Dieppe dans l`Entre-deux-guerres
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Dieppe dans l`Entre-deux-guerres
panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 16:18 Page 12 Dieppe dans l’Entre-deux-guerres Des Années folles à la Crise, les métamorphoses d’une ville Exposition réalisée par le service d’Animation du Patrimoine de Dieppe (Dieppe Ville d’art et d’histoire) et le Service régional de l’Inventaire et du Patrimoine de Haute Normandie. Commissaires d’exposition : Viviane Manase, conservateur du patrimoine, Région Haute Normandie, Stéphanie Soleansky, animatrice de l’architecture et du patrimoine, avec la participation de Pierre Guérard, étudiant en histoire à l’université de Rouen. Remerciements : • Véolia • Sodineuf, Dieppe • Archives municipales • Archives départementales • Château-Musée de Dieppe • Chambre de Commerce et d’Industrie de Dieppe • Fonds et ancien local de la médiathèque Jean Renoir • Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Paris • Dominique Corrieu-Chapotard, Jérôme Decoux, Claude De Mazeux, Claire Etienne, Michel Hauduc, Monsieur Leroy, Alain Lieury, Monsieur Ligny, M.et Mme Ouvry, M.Michel Patenotte, Alice Perrotte, Florence Plantrou, Emmanuelle Réal, Mme Richomme, M. et Mme Vallois Conception Graphique : Ludwig Malbranque, Ville de Dieppe Relecture : Emilie Vallois, Ville de Dieppe Cartographie : Guillaume Gaillard, Région Haute-Normandie Crédits photographiques : Yvon Miossec, Christophe Kollmann, Denis Couchaux, Viviane Manase, Région Haute-Normandie Ludwig Malbranque, Ville de Dieppe panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 1 Le contexte économique et social Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la vie dieppoise reprend ses droits, baignée par l’atmosphère insouciante des années folles, aux rythmes endiablés d’un jazz, d’un charleston ou d’un tango. Dieppe renoue avec la prospérité, portée par son statut mixte de ville portuaire et de station balnéaire. La triple vocation du port – pêche (harengs), commerce et voyageurs – qui draine et dynamise toute l’économie et l’industrie de la ville va prendre une toute autre ampleur. Entre les deux guerres, les importations augmentent et se diversifient Réception puis classement par lots des régimes de bananes, 1939, © coll. Chambre de Commerce de Dieppe mais la ville devient surtout un centre d’importation de fruits et légumes d’envergure nationale, et en particulier l’un des tout premiers ports bananiers français. Enfin, l’importance du trafic passagers « Dieppe – Newhaven » (260 000 passagers par an entre 1924 et 1927), classe la ville au 5e rang des ports français. En revanche, bien qu’encore source d’opulence, les activités balnéaires proposées par le casino municipal ne connaissent plus le brillant succès d’avant-guerre, entravées par une rude concurrence et une difficile mise au goût du jour de l’édifice, puis par les effets de la crise de 1929. Promenade de la plage de Dieppe, vers 1935, © Fonds ancien de la Ville de Dieppe Dans le même temps, le manque de logements partout ressenti dans le pays freine l’essor industriel et commercial de la ville. Certains acteurs de la vie dieppoise s’appliquent à y remédier, en favorisant le développement de logements sociaux et la construction d’écoles, à l’origine de nouveaux quartiers, et créent la paroisse de Janval. Ce mouvement en faveur des Habitations à Bon Marché paraît cependant s’essouffler dès le milieu des années 1930, peut-être en raison de la difficile conjoncture mondiale suscitée par la crise de 1929. L’extension de la ville — due plus au renouvellement de l’habitat qu’à la faible progression de sa population (de 23 000 et 25 000 habitants) — la mutation des modes de vies et des loisirs marqués par la pratique du sport, l’héliotropisme ou le cinéma impliquent la modernisation et l’émergence de réseaux publics et d’équipements qui vont changer la physionomie de la cité L’industrie aussi… La reprise des industries d’avant-guerre, la généralisation de l’électrification et le dynamisme de certaines usines nouvellement installées près du port comme la firme Vendeuvre (1920) pionnière en matière de mécanisation agricole, de moteurs et de groupes électrogènes, l’huilerie Robbe (1922) ou la scierie Porte & Bourgault participent à l’essor économique de la ville. Huilerie Robbe : Le bâtiment principal probablement élevé vers 1922 a survécu aux bombardements de la dernière guerre mondiale. Il présente des façades en briques claires ornées de bandeaux de briques rouges, et une structure en béton armée apparente, caractéristiques de l’Entre-deux-guerres. Avec l’acquisition de nouvelles presses en 1930, l’huilerie Robbe peut alors broyer plus de 200 tonnes de graines de lin par jour. panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 16:17 Page 2 Les courants architecturaux dans l’Entre-deux-guerres Musée des Travaux Publics, Paris, architectes Auguste et Gustave Perret, 1937-1948 Cinéma Rex, Paris, architecte Auguste Bluysen, 1931-1932 En réaction à l’éclectisme et à l’historicisme Bauhaus, mouvement de Stijl, constructivisme en vogue dès la fin du XIXe siècle, la création russe) Le Corbusier se fait le chantre d’une architecturale s’oriente vers de nouvelles architecture pure et intemporelle, c’est-à-dire Jules Ferry, Villas Perrotte et Aramys, Bureau formes, simples et rationnelles. Le potentiel basée sur les volumes et les formes des Douanes) reprennent clairement certains offert par l’emploi d’ossatures en béton et géométriques simples, dénués d’ornements. principes de ce mouvement (volumes et formes l’influence d’artistes européens d’avant- géométriques, plan flexible, fenêtres en ban- garde contribuent au renouvellement de la deau, nudité des façades, rationalisme des pensée et de la pratique architecturale dont espaces), matinées de décors intérieurs ou émergent deux courants. mobilier Art déco. Le premier emprunte à la modernité la Parallèlement, le style régionaliste, né en géométrisation des formes, les surfaces lisses Normandie vers 1860, garde la faveur du public. Exaltant l’authenticité et le retour aux et l’utilisation du béton, mais conserve de la tradition classique française le goût de la Villa Savoye, Poissy, architecte Le Corbusier, 1929-1931 racines régionales, prônant la diversité et le pittoresque de l’architecture rurale face à symétrie, des colonnades et de l’ornement, bien que stylisé. Il affirme également la beauté du fonction- l’aspect lisse et géométrique d’un style moderne Ce courant moderne — rebaptisé Art Déco nalisme, soit l’adaptation de la forme à la peu apprécié, considéré comme « étranger », dans les années 60 — traverse avec succès fonction, à l’image des engins modernes tels les ce courant représente une valeur refuge, l’Entre-deux-guerres. A Dieppe, le casino ou paquebots, les automobiles ou les avions. notamment après les traumatismes de la encore les bains-douches relèvent de cette L’esthétique de ce groupe, minoritaire dans la Première Guerre mondiale. On observe alors nouvelle esthétique. construction publique, s’exprimera le plus sou- une standardisation et une prolifération de Le second courant, plus radical, mené par vent dans le domaine privé, pour une élite formes néo-normandes dans toute la construc- Le Corbusier, ne s’imposera véritablement sociale restreinte (Villa Savoye, Le Corbusier, tion, caractérisées en particulier par l’emploi qu’après la Seconde Guerre mondiale. Marqué villas Cavrois de Mallet-Stevens). A Dieppe, de faux pans de bois, de basses toitures débor- par les avants-gardes européennes (école du certaines réalisations de Georges Féray (école dantes et de demi-croupes. Villa Cavrois, Croix, architecte Robert Mallet-Stevens, 1932 La villa Rothschild, Deauville, 1907, architecte Pichereau panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 3 Les matériaux de construction Transformation du casino en novembre 1927 : vue de la structure porteuse type « poteau-poutre » en béton armé © Château-Musée de Dieppe Détail de la façade rue Pasteur de l’Emulation Dieppoise, 1932 : vue de l’ossature en béton armé laissé apparent Certains choix stylistiques de l’architecture de L’exploitation du galet de silex normand offre l’Entre-deux-guerres, l’industrialisation à aux architectes la possibilité de varier encore grande échelle des matériaux de construction, le gros-œuvre et les façades — préfabriqués et standardisés, l’émergence en texture et en coloris — sous d’autres encore peu connus ou nouveaux vont la forme de gros galets laissés avoir un impact certain sur les modes de con- bruts, ou encore taillés en cube. struction et l’apparence des édifices. Connu dès le milieu du XIXe siècle, le béton va ainsi se généraliser : parfaitement adapté à la simplicité du style Art Déco, ses qualités formelles, ses facultés de moulage et sa résistance à la compression lui assurent un succès grandissant. L’invention progressive du Mur en silex, pierre calcaire et briques, église du Sacré Coeur de Janval, 1926 En raison de son faible coût ou de sa malléabilité, l’utilisation encore novatrice de pierres artificielles est à souligner: pierre factice en béton, gravillon et ciment employés aux BainsDouches, ou encore parpaings de mâchefer (aggloméré issu de résidus de charbon) aux lotissements d’HBM de Janval et du Pollet. béton armé de 1822 à 1892, plus économique Le pan de bois si généreusement employé au que l’acier et ignifugé (« fireproof »), et celle début du XXe siècle se simplifie et subsiste sous du béton précontraint (Eugène Freyssinet, une forme déguisée: de faux pans brevet 1 929) confortent l’engouement de bois sont peints sur le ciment, pour ce matériau malléable et solide. d’un coût nettement moindre. L’ossature en béton armé désormais quasi systématique, montée à partir de la structure « poteau poutre », suscite le développement du toit terrasse qui devient un véritable stéréotype technique et esthétique de ce courant architectural. Si le béton reste parfois caché sous un placage de brique ou de pierre, il peut aussi être apparent, lissé en ciment et souvent peint en blanc, ou « brut de décoffrage ». Sa plasticité lui permet un jeu de pleins et de vides d’un fort effet décoratif qu’illustrent notamment les claustras, les hublots de style dit paquebot, l’une des composantes du modernisme. Marque d’une autre manière de bâtir, le béton traduit Mur construit en mâchefer, Cité Bonne Nouvelle Employée pour le gros œuvre ou comme alternative au placage de pierre agrafée trop coûteux, la brique connaît un regain de fortune, d’autant qu’elle est reconnue pour sa durabilité et son absence d’entretien. Sa production industrielle selon divers coloris et l’emploi courant de briques vernissées, très en vogue dès le XIXe siècle, se poursuivent et s’en- Décor de faux pans de bois, Cottage Françoise, 1929, avenue de l’esplanade richissent durant cette période. Les adeptes du style éclectique ou régionaliste se complaisent dans la surenchère de ce matériau coloré à des fins ornementales, tandis que leurs concurrents proches du style moderne jouent plutôt sur les formes et le relief de briques plus sobres pour animer une façade. ainsi une esthétique nouvelle. Détail de la façade en briques, maison Simon, vers 1930 par Georges Feray (aujourd’hui Tribunal d’Instance), rue du faubourg de la barre panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 4 Matériaux de revêtement et décors Quelques architectes recherchent parfois des matériaux de revêtement plus raffinés. Ainsi grès cérames, mosaïques décoratives et Porte de maison, rue Pasteur, vers 1930, Neuville-lès-Dieppe d’escalier, des grilles de radiateurs ou des lustres rassemblent ainsi tous les motifs chers au mouvement stylistique de l’Art déco : même des pâtes de verre teintées seront motifs géométriques ou en éventail, vagues, employés, tout comme les céramiques et les festons, etc. Vitraux géométriques, moulures carreaux émaillés déjà appréciés vers 1880- verticales ou cannelures, frises denticulées et 1914. On aime leur potentiel de teintes, bas-reliefs ornés de disques, nuages ou fleurs vives ou nuancées, leur richesse ornementale stylisées complètent avec bonheur la palette et leur texture variée, mais aussi leur capacité de l’ornementation du mouvement moderne. à protéger le béton et leur étanchéité, La gamme colorée se singularise: couleurs primaires, murs blancs, ferronneries noires et Détail du décor en grès cérame et mosaïque, vers 1930, Boulangerie la Mie câline, ancienne Épicerie Pommier, par Gilardon céramiste à Rouen Détail du décor de mosaïque du monument à la Victoire, par G.Feray, 1925, square Carnot motifs or s’harmonisent dans une discrète Décor en ferronnerie d’une porte de maison, rue A. Briand, vers 1930, Neuville-lès-Dieppe Détail du décor de la porte de la villa Aramys, avenue des Belges, 1931 quartier de l’esplanade élégance, associés à la sobriété du lettrage particulier des inscriptions apposées sur les façades. Cheminée avec décor de cannelures et de fleurs stylisées, villa Perrotte, rue Jules Ferry, 1928 Cette période voit également l’aboutissement de la longue conquête de la transparence, synonyme d’espaces lumineux et aérés, qui se concrétise par l’emploi de pavés de verre. source de qualités hygiéniques très prisées, Bureau des Douanes (actuelle DDE maritime), quai du Tonkin, par G. Feray, 1935 notamment pour les façades des commerces alimentaires, les cuisines, les salles d’eau. Le « granito » enfin, mélange coloré de morceaux de marbre et de ciment, apparaît comme un nouveau revêtement de sol, bon marché et hygiénique. La régulière remise au goût du jour des Rampe d’escalier en fer forgé, villa Perrotte, rue Jules Ferry, 1928 devantures de commerces ou de cafés a été l’occasion d’afficher l’esthétisme et le lettrage Ancienne devanture du magasin Cordier, 1938, Grande rue © fonds B. Das, coll. part. Alice Perrotte Lustre et garde corps en fer forgé, villa Perrotte, rue Jules Ferry, 1928 Ce bâtiment de style résolument moderne comportait à l’origine une étonnante tour d’escalier à deux niveaux, semblable à une tour d’aéroport, en pavés de verre Nevada. © fonds B. Das, coll. part. Alice Perrotte Si l’introduction du métal a permis, dès le XIXe siècle l’apparition de grandes parois de caractéristiques de courant moderne, mais bien verre, le béton armé, l’acier et les dalles de peu d’exemples nous sont parvenus. Le décor de l’architecture moderne, simplifié à l’extrême — s’il n’est pas inexistant — se concentre souvent sur quelques éléments. Les clôtures, les portes et surtout la ferronnerie Détail du vitrail, cage d’escalier, villa Perrotte, rue Jules Ferry, 1928 verre moulé translucides vont peaufiner encore les effets de lumière plus ou moins changeants de nos intérieurs. La brique ou dalle de verre moulée existe depuis 1890, mais ce n’est que vers 1930, avec la mise sur des garde-corps, des portes, des rampes le marché des briques Nevada, que l’on Détail de clôture d’une maison, impasse Loucheur, vers 1930, Neuville-lès-Dieppe prendra vraiment conscience de son intérêt Détail du décor de feuilles stylisées, monument à la Victoire, par G.Féray, square Carnot, 1925 architectural (Maison de verre à Paris, architectes P. Chareau et B. Bijvoët, 1928-1932). panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 5 Le développement urbain dans l’Entre-deux-guerres L’ambitieuse politique du logement menée par l’Etat favorise l’implantation plus ou moins cohérente de nombreux lotissements et l’extension anarchique des villes et de leurs faubourgs. C’est le cas du quartier de Janval à Dieppe ou de la commune de Neuville qui s’urbanise rapidement au détriment des anciens maraîchages et vergers. Confronté à ce problème d’urbanisme, le pouvoir central va exiger des villes la mise en place d’un plan d’extension, d’embellissement et d’aménagement (lois du 14 mars 1919 et du 19 juillet 1924). La ville de Dieppe confie alors en 1927 à M. Agache, architecte-urbaniste réputé au plan international, ce projet d’urbanisme qui sera achevé en 1930. Il en est de même pour la commune de Neuville, dont le plan sera réalisé par M. Penlevey. Grâce à cette nouvelle réglementation, la voirie urbaine des anciens et Bâtiment de l’usine d’autocurage, G. Feray et L. Filliol nouveaux quartiers se trouvera désormais réglementée, tout comme le raccordement des lotissements aux réseaux d’eau, de gaz, d’électricité et de tout-à-l’égout, selon des principes de sécurité, d’hygiène et d’esthétique. Suivant cette logique, la loi Sarraut (1928) obligera également la création pour les nouveaux lotissements de conseils syndicaux destinés à conduire l’amélioration obligatoire des dysfonctionnements en terme de voirie et de raccordement aux réseaux, financée à part égale par l’Etat et les propriétaires. En outre, on affirmait ainsi les principes mêmes d’un urbanisme moderne c’est à dire, la division et la spécialisation des fonctions (quartiers à vocation industrielle ou à usage de résidence, centres d’approvisionnement, édifices publics), la mise en place d’espaces libres de construction et d’une voirie organisée, avec notamment l’amélioration de la circulation et de l’aération des quartiers anciens, et l’ouverture de larges percées par où pénètrent l’air et la lumière. Le comblement du Bassin Bérigny et sa transformation en jardin public (en projet dès 1936), et l’idée de boulevards périphériques circulaires proviennent Usine d’autocurage, 19321933, architectes G. Féray et L. Filliol, ingénieur Pierre Gandillon Ce réseau d’assainissement comporte en particulier une élégante et moderne usine d’autocurage édifiée par G. Féray et L. Filliol, mais aussi un ingénieux système du à l’ingénieur Pierre Gandillon, toujours en fonctionnement. Basé sur le principe de « chasses d’air » (en utilisant le vide et l’air comprimé), l’appareillage du « système Gandillon », novateur à l’époque, est composé de compresseurs, de pompes à vide, de pompes de refoulement et d’éjecteurs à air comprimé. Il a pour rôle de dissocier les boues des liquides, et de les envoyer séparément vers la station d’épuration directement de cette planification de l’urbanisme dieppois, alors envisagée pour les 30 ans à venir. Cependant, un certain nombre de projets ne verra jamais le jour. Les réseaux Le relèvement et le développement de la ville après la guerre entraînent naturellement la modernisation et l’extension des réseaux publics. L’éclairage dispensé par des becs de gaz est remplacé entre 1925 et 1930 par un éclairage électrique, installé par l’entreprise Lebon. L’électrification de Neuville est également réalisée progressivement dans ces mêmes années. De même, de grands travaux d’assainissement sont entrepris en 1932, avec en particulier l’installation du « tout-à-l’égout » (1934) comprenant une usine d’autocurage moderne, édifiée par Georges Féray et Louis Filliol au sein de l’ancien entrepôt des Douanes. L’adduction d’eau est remaniée et étendue en 1934-1935 par l’ingénieur Marcel Caseau : un réservoir en béton armé est ainsi élevé à Caude-Côte (détruit) pour alimenter en eau les quartiers neufs de Caude-Côte et de Janval, et l’établissement élévateur des eaux (usine des eaux rue Chanzy) est transformé et électrifié (1933-1935). Coupe du bâtiment et du système d’autocurage « Gandillon » panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 6 Le port de Dieppe, cœur économique de la cité Déchargement du premier bateau de bananes de Guadeloupe le 28 janvier 1935, vue des portiques et du hangar des Antilles © Chambre de Commerce de Dieppe Profondément transformé dès la fin du XIXe siècle (plan Freycinet 1880-1914), le vaste port de Dieppe connaît après la 1re Guerre mondiale un renouvellement de ses infrastructures. Deux modifications majeures sont à souligner: le comblement du Bassin Bérigny (1934-1936) et l’implantation, à l’est du Bassin de Paris, de hangars spécifiquement Vue du hangar du Levant avec ses 4 norias en 1938 © Chambre de Commerce de Dieppe dévolus à la réception des fruits puis des bananes. Axe de développement essentiel du port de commerce, l’importation de bananes des Canaries (en caisses) puis de nos colonies antillaises (en sacs) affiche en effet une croissance spectaculaire. Entre 1924 et 1932, elle passe de 19 370 tonnes réceptionnées à 82 191 tonnes. Hangar du Levant : une des norias en 1938 © Chambre de Commerce de Dieppe Gestionnaire du port, la Chambre de Commerce et d’Industrie a dû investir dans des infrastructures portuaires adaptées à ces flux importants. Elle fait ainsi élever, en 1932, les hangars voisins d’Afrique et des Antilles, dotés de systèmes isothermes et de portiques de déchargement électriques (1934), semi-automatiques, une nouveauté pour l’époque. Bâtis en rez-dechaussée en béton armé par l’entreprise parisienne Dumez, leur ampleur et leurs caractéristiques techniques facilitent le déchargement, le stockage et l’expédition des bananes et autres fruits par camion ou voie ferrée. De 1932 à 1937, l’entreprise Dumez construit en avant de ces entrepôts le large et exceptionnel hangar du Levant, en béton et briques. Les ingénieurs de la Chambre de Commerce et d’Industrie ont conçu là un édifice vraiment novateur qui marque une étape supplémentaire dans la rationalisation et la qualité du circuit réception-stockageexpédition des bananes : amélioration et accélération du déchargement et de la manutention par le biais de 4 norias et la présence d’un étage et d’ascenseurs, perfectionnement des circulations et des chargements Le comblement du Bassin Bérigny Le Bassin Bérigny est finalement comblé de 1934 à 1936 car on le jugeait trop dangereux, en mauvais état et inadapté au passage des nouvelles machines ferroviaires. Respectant le plan d’extension, d’embellissement et d’aménagement de Dieppe proposé en 1930, son comblement offre l’occasion à la Ville d’aménager un vaste jardin public, qui finalement ne sera réalisé qu’après la 2nde guerre mondiale. En 1936, G. Féray présente cependant un grandiose et rare projet de jardin aux parterres géométriques d’inspiration Art Déco, qui prévoyait un théâtre de plein air, des jeux pour enfants, un kiosque à musique, un « guignol » etc. en wagons ou en camions au rez-de-chaussée (à l’est), mais aussi meilleure conservation grâce à une installation de climatisation spécifique. D’autres entrepôts en béton et briques (entreprise Dumez) améliorent l’activité du port, notamment le hangar d’Asie achevé en 1939, dont la vocation est l’échantillonnage des grains. Presque tous endommagés lors de la dernière guerre, ces bâtiments sont remis en état ou reconstruits à l’identique – par la même entreprise — et souvent agrandis. Projet de jardin public par Georges Feray à l’emplacement du bassin Bérigny © fonds B. Das, coll. part. Alice Perrotte Coupe des hangars du Levant et des Antilles et système de déchargement, d’après projets © Guillaume Gaillard, Service régional de l’Inventaire panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 7 Les édifices publics, de loisirs et les équipements sportifs Durant toute cette période, la municipalité a fort à faire en ce qui concerne la mise en place d’équipements nouveaux, d’allure moderne, Art Déco ou régionaliste. Les enjeux sont importants: il s’agit à la fois d’améliorer l’attrait touristique de la station balnéaire, érigée en station climatique en 1925, de participer au réaménagement du port et de soutenir son activité, mais aussi d’accompagner au mieux l’extension rapide de la ville, et de l’embellir. Outre le nouveau casino qu’elle achève, la Ville fait édifier, quai du Carénage, une poissonnerie en gros, un établissement de bains publics (rue Thiers, détruit), la Poste du Pollet, une usine de relèvement des eaux (1935, pour la distribution d’eau, ingénieur Marcel Caseau) et une autre d’autocurage (pour le nouveau réseau d’égouts, 1932, architecte Georges Féray et Louis Filliol). Elle permet également l’établissement du Stade Maurice Thoumyre, d’un aérodrome (inauguré en 1934), modernise la gare (19191921) et enfin transforme le château en musée (1923). Elle comble le Bassin Bérigny, crée le square du Canada (1924, architecte-paysagiste Fernand Miellot), et réédifie la fontaine du Puits Salé (1930, même architecte). C’est aussi à cette époque que l’église de Janval est élevée au sein d’une nouvelle paroisse (1924-1926, architecte G. Féray) et que les amateurs de golf profitent d’un nouveau Club House (1929). De nouvelles salles de cinéma voient le jour tel que le Kursaal, rue Duquesne ou le Royal Palace, Grande Rue, confirmant le succès des séances du cinématographe auquel on assiste également au casino. Enfin, avec l’installation du téléphone automatique Puits salé, reconstruit par Fernand Miellot, 1930 (1927), et la mise en place de lignes d’autobus (vers 1930), Dieppe s’affiche désormais comme une ville moderne, agréable pour ceux qui y vivent, y travaillent ou y séjournent pour la saison estivale. Square du Canada, par F. Miellot, 1924 panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 8 Les équipements de loisirs Le casino municipal (Raoul Jourde, 1926 et Marcel Hélion, 1932) Socle majeur et emblème de la ville sur lequel repose toute l’économie touristique et la renommée de la station balnéaire, le casino est laborieusement reconstruit de 1926 à 1932, en raison de sérieuses difficultés (financières et autres) rencontrées par la société gérante. Après avoir envisagé divers édifices, d’un luxe assez grandiose, c’est finalement un casino typiquement Art Déco qui sera élevé, conçu en béton armé par l’architecte Raoul Jourde. On y retrouve les motifs et reliefs ornementaux géométriques et stylisés caractéristiques de ce style, les volumes, lignes, toits terrasses et murs lissés du mouvement moderne — avec un rappel des deux tours du casino précédant —, des galeries marchandes désormais rattachées au casino proprement dit, ainsi qu’une entrée à couvert prévue pour les arrivées en automobile, concession intéressante à l’essor de ce moyen de locomotion. Entrée du casino, par R. Jourde, vers 1932 © coll. Part. Michel Hauduc Des espaces sont consacrés aux loisirs en vogue: « dancing populaire », salle de spectacle-cinéma, restaurant avec orchestre, mais aussi « balneum » avec solarium, réponse à l’héliotropisme ambiant, ainsi que des courts de tennis. Cette partie réservée au balneum (aile ouest) est en fait l’œuvre de l’architecte Marcel Hélion qui, à la demande et aux frais de la Ville, achèvera le casino en 1932. Ce dernier casino situé sur la plage sera dynamité et rasé par les troupes allemandes en 1942. Deux projets (non réalisés) signés G. Féray prévoyaient la réalisation sur la plage d’un extraordinaire complexe sportif avec piscine (1934), ou d’une école de natation (1938). Il s’agissait plutôt d’un complément jugé indispensable aux loisirs proposés par le casino en ces temps marqués par un engouement croissant pour les sports et l’héliotropisme. La plage et le casino, vers 1935 © Château-Musée de Dieppe Le stade Maurice Thoumyre (Marcel Hélion, 1926,1928, 1938) sera établi rue Vauban. Acquis dès 1920, le terrain ne sera achevé qu’en 1926 et inauguré le 11 septembre 1927. L’initiative en revient au Football-Club-Dieppois, devenu locataire du stade suite à l’interdiction de jouer sur les pelouses de la plage, son précédent terrain. En 1928, l’attrait exercé par le football et les sports athlétiques incite la Ville à mieux Stade Maurice Thoumyre, tribune couverte, par M. Hélion, 1928 aménager ce stade baptisé Maurice Thoumyre, sous la conduite de l’architecte Marcel Hélion : création d’un terrain, de forme Les pratiques sportives déjà en plein essor elliptique, entouré d’une piste de course à avant-guerre (tennis, golf, football, course pied, avec mise en place d’une tribune couverte. automobile) provoquent désormais un véri- Des gradins populaires non couverts en béton table engouement auquel va répondre la armé occupent l’autre côté du terrain (1200 municipalité. Si les projets spectaculaires de personnes). Trop dégradés, ils seront reconstruits Stade Maurice Thoumyre, détail de la tribune couverte complexes sportifs avec piscine et tennis 10 ans plus tard: le stade doit être à la hauteur installés sur la plage ne verront finalement du passage en 2nde division du F.C.D. Accessible par deux escaliers à double volée, la tribune couverte (800 personnes) est construite en béton armé et pans de fer avec remplissage de briques. Elle s’élève au-dessus de vestiaires, dotés d’une infirmerie et d’installations sanitaires avec eau courante. pas le jour à cette époque, un stade municipal panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 9 Les équipements publics Le bureau des Douanes, quai du Tonkin actuellement D.D.E. Maritime (Georges Feray, 1934) En 1934, l’administration des Ponts et spécialement par les ateliers Prouvé de Nancy (meubles de bibliothèque Chaussées commande quant à elle un immeuble avec des glaces mobiles, casiers en épis avec échelle coulissante sur rail de bureaux, complément de leur siège adminis- pour la salle des archives). Des cloisons métalliques vitrées interchangeables tratif situé quai du Tonkin. Elle s’adresse pour permettaient de modifier l’espace des bureaux, rappels de la cela aux architectes G. Féray et L. Filliol, asso- notion d’espace libre ciés à l’ingénieur des Ponts et Chaussées modulable préconisée M. Pétry. Pourvus à l’origine d’une cage par Le Corbusier. d’escalier en pavés de verre Névada et de baies Tour d’escalier à l’origine en pavés Névada © fonds B. Das, coll. part. Alice Perrotte à guillotine, ces bureaux assez remaniés, situés près du Bassin Duquesne, possédaient un mobilier fonctionnel, créé © fonds B. Das, coll. part. Alice Perrotte La poissonnerie en gros, (quai du Carénage, détruit) (Fernand Hamelet, 1926) En 1926, la Ville fait édifier par l’architecte grands toits pentus débordants et contrastés, rebord des toitures latérales évoquent cepen- Fernand Hamelet une étonnante poissonnerie par la présence d’un pignon en façade sous une dant, avec discrétion, le style moderne. en gros (Quai du Carénage, détruite) de style demie croupe centrale, d’un haut clocheton, et néo-normand, qui n’est pas sans rappeler ce par l’usage d’un faux pan de bois (peint). Cette qu’on appelle le « néo-normand balnéaire » des poissonnerie néo-normande en briques affiche environs de Deauville. Ce goût du pittoresque également des réminiscences classiques dans sa qui fait référence à l’architecture traditionnelle parfaite symétrie (façade et plan) et ses trois de notre région caractérise une réaction de rejet ouvertures cintrées de sa façade, particulière- vis-à-vis du mouvement moderne international. ment soignées. Les motifs en Cet édifice se distingue par la silhouette de ses damier et la courbe du Poissonnerie en gros, 1926 © AD76 La poste du Pollet (Fernand Hamelet, 1928-1929) Pour répondre à l’expansion du quartier du mixte, à mi-chemin entre les styles régionaliste bases très marqués, l’arrondi au-dessus de Pollet à partir des années 1920, l’administration et moderne. En effet, les toitures dissymétriques, l’entrée et la sobriété du décor. des postes commande à Fernand Hamelet, débordantes, les baies de l’étage comprises dans architecte diplômé de l’Ecole Nationale des Arts la toiture brisée assez basse et le jeu décoratif décoratifs et professeur à l’Ecole Régionale des des briques (briques rouges et briques claires de Beaux Arts de Rouen, un bureau de poste. Dizy) confèrent à cet édifice un aspect proche Cet architecte à qui l’on doit à Rouen et à Paris du régionalisme, contrastant avec des détails de nombreuses oeuvres de style Art Déco plus modernes tels les baies fortement scandées s’est efforcé d’adapter son art à la région. par des meneaux en béton Ce mélange d’influences aboutit à un édifice armé, leurs linteaux et leurs La poste du Pollet, F. Hamelet, 1928 L’établissement de Bains-Douches (rue Thiers, détruit), (Cabinet Hélion-Pelleray, 1928) Afin de remplacer les Bains Chauds démolis en salle de bains de vapeur et une autre de douche 1927, la Ville prévoit la construction d’un étab- en jet sont à la disposition du public. lissement de Bains Publics, achevé en 1928 par Si le style architectural illustre le mouvement le cabinet d’architectes Hélion-Pelleray. moderne avec son toit-terrasse et sa porte ornée Ce long bâtiment en béton armé, de style de volutes typiquement Art Déco, l’innovation moderne, propose à la suite d’un grand hall réside dans l’emploi de matériaux nouveaux, d’attente pourvu de mobilier en bois laqué huit tels que la pierre artificielle en façade ou le cabines de bains individuelles, trois cabines de « granito » pour le sol, parallèlement à l’utilisa- « bains sulfureux » pour les femmes et autant tion de briques et de pierres dures. pour les hommes. Au centre de l’édifice, une Dessin de la façade des Bains Douches, rue Thiers, détruit (cabinet Hélion-Pelleray, 1928) © AD76 panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:24 Page 2 L’habitat privé, entre tradition et modernisme Villas jumelées « l’Ailly », par G. Féray et L. Filliol, avenue de l’esplanade, lotissement de l’esplanade, 1929 © Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris Villa Aramys, 1931, G. Féray et L. Filliol, avenue des Belges, lotissement de l’Esplanade © Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris Immeuble, avenue Gambetta, Cabinet Helion, Pelleray, Chalvérat, 1929, entrepreneur Saint Martin Face à la crise du logement, beaucoup de l’Esplanade du Château, est conçu sur avec les réseaux d’eau, de gaz, d’électricité et d’habitants investissent dans des logements un plan en éventail, au bord de la falaise. d’assainissement nécessaires. Ce nouveau individuels, parfois dans le cadre de lotisse- Le lotisseur est la Société Générale Foncière, quartier au panorama d’exception ne doit ments, conduisant à l’extension considérable une société parisienne, également à l’origine comporter, selon le cahier des charges, que des faubourgs périphériques. Outre de nom- du Lotissement Beausoleil de Neuville-lès- des villas ou cottages de plaisance, voire des breux petits groupes d’habitat dus à des par- Dieppe (vers 1930-1932). Elle aménage à « bungalows » de style Californien conseillés ticuliers, deux lotissements marquent le partir de 1926, 89 lots sur l’Esplanade, au par la Société. paysage urbain. Le plus cossu, le Lotissement sein d’un ensemble soigneusement dessiné, panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 3 Plan du lotissement de l’esplanade du Château Maison, avenue des Anglais, lotissement de l’esplanade Maison, vers 1930, rue A. Briand, lotissement Beausoleil Immeuble avec garages, avenue des Canadiens, vers 1929 Le Lotissement des Hospices comprend lui le style moderne est plus rare, et parfois spec- 82 lots structurés selon un plan rayonnant à taculaire (villas Perrotte, Aramys, L’Ailly, Simon). partir d’une place centrale. Ces terrains, vendus D’autres encore ne retiennent du mouvement à partir de 1926, appartiennent aux Hospices moderne que quelques motifs décoratifs (pans qui en assurent difficilement l’aménagement, si coupés, dents de scie etc.), ou quelques éléments l’on en croit les retards constatés en matière de traités « à la façon moderne » (bow-window, canalisations d’eau, de gaz, d’évacuation des entrée avec auvent). Bien que certains bâtiments eaux usées et d’électricité. Afin d’inciter les aux allures d’immeubles émergent timidement, nouveaux propriétaires à « réaliser un ensemble l’habitat pavillonnaire demeure largement décoratif », et dans un esprit « d’embellissement majoritaire. L’apparition du garage enfin de la ville », des récompenses sont attribuées affirme le modernisme de cette époque attachée aux plus jolies façades. à l’automobile et aux sports de vitesse. Les logements compris dans ces lotissements, mais aussi la multitude de maisons individuelles construites dans toute la ville sont dues surtout à certaines élites et à la petite bourgeoisie qui, depuis les années 1900, a les moyens d’accéder à la propriété. La grande majorité de ces maisons ne présente pas une originalité architecturale flagrante, et se situe dans la lignée des édifices élevés avant-guerre. D’un coût raisonnable, souvent bâties par des entrepreneurs locaux en brique et pierre meulière, ces maisons comportent en général une façade à Villa, G. Féray et L. Filliol, rue I. Bloch, vers 1930 deux travées, une salle à manger, un salon et Plan du lotissement des Hospices, 1928, quartier Saint Pierre trois ou quatre chambres. Si les références Maison, rue Joseph Prunier, vers 1928 régionalistes – le néo-normand – sont courantes, Lotissement des Hospices, 1928, rues Maurice Thoumyre et Denieport panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 4 Le logement social à Dieppe et Neuville, un développement sans précédent permettent une participation financière des collectivités territoriales à la création d’HBM, la loi Ribot (1908) institue les sociétés de Crédit immobilier. Malgré ces dispositifs, la France connaît au lendemain de la première Guerre Mondiale une grave crise du logement, accentuée par l’inflation monétaire. La ville de Dieppe n’est pas épargnée : plusieurs quartiers (Bout du Quai, Saint Rémy et Saint Jacques) sont surpeuplés et bon nombre d’immeubles Projet de lotissement d’HBM sous la falaise du Pollet, vers 1922, non réalisé © Sodineuf, Dieppe s’avèrent vétustes et insalubres. La question de la condition ouvrière et donc de est affaire de principe : les uns voient dans le La promulgation, en 1919 et 1924, de deux l’habitat social intéresse les élites locales dès le logement individuel un facteur de moralisation nouvelles mesures destinées à augmenter les milieu du XIXe siècle. Les premières initiatives et d’intégration sociale, les autres dans le subventions publiques allouées aux sociétés émanent des patrons d’industrie, des milieux logement collectif un élément de solidarité et d’HBM n’a qu’un effet limité. Il faut attendre philanthropiques catholiques et de person- d’émancipation des ouvriers. 1928 et la loi Loucheur pour que l’Etat s’engage nalités acquises aux principes du socialisme. Au début du XXe siècle, l’Etat s’empare à son véritablement dans le domaine du logement Leurs motivation s’appuient sur des principes tour de la question. Plusieurs lois en faveur de social en se substituant aux structures privées. divers : paternaliste, hygiéniste (limiter les l’habitat social sont promulguées : la loi Un vaste programme national est élaboré, qui maladies), social (moraliser la classe ouvrière) Siegfried (1894) encourage la création d’or- porte sur la construction de 200000 logements. et politique (garantir la paix sociale, contrôler). ganismes d’Habitations à Bon Marché (HBM), Par ailleurs, la loi Loucheur facilite l’accession à Le choix entre habitat collectif ou individuel les lois Strauss (1906) et Bonnevay (1912) la propriété pour les ménages à faibles revenus. Les Habitations à Bon Marché de Dieppe et Neuville Habitation à bon marché, 1930 - 1933 impasse Loucheur, Neuville-lès-Dieppe, entrepreneur Lefebvre A Dieppe, la Société dieppoise d’HBM est Afin d’être accessible financièrement à la popu- En principe la construction de lotissements créée en 1900 par Paul de Laborde-Noguez, lation ouvrière, les Habitations à Bon Marché d’HBM induit une certaine normalisation sociologue et riche propriétaire local. Cette devaient être bâties « à l’économie » (matériaux, et rationalisation des terrains occupés afin société à but philanthropique édifie quelques espaces intérieurs sans dégagement ou couloir, de réduire les coûts fonciers et d’organiser dizaines d’HBM à Dieppe (Janval et Le Pollet) avec une seule pièce commune à usage de au mieux la voirie et les réseaux d’eau, avant la Première Guerre mondiale, en cuisine), tout en respectant les principes d’hy- d’assainissement, de gaz et d’électricité. « démonstration ». Après la guerre, grâce aux giène alors exigés (environnement sain, jardin En pratique, il faudra attendre les lois de 1919 lois de 1919 et 1924, elle dispose de plus larges ou cour, aération, buanderie, wc, sol lessivable). (loi Cornudet) et 1924, puis la loi Sarraut possibilités financières et peut désormais Les besoins minimums de familles souvent (1928) pour que soit établie une véritable implanter de plus importants lotissements nombreuses en terme d’espace intérieur sont planification des lotissements à l’échelle de la d’HBM, à Janval, au Pollet et à Neuville-lès- pris en compte: pièces pas trop exiguës et nom- ville, avec un raccordement cohérent aux réseaux Dieppe. La Société Normande des HBM va bre important de chambres, cellier. Les maisons urbains. Ces lotissements, une fois achevés, elle compléter les programmes entrepris par la sont alors accessibles à la location mais les lotis- voient leurs rues officiellement « classées » au Société dieppoise en installant à Janval la Cité seurs d’HBM encouragent fortement la loca- sein de la voirie urbaine par la municipalité, et des Officiers, affectée aux militaires. tion-vente ou l’achat. les rues reçoivent chacune un nom. panneaux DVAH de 1 a 10 - FOND 16/04/08 12:26 Page 10 Les groupes scolaires La naissance de l’archictecture scolaire Dès le XIXe siècle, le nouvel équipement que représente l’école fait l’objet de nombreuses réflexions. On insiste sur la prise en compte de critères pédagogiques, hygiénistes et économiques dans les constructions scolaires que l’on Façade principale, groupe scolaire Paul Bert, rue de la Victoire, Neuville-lès-Dieppe souhaite avant tout solides, salubres avec une distribution simple. Ces exigences favorisent alors l’emploi de la brique et le développement d’une architecture de type rationaliste, dont l’approche pragmatique correspond aux attentes du ministère. Cependant, une certaine normalisation voire une monotonie liée à la diffusion de plans-modèles par le ministère et la mise en place de dispositions règlementaires apparaissent. En réaction, dès début du le XXe siècle, des expériences innovantes seront menées, favorisées notamment par la liberté dont disposent les communes en terme d’implantation comme d’esthétique des groupes scolaires. Le plan du groupe scolaire forme un carré fermé par des préaux, doté à ses extrémités de logements pour les sous-directeurs. L’originalité de l’édifice réside dans le pavillon central, qui abritait la conciergerie, le logement des directeurs de chaque école et une cantine convertible en salle de spectacle. La présence du clocheton surmontant le pignon très pentu du pavillon central et les hautes toitures apportent le pittoresque cher aux adeptes du style régionaliste. Cet établissement est à rapprocher du groupe scolaire d’Offranville, élevé par le même architecte. Entrée des élèves et logements des directeurs au centre, groupe scolaire Jules Ferry, rue Jean Jaurès, quartier de Janval à Dieppe, par G. Féray et L. Filliol Le groupe scolaire Jules Ferry est bâti selon une composition symétrique, avec au centre les logements contigus du directeur et de la directrice et de part et d’autre, les classes destinées aux filles et aux garçons. Les préaux sont répartis autour des deux cours de récréation séparées à l’origine par les sanitaires, dont la conception fut considérée comme un modèle du genre. En dehors de l’esthétique résolument moderne de l’édifice, les architectes ont apporté un soin particulier aux détails en multipliant les formes variées d’ouvertures, les décrochements et le jeu de reliefs des briques. Les écoles dans l’Entre-deux-guerres A la fin des années 1920, le quartier de Janval Inaugurés à la rentrée de 1933, ces trois nou- Enfin, le bâtiment de l’Emulation dieppoise à Dieppe comme la commune de Neuville veaux établissements scolaires, bien que affiche une conception et une esthétique très enregistrent une forte augmentation de popu- dessinés par deux architectes différents, rationalistes, tempérées par le traitement lation, due à la construction de nouveaux partagent de nombreuses similitudes : une décoratif du béton ici apparent qui magnifie lotissements. La nécessité d’accueillir un plus ossature en béton armée complétée en façade les deux entrées. grand nombre d’élèves dans des écoles devenues par un remplissage de briques, la recherche du trop petites, suscite l’édification de nouveaux confort, de l’hygiène et de la sécurité pour les groupes scolaires. Ainsi à Janval, l’architecte élèves (plancher insonorisé, chauffage central, Georges Féray se voit confier la réalisation du électricité, groupe scolaire Jules Ferry (1928), tandis que fenêtres), une organisation intérieure relative- le groupe scolaire Paul Bert à Neuville (1932) ment identique à Paul Bert et Jules Ferry, et en est édifié par Marcel Helion. façade des décors jouant sur les matériaux De son côté, l’Emulation dieppoise, créée en (brique et béton). En revanche, leur 1877 par un petit groupe de patrons et d’ou- conception esthétique témoigne des dif- vriers, peine à trouver un local adapté. férents courants artistiques de l’époque. L’école professionnelle doit en effet accueillir Ainsi, l’école Jules Ferry rappelle — un nombre croissant d’élèves, ce qui nécessite par ses toits-terrasses et l’imbrication de disposer de larges espaces à usage d’ateliers. recherchée des volumes, soulignés par Aussi, grâce au don de Mme Thoumyre d’un un jeu de lignes horizontales ou verti- terrain situé rue Pasteur puis à l’achat d’un cales — les principes du mouvement terrain attenant, l’école va pouvoir faire élever moderne, tandis que le pavillon cen- un nouveau bâtiment adapté à ses besoins, et en tral du groupe Paul Bert est clairement confie la conception à Marcel Hélion. rattaché à l’esthétique régionaliste. système d’aération, grandes L’Emulation dieppoise, rue Pasteur (local actuellement désaffecté) Les nouveaux locaux de l’Emulation dieppoise organisés sur 4 étages et un sous-sol, répondent aux besoins spécifiques de l’enseignement technique : ateliers de 4m de hauteur, grandes fenêtres, système d’aération et parquet insonorisé. La volonté de laisser visible la structure porteuse en béton et d’en faire un élément fort du décor est à remarquer. panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 5 Les Habitations à Bon Marché de Janval Les HBM du Pollet : la cité Bonne Nouvelle Projet de façades pour les maisons rue Charles Blound, cité Bonne Nouvelle, 1923, quartier du Pollet , architecte J. Walter © Sodineuf En 1907, la Société dieppoise d’HBM fait construire un premier lotissement à l’origine de la cité des Quatre Vents, réenglobé dans une plus vaste cité ouvrière, d’allure régionaliste, bâtie à partir de 1923 par la même Société d’HBM, sur les plans de l’architecte parisien Jean Walter. Construite en 1923 rue Levasseur par la Société dieppoise d’HBM, la cité Bonne Nouvelle proposait d’offrir un logement décent aux familles de marins, près du port, au moment Maison jumelée, cité des Quatre Vents, lot n° 2, 1923, rue Jules Siegfried, architecte J. Walter L’ensemble compose alors une cité de plan carré, avec deux places de plan carré mar- ou l’industrie de la pêche manquait de personnel. Projet pour la cité Bonne Nouvelle, 1923 © Sodineuf, Dieppe quant les centres de chacun des deux lotissements d’origine. Une visite du Après l’étude de plusieurs projets, c’est une disposition triangulaire qui est retenue avec au cen- chantier en mars 1923 fait état d’habita- tre, dans l’esprit des « cités-jardins », un espace vert et des jeux d’enfants, finalement remplacés tions saines et confortables, aux murs par une place et des voies de circulation. L’architecte Jean Walter en est l’auteur. Il reprend pour doublés, construites en aggloméré de les maisons jumelées d’angle un type de structure semblable aux logements doubles de Janval, mâchefer, avec des sols en granito posés avec, pour chaque habitat, une entrée cintrée, couverte, située à l’extrémité de la façade, à l’abri par des ouvriers italiens. 46 maisons sont du vent et du froid. Le style régionaliste (néo-normand), particulièrement évident dans les projets, alors en cours de construction, et 110 se résume ici aux longues et basses toitures latérales, légèrement débordantes, et aux faux pans suivront. de bois peints à l’étage (souvent disparus). Les logements plus modestes qui jouxtent ces Certains jardins potagers (400 m ), sont déjà ensemencés par les habitations futurs 2 d’angle, propriétaires. bordés en façade de L’alimentation en eau potable de cette cité petits jardins et à l’ar- sera une source de problèmes, entravée rière d’une aile de par la transition laborieuse entre le sys- dépendances (buan- tème des bornes-fontaines, difficile à con- derie, cellier, wc) et trôler, et celui de l’alimentation individuelle d’une cour, sont à avec compteur. Actuellement, peu de loge- rapprocher ments ouvriers d’origine subsistent, ce série de 11 maisons quartier étant profondément renouvelé. ouvrières ouvrant sur En 1925, la Société dieppoise d’HBM la rue du Commandant construit à Janval un 3 lotissement, avec le Chrétien, édifiée en locataires ou e même type de logements doubles, dont il subsiste quelques habitations, rue Osmont. A proximité, au bout de la rue Jean Jaurès, Maison jumelée d’angle, cité Bonne Nouvelle, 1923, architecte J. Walter d’une 1922, sans doute par Jean Walter. En 1927, on y dénombre une l’administration militaire fait bâtir en 1931 moyenne de plus de cinq par l’intermédiaire de la Société normande enfants par foyer. des HBM la cité dite des Officiers, destinées à loger les officiers et sous-officiers en garnison à Dieppe. Seulement 14 des 20 logements prévus seront édifiés, dans un style plus moderne, œuvre de l’architecte rouennais André Viviès. Maison jumelée du lotissement des Sous-Officiers, 1930, rue Jean Jaurès, architecte A.Viviès Ensemble de maisons ouvrières, 1922, rue du Cdt Chrétien panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 6 Les Habitations à Bon Marché de Neuville-lès-Dieppe Plan d’ensemble de la cité Bel Air, vers 1930, Neuville-lès-Dieppe © Sodineuf, Dieppe C’est en 1931 que s’élève à Neuville-lès-Dieppe la cité Bel Air, sur les dessins de l’architecte dieppois Marcel Hélion. Trois modèles standardisés de maisons de style régionaliste sont proposés aux futurs locataires ou propriétaires. Comme à Janval et au Pollet, les plus grandes maisons sont doublées, avec une même grande façade principale encadrée par les entrées couvertes. Mais ici le faux pan de bois laisse la place à l’enduit en partie haute, le reste Maison jumelée pour couple sans enfants, rue du Cdt Charcot, cité Bel Air, 1931, Neuville-lès-Dieppe des logements étant en brique, et les portes ont leurs angles coupés, formes caractéristiques des années 1930. De longs jardins et des dépendances latérales (celliers et buanderies) avec greniers complètent cet habitat ouvrier encore peu dénaturé. L’édification de cette première tranche de 50 maisons destinées surtout aux familles nombreuses se révèlent finalement d’un coût un peu trop élevé pour les populations ouvrières les plus modestes. La Société dieppoise envisage en 1933 l’élévation de 30 nouvelles maisons moins onéreuses qui ne seront finalement jamais élevées. Maisons jumelées pour famille nombreuse, rue Maurice Thoumyre, cité Bel Air, 1931, Neuville-lès-Dieppe Plan d’une maison jumelée de la cité Bel Air, 1931, Neuville-lès-Dieppe © Sodineuf, Dieppe panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 7 L’art funéraire et les monuments commémoratifs Depuis 1804, les cimetières sont des espaces municipaux ouverts au public, des Tombe de Bénoni Ropert lieux de promenade et de recueillement (cimetière de Janval), G. Féray, E. Dubois (sculpteur) devant les tombes de célébrités ou de défunts plus anonymes. Ce monument presque sévère d’un ancien maire de la ville (1928- En préservant la mémoire des disparus, en 1929), Conseiller Général et Président de l’Emulation Dieppoise, devenant des monuments commémoratifs est particulièrement remarquable. Conçue en 1930 par Georges désormais destinés à être « visités », et par- Féray, financée par souscription, cette tombe reprend les volumes fois financés par souscription, la tentation en dégradé, les arêtes géométriques et la sobriété du style fut grande d’exprimer à travers l’art moderne. L’accentuation des lignes verticales, la nudité des funéraire le statut et l’envergure sociale d’un plans et la représentation de profil de l’ancien maire confère défunt, de l’identifier pour la postérité par un à la tombe une impression de puissance. portrait, tout en habillant le tombeau de façon plus ou moins ostentatoire par une architecture ou un décor issu des grands courants artistiques alors en vogue. A Dieppe, quelques tombes caractéristiques Tombe du chanoine Greboval de cette époque subsistent, comme la (cimetière du Pollet), 1926, Baudry (sculpteur) tombe de Bénoni Ropert (cimetière de Janval, 1930), ancien maire de la ville, le Mort en 1925, le chanoine, aumônier du collège Jehan Ango, monument funéraire du chanoine Greboval est figuré par un portrait signé Baudry (1927) inséré dans (cimetière du Pollet, 1926), aumônier du une niche en triangle, au centre d’un monument anguleux. collège Jehan Ango, ou d’autres tombeaux Celui-ci a été érigé par souscription, en mémoire de sans portraits, de style moderne (motif de « l’homme si parfaitement bon et du prêtre si éminemment doubles digne ». Cette stèle moderne, originale par la dissymétrie de encoches latérales), ou plus archaïques mais traités en ciment. ses formes géométriques, est ornée de moulures verticales en La volonté d’immortaliser une célébrité ou dents de scie, typiques du mouvement moderne. S’y appuient un événement liés à l’histoire de la ville, sou- une borne et une dalle portant les symboles de sa vocation vent à l’initiative de l’Association des Amys religieuse (étoles dont une à volutes et fleurs stylisées, calice, du Vieux Dieppe, a suscité l’élévation de croix) et l’inscription funéraire, de type Art Déco. nombreux monuments commémoratifs, de formes variées, presque exclusivement créés par l’architecte Georges Féray, en association avec les sculpteurs E. Dubois ou L. Ghiot. Citons ainsi le Monument de la Victoire (1925), à la gloire des morts pour la patrie, Tombes du cimetière de Janval le Monument des Canadiens (1927), le Stèles cintrées, motifs à doubles rainures, ferronnerie à disques et barres verticales ou Monument à la mémoire du coureur auto- lettrages Art Déco signalent sans ostentation l’influence moderne de certaines tombes. mobile Gaupillat, mort sur le circuit de Dieppe (1934), ceux élevés en hommage à Jean Ribault, illustre capitaine de frégate parti de Dieppe pour conquérir la Floride (1562 et 1565), ou encore à Paul de Laborde-Noguez (1926, sculpteur L. G. Baudry), au sein d’un quartier d’HBM qu’il a contribué à mettre en place. Tombe de la famille Poullard, vers 1920 Tombe, de la famille Barate, après 1918 Tombe de la famille Miellot (architecte L. Gaudibert) panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 8 Monument de la Victoire (square Carnot), 1925, G. Féray, E. Dubois (sculpteur) Commémorant la guerre 1914-1918, inauguré en 1925, ce monument aux morts réunit les statues de bronze du sculpteur dieppois Ernest Emile Dubois et l’architecture moderne en béton signée Georges Féray. La composition du monument est centrée sur une glorieuse Victoire ailée emportant dans un élan vertical irrésistible un poilu, un marin et – étonnante nouveauté — un aviateur. Le monument se démarque également par le large et original bandeau horizontal de style Art Déco orné de feuilles stylisées. Monument à Gaupillat, Monument à Paul de Laborde-Noguez, 1935, G. Féray, L. Ghiot (sculpteur) 1926, G. Féray, L. G. Baudry (sculpteur) Beaucoup plus dynamique que les autres monuments imaginés Elevé au sein de la Cité des Quatre Vents à Janval (HBM), par Georges Féray, cette œuvre suggère avec efficacité la mis en scène au centre d’une place, ce course automobile, référence directe à la passion de Gaupillat, monument rend hommage à Paul de coureur mort sur le circuit automobile de Dieppe en 1934. Laborde-Noguez figuré en buste dans Une exceptionnelle roue stylisée est figurée en pleine vitesse, toute la simplicité qui le caractérisait, mouvement rapide matérialisé en chapeau et pardessus. Cette stèle se par les rainures circulaires réfère au style moderne par ses lignes gravées sur l’enjoliveur, la géométriques, déformation de la roue et par décrochements verticaux, et l’utilisa- les moulures horizontales évo- tion subtile de briques disposées de quant l’appel d’air généré. manière à varier le relief, d’un fort la succession de effet décoratif. Les « monuments-colonnes »: Monument à Jean Ribault cour du château, Georges Féray, Louis Ghiot. Monument des Canadiens (square du Canada), 1927, Georges Féray. panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 9 Les acteurs du renouvellement architectural et urbanistique de la ville Villa Perrotte et plan du rez-de-chaussée, rue Jules Ferry, 1928 par Georges Feray et Louis Filliol © Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris La villa Perrotte est édifiée en 1928 pour l’industriel Pierre Perrotte par les architectes Georges Féray et Louis Filliol. Fonctionnelle, équipée du dernier confort, avec un jardin et une décoration intérieure Art Déco et du mobilier encastré, cette villa en béton illustre merveilleusement le style moderne. Elle reprend avec élégance certains principes du modernisme définis par Le Corbusier, comme la notion de « plateau libre » matérialisée par les portes coulissantes, les volumes géométriques et les lignes épurées, les toits-terrasses, et le « porte mât », élément cher au style dit paquebot. Certaines personnalités, par leurs engage- Sociologue et urbaniste reconnu à l’échelle de verre, grandes baies), parfois modulables ments ou leurs métiers, ont eu un impact évi- nationale et internationale, son œuvre (Bureau des Douanes, portes coulissantes de dent sur l’architecture et le développement majeure est le plan d’ensemble conçu pour la la villa Perrotte), ornés de motifs Art Déco de la ville. ville de Rio de Janeiro, dont il publie les Soulignons ainsi les maires qui ont tous principes d’urbanisme. fortement soutenu le mouvement en faveur du logement social, à la suite du maire Autre architecte réputé, Jean Walter (1883- Camille Coche (de 1898 à 1910), très 1957) réalise pour la Société Dieppoise impliqué sociale. d’HBM les lotissements de Janval et du La famille Thoumyre s’est elle aussi parti- Pollet. Ce grand spécialiste de logement culièrement engagée dans les domaines social, architecte des HBM de Paris et auteur industriel (usine Viscose et cité ouvrière de la première cité-jardin de France (Draveil, d’Arques-la-Bataille), politique (Maurice 1914), édifie au Havre, entre autres, la cité- Thoumyre est maire, son frère Robert est jardin de Frileuse (1919). dans l’action député, ministre puis sénateur), économique Grand Prix de Rome en 1923, (Chambre de Commerce) et social (Société 2nd Dieppoise d’HBM, Emulation Dieppoise). Georges Féray (1892-1965) est un architecte dieppois méconnu, dont les œuvres majeures se réfèrent avec éclat au style moderne. Associé au sein d’un cabinet parisien d’architectes à Louis Filliol, la majeure partie de ses constructions se situe à Dieppe où il ouvre une seconde agence. On lui doit en particulier l’église du Sacré-Cœur de Janval (1923), les villas Perrotte, Aramys, L’Ailly et Simon, la quincaillerie Leveau, le beau groupe scolaire Jules Ferry, l’élégante usine d’autocurage, le Quincaillerie Leveau, rue Duquesne, vers 1930, par Georges Féray bureau des Douanes, des édifices de style néo- Église du Sacré Cœur de Janval, 1924 - 1926 par Georges Feray normands, nombre de monuments commé- stylisés ou géométriques. S’il reprend à son moratifs et d’œuvres temporaires, et enfin compte des éléments typiquement modernes, des projets spectaculaires (non réalisés). comme la baie d’angle ou les hublots de type Bien qu’ayant élevé des maisons entièrement Paquebot, il est aussi l’auteur, avec Louis Filliol, en béton et ciment, il utilise beaucoup la de façades traditionnelles néo-normandes, brique, dont il renouvelle l’esthétique en comme celle du Café des Tribunaux, voire néo- jouant sur les reliefs qu’elle peut générer en médiévales (immeuble s’élevant au dessus de la fonction de sa forme et de sa disposition. boutique « Esprit », 43 Grande Rue). Il adhère enfin totalement aux principes du Les « hommes de l’art » sont eux intervenus mouvement moderne, en créant des bâtiments Outre Marcel Hélion, citons l’architecte directement sur la physionomie de Dieppe : d’une grande pureté de lignes et de volumes, Fernand Hamelet (Poste du Pollet et pois- L’architecte-urbaniste Alfred Agache (1875- avec des toits-terrasses qu’il agrémente toute- sonnerie en gros), plutôt attaché au 1959) est l’auteur du plan d’extension, d’embel- fois d’un rebord, des espaces fonctionnels régionalisme qu’il ponctue tout de même de lissement et d’aménagement de Dieppe (1930). (avec du mobilier encastré), lumineux (pavés quelques motifs ou éléments plus modernes. panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 10 Maisons rue Lebourgeois, lotissement des Hospices, Quartier Saint-Pierre, 1928, Saint Martin entrepreneur Ne négligeons pas pour autant les entrepreneurs de travaux publics : les noms de Caulier, Chavatré, Saint-Martin, Modeste, Creton, Folliot, Benoît, Thoumyre, Botte & fils, Deschamps, Quibel, Stal, Chavatre et Lefebvre apparaissent ainsi dans la documentation, parfois sur les façades qu’ils signent. Victor Caulier (fils) paraît avoir de solides compétences en matière d’organisation de chantier, si l’on en croit les éloges de la presse sur son rôle d’entrepreneur général de la Cité des 4 Vents à Janval. Jules Folliot semble lui s’être spécialisé dans un modèle de logement en brique, assez simple, que l’on découvre en très grand nombre dans toute la ville. Maison, rue Lebourgeois, lotissement des Hospices, 1929, Jules Folliot entrepreneur Maison, rue Georges Lebas, lotissement construit à partir de 1928, Caulier entrepreneur Maison, rue de la Manche, lotissement de l’esplanade, à partir de 1926, Caulier entrepreneur Paul de Laborde-Noguez a laissé le souvenir d’un L’architecte dieppois Marcel Hélion (cabinet d’architectes Hélion, Pelleray homme de bien, discret, respecté et apprécié. Conseiller et Chalverat) intervient fréquemment à Dieppe, tant pour bâtir des édifices général du canton d’Offranville en 1882, son action en publics (Bains-Douches, stade, casino) faveur du logement social et du mouvement agricole est qu’une cité d’HBM (Cité Bel Air) ou des remarquable. Il est à l’origine de la Société Dieppoise des logis privés. Son œuvre, d’une certaine Habitations à Bon Marché (1900) qu’il présidera pen- qualité esthétique, marque plutôt une dant 24 ans, et implante à ce titre des HBM à Janval, à inspiration Art Déco bien qu’il conserve Arques-la-Bataille et à Offranville. Administrateur de le style régionaliste pour la Cité Bel Air. l’Office public départemental des HBM, on lui doit aussi Il n’hésite pas non plus à employer de nou- la fondation d’organismes agricoles, la création de la veaux matériaux (Bains-Douches). Société de crédit immobilier de l’arrondissement de Dieppe, et de la Caisse auxiliaire de crédit immobilier. Maison rue Gambetta, 1929 Marcel Hélion, architecte et Caulier entrepreneur panneaux DVAH de 11 à 20 - FOND 16/04/08 12:25 Page 11 Le modernisme d’après-guerre Gare maritime, 1951-1953, architecte Urbain Cassan, détruit en 1995 © Chambre de Commerce de Dieppe Après la 2nde guerre mondiale, le modernisme marque encore de son La Halle aux Poissons, quai Gallieni, 1945-1947 et 1951 © Chambre de Commerce de Dieppe empreinte certains édifices. D’abord parce que tout naturellement on reconstruit à l’identique ; c’est le cas des hangars du port qui, fort endommagés par les bombardements, sont réédifiés – et souvent agrandis – dans le même style, avec d’ailleurs le même entrepreneur. En second lieu, les équipements nouvellement construits imitent également le style moderne d’avant-guerre, tels La Halle au Poisson (quai Gallieni, 1945-1947 et 1951), ou la Gare maritime, exceptionnel édifice de style dit Paquebot (1951-1953, architecte Urbain Cassan), détruit en 1995. Les Bains eux-mêmes, ouverts en 2007, conçus par l’architecte E. Delabranche, du cabinet Duval-Raynal, reprend l’esthétique des années 1920 : on y retrouve la simplicité et les lignes épurées du style moderne, ses murs de béton blanc contrastant avec une couleur primaire (un jaune lumineux), son toit-terrasse (ici végétalisé) et son élégant portique d’entrée, son caisson lumineux en pavés de verre (ascenseur du parking), référence à la célèbre Maison de verre de Pierre Chareau (Paris, 1928-1931). Centre Balnéaire “Les Bains”, portique d’entrée et colonnade, 2007, architecte E. Delabranche Série de maisons, rue Lebourgeois attribuée à Georges Féray, vers 1950