Octogénaires et dialyse - Société de Néphrologie
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Octogénaires et dialyse - Société de Néphrologie
OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE par D. JOLY, D. ANGLICHEAU, B. GUÉRY et P. JUNGERS* Toutes les données démographiques récentes soulignent le vieillissement de la population au sein des pays industrialisés [1]. Cette évolution est liée à la baisse de la fécondité et à l’augmentation constante de l’espérance de vie ; alors que celleci était de 50 ans à la naissance au début du XXe siècle, elle est à présent supérieure à 80 ans (82 ans chez la femme, 74 ans chez l’homme). Parallèlement, le nombre de patients âgés traités pour insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) augmente régulièrement dans l’ensemble des pays industrialisés. Les données du registre américain USRDS indiquent que depuis le début des années 1990, l’incidence de l’IRCT est stable chez les plus jeunes, alors qu’elle augmente de façon importante chez les plus âgés [2]. Dans le groupe des sujets de plus de 75 ans, l’incidence de l’IRCT a progressé d’un facteur 2,4 aux États-Unis au cours des dix dernières années [3, 4]. En 1991, une enquête nationale révelait que les plus de 80 ans représentaient 5,5 p. 100 de l’ensemble des dialysés en France [5]. Depuis, plusieurs données régionales ont été publiées : dans la région RhôneAlpes, alors que l’augmentation du taux de prévalence de l’IRCT entre 1993 et 1999 était de + 5 p. 100 par an globalement, elle était de + 13,7 p. 100 pour les patients âgés de 75 à 84 ans et de + 11,4 p. 100 pour les patients âgés de 85 ans et plus [6] ; en Île de France, une enquête effectuée en 1998 a permis d’estimer l’incidence annuelle des nouveaux cas d’IRCT à 100 par million d’habitants tous âges confondus, et à 259 par million d’habitants de plus de 75 ans ; les octogénaires représentaient 7,2 p. 100 des dialysés hommes et 12,1 p. 100 des dialysées femmes [7] . Dans une récente étude incluant 7 123 hémodialysés français (soit environ un tiers de l’ensemble des hémodialysés de notre pays), 16,5 p. 100 des patients avaient plus de 75 ans [8]. Au cours des 20 dernières années, l’accès des sujets très âgés à l’épuration extrarénale chronique a soulevé de nombreuses interrogations d’ordre médical, éthique, et socio-économique. Beaucoup de non-spécialistes et quelques néphrologues * Service de Néphrologie, Hôpital Necker, Paris. FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES — ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2005 (www.medecine.flammarion.com) 274 D. JOLY ET COLL. étaient réticents à débuter un traitement lourd et coûteux chez les patients âgés de plus de 80 ans du fait de leur forte comordidité et d’une espérance de vie réputée faible. Les études spécifiquement dédiées aux octogénaires en IRCT sont encore rares, et de nombreuses incertitudes subsistent. Malgré tout, les résultats globaux sont encourageants et nous commençons à entrevoir, outre les particularités épidémiologiques et cliniques de cette population, les éléments du pronostic vital et fonctionnel qui déterminent les choix médicaux. OCTOGÉNAIRES EN INSUFFISANCE RÉNALE PRÉ-TERMINALE Les patients très âgés atteignant le stade terminal de l’IRC ont un profil de comorbidité et de prise en charge néphrologique particuliers, suggérant qu’il pourrait s’agir d’une population sélectionnée. Leur comorbidité vasculaire est forte, favorisée par l’âge, les facteurs de risque vasculaire classiques, et l’athéromatose accélérée lièe à l’insuffisance rénale chronique. Sur 146 octogénaires atteignant le stade termial de l’IRC examinés à Necker entre 1989 et 2000, 44 p. 100 avaient une cardiopathie ischémique, 43 p. 100 une insuffisance cardiaque, 25 p. 100 un trouble du rythme cardiaque, 21 p. 100 une artérite périphérique, 19 p. 100 un antécédent d’accident cérébral. En revanche, la prévalence du diabète était assez faible (9 p. 100 des patients seulement), ainsi que celle des troubles cognitifs sévères (6,5 p. 100 des patients, versus 14 p. 100 dans la population générale du même âge) [9]. D’autres équipes ont signalé une prévalence réduite de certaines comorbidités chez les octogénaires débutant la dialyse : seulement 8,4 p. 100 de troubles cognitifs sévères aux États-Unis (données de l’USRDS 2001), et une réduction nette de la prévalence du diabète (– 56 p. 100), de l’insuffisance respiratoire (– 25 p. 100), du tabagisme (– 66 p. 100), de l’artérite (– 21 p. 100) dans le registre australien et néo-zélandais, comparativement à des patients moins âgés (65-79 ans) [10]. Ces profils de comorbidité particuliers peuvent s’expliquer de plusieurs façons : a) un manque d’acuité diagnostique, en particulier à l’égard des troubles cognitifs, régulièrement méconnus ou sous-estimés ; b) un désavantage de survie lié à certaines comorbidités, telles que le diabète ; c) une sélection des patients en amont de la consultation de néphrologie. Il est probable en effet que de nombreux octogénaires atteignent le stade terminal de l’IRC et décèdent sans avoir bénéficié d’une prise en charge néphrologique. Aucune donnée épidémiologique fiable ne nous permet de mesurer l’ampleur de ce phénomène. Deux enquêtes, effectuées auprès de médecins généralistes britanniques [11] et canadiens [12] ont montré que les patients étaient d’autant moins volontiers adressés au néphrologue que leur âge était avancé et/ou leur comorbidité forte. Dans leurs trois dernières années d’exercice, 13 à 19 p. 100 des généralistes et 44 p. 100 des internistes nord américains interrogés avaient décidé de ne pas solliciter un néphrologue devant une IRC terminale [12, 13]. Selon les enquêtes et les pays, 12 à 63 p. 100 des généralistes pensent que l’on peut être « trop âgé pour la dialyse » [12, 13]. La courte espérance de vie et la lourdeur des soins en dialyse sont régulièrement évoqués. Lorsqu’elle a lieu, la prise en charge néphrologique des octogénaires est-elle trop tardive ? La proportion d’octogénaires en IRCT vus tardivement par le néphrologue OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE 275 (moins de 4 mois avant le début de la dialyse) est élevée dans notre expérience (34 p. 100 des patients). L’influence de l’âge sur la prise en charge néphrologique tardive n’est cependant pas clairement établie [14], et l’on ignore en particulier si le grand âge est un facteur de risque indépendant de prise en charge spécialisée tardive. On ne sait pas non plus si le grand âge est associé une moins bonne prise en charge spécialisée diagnostique ou thérapeutique de l’IRC avancée. On peut simplement remarquer que le diagnostic de la néphropathie causale – largement dominé par deux items, les néphropathies vasculaires (59 p. 100) et les néphropathies interstitielles/obstructives (17 p. 100) – était dans notre série presque toujours présomptif, sans recours à la biopsie rénale. DIALYSE OU TRAITEMENT CONSERVATEUR ? Dans l’étude de Pollini et al. publiée en 1990 [15], 1,5 p. 100 des 185 néphrologues interrogés se disaient prêts à récuser les patients de 80 à 85 ans, ce pourcentage augmentant à 11 p. 100 pour les patients âgés de 85 à 90 ans et à 26 p. 100 au-delà de 90 ans. Les intentions sont-elles les mêmes 15 ans plus tard ? A priori, la majorité des experts s’accordent à dire que l’âge ne peut pas constituer à lui seul un critère éthiquement acceptable d’accès à la dialyse. En France, dès 1996, le rapport de l’agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) ne mentionnait pas l’âge et soulignait qu’en dehors de certaines affections très évoluées avec cachexie majeure ou de certaines démences, il était difficile de retenir des situations de véritable contre-indication et de refuser le bénéfice de l’EER sans un avis néphrologique. Les meilleurs experts indiquent que l’existence d’une démence, d’une dénutrition massive, d’une néoplasie évolutive ou d’une perte d’autonomie peuvent inciter à ne pas débuter l’épuration extrarénale [16]. Plusieurs enquêtes d’intention ont révélé que les troubles cognitifs étaient au premier rang des éléments amenant à discuter l’abstention des dialyses [15, 17], devant la perte d’autonomie physique et la lourdeur de la comorbidité. Ces caractéristiques cliniques, unanimement citées par les experts et par les néphrologues lors d’enquêtes d’intention, jouent-elles un rôle dans les propositions médicales faites aux octogénaires arrivant au stade terminal de l’IRC ? Au sein de la cohorte de Necker, de façon inattentue, la démence avérée était statistiquement aussi fréquente dans le groupe «proposition de traitement conservateur » et dans le groupe « proposition de dialyse » (8,2 p. 100 vs 5,6 p. 100, p = 0,6), de même qu’il n’y avait pas de différences entre les deux groupes en termes d’état nutritionnel, de score de Karnofsky, de score de comorbidité, ou de proportion de néoplasies évolutives. En revanche, deux caractéristiques cliniques étaient fortement associées au choix par l’équipe médicale d’un traitement conservateur : l’isolement social (43 p. 100 vs 14 p. 100, p = 0,003) et la prise en charge néphrologique tardive (< 4 mois ; 51 p. 100 vs 29 p. 100, p = 0,01). Ces résultats suggèrent qu’au-delà du poids de la polypathologie et des infirmités, la qualité de l’entourage est déterminante pour la décision de mise en dialyse d’un vieillard. Les 6 patients (sur 101) ayant débuté la dialyse malgré une démence avérée avaient un entourage familial et étaient suivis de longue date dans le service. 276 D. JOLY ET COLL. Une étude rétrospective japonaise a récemment rapporté qu’au sein d’une cohorte de 152 patients relativement âgés (76 ± 7 ans) atteignant l’IRC terminale, les deux principaux facteurs prédictifs du choix du traitement conservateur (n = 31 patients /152) étaient l’âge > 80 ans et l’existence de troubles cognitifs, tandis que l’isolement social, la dénutrition et le dépendance physique jouaient un rôle moindre [18]. TRAITEMENT CONSERVATEUR : CHOIX, MODALITÉS ET RÉSULTATS L’instauration d’un traitement purement conservateur de l’IRC terminale peut résulter d’une décision médicale ou d’un refus du patient. Dans notre expérience, 43 octogénaires en IRC terminale (29,8 p. 100 des 144 patients de notre cohorte) ont bénéficié d’un traitement conservateur. La décision de ne pas débuter la dialyse a parfois été prise unilatéralement par le patient (6 patients/43, 14 p. 100), malgré une information objective et renouvelée. Dans la majorité des cas, la décision a été prise par l’équipe médicale (37/43 cas, 86 p. 100), exposée au patient et/ou à sa famille, et acceptée. Le traitement conservateur proposé était une prise en charge symptomatique de l’IRC terminale, visant à traiter au mieux l’anémie, la surcharge hydrosodée, les troubles hydro-électrolytiques, la dénutrition, la douleur. Une surveillance mensuelle en hôpital de jour a été organisée dans la majorité des cas, et a permis de prendre en charge parallèlement les problèmes psychosociaux. La survie médiane fut de 8,9 mois (IC 95 p. 100, 4 à 10) dans ce groupe. La proportion relativement importante de décès précoces par urémie (34,2 p. 100) ou par œdème pulmonaire (23,7 p. 100) suggère que la survie aurait pu être significativement prolongée par la dialyse. À l’inverse, les survies relativement prolongées ont été observées (29 p. 100 des patients à 12 mois et 15 p. 100 à 24 mois). Dans ce groupe, les survivants au long cours étaient essentiellement des femmes ayant une fonction rénale très altérée d’après la formule de Gault-Cockcroft, mais remarquablement stable au cours du temps. DIALYSE : MODALITÉS ET RÉSULTATS Choix du mode de traitement Chez les octogénaires, l’hémodialyse se fait habituellement dans un centre lourd, tandis que la dialyse péritonéale peut être intégralement déployée à domicile. Le choix entre les deux techniques est souvent fonction des possibilités, des compétences locales, et des choix du patient. En cas de prise en charge tardive, l’hémodialyse est initialement le seule option possible. Aucune des deux méthodes de dialyse n’a démontré sa supériorité en terme de survie chez les octogénaires, et les études publiées sur des populations d’octogénaires traités par dialyse péritonéale ou par hémodialyse rapportent des survies à 1 an relativemement proches, allant OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE 277 de 68 à 80 p. 100. Deux études (dont une incluant plus de 400 000 dialysés) suggèrent cependant que la survie des patients âgés de plus de 65 ou 67 ans pourrait être meilleure en hémodialyse, en particulier en cas de diabète et de comorbidité associée [19, 20]. Concernant la satisfaction des patients et la qualité de vie, les enquêtes comparant dialyse péritonéale et hémodialyse souffrent de nombreux biais, et il n’y a pas d’informations concernant spécifiquement les sujets très âgés. L’une des deux techniques est-elle plus appropriée chez les sujets très âgés atteints de troubles cognitifs ? La question reste posée, même si plusieurs études ont montré que l’hémodialyse est associée à d’importantes fluctuations des performances psychométriques (notamment mnésiques) au cours et au décours de la séance de dialyse, alors que ces mêmes paramètres sont remarquablement stables en cas de dialyse péritonéale [21]. Globalement, l’hémodialyse est la technique de dialyse la plus utilisée chez les octogénaires, mais la dialyse péritonéale est proportionnellement plus développée dans ce groupe d’âge. En 1991, la DP représentait en France 20 p. 100 du mode de prise en charge dialytique chez les sujets de plus de 80 ans [5]. Durée de survie Dans une série française du début des années 1990, la mortalité précoce (lors des 90 premiers jours de dialyse) était de 15 p. 100 dans la tranche d’âge 65-75 ans, 20 p. 100 entre 79 et 84 ans et 30 p. 100 chez les patients de plus de 84 ans [22]. Les registres américains retiennent les chiffres de 18 p. 100 de mortalité avant le 90e jour pour les malades de 75 à 85 ans et 25 p. 100 pour les malades de plus de 85 ans. Dans notre expérience, la mortalité initiale des octogénaires en dialyse était forte, de l’ordre de 20 p. 100 à 3 mois. Chez les octogénaires ayant débuté un programme de dialyse chronique, la survie médiane était de 28,9 mois (IC 95 p. 100 : 24-38), c’est-à-dire comparable aux résultats rapportés dans plusieurs séries de patients âgés de plus de 75 ou 80 ans en hémodialyse [23-26] ou en dialyse péritonéale [27-29]. Globalement, l’espérance de vie des octogénaires dialysés rapportée dans notre étude représente un quart à un tiers de l’espérance de vie de la population générale dans cette tranche d’âge [27-29]. Ces résultats sont nettement plus encourageants que ceux publiés par d’autres auteurs [2, 30-32]. Les différences entre études optimistes et études pessimistes peuvent tenir à un « effet centre » sur la sélection des patients, puis sur la survie en dialyse [33] ; il faut aussi tenir compte du fait que les populations anglo-saxonnes et sud-européennes ne sont probablement pas comparables en termes de mortalité cardiovasculaire, y compris chez les octogénaires. Facteurs prédictifs de survie Selon les recommandations établies conjointement par deux sociétés nordaméricaines de néphrologie (RPA/ASN), les patients atteignant le stade pré-terminal de l’IRC (et/ou leur famille) devraient recevoir des informations détaillées sur leur pronostic vital avant de discuter de l’opportunité de débuter la dialyse et de prendre un décision « partagée » avec le médecin [34]. Malheureusement, les deux principaux protocoles de catégorisation du risque vital chez les dialysés n’ont pas été conçus pour répondre au problème spécifique des octogénaires [30, 35, 36]. 278 D. JOLY ET COLL. L’utilisation des célèbres critères de Khan par exemple, mènerait à l’inclusion de tous les octogénaires dans le groupe à haut risque, avec une survie prévisible de seulement 35 p. 100 à 2 ans [35]. Dans notre cohorte d’octogénaires dialysés, nous avons observé que le l’impact pronostique négatif de l’âge croissant (+ 13 p. 100 de mortalité à 1 an par année d’âge supplémentaire après 80 ans) n’avait qu’un poids modeste comparativement aux autres facteurs de risque identifiés en analyse univariée, ainsi que dans différents modèles multivariables. Nous avons par ailleurs observé que les facteurs de risque utilisés pour stratifier les courbes de survie en analyse univariée n’étaient pas proprotionnels au cours du temps, suggérant que les éléments qui influencent la survie précoce et la survie tardive ne sont pas les mêmes dans cette population. Nous avons donc effectué une analyse de Cox spécifique afin d’identifier les facteurs prédictifs de la survie avant et après la première année de dialyse. Notre modèle multivariable s’est finalement réduit à 4 prédicteurs indépendants de survie dans cette population. Le statut nutritionnel préservé était un élément protecteur au cours de la première année de dialyse, avec un hazard ratio de 0,83, suggérant une réduction du risque de décès de 17 p. 100 par point d’index de masse corporelle supplémentaire ; durant le première année, la mortalité était augmentée de 128 p. 100 en cas de prise en charge néphrologique tardive (< 4 mois), et de 134 p. 100 en cas de dépendance fonctionnelle (score de Karnovsky ≤ 40). Au-delà de la première année de dialyse, l’artérite des membres inférieurs était le principal élément prédictif des décès (HR = 5,67) [9]. Nous avons utilisé ces résultats pour construire une équation prédictive du taux de survie à 1 an des octogénaires en dialyse ; cette équation permet de définir à partir de trois covariables (index de masse corporelle, ancienneté de la prise en charge néphrologique, score de Karnosfsky) huit groupes de risque, allant d’un haut risque (83 p. 100) à un faible risque (15 p. 100) de décès à 1 an. Les informations pronostiques sont utilisables pour aider le patient, son entourage et le médecin à prendre une décision « partagée » quant à la dialyse. Mais au-delà de la prolongation de la vie, la majorité des patients très âgés, ainsi que leurs proches souhaitent prendre en compte la qualité de vie prévisible en dialyse. Qualité de vie Plusieurs études rétrospectives ont grossièrement évalué la qualité de vie en utilisant des marqueurs indirects tels que le nombre de séjours hospitaliers, les durées d’hospitalisation, ou le score fonctionnel de Karnofsky ; sans surprise, les résultats sont moins bons que ceux observés dans la population générale. Or, Kimmel et al. ont montré que chez les hémodialysés certains paramètres de qualité de vie (comme la satisfaction de vie) n’étaient pas corrélés au score fonctionnel de Karnofsky [37], confirmant qu’aucun marqueur indirect simple ne peut rendre compte du vécu du traitement. Lorsque des indices de satisfaction de vie sont utilisés, la perception de la dialyse par les sujets âgés est positive. Plus de deux tiers d’entre eux ont un indice de satisfaction élevé et estiment leur état de santé amélioré par rapport à ce qu’il était avant l’instauration de l’épuration extrarénale [38]. Au sein d’une vaste cohorte de dialysés de plus de 70 ans, Lamping et al. ont rapporté que la perception de la qualité de vie « physique » restait inférieure à celle de la population générale de même âge ; en revanche, le score de qualité de vie « mentale » était comparable chez les dialysés et chez les sujets contrôles, que ce soit à court terme (3 mois) ou après plusieurs années [39]. Steuer montrait en 1997 que OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE 279 80 p. 100 des patients hémodialysés de plus de 80 ans recommanderaient la dialyse à des malades de leur âge alors que seulement 12,5 p. 100 leur recommanderaient de refuser ce traitement [40]. Troubles cognitifs La dialyse, si elle est décidée, peut-elle faire régresser les troubles cognitifs d’un octogénaire ? Une discussion approfondie avec l’entourage du patient est indispensable, car en retraçant l’évolution récente des troubles physiques et psychiques, on peu parfois mieux faire la part entre encéphalopathie urémique et troubles cognitifs dégénératifs irréversibles. Mais cette distinction est délicate, et beaucoup d’équipes proposent en pratique de débuter les dialyses à titre d’essai, pour une période de 1 à 3 mois : outre une épuration extrarénale de bonne qualité, l’équipe soignante essaie de corriger aussi complètement que possible les anomalies biologiques et somatiques, et propose une prise en charge de l’ensemble des handicaps du patient. Malheureusement, cette pratique n’a jamais été ni formalisée ni évaluée, de sorte qu’au début de la dialyse, établir le pronostic des troubles cognitifs reste souvent hasardeux. Enfin, chez un patient dialysé initialement indemne de tout trouble cognitif, l’apparition et la progression d’une démence est un événement fréquent, et parfois précoce. D’après les données de l’USRDS 2003, l’incidence des troubles cognitifs sévères en dialyse est de 6,4 p. 100 au cours de la première année, et de 6,5 p. 100 au cours de la 2e année de dialyse ; pour la population des octogénaires, les chiffres sont de 9,1 p. 100 et de 9,2 p. 100 respectivement. Les facteurs de risque d’apparition d’une démence au cours des 2 premières années de dialyse sont l’âge > à 80 ans (+ 145 p. 100), le sexe féminin (+ 12 p. 100), la race (noirs + 36 p. 100, asiatiques – 21 p. 100), et la comorbitidé somatique (selon les organes atteints, + 9 à + 54 p. 100). Arrêt des dialyses L’arrêt des dialyses est, au sein d’une population de dialysés adultes – tous âges confondus, – une cause majeure de décès : avec 22 p. 100 des décès, la deuxième cause derrière les accidents vasculaires dans deux études nordaméricaines [41, 42], et avec 20,5 p. 100 des décès, la première cause au sein d’une vaste cohorte française [43]. Nelson et al. ont rapporté que le risque relatif d’arrêt de dialyse était de 7,9 pour les patients de plus de 80 ans par rapport à ceux de 20 à 35 ans [44] ; dans l’étude de Port, l’arrêt des dialyses était 17 fois plus fréquent dans la tranche d’âge supérieure à 75 ans que chez les malades âgés de 18 à 50 ans [42], mais a contrario, l’étude de Birmelé et al. montrait que les décès par arrêt des dialyses n’étaient pas l’apanage d’un groupe de patients plus âgés. Au sein de la cohorte d’octogénaires de l’hôpital Necker, les arrêts de dialyse ne représentaient que la troisième cause de décès (16,5 p. 100), derrière les accidents vasculaires (33 p. 100) et les cancers (20 p. 100). Dans notre expérience, les décès par arrêt des dialyses sont principalement survenus chez des patients atteints de troubles cognitifs et/ou d’une perte d’autonomie physique importante, et la discussion d’un arrêt du traitement a presque toujours été initiée par l’équipe médicale, à l’occasion d’une complication somatique intercurrente. L’interruption des dialyses par décision unilatérale d’un patient 280 D. JOLY ET COLL. « compétent », en l’absence de complication somatique récente, est une forme de suicide ; ce cas de figure était assez fréquent (39 p. 100) dans l’étude de Neu [41], mais reste exceptionnel dans notre expérience, y compris chez les octogénaires. INSUFFISANCE RÉNALE TERMINALE DES OCTOGÉNAIRES : UN DÉFI ÉCONOMIQUE ET MÉDICAL L’augmentation de l’incidence de l’insuffisance rénale terminale chez les octogénaires et le vieillissement de la population rendent compte du poids important et croissant du coût du traitement par dialyse dans cette tranche d’âge. La maîtrise des coûts de santé étant devenue le maître mot de la politique sanitaire de bien des pays, on pourrait craindre que la dialyse des patients très âgés ne devienne l’objet de restrictions. Non pas de restrictions explicites – ce dont la totalité des pays développés se défendent – mais de restrictions implicites ; les médecins qui assument la gestion de budget globaux et d’offres de soins limitées admettent que l’âge intervient dans le choix du traitement [45], et que les implications financières de la dialyse ne sont discutées qu’au sujet des patients les plus âgés. Aucun médecin ne peut aujourd’hui, sous le poids de cette pression économique, dire que la dialyse des octogénaires est un exercice futile : les résultats sont très encourageants aussi bien en terme de survie qu’en terme de qualité de vie [46]. On peut même s’interroger sur le bénéfice qu’il y aurait à identifier un groupe de patients à très haut risque de décès en dialyse. Comme l’ont montré Chandna et al., à partir d’une cohorte de 282 patients, ne pas débuter la dialyse dans un groupe de 26 patients ayant un très haut risque théorique de décès à un an (81 p. 100), amènerait à faire une économie de seulement 3,2 p. 100 sur le budget de la dialyse, sachant qu’en contrepartie cette attitude aurait pour effet de sacrifier cinq survivants au long cours [30]. Au niveau individuel, seuls des critères médicaux irréfutables devraient être utilisés pour conseiller de ne pas débuter un programme de dialyse chronique. Ces critères existent (démence sévère, cancer terminal…), mais dans notre expérience, les éléments le plus souvent associés à la décision de ne pas dialyser étaient l’isolement social et la prise en charge néphrologique tardive. On ne peut pas exclure que ces deux caractéristiques soient le reflet d’un rationnement implicite des soins dans cette tranche d’âge. Elle ne sont en tout cas pas invariables. Professionnels de santé et travailleurs sociaux disposent de nombreux moyens pour lutter contre l’isolement social ; leur mise en œuvre ne peut être optimisée que par une analyse individuelle approfondie du contexte social de chaque patient. Les bons résultats de la dialyse chez les octogénaires, mieux appréciés par les médecins généralistes et par le public, encourageront peut être la prise en charge spécialisée d’un certain nombre de patients qui ne sont à l’heure actuelle soit pas adressés au néphrologue, soit adressés tardivement ; on peut espérer qu’une prise en charge néphrologique précoce des octogénaires urémiques permettra non seulement de limiter le recours au traitement conservateur, mais aussi d’améliorer leur survie en dialyse. Enfin, en rendant la dialyse accessible aux patients les plus âgés, les néphrologues ont ouvert de nombreux champs d’investigation clinique (mesure de la OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE 281 qualité de vie, prise en charge des troubles cognitifs, soins palliatifs et questions d’éthique,…) qui ne pourront être défrichés qu’en allant au devant d’autres spécialistes, dans le cadre de réseaux multidisciplinaires de néphrogériatrie. BIBLIOGRAPHIE 1. HTTP://WWW.INSEE.FR. 2. USRDS. II. Incidence and prevalence of ESRD. Am J Kidney Dis, 1999, 34, S40-S50. 3. WOLFE RA, HELD PJ, HULBERT-SHEARON TE et al. A critical examination of trends in outcomes over the last decade. Am J Kidney Dis, 1998, 32, S9-S15. 4. WRIGHT LF. Survival in patients with end-stage renal disease. Am J Kidney Dis, 1991, 17, 25-28. 5. RICKELYNCK J-P, VERGER C, JACOBS C et al. Aspects démographiques, médicaux et sociaux du traitement de l’urémie chronique au stade terminal chez les patients âgés de plus de 80 ans. 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