Stress opérationnel chez le Sapeur-pompier Identification, facteurs
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Stress opérationnel chez le Sapeur-pompier Identification, facteurs
Stress opérationnel chez le Sapeur-pompier Identification, facteurs, risques et traitements. Docteur Didier PERROT Psychologue N° ADELI 14.93.0668.0 31 place St Anne 14500 VIRE Tél. : 06 62 41 89 12 1. Introduction Nul ne peut présager l’impact de tel ou tel évènement sur un individu (Crocq, 1992). Les recherches appliquées à l’étude et au traitement du stress professionnel contribuent depuis une quinzaine d'années à une prise de conscience de ce « nouveau » facteur de risques auquel un organisme doit faire face. Le stress est aujourd’hui reconnu comme une émotion complexe en mesure d’induire des troubles cognitifs et émotionnels pouvant donner lieu à un comportement inadapté. L’objet de notre étude se situe dans un cadre lui aussi complexe : un SDIS n’est pas un organisme « classique ». Le Sapeur-pompier doit avoir une capacité de traitement, de réaction et d’adaptation à l’urgence vitale H24. Il est donc important de savoir différencier ce type de stress du fait de sa particularité, afin de préconiser des actions de traitements spécifiques. Nous lui donnerons donc le nom de stress opérationnel. Nous pensons qu’il est déterminant d’identifier les facteurs de stress opérationnel chez les Sapeurs-pompiers. Afin de répondre à cet objectif notre étude doit tenter de répondre à 4 questions fondamentales : Quelles sont les causes des situations de stress ? Quels éléments constituent ces facteurs de stress ? 1 Remarquons-nous des effets comportementaux et lesquels ? Enfin est-il possible de prévenir ce type de stress ? 2. Définition, modèles et effets du stress. Le stress est la réponse de l’organisme humain à toute tension continue ou répétée d’ordre mental et (ou) physique. Il s'agit d’une réaction biologique, physiologique et psychologique du corps humain qui mobilise les défenses de l’organisme pour faire face à une agression dans une situation et un contexte particuliers. Hans Selye est le fondateur de la notion de stress ; sa définition est toujours d’actualité : « réponse globale et non spécifique de l'organisme à un agent perturbant». Son modèle décrit trois étapes : 1) une phase d'alarme 2) une phase de résistance 3) une phase d'épuisement. En fonction du temps d’exposition, les facteurs de stress s'enchaînent, en entraînant des modifications hormonales et bio rythmiques permettant à l'organisme de résister pour faire face. Hans Selye a proposé le terme de Syndrome Général d'Adaptation pour décrire cette phase de résistance au changement opérée par l'organisation interne, face aux contraintes chroniques ou durables. Figure 1 : Modélisation du processus de stress adapté par le Dr. Sylvie MAS (2010) 2 Sylvie Mas (2010), propose quant à elle une représentation (figure1) en deux dimensions qui enrichit le modèle originel de Selye. La ligne horizontale qui coupe le schéma représente la ligne de récupération homéostatique (stabilité). La limite de ce modèle est la non représentation de la flèche du temps. Les différentes phases du stress et ses complications dépressives sont évaluées qualitativement et selon Sylvie Mas le processus de stress et de dépression ne s'arrête pas à la phase d'épuisement et n'y conduit pas aussi directement que le laissait supposer Hans Selye. A l'issue de la phase de résistance survient une période de tristesse adaptative dont chacun de nous a pu faire l'expérience dans sa vie ; c'est un état de gris quotidien émaillé d'un certain nombre de troubles physiques (troubles du sommeil, douleurs, inconfort digestif, troubles menstruels chez les femmes), mais aussi des troubles cognitifs (troubles de la concentration, difficultés décisionnelles). Vers un modèle bio-psycho-social de l'humanité Le modèle bio-psycho-social repose sur des idées de médecine psychosomatique, (Engel, 1977), et de thérapie comportementale (Schwarz, 1980). Eagle & Hoffmann (1993) ont appuyé ce modèle (figure2) sur l’interaction de trois conditions en perpétuelle interférence : le biologique organique, le psychique et le social avec des modifications de facteurs donnant naissance à des perturbations psycho-comportementales. 3 Figure 2 : Le modèle biologique-psycho-social de l'humanité (modifié d'après Eagle & Hoffmann, 1993) L'homme fait partie d'un système global dont la structure est fortement hiérarchique. Les systèmes sont les uns sur les autres avec une augmentation de complexité. Chaque niveau de ces systèmes peut être analysé et expliqué indépendamment. La communication au niveau physiologique des organes et systèmes d'organes est basée sur des méthodes biochimiques et électro-physiologiques. Des niveaux supérieurs plus complexes communiquent beaucoup avec les sens audiovisuel et comportemental. D'après Jungnitsch (1999) la perturbation psychique est le résultat de multiples interactions entre les différents facteurs et les différents niveaux de ce modèle. L'influence des facteurs biologiques, psychiques et sociaux sont (en principe) de même valeur. La limite de ce modèle est son abstraction. Le stress est donc un processus d'interaction entre le sujet et son environnement, qui mobilise des ressources psychique et physique chez chaque individu. Il est perçu d’une manière différente par les sujets en fonction de son intensité. Les effets, à postériori, peuvent se traduire à des degrés allant du coup de fatigue à la mort. Cependant, il faut distinguer les effets du stress aigu, qui est généralement ponctuel et a un fort impact mais non cumulatif, de ceux du stress léger mais répétitif dont les effets peuvent être néfastes puisqu’accumulés. Le stress, par conséquent, provoque un effet psycho-comportemental de deux types : Une réaction de stress adapté, qui est la réponse du corps permettant un comportement humain adapté : augmentation des facultés intellectuelles (comme la vigilance) pour une mobilisation des capacités cognitives dans le cadre de prises de décisions. Cette réaction favorise les comportements adaptés. 4 Une réaction de stress dépassé, qui se manifeste lorsque le sujet est dépassé par l'événement et les réponses de son organisme. Les effets de la décharge émotionnelle impactent les facultés cognitives en faisant apparaître des troubles qui ne permettent pas un comportement adapté dans la situation stressante. La portée du stress dépend du seuil de résistance d'un sujet. Le niveau de résistance dépend essentiellement de l'interprétation subjective de la source de stress par le sujet, de son propre environnement en relation avec son histoire personnelle et sociale. La perception et l’adaptation au stress sont une facette de la personnalité où le rôle de l'apprentissage est significatif. Effets du stress professionnel chez les Sapeurs-pompiers : mythe ou réalité ? La Direction de la Sécurité Civile a décidé de mettre en œuvre une étude épidémiologique de mortalité des Sapeurs-pompiers professionnels (étude pilote 2009-2010, généralisation depuis 2011). L’objectif est de disposer d’un outil d’aide à la décision indispensable à l’élaboration d’une politique de prévention pérenne et utile pour tous les Sapeurspompiers. Même si l’objectif de cette étude est d’analyser les causes et l’âge de décès des Sapeurs-pompiers professionnels, il est à noter qu’en plus de risques immédiats, les sapeurs-pompiers sont exposés à d’autres risques pouvant avoir une influence sur leur santé à long terme. Une des cibles de cette étude est le stress lié aux interventions, un stress professionnel qui est une interaction complexe entre un ou plusieurs facteurs liés au(x) rôle(s) d’un Sapeur-pompier. Un rapport psychosociologique du SDIS 59, fait apparaître les conclusions suivantes : « Les Sapeurs-Pompiers sont soumis à un stress professionnel (ou organisationnel) bien spécifique. Cette spécificité est en grande partie due à des contraintes d’urgence et de nécessité de performance. A cela s’ajoutent des sources de stress liées à : - la nature diversifiée des interventions, risques chimiques, environnements difficiles 5 - l’atteinte potentielle de l’intégrité physique - la confrontation à la souffrance, à la mort... Les conséquences possibles du stress du Sapeur-pompier sont nombreuses et parfois graves. La nécessité d’une préparation des individus déborde largement l’entraînement technique et physique habituels. Une information rigoureuse et organisée est nécessaire, même si elle ne s’était pas jusqu’alors imposée, bien souvent pour des raisons tenant aux caractéristiques sociales et/ou culturelles de ce corps de métier. Des études ont démontré combien les conséquences économiques et humaines sont notables. » Nous préférons le terme de stress opérationnel (Stress OPS) qui est plus approprié car il reflète une réalité précise et spécifique aux Sapeurs-pompiers. A notre connaissance, ce risque est difficilement « prédictible » d’où la notion de « prévisibilité psycho-cognitive et comportementale dans le cadre opérationnel ». 3. Matériel et méthodes Notre étude s’est déroulée en novembre et décembre 2011, dans des centres opérationnels du SDIS 14 : le centre de traitement des alertes, le centre principal de secours d’Ifs et celui de Caen Canada en qualité de 4ème équipier de VSAV1 et dans un exercice départemental GOC. Nous limiterons nos résultats aux gardes en VSAV1. Population Nous avons étudié un échantillon aléatoire de 50 Sapeurs-pompiers (de Sapeur à Lieutenant Colonel) âgés de 20 à 55 ans dont 90 % étaient des professionnels de sexe masculin. Type d’étude Nous avons utilisé une méthode psycho-analytique qualitative, basée sur des entretiens semi-directifs recueillis lors d’observations participantes dans le cadre de gardes opérationnelles, principalement de 20H à 8H 6 Deux problèmes, l’un méthodologique et l’autre dû au profil psychologique des Sapeurs pompier peuvent expliquer la difficulté de ce type de recherche. Sandrine Ponnelle, psychologue du travail (Maitre de conférences et SPV expert en psychologie), en s’intéressant au phénomène du stress chez les sapeurs pompiers, a expliqué cette difficulté : « Le monde des Sapeurs pompiers n’est pas un milieu facile à étudier du point de vue psychologique. Les hommes n’ont pour la plupart jamais eu affaire à un psychologue […], le stress et ses symptômes sont plutôt un sujet tabou, car tout dysfonctionnement ou toute souffrance sont associés immanquablement à la notion de défaillance et dans ce métier, ils n’ont pas le droit d’être défaillants. » Hypothèses Nous pensons que plusieurs facteurs de stress opérationnel sont commun à 80 % des sapeurs pompiers tous grades confondus. Nous pensons que ces facteurs de stress amorcent des représentations mentales dont la charge émotionnelle est non consciente chez les sujets. Nous pensons que ces facteurs de stress peuvent avoir un impact significatif dans la prise de risque lors d’un cycle de travail en équipe. 4. Résultats Nous avons observé chez les sujets la présence de stress opérationnel durant toute notre période de garde donc dans les trois phases : phase pré-opérationnelle (Pré-OPS) phase opérationnelle (OPS) 7 phase post-opérationnelle (Post-OPS) Pour chaque phase, nous avons observé des différences de perceptions interindividuelles, notamment dans l’intensité du stress OPS. Notre modèle (figure3) nous montre des intersections de champs qui confirmeraient notre observation d’une boucle de stress inconsciente c'est-à-dire d’un stress évolutif présent dans les 3 phases et d’intensité variable selon le sujet. Pré-OPS Post-OPS OPS Figure 3 : Modélisation des champs de la boucle de stress OPS par le Dr. Didier PERROT (2012). Observations comportementales en phase pré-opérationnelle (Pré-OPS) 8 Nous avons observé qu’une majorité de sujets présente, d’une manière différentielle, des signes d’anxiété. Nous avons remarqué quelques cas de comportement évitant. Nos entretiens réalisés durant cette période montrent que de nombreux sujets sont semi-conscients de cette « peur de l’inconnu » et par conséquent ont de la difficulté dans l’anticipation d’une potentielle intervention, de sa dangerosité et de sa gravité Observations comportementales en phase opérationnelle (OPS) Nous avons observé qu’à partir de l’instant où le sujet est « bipé » l’intensité anxieuse augmente d’une manière significative, y compris pendant le trajet et ce pour une majorité de sujets. Nous avons observé quelques cas de frustration lors de l’arrivée sur l’intervention, typiquement lors d’une évaluation entre la mission de Sapeurpompier et la réalité (perception intra-subjective du sujet) de l’intervention. Observations comportementales en phase post-opérationnelle (Post-OPS) Nous avons observé durant le trajet du retour quelques signes de frustration exprimée par une légère tristesse ou de l’ironie, également issus d’une évaluation entre la mission de Sapeur-pompier et la réalité de l’intervention. Nous avons également constaté, lors de garde, les effets de la privation de sommeil et la difficulté à retrouver le sommeil après 5h du matin. Vérification de nos hypothèses Nous confirmons la présence de trois facteurs de stress opérationnel commun à 80 % des Sapeurs- pompiers qui composent notre échantillon, tous grades confondus (hypothèse 1). Nous confirmons que ces facteurs de stress amorcent des représentations mentales dont la charge émotionnelle est non consciente chez les sujets (hypothèse 2). Il ne nous a pas été permis dans le cadre de garde en VSAV de confirmer que ces facteurs de stress peuvent avoir un impact significatif dans la prise de risque lors d’un cycle de travail en équipe (hypothèse 3) ; l’absence d’observation durant la période ne remet nullement en cause la légitimité de l’hypothèse. 9 Nous détaillons les composantes des trois facteurs avec des items illustratifs : « Que va-t-il se passer ? Vais-je réussir à m’adapter ? ». Nous nommerons ce facteur : Projection mentale. « Vais-je arriver suffisamment rapidement avec la bonne adresse ? Je dois m’adapter à l’intervention ! ». Nous nommerons ce deuxième facteur : Adaptation. « Ai-je été performant ? Suis-je un bon Sapeur-pompier ? ». Nous nommerons ce troisième facteur : Valeur intra. 5. Discussion Nous pouvons dire, qu’en effet, le métier de Sapeur-pompier génère un stress professionnel (ou organisationnel) spécifique, alors que nous n’avons étudié qu’un type d’intervention, celui de secours à personne. La perception des effets des différents facteurs par les Sapeurs-pompiers n’est pas uniforme ; il y a bien des différences interindividuelles auxquelles s’ajoutent d’éventuels problèmes personnels et familiaux qui peuvent venir parasiter les pensées ou le raisonnement des individus dans les différentes phases de leur garde. Du facteur de Projection mentale Nous avons pu constater que l’exposition à des évènements traumatiques (donc la confrontation à un événement déjà vécu auparavant) est redoutée par le Sapeur-pompier. Lors de nos entretiens, nous avons appris que plus de 80% des sujets interrogés ont été confrontés à la mort plusieurs fois depuis le début de leur carrière. Du facteur d’Adaptation Sur le plan comportemental, le Sapeur-pompier est tributaire du « temps », devant agir le plus rapidement possible depuis le déclenchement de l’alerte jusqu’à la fin de la mission. Nous pensons (comme le SDIS 59) que cette contrainte 10 temporelle est l’un des facteurs de stress le plus puissant pour les Sapeurspompiers. De plus nous avons observé durant le trajet (en phase de projection mentale) que certains sujets peuvent revivre un événement, ressentir à nouveau les mêmes émotions, éventuellement accompagnées d’images « souvenir » anxiogènes. Le Sapeur-pompier doit agir en appliquant des automatismes comportementaux, des procédures qui font appel aux facultés cognitives, sans oublier d’être à la hauteur pour ne pas représenter un danger pour ses collègues ; il doit également gérer parfaitement ses émotions. Du facteur de Valeur intra. Ce facteur est le plus complexe. Il est, selon nous, lié au type de personnalité qui reste à définir précisément. L’idéal est pour nous d’avoir plus de pertinence dans la gestion de formations adaptées à ce type de profil, et ce à des fins de prévision des risques humains. Cependant, notre expérience n’est pas sans nous rappeler qu’il faut prendre en considération les sous facteurs fortement corrélés avec ce type de la personnalité. la peur, notamment au travers du stress post traumatique. l’ennui, principalement « gratifiante » dû au manque d’activité opérationnelle plus (comme le feu, le secours routier) la frustration, 80% des sujets interrogés l’ont exprimée d’une manière plus ou moins explicite. les soucis qui peuvent être dus à l’organisation ou à des problèmes psychosociaux la perturbation des repères habituels, notamment les « nouvelles missions des Sapeurs pompiers » où le manque de formation se fait sentir. Ces facteurs cognitivo-émotionnels peuvent être polarisés en présentant un comportement en opération inadapté. 11 6. Conclusion Des efforts de conceptualisation en victimologie appliquée aux professionnels de l’urgence, ont été initiés chez les Sapeurs-pompiers devant l’exposition répétée de certains professionnels à des évènements violents sur le plan émotionnel. La reconnaissance de troubles psychologiques consécutifs est aujourd’hui acquise auprès de la communauté scientifique et des professionnels de la santé mentale. Mais le sort des intervenants n’est réellement pris en compte que depuis moins de 10 ans par les pouvoirs publics et les institutions, du fait d’une illusion collective tenace, celle de l’invulnérabilité des intervenants de première ligne. Une des techniques de prévention pratiquée par le Sapeur-pompier consiste au développement de ce que l’on appelle techniquement le « coping ». Le coping est un ensemble de " savoir-faire " qui est activé par le sujet comme une stratégie de défense face au stress. Par contre, l’application de ce procédé devient préjudiciable en retour d’intervention puisqu’il va tendre à masquer des souffrances individuelles parfois majeures. Pourtant nous avons identifié des sujets présentant des syndromes de stress post-traumatique. Pour eux, un traitement particulier est envisageable. Cette aide sous forme de stage d’oxygénation spécifique aurait pour objectif de renforcer une perception favorable du sujet, assimilable à du soutien psychologique post-opérationnel. Lors de ce stage, l’expression du vécu émotionnel des intervenants est à considérer avec tout le sérieux qu’il mérite, que l’on parle de manifestations visibles (réactions aigües de «stress» ou de traumatisme psychologique, autrement nommées « blessures psychiques »), ou que l’on parle de conduites défensives plus subtiles comme le fameux « blindage » qui n’est autre qu’une fuite dans la technique aux dépends des capacités empathiques du professionnel qui assurera le suivi psychologique. Il ne faut pas oublier que, Louis Crocq, psychiatre des armées affirme qu‘« il est rare que le sujet parvienne tout seul, ou dans les dialogues superficiels avec ses proches, à dépasser le stade d’abréaction pour accéder à celui de la catharsis ». 12 Des études supplémentaires, notamment sur la personnalité des Sapeurspompiers sont nécessaires pour ajuster au mieux formation et suivi psychologique. 13