, à l’abri
par des ouvriers italiens. 46 maisons sont
du vent et du froid. Le style régionaliste (néo-normand), particulièrement évident dans les projets,
alors en cours de construction, et 110
se résume ici aux longues et basses toitures latérales, légèrement débordantes, et aux faux pans
suivront.
de bois peints à l’étage (souvent disparus). Les logements plus modestes qui jouxtent ces
Certains
jardins
potagers
(400 m ), sont déjà ensemencés par les
habitations
futurs
2
d’angle,
propriétaires.
bordés en façade de
L’alimentation en eau potable de cette cité
petits jardins et à l’ar-
sera une source de problèmes, entravée
rière d’une aile de
par la transition laborieuse entre le sys-
dépendances (buan-
tème des bornes-fontaines, difficile à con-
derie, cellier, wc) et
trôler, et celui de l’alimentation individuelle
d’une cour, sont à
avec compteur. Actuellement, peu de loge-
rapprocher
ments ouvriers d’origine subsistent, ce
série de 11 maisons
quartier étant profondément renouvelé.
ouvrières ouvrant sur
En 1925, la Société dieppoise d’HBM
la rue du Commandant
construit à Janval un 3 lotissement, avec le
Chrétien, édifiée en
locataires
ou
e
même type de logements doubles, dont il
subsiste quelques habitations, rue Osmont.
A proximité, au bout de la rue Jean Jaurès,
Maison jumelée d’angle,
cité Bonne Nouvelle, 1923,
architecte J. Walter
d’une
1922, sans doute par
Jean Walter. En 1927,
on y dénombre une
l’administration militaire fait bâtir en 1931
moyenne de plus de cinq
par l’intermédiaire de la Société normande
enfants par foyer.
des HBM la cité dite des Officiers, destinées à loger les officiers et sous-officiers
en garnison à Dieppe. Seulement 14 des
20 logements prévus seront édifiés, dans
un style plus moderne, œuvre de l’architecte rouennais André Viviès.
Maison jumelée du
lotissement des
Sous-Officiers, 1930,
rue Jean Jaurès,
architecte A.Viviès
Ensemble de maisons
ouvrières, 1922,
rue du Cdt Chrétien
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Les Habitations à Bon Marché de Neuville-lès-Dieppe
Plan d’ensemble de la cité Bel Air, vers 1930,
Neuville-lès-Dieppe © Sodineuf, Dieppe
C’est en 1931 que s’élève à Neuville-lès-Dieppe la cité Bel Air,
sur les dessins de l’architecte dieppois Marcel Hélion.
Trois modèles standardisés de maisons de style régionaliste sont proposés aux futurs locataires ou propriétaires.
Comme à Janval et au Pollet, les plus grandes maisons
sont doublées, avec une même grande façade principale
encadrée par les entrées couvertes. Mais ici le faux pan
de bois laisse la place à l’enduit en partie haute, le reste
Maison jumelée
pour couple sans enfants,
rue du Cdt Charcot, cité Bel Air,
1931, Neuville-lès-Dieppe
des
logements
étant
en
brique, et les portes ont leurs
angles coupés, formes caractéristiques des années 1930.
De longs jardins et des dépendances latérales (celliers et
buanderies) avec greniers complètent cet habitat ouvrier
encore peu dénaturé. L’édification de cette première
tranche de 50 maisons destinées surtout aux familles
nombreuses se révèlent finalement d’un coût un peu trop
élevé pour les populations ouvrières les plus modestes.
La Société dieppoise envisage en 1933 l’élévation de 30
nouvelles maisons moins onéreuses qui ne seront finalement jamais élevées.
Maisons jumelées pour famille
nombreuse, rue Maurice
Thoumyre, cité Bel Air,
1931, Neuville-lès-Dieppe
Plan d’une maison jumelée
de la cité Bel Air, 1931,
Neuville-lès-Dieppe
© Sodineuf, Dieppe
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L’art funéraire et les monuments commémoratifs
Depuis 1804, les cimetières sont des
espaces municipaux ouverts au public, des
Tombe de Bénoni Ropert
lieux de promenade et de recueillement
(cimetière de Janval), G. Féray, E. Dubois (sculpteur)
devant les tombes de célébrités ou de
défunts plus anonymes.
Ce monument presque sévère d’un ancien maire de la ville (1928-
En préservant la mémoire des disparus, en
1929), Conseiller Général et Président de l’Emulation Dieppoise,
devenant des monuments commémoratifs
est particulièrement remarquable. Conçue en 1930 par Georges
désormais destinés à être « visités », et par-
Féray, financée par souscription, cette tombe reprend les volumes
fois financés par souscription, la tentation
en dégradé, les arêtes géométriques et la sobriété du style
fut grande d’exprimer à travers l’art
moderne. L’accentuation des lignes verticales, la nudité des
funéraire le statut et l’envergure sociale d’un
plans et la représentation de profil de l’ancien maire confère
défunt, de l’identifier pour la postérité par un
à la tombe une impression de puissance.
portrait, tout en habillant le tombeau de
façon plus ou moins ostentatoire par une
architecture ou un décor issu des grands
courants artistiques alors en vogue.
A Dieppe, quelques tombes caractéristiques
Tombe du chanoine Greboval
de cette époque subsistent, comme la
(cimetière du Pollet), 1926, Baudry (sculpteur)
tombe de Bénoni Ropert (cimetière de
Janval, 1930), ancien maire de la ville, le
Mort en 1925, le chanoine, aumônier du collège Jehan Ango,
monument funéraire du chanoine Greboval
est figuré par un portrait signé Baudry (1927) inséré dans
(cimetière du Pollet, 1926), aumônier du
une niche en triangle, au centre d’un monument anguleux.
collège Jehan Ango, ou d’autres tombeaux
Celui-ci a été érigé par souscription, en mémoire de
sans portraits, de style moderne (motif de
« l’homme si parfaitement bon et du prêtre si éminemment
doubles
digne ». Cette stèle moderne, originale par la dissymétrie de
encoches
latérales),
ou
plus
archaïques mais traités en ciment.
ses formes géométriques, est ornée de moulures verticales en
La volonté d’immortaliser une célébrité ou
dents de scie, typiques du mouvement moderne. S’y appuient
un événement liés à l’histoire de la ville, sou-
une borne et une dalle portant les symboles de sa vocation
vent à l’initiative de l’Association des Amys
religieuse (étoles dont une à volutes et fleurs stylisées, calice,
du Vieux Dieppe, a suscité l’élévation de
croix) et l’inscription funéraire, de type Art Déco.
nombreux monuments commémoratifs, de
formes variées, presque exclusivement créés
par l’architecte Georges Féray, en association
avec les sculpteurs E. Dubois ou L. Ghiot.
Citons ainsi le Monument de la Victoire
(1925), à la gloire des morts pour la patrie,
Tombes du cimetière de Janval
le Monument des Canadiens (1927), le
Stèles cintrées, motifs à doubles rainures, ferronnerie à disques et barres verticales ou
Monument à la mémoire du coureur auto-
lettrages Art Déco signalent sans ostentation l’influence moderne de certaines tombes.
mobile Gaupillat, mort sur le circuit de
Dieppe (1934), ceux élevés en hommage à
Jean Ribault, illustre capitaine de frégate parti
de Dieppe pour conquérir la Floride (1562 et
1565), ou encore à Paul de Laborde-Noguez
(1926, sculpteur L. G. Baudry), au sein d’un
quartier d’HBM qu’il a contribué à mettre
en place.
Tombe de
la famille
Poullard,
vers 1920
Tombe, de la famille Barate,
après 1918
Tombe de la famille Miellot
(architecte L. Gaudibert)
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Monument de la Victoire (square Carnot), 1925, G. Féray, E. Dubois (sculpteur)
Commémorant la guerre 1914-1918, inauguré en
1925, ce monument aux morts réunit les statues de
bronze du sculpteur dieppois Ernest Emile Dubois et
l’architecture moderne en béton signée Georges
Féray. La composition du monument est centrée sur
une glorieuse Victoire ailée emportant dans un élan
vertical irrésistible un poilu, un marin et – étonnante
nouveauté — un aviateur. Le monument se démarque également par le large et original bandeau horizontal de style Art Déco orné de feuilles stylisées.
Monument à Gaupillat,
Monument à Paul de Laborde-Noguez,
1935, G. Féray, L. Ghiot (sculpteur)
1926, G. Féray, L. G. Baudry (sculpteur)
Beaucoup plus dynamique que les autres monuments imaginés
Elevé au sein de la Cité des Quatre Vents à Janval (HBM),
par Georges Féray, cette œuvre suggère avec efficacité la
mis en scène au centre d’une place, ce
course automobile, référence directe à la passion de Gaupillat,
monument rend hommage à Paul de
coureur mort sur le circuit automobile de Dieppe en 1934.
Laborde-Noguez figuré en buste dans
Une exceptionnelle roue stylisée est figurée en pleine vitesse,
toute la simplicité qui le caractérisait,
mouvement rapide matérialisé
en chapeau et pardessus. Cette stèle se
par les rainures circulaires
réfère au style moderne par ses lignes
gravées sur l’enjoliveur, la
géométriques,
déformation de la roue et par
décrochements verticaux, et l’utilisa-
les moulures horizontales évo-
tion subtile de briques disposées de
quant l’appel d’air généré.
manière à varier le relief, d’un fort
la
succession
de
effet décoratif.
Les « monuments-colonnes »:
Monument à Jean Ribault
cour du château,
Georges Féray, Louis Ghiot.
Monument des Canadiens
(square du Canada), 1927,
Georges Féray.
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Les acteurs du renouvellement architectural
et urbanistique de la ville
Villa Perrotte et plan du rez-de-chaussée,
rue Jules Ferry, 1928 par Georges Feray et
Louis Filliol
© Médiathèque de l’Architecture et du
Patrimoine, Paris
La villa Perrotte est édifiée en 1928 pour
l’industriel Pierre Perrotte par les architectes Georges Féray et Louis Filliol.
Fonctionnelle, équipée du dernier confort, avec un jardin et une décoration
intérieure Art Déco et du mobilier encastré, cette villa en béton illustre merveilleusement le style moderne. Elle
reprend avec élégance certains principes
du modernisme définis par Le Corbusier,
comme la notion de « plateau libre »
matérialisée par les portes coulissantes,
les volumes géométriques et les lignes
épurées, les toits-terrasses, et le « porte
mât », élément cher au style dit paquebot.
Certaines personnalités, par leurs engage-
Sociologue et urbaniste reconnu à l’échelle
de verre, grandes baies), parfois modulables
ments ou leurs métiers, ont eu un impact évi-
nationale et internationale, son œuvre
(Bureau des Douanes, portes coulissantes de
dent sur l’architecture et le développement
majeure est le plan d’ensemble conçu pour la
la villa Perrotte), ornés de motifs Art Déco
de la ville.
ville de Rio de Janeiro, dont il publie les
Soulignons ainsi les maires qui ont tous
principes d’urbanisme.
fortement soutenu le mouvement en faveur
du logement social, à la suite du maire
Autre architecte réputé, Jean Walter (1883-
Camille Coche (de 1898 à 1910), très
1957) réalise pour la Société Dieppoise
impliqué
sociale.
d’HBM les lotissements de Janval et du
La famille Thoumyre s’est elle aussi parti-
Pollet. Ce grand spécialiste de logement
culièrement engagée dans les domaines
social, architecte des HBM de Paris et auteur
industriel (usine Viscose et cité ouvrière
de la première cité-jardin de France (Draveil,
d’Arques-la-Bataille), politique (Maurice
1914), édifie au Havre, entre autres, la cité-
Thoumyre est maire, son frère Robert est
jardin de Frileuse (1919).
dans
l’action
député, ministre puis sénateur), économique
Grand
Prix
de
Rome
en
1923,
(Chambre de Commerce) et social (Société
2nd
Dieppoise d’HBM, Emulation Dieppoise).
Georges Féray (1892-1965) est un architecte dieppois méconnu, dont les œuvres
majeures se réfèrent avec éclat au style moderne.
Associé au sein d’un cabinet parisien d’architectes à Louis Filliol, la majeure partie de ses
constructions se situe à Dieppe où il ouvre une
seconde agence. On lui doit en particulier
l’église du Sacré-Cœur de Janval (1923), les
villas Perrotte, Aramys, L’Ailly et Simon, la
quincaillerie Leveau, le beau groupe scolaire
Jules Ferry, l’élégante usine d’autocurage, le
Quincaillerie Leveau, rue Duquesne, vers 1930,
par Georges Féray
bureau des Douanes, des édifices de style néo-
Église du Sacré Cœur de Janval, 1924 - 1926
par Georges Feray
normands, nombre de monuments commé-
stylisés ou géométriques. S’il reprend à son
moratifs et d’œuvres temporaires, et enfin
compte des éléments typiquement modernes,
des projets spectaculaires (non réalisés).
comme la baie d’angle ou les hublots de type
Bien qu’ayant élevé des maisons entièrement
Paquebot, il est aussi l’auteur, avec Louis Filliol,
en béton et ciment, il utilise beaucoup la
de façades traditionnelles néo-normandes,
brique, dont il renouvelle l’esthétique en
comme celle du Café des Tribunaux, voire néo-
jouant sur les reliefs qu’elle peut générer en
médiévales (immeuble s’élevant au dessus de la
fonction de sa forme et de sa disposition.
boutique « Esprit », 43 Grande Rue).
Il adhère enfin totalement aux principes du
Les « hommes de l’art » sont eux intervenus
mouvement moderne, en créant des bâtiments
Outre Marcel Hélion, citons l’architecte
directement sur la physionomie de Dieppe :
d’une grande pureté de lignes et de volumes,
Fernand Hamelet (Poste du Pollet et pois-
L’architecte-urbaniste Alfred Agache (1875-
avec des toits-terrasses qu’il agrémente toute-
sonnerie en gros), plutôt attaché au
1959) est l’auteur du plan d’extension, d’embel-
fois d’un rebord, des espaces fonctionnels
régionalisme qu’il ponctue tout de même de
lissement et d’aménagement de Dieppe (1930).
(avec du mobilier encastré), lumineux (pavés
quelques motifs ou éléments plus modernes.
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Maisons rue Lebourgeois,
lotissement des Hospices,
Quartier Saint-Pierre, 1928,
Saint Martin entrepreneur
Ne négligeons pas pour autant les entrepreneurs de travaux publics : les noms
de
Caulier,
Chavatré,
Saint-Martin,
Modeste,
Creton,
Folliot,
Benoît,
Thoumyre, Botte & fils, Deschamps,
Quibel, Stal, Chavatre et Lefebvre apparaissent ainsi dans la documentation, parfois sur les façades qu’ils signent.
Victor Caulier (fils) paraît avoir de
solides compétences en matière d’organisation de chantier, si l’on en croit les
éloges de la presse sur son rôle d’entrepreneur général de la Cité des 4 Vents à
Janval. Jules Folliot semble lui s’être spécialisé dans un modèle de logement en
brique, assez simple, que l’on découvre en
très grand nombre dans toute la ville.
Maison, rue Lebourgeois, lotissement des
Hospices, 1929, Jules Folliot entrepreneur
Maison, rue Georges Lebas, lotissement construit
à partir de 1928, Caulier entrepreneur
Maison, rue de la Manche, lotissement de l’esplanade,
à partir de 1926, Caulier entrepreneur
Paul de Laborde-Noguez a laissé le souvenir d’un
L’architecte dieppois Marcel Hélion (cabinet d’architectes Hélion, Pelleray
homme de bien, discret, respecté et apprécié. Conseiller
et Chalverat) intervient fréquemment à Dieppe, tant pour bâtir des édifices
général du canton d’Offranville en 1882, son action en
publics (Bains-Douches, stade, casino)
faveur du logement social et du mouvement agricole est
qu’une cité d’HBM (Cité Bel Air) ou des
remarquable. Il est à l’origine de la Société Dieppoise des
logis privés. Son œuvre, d’une certaine
Habitations à Bon Marché (1900) qu’il présidera pen-
qualité esthétique, marque plutôt une
dant 24 ans, et implante à ce titre des HBM à Janval, à
inspiration Art Déco bien qu’il conserve
Arques-la-Bataille et à Offranville. Administrateur de
le style régionaliste pour la Cité Bel Air.
l’Office public départemental des HBM, on lui doit aussi
Il n’hésite pas non plus à employer de nou-
la fondation d’organismes agricoles, la création de la
veaux matériaux (Bains-Douches).
Société de crédit immobilier de l’arrondissement de
Dieppe, et de la Caisse auxiliaire de crédit immobilier.
Maison rue Gambetta, 1929
Marcel Hélion, architecte et Caulier entrepreneur
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Le modernisme d’après-guerre
Gare maritime, 1951-1953,
architecte Urbain Cassan, détruit en 1995
© Chambre de Commerce de Dieppe
Après la 2nde guerre mondiale, le modernisme marque encore de son
La Halle aux Poissons, quai Gallieni, 1945-1947
et 1951 © Chambre de Commerce de Dieppe
empreinte certains édifices. D’abord parce que tout naturellement on
reconstruit à l’identique ; c’est le cas des hangars du port qui, fort
endommagés par les bombardements, sont réédifiés – et souvent
agrandis – dans le même style, avec d’ailleurs le même entrepreneur.
En second lieu, les équipements nouvellement construits imitent également
le style moderne d’avant-guerre, tels La Halle au Poisson (quai Gallieni,
1945-1947 et 1951), ou la Gare maritime, exceptionnel édifice de style
dit Paquebot (1951-1953, architecte Urbain Cassan), détruit en 1995.
Les Bains eux-mêmes, ouverts en 2007, conçus par l’architecte
E. Delabranche, du cabinet Duval-Raynal, reprend l’esthétique des
années 1920 : on y retrouve la simplicité et les lignes épurées du style
moderne, ses murs de béton blanc contrastant avec une couleur primaire (un jaune lumineux), son toit-terrasse (ici végétalisé) et son
élégant portique d’entrée, son caisson lumineux en pavés de verre
(ascenseur du parking), référence à la célèbre Maison de verre de
Pierre Chareau (Paris, 1928-1931).
Centre Balnéaire “Les Bains”, portique d’entrée et colonnade,
2007, architecte E. Delabranche
Série de maisons, rue Lebourgeois
attribuée à Georges Féray, vers 1950