Paul Verlaine, Fêtes galantes - Site des Lettres Académie de Rouen

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Paul Verlaine, Fêtes galantes
« COLLOQUE SENTIMENTAL » : REMARQUES SUR LA VERSIFICATION
•
Type de strophe : ce sont des distiques : « strophes » de 2 vers unis par des rimes
plates (aussi appelées rimes suivies : aa, bb…). Cette structure binaire (à deux
éléments) renvoie au sens : le v.2 parle de « deux formes », et le v.6 de « deux spectres
qui s’opposent ».
•
Rimes : non seulement les vers riment entre eux au sein de chaque distique, mais on
remarquera que la structure des rimes fait sens d’un distique à l’autre. Le distique n°1
rime avec le distique n°3; le distique n°2 rime avec le distique n°8. Ainsi se trouvent
isolés les quatre distiques du dialogue, dont l’absence de concordance phonétique
entre les rimes semble illustrer l’harmonie détruite du couple.
On sait par ailleurs tout le mal que Verlaine dit de la rime dans son Art Poétique : il
souligne les « torts de la Rime », la traitant de « bijou d’un sou qui sonne creux et faux
sous la lime ». Ce qui ne l’empêche pas d’en jouer…
On distinguera le schéma, la richesse et le genre des rimes:
 Le schéma :
Une rime peut être suivie (aabb) comme dans « Colloque sentimental »,
croisée (abab) (cf « En sourdine ») ou embrassée (abba) (cf « L'amour
par terre »).
La simple juxtaposition binaire choisie ici correspond au choix des
distiques et marque aussi la séparation entre les deux personnes. Car les
deux autres types de schémas renforcent au contraire les liens
phonétiques en les alternant.
 La richesse :
On tient compte de la quantité de phonèmes, c'est-à-dire d'unités de son
(ex. : par = 3 phonèmes: [p] + [a] + [r]).
Une rime peut être pauvre si elle ne comporte qu'un seul phonème
commun, vocalique (doux / roux dans « En sourdine »: le son [ou]). Il
n'y a aucune occurrence de rimes pauvres dans « Colloque
sentimental ». Elles sont plus rares en général.
Une rime est suffisante si elle compte deux phonèmes communs (ex.:
molles / paroles v.3 et 4 : [o] + [l]).
Elle est riche si elle compte trois phonèmes ou plus (ex. : glacé / passé
aux v.1 et 2: [a] + [s] + [é]).
 Le genre :
Une rime peut être masculine si elle n'a pas de « e » muet final (ex. : v.
1 et 2) ou féminine si elle a un « e » muet final (ex.: v.7 et 8).
ATTENTION à deux choses :
1. On ne tient pas compte des marques du pluriel.
2. On ne tient aucun compte du genre des mots, qui est
indifférent.
La règle classique impose un principe d'alternance entre rimes
masculines et rimes féminines. On remarquera que Verlaine, malgré ses
préventions contre la rime, le respecte scrupuleusement dans
« Colloque sentimental ». L'intérêt est double ici : car ce principe
permet aussi de distinguer le masculin du féminin, bien que rien dans le
poème ne permette de les identifier au sein du couple.
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
•
Refrain : Reprise régulière d’un passage : ici v.1 / v.5, d’où une impression de tourner
en rond, renforcée par l’idée qu’ils « évoquent le passé », c’est-à-dire qu’ils reviennent
en arrière. Cet effet circulaire est renforcé par les anaphores (reprise d’un même mot
en tête de phrase ou de vers, en général sans rupture – deuxième distique ici) : « dans »
v.1 et v.5 ; « deux » v.2 et v.6. Ici pourtant, contrairement à un refrain habituel, la
reprise ne se produit qu’une fois, isolant les trois premiers distiques des quatre
suivants, consacrés au dialogue.
•
Synérèse : v.1 : « vieux » = 1 syllabe ; v.7 : « ancienne » = 2 syllabes ; v.8 :
« souvienne » = 2 syllabes, afin de maintenir les décasyllabes (vers de 10 syllabes). Le
principe est le suivant : deux voyelles non distinctes étymologiquement ne forment
qu’une syllabe. Mais la diction courante propre à la prose n'acceptant pas la diérèse et
poussant à la synérèse, celle-ci a été progressivement étendue aux voyelles contiguës
étymologiquement distinctes. Plus le mot est courant, plus la tendance est forte.
•
Hémistiches : « demi-vers ». Normalement, il s’agit donc de morceaux égaux. Mais
l’usage en a été étendu et correspond à l’idée de césure : dans un système binaire, un
vers se décompose en deux groupements. Dans le cas d’un décasyllabe, les deux
hémistiches peuvent donc être ainsi décomposés : 5 / 5 (aucun exemple dans ce
poème), 4 / 6 (v.2), 6 / 4 (v.8). Ainsi, du point de vue du rythme, Verlaine a
systématiquement évité l’égalité, lui préférant des structures métriques (des structures
de vers) déséquilibrées. Or il en va de même dans la répartition de la parole : si l’un
est prolixe et enthousiaste, l’autre reste évasif et lapidaire.
•
Correspondances internes entre deux hémistiches : v.3 « morts » / « molles » :
double système d’assonance (répétition de son vocalique : « o » ici) et d’allitération
(répétition de son consonantique : « m » ici). La liaison phonétique conduit à comparer
les yeux et les lèvres, double instrument d’une communication qui n’existe presque
plus.
•
Enjambement : cf. v.11-12. L’enjambement est un débordement de la structure
syntaxique par rapport à la structure métrique, sans mise en valeur d’un élément
particulier. Ici, la proposition subordonnée relative du v.12 poursuit la proposition
principale elliptique du verbe du v.11. Or cette liaison syntaxique fait doublement
sens, puisque les deux vers traduisent la liaison amoureuse, les bouches qui se
rejoignent en un tendre baiser, dans une accumulation d’expansions du nom.
L’enjambement rappelle que les deux ne faisaient qu’un !
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm

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