RECHERCHES SYNTHèSES

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RECHERCHES SYNTHèSES
Recherches
40
n°
ISSN en cours
&
synthèses
DÉCemBRE 2007
L’introduction de la conduite entièrement automatisée des métros.
Approche comparative des choix économiques, organisationnels et commerciaux dans les contextes
français et internationaux. Rapport final, mars 2007.
Lettre de commande DRAST N°03MT40, PREDIT GO 11
Prestataire : Cerebe, 140 rue du Chevaleret 75013.
Auteurs : Jean-Pierre Segal, avec la collaboration de Mathilde Blondeau et Simon Segal.
Le métro automatique : invention,
innovation ou simple nouveauté ?
Le conducteur de métro parisien, figure historique des luttes sociales en France, a disparu
de la ligne entièrement automatisée Metéor. Signe précurseur d’une ère nouvelle ? D'après
l'auteur cet événement marque plutôt le point final d’une évolution ancrée dans le passé.
Elle n’entraîne pas dans son sillage un cortège de changements techniques et sociaux.
Elle ne constitue donc pas une innovation au sens strict.
"L
Programme de
recherche et
d’innovation dans
les transports
terrestres
Ministères chargés
de la recherche,
des transports,
de l’environnement
et de l’industrie,
l’ADEME
OSEO
ANR
e métro automatique n’est que la continuité d’un processus largement avancé,
commencé avec la centralisation des
systèmes de régulation du trafic, et
poursuivi par la mise en place du pilotage automatique”.
À l’appui de cette thèse, une recherche financée par la DRAST reprend la définition classique qui distingue l’“invention“ (en l’occurrence
celle des systèmes de conduite automatisés), de
l’“innovation“ qui est le bouleversement apporté
dans la technologie, l’organisation du travail, la
vie quotidienne, voire l’économie globale, par
les conséquences de cette invention, comme le
montre l’exemple classique de l’électricité. Or
l’automatisation intégrale de la conduite dans le
métro, dite aussi “Nopo“ (No opérator per opération) n’a que des effets indirects et dissociables
de l’invention elle-même.
Ainsi en est-il des portes palières. Depuis que,
dans les années soixante-dix, l’automatisation
croissante des opérations de conduite a conduit
à fusionner les deux métiers historiques de la
Traction et ceux du Mouvement, les conducteurs
du métro parisien assurent aussi le service des
portes. Un métro sans conducteur suppose donc
de résoudre cette question décisive si l’on sait que
les intrusions sur les voies et les suicides sont res-
ponsables de 33 % des retards dans les stations.
En fait, le lien est plus ténu. D’autres dispositifs,
comme des signaux sonores ou tactiles, utilisés
dans les métros avec conducteurs, remplacent
les portes palières dans certains réseaux automatiques. Dans d'autres pays encore, comme à
Singapour, ce sont des employés qui assurent ce
service.
Le même constat vaut à propos de la réduction
des intervalles entre les trains ou de la plus
grande amplitude horaire d’ouverture. Certes,
la conduite entièrement automatique évite la
gestion de tableaux de service compliqués ou
l’opposition des syndicats à un changement des
horaires. Mais d’autres innovations comme le
système Ouragan, expérimenté sur la ligne 13 du
métro parisien (où il y a encore des conducteurs)
visent, via le contrôle des vitesses des rames, à
réduire les intervalles aux heures de pointe.
Le Nopo a aussi été présenté comme plus
fiable que la conduite manuelle, car il est
supposé éviter l’erreur humaine. On peut, à
l’inverse, considérer qu’une présence humaine
Un métro sans conducteur suppose
d’assurer sans lui le service des portes.
Même sur une ligne automatique,
la présence humaine demeure.
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doit perdurer, aussi bien dans les stations que
pour gérer les incidents sous les tunnels, les plus
dangereux. Il n’y a donc pas là non plus de bond
technologique, mais plutôt une adaptation de
l’organisation du travail.
Le tour d’horizon des chercheurs n’est pas
mondial. Mais il démontre que dans nombre de
réseaux importants, même lorsque l’automatisation est présentée comme un moyen de réduire
les effectifs, la présence humaine demeure.
Dans tous les systèmes automatisés, il y a des
aléas que ni les caméras ni les capteurs divers ne
peuvent prévenir. Les attentats récents en sont
la preuve. Les postes centraux de conduite qui
remplacent les conducteurs ont des oreilles sur le
terrain. Baptisés “navetteurs“ “chefs de cabine” ou
“stewards“, ces employés pourraient bien signifier
la renaissance paradoxale du chef de train disparu
avec le service Mouvement. n
Plus facile d’être Nopo sur les lignes nouvelles
Le choix de créer des lignes entièrement automatiques est moins régi par leur pouvoir de
séduction que par une évaluation globale de la performance du réseau. C’est pourquoi les
autorités en charge des transports optent plus souvent pour équiper des lignes nouvelles que
pour automatiser le réseau existant.
ils admettent manquer de recul pour tirer soutiens d’une opération politique de prestige.
un bilan définitif, les auteurs de l’étude Bien plus aléatoires sont les tentatives pour
constatent que ce sont plutôt les nou- équiper des lignes existantes. À Berlin, le projet
velles lignes, sur lesquelles ne pèsent pas les Star, pourtant né sous de bons auspices, a été
contraintes du passé, qui sont automatisées. Ce ajourné. Il ne s’agissait d’ailleurs qu’en partie
constat est renforcé par le fait que la plupart d’automatiser une ligne existante. L’objectif
des États ont adopté un mode de financement était de prolonger une ligne de l’ancien Berlinprivé ou mixte, qui les conduit à construire Est (la ligne 5) vers la gare centrale à l’Ouest.
des montages financiers ficelés au plus juste L’ensemble devait être automatisé.
(tableau 1).
Le projet a pris naissance lors des espoirs de
Copenhague s’est dotée d’un métro de ce type boom urbain qui ont accompagné le choix de
pour dynamiser la création de la ville nouvelle Berlin comme capitale fédérale après la réunid’Ørestad. La hausse des prix des terrains autour fication. Or cette croissance a été plus lente
de cette ancienne base militaire, a servi à finan- que prévu et la fréquentation du métro n’a pas
cer la nouvelle ligne. Ce métro, qui fonctionne explosé. La coalition industrielle entre Siemens
24h sur 24, est conçu comme une navette rapide et Adtranz sur ce projet s’est rompue. Le coût de
capable de transporter le maximum de passa- la réunification a vidé la bourse de la municipagers en un minimum de temps. C’est une sorte lité. Les riverains, déjà soumis à un feu roulant
d’“ascenseur horizontal“ dont l’équipement a été de grands travaux, n’ont pas été enthousiastes.
conçu de façon minimaliste.
Les écologistes l’ont taxé de luxe inutile. Les
À Singapour la North East Line (NEL) vise à usagers ont émis des craintes pour leur sécurité
séduire les automobilistes afin de lutter contre lorsque le choix de remplacer les portes palières
les embouteillages monstres qui affectent la par des détecteurs de mouvement a été fait.
petite île. Les autorités ont donc conçu un “Inutile, cher et dangereux“, tel fut le verdict.
métro de prestige (World class metro), plus cher Londres témoigne aussi de ce contraste entre
et plus chic. L’automatisation complète ren- lignes nouvelles et anciennes. Une ligne neuve,
force cette image moderniste. L’impact en est entièrement automatisée, le Dockland light train,
moindre qu’attendu car la clientèle aisée boude a été mise en service dès 1987 pour desservir le
toujours ce mode de transport, tandis que le quartier des quais en plein renouvellement. Les
reste de la population préfère le bus, moins
cher. La ligne parisienne Metéor, présentée
Le projet symbolique de créer
comme un des “grands projets structurants“
une ligne automatique entre
de l’ère Mitterrand, a bénéficié de tous les
S'
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l’est et l’ouest de Berlin a été
jugé cher, inutile et dangereux.
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Tableau 1 : Typologie des cas étudiés
Réseau existant
Nouvelle infrastructure
Décision d'automatiser
RATP ligne 1
Abandon de l'automatisation
RATP METEOR
Copenhague
Singapour
BVG Berlin Projet STAR
LUL Londres Jubilee Line
Tableau 2 : Comparaison des « business case » de Londres et de Berlin
L’abandon du projet STAR (Berlin) Les hésitations londoniennes vis-à-vis de NOPO
Un excédent d’offre
Une coalition industrielle rompue La modernisation (ATO) du réseau existant est jugée prioritaire
Des riverains opposésLa séparation Infrastructure/Exploitation complexifie
l’évaluation de la rentabilité et des risques
Des syndicats plus que réservés
Difficultés à bâtir un financement PPP
Des finances locales au plus bas
Les Jeux de 2012 : un accélérateur possible
Des usagers peu rassurés
autorités envisagent de construire deux lignes
fully automatics, nommées Crossrail 1 et 2, sous
l’impact de la perspective des Jeux Olympiques
de 2012.
En revanche, le prolongement de la Jubilee Line
vers l’Est et son automatisation totale ont été
un échec. Le projet a achoppé devant l’enchevêtrement des lignes et des réseaux (métro et
train), la vétusté générale des installations et
la division entre infrastructure et exploitation
qui rend difficile les montages financiers et le
partage des risques.
L’extension n’a été réalisée qu’en partie, sans
automatisation intégrale. Un tronçon nouveau
reste même, à ce jour, inutilisé. Il sert parfois de
décor de cinéma (tableau 2). n
Météor :
un laboratoire social qui n’a pas fait école
La ligne 14 du métro parisien, vitrine du savoir-faire français, devait être aussi une vitrine
sociale. Imaginée comme une “ligne école“ grâce au détachement d’agents de l’ensemble du
réseau, elle a plutôt conforté le personnel dans sa réticence à modifier ses pratiques professionnelles.
S
i la construction de la ligne 14 a été
conçue, côté public, comme une opération de prestige, elle a aussi été pensée
comme un laboratoire social. C’était en effet
une gageure que de construire une ligne sans
conducteurs quand on connaît la combativité
de ce corps de métier. En apparence, le pari a
été relevé : la ligne 14 a démarré sans grève.
En réalité, l’expérience conduite pour convaincre le personnel de “travailler autrement“ n’a
pas été, d’après les chercheurs, un succès total.
La tentative reposait sur la conviction qu’en
“libérant“ les agents de la “machine“, on allait
pouvoir “enrichir“ leur travail. Il s’agissait de
faire de Météor une ligne expérimentale permettant à l’ensemble du personnel de la RATP
de s’approprier de nouveaux métiers et de nouvelles relations hiérarchiques.
Pour cela, un dispositif ingénieux a été mis en
place : les agents affectés à la nouvelle ligne
y étaient détachés pour une certaine durée et
reprenaient ensuite leur ancienne affectation.
Le but était de répandre le ferment de la ligne
14 dans tout le réseau. Le tout s’appuyait sur
la décision d’automatiser rapidement toutes les
lignes dans la foulée.
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S ur Météor, l’objectif d’enrichir les postes
de travail peine à trouver un contenu.
La direction proposa un accord au Syndicat autonome traction. En
échange de leur sortie de la cabine de pilotage, les conducteurs auraient
le monopole des interventions sur les incidents techniques et seraient
formés, pour nombre d’entre eux, comme agents de maîtrise affectés au
poste central de commandement ou dans les ateliers de maintenance.
Chose rare à la RATP, le syndicat accepta.
Restait à forger un “nouveau service en station“ défini comme “une organisation qualifiante permettant au personnel d’être à la fois disponible et
aimable pour accueillir le public, compétent dans son domaine professionnel
et motivé dans son travail“.
Les agents de quai se sentirent vite en sous-emploi. “Au fur et à mesure,
on était moins utile, sauf pour les poussettes ou le ticket coincé“ témoigne
l’un d’entre eux. Situation d’autant plus inconfortable que les prévenances
des agents semblaient incongrues au public.
Quant aux retours dans l’ancienne affectation, ils n’eurent pas la vertu
pédagogique escomptée. Les “météorites“ se firent traiter de “lèche-bottes“, “mannequins“ et autres “baby-sitters“.
Il résulta de ce couac que le flux de volontaires vers la ligne 14 se tarit,
tandis que ceux qui étaient détachés faisaient des pieds et des mains pour
ne pas réintégrer leur ancien poste.
Le point positif est qu’en effet, les agents détachés étaient très contents.
Ils estimaient que le travail sur la ligne 14 se faisait en confiance, que les
barrières hiérarchiques y étaient plus souples et restaient cois devant la
réprobation de leurs collègues.
Ce bilan pour le moins en demi-teinte a été analysé par la RATP. L’erreur
vient en partie estime-t-elle, du décalage entre la communication interne
et la communication externe. A présenter Météor à l’extérieur comme
“l’ambassade de l’excellence française“ on courait le risque de faire percevoir en interne ses agents comme des privilégiés, voire à leur faire craindre
un démantèlement du réseau et donc du statut, ou même une “vente par
appartements“ à des partenaires privés. n
Le pari de l’automatisation de la ligne 1.
Alors que l’équipement en conduite totalement automatique d’une ligne de
métro existante se révèle, à l’expérience, bien plus difficile que celle d’une ligne
nouvelle, la RATP a cependant décidé d’automatiser la ligne 1 qui relie Vincennes
à La Défense.
Cette décision, prise par le Conseil d’administration du 30 avril 2004 a été
soumise -, décentralisation des transports oblige - au Syndicat des transports
d’Ile de France (STIF) qui l’a approuvée le 10 décembre. Ce feu vert a abouti à
l’accord de la RATP sur les principaux marchés le 30 septembre 2005.
Pour ses promoteurs, le pari vaut d’être tenté. D’abord parce que les leçons de
Météor ont été tirées. Pas de communication externe tonitruante, pas d’agents
détachés. L’opération sera menée avec les agents en place et sans interruption de
l’exploitation.
Ensuite, parce que l’équation économique se présente bien : le matériel roulant
doit de toute façon être renouvelé et le Poste de contrôle commande (PCC), l’un
des plus anciens du réseau, doit être changé.
Enfin, l’“enrichissement des métiers“ a quelque chance de prendre corps sur
cette ligne 1 qui transporte 159 millions de voyageurs, soit 70 % de plus que les
autres, compte 16 des 50 stations à plus fort trafic et assure la correspondance
dans les 5 principaux pôles d’échanges que sont La défense, Etoile, Châtelet, Gare
de Lyon et Nation.
RECHERCHES ET SYNTHESES, rend compte, sous une
forme journalistique, de travaux financés par la Drast
(direction de la recherche et de l’animation scientifique
et technique) du ministère chargé des transports, au
sein du programme national Predit.
Ce programme de recherche et d’innovation dans les
transports terrestres soutient des projets dans le domaine
des transports publics ou privés de voyageurs ou de marchandises, assurant par des modes de transports routiers,
ferroviaires ou fluviaux, des déplacements en milieu
urbain ou interurbain.
Le Predit est organisé autour de groupes à vocation
technologique ou socio-économique, dont les résultats
donnent lieu à des documents de synthèses ou des
expérimentations.
numéros les plus récents
:
26. “ Sécurité routière : des progrès fulgurants
qui masquent des lacunes”
27. “ Des idées pour les marchandises dans les villes
d’Europe”
28. “Efficience des opérateurs de transports : quelques surprises”
29. “Ce qui ne se voit que sur la scène de l’accident”
30. “ Cesser de conduire : un véritable deuil”
31. “Le
péage de Londres :
constats et controverses”
32. “ Pile à combustible, une stratégie de boules de
billard ?”
33. “Accès au centre des villes : le modèle suisse
résiste”
34. “Poste et chemin de fer à la source des grands
groupes européens”
35. “Examen de passage réussi pour Lavia”
36. “La coopération, condition de survie pour les
PME des transports”
37. “Le risque pénal des auteurs indirects d’accidents : loup-garou ou ange gardien ?“
38. “Un second souffle pour les Marchés d’intérêt national”
39. “Habiter Tours, travailler à Paris : une vie sous tension”
Recherches et synthèses
Responsable de publication : André Pény,
responsable de la Mission transports
Rédaction : Madeleine Melquiond
Conception graphique : Gérard Casal
Impression : Alliages-CI
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