Léo et la Patoune. L`arrivée de l`hiver d`habitude, c`est pas une

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Léo et la Patoune. L`arrivée de l`hiver d`habitude, c`est pas une
Léo et la Patoune.
L’arrivée de l’hiver d’habitude, c’est pas une saison tellement chouette. Mais là ça dépassait
les bornes. On est seulement en automne et tout le monde est déjà maussade du haut en bas. Je
m’explique : Au sommet, le Propriétaire lui-même, dont le ventre plein de bonne bière
s’arrondissait généralement avec bienveillance, est très mécontent. Son berger est trop vieux,
le chien trop jeune, les brebis n’ont pas assez d’enfants. L’une d’elle n’en a même pas eu du
tout et elle s’est trouvée promptement transformée en grillade sur le barbe-queue.
Victor le berger-trop-vieux, comme chaque automne, allergique aux feuilles mortes ne peut
pas s’arrêter d’éternuer. Il consomme une telle quantité de mouchoirs en papier que l’épicier
du village, dont le stock a rapidement fondu, lui a conseillé de trouver un mouchoir en coton.
-Ça existe des mouchoirs en tissu ? a demandé le berger -ça doit être dégoutant de fourrer ce
truc tout mouillé gluant dans sa poche ? -C’était comme cela autrefois, m’a raconté mon
grand-père, a répondu l’épicier. On était habitué, il n’y avait rien d’autre, même les couches
des bébés on les lavait, on ne les jetait pas ! Et, je t’assure, on n’était pas plus malades que
maintenant. Dans la montagne, tout en bas de la hiérarchie pastorale, il y a les bêtes, bien sûr,
réputées complètement idiotes du point de vue des êtres humains.
Brigitte, elle, était arrivée, à Noël, sous forme de cadeau avec un ruban rouge autour du cou.
Victor avait souri en remerciant beaucoup ses petites filles. C’est vrai, son vieux chien était
parti au paradis des animaux. Seulement, elles n’y connaissaient rien, elles lui avaient amené
un tout-jeune-tout-mignon. Et cette boule de dix kilos de longs poils blancs n’était pas dressée
à garder les brebis, elle ne savait rien faire ! Elle ne pourrait pas être efficace avant la
prochaine saison. En plus, cette Brigitte, était un Patou de pure race des Pyrénées et ne vous
l’envoyait pas dire. Une vraie sang bleu. Son œil d’or vous toisait dédaigneusement. Elle ne
savait pas encore aboyer mais ses petits cris étaient vraiment des plus impérieux. « J’ai
faim! » « J’ai soif! » « Je veux sortir! » « Je veux rentrer! ».
Oh mais ça va, hein princesse ! Ça commence à bien faire! Le vieux berger obéissait à contre
cœur. Quelle pimbêche ! soupirait-il. Il riait sous cape : La nuit où elle se trouvera en face
d’un vrai loup, je ne donne pas cher de ses grands airs!
Encore plus bas dans l’échelle sociale des sommets, se trouvent les animaux sauvages. Vous
me direz : Ils ont l’habitude de vivre dehors, eux ils sont vernis avec leur cuir et plein de poils,
de toute façon c’est leur destin de rester dehors, qu’il fasse chaud ou froid. Oui, d’accord.
Mais Léo le louveteau n’a vraiment pas eu de chance. Il est arrivé sur terre au mauvais
moment, au mauvais endroit. Sa Maman avait été abattue par des chasseurs. Son Papa avait
été pris dans un de ces bien nommés « piège à loup ». Deux grosses mâchoires de fer lui
avaient pris et estropié une patte arrière. Malgré ses muettes supplications, le braconnier
n’avait pensé qu’à l’assommer vite fait. Ça ferait toujours une sale bête de moins.
Comme le couple étaient à eux deux les chefs de la meute, la tribu s’était disloquée. Au lieu
d’un ensemble discipliné, on n’avait plus affaire qu’à des petits groupes dangereux,
anarchiques, à des individus dispersés, ou à des célibataires façon voyous.
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Privés de leurs dirigeants, tous se sentaient solitaires et désemparés. Les frères et sœurs de
Léo, quatre en tout avec lui, n’avaient plus donné signe de vie depuis longtemps. Léo, à peine
sevré, n’a pas eu suffisamment de leçons de chasse. Heureusement en cette période, il arrive à
capturer quelques rongeurs et autres bestioles. En attendant de pouvoir courser un chamois
des sommets ou un chevreuil de vallée, il s’en contente.
Voici donc présentés les personnages, l’histoire peut commencer.
Il fait doux pour la saison. De temps en temps quand même, le matin, il pleut quelques
gouttes lourdes et froides. La transhumance et le retour vers les bergeries va bientôt
commencer.
L’après-midi s’achève. Léo a fini de ronger un rat dodu attrapé la veille au soir, il surveille le
troupeau de loin entre les arbres. Quelques branches, ainsi que le fil de la clôture électrique
(elle est en panne depuis longtemps et on ne l’a pas réparée), arborent de grosses touffes de
laine écrue laissées par les moutons. Léo s’amuse en tournant après sa queue. Soudain un de
ses oncles, Strass, un loup maigre aux yeux jaunes, qu’il n’avait plus vu depuis longtemps,
surgit près de lui. -Cette nuit, lui dit-il, je m’en ferai bien une. Léo ne sait pas exactement ce
qui va se passer, il a peur mais il a aussi envie de regarder.
Il faut attendre l’obscurité complète. Le soir même, sous le ciel noir, tous deux s’avancent
sans bruit vers la grande tache blanche des moutons. Ils se sont regroupés à la lisière de la
forêt, sous les arbres pour se tenir chaud. Strass, à l’affut derrière un buisson, prend son temps
et choisit son gibier. Une jeune et tendre brebis ne s’est pas encore endormie et rêve, un peu à
l’écart. Le loup rampe vers elle, se ramasse sur lui-même, prêt à bondir sur sa proie.
Soudain, une lune royale sort des nuages qui en voilaient la lumière argentée. Voici la reine
de la nuit. Un grand rayon blanc descend sur l’agnelle et éclaire en même temps quelque
chose qui étincelle à ses côtés. Mais qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas une boule de neige!
Cette masse ronde ébouriffée et brillante de fourrure blanche c’est Brigitte en majesté !
Léo est ébloui par tant de beauté. Il regarde Strass. L’oncle hésite. Un chien si petit ne lui fait
pas peur, mais comme Léo il est impressionné. Les yeux de la chienne, couleur d’ambre
comme deux pierres précieuses, deux agates lumineuses, le transpercent, l’hypnotisent. Elle
en impose, pour ça oui, elle est douée, elle a vraiment ça dans le sang.
Il a hésité une minute et ça a suffit, l’agnelle a rejoint le troupeau. Elle est sauvée. Strass est
déçu. Il pointe son museau gris vers l’astre du ciel nocturne et hurle longuement, rejoint peu
après par un ou deux autres loups des environs qui hurlent aussi et saluent la pleine lune.
Les brebis en frissonnent encore de peur, bêlant et agitant leurs clochettes à qui mieux-mieux.
Victor bondit, il ne dormait que d’un œil. Alerté par tous ces bruits, il arrive en courant. Il
s’arrête lui aussi. Comme les deux loups il y a un instant, il contemple la jeune chienne dans
son rayon de lune, très grave, la tête droite, à son poste face aux dangers de la forêt profonde
et mystérieuse.
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Quelques jours après… Le Propriétaire empile les accessoires dans son coffre arrière. Occupé
par un championnat de golf, il a hâte de retrouver les membres du club pour une journée et un
repas de fête. La soirée au coin du feu dans le clubhouse, sera accompagnée de quelques
délicieux vieux whiskies parfumés.
Victor le vieux berger, en bougonnant termine les préparatifs. Il a mis un pain, des noix (les
premières) et du saucisson dans son sac à dos. La camionnette, pour les blessés et les très
jeunes agneaux a été révisée, elle part au quart de tour. Un des voisins lui a prêté un de ses
chiens de conduite, mais ils n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et leur collaboration
est parfois difficile. De plus, Brigitte (on le sait, ce n’est pas la modestie qui l’étouffe) a tout
de suite snobé Touffu -Je n’ai pas besoin de toi ! Je sais faire toute seule ! Sauf que non, elle
ne sait pas et ne saura jamais. Touffu, c’est son métier à lui de conduire les troupeaux.
Les brebis, elles, sont au pré, elles broutent en surveillant ce qui se passe du coin de l’œil. On
distingue leurs silhouettes familières. Dans le brouillard du petit matin, la brume moutonne.
Les bergers les rassemblent avec l’aide des chiens et les chiens les conduisent avec l’aide des
bergers. Trois chèvres sveltes, pleines d’autorité malgré leurs airs frivoles, ont été placées en
tête pour prévenir les plus grosses bêtises.
Ça aboie, ça sonnaille et ça bêle aux quatre coins. Les différents troupeaux des différents
propriétaires, s’agglutinent maintenant. Tout le monde se retrouve sur la route. Invités,
quelques amis joyeux avec leur piquenique, gambadent, suivis par le camion poussif abritant
des agneaux pleins de lait. Victor est content. Il sait que bientôt, avec le froid et la neige, ses
éternuements vont cesser, les allergènes seront plaqués au sol par la pluie ou rendus
inoffensifs par le gel.
Brigitte ne court pas à droite et à gauche. Sans aboyer, elle observe. Touffu semble partout à
la fois! Il suit les ordres à la voix, et même avant que le vieux berger ne s’exprime. En
observant Touffu et les autres chiens, elle comprend leur différence. A chacun son truc.
Sa fonction à elle, c’est surtout d’intimider : Éloigner les prédateurs avant l’attaque : Les
loups, les ours, sans parler de ces gentils toutous excités qui peuvent faire de gros dégâts. Ils
se réunissent, formant une troupe, ils courent, jouent et mordent les gigots. Bientôt, flairant
l’odeur du sang, ils en perdent la tête et en même temps tout sens moral. La chienne par
ailleurs a acquis beaucoup d’autorité.
Dans le milieu des chiens, ceux qui se font craindre des loups et les éloignent sont très
respectés. En cas de bagarre, elle aura bientôt la masse et les crocs nécessaires. Pour son
premier anniv et pour protéger sa gorge où passe la vie, Victor lui offrira un gros collier de
cuir avec des pointes dressées. Brigitte aura toute sa place en première ligne près des brebis.
L’an prochain elle pèsera presque quarante kilos et aura encore plus d’assurance, (pourvu que
ses chevilles n’enflent pas!). Les loups iront ailleurs, vers des troupeaux laissés tout seuls, et
ce sera sûrement elle que l’on félicitera pour cette belle victoire!
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