paroles - Florence Cassez

Transcription

paroles - Florence Cassez
soixante ans en 2009. Depu is le rapatriement de la jeune femme, il y
a trois ans, après l'annulation pour
vices de procédure de sa condamnation par la Cour s uprême du
Mexique, Mélissa Theuriau l'accompagne dans toutes les étapes
de son retour à « une vie normale».
<< Au restaurant,j'étais incapable de
choisir un menu. Cela me mettait
la pression. Donc je disais toujours
"comme toi", confie Florence Cassez. Cela vient juste de se calmer. .. »
<< Il lui a fallu se réhabituer à tout,
raconte Mélissa T heuriau. Elle ne
savait pas ce qu'était Facebook,
s'extasiait sur ma machine à café,
ne savait plus ce qu'était faire du
shopping car elle était habillée en
bleu pendant toutes ces années... »
ES
PAROLES
En 2013, Florence Cassez était libérée, après
sept ans passés en prison, au Mexique. Aujourd'hui,
à l'initiative de la productrice Mélissa Theuriau,
elle est au centre d'une série de quatre documentaires
où elle s'entretient, pudiquement, avec des personnes
qui ont été accusées à tort. Rencontre.
PAR HÉLÈNE RIFFAUDEAU
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oute la France connaît son
visage. On se souvient moins de sa
voix qu'on découvre douce. Dans un
hôtel parisien, près de la place des
Victoires, silhouette fluette, cheveux roux, parole sobre, Florence
Cassez enchaîne les interviews, accompagnée de la productrice Mélissa Theuriau (416 Productions).
Depuis la visite de cette dernière à
la prison de Tepepan, dans la banlieue de Mexico, où Florence Cassez
a été incarcérée pendant sept ans,
les deux femmes sont devenues
amies. L'ex-présentatrice de<<Zone
interd ite» est aujourd'hui le témoin
de ma riage de l'ancienne détenue
(avec un membre mexicain de son
comité de soutien) et marraine de sa
fille, née début 2015.
Arrêtée en 2005 au Mexique, pour
enlèvement et séquestration, Florence Cassez avait été condamnée à quatre-vingt-seize a ns de
prison par la justice mexicaine en
2008, une peine réduite en appel à
Aujourd'hui, à 41 ans,l'ex-détenue
la plus célèbre de France va «bien».
Elle vit en Haute-Savoie, « travaille
dans des bureaux».« J'avais besoin
d'une vie normale, donc je l'ai», sourit-elle.
Pour que lques sema ines, à l'init iative de la productrice, Florence
Cassez va sortir de son quotidien,
le temps de quatre documentaires
de 52 minutes dans lesquels elle
s'e ntretient avec des personnes
qui ont été accusées, puis innocentées. «Je ne veux plus parler de
moi », précise-t-elle. Mélissa Theuriau lui a fait cette proposition en
2014. « Elle voulait que d'autres
puissent profiter de son expérience
mais ne savait pas comment faire.
J'ai compris qu'elle avait besoin de
dépasser sa propre histoire en donnant la paroleàceuxqui ne l'ontpas
eue. Toute la force de ces docs réside
dans cet échange. Ces hommes sont
brisés, ils ne veulent plus parler à la
presse. Avoir Florence comme interlocutrice, plutôt qu'un journaliste,
c'est différent, car elle est passée par
les mêmes étapes. Sans elle, je n'aurais d'ailleurs jamais produit cette
série, elle n'aurait eu aucun sens.
Faire un programme de plus sur les
erreurs judiciaires ne m'intéressait
pas "• explique la productrice. Florence Cassez accepte, à une condition : ne pas refaire de prises. « En
raison de ma propre histoire, je ne
voulais pas de cette sorte de reconstitution.»
Elle part alors à la rencontre de
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ÉLÉOBS
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tous les jours. Alors, je me suis dit
que je n'allais pas en plus m'empêcher defaire quelque chose qui me
tient à cœur. »
quatre victimes d 'erreurs judiciaires : Brahim El Jabri, Loïc Sécher, Christian Iacono et JeanLouis Muller. Et, parfois, ressort
des entretiens totalement ébranlée : «Je n'avais pas pensé à ce que
cela pourrait mefaire. Maisje pouvais tellement comprendre. Ça me
bouleversait. En rentrant chez moi,
le parallèle avec ma propre histoire
ravivait des choses. Je me suis beaucoup retrouvée en Brahim El Jabri,
condamné à vingt ans de réclusion
criminelle sur la base d'unfaux témoignage, qui s'est tant battu pour
son innocence. Car, moi aussi, je
ne dois qu'à moi-même, qu'à mon
caractère optimiste, d'avoir été libérée. On ne peut qu'être sensible
aussi à Loïc Sécher, écorché vifpar
sa condamnation à seize ans de prison pour un viol qu'il n'a pas commis. Quant à Christian Iacono, il
a accepté, dans le film , d'échanger avec son accusateur, ce que j'ai
trouvé très courageux. J'ai aussi été
particulièrement touchée par JeanLouis Muller qui explique bien à
quel point le regard des autres est
terrible quand ils vous jugent durement après vous avoir vu deux minutes à la télé. »
Florence Cassez sait de quoi elle
parle. Elle a é té emprisonnée au
Mexique en 2005 parce que l'accusation s'est appuyée sur une vidéo
falsifiée par la police et un journaliste de la chaîne Televisa. «Ils en
ont fait un show télé.» Arrêtée en
direct devant leurs caméras, elle
Ces quatre entretiens montrent
qu'il ne suffit pas de sortir de prison
pour se sentir libre. Encore faut-il
pouvoir obtenir réparation pour
se reconstruire. « Il y a d'énormes
est alors victime d'une véritable
cabale médiatique : <<On ne parlait
que de moi et plus d'Israel, mon petit
ami mexicain, sur qui reposait toute
l'accusation. '' En prison, elle parvient pourtant à retourner la situation en« utilisant » les médias pour
sensibiliser l'opinion.« Je les ai tous
reçus, même ceux qui avaient écrit
des saletés sur moi. Je voulais faire
entendre ma version. Je n'avais rien
à craindre car j'étais innocente. Et
rien à perdre. »
Mélissa Theuriau
a accompagné
la jeune femme
dans toutes
les étapes de
son retour à une
vie normale.
dégâts collatéraux. Ce n'est pas la
libération qui vous libère. Je ne me
suis jamais battue pour être libre
mais pour être innocentée. On m'a
relâchée parce qu'on n'avait aucune
charge contre moi. Je me considère
donc comme innocentée. » Mais
Florence Cassez attend elle aussi
réparation pour les années passées
derrière les barreaux. En janvier
2015, elle a déposé une demande
de dommages et intérêts de 36 millions de dollars, visant notamment
l'ancien président mexicain Felipe
Calderon ainsi que la chaîne mexicaine Televisa. En attendant, elle
panse ses plaies : «C'est comme une
cicatrice, je ne la regarde pas tous
les jours. Je me dis que j'ai beaucoup
QUATRE ENTRETIENS QUI MONTRENT de chance. Quand j'étais en prison,
QU'IL NE. SUFFIT PAS DE SORTIR
l'idée que je ne sortirais jamais me
DE PRISON POUR SE SENTIR LIBRE.
trottait tout le temps dans la tête.
Je n'imaginaispas me marier, avoir
Son rapatriement en France, le
une petite fille, et encore moinsfaire
24 janvier 2013, a passionné les mé des documentaires. En trois ans, regardez tout ce quej'ai fait. »
dias. A-t-elle hésité à revenir sous
les feux des projecteurs? «De toute
~ " Dans les yeux de Florence "•
façon, où quej'aille depuis trois ans,
série documentaire en 4 parties
on me reconnaît. J'ai été surmédiadiffusée les vendredis 25 mars
tisée contre ma volonté. C'est vrai
et 1"' avril, à 20h45, s ur Planète + Cl.
que cela m'a aidée mais je le paye
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TÉ L E ClBS L" H EBDO DE S M ÉDI A S