Transfigurations du héros dans la culture mondaine du siècle

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Transfigurations du héros dans la culture mondaine du siècle
DOI 10.6094/helden.heroes.heros./2014/02/04
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Isabelle Chariatte
Transfigurations du héros dans la culture
mondaine du siècle classique :
Madeleine de Scudéry, La Rochefoucauld, le chevalier de Méré
Introduction
N’est-ce pas une tentative paradoxale de chercher des traces d’héroïsme dans la culture mondaine puisqu’au XVIIe siècle le héros est avant
tout associé à une éthique de la gloire construite
sur sa mise en scène brillante ? Celle-ci s’oppose à l’ethos d’humilité recherché par la culture
mondaine qui s’appuie sur le naturel de l’honnête homme et sur le refus même de mettre en
évidence le moi.1 D’une part, le théâtre cornélien chante le héros assumant, dans sa générosité, les impulsions de l’âme et sacrifiant, dans
son élan vers la gloire, affectivité et sensibilité.2
D’autre part, dans la culture mondaine, l’honnête
homme refuse l’extraordinaire, s’adonne à un
travail subtil pour parfaire son apparence et recherche une symbiose avec son entourage. Ce
modèle atteint la perfection par un art de vivre :
il maîtrise les codes subtils de la civilité, en particulier la conversation comme expression d’une
sensibilité envers l’autre dans l’espace social.3
La réalité sociohistorique du XVIIe siècle dés­
amorce néanmoins ce paradoxe, car les grands
salons – berceaux de la sociabilité – accueillent
leurs invités, issus de l’ancienne noblesse attachée à un modèle de civilité construit sur les
valeurs héroïques comme l’honneur, la gloire, le
mérite et le courage. Pensons au Grand Condé,
à La Rochefoucauld ou à la Grande Demoiselle
et à Mme de Longueville qui, en participant
tous activement aux combats de la Fronde, incarnent d’une certaine façon l’adhésion à l’idéal
héro­ïque. Cependant, ils cultivent aussi assidument la sociabilité dans les salons. L’ancienne
nob­lesse adhère au nouveau modèle de civilité
fondé sur l’urbanité, développée par Guez de
Balzac, et sur l’honnêteté, considérée comme
la continuation des modèles étrangers, à l’instar
de celui de la cour de Ferrare, du Courtisan de
Baldassare Castiglione ou de L’oráculo manual
de Baldasar Gracián.4 Le héros guerrier se civilise en honnête homme lorsqu’il paraît dans
les espaces mondains. Mais en raison à la fois
helden. heroes. héros.
de la défaite de la Fronde et de l’établissement
progressif d’une politique absolutiste qui soumet
l’ancienne aristocratie au nouveau pouvoir royal
centraliste, le modèle héroïque ne peut être perpétué que s’il est délogé de sa réalité historique
et transposé à la sphère littéraire. Une fois que
le glas a sonné pour la conception sociopolitique
du héros, un véritable engouement littéraire pour
les mises en scène de personnages héroïques
se manifeste dans les milieux mondains. Dans
ces lieux de première réception littéraire, Cor­
neille lit ses pièces avant de les représenter.5
Le cercle de Mme de Rambouillet est une scène
importante pour la querelle du Cid.6 Les romans
scudériens qui chantent aussi bien l’héroïsme
que la sociabilité sont très en vogue parmi les
mondains,7 qui aiment à se reconnaître dans les
rôles extraordinaires que retracent d’eux les portraits à clé. Dans sa correspondance avec Mme
de Sévigné, Bussy-Rabutin appelle sa maî­tresse
« Chimène » [il s’agit de Mme de Montglas] et
l’associe ainsi à l’héroïne du Cid tout en s’attribuant indirectement le rôle de Rodrigue (Sévigné
I, 24, 29, 211). Cette correspondance foisonne
par ailleurs de citations, tirées des tragédies
de Corneille, qui apportent un commentaire sur
telle ou telle situation, souvent sans aucune relation avec le fait divers rapporté (p. ex. Sévigné
I, 142, 165). L’identification à des personnages
courageux et hors-norme dans les romans ainsi que l’imbrication de vers tirés de tragédies
dans les discours mondains retracent le portrait
d’une noblesse qui se projette dans un univers
romanesque peuplé de héros, de chevaliers ou
de nymphes (Génétiot, Vincent Voiture 257). Le
côtoiement de l’héroïsme et de la mondanité,
deux modèles de civilité apparemment si opposés dans leurs valeurs et dans leur rhétorique,
appelle ainsi à s’interroger sur les liens entre le
héros traditionnel et la culture mondaine. Les
valeurs héroïques usuelles entretiennent-elles
avec les valeurs civiles des rapports de présence, de rupture ou de continuation ? L’idéal
héroïque laisse-t-il des traces dans l’idéal mon-
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dain ? Le héros sera-t-il sacrifié en faveur de
l’honnête homme ? Par le biais de trois textes,
Clélie de Madeleine de Scudéry, les Maximes
de La Rochefoucauld et Des Agréments du chevalier de Méré, il sera possible d’interroger les
enjeux des valeurs héroïques dans la fabrication
d’un idéal mondain.
Héroïsme et sociabilité : deux
modèles de civilité incompatibles ?
L’idéal héroïque de la première moitié du XVIIe
siècle est construit sur une longue tradition dont
les étapes les plus significatives sont constituées
par le modèle aristotélicien du Magnanime, élaboré dans l’Éthique à Nicomaque,8 ensuite par
la définition de la ‘grandeur’ développée par les
moralistes romains et enfin par le modèle chrétien médiéval du chevalier. Sous Louis XIII, et
particulièrement dans le théâtre de Corneille,
l’idéal héroïque s’exprime par l’éthique de la
gloire, qui s’oppose à la sévérité néostoïcienne.9
Le héros manifeste une énergie individuelle
qui exalte le moi. La confiance dans les forces
et dans les passions humaines le conduit à se
battre pour servir l’honneur et la gloire jusqu’au
sacrifice de soi en faveur de la collectivité. Par
ailleurs, le héros se réclame des moyens rhétoriques de l’orateur, de sa mise en scène par
la parole et de la déclamation. Cette rhétorique
s’inscrit dans la tradition jésuite de la chaire ainsi
que dans celle de l’éloquence du barreau.
Dans cette même première moitié du XVIIe
siècle, qui chante l’héroïsme et les valeurs qui
l’accompagnent d’honneur, de gloire et de grandeur, s’instaure en France un nouveau modèle
de civilité. Celui-ci prend naissance et se déploie
dans les salons, appelés à l’époque « ruelles »
et organisés autour de dames, dont nous sont
restés en particulier les noms de Mme de Rambouillet, de Mlle de Montpensier, de Mme de La
Sablière, de Mme de Sablé ou de Mme de Lafayette. En accueillant les Grands de l’époque, le
premier salon, celui de la marquise de Rambouillet et de sa fille, absorbe le modèle de civilisation
héroïque, mais le civilise grâce au contact avec
une nouvelle esthétique élaborée par les gens
de lettres, tels Guez de Balzac, Vincent Voiture,
Gilles Ménage, Georges et Madeleine de Scudéry ou Mme de Sévigné, qui participent tous
au développement de l’esthétique classique.10
Le nouveau canon à la mode est désormais imprégné d’un art de vivre marqué de réciprocité,
d’égalité, de respect, mais aussi de naturel, de
sensibilité, de douceur, de gaieté et d’enjouement. Ces cercles privés cherchent à créer un
bonheur social reposant sur la conversation
capable de véhiculer toutes les valeurs cultivées
dans les salons. Marquée par la présence civilisatrice des femmes,11 la rhétorique mondaine
refuse le pathos du héros traditionnel et tend au
but unique et suprême – celui d’être agréable. Il
faut savoir plaire, bien sûr à la dame qui reçoit,
mais aussi à tout le cercle. L’art de la conversation s’inscrit alors dans la tradition rhétorique
de l’aptum et du decorum, notions cicéroniennes
déjà retravaillées dans les traités de civilité italiens et espagnols et qui s’ancrent par la suite
dans la conception de l’honnête homme en
France.
A partir de cet aperçu, on serait enclin à déduire que ces deux modèles de civilité s’excluent
sur tous les plans. L’héroïsme place au centre de
son éthique de la gloire des valeurs « mâles »,12
inscrites dans la tradition chevaleresque, féo­
dale et guerrière, tandis que la culture mondaine
se fonde sur la sociabilité, traditionnellement
liée au « féminin ». L’éclat du héros se heurte
à l’idée de l’harmonie sociale recherchée par
l’honnête homme « qui ne se pique de rien »
(La Rochefoucauld max. 203). Les moyens rhétoriques opposent la déclamation héroïque à la
finesse mondaine. Le héros et l’honnête homme
semblent donc profondément incompatibles de
par leur nature, leur mise en scène du moi et leur
rhétorique. Or, de la même façon que ces deux
conceptions de l’être humain coexistent dans
la réalité sociohistorique, qu’elles se côtoient,
se fréquentent et sont incarnées dans certains
personnages historiques, elles sont travaillées,
repensées et interrogées par la littérature de la
seconde moitié du XVIIe siècle.
Les romans de Madeleine de
Scudéry : alliance de l’héroïsme
et de la sociabilité
Les romans scudériens [Madeleine de Scudéry 1607-1701] forment une étape déterminante
expliquant les imbrications de la culture héro­
ïque et mondaine. Si les plus longs romans de
la littérature française Artamène ou Le Grand
Cyrus et Clélie13 chantent des personnages
dont les prouesses prouvent le courage illimité
et inimitable dans des combats extraordinaires
admirés par tous, ces textes absorbent aussi le
modèle de civilité des salons, ce qui se reflète
dans les longs passages de conversations proposant des analyses subtiles des passions et
des actions humaines. Ils composent donc une
symbiose parfaite des deux modèles – héroïque
et mondain. D’une part, ils traduisent de façon
idéalisée la réalité sociopolitique de l’époque,
des années 1640-1660 environ, marquée par
helden. heroes. héros.
Transfigurations du héros
l’élan de l’ancienne noblesse encore attachée
aux valeurs de l’honneur, de la gloire et de la
générosité et qu’elle défend une dernière fois
lors de la Fronde. D’autre part, ces romans annoncent la nouvelle réalité socioculturelle des
salons fondée sur le raffinement et la subtilité.
Cependant, dans ces romans, ces deux univers
ne font pas que se juxtaposer, car les héros en
incarnent une réelle symbiose, en entrelaçant la
grandeur héroïque aux valeurs sensibles. Alors
que le héros cornélien doit sacrifier sensibilité et
affectivité à la gloire, le héros scudérien touche
à son accomplissement à condition qu’il les assimile ; l’héroïsme mâle est conjugué à la douceur
féminine. Ceci est valable pour les personnages
et masculins et féminins qui témoignent de leur
nature extraordinaire à la fois par leurs actions
héroïques et par leur maîtrise de la conversation. Le portrait d’Aronce, brossé dans Clélie,
propose la définition d’un « homme accompli »
(Scudéry vol. 1, 71) :
[...] Premièrement Aronce a infiniment de
l’esprit ; il l’a grand, ferme, agréable, et
naturel tout ensemble [...]. Pour du cœur,
Aronce en a autant qu’on peut en avoir
[…] celui qui pardonne aux faibles et qui
tient autant de la générosité que de ce
qu’on appelle précisément courage et valeur. De plus, Aronce a l’âme tendre, et le
cœur sensible ; il aime ses amis comme
lui-même ; il les sert avec ardeur [...]. Il a
de la douceur, de la bonté, et un charme
inexplicable dans sa conversa­tion, qui le
rend maître du coeur de tous ceux qui
l’approchent ; et pour le définir en peu de
mots, Aronce pourrait être admirablement
honnête homme, de quelque condition
qu’il fût né, car il a toutes les vertus qu’on
pourrait désirer en tous les hommes.
(Scudéry vol. 1, 71-72)
La perfection du protagoniste de Clélie provient
précisément du rapprochement des valeurs héroïques et sensibles et ceci dans toutes les dimensions de l’être humain. Son esprit évoque
d’une part les qualités héroïques [« grand,
ferme »], d’autre part, il rappelle les valeurs clés
de l’espace mondain [« agréable et naturel »].
Son cœur est habité par le courage,14 mais il est
aussi sensible et enclin à l’amour, à la compassion et à l’amitié. Enfin, le héros scudérien maîtrise parfaitement l’art de la conversation qui le
porte à la perfection et à un statut d’« homme
accompli ».
Pour assurer un effet de miroir, Madeleine
de Scudéry ne manque pas de retracer aussi le
portait de Clélie comme femme accomplie, en
travaillant néanmoins par un biais différent l’alliance des valeurs héroïques et sensibles :
helden. heroes. héros.
Mais Madame, je suis contraint d’avouer
que je n’ai jamais rien vu de plus beau que
Clélie ; car imaginez-vous qu’elle n’a pas
seulement tout ce qui fait la grande beauté, c’est-à-dire les cheveux blonds, les
yeux brillants, le tour du visage agréable,
la bouche bien faite, les dents belles, le
teint admirable, les mains merveilleuses,
et la physionomie spirituelle, mais qu’elle
a encore tous les charmes de la beauté.
Car elle a l’air galant et modeste ; elle a la
mine haute et douce ; et il ne lui manque
rien de tout ce qui peut imprimer du respect et donner de l’amour à tous ceux qui
la voient. Mais ce qui la rend encore plus
aimable, c’est qu’elle a autant d’esprit
que de beauté. Sa vertu, quoiqu’extrême,
n’a pourtant rien d’altier ni de rude ; au
contraire il y a quelque chose de si aisé,
et de si galant dans sa conversation,
qu’on est charmé d’être auprès d’elle ;
car encore que Clélie ait l’âme ferme, et
hardie, et qu’elle l’ait beaucoup au-dessus
de son sexe, elle a pourtant une douceur
si engageante, qu’on ne peut lui résister ;
et cette grandeur d’âme qui lui fait mépriser les plus grands périls, quand elle s’en
voit menacée, n’empêche pas qu’elle n’ait
même une certaine modestie craintive sur
le visage, qui sert encore à la rendre plus
aimable. Cependant quoiqu’elle n’ait rien
de fier ni de superbe dans la mine, elle
a pourtant l’air noble, la grâce assurée,
et l’action fort belle et fort libre. (Scudéry,
Clélie I, 107-108)
Comme c’était le cas pour Aronce, le but du
portrait de Clélie est de souligner sa perfection.
Conforme au code traditionnel, celle-ci se désign­e par la beauté qui s’adapte cependant aux
normes précieuses ; en d’autres termes, Madeleine de Scudéry brosse un portrait qui n’en est
pas un, puisque tous les adjectifs r­ es­tent imprécis projetant une image de la beauté féminine,
qui reste insaisissable mais idéale. Ensuite, l’auteure procède à une définition de l’excellence de
Clélie dans les dimensions de l’esprit, du cœur
et de l’âme tout en associant systématiquement
les valeurs héroïques aux valeurs mondaines.
Attardons-nous un moment sur les adjectifs caractérisant la protagoniste. « Elle a l’air galant et
modeste » ; « la mine haute et douce » ; « [elle
imprime] du respect et [donne] de l’amour » ;
elle a « l’âme ferme et hardie » tout en ayant
« une douceur si engageante, qu’on ne peut lui
résister ». Sa « grandeur d’âme » lui permet d’affronter les plus grands périls tout en ayant « une
certaine modestie craintive sur le visage ».
Madeleine de Scudéry associe ici les opposés pour assurer la perfection de Clélie.
Alors que dans le portrait d’Aronce, les valeurs
des deux univers – héroïque et sensible – se
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complètent par juxtaposition, l’association des
deux systèmes de valeurs, dans l’exemple féminin, permet de définir le juste milieu et d’écarter
toute éventuelle connotation négative. L’héroïne
scudérienne est galante et modeste, car si elle
n’était que galante, elle pourrait être coquette,
alors que l’association à la modestie garantit à la
galanterie sa pureté. Si elle était uniquement modeste, on pourrait la considérer comme une personne retirée, timide et faible, tandis que le rapprochement à la galanterie, donc à son antipode,
la rend parfaite. Les autres couples d’épithètes
opposés fonctionnent tous de la même manière :
être à la fois haute et douce, inspirer du respect
et de l’amour, avoir de la grandeur d’âme et de
la modestie craintive. Cet assemblage de qualités opposées excluant toute déviation définit la
perfection de Clélie. Madeleine de Scudéry recourt aussi aux conceptions traditionnellement
mâles et féminines, puisque le courage est associé d’abord aux hommes, comme l’indique
« l’âme ferme est hardie [qui] est [...] beaucoup
au-dessus de son sexe ». L’auteur adopte ainsi
deux types de procédés différents pour exposer
l’achèvement de ses personnages masculins ou
féminins. Si, dans l’univers scudérien, le héros
réunit en lui les qualités à la fois héroïques et
sensibles pour en démontrer leur complémentarité, l’héroïne fait preuve d’une symbiose des
opposés annonçant sa perfection qui repose sur
la pureté des valeurs dont tout excès corrosif est
écarté.
Au lieu d’opposer l’héroïque au mondain,
Madeleine de Scudéry les conjugue. Les valeurs
attribuées traditionnellement à l’univers mâle
et féminin se complètent désormais de sorte à
conférer aux personnages une dimension parfaite (Chariatte 132-140). Le roman scudérien
joue ainsi un rôle capital dans le rapprochement
de la culture héroïque et mondaine, puisque,
grâce à sa dimension fictive, il n’en montre pas
une image paradoxale, mais idéale, projetant un
nouveau modèle de civilité : héroïsme et sensibilité ne sont plus des forces antagonistes, mais
se complètent pour représenter des exem­ples
d’êtres humains parfaits et accomplis qui, toujours dans la tradition du héros, gagnent l’admiration de tous.
Madeleine de Scudéry tente ainsi de faire
une synthèse entre un ancien modèle de civilité fondé sur les valeurs féodales et un nouveau
construit sur les valeurs mondaines, tels le naturel, la bienséance, la sensibilité, la conversation, l’honnêteté. Dans la période de transition
avant l’affirmation du règne absolutiste de Louis
XIV, ce modèle romanesque connaît beaucoup
de succès. Avec la mise en place du règne du
roi Soleil qui asservit de plus en plus l’ancienne
noblesse et instaure une véritable culture de
courtisans, le projet de civilité lancé par le biais
des romans de Madeleine de Scudéry passe cependant rapidement de mode.
Les Maximes de La Rochefoucauld :
critique de l’héroïsme dans l’espace
mondain
Malgré l’appartenance de La Rochefoucauld à
l’ancienne noblesse [il est duc et pair de France]
et son passé de frondeur, représenté dans ses
Mémoires par une mise en scène excessive de
l’héroïsme, les Maximes s’inscrivent dans une
entreprise moraliste. L’auteur ne chante ni l’héroïsme ni la sociabilité, mais pose un regard désabusé sur la société contemporaine qu’il considère mue par l’amour-propre, la fortune et les
humeurs. Dans ses 504 maximes, publiées entre
1665 et 1678, La Rochefoucauld se montre très
critique à propos de tout système de valeurs,
et particulièrement à propos de celui lié à l’ancien idéal héroïque.15 C’est pourquoi Bénichou
associe de façon très judicieuse la morale des
Maximes de La Rochefoucauld à la « démolition
du héros », démolition qu’il explique principalement par la progression de l’augustinisme dans
la seconde moitié du XVIIe siècle. Effectivement,
dans les Maximes, bien souvent, la gloire est
réduite à une expression de l’amour-propre qui
abaisse autrui pour mieux enfler le moi. Le courage n’est en réalité que vanité, honte ou désir
de rendre la vie commode et agréable.16 La générosité comme principe même du héros a perdu sa signification et est réduite à une ambition
déguisée. « Ce qui paraît générosité n’est souvent qu’une ambition déguisée qui méprise de
petits intérêts, pour aller à de plus grands. » (La
Rochefoucauld max. 246) Alors que certaines
maximes confirment effectivement une vision
dépréciative de l’idéal héroïque, d’autres en reconnaissent la validité.
L’intrépidité est une force extraordinaire de
l’âme qui l’élève au-dessus des troubles,
des désordres et des émotions que la
vue des grands périls pourraient exciter
en elle ; et c’est par cette force que les
héros se maintiennent en un état paisible,
et conservent l’usage libre de leur raison
dans les accidents les plus surprenants et
les plus terribles. (La Rochefoucauld max.
217)
Il serait donc erroné de conclure que La Rochefoucauld réduit tout principe héroïque à l’amourpropre. L’œuvre discontinue des Maximes
ré­clame une lecture nuancée qui exclut la démolition radicale du héros. D’ailleurs, parmi toutes
helden. heroes. héros.
Transfigurations du héros
les maximes consacrées aux valeurs héroïques,
La Rochefoucauld oscille souvent entr­e une définition positive et négative. L’ambition peut être
dégradée à un « effet[s] de l’humeur et des passions, et de jalousie » (La Rochefoucauld max.
7) ou valorisée en tant qu’« activité et ardeur de
l’âme » (La Rochefoucauld max. 293).
La peinture dialectique des valeurs héroïques
permet au moraliste d’en faire un déplacement passionnant, qu’il est possible d’illustrer à
l’exemple de la gloire. Profondément dépréciée
dans les Maximes, la gloire semble n’exprimer
plus qu’un besoin égoïste. Le plus souvent, elle
est dénoncée comme finalité intéressée d’une
action, surtout dans le milieu social :
Rien n’est moins sincère que la manière
de demander et de donner des conseils.
Celui qui en demande paraît avoir une déférence respectueuse pour les sentiments
de son ami, bien qu’il ne pense qu’à lui
faire approuver les siens, et à le rendre garant de sa conduite. Et celui qui conseille
paie la confiance qu’on lui témoigne d’un
zèle ardent et désintéressé, quoiqu’il ne
cherche le plus souvent dans les conseils
qu’il donne que son propre intérêt ou sa
gloire. (La Rochefoucauld max.116)
La gloire, comme toute autre expression héro­
ïque, est contraire à la sociabilité qui recherche
l’échange réciproque de la parole et une harmonie sociale construite sur un pied égalitaire.
Incompatible avec la sociabilité, la gloire ainsi
que toutes les valeurs héroïques sont dénoncées dans l’espace de l’échange civil. Toutefois,
le moraliste procède à une réorientation extraordinaire : « Il est aussi honnête d’être glorieux
avec soi-même qu’il est ridicule de l’être avec les
autres. » (La Rochefoucauld max. 307)
Pour La Rochefoucauld, les valeurs héro­
ïques ne peuvent subsister dans l’espace social
que si elles sont intériorisées. Seulement sous
cette forme-là, la gloire ne se confond pas à
l’élan individuel cherchant à éblouir les autres
et réclamant l’admiration de tous. Elle se transforme alors en un sentiment de grandeur intérieure qui confère une valeur morale à l’honnête
homme. Dans ce sens, le processus d’intériorisation correspond aussi à une « purification »
des pas­sions. Alors que les romans scudériens
chantent des protagonistes à la fois héroïques
et sensibles admirés par tous, l’honnête homme
de La Rochefoucauld intériorise les valeurs héroïques17 – tout comme d’ailleurs les valeurs
sensibles (Chariatte 152-166). La perfection de
l’être humain semble encore être construite sur
la coprésence de ces valeurs antinomiques qui,
comme déjà pour le roman scudérien, ne s’excluent pas, mais qui, dans la perspective de La
helden. heroes. héros.
Rochefoucauld, sont absorbées par l’intériorité
et donc transfigurées afin de conférer une grandeur morale et une connaissance subtile de la
sociabilité. L’homme accompli n’est pas décoré
du « masque » de l’honnêteté, comme le suggère Starobinski, mais il intègre et transcende
les qualités liées au courage pour se parfaire et
devenir tout à la fois acteur et spectateur de ses
qualités sur la scène mondaine. Le combat héroïque s’est entièrement déplacé du champ de
bataille vers l’intériorité où il est glorieux d’éradiquer les obstacles empêchant l’honnêteté de
s’exprimer pleinement.
L’absorption des valeurs héroïques dans l’intériorité procède à une époque qui se détache
du modèle héroïque. Ces années correspondent
à la fin de la morale néostoïcienne et de l’idéal
aristotélicien du Magnanime, à l’échec de la
Fronde – à laquelle La Rochefoucauld a participé, à la progression de l’augustinisme dans le
monde et surtout à l’affirmation de l’absolutisme
sous le règne de Louis XIV. Si tous ces facteurs
socioculturels récusent l’héroïsme comme modèle de civilité, celui-ci se déplace entièrement
vers l’intériorité où il est redéfini afin de perpétuer
une grandeur morale à l’être humain – précisément dans la configuration de l’honnête homme.
Des Agréments du chevalier de
Méré : refus ou transfiguration du
modèle héroïque ?
Le chevalier de Méré construit son modèle de
civilité sur l’honnêteté à partir de l’espace de
sociabilité marqué par la présence des dames.
En ouverture Des Agréments [1676], Méré dédie
son texte à Madame de ***18, chante sa beauté
et l’associe aux muses qui inspirent les poètes
et qui savent parfaire les deux dimensions essentielles de l’être humain – le cœur et l’esprit.
(Méré, Des Agréments 9) Cette entrée dans le
texte le place d’emblée sous l’empire féminin,
d’une part en récupérant la tradition courtoise de
la dame qui inspire le chevalier ou le troubadour,
d’autre part, en évoquant la conception mythologique des grâces qui donnent le souffle créateur
aux poètes. Le théoricien Des Agréments place
ainsi son propos sous l’égide de l’esthétique, de
l’inspiration et de la dame, donc de l’univers féminin – trois dimensions qui toutes sont fondamentales pour la formation de l’honnête homme.
Dans Des Agréments, Méré érige en maxime
capitale du savoir-vivre mondain la qualité de
plaire dans le monde, d’inspiration néoplatoni­
cienne et déjà travaillée dans L’Astrée.19 Les
agréments sont l’expression d’une quête d’un
idéal dans l’espace social et civil – aussi bien
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Isabelle Chariatte
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pour l’homme que pour la femme. Pour Méré,
l’être humain touche à son accomplissement
et atteint sa perfection en société grâce à un
travail sur lui-même qui consiste à polir, entre
autres, les qualités du cœur et de l’esprit pour se
rendre agré­able aux autres. Les agréments s’apprennent en fréquentant le monde, mais leurs
moyens d’expression sont si subtils que seul le
discernement, appelé « bon goût », permet de les
percevoir et d’en être touché. Quelles sont alors
les aménités qui décorent l’honnête homme ?
Les façons de faire pour plaire ne suive­nt pas de
règ­les fixes, mais sont l’expression d’un discernement subtil suggérant comment se comporter
dans quelle situation. On plaît lorsque le corps et
l’esprit agissent de concert et expriment le naturel, la joie et la confiance. Cette conception des
agréments rappelle le decorum de Cicéron (De
Officiis I, 35). L’honnête homme refuse tout ce
qui est artificiel, superficiel ou hypocrite et agit
conformément à sa nature, soumise à un travail imperceptible. Il en résulte le naturel, le bon
air et l’humeur enjouée qui ne font qu’insinuer
la perfection de l’honnête homme. La quête du
juste milieu réclame une certaine modération,
mais n’exclut pas la surprise ni l’excellence. Au
contraire, les talents accompagnés d’une adroit­e
connaissance rendent l’honnête homme plaisant. Son mérite, sa grandeur et son excellence
ne le décorent pas de façon éclatante, car ce qui
éblouit est considéré comme superficiel et faux :
« Ce qui plaît consiste en des choses presque
imperceptibles. » (Méré, Des Agréments 14) Et
ce n’est qu’« à la seconde vue » que la qualité de l’honnête homme transparaît et peut être
pleinement appréciée. Quelle place peut alors
encore prendre le héros qui construit son rayonnement sur la gloire, la grandeur et la générosité
du moi ? Le modèle héroïque peut-il coexister à
celui de l’honnête homme, doit-il être intériorisé
ou transfiguré ? Doit-il être sacrifié au profit de
l’harmonie sociale ?
A première vue, Méré semble récuser très
nettement la conception traditionnelle du héros :
Le caractère héroïque n’est pas fait pour
plaire, au moins comme on le représente
ordinairement. ‹ Ma vertu pour le moin­s ne
m’abandonne [trahira] pas. › [Cinna, I, 4].
Il faut bien que cela se devine, et que le
procédé le donne à connaître. Mais ce
n’est pas le moyen de faire aimer sa vertu,
ni même de persuader qu’on a du mérite,
que d’en parler si ouvertement. (Méré,
Des Agréments 15)
Méré rejette la démarche cornélienne qui fait déclamer au héros, par le biais de la grande rhétorique, sa nature glorieuse ; ceci va entièrement à
l’encontre de l’honnête homme. La mise en va-
leur du moi est fortement honnie dans l’espace
civil où il faut, à partir de l’aptum, s’effacer, ne se
piquer de rien ni affirmer sa grandeur. La grande
éloquence fait place au style de la mediocritas,
propre à l’espace de politesse. Alors que, sur la
scène cornélienne, le héros chante sa gloire et
en fait preuve par ses actions brillantes, sur la
scène mondaine, l’honnête homme exprime sa
perfection par le biais de la gentillesse, de la
délicatesse et de la création d’un espace libre
de réciprocité dans lequel l’excellence n’est jamais éclatante. Elle peut au contraire être perçue à l’aide du bon goût qui donne le discernement pour les qualités élevées, mais discrètes
de l’honnête homme – « un brillant sans éclat »
d’après Vanhouck. Tout ce qui éblouit et réclame
de l’admiration est considéré par Méré comme
faux et illusoire. C’est uniquement l’expression
discrète de son excellence qui rend l’honnête
homme plus aimable et qui lui confère du mérite.
Celui-ci n’est plus construit sur les codes militaires des actions valeureuses et honorables,
mais transposé à la sociabilité. La notion de grandeur – telle qu’affichée par le héros cornélien –
est, elle aussi, entièrement civilisée, c’est-à-dire
qu’elle définit celui qui maîtrise parfaitement les
codes de politesse et qui sait plaire. C’est ainsi
que Méré récupère les notions de grandeur, de
mérite et de perfection qui qualifient traditionnellement le héros et qu’il les transpose à l’univers
de la sociabilité.
Toutefois, l’attitude critique de Méré face au
héros se limite à sa mise en scène et à sa rhétorique. Dans la Conversation 6, le théoricien
de l’honnêteté souligne l’importance de la gloire
dans la construction des héros et des rois. « La
gloire est le plus beau de leur bien et leur principal intérêt. Tous les héros et tous les grands
hommes s’y sont dévoués. » (Méré, Conversations 80) Pour aller à la gloire et récolter l’honneur, ils expriment avec discernement leur grandeur d’âme et leur mépris de la mort. César est
cité en exemple : « César avait toujours la gloire
devant les yeux qui lui faisait prendre le parti le
plus héroïque. » (Méré, Conversations 91-92)
Alors que ces réflexions pourraient faire croire
que Méré accepte, dans le contexte politique ou
militaire, pleinement le modèle héroïque traditionnel dont le principe même est la gloire, cette
conversation avance une série d’arguments associant les qualités héroïques aux plaisirs de la
vie en société, « comme de nous entretenir librement avec les personnes que nous aimons, et de
pouvoir disputer de certains avantages où la fortune et la grandeur n’ont point de part. [...] Il faut
avoir de la complaisance en galant homme pour
rendre la vie agréable. » (Méré, Conversations
84) Méré entremêle ainsi les qualités civiles de la
galanterie aux qualités héroïques et les conjugue
helden. heroes. héros.
Transfigurations du héros
adroi­tement, car seules les qualités de l’esprit et
de l’enjouement confèrent la véritable grandeur
et le véritable bonheur aux princes et aux héros.
« Je trouve bien plus beau ce je ne sais quoi
de civil et de majestueux tout ensemble qui fait
sentir avec plaisir que de certains princes sont
les maîtres : plus ils s’approchent, plus on se recule et surtout les honnêtes gens qui n’abusent
jamais de rien. » (Méré, Conversations 85) Méré
fait remonter ce modèle de sociabilité à L’Astrée,
et cite la maxime « ‘Aime si tu veux être aimé’ »
(Méré, Conversations 86) qui, bien qu’elle soit
adaptée ici au texte de d’Urfé, est tirée de Sénèque, Lettres à Lucilius, 9, 6.20 C’est en récupérant le modèle de l’amour néo-platonicien de
d’Urfé que Méré peut justifier le passage du mérite construit sur les actions héroïques au mérite
fondé sur l’amour défini ici comme lien social :
« L’on élève ou l’on abaisse le mérite selon qu’on
aime ou qu’on hait les gens. » (Méré, Conversations 86) Dans sa description de César, Méré
va jusqu’à le décorer de qualités civiles qui, à
elles seules, expliqueraient le succès de ses
campagnes. Il s’avère ainsi que même dans le
cas de personnages militaires comme César, ce
ne sont en fin de compte que les qualités civiles
qui contribuent à la perfection et à l’excellence
du héros, même dans ses actions militaires et
valeureuses.21
Quoique le héros cornélien soit banni de
l’univers de sociabilité, en raison de l’éclat de
sa mise en scène et de sa rhétorique contraire
à celle de l’honnête homme, Méré reconnaît
néanmoins que, dans l’espace de la guerre et
de la politique, la gloire et le mérite doivent impérativement être complétés par des qualités sociables afin d’éviter toute forme de barbarie. Cet
exemple démontre clairement que Méré érige
les qualités sociables en principe suprême de sa
conception de l’être humain, même de celle du
héros, sans lesquelles l’homme ne peut accéder
à sa perfection ni dans l’univers héroïque ni dans
l’univers mondain.
C’est ainsi que Méré redéfinit dans l’espace
mondain les notions attribuées traditionnellement au héros. Pour l’honnête homme, la vraie
grandeur ne procède pas de « la fortune », mais
elle « vient du cœur et de l’esprit » et s’exprime
dans « l’air noble » (Méré, Des Agréments 2021). Considérée comme la qualité héroïque par
excellence depuis Aristote, la grandeur est, d’une
part, intériorisée dans l’humilité du cœur, d’autre
part, elle est civilisée et s’exprime par l’esprit enjoué qui doit plaire. L’esprit fin, la modestie et la
gentillesse apparaissent sans éclat dans la mine
et dans l’union heureuse des actions du corps et
de l’esprit. En vertu de vouloir plaire, l’honnête
homme est décoré d’une « humeur enjouée »
exprimant une « grande confiance », ornement
helden. heroes. héros.
refusant catégoriquement l’admiration. « Un
honnête homme doit vivre à peu près comme un
grand prince qui se rencontre en un pays étranger sans sujets et sans suite, et que la fortune
réduit à se conduire comme un honnête particulier. » (Méré, Des Agréments 21)
Enfin, pour illustrer sa définition de la grandeur, Méré fait une comparaison entre deux
palais royaux : « Le Louvre est plus grand que
Versailles, mais Versailles est plus beau, plus
noble, et plus agréable que le Louvre, et même
il sent plus cette véritable grandeur qui plaît aux
personnes de bon goût. » (Méré, Des Agréments 22) La vraie grandeur n’est donc ni celle
qui paraît à première vue ni celle qui correspond
à des critères politiques, mais elle est celle qui
confère au bâtiment une valeur esthétique, et
donc supérieure, comme en témoignent les adjectifs comparatifs « plus beau, plus noble et
plus agréable ». La véritable grandeur ne peut
être saisie que si l’on est doté du « bon goût »,
c’est-à-dire d’une perception esthétique qui se
situe au-delà des catégories de l’entendement et
qui procure une vision plus subtile de la réalité.22
Dans la suite de cette réflexion, ni la grandeur du
Louvre ni celle de Versailles ne sont associées à
leur valeur politique, car cette dimension s’avère
être entièrement contraire à la sociabilité : « Le
commandement des inférieurs sent plus l’esclavage arrogant que le maître absolu, car il n’a rien
de civil ni de noble. » (Méré, Des Agréments 22)
En introduisant le terme « esclavage arrogant »,
Méré procède à un renversement extraordinaire
de la notion héroïque de la grandeur, qui désormais n’est plus liée à la noblesse ni à l’exercice
du pouvoir politique, mais au contraire elle est
entièrement et uniquement rattachée à la civilité.
Le héros traditionnel associé historiquement à
l’aristocratie et à la gouvernance s’exprime, chez
Méré, par le biais de l’espace d’intériorité et de
civilité. Les notions de grandeur, de noblesse et
de mérite sont alors redéfinies comme capacité
à plaire dans le monde. L’éclat du héros qui se
perçoit à première vue est considéré, dans l’espace mondain, comme obstacle au vrai « bon
air », qui est plus caché et qui n’est perceptible
qu’à un deuxième regard – soulignons-le, uniquement pour ceux qui ont le goût fait.
Si le héros se met au service de la collectivité
politique pour combattre au nom de l’honneur et
de la gloire, l’honnête homme sert la collectivité civile en plaisant, assurant ainsi la cohésion
sociale. Il ne s’agit pas d’un sentiment égoïste,
issu de l’amour-propre, comme diraient les jansénistes de l’époque, mais d’un élan vers l’autre
dans le but de garantir le bonheur social. Le regard admiratif des autres qui confirme au héros
son statut extraordinaire n’est plus recherché.
Le combat héroïque s’est non seulement inté-
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Isabelle Chariatte
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riorisé [comme chez La Rochefoucauld], mais il
s’est aussi esthétisé, puisqu’il s’agit pour Méré
de polir toutes les aspérités de sorte que l’individu se fonde parmi les honnêtes gens et qu’il
contribue à la progression de la collectivité vers
un idéal de perfection. L’honnête homme combat
les obstacles qui se trouvent en lui. Il se parfait à
la fois par son contact avec le monde et par son
regard autoréflexif et autocritique. « Que si le
premier [des moyens] réussit mal, on a recours
à un autre, et par la suite de réflexions et à force
de se corriger on se rend honnête homme, et par
conséquent agréable. » (Méré, Des Agréments
22-23) L’honnêteté de Méré est donc un idéal
vers lequel on aspire par le moyen déterminant
qui est celui de plaire.
Enfin, pour se rendre agréable, il faut suivre
la bienséance, la vraie, celle qui vient du cœur
et de l’esprit, et non pas de la fortune. Son expression est l’humilité dont le modèle est donné
par l’enseignement du Christ (Méré, Des Agréments 28-29). Méré transforme alors les agréments d’un principe de civilité au principe même
de l’humanité tenant compte de sa dimension
spirituelle. « [...] c’est un péché que de déplaire
[...] Car il me semble presque impossible d’aimer ce qui déplaît. » (Méré, Des Agréments 29)
Le message chrétien de l’amour du prochain est
réinterprété en fonction des agréments comme
premier principe de l’être humain. Tout en avançant, de façon presque polémique, une solution
purement mondaine dans le débat janséniste
autour de la grâce divine, Méré érige les agréments en facteurs primordiaux et déterminants
pour le salut de l’humanité :
Quand je pense que le Seigneur aime celui-ci et qu’il hait celui-là sans qu’on sache
pourquoi, j’en trouve point d’autre raison
qu’un fonds d’Agréments qu’il voit dans
l’un et qu’il ne trouve pas dans l’autre, et
je suis persuadé que le meilleur moyen, et
peut-être le seul pour se sauver c’est celui
de plaire. (Méré, Des Agréments 29)
D’après ce passage, l’amour de Dieu est sensible à celui qui sait plaire. C’est ainsi que les
agréments sont mis sur un pied d’égalité avec
l’amour chrétien. Par cette absorption du modèle chrétien dans celui de l’honnêteté fondée
sur les agréments, Méré fait passer la concep­
tion de l’honnête homme d’une dimension laïque
et profane à un message spirituel et moral, car
« Il ne faut qu’un honnête homme pour inspirer
les bonnes mœurs au plus méchant peuple de
la terre, et pour donner envie à tous ceux d’une
cour sauvage et grossière, d’être honnêtes
gens : ce que je dis d’un honnête homme, se
doit aussi d’une honnête femme. » (Méré, Des
Agréments 31) Le salut du monde passe par les
agréments présents chez les honnêtes gens qui
de par leur état de perfection suscitent chez les
autres le désir de se parfaire et d’imiter les qualités des honnêtes gens. Tous ces attributs que
Méré reconnaît à l’honnête homme sont effectivement les signes de l’accomplissement d’un
être humain. Son excellence sert-elle de point de
référence et d’exemple à suivre pour les autres ?
Ou cette perfection se communique-t-elle aux
autres par la grâce et l’air de l’honnête homme ?
S’agit-il d’un modèle ou s’agit-il d’une source
d’inspiration qui entraîne les autres vers la perfection ? Méré semble adopter les deux points
de vue : l’honnête homme est acheminé vers le
perfectionnement de sa nature qui représente
une entreprise à vie, d’autre part, une fois que
l’honnête homme ou l’honnête femme a atteint
un degré d’excellence, celle-ci rayonne sur les
autres afin de les « sauver », comme le dit Méré.
L’honnête homme se confond ici avec un autre
modèle de perfection, qui est celui du saint. La
civilité va alors pour Méré jusqu’à absorber les
dimensions laïque et spirituelle. C’est dans cet
espace que l’être humain travaille à son perfectionnement en transcendant toutes les catégories dans le seul but d’exprimer sa complétude
pour lui et pour les autres.
Conclusion
Le parcours du héros scudérien à l’honnête
homme de Méré a permis d’articuler les liens
entre héroïsme et honnêteté dans la culture
mondaine du siècle classique et d’en définir les
enjeux pour la création de l’idéal de l’honnête
homme. Ces trois textes représentent trois cas
de figure qui se complètent mutuellement. Dans
les romans de Madeleine de Scudéry, l’univers
héroïque est juxtaposé à l’univers mondain sur
un pied d’égalité et ce n’est que cette associa­
tion, voire cette conjugaison des deux univers qui
confère aux protagonistes leur statut de héros et
d’héroïnes. Madeleine de Scudéry célèbre ainsi
un modèle de civilité qui vise à la complétude
de l’être humain grâce à la complémentarité des
pôles opposés. Ces forces antagonistes ne se
combattent plus ou ne forment plus d’obstacles
à surmonter, comme c’est le cas dans le théâtre
cornélien, mais elles s’associent sous forme de
symbiose. Héroïsme et culture mondaine sont
entrelacés afin de célébrer un nouveau modèle
de civilité vers le milieu du XVIIe siècle, au moment où les anciennes valeurs féodales et héroïques cèdent peu à peu leur place aux valeurs
courtisanes dans la réalité sociopolitique. Dans
ce sens, les romans de Madeleine de Scudéry peuvent être considérés comme célébration
helden. heroes. héros.
Transfigurations du héros
romanesque et idéalisante du modèle de civilité
lancé par les salons. Ils reflètent le goût mondain
de la part de l’ancienne noblesse pour une mise
en scène héroïque et romanesque de la réalité
tout en suggérant la perpétuation de l’héroïsme
dans un nouveau modèle de civilité que les
Grands incarnent.
Pour le moraliste La Rochefoucauld, les valeurs héroïques ont certes leur validité dans
l’univers héroïque, mais sont incompatibles avec
l’espace de civilité. Elles ne peuvent subsister
que si elles sont transposées à l’intériorité de
l’être humain. On ne peut être glorieux qu’avec
soi-même, en d’autres termes, le mérite ne dépend pas de la reconnaissance que l’on reçoit,
mais il exprime les valeurs de sincérité et d’intégrité morale. Pour La Rochefoucauld, seule l’intériorisation et l’épuration de l’héroïsme confère
à l’honnête homme un statut supérieur dans la
culture mondaine.
Enfin, tout comme La Rochefoucauld, le
chevalier de Méré rejette l’air héroïque dans la
culture mondaine, car il se heurte profondément
aux agréments et au bon goût. La mise en scène
du héros déplaît profondément à l’honnête
homme imprégné de naturel. Néanmoins, nous
retrouvons chez Méré les termes de grandeur,
de mérite, d’honneur et de noblesse qui ne sont
pas seulement intériorisés, comme chez La Rochefoucauld, mais dont la définition est profondément esthétisée et civilisée dans le but de plaire.
C’est la grande maxime de l’honnête homme.
En passant par la synthèse de l’héroïque et du
mondain incarnée dans les protagonistes scudériens, puis chez La Rochefoucauld par la critique
de l’héroïsme dans l’espace mondain où il ne
peut subsister que sous forme intériorisée, nous
avons enfin pu considérer chez Méré que les
notions traditionnellement héroïques de grandeur, de mérite et de noblesse sont entièrement
esthétisées jusqu’à faire coïncider l’idéal de sociabilité avec le message chrétien et à conférer
une dimension spirituelle à l’honnêteté. La civilité permet ainsi que les modèles du héros et
du saint fusionnent, en soulignant leur caractère
« héroïque » qui les rapproche et dont le but est
d’être au service de l’émancipation de la collectivité.
En analysant l’élan vers l’accomplissement
de l’être humain dans des contextes socioculturels aussi différents que le milieu du XVIIe siècle,
qui annonce la fin de l’époque féodale, et la seconde moitié du siècle, qui célèbre l’établissement de la société de cour, nous avons constaté que certaines valeurs héroïques, comme la
grandeur, le mérite et l’honneur, sont maintenues, mais redéfinies et profondément réorientées d’abord vers l’intériorité, puis vers la civilité,
pour qu’elles soient adaptées à leur milieu. Le
helden. heroes. héros.
modèle héroïque semble rester sous-jacent à la
culture mondaine, mais de manière transfigurée.
La perfection du héros construite sur la gloire
éclatante est transférée à l’excellence de l’honnête homme qui ne se perçoit que subtilement,
mais qui entraine définitivement les autres vers
l’idéal d’honnêteté. Toujours selon Méré, ce modèle de civilité ne demeure pas dans l’univers
confiné de quelques happy few, au contraire,
l’honnêteté agit sur tout­e l’humanité et contient
le pouvoir de la perfectionner.
L’honnête homme peut ainsi être considéré
comme une projection idéale d’une transfiguration silencieuse du héros par le processus de
civilisation. Dans une forme intériorisée, esthétisée et civilisée, les traits du héros traditionnel,
notamment ceux de grandeur, de gloire et de
mérite, décorent toujours l’honnête homme –
« héros mondain ». Ce glissement de sens rappelle la qualité d’absorption propre à la culture
mondaine, car bien qu’elle paraisse entièrement
opposée aux valeurs et aux représentations traditionnelles de l’esprit héroïque, elle les récupère
tout en leur attribuant une nouvelle définition.
Toute époque réclame ainsi ses héros pourvus
de grandeur, de noblesse et de mérite. Qu’on
parle d’admiration ou d’agréments, de gloire ou
de naturel – il s’avère qu’à tous les âges, la quête
d’un idéal de perfection permet d’interroger si ce
n’est de faire avancer l’histoire culturelle de l’humanité.
1 Cette opposition de deux modèles de civilité s’exprime
de façon pertinente dans le langage d’Alceste et de Philinte
du Misanthrope acte I, scène 1. Alceste défend les valeurs
morales par le biais d’un vocabulaire héroïque, alors que
Philinte incarne l’homme de sociabilité – l’honnête homme
faisant primer la civilité sur la sincérité d’Alceste qui sacrifie
les bienséances.
2 Sur le héros cornélien, voir les études de Fumaroli, Doubrovsky, Kruse, Rohou.
3 La notion d’honnête homme évolue au cours du XVIIe
siècle, comme en témoignent les définitions avancées par
Faret, Madeleine de Scudéry, La Rochefoucauld, Pierre Nicole ou par le chevalier de Méré. Nous retiendrons ici celle
du chevalier de Méré, qui propose la définition la plus subtile
de l’honnêteté. Sur l’honnêteté, voir en particulier les études
d’Oskar Roth et d’Emmanuel Bury.
4 Voir les études de Bury et de Steigerwald.
5 Voir la correspondance de Mme de Sévigné.
6 Voir Bury.
7 La correspondance de Mme de La Fayette nous apprend
que chaque nouveau tome des romans de Madeleine de
Scudéry est attendu avec impatience.
8 Sur le modèle aristotélicien de la magnanimité, voir Fumaroli 323-349.
9 Voir Levi chap. 7.
10 Sur l’importance des salons pour l’établissement de l’esthétique classique, voir les études de Génétiot, Viala et Steigerwald.
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Isabelle Chariatte
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11 Nous adhérons ici à l’idée de la fonction civilisatrice des
femmes dans les salons, telle que développée par Timmermanns.
12 La proposition de Douvrovsky de valeurs « mâles »
nous paraît particulièrement pertinente dans une perspective « gender ». Le héros mâle s’oppose ainsi au caractère
féminin qui s’exprime dans les valeurs et la rhétorique des
salons.
13 Sur les romans scudériens, consulter les études de Baader, Denis, Morlet-Chantalat et Penzkofer.
14 Ou la valeur, comme on disait au XVII siècle.
e
15 Voir La Rochefoucauld max. 1, max. 15, max. 16, max.
63, max. 116, max. 150, max. 198, max. 213-221, max. 233,
max. 244, max. 246, max. 248, max. 266, max. 268, max.
280, max. 285, max. 293, max. 308, max. 365, max. 490.
16 Par exemple, La Rochefoucauld max. 220 : « La vanité,
la honte, et surtout le tempérament, font souvent la valeur
des hommes, et la vertu des femmes. » Voir aussi La Rochefoucauld max. 213.
17 Au sujet de la gloire et de l’héroïsme chez La Rochefoucauld, voir Roth 304, Kruse 61-80, Chariatte 152-158.
18 On suppose qu’il s’agit de Madame la Maréchale de Clérambault, voir Méré 9, n. 1.
19Dans la théorie néoplatonicienne de l’amour, l’union
avec l’autre passe par le renoncement total de soi dans le
but de plaire. « Puis qu’on ne se rend parfaitement honneste
homme que quand on a dessein de plaire, & ce dessein de
plaire ne peut venir que d’un fort grand attachement, ou du
desir de le persuader. » D’Urfé, L’Astrée. 31 juillet 2014.
<http://www.astree.paris-sorbonne.fr/Astree_1678.php>
20 Cette maxime de Sénèque sera reprise dans La Sylvanire ou la Morte-vive de d’Urfé, acte I, scène 1, v. 224 [« Il
faut aimer si l’on veut être aimé. »].
21 Cette même hiérarchie des valeurs, selon laquelle les
valeurs sociables procurent aux valeurs héroïques leur véritable grandeur, est exprimée dans l’oraison funèbre prononcée par Bossuet pour le Grand Condé le 2 mars 1687. Les
qualités extraordinaires de son courage sont ancrées dans la
bonté chrétienne qui les « [aide] à se communiquer davan­
tage ». Les « douceurs de la société », le « plus grand bien
de la vie humaine », sont assurées grâce à « sa conversation
[qui] était un charme » et à l’amitié qu’il place au premier
rang. Bossuet 200-201.
22 Dans son article, Dens développe l’idée du goût comme
faculté critique dont est doté l’honnête homme.
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