MAO, DU “GRAND BOND EN AVANT” - Festival International du

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MAO, DU “GRAND BOND EN AVANT” - Festival International du
CLASSE PASSEPORT
Mao, du « Grand Bond en avant » à la
Révolution culturelle
VIVRE! – 1994
Zhang Yimou
LA GRANDE FAMINE DE MAO –
2011
Patrick Cabouat – Philippe Grangereau
Dossier pédagogique conçu
par Jean Michel Gaillard, professeur honoraire
SOMMAIRE
Introduction : 1912-1978 : les révolutions chinoises du 20ème siècle.
Vivre ! de Zhang Yimou
1/ Le film
a) Générique
b) Synopsis
c) Le réalisateur, Zhang Yimou
2/ Approches du film
a) Découpage séquentiel
b) Éléments d'analyse cinématographique
c) La Chine d'aujourd'hui regarde la Chine d'hier
3/ Le cinéma chinois
4/ Le contexte historique
a) Une« révolution dans la révolution », la Révolution culturelle
b) Grande et petite histoire : « La grande Guerre de Libération »
5/ Pistes d'exploitation pédagogique
a) Les protagonistes et les lieux
- Les personnages
- Les lieux
b) Analyse de séquence
- Théâtre d'ombres
- De la place de l'Art dans la vie
La Grande famine de Mao. De Patrick Cabouat et Philippe Grangereau
1/ Le documentaire :
a) Fiche technique.
b) Les auteurs.
c) Découpage séquentiel.
2/ Le Grand Bond en Avant
a) Pour comprendre
b) Les origines
c) Les communes populaires
d) Une catastrophe économique et humaine majeure
e) La grande famine
f) Un tournant majeur dans l'histoire de la révolution.
3/ Pistes pédagogiques
a) Reconstituer la « grande histoire ».
b) Documentaire ou fiction : quelle réalité ?
c) La description des communes populaires
d) La représentation de la famine.
Annexe I : chronologie des révolutions chinoises du XXème siècle
Annexe II : la révolution est aussi une question d'écriture.
Bibliographie
1
Introduction : 1912-1978 : les révolutions chinoises du 20ème siècle.
1912 -1978 : la Chine s'éveille... En trois-quarts de siècle, soit deux générations, « l'État du Milieu »
(Zhongguo) émerge à la modernité dans une série de convulsions cataclysmiques qui aurait mis à bas
n'importe quelle autre nation.
Pour la plupart des historiens, la naissance de la Chine moderne est le produit de trois révolutions successives
qui, au XXème siècle, l'ont fait passer de la situation d'un Empire certes millénaire mais réputé
irrémédiablement figé dans ses archaïsmes et voué à la domination étrangère au statut de 2ème puissance
économique mondiale :
! la révolution de 1911-1912, de Sun Yat-sen et du Guomindang (« Parti populaire national »), qui
met fin au régime impérial et crée la République de Chine.
! la révolution communiste de 1949, menée par Mao Zedong, qui transforme la République en
démocratie populaire socialiste.
! la révolution de 1978-1984, moins brutale que les deux autres mais tout aussi radicale, qui, sous
l'impulsion de Deng Xiaoping, ouvre la Chine au monde et au capitalisme mondialisé.
Pour la Chine, le XXème siècle est bien « le siècle des révolutions », mieux : le siècle de la Révolution ! À ce
titre, la Grande Révolution de 1949 joue bien entendu un rôle central.
Le cinéma chinois, ne pouvait que s'en faire le témoin. Avec cette interrogation qui le parcourt : quelle place
pour les individus dans des bouleversements d'une telle ampleur ? Que reste-t-il des hommes et de ces
traditions civilisatrices qui ont fait la gloire millénaire de la Chine – Boudhisme, Confucianisme, langue, la
Famille surtout, cet « atome » au sens étymologique du terme sur lequel repose toute la société chinoise ?
Peut-on impunément prétendre faire ainsi du passé table rase ? Plus que tout autre cinéaste, et doté de surcroît
de moyens conséquents, le réalisateur-phare de la « 5ème génération », Zhang Yimou, a traduit ces
interrogations en de vastes fresques historiques dont Vivre ! est le meilleur exemple.
Vivre ! avait déjà été retenu conjointement avec le film Balzac et la petite tailleuse chinoise pour une classepasseport du 20ème Festival de Pessac. Le présent dossier pédagogique reprend donc largement le travail
réalisé à cette occasion par Fabienne Helbig et Virginie Courrèges, sauf les parties consacrées au film de Dai
Sijié. Nous ne saurions trop conseiller aux collègues intéressés de consulter cet ouvrage en complément de la
présente étude, en particulier ceux qui voudraient développer l'étude de l'adaptation au cinéma d'une œuvre
littéraire. Les deux sont parfaitement complémentaires.
Mais, dans le cadre du thème retenu cette année, il nous a paru préférable de centrer notre présentation sur ce
qui apparaît comme la période cruciale de la révolution, le Grand Bond en avant et la gigantesque famine qu'il
a provoqué. Et donc de croiser le film de Zhang Yimou, qui balaye toute la période révolutionnaire des années
40 aux années 70, avec le documentaire de Patrick Cabouat sur La grande famine de Mao . Outre l'accent
plus particulier mis sur un des plus grands drames de l'histoire - et dont le « refoulé » ne cesse de travailler en
profondeur la Chine actuelle -, cela permettra d'aborder la question des rapports entre documentaire et fiction
en ce qui concerne l'information historique.
2
Vivre ! de Zhang Yimou. (titre original : Huozhe)
(Dossier réalisé par Fabienne Helbig et Virginie Courrèges pour la classe passeport :
« Culture et révolution en Chine » ; 20ème Festival du Film d'Histoire de Pessac : « Il était une foi, le Communisme »)
1/ Le film
a) Générique
Réalisateur
Production/ Distribution
Scénario
Photographie
Musique
Costumes
Zhang Yimou
ARP sélection
Wei Lu, Hua Yu
Lu Yu
Zhao Jiping
Dong Huamiao
Durée DVD : 2h 09
Comédiens
Fugui
Jiazhen
Chunscheng
Le chef du quartier
Erxi
Long Er
Ge You
Gong Li
Guo Tao
Nui Ben
Wu Jiang
Ni Da Hong
b) Synopsis
Fugui, un jeune homme riche et désœuvré, passe ses nuits à jouer, au grand dam de son épouse Jiazhen, et
perd ainsi beaucoup d’argent, jusqu’à épuiser toute la fortune familiale. Sa femme enceinte de leur deuxième
enfant le quitte alors, accompagnée de leur fille Fengxia. Ruiné, accompagné de sa mère désespérée, Fugui
doit apprendre à survivre. Mais quelques temps plus tard, son épouse revient avec leur fille et leur fils
Youquin. Notre héros décide donc de demander à celui qui l’a ruiné de lui prêter de l’argent afin qu’il puisse
faire subsister sa famille ; ce dernier préfère lui confier son théâtre d’ombre. Fugui part sur les routes avec sa
troupe. Mais ils sont enrôlés de force dans l’armée du Guomindang, au service du président Chiang Kaïshek… Les (més)aventures de Fugui et de sa famille ne font que commencer ; elles vont couvrir quarante ans
d’histoire de la Chine, des années 40 à la Révolution culturelle, en passant par le Grand Bond en avant…
c) Le réalisateur, Zhang Yimou
Biographie
Zhang Yimou est né à Xi’an, en Chine, le 14 novembre 1951. Il est contraint d’arrêter se études lors de la
Révolution culturelle en 1966 et part travailler à la ferme puis dans un atelier de tissage. Passionné de
photographie, il fait la section « Prise de vue » de l’Institut du cinéma de Pékin. Fraîchement diplômé, il
participe en tant que directeur de la photographie à deux films de Chen Kaige. Il jouera aussi le rôle principal
dans le film de Wu Tianming, Le vieux puits, et obtient ainsi la première récompense de sa carrière : prix du
meilleur acteur au Festival de Tokyo en 1987. Il réalise sa première œuvre la même année, Le Sorgho rouge
et gagne l’Ours d’or de Berlin en 1988, ce qui lui donne aussitôt un rayonnement international. C’est aussi
grâce à ce film qu’il rencontre celle qui deviendra non seulement sa muse mais aussi sa femme, Gong Li.
Après ce premier rôle, il fait jouer l'actrice dans Judou en 1989 et Epouses et Concubines en 1991 (Lion
d'argent au Festival de Venise), où il exprime par ailleurs un grand raffinement formel dans la composition du
cadre. Il la dirige à nouveau dans le plus spontané Qiu Ju une femme chinoise en 1992 (Lion d'or cette fois),
puis dans Vivre! (Grand Prix du jury au Festival de Cannes 94) et dans Shanghai Triad en 1995.
Yimou alterne dès lors une approche filmique âpre et réaliste qui remporte le Lion d'or au Festival de Venise
1999. En 2003, Zhang Yimou s'attaque au wu xian pian, le film de sabre traditionnel de Chine et de Hong
Kong, avec Hero pour lequel il dirige Jet Li, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi et Donnie
3
Yen, puis Le Secret des poignards volants avec Takeshi Kaneshiro et Andy Lau. Producteur de 2046 de
Wong Kar-Wai, Zhang Yimou continue en parallèle d'alterner projets de grandes ampleurs et œuvres un peu
plus confidentielles. Il réalise ainsi La Cité interdite, plus gros budget de l'histoire du cinéma chinois, puis
enchaîne avec Riding alone for thousands of miles au financement nettement plus modeste. Mis à l'honneur
par le festival de Cannes lors de sa 60ème édition, Zhang Yimou a été choisi pour être l'un des 60 signataires de
la collection de courts-métrages Chacun son cinéma. Quelques mois plus tard, le cinéaste était président du
jury de la Mostra de Venise, récompensant son compatriote Ang Lee pour le film Lust, Caution.
C’est l’un des plus importants cinéastes chinois de la cinquième génération ; son œuvre révèle un grand souci
esthétique, notamment dans l’usage de la couleur, mais aussi du cadre comme dans Adieu ma concubine, ou
Hero. Il a su réaliser aussi des films réalistes comme Qiu Ju, une femme chinoise, ou Vivre ! Très connu en
Occident, le public chinois le connaît mal, car nombreux sont ses films qui ont été interdits en Chine, comme
Vivre ! (le réalisateur n’ayant même pas eu l’autorisation de se rendre à Cannes pour y recevoir le grand prix
du Festival )
2/ Approches du film
a) Découpage séquentiel
Tableau des séquences
Séquences Plans
Durée
Espaces
Contenu
La rue devant la salle de jeu; à l’intérieur, Fugui joue aux dés
Ext./Int./ avec frénésie et perd encore. Il remplace un chanteur du théâtre
1
44
1mn09s
Ext.
d’ombre et met en scène une histoire scabreuse. Musique et
théâtre d’ombre. Il sort et un porteur le ramène chez lui.
A peine arrivé chez lui, son père le harcèle et l’insulte. Fugui
l’insulte aussi puis rejoint sa femme dans leur chambre ; Jiazhen
2
26
2mn45s Ext./Int.
le supplie d’arrêter de jouer comme il l’avait promis pour la
venue de leur 2° enfant. Il s’endort.
Dans la salle de jeu, Fugui joue et commence à gagner, mais on
lui annonce que sa femme est là : elle le supplie devant tout le
Int.
3
79
6mn14s
monde de partir avec elle. Il se met en colère et la chasse de
l’établissement. Il se met à perdre et apprend qu’il a perdu toute
sa fortune ainsi que la maison familiale. Il est anéanti.
Jiazhen l’attend dans la rue pour lui dire qu’elle le quitte avec
4
13
1mn42s Ext.
leur fille. Il est désespéré.
Chez lui, une assemblée officielle calcule sa dette et confirme à
son père la perte de tous les biens familiaux au profit de
Long’er. Le père a un malaise au moment où il veut corriger son
5
58
3mn46s Int./Ext.
fils pour son infamie. Ellipse : une succession de plans montre la
déchéance financière de Fugui et de sa mère après le décès du
père.
Dans la rue, Fugui voit sa femme, sa fille et son fils. Elle est
revenue vivre avec lui. Ils vont dans la nouvelle misérable
6
24
2mn02s Ext./Int.
demeure de Fugui où la grand-mère s’éteint doucement.
Moment de bonheur pour la famille réunie.
Int.
Dans le coin chambre, le couple se retrouve, Jiazhen ne veut
7
2
1mn02s
qu’une vie simple.
Fugui va voir Long’er pour lui emprunter de l’argent, celui-ci
8
16
1mn21s Int.
refuse mais lui confie plutôt son théâtre d’ombre afin qu’il se
fasse un revenu.
Fugui a réuni une petite troupe avec laquelle il se déplace pour
faire son spectacle. Un soir, lors d’une représentation, le drap se
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23
5mn54s Ext.
tend d’une drôle de façon…
Ext.
Ce sont les soldats de Chiang Kaï-shek qui enrôlent la troupe de
.
f
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11mn34s
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1mn16s
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2mn41s
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2mn06s
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1mn51s
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3mn13s
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3mn30s
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1mn17s
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3mn18s
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2mn29s
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5mn06s
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1mn27s
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3mn17s
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6mn08s
25
17
4mn07s
26
27
3mn12s
Ce sont les soldats de Chiang Kaï-shek qui enrole la troupe de
force. Fugui et son compagnon Chunsheng voudraient bien
repartir chez eux, mais ils n’ont pas le choix. Ils apprennent à
survivre dans les conditions hostiles de la guerre. Un matin, ils
se rendent compte que leur camp a été abandonné et eux avec.
L’armée de Libération les arrête.
Ext.
Ils font un spectacle aux soldats et puis finissent par être libérés.
Fugui rentre chez lui. Dans la rue, il voit Fengxia sa petite fille,
mais elle ne l’entend pas. Il voit aussi Jiazhen qui distribue de
l’eau chaude. Ils se retrouvent, Jiazhen pleure.
Une fois chez eux, Jiazhen lui apprend les dernières nouvelles :
Int.
la mort de sa mère, la maladie qui a rendu Fengxia muette et
presque sourde, leur misère.
Int.
Vie de famille dans la cours de la maison
Le délégué de district lui apprend le procès de Long’er comme
ennemi de la Révolution. Fugui y assiste de loin et entend les
Int./Ext./
cinq détonations qui marquent son exécution. Fugui est
Int.
bouleversé de l’ironie du sort : s’il n’avait pas perdu aux dés, ce
serait lui que l’on aurait tué…
(carton: les années 50)
C’est le Grand Bond en avant et tout le monde doit remettre son
Ext.
fer, la famille de Fugui aussi. Youquin, son fils veut même
donner les clous et les attaches du théâtre d’ombre. Fugui
persuade le délégué de district de ne rien en faire afin de pouvoir
divertir les masses pendant leur efforts.
Des garnements embêtent Fengxia. Youquin vient l’aider et se
Ext.
bat avec les trois enfants.
Dans la cours de la cantine populaire, Youquin se sert
copieusement de nouilles très pimentées et va renverser son plat
Ext.
sur la tête de l’enfant qui avait harcelé sa sœur. Cela crée un
scandale et Fugui se sent obligé de corriger son fils en public.
Int.
Une fois à la maison, le couple s’explique.
Fugui anime les efforts de la population avec le théâtre d’ombre.
Ext.
Jiazhen et son fils lui concoctent un thé vinaigré et pimenté pour
lui faire une blague. Rires.
Le district a réussi à fondre une belle masse de fer, et le délégué
Ext.
de district félicite en particulier la famille de Fugui.
Les enfants dorment, épuisés par les nuits de travail. Mais on
vient chercher Youquin pour continuer le travail. Sa mère refuse
Int./Ext.
mais Fugui l’emmène malgré tout et lui parle de la vie qui
progresse, du poussin jusqu’au communisme….
C’est la catastrophe ! Youquin a été tué dans l’éboulement d’un
Ext.
mur de pierre derrière lequel il dormait. Fugui et Jiazhen sont
désespérés.
Ext.
Enterrement de Youquin. On apprend que celui qui est à
l’origine de l’écroulement du mur, c’est Chunsheng qui est
devenu chef de district… Jiazhen lui dit qu’il leur doit une vie.
Ext./Int. (carton : les années 60)
C’est la Révolution culturelle. Le délégué de district vient
annoncer à Fugui qu’il doit brûler son théâtre d’ombre, ce qui
est fait. puis il dit qu’il a trouvé un mari pour Fengxia…
Ext.
Erxi, le prétendant, vient rencontrer la famille de Fengxia…
Int.
Ext.
5
27
26
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61
Ç34
29
3mn04s
Ext./Int.
On dit à Fugui et à sa femme que des gardes rouges s’attaquent à
leur toit ; ils vont voir et découvrent qu’Erxi est venu avec ses
collègues de l’usine et qu’ils ont réparés leur toit et peint des
portraits de Mao dans leur cours. Bonheur. Jiazhen fait
promettre à Erxi de faire un beau mariage à Fengxia.
4mn34s Ext./Int./ Le mariage communiste.
Ext.
2mn10s Int.
Chunsheng est là pour les féliciter et leur offre un portrait de
Mao, mais Jiazhen refuse toujours de le recevoir.
4mn
Ext./Int. Fengxia et Erxi viennent annoncer que la jeune femme est
enceinte. Joie. Erxi annonce aussi la disgrâce de Chunsheng,
taxé de capitalisme.
4mn05s Int./Ext. Visite de Chunsheng, désespéré, qui veut absolument que le
couple prenne l’argent qu’il a mis de côté pour la mort de
Youquin. Sa femme s’est suicidée, et il est lui même sur le point
de le faire. Fugui l’implore de tenir bon et de survivre. Jiazhen
sort de sa chambre et l’invite à entrer chez eux. Il refuse et s’en
va. Elle lui rappelle alors qu’il leur doit une vie et donc qu’il
doit prendre soin de la sienne.
1mn51s Int./Ext. On apprend que le délégué du district a été destitué de ses
fonctions et jugé réactionnaire. Il doit donc partir. Fugui et
Jiazhen tentent de le rassurer.
13mn03s Int./Ext./ L’accouchement de Fengxia. L’hôpital est aux mains de jeunes
Int./Ext./ infirmières Gardes Rouges, les docteurs, réactionnaires ayant
Int.
tous été punis et envoyés en rééducation. Ça commence bien,
mais Jiazhen est inquiète pour sa fille et demande à Erxi d’aller
chercher un vrai obstétricien. Il ramène un homme affamé et
portant une pancarte infamante. L’homme est dans un tel état
d’inanition que Fugui va lui acheter des petits pains qu’il se met
à engloutir frénétiquement. Pendant ce temps, l’enfant vient au
monde et tout semble aller très bien quand tout à coup, c’est la
panique : Fengxia fait un hémorragie que les jeunes infirmières
ne savent pas juguler. Le médecin est inservable car il a mangé
trop vite et est en train de s’étouffer. L’eau que lui donne Fugui
ne fait qu’empirer les choses. Fengxia s’éteint dans les bras de
se mère désespérée.
5mn54s Ext./Int./ (carton : quelques années plus tard)
Ext./Int. Fugui et son petit fils « petit pain » rentrent chez les grandsparents. Jiazhen est alitée. Erxi arrive. Ensemble, ils se rendent
sur la tombe de Fengxia. De retour, Fugui parle à son petit fil
des poussins qui grandissent et qui permettent d’améliorer sa
vie, car la vie de « petit pain » « sera de plus en plus belle ».
(générique)
b) Éléments d'analyse cinématographique
Le film de Zhan Yimou semble suivre les aléas de la vie de son héros et de sa famille, au gré du destin, sans
équilibre recherché, sans étape bien définie, si ce n’est les cartons indiquant la période historique traversée par
la famille : les années 50’, ou les années 60’. À y regarder de plus près, on peut cependant déterminer trois
grandes parties qui recouvrent effectivement trois périodes historiques distinctes mais dont les ruptures ne se
font pas forcément référence aux cartons, car elles suivent un même rythme qui va d’une situation difficile en
passant par des moments de bonheur, pour finir immanquablement par une tragédie.
Les trois parties sont :
! Plans 1 à 11 : La vie de Fugui avant l’avènement de la République communiste chinoise (une vie
de joueur, une vie de misère, une nouvelle vie grâce à Jiazhen et au théâtre d’ombre, une vie de
soldat)
6
! Plans 12 à 24 : La Chine communiste et le Grand Bond en avant (le retour et la vie de masse
populaire, l’effort collectif du GBA et le théâtre d’ombre, la mort de Youquin)
! Plans 25 à 33 : La Révolution culturelle (La fin de la culture réactionnaire et du théâtre d’ombre, le
mariage de Fengxia, La déchéance des anciens responsables du Parti, l’accouchement et la mort de
Fengxia)
Le Plan 34 constituant une sorte d’épilogue.
On peut souligner une séquence qui forme une sorte de film à l’intérieur du film, d’une part par sa
longueur et, d’autre part, par son autonomie quant à la diégèse : c’est la séquence 10, celle de la guerre. On
pourra l’étudier en tant que telle avec des élèves de 3°, intégrée dans une séquence sur la vision ironique de la
guerre en parallèle avec l’extrait de Candide de Voltaire, (chapitre 3), ainsi que celui du roman de Stendhal
La Chartreuse de Parme (Chapitre 3), où, à chaque fois, le héros se trouve sur un champ de bataille un peu
malgré lui et en subissant les conséquence d’un conflit qui le dépasse et auquel il ne comprend rien. Le plan
panoramique avec travelling au cours duquel on voit littéralement déferler les soldat de l’armée de Libération
sur la plaine blanche de neige et fondre sur Fengui et son camarade Chunsheng est à ce titre une merveille : le
contraste des couleurs, la petitesse des silhouettes, le bruit d’insecte en masse des soldats, tout concourt à
donner à voir l’absurdité de la guerre.
Une autre séquence a aussi cette dimension d’autonomie, bien que non coupée de la diégèse, c’est l’avantdernière séquence, la n°33 : elle dure plus de 13 mn et touche à la fois une thématique universelle (l’attente
inquiète des parents et du mari lors d’un premier accouchement), mais aussi un motif historique particulier
(les conséquences cauchemardesques et tragiques d’une politique ubuesque : la Révolution culturelle). Le
mélange d’un registre à la fois comique, voire burlesque (précipitation du docteur sur les petits pains, son
étouffement, mécanisation des mouvements des infirmières au moment fatidique), et d’un registre tragique (le
gros plan sur le sang qui coule inexorablement le long du pied de Fengxia, son visage exsangue en contrechamp de celui de sa mère désespérée qui ne cesse de répéter que « Maman est là ») fait de cette séquence un
sommet d’émotion et de justesse, d’universalité : certes, la famille de Fugui est aux prises avec un moment
historique fatidique, mais c’est de l’absurdité de la vie et de la mort dont il est question ici. C’est en cela que
l’on peut dire que ce film est au delà d’une vision politique ; il ne s’agit pas ici de faire le procès de la
Révolution culturelle et de ses excès tragiques, même si la critique est présente, mais bien plutôt de dire le
pire, une deuxième fois dans le film : la perte de son enfant.
On pourra aussi étudier avec bonheur certains motifs esthétiques récurrents dans le film :
! le travail sur les plans présentant des cadres à l’intérieur du cadre (portes cochères dans la rue,
ou menant à la cours de la maison, portes d’entrée, fenêtres),
! mouvement de caméra allant de l’extérieur de la maison à l’intérieur, ou inversement ( on va
le plus souvent dans le film de l’extérieur à l’intérieur, et quand le mouvement est inverse, il est
souvent porteur de malheur : mort du père, exécution de Long’er, Youquin porté vers sa mort par
son père, désespoir du Chunsheng, destitution du délégué). Tout se passe comme si Zhan Yimou
nous invitait à entrer dans l’intimité de cette famille pour nous dire que c’est dans celle-ci, et
uniquement là, que le bonheur est possible, l’extérieur étant une menace permanente et
incontrôlable. Mais, c’est avec pudeur et de l’extérieur qu’il nous dit la force du couple : il nous
montre la fenêtre illuminée de leur chambre qui se détache sur l’ombre de la cours et l’on entend
alors Jiazhen qui dit à Fugui qu’elle ne désire qu’ « une vie simple, avec lui ».
! l’espace intermédiaire que représente la cours de la maison (sorte d’antichambre, entre-deux
porteur de rencontre et de révélation, lieu de joie mais aussi du désespoir de Chunsheng par
exemple)
! Il faudra aussi s’attacher à la référence esthétique majeure qu’est la présence du théâtre
d’ombre, et ce d’autant plus que c’est un élément que le réalisateur a rajouté par rapport au roman
de Yu Hua dont il a fait ici l’adaptation (voir l’analyse de la séquence dans le III de ce livret).
c) La Chine d'aujourd'hui regarde la Chine d'hier
Pour Zhang Yimou, le fait de regarder en arrière et de faire un film sur le passé communiste de la Chine n’a
rien d’exceptionnel. Il en convient d’ailleurs avec modestie dans l’interview qu’il a accordée pour le livret du
7
Festival de Cannes (Opus cit. plus haut). Ce qui compte pour lui, c’est l’angle d’attaque. Il a choisi de montrer
les périples d’une famille chinoise de base, prise dans les tourmentes de l’histoire, avec un regard réaliste, voir
parfois minimaliste, mais sans pour autant tomber dans l’aspect documentaire de Qiu Ju, une femme
chinoise. Il dit clairement qu’il ne veut pas faire de politique, mais malgré tout il précise qu’à cette époque (la
Révolution culturelle, notamment), dont il se souvient bien: « La politique était dans notre sang, dans chaque
pore de notre peau. […] Les gens voulaient vivre heureux, sans se mêler de politique, mais c’était impossible
d’y échapper. Comme le disait Mao : la politique touche l’âme de chacun. » Enfin, il ne veut pas faire de son
film un film engagé : « je ne m’exprime pas en tant que victime, je ne maudis personne. On a déjà trop vu ça
au cinéma. J’essaye de dire les choses de façon plus subtile, plus indirecte. » Pour cela, il a utilisé l’humour
noir et le sens de l’absurde, comme dans la séquence de l’accouchement de Fengxia. Mais ce choix de
mélanger différents registres n’a pas convaincu les autorités chinoises de l’innocuité de ce film et Zhang
Yimou n’a pu se rendre à Cannes pour recevoir son prix et Vivre ! est interdit de diffusion en Chine… Il n’est
donc pas encore facile pour la Chine d’aujourd’hui de regarder librement la Chine d’hier, surtout quand ce
jour d’avant est un peu trop proche de l’ici et maintenant…
3/ Le cinéma chinois
Dans l'imaginaire collectif, le cinéma chinois est lié aux films de karaté, à Hong Kong, ou bien aux cinéastes
des années 1990 et 2000. Or la production ancienne est très riche. A Shangai dans les années 30 régnait une
grande liberté. La ville comptait 4 majors et beaucoup d'autres studios. Ça allait avec le boom économique,
l'euphorie d'une ville moderne et ouverte sur le monde. Mais l'histoire de la Chine a considérablement
contribué à opacifier son patrimoine cinématographique continental.
C’est un cinéma complexe du fait de la géographie politique du pays. En effet, l’histoire de la Chine est aussi
le reflet de l’étendue de son territoire (près de 9 600 000 km2 !!!). On distingue donc trois catégories : le
cinéma de la Chine continentale, le cinéma taïwanais, et le cinéma hong-kongais. C’est autour de la ville de
Shanghai, au début du XXème siècle qu’est apparu le cinéma chinois, inspiré de l’opéra.
La Seconde Guerre mondiale, puis la guerre civile, ont entraîné la fuite d’artistes chinois continentaux vers
Hong Kong et Taïwan. Le cinéma de la Chine continentale est alors marqué par le modèle soviétique et la
propagande d’état.
Au moment de la Révolution Culturelle, la production est quasi à l’arrêt. Hong Kong devient alors un lieu de
création et de production cinématographique chinoise, sous l’impulsion des Shaw Brothers et des artistes
émigrés chinois. Il s’agit principalement de films d’arts martiaux ; la diaspora chinoise, et même le public
occidental, en sont friands. On pense bien évidemment à Bruce Lee, au début des années 70.
À la mort de Mao, tous les cinémas chinois connaissent un nouvel essor. Les années 80, puis 90, voient se
révéler de grands réalisateurs hong-kongais tels que Tsui Hark, John Woo, Wong Kar-Wai (In The Mood for
Love, 2000).
La 5ème génération de cinéastes émerge : Zhang Yimou (Epouses et concubines, 1991 ; Qiu Jun une femme
chinoise, 1992 ; Vivre ! 1994) Chen Kaige (Adieu ma concubine, 1993, palme d’or à Cannes) en Chine
continentale. Edward Yang (Yi Yi, 2000) et Hou Hsiao Hsien (Millénium Mambo, 2001 ; Three times, 2005)
sont les chefs de file de la nouvelle vague taïwanaise.
Depuis la fin des années 90 et la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, les liens entre les trois
cinémas en langue chinoise se sont développés. Tigre et Dragon (2000) de Ang Lee est une super production
qui rassemble des acteurs taïwanais, mais aussi chinois et hong-kongais. Zhang Yimou a réalisé dans le même
genre Hero (2002) et Le secret des poignards volants (2004).
On appelle « 6ème génération » le cinéma apparu après les évènements de Tian'anmen en 1989. Ces films sont
tournés dans la clandestinité, en ville, avec peu de moyens. Ils ont pour sujets les problèmes de société de la
Chine actuelle (chômage, prostitution, individualisme, entre autres…). On peut citer comme réalisateurs
Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle, 2001) et Jia Zhangke (Platform, 2000 ; The World, 2004 ; Still Life,
2006). Dans leur sillage, une vague de réalisateurs s'est affirmée, surfant sur l'ère du numérique, la génération
DV. Le cinéma a entrepris de rendre compte de l'effondrement des modes de vie, des espaces urbains, et des
relations sociales sous le coup des changements économiques. Beaucoup de documentaires, de docu-fictions.
Tout le cinéma du monde est accessible en DVD pirates vendus à la sauvette dans les rues de Pékin, car la
censure est toujours bien présente, mais la dynamique actuelle, la soif de culture, ont une vitalité
extraordinaire. Jia Zhangke dit que « la plupart des jeunes réalisateurs apprécient la technique numérique
parce qu'elle n'est pas chère mais aussi parce qu'elle est très proche de leur mode de vie, du message qu'ils
veulent faire passer, de leurs personnages, de leur rapport à l'espace ».
8
Actuellement…
Depuis 1999, le cinéma étranger (c'est-à-dire essentiellement hollywoodien) a étendu sa présence sur les
écrans et dans les esprits chinois. N'oublions pas que pendant longtemps l'importation de films étrangers était
complètement interdite par l'Etat. Parallèlement, on a vu éclore un nouveau cinéma lié à la technologie
numérique (DV) qui a permis à beaucoup de réalisateurs chinois d'exprimer d'autres images et d'autres sons,
révélateurs d'un monde différent.
Si bien que la critique occidentale a tendance à taxer d’académistes et de films de propagande les œuvres des
réalisateurs connus de la 5ème génération, tels que Zhang Yimou. On remarque un renouveau des films qui
visent à magnifier le passé glorieux de la Chine impériale, comme par exemple la superproduction dirigée par
John Woo en 2008 Les Trois Royaumes, sur l’histoire ancienne de la bataille de la Falaise Rouge, film qui a
fait un énorme succès au box-office chinois juste avant les J.O de Pékin.
À l’inverse, la critique s’intéresse de près aux films de la 6ème génération qui ont un grand succès dans les
festivals occidentaux, mais hélas ne sont pas diffusés en Chine.
Nuit d’ivresse printanière, le film de Lu Ye qui a obtenu la palme du meilleur scénario au Festival de Cannes
2009, ne sera jamais distribué sur les écrans chinois. Son réalisateur est en effet interdit de réalisation pendant
5 ans au titre de son précédent film Une jeunesse chinoise qui traitait d’amour… et des évènements de
Tian'anmen.
Les deux derniers films de Ang Lee, Lust, Caution, en 2007 (sur la délicate question de l’occupation
chinoise) et Le Secret de Brokeback Mountain, en 2005 (sur l’homosexualité) ont été interdits en Chine.
Du côté de la transmission du patrimoine...
Les autorités chinoises sont très réservées sur la Révolution culturelle, mais ce n'est pas la seule période qui
pose problème. Si les communistes n'avaient pas mis toute la production au pas, on aurait eu une
cinématographie importante, riche et variée. A la place de cela, l'histoire du cinéma chinois s'est divisée en
deux : ceux qui sont partis à Hong Kong pour y travailler dans des conditions pas toujours favorables; ceux
qui ont cru qu'il était possible de pactiser avec le pouvoir, comme le réalisateur Sun Yu (qui a réalisé des
films magnifiques, comme Une Rose sauvage, ou L'Aube, en 1932). Outre l'attitude du pouvoir, le travail
patrimonial est pratiquement nul parce qu'il manque de passeurs en Chine. L'histoire du cinéma en Chine reste
un chantier dur à réaliser. C'est peut-être à travers les nouvelles créations, à la frontière entre documentaire et
fiction, que s'exprime la vraie réflexion artistique sur la Chine.
Fabienne Helbig et Virginie Courrèges, op.cit.
4/ Le contexte historique
a) Une « révolution dans la révolution », la Révolution culturelle
La Révolution culturelle en Chine s’étend entre 1966 et 1976, avec le décès du Président Mao Zedong. Plus
qu’une révolution au sens où nous l’entendons, il s’agit d’un mouvement qui s’inscrit dans un contexte
politique et idéologique tendu, une lutte interne entre dirigeants du parti communiste chinois. Il s’agit en
réalité d’une lutte féroce pour le pouvoir ; Mao vise à diriger seul, à éliminer les oppositions, surtout au sein
du parti. Cela implique en quelque sorte la destruction du parti lui-même. Dans ce cadre, Mao cherche à
s’entourer de ses proches plutôt que des cadres du parti qui sont considérés comme une menace. Pour Mao,
ces cadres incarnent, à l’image des parents des protagonistes, la nouvelle bourgeoisie d’état qui est corrompue.
Ainsi Mao renonce à donner à la Chine des structures démocratiques et populaires.
Des purges, à la manière de Staline, ont été organisées par Mao après l’échec du Grand Bond en avant entre
1958 et 1960, pour se débarrasser de la « vermine », notamment dans les hautes sphères intellectuelles et
politiques. Entre 1962 et 1965, il y a stabilisation du régime mais la division règne chez les dirigeants. A cette
époque, la population chinoise souffre de la faim, et dès 1958, Mao est considéré par les cadres du parti
comme le responsable de l’échec. C’est ainsi qu’il devient président du parti, ce qui est essentiellement un
poste honorifique. Cet échec a d'autres conséquences puisqu'il faut infléchir vers la droite la politique pour
pouvoir relancer l'économie. Dès 1962 les résultats sont probants, mais dans le même temps est mis en place
un système un mouvement d'éducation socialiste à l'initiative de Mao pour contrer la dérive droitière. Ce
mouvement est modéré jusqu'en 1964 puis se durçit; l'épuration touche un million de cadres, soit 4% du total
des travailleurs de l'époque. A partir de 1964, Mao va détourner le mouvement contre ses collègues et la
direction centrale.
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Les motivations de Mao sont très humaines et surtout motivées par la rancoeur contre les intellectuels qui
sont accusés d'avoir abandonné la révolution. Pour J.L Domenach, spécialiste des années Mao, la Révolution
culturelle est une tentative pour un leader vieillissant de reprendre le pouvoir absolu. L'objectif est aussi
idéologique, tel un nouveau départ pour les communistes, une étape pour se débarrasser des dirigeants du
parti. En janvier 1965, Mao édicte les 23 articles de base de la République communiste. Il y évoque le fait
que le parti est gangrené, qu'il est donc nécessaire de l'épurer, par la violence si cela s'avère nécessaire, et
enfin que le mouvement soit mené par les masses. La dimension culturelle n'est pourtant qu'un prétexte. Pour
Mao, la culture est monopolisée par les intellectuels révisionnistes qui sont opposés à l'idéal socialiste. Ces
derniers sont accusés d'endormir les masses pour préparer le retour du capitalisme. De l'automne 1965 à
l'automne 1966, les milieux littéraires de Pékin sont touchés ainsi que leurs protecteurs politiques. Le
mouvement s'étend ensuite à la société entière et à tous les échelons du parti.
En juin 1966, les violences touchent les collèges et les universités, elles visent essentiellement les
professeurs, symbole d'une science bourgeoise. Entre juin et juillet, des millions de Gardes-rouges prennent le
pouvoir dans les villes. C'est la terreur qui culmine avec les Gardes-rouges qui sont des collégiens et des
étudiants; ils s'en prennent aux représentants de l'ordre bourgeois, prennent possession des villes. Ces Gardes,
soutenus et encadrés par l'armée sont aussi envoyés dans les provinces pour inciter les masses à se rebeller.
Mao invite les « masses révolutionnaires » à « bombarder les états-majors » et « à arracher le pouvoir aux
cadres pourris du parti ». Cette nouvelle campagne, beaucoup plus violente, multiplie les appels au meurtre et
enflamme toutes les grandes villes. Les vétérans, autrefois considérés comme des héros révolutionnaires, sont
envoyés en prison et condamnés à mort, mais tous les responsables, à tous niveaux, sont susceptibles d'être
pris à partie et de devoir faire leur « autocritique ». A Pékin, le Comité central cesse pratiquement d'exister.
Mao et le « Groupe de la Révolution culturelle » en ont pris la direction, éliminant leurs adversaires
politiques. A partir du 18 août 1966, Mao devient le chef suprême.
Les années 66-67 sont marquées par des affrontements fréquents, des divisions, entre les groupes
révolutionnaires qui soit attaquent l'appareil local du parti, soit le protègent. Ce climat général d'anarchie et de
violence plonge la Chine dans la guerre civile. La Révolution culturelle est hors de contrôle. Mao a alors deux
solutions : abandonner le pays, ou appuyer les « garde-fous », l'armée et l'appareil d'état. Au printemps 68, les
activistes font cette fois l'objet d'une terrible répression, qui conduit à la disparition des Gardes Rouges et des
rebelles révolutionnaires. Les jeunes doivent aller à la campagne pour parfaire leur formation auprès des
paysans, quelque vingt millions vont aller apprendre le communisme dans ces conditions. La fin des Gardes
Rouges confirme le contrôle de Mao. C'est la fin de la Révolution culturelle, mais en réalité elle imprégnera
encore la vie sociale et politique jusqu'en 1976 avec la mort de Mao. Ses successeurs, revenus de
« rééducation » opteront alors pour une politique plus libérale.
Petit rappel...
Mao a proclamé la création d'un état communiste le 1er octobre 1949 : la République Populaire de
Chine. L'année suivante, le pays est intégré au bloc socialiste en train de se constituer sous l'égide de l'Union
soviétique. Le pouvoir se caractérise par une double structure : le Parti d'un côté, le Gouvernement de l'autre.
Dans les faits, c'est le Parti qui dirige véritablement le pays. L'un des objectifs de Mao est de priver les
réactionnaires (les bourgeois et les intellectuels) de tous droits et de les soumettre à ce qu'il appelle la
« dictature du peuple ». Le président n'a aucun mal à s'attirer la sympathie du peuple, en faveur duquel il
prend plusieurs mesures : la Loi agraire (confiscation des terres et du matériel aux propriétaires fonciers - qui
sont souvent déportés ou exécutés), les terres saisies sont redistribuées de façon équitable entre tous les
paysans. La nationalisation des entreprises, après affectation des bourgeois d'affaires à la gestion de leurs
entreprises qui appartiennent désormais à l'État. Au départ, les intellectuels et les scientifiques se rallient en
masse au programme de reconstruction nationale. Dès 1952, le Parti contrôle tous les moyens d'expression de
l'opinion comme la presse ou les éditions; il encadre l'activité littéraire et artistique, et a établi sa mainmise sur
tout le système éducatif. Soumis à un tel endoctrinement, les intellectuels ne tardent pas à réagir contre le
régime.
La collectivisation agraire remplace la loi agraire : les paysans doivent mettre en commun leurs outils
et leur force de travail. L'équipement, le cheptel et les terres deviennent des biens collectifs. Des coopératives
de production agricoles sont fondées.
Les effets de cette nouvelle politique conduisent à une grave crise alimentaire, une diminution du
financement de l'industrie et donc à un ralentissement de l'expansion. Si bien que le chômage commence à se
multiplier.
D'après l'étude d'Aude Plaquette, Ellipses, 2008.
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b) Grande et petite histoire : « La grande Guerre de Libération »
Le début du film : l'histoire hors-champ.
Comme déjà observé, Fugui et sa famille vivent la grande révolution chinoise comme Fabrice à Waterloo, à
hauteur d'homme, sans que jamais ne nous en soit donné la vision d'ensemble. Mais l'histoire, la « grande
histoire », est là, et bien là, omnipotente, omniprésente, même -et surtout ! - quand elle ne se montre pas, qui
impacte en permanence la vie du couple Fugui- Jianshen.
Dés le début, s'affiche la volonté du réalisateur de ne pas transiger avec ses personnages, de ne pas les réduire
à un simple procédé fictionnel destiné à raconter la « grande histoire » de la « glorieuse » révolution chinoise
au travers d'une série de destins individuels, selon un procédé classique des films dits « historiques » où la
narration n'est que prétexte à démonstration plus ou moins didactique - on peut à ce sujet penser au « modèle »
de La Marseillaise, de Jean Renoir. Une vague indication chronologique - « les années 40 » - aucune
notation, ni dans les images ou les dialogues, qui pourrait nous donner la moindre indication sur les
évènements qui secouent alors la Chine : les années quarante, cela pourrait être tout aussi bien la guerre contre
le Japon que la guerre civile. Non que la révolution chinoise et ses soubresauts ne soient pas le sujet du film –
la suite le montrera - mais il s'agit bien de renverser d'emblée la perspective, de nous installer dans un récit qui
(re)met l'humain, à sa place, c'est-à-dire dans l'histoire, certes au centre mais immergé en elle au point qu'il en
perd toute vue d'ensemble, toute possibilité de compréhension réelle : vivre, en quelque-sorte, et donc
survivre, et l'homme spectateur-acteur d'un théâtre d'ombres... « Ni des victimes, ni des entités historiques,
mais des héros anonymes, des témoins... »1. On retrouve-là la thématique obsessionnelle de Zhang Yimou,
celle d'une destinée humaine – d'une « condition humaine » ! - produit des aléas d'une histoire qui la dépasse
et la modèle, la malaxe et la broie, mais aussi lui confère tout son sens ; des individus ballottés par une histoire
chaotique, sans déterminisme ni rationalité apparente, et qui ne leur laisse, pour se définir, qu'un ultime
refuge, la cellule familiale, infrangible noyau de la société chinoise.
Mais de cette « grande histoire », omniprésente pourtant, le film ne nous dit rien, sinon de façon allégorique :
exemple, le déferlement de la marée rouge de l'armée populaire du haut de ses collines sur le camp
nationaliste réduit à un dépotoir de matériel et de cadavres, les troupes de Jiang Jieshi s'étant littéralement
évaporées, dissoutes dans le néant, laissant Fugui et ses deux compagnons d'infortune, à la fois Fabrice del
Dongo et « brave soldat Chvéîk », totalement désemparés. Au début du film – et nous pourrions dire la même
chose des séquences de l'enrôlement forcé de Fugui et de son équipe par des troupes qui pourraient être celles
de n'importe quel « seigneur de la guerre » -, nous pourrions être aussi bien dans les années 20-30 qu'au début
du siècle : Chine « éternelle » des mandarins et des maisons de jeu, des pousse-pousse et des chinois à nattes.
Immuable société chinoise, alors que la révolution de 1912 a maintenant plus de trente ans, une génération,
telle que la découvraient les occidentaux lors des guerres de l'opium ou de la révolte des Boxers : la Chine du
Jules Verne des Tribulations d'un Chinois en Chine, celle de Hergé (Tintin et le lotus bleu se déroule au début
des années 30, dans une Chine toujours sous tutelle britannique). La « révolution » ? Quelle révolution, nous
dit Zhang Yimou, du moins avant Mao ? Pour Fugui et sa caste comme pour la grande majorité des masses
populaires – le serviteur « porteur » d'homme, le petit peuple misérable des villes dans lequel plonge Fugui
après sa déchéance, son « déclassement » - rien n'a bougé. Le film de Zhang Yimou, en ses débuts, met en
images la phrase de Lu Xun, l'un des fondateurs de la littérature chinoise contemporaine, « En apparence tout
avait changé, mais sous la surface tout continuait comme avant »... tout en la renversant par la même
occasion : l'apparence, c'est l'immuable, mais sous la surface, mise hors-champ, l'histoire bouillonne.
Car le temps de Zhang Yimou, ce n'est pas le temps de l'histoire, mais le temps des personnages, de leur
histoire, pour qui mois, années, jours et heures n'ont de réalité que comme mesure de leur vie quotidienne, et
non comme ces indispensables balises sans lesquelles l'historien serait bien en peine de saisir le flux de la
grande marche de l'Histoire. L'histoire de Zhang Yimou est une histoire conjoncturelle, aléatoire, comme est
aléatoire ce même destin individuel – et quoi de plus éclairant, à ce sujet, que la prise de conscience de Fugui
d'avoir eu beaucoup de chance de s'être ruiné au jeu, que le perdant, au « grand jeu » de l'Histoire qui distribue
les dés, c'est bel et bien Long'er, fusillé par les Communistes ?
Les années 40 évoquées, ce sont dans les faits plutôt les dernières années de la décennie : la guerre civile fait
rage dans les provinces du nord mais il ne faudra pas compter sur les personnages ni sur le réalisateur pour
nous en informer. S'ils n'en disent mot, c'est que l'indifférence les détermine. La guerre est loin. En 19461948, lorsque reprend la lutte entre Communistes et Nationalistes, personne dans les classes dirigeantes –
comme à l'étranger, d'ailleurs – n'aurait misé un Yuan sur une victoire des troupes de Mao. Fugi et Long'er ne
1
– « Objectif Cinéma », www. objectif-cinéma.com/analyses.
11
se préoccupent apparemment guère des événements : la révolution est au-delà de leur champ de conscience.
Peuvent-ils même soupçonner que, dans ce lointain affrontement – un de plus – de paysans et de seigneurs de
la guerre, ce seront les Rouges qui imposeront leur loi ? En mettant ainsi l'histoire hors-champ, le réalisateur
cherche évidemment à dépeindre l'état d'esprit d'une caste privilégiée, insouciante et inconsciente de la
tempête qui se lève. Pour elle le monde est immuable, intemporel, hors du temps, l'Histoire glisse dessus sans
l'entamer – croient-ils. Leur problème n’est pas la révolution, mais le déclassement, la face que l'on perd, la
plongée dans les bas-fonds populaires pour l'un, l'accession tant désirée à la classe des propriétaires pour
l'autre. Comportements dérisoires, alors que pour eux, la maison brûle déjà.
Avec la séquence de la baïonnette fendant l'écran de la « Chine éternelle » – symbolisée par le théâtre
d'ombre, mais celui-ci peut tout aussi bien symboliser le cinéma ! - c'est bien l'Histoire qui fait irruption dans
les destins individuels ! C'est bien ce qui avait été mis hors-champ qui crève littéralement l'écran ! Pour les
acteurs du théâtre d'ombre le drap faisait écran à l'histoire en marche, comme pour nous, spectateurs, trop
rivés à la surface de l'écran de cinéma pour deviner, derrière le jeu des acteurs - puisque le réalisateur nous l'a
refusé- la marche de l'histoire. À partir de là, Zhang Yimou n'aura plus de raison de nous refuser l'accès aux
données évènementielles ; au contraire, il le fera de façon carrément explicite – les cartons. Façon de nous
signifier que l'histoire de la Chine commence vraiment avec la révolution de 1949... Devenus membres à part
entière du Peuple, Fugui et sa famille ne peuvent plus ignorer – ou faire semblant d'ignorer- ce qui se déroule
autour d'eux, ils sont même sommés de s'y intéresser, ce qui ne veut pas dire qu'ils y comprennent plus
quelque chose...
Ainsi, jusqu'à ce que la baïonnette nous ramène brutalement au réel, de ce contexte historique nous ne savons
rien : totalement dissimulé, en embuscade, dans le hors-champ du récit, il attend son heure. Bien après, nous
réaliserons que c'est lorsque le cinéaste nous en a le moins parlé – c'est à dire pas du tout ! - qu'il a sans doute
le plus pesé sur le destin des personnages, que toute la suite n'est que l'aboutissement inéluctable de ce qui
s'est joué à ce moment-là – et Long'er l'apprend à ses dépens, au point que Fugui en fait littéralement « dans sa
culotte » de peur rétrospective... Ainsi va l'histoire des individus, lorsque leur histoire se télescope avec
l'Histoire.
La grande histoire : la guerre civile et la victoire de Mao (1946-1949) :
Pour comprendre, donc, ce qui se joue à ces premiers moments du film, il faut en revenir à la grande histoire,
et rappeler les circonstances de la victoire de Mao (voir en annexe la chronologie).
L'impossible réconciliation :
L'alliance de circonstance qui a uni contre l'envahisseur japonais les ennemis de la veille, les Nationalistes du
généralissime Jiang Jieshi (Tchang Kaî-chek) et les Communistes de Mao Zedong, ne résiste pas à la
capitulation nippone.
Déjà, la lutte contre le Japon n'avait pas été menée conjointement, mais chacun selon sa propre stratégie et
chacun de son côté – Mao depuis Yan'an et ses bastions rouges du Shanxi, Jiang depuis sa capitale provisoire
de Chongqing dans le Sichuan. Certes, officiellement, les Communistes font partie des forces
gouvernementales, mais tout le monde sait bien – à Chongqing comme à Washington – que le sort de la Chine
se jouera après, entre PCC et Guomindang. Chacun se prépare à sa façon au règlement de compte final : par
un attentisme économe pour les nationalistes ; les Communistes, par une résistance et une guérilla peu
spectaculaire en terme de résultats mais qui leur permet de développer leur capacité à s'infiltrer et de gagner
l'appui des paysans. De plus, ils se dotent d'un outil efficace, tant contre les Japonais que dans la perspective
de la conquête du pouvoir : au côté d'une armée populaire bien organisée, sur le modèle de l'Armée Rouge,
combattent partisans et milices. En parallèle, le Parti forme de nombreux cadres au sein de l'Université antijaponaise de Ya'nan. Côté nationaliste, on hésite à engager à fond ses forces dans la bataille, au grand dam des
Américains, on préfère attendre la défaite des Japonais dans le Pacifique et la fin de la guerre mondiale : en fin
de compte, pour les chefs nationalistes, il sera alors temps de passer aux choses sérieuses !
La reprise de l'affrontement (1946) :
En 44/45, alors que la volonté de résistance ne cesse de s'étendre dans le pays, l'attentisme de Jiang
n’entretient guère le moral de ses troupes, en comparaison avec l'énergie combattante des communistes.
L’audience du Guomindang dans la population n’en est pas renforcée, d’autant qu’il est miné par la
corruption- le Généralissime est bien obligé de le reconnaître.
La reddition japonaise d'août 1945 surprend les uns comme les autres. La reprise de l'affrontement des « frères
ennemis » est dès lors inévitable. Mais personne, au sein des élites traditionnelles et des classes dirigeantes,
12
n'imagine autre chose qu'une victoire du Guomindang sur ceux qui sont redevenus « les ennemis de
l’intérieur » et un « retour à la normale » dont le film, dans ses premières séquences, se fait l'écho. Bien que le
PCC ait, en 5 ans, plus que décuplé ses forces – il peut compter sur plus d'1200 000 adhérents auxquels
s'ajoutent les millions de sympathisants gagnés chez les paysans, les ouvriers et les intellectuels -, le rapport
de forces est en apparence disproportionné : 4 300 000 hommes bien armés du côté des Nationalistes, 1 200
000 côté communiste, souvent équipé de matériel récupéré chez les Japonais. Les forces « blanches »
contrôlent 45 % du territoire chinois et les 2/3 de la population, dont la quasi-totalité des citadins, elles sont
maîtres des villes et des grands axes de communication, elles disposent du soutien militaire, matériel et
financier des USA. Les observateurs sont persuadés que Jiang n'aura aucune difficulté à écraser les forces
maoistes assiégées dans leurs bastions rouges. D'autant que, de son côté, Staline ne montre pas un zèle
excessif dans son soutien au « petit frère » chinois. Méfiant, il préfère s'entendre avec Jiang, au point
d'accepter, en 45/46, de retarder le retrait de ses troupes des villes de Mandchourie jusqu'à ce que les forces du
Guomintang soient en situation d'en prendre la relève !
Une négociation de la dernière chance a bien lieu dès 1945 entre les deux chefs, mais elle se solde par un
échec. Elle permet cependant à Mao de gagner du temps et de réorganiser ses forces de façon à transformer
son armée de « guerilleros » en unités conventionnelles, le noyau de la future « Armée populaire de
libération » - elle ne prendra ce nom qu'en 1948.
L'offensive communiste :
Les premières opérations semblent dans un premier temps confirmer les prédictions. En mars 1947, Ya'nan
tombe même aux mains des Blancs et on peut se croire ramené en 1933-1934, avec, cette fois, aucun refuge
possible pour Mao, aucune nouvelle « Longue Marche » pour sauver ce qui peut l'être. Succès trompeur :
Mao et ses généraux – Zhu De est le plus prestigieux, mais aussi Lin Biao, Deng Xiaoping -, développent une
« stratégie globale cohérente », n'hésitant pas à abandonner leurs sanctuaires – dont Ya'nan n'est pas le
moindre ! - pour mieux se regrouper, en particulier en Mandchourie occupée par les Soviétiques, et exploiter
la principale faiblesse de l'ennemi : la dispersion de ses forces ; dispersion de surcroît accrue par les rivalités
féroces au sein d'un commandement nationaliste plus enclin à se préoccuper de la conquête de territoires que
de la destruction des forces Rouges. La loyauté et l'obéissance dues en principe au commandant en chef, en
l'occurrence l'impérieux généralissime Jiang Jieshi, ne font pas précisément partie des qualités premières de
généraux nationalistes qui se rêvent toujours en « seigneurs de la guerre »...
L'armée rouge a beau jeu de contre-attaquer. Les erreurs commises, la dispersion et la division, l'ineptie du
commandement et l'absence de combativité – d'autant que la fracture est flagrante entre une troupe déjà peu
motivée, composée d'hommes du peuple souvent raflés dans les campagnes tel Fugui et ses amis, et la caste
hautaine des officiers – contrastent avec l'unité des communistes, leur connaissance du terrain, leur esprit
combatif déjà bien rodé contre les Japonais, leur encadrement idéologique aussi – les commissaires politiques
chinois ne sont pas moins efficaces et compétents que leurs modèles soviétiques de 1918 ou 1941. Refusant de
lutter contre la corruption qui mine son parti et son armée, enferré dans les équilibres politiques précaires qui
paralysent le Guomintang, Jiang néglige l'action sociale et les besoins élémentaires de la population. Résultat,
en 1947, une vague de manifestations étudiantes et de grèves ouvrières massives secouent les grandes villes,
immédiatement violemment réprimées. Disettes, voire famines, maladies, lassitude de la guerre : les villes,
jusque là foyers de résistance au communisme, basculent dans l'hostilité au camp nationaliste bien avant la
victoire de Mao. À l'inverse, le PCC joue dès 1947 la carte de la réforme agraire dans toutes les zones qu'il
contrôle ou dont il s'empare : les grands propriétaires terriens, base du soutien socio-politique du Guomintang
dans les campagnes – ils n'y résident la plupart du temps pas par ailleurs – sont expropriés, les terres
distribuées au paysans – et non pas collectivisées, du moins pour l'instant. Parallèlement, le pragmatique
Staline comprend vite qu'il vaut mieux ne pas trop miser sur Jiang et faire preuve d'un peu plus de bonne
volonté dans son aide aux communistes chinois – même si son soutien reste « distant »...
Le triomphe de la stratégie maoiste :
Minées par les désertions, les troupes du Guomintang fondent comme neige au soleil, des unités entières
passent avec armes et bagages dans le camp d'en face – d'autant que les Rouges ont l'habileté, tel que c'est
indiqué dans le film, de ne pas enrôler de force leurs prisonniers mais de les renvoyer chez eux s'ils n'ont pas
la volonté de combattre, alors que chez l'adversaire les exécutions sommaires et les exactions sont la règle. Il
est évident que le troupier « libéré » ainsi par l'armée populaire ne va pas se risquer à prendre la route de son
village, souvent situé loin dans le Sud, sous peine de se faire récupérer derechef par un quelconque seigneur
de la guerre Blanc et se retrouver illico à la case départ... Autant rester dans l'Armée populaire, d'autant qu'au
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fil des mois celle-ci voit se préciser ses chances de victoire. Tel s'explique sans doute le choix de Fugui.
L'APL y récupère par la même occasion un arsenal flambant neuf, n'ayant souvent même pas servi et tout
juste sortis des arsenaux nord-américains... C'est ce qu'illustre à merveille, et avec une exactitude quasidocumentaire bien que admirablement stylisée, la séquence de Vivre ! où l'on voit la houle rouge descendre
des collines telle une marée de fourmis sur le camp nationaliste abandonné : une série de plans presque
surréels, avec l'alignement comme à la parade de rutilants canons bien inutiles défendant une jonchée de
cadavres figés par le froid. Et l'ahurissement de Fugui et de son compagnon exprime sans doute parfaitement
ce qu'ont pu ressentir nombre « d'observateurs » devant l'incroyable effondrement d'une armée blanche
surarmée - à commencer par ses protecteurs américains !
Déboulant en 1948 de Mandchourie et des plaines centrales du Shanxi, les troupes de Lin Biao et de Liu
Bocheng détruisent les forces Blanches. En Janvier 1949, à la stupéfaction du monde entier, Beijing tombe ;
en avril, le Yangzi est franchi, Nankin tombe, puis Canton en novembre ; en moins d'un an l'ensemble du
territoire est passé sous contrôle des communistes : c'est la Longue Marche à l'envers, mais triomphale cette
fois !
Balayés, déchirés par les rivalités internes, abandonnés par des populations partagées entre soulagement et
résignation, les Nationalistes se réfugient dans un premier temps à Guangzhou (Canton) puis dans leur
« bastion » de Chongqing, qu'il leur faut pourtant abandonner pour se réfugier dans l'île de Taïwan (Formose),
accompagnés de 500 000 soldats rescapés et de l'exode de 1 600 000 civils.
L'acte de naissance de la Chine moderne :
Ainsi s'achève une guerre civile de plus de vingt ans, la dernière que connaîtra une Chine qui, depuis deux
millénaires, n'était pas resté en paix plus d'une génération – mais pas son dernier drame. Le bilan est difficile
à évaluer - surtout faute de recensement fiable de la population avant 1949 : 3 millions de morts au moins
pour la période 1945-1949, essentiellement des civils, qui s'ajoutent au 5 millions de la période 1928-1937 et
aux 10 millions de la 2ème guerre mondiale (1937-1947). Estimations médianes, qui ne disent rien par ailleurs
des coûts humains indirects, « gueules cassées », veuves et orphelins, baisse de la natalité et de l'espérence de
vie, surmortalité due aux disettes et à la maladie... Pourtant, précise le magazine « Guerres & Histoire » d'où
nous tirons ces chiffres, « ces chiffres impressionants ne sont toutefois pas les plus importants dans une guerre
chinoise. Au XIXème siècle, la rébellion Taïping (1854-1864) aurait ainsi provoqué entre 20 et 30 millions de
morts... ».
Le 1er octobre 1949, sur le balcon de la place Tian'anmên, Mao proclame la République populaire de Chine
dont il devient le « président du gouvernement central ». Un fils de paysan prend la tête de l'état le plus peuplé
de la planète et promet des « lendemains qui chantent ». La longue marche vers la Chine moderne ne fait que
commencer...
Sources : La Longue Marche vers la Chine moderne, Claude Hudelot, Découvertes Gallimard, 1986.
Le réveil du dragon, 1945-1979 : les guerres de la Chine rouge, Guerres et Histoire, article de Benoist
avril 2013, Science & Vie éd.
Bihan,
p.38-41,
5/ Pistes d'exploitation pédagogique
(Extraits du dossier de Virginie Courrège et Fabienne Helbig, chapitre « deux films pour un thème »).
a) Les protagonistes et les lieux
Les personnages masculins
« Fugui, que l’on suit sur quarante ans de sa vie, est présenté d’abord comme un jeune homme
désabusé et gâté par la vie d’opulence et d’ennui de l’enfant riche. Ayant perdu toute la fortune familiale aux
dés et abandonné par sa femme, il va être obligé de changer radicalement d’attitude face à la vie. On passe
alors d’un jeune homme imbus de lui-même et peu respectueux des autres (voir la manière dont il parle à sa
femme et à son père), à un homme forcé de mûrir vite au contact des différents événements plus ou moins
tragiques qui vont façonner sa vie. Il devient donc respectueux, à la limite de l’obséquiosité avec ceux qui lui
semblent supérieurs à lui, comme avec Long’er quand il vient lui demander de l’argent, il se met à épauler sa
femme et à la voir comme la chance de sa vie et il fait face avec courage et simplicité aux aléas de
l’existence… Il n’y a aucune révolte chez ce personnage, juste un peu lorsqu’il apprend que c’est son ancien
compagnon de guerre Chunsheng qui a tué son fils Youquin. Il prend sa part de responsabilité dans ce qui lui
14
arrive et va même jusqu’à s’accuser de tous les maux de sa famille : ainsi c’est de sa faute si Youquin est
mort, car il avait insisté pour qu’il aille à l’école poursuivre l’effort pour produire l’acier, alors que l’enfant
était épuisé ; et c’est aussi de sa faute si sa fille est morte car c’est lui qui avait donné trop de petits pains à
l’obstétricien et trop d’eau, ce qui l’a rendu malade et l’a empêché de s’occuper de Fengxia… À aucun
moment, il n’incrimine le gouvernement de Mao et ses décisions politiques insensées, comme faire travailler
des enfants continuellement ou faire faire à de jeunes infirmières inexpérimentées le travail de spécialistes
alors jugés pour trahison… Zhang Yimou laisse au spectateur le soin de départager les responsabilités de
chacun, et l’on voit bien pourquoi le gouvernement chinois ne l’a pas laissé aller au Festival de Cannes pour
recevoir son prix… »
[...]
Fugui et Chunseng, une amitié broyée par l'histoire :
[...] « La guerre (forcée) aux côtés de l’armée nationaliste les a rapprochés, puis ils se sont retrouvés lors du
Grand bond en avant, mais dans des circonstances tragiques (mort de Youquin) qui les éloignent l’un de
l’autre, ce que confirmera la Révolution culturelle, des années plus tard, quand Chunsheng sera accusé de
capitalisme et de trahison, et que Fugui devra marquer encore plus ses distances avec son ancien
compagnon. »
Le chef de quartier, un petit chef « à visage humain » :
Le chef du quartier apparaît plutôt comme une figure positive. Il accompagne les héros dans leur
évolution et acquiert même une dimension sympathique, puisqu'à son tour victime du régime communiste. Il
incarne certes le contrôle social et permanent mis en place par le régime de Mao, mais un contrôle à visage
humain.
Les figures féminines
La figure principale : Jiazhen , « mère courage » :
Incarnée par une « star » mondialement reconnue du cinéma chinois, Gong Li, elle est de facto porteuse de
symboliques fortes : elle est l'Épouse, la Mère, le pivot de cette cellule familiale chinoise qui seule subsiste
lorsque tout à été anéanti ; l'épouse à la fois indomptable et fidèle ; mais surtout elle est mère-courage, ce
personnage qui fait effectivement irrésistiblement penser à l'héroïne de Brecht – référence qui n'est sûrement
pas anodine ! - et que Gong Li avait déjà superbement interpré dans « Qiu Ju, femme chinoise ».
Superbe épouse de Fugui, elle accompagne le héros tout au long des époques que traverse le film, soit une
trentaine d’années. Autant d’épisodes douloureux : la faillite, la guerre, le Grand Bond en avant, le drame de
la perte de leurs deux enfants. Jiazhen est un personnage à la fois fragile et d’une force incroyable. Sa décision
de quitter son mari et d’emporter sa fille avec elle pour dire sa désapprobation des agissements de Fugui
montre bien son autorité. Parée d’élégance et de détermination, elle quitte dignement le tripot à l’origine leur
faillite. On va ensuite la suivre dans son destin de Mère Courage. Elle pardonne au père de ses enfants ses
erreurs, et vit le collectivisme prôné par le régime communiste sans se plaindre. Jusqu’au jour où tout bascule,
où son fils, réquisitionné dès l’enfance pour travailler, meurt accidentellement. Si le personnage féminin
plonge dans la douleur de la perte et le ressentiment, elle n’en garde pas moins une force qui saura lui
permettre de jouer son rôle au sein de sa famille. Y compris après la mort de sa fille en couches…Elle sait
encore trouver le désir de vivre pour élever son petit-fils, transmettre des valeurs individuelles. Unique dans
son histoire d’amour et dans son destin de femme dans la Chine maoïste, elle défie les dérives du
communisme chinois. »
Les figures secondaires : des générations de femmes :
- la mère du héros, la grand-mère : Elle représente les traditions, les rites en matière
d’organisation familiale. Elle vivra avec ses enfants et ses petits-enfants qui s’occuperont d’elle
jusqu’à la fin de sa vie.
- la fille des protagonistes : Elle est une héroïne tragique. Muette depuis l’enfance, elle
ressemble à sa mère dans le sens où elle accepte la fatalité de sa vie. Néanmoins, elle semble
fragile et n’existera que protégée par ses parents, son petit frère, ou son époux par la suite.
C’est une libération pour Fengui et Jiazhen lorsqu’un homme accepte de l’épouser, même si le
mariage et le départ de la maison semblent être une déchirure pour la jeune fille. Mère à son
tour, elle meurt sans pouvoir exprimer sa douleur, en mettant au monde son fils.
- les femmes médecins : Elles représentent l’absurdité politique des décisions prises à la fin des
années 60. Les intellectuels, les scientifiques, ont été écartés du pouvoir. Purges, goulags,
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exécutions. La Chine s’est vue ainsi privée de savoir-faire fondamentaux. Le film montre le
résultat de l’absence d’expérience en même temps que le refus de la tradition, des anciens
qualifiés de « réactionnaires ». Les jeunes femmes médecins de l’hôpital sont des soldats de
Mao, directives et endoctrinées, mais totalement désemparées face à la complication médicale
de Fengxia. »
Les lieux
La campagne chinoise
« Vivre ! place principalement son intrigue dans la ville, aussi a-t-on un très petit aperçu des
campagnes.
Ce que l’on en voit, ce sont des plans larges, des décors de champ de bataille, les longs convois
militaires encadrés par l’armée nationaliste du Guomindang, filmés en plans d’ensemble.
Paysages désertiques, grandes plaines sèches, montagnes au loin. Canons, fusils, camions. C’est
l’hiver, rude, les soldats surveillent les manœuvres des hommes dans les tranchées.
Zhang Yimou utilise le paysage comme un espace hors contexte par rapport à l’ensemble du film, un
véritable hors-champ visuel, qui tire davantage du côté du décor de théâtre que de la reconstitution réaliste
d’un épisode historique. On voit surtout dans cet extérieur beaucoup d’hommes, ils envahissent l’espace,
saturent le cadre. L’horizon est totalement bouché par la machine de guerre. Cette séquence est marquée par
l’horreur des combats, le très grand nombre de blessés, des conditions climatiques éprouvantes (neige, très
basses températures). L’espace n’est que le prétexte à dire l’horreur et l’absurdité de la guerre. La séquence
s’achève sur l’assaut des communistes en arrière plan, et la fuite du héros et de son ami dans un paysage
hostile. Le décor est le prétexte à montrer la supériorité des communistes. Les seules images de la campagne
que l’on verra par la suite mettent en scène les personnages allant se recueillir sur les cendres de leurs deux
enfants. Il s’agit d’un simple décor naturel, au climat aride, qui renvoie à la rudesse des conditions de vie en
Chine. […]
La ville et le quartier
[Le film ne donne pas à voir] la ville chinoise telle qu’un occidental peut se l’imaginer, immense,
poussiéreuse et surtout grouillante de population à pied ou en vélo… On ne voit en effet que des bouts de
villes, et en plus ce sont des petites villes de province. Il y a quelques scènes de foule, comme [...] celle du
procès de Long’er [...], mais elle est fugace et filmée en plan large, ou en plan moyen, ce qui en réduit la
portée en tant que telle. La ville est plutôt symbolisée par des rues étroites, des constructions en pierres, par
opposition de celles en bois dans les villages de campagne. Il y règne une activité commerciale et de
propagande. [...]
[Les lieux] sont minéraux et fermés chez Zhang Yimou. Ce sont les éléments [...] terre (avec la pierre,
la poussière), le feu et le métal (cinquième élément dans la mythologie chinoise) qui sont présents dans Vivre !
[...]
Enfin, ce qui est intéressant à étudier dans ce cadre de la ville et du quartier, c’est l’usage de la rue,
aboutissant à la cour, comme un chemin rituel (...). Le plan, presque toujours le même, toujours moyen, les
éclairages (bleus pour la rue, beiges et gris pour la cour), l’irruption de l’extérieur dans ce qui est une
antichambre de l’intérieur, constitue une sorte d’invitation à la réflexion sur ce qui « nous » arrive, sur ce qui
advient, sur ce qui va entrer dans notre vie et peut-être la bouleverser… »
b) Analyse de séquence :
Théâtre d’ombres
! Petite histoire du théâtre d’ombres
Le théâtre d’ombres est un art populaire très ancien. On pense souvent que la Chine en est le berceau, mais les
historiens s’accordent pour dire que c’est plutôt en Inde qu’il aurait vu le jour, puis se serait répandu à la
faveur des grandes migrations au Proche Orient, notamment en Turquie. Il a d’abord servi à mettre en scène
des éléments religieux comme l’évocation de l’âme des morts, mais assez vite il s’est emparé de tous les
registres : épique, satirique, politique ou grivois…
En Chine, on raconte qu’il remonte à plus de 2000 ans et qu’il vient d’une ruse militaire : un chef de l’armée
Han, Liu Bang, se serait retrouvé assiégé par l’armée Chu. Son conseiller, Zhang Liang aurait eu alors l’idée
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d’ériger en haut des murailles des personnages de cuir pour décourager l’ennemi, ce qui eu lieu, puisque
l’armée Chu, croyant devoir faire face à une armée imposante, aurait sonné la retraite…
Cet art populaire a toujours connu un grand succès en Chine, surtout dans certaines provinces comme le
Shanxi, mais il s’est trouvé fortement mis à mal pendant la Révolution culturelle, comme le montre par
ailleurs très bien le film de Zhang Yimou : destruction des marionnettes, persécutions des artistes de ce théâtre
alors jugé réactionnaire car ancien et surtout ayant comme support des rois, des reines, des princes et des
princesses… Mais certains vieillards avaient gardé en mémoire le savoir-faire deux fois millénaire et ces
dernières années, l’étau culturel s’étant relâché un peu, on a pu constater un regain du théâtre d’ombres.
Cependant, il est véritablement menacé aujourd’hui par le décès de ceux qui en perpétuaient la mémoire et le
désintérêt inexorable que lui manifestent les jeunes générations happées par le cinéma et les nouvelles
technologies…
! Le théâtre d’ombre dans Vivre !
Choisir de s’attarder sur l’art du théâtre d’ombre tel qu’il est montré dans cet opus de Zhang Yimou n’est pas
sans intérêt, puisque c’est un rajout majeur du réalisateur par rapport au roman de Yu Hua. Dans le roman, en
effet, Fugui obtient de Long’er un peu de terre en fermage pour pouvoir redémarrer et non un théâtre
d’ombres. C’est une idée de son scénariste Lu Wei. Le réalisateur s’exprime sur ce choix dans le numéro de la
revue Positif qui lui est en partie consacrée (n°401-402, juillet-Août 1994) dans un entretien accordé à Hubert
Niogret : « En faisant du cinéma, j’ai toujours voulu qu’en plus de l’histoire elle-même, des éléments
apportent visuellement quelque chose de neuf, aident à faire fonctionner l’histoire. […] les ombres chinoises
dans Vivre !ont cette fonction. ». Il ajoute un peu plus loin : « Enfant, je suis allée voir des spectacles
d’ombres, et il m’est arrivé d’en acheter qui n’étaient pas chers pour faire des ombres simples. » Pour le
spectateur occidental, en plus de l’aspect « exotique » de cet art, la référence à un art qui se sert d’un écran et
de projecteurs de lumière ne peut pas ne pas faire mouche. Il y a une forme d’autoréférentialité à l’œuvre ici,
une sorte de réflexion de l’œuvre sur elle-même, de l’art sur lui-même. Ainsi, la baïonnette qui déchire l’écran
blanc est une image que l’on n’est pas prêt d’oublier…
Il y a plusieurs séquences où l’on retrouve le théâtre d’ombres, en tout 7 ; je n’ai choisi de m’attarder que sur
celle qui me semble la plus riche, notamment car c’est celle où il y a la fameuse scène de la baïonnette qui
fend l’écran. C’est la séquence n°9.
Pour la situer, Fugui vient d’obtenir de Long’er ce qui va lui permettre de nourrir sa famille à nouveau réunie :
un théâtre d’ombres. Comme le lui a recommandé son généreux vainqueur au jeu, notre héros a monté une
troupe et s’en va par les quartiers et les chemins faire de l’argent en montrant différents spectacles.
Cette séquence dure 2mn 43s, compte 21 plans et elle est construite comme un triptyque : les 8 premiers
plans sont en son in (musique et chant du théâtre d’ombre) et présentent un montage cut, alors que les 8 plans
suivants sont en son off (mélodie récurrente dans le film pour signifier les moments de paix et/ou de joie pour
la famille de Fugui) et présentent un montage en fondus enchaînés ; enfin les derniers plans retrouvent un son
in (dont le bruit mat et agressif de la baïonnette perçant et déchirant le drap-écran) et un montage cut. La
boucle semble donc bouclée… Quant au cadrage, comme dans l’ensemble du film, on retrouve surtout des
gros plans (11) soit sur Fugui (5), soit sur les figurines du théâtre (5), et des plans moyens (5), notamment sur
la troupe en train de jouer, ou en marche. Zhang Yimou explique ce choix dans une interview accordée à
Peggy Chiao pour le livret de présentation du film pour le Festival de Cannes de 1994 : Peggy Chiao lui
parlant de son nouveau directeur de la Photographie « qui semble être un adepte des plans moyens et des gros
plans », le réalisateur répond que celui-ci « a un style très simple [qu’]il suit l’histoire et s’adapte à ce qu’elle
requiert sans état d’âme, [qu’]il n’y a jamais rien de pompeux dans son travail. » Zhang Yimou parle même
d’« un style plus réaliste », avec « une caméra assez fixe […] la plus objective possible, afin de concentrer
l’attention du spectateur sur les membres de la famille ». Ce qui est intéressant de souligner ici, c’est que
certes les moments de théâtre présentent une dramaturgie quasi documentaire (attention portée sur les
musiciens, le chanteur, le montreur de figurines, le plan sur le public dans son ensemble), mais la deuxième
partie de la séquence sort de ce « réalisme ». Parce que ce moment du film tend aussi à montrer le temps qui
passe (ellipse) grâce notamment au fondu enchaîné, mais aussi la paix retrouvée par la famille grâce à la
mélodie du bonheur, ou encore, par ces plans extérieurs, rares dans le film, quand la troupe marche dans la
campagne, une vie en mouvement et qui est en train de changer, on bascule vite dans un moment onirique et
qui, à la fois, fait émerger l’espoir, mais de surcroît prépare la métaphore finale du déchirement : tout le tempo
du film est ici inscrit, ce va-et-vient permanent entre la construction et la déconstruction, entre la vie comme
elle va, paisiblement et l’irruption de l’Histoire, l’événement qui va casser, déchirer, détruire l’équilibre
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précaire mis en place par l’individu. Toute la réflexion du réalisateur sur la tragédie personnelle des individus
aux prises avec l’Histoire, sur l’absurde de la vie à cette époque est là, dans ce retour en troisième partie au
son in, au montage cut pour buter sur la baïonnette et son annonce tragique : Fugui, même s’il a pris de bonnes
résolutions, ne pourra plus compter que sur lui-même pour faire et défaire sa vie et celle de sa famille, il devra
compter dorénavant sur les aléas de l’Histoire de son pays… « J’ai essayé d’introduire le sens de l’absurde
dans le film. A cette époque, quelles que soient les précautions que vous preniez, vous ne pouviez jamais être
à l’abri d’un drame. Le malheur tombait du ciel. […] Je n’ai pas besoin de parler dictature ou totalitarisme.
Tout le monde comprend. » (Zhang Yimou, opus cité plus haut). Les paroles en jeu sont, pour leur part, très
intéressantes puisqu’elles sont celles des comédies mises en scène par le théâtre d’ombre ; au début, on
constate que Fugui parle de tristesse et de la difficulté de retrouver ses anciens amis, une histoire peut-être à
l’image du héros, pas encore complètement remis de sa déchéance, et c’est quand il chante l’histoire grivoise
de la jeune amante qui veut être prise sur un lit d’ivoire (chanson qu’il avait chantée juste avant sa chute
financière pour dette de jeu) que le voile se déchire, que la baïonnette fait son office… On ne peut revenir en
arrière dans ce film, le héros doit inexorablement avancer, sans se retourner, sans se répéter, et « vivre ».
De la place de l’Art dans la vie :
Dans Vivre !, la culture n’est présente que par le théâtre d’ombres, et encore s’agit-il de culture populaire et
finalement assez localisée en Chine (dans la province du Sichuan). Cependant, comme nous l’avons montré
plus haut, le choix de cet art si proche du cinéma n’est pas anodin, et l’auto-référentialité que l’on peut deviner
dans cette parenté nous pousse à nous interroger sur la menace qui pèse aussi sur le cinéma en Chine
aujourd’hui : le coup de baïonnette, mais aussi le théâtre que l’on brûle car réactionnaire sont autant de
violences qui ressemblent à des épées de Damoclès sur le septième art en Chine.
Dans l’univers diégétique, le théâtre d’ombres représente vraiment, au sens littéral du terme, la survie
pour le personnage de Fugui. C’est lui qui lui permet de reprendre pied, puis de « survivre » (autre sens du
verbe Huoze) et enfin de « vivre ». Les derniers moments de bonheur de la famille au complet s’organisent
autour d’une séance de théâtre d’ombres, animant encore les efforts demandés à la population chinoise
pendant le Grand Bond en Avant… Et c’est ainsi que cet élément culturel ne vient à représenter pour la
famille que la mort de Youquin, et ce même si Fugui, quand on demande de le brûler tente encore de la sauver
en proposant de faire du théâtre de propagande. Il ne reste alors plus que le contenant, le coffre. Est-ce à dire
que la Révolution culturelle n’aurait laissé de la culture chinoise qu’une coquille vide ? Fugui en tout cas se
sert de ce coffre pour y faire grandir les poussins de son petit-fils Petit-pain et en profite pour lui glisser sa
morale optimiste du poussin qui devient poulet, puis oie, puis cochon, puis bœuf… mais cette fois-ci et
contrairement à ce qu’il avait dit à son fils, l’énumération et l’enrichissement ne finissent pas dans le
communisme, mais sur Petit-pain prenant un avion. De là à dire que la vraie révolution culturelle, sociale et
politique est celle de l’individu et de son enrichissement personnel, il n’y a qu’un pas, que la Chine
communiste d’il y a peu a franchi allègrement…
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La Grande famine de Mao. De Patrick Cabouat et Philippe Grangereau
1/ Le documentaire.
a) Fiche technique
France Images 2011. Durée : 52'.
Réalisation : Patrick Cabouat
Auteur : Philippe Grangereau.
Montage : Françoise Tourmen.
Production : Arturo Mio ; coproducteur : Dérives et RTBF, avec la participation de France-Télévision et de
La Chaîne Histoire.
Synopsis
Entre 1958 et 1962, le régime communiste chinois imagine, sous l'impulsion personnelle de Mao Zedong, une
politique destinée à « doper » la révolution : c'est le « Grand Bond en avant », censé augmenter en un temps
record la productivité du pays. Les résultats sont catastrophiques : le peuple chinois est confronté à une
terrible famine qui provoque la mort de dizaine de millions de personnes. L'échec dramatique du « Grand
Bond en avant » provoque l'éviction de Mao. Pour récupérer le pouvoir, le « Grand Timonier » déclenchera
une nouvelle révolution, la « Révolution Culturelle ».
S'appuyant sur les témoignages de survivants et sur les interventions des historiens Zhou Xun, Yang Yishen et
Frank Dikötter, et à l'aide d'images d'archives souvent inédites, le film retrace les grandes étapes de la
révolution chinoise qui ont conduit à ce désastre. Il décrit la folie qu’a été le programme du Grand Bond en
Avant, la catastrophe économique et humanitaire qu'il a déclenchée et l'incroyable mensonge qui l'a prolongé.
b) Les auteurs
Le réalisateur, Patrick Cabouat, est l'auteur en 2004 de deux documentaires historiques, Le Maître des
caravanes et Alexandre le Grand, puis, en 2011, de deux réalisations plus engagées, Menaces sur les droits
de l'homme et La Grande famine de Mao. La diffusion de ce dernier intervient bien entendu dans le contexte
des Jeux Olympiques de Pékin en 2011, tant par les polémiques et débats qu'ils ont suscités que par la très
relative ouverture de la parole et des archives qu'ils ont permis, en dépit des efforts du régime pour la
contrôler, à défaut de pouvoir totalement la verrouiller – on se souvient des tentatives de contrôler l'Internet et
les réseaux sociaux en particulier.
Philippe Grangereau est grand reporter – il était notamment sur la place Tian'amen en 1989 – et journaliste,
correspondant de Libération à Pékin. Parlant couramment le Chinois, il est l'auteur de deux ouvrages sur la
Corée du Nord, dont Au pays du grand mensonge : voyage en Corée du Nord (2003) et spécialiste reconnu de
l'Asie. Certains de ses articles de Libé' (2000-2001) sont parus sous le pseudonyme de Romain Franklin.
« Avec l'âge » déclare-t-il « j'ai surtout envie d'aller au fond des histoires » (XXI, magazine en ligne)
Diffusion : Présenté en particulier au FIPA de Biarritz 2012, le documentaire a été diffusé sur France 5 le
24/11/2012 et sur Histoire le 5 mars 2013.
Visible sur Dailymotion ou le site internet de Histoire (chaîne appartenant au groupe TF1).
c) Découpage du documentaire
Après un prologue de 3'40'', le documentaire est organisé en 4 grandes parties :
Le processus historique qui, en trois temps, d'Octobre 1949 à 1958, a conduit à la décision de lancer le
Grand Bond en avant :
• les « belles années de la Révolution », en particulier celles de la réforme agraire et de l'entente
Mao-Staline ;
• le tournant capital que marque la collectivisation forcée des campagnes et le choc du XXème
Congrès du PCUS ;
• les « Cents Fleurs » et la répression qui s'ensuit contre les « droitistes ».
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De 12' 47'' à 24'50'': le « Grand Bond en avant » (GBA) :
• 12'47'' : les causes : rivaliser avec l'URSS et « dépasser la Grande-Bretagne ».
• 14'30'' :l'instauration des Communes populaires ; la mobilisation des masses et le rôle moteur
des cadres du Parti ;
• 21'10'' : les conséquences économiques, sociales et politiques : effondrement de la productivité,
politique des quotas, disette ; « fuite en avant » dans une politique, dite du « lancement de
satellites », de truquage systématique des chiffres et des bilans. grand mensonge commence.
De 24'00'' à 44'26'': la grande famine, un meurtre de masse délibéré :
• 24' : origines et mécanisme de la famine ;
• 29' : la politique des hauts fourneaux ruraux et son échec ; Mao contesté ;
• 33'20'' : la famine ;
• 39'50'' : Liu Shaoqi et la prise de conscience de la catastrophe ; Mao en cause ; la fin du GBA.
De 44'26' à 52' : épilogue :
• La vérité cachée ;
• 47'40'' : une conséquence majeure de l'échec du GBA et de la crise du régime : la « Révolution
Culturelle » ;
• 48'40'' : les responsabilités, en particulier celle, essentielle, de Mao Zedong ;
• le grand mensonge : un déni toujours actuel.
2/ Le « Grand Bond en avant» – 1958 -1962.
En 1957, suite à une série de politiques économiques erratiques, la Chine populaire se retrouve au bord du
gouffre. C'est alors que Mao, pour reprendre un vieux sarcasme, décide de lui faire faire un « grand bond en
avant »... Le résultat en sera une des plus grandes catastrophes humanitaires de l'histoire mais aussi une suite
de réactions contradictoires qui aboutiront au « virage » de 1978.
Or, dans des pays occidentaux toujours marqués par le souvenir de Mai 68, on ne retient souvent de la
période que « la grande Révolution Culturelle prolétarienne » de 1966. C'est elle qui, chez nous, apparaît
dépositaire de toute la symbolique de la révolution maoiste. C'est elle qui passe pour avoir « accouché », par
ses excès et le rejet dont elle a fait l'objet mais aussi par le mythe qu'elle a permis d'entretenir autour de la
figure charismatique du « Grand Timonier », du grand virage de 1978. Ce faisant, servant en cela les objectifs
du régime, elle a, jusqu'à une période récente, complètement dissimulé le drame majeur qu'a constitué le
Grand Bond en Avant dont elle ne fut en réalité qu'une conséquence indirecte, qu'un épiphénomène pourraiton dire, dont l'impact sur la société chinoise a eu une toute autre ampleur – ne serait-ce que par les pertes
humaines induites, bien moindres, et de loin, lors de la Révolution Culturelle.
Le film de Zhang Yimou lui-même, Vivre !, s'il ne fait pas l'impasse sur le Grand Bond en Avant, traité sur un
mode tragi-comique où le burlesque le dispute au drame, n'évoque pas la grande famine – sinon, peut-être, au
détour d'un plan délicat à interpréter - et consacre beaucoup plus de temps à la Révolution Culturelle.
Toujours camouflée comme le résultat de « trois années de catastrophes naturelles », la grande famine de
1959-1960 marque pourtant un « point nodal » de la construction de la Chine moderne, un traumatisme dont le
souvenir refoulé hante durablement la mentalité collective chinoise, au même titre que les massacres de
Nankin.
Quelles ont donc été les raisons et les modalités d'une politique aussi folle ? Qu'est-ce-qui a pu conduire à
cette « bouffée délirante », à tous les sens du terme, qu'a constitué le Grand Bond en avant ?
a) Pour comprendre :
Trois paramètres fondamentaux :
! La question jamais résolue des rapports entre le Parti et l'État : le Parti doit-il se substituer à
l'État ou être au service de l'État? Cet antagonisme de fond entre « les rouges » et les « experts », entre
les cadres idéologiques du Parti et la bureaucratie technocratique et pragmatique d'État – souvent,
d'ailleurs, incarnée par les cadres de l'Armée Populaire, comme Liu Shaoqui ou Deng Xiaoping –
explique les soubresauts et les volte-face successives de la politique impulsée par le Comité Central,
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ainsi que les lutte féroces lourdes de conséquences qui se déroulent à l'abri des regards, derrière « les
Murs rouges »2de Pékin, au cœur d'un pouvoir de plus en plus totalitaire.
! Le contexte d'une rivalité sans cesse croissante avec l'URSS, encombrant « grand frère » qui ne
s'est jamais totalement départi d'une certaine méfiance à l'égard des peu orthodoxes communistes
chinois. Non seulement en dépend le leadership du mouvement communiste international, au moment
où la décolonisation lui ouvre de nouveaux champs d'action mais aussi la définition du modèle de la
« construction du communisme » : l'URSS n'est pas prête à renoncer à l'hégémonie de son orthodoxie
soviétique ; la Chine s'efforçant à tout prix, et quel qu'en soit le prix, à s'en affranchir et à imposer sa
« voie nationale » comme paradigme incontournable de la révolution mondiale. Et ce dans un contexte
de guerre froide, d'un « équilibre de la terreur » que les secousses incontrôlables de la révolution
chinoise ne cessent de mettre en péril (à l'exemple de la Corée mais aussi, et surtout, la question de
Taïwan). La décision de la Chine populaire de se doter de l'arme nucléaire au moment-même où
l'URSS cherche à concrétiser ses efforts de coexistence pacifique aiguise une rivalité qui tourne vite à
l'hostilité. Ce n'est certes pas par hasard si le GBA correspond chronologiquement (58-61) à la
« Détente » - et à ses aléas de Berlin et de Cuba ! À ce titre, la mort de Staline (1953) et le XXème
Congrès du PCUS ont un impact certain sur les débats au sein de l'appareil du Parti (« les CentFleurs »), et donc sur la décision de Mao de se lancer, par réaction, dans la folle expérience du GBA.
S'y ajoute une antipathie réelle, profonde, entre un Krouchtchev ulcéré de s'être fait traiter de
« capitulard » à la suite de la crise de Cuba et un Mao qui ne lui pardonne pas ses attitudes de
« donneur de leçon » lors de l'échec du « 1er bond en avant ».
! La personnalité de Mao Zedong qui, de la Longue Marche à la Révolution Culturelle, joue un rôle
décisif dans toutes les prises de décisions. Mao se considère comme investi d'une véritable « mission
divine », celle de mener le peuple chinois vers la terre promise du communisme ; il est persuadé
d’avoir une destinée messianique (son nom signifie « Né pour diriger l'Est »), ce qui en fait le seul
dépositaire de la Vérité révolutionnaire. Sûr de sa totale infaillibilité doctrinale, convaincu de la
pertinence absolue de sa théorie de la mobilisation des masses paysannes comme moteur indépassable
de la révolution et du progrès, il y a chez lui comme une forme de croyance dans le « triomphe de la
volonté ». S'y ajoutent sa méfiance naturelle à l'égard du monde urbain et sa détestation viscérale des
intellectuels (« catégorie puante »), devenue véritablement maladive après les Cent Fleurs : provincial
d'origine paysanne (il est né en 1893 dans le Hu'nan, d'une famille de paysans aisés), il n'a, de surcroît,
jamais totalement réussi à maîtriser le mandarin, langue de l'élite, et à se débarrasser de l'accent et des
tournures idiomatiques de sa langue maternelle, le Xiang. En pleine famine, il n'hésite pas à brocarder
ceux qui par « l'excès de sensiblerie s'émeuvent des pénuries de viande, de céréales, de légumes,
d'épingles à cheveux pour les femmes et de parapluies »...
! Mais l'autorité de Mao, sa faculté à rebondir après chaque perte de pouvoir ne peuvent se comprendre
si on ne prend pas en compte le véritable « pouvoir charismatique » qu'il exerce, tel que l'a analysé
Ian Kershaw au sujet de Hitler. « L'adhésion des masses », surtout paysannes, n'est pas simple slogan
ou image de propagande, ni le seul résultat de la « terreur rouge ». Additionnée à l'impressionnante
capacité de résilience de la société chinoise, elle explique sans doute en grande partie pourquoi 600
millions de paysans Chinois ont pu supporter sans s’insurger – alors que l'histoire millénaire de la
Chine n'est pas avare de soulèvements ruraux et de Jacqueries de tous ordres – des politiques aussi
brutales que désastreuses.
b) Les origines : la soviétisation de l'économie :
En 1949 s'impose l'urgence de reconstruire une Chine ravagée par deux décennies de guerre civile et
étrangère. Il s'agit de concilier développement économique et satisfaction des immenses attentes d'une
population qui met tous ses espoirs dans le nouveau régime, sans pour cela perdre de vue la construction du
socialisme.
Les premières mesures sont plutôt modérées, à l'exemple de la constitution provisoire adoptée en 1949. Les
nationalisations dans l'industrie sont limitées aux secteurs stratégiques ou aux entreprises étrangères (en
général aux mains des grandes familles ralliées à Jiang Jieshi) et on « capitalise » sur le prestige de la réforme
agraire, source du ralliement de la paysannerie pendant la guerre civile et étendue à toute la Chine en 1950.
Les grandes propriétés (la moitié des terres cultivées) sont confisquées, redistribuées aux paysans pauvres ; on
2
- Surnom donné au Zhongnanhai, vaste ensemble résidentiel et administratif entouré de murs rouges où se concentrent, au cœur de Pékin, les organes du
pouvoir maoiste. Voir J. L. Domenach, « Mao, sa cour et ses complots – Derrière les Murs rouges », Fayard 2012.
21
encourage les regroupements en « équipes d'entraide mutuelle », véritables « coopératives semi-socialistes »
préalables à la collectivisation. Résultat : la production de céréales augmente en 5 ans de 70 %, celle de coton
triple. Pour briser le carcan des structures sociales traditionnelles, outre une large campagne d'alphabétisation,
on instaure le divorce, on interdit la polygamie et on établit les bases légales de l'égalité des sexes. Ce qui
n'empêche pas la répression contre les « contre-révolutionnaires » : en 1951-1952, une série de campagnes de
masse est lancée contre les « anti ». Politique qui recueille dans les masses un large assentiment, voire un réel
enthousiasme. La nouvelle Chine communiste bénéficie alors de l'aide financière, économique et technique de
l'URSS ; le mauvais côté de la chose est qu'avec elle arrivent les thèses pseudo-scientifiques de T. Lissenko...
On en paiera le prix lors du GBA !
Cette période de relèvement économique (1949-1952) est suivie d'un premier brutal « coup de barre à
gauche » : sans doute le durcissement du régime au profit des « rouges » est-il dû, pour une grande part, à la
Guerre de Corée et au sentiment de « forteresse assiégée » qui soude un bloc communiste auquel la Chine est
désormais solidement arrimée. Le premier plan quinquennal (1953-1957) adopte ainsi le modèle soviétique
orthodoxe de développement économique, décalquant trait pour trait la politique stalinienne des années 30 :
priorité aux industries lourdes et aux grands travaux, étatisation des entreprises industrielles des villes,
regroupement des artisans en coopératives d'état, et, surtout, collectivisation forcée des campagnes, lourde de
conséquences. L'agriculture est sacrifiée au profit d'une industrialisation à marche forcée et la paysannerie,
pourtant base sociale de la conception maoiste de la révolution, en paiera le prix. La bourgeoisie
« propriétaire » est éradiquée pour au moins 30 ans (dans Vivre ! c'est illustré par l'épisode de l'exécution de
Long'er). La Chine devient « le meilleur élève du camp socialiste ».
Certes la production industrielle augmente de 130 % en cinq ans, mais la productivité du paysan chinois reste
faible et la production agricole ne peut suivre le rythme d'une croissance démographique qui devient
exponentielle (le taux de natalité dépasse 40%0), d'autant que Mao encourage la famille nombreuse (« Une
bouche, c'est deux bras ») : la crise de subsistance s'installe, le rationnement perdure, menaçant le régime
d'une perte de confiance, alors même que le budget militaire grève lourdement des finances publiques mal en
point. La collectivisation accélérée surtout prend à rebrousse-poil des paysans devenus propriétaires : un « 1er
bond en avant » qui, a posteriori, apparaît comme une répétition générale du « Grand Bond » de 1958.
La course à la catastrophe : le point de départ en est le VIIIème congrès du PCC à Wushang en 1956 :
l'année de la déstalinisation et la Détente. Surpris- et un temps désemparés- par le « rapport Krouchtchev », les
dirigeants chinois prennent la mesure des révoltes qui secouent Pologne et Hongrie. Ils comprennent le danger
qu'il y a à se couper de la population, de ces masses idéalisées qui ne leur ont jusque-là pas mesuré leur
soutien. Jusque-là, et malgré les frustrations dues au « premier Bond en Avant », la Chine a connu bien moins
de révoltes que d'autres pays du bloc communiste : une trentaine de grèves en 1956, et toujours pour des
raisons locales. Pour les « experts » des « Murs rouges », il s'agit donc de ne pas « insulter plus longtemps
l'avenir ». Sous l'impulsion de Liu Shaoqi, Zhou Enlai et Deng Xiaoping, le Congrès fait ainsi le choix d'un
« socialisme pas à pas » : cinglant désaveu pour Mao, qui voit planer sur sa tête la perspective d'une mise à la
retraite « honorifique » !
Mortifié, il ne tarde pas à réagir : il lance une « campagne de rectification » qui, sous couvert de
libéraliser le régime, a surtout pour but de « faire sortir les serpents du bois », de piéger ses adversaires en les
incitant à se dévoiler. On pousse alors la population, les intellectuels en particulier, à débattre librement, à
critiquer le Parti. Ce sont les Cent Fleurs, qui s épanouissent sur les murs à coup de dazibaos. Elles secouent
durement le Parti, ébranlent l'Armée, agitent les usines, où se relâche la poigne des cadres et où naissent
pétitions, manifestations, voire grèves... On a même des barricades à Wuhan ! Le but recherché par Mao est
atteint – d'autant que lui-même n'est que très rarement mis en cause : pris de peur, se sentant menacés dans
leur pouvoir, les résidents des Murs rouges se resserrent autour de leur leader. Il peut alors lancer « La
campagne anti-droitière » contre des adversaires imprudemment dévoilés. Elle frappe plus d'un demi-million
de personnes, intellectuels, étudiants et professions juridiques en tête. Le Laogai, le Goulag chinois, fait le
plein. Il s'agit de « désintellectualiser la Chine », le mérite étant inversement proportionnel aux nombre
d'années d'études et un « retour à la base » étant une bonne antidote aux « poisons révisionnistes »... La recette
resservira lors de la Révolution Culturelle. Les Cents Fleurs, dit Jean Luc Domenach, c'est « l'histoire d'une
comédie qui s'est muée en tragédie »3.
3
- Jean Luc Domenach et Philippe Richer, La Chine 1949-1985, Seuil 1995.
22
Le Grand Bond en Avant : le VIIIème congrès avait fixé des objectifs déjà ambitieux, et sans doute
passablement irréalistes, au second plan quinquennal. Mais le volontarisme de Mao ne pouvait s'en
accommoder. Revenu au pouvoir et ayant impitoyablement éliminé toute forme de contestation, il se lance, en
mai 1958, dans une surenchère folle en décrétant le « Grand Bond en avant » (Da yué jin). Il consistait, par
une révision à la hausse des objectifs du Plan, à accélérer la croissance économique et la construction du
socialisme. Il s'agissait de dépasser d'ici 1962 la production industrielle de la Grande Bretagne et de rattraper
les Etats Unis ! Avec, en arrière-pensée, l'ambition d'enlever à une URSS « révisionniste » le leadership de la
révolution mondiale. « Il fallait battre tous les records » écrit René Dumont « dans n'importe quelles
conditions... Le Grand Bond en avant était la négation de tout plan. »4
La méthode : mobiliser les masses autour d'une ferveur populaire entretenue par un effort massif de
propagande d'endoctrinement. L'outil : les communes populaires.
c) Les communes populaires :
« Le communisme, c'est le paradis, la commune populaire, c'est l'échelle qui permet d'y accéder » proclame la
propagande. Elles sont plus de 26 000 dont l'objectif est d'accroître la production agricole afin d'écarter toute
famine et de libérer des ressources pour les travaux d'infrastructure (digues, barrages). Les hommes étant la
grande richesse de la Chine, la seule en tout cas qui soit surabondante, la commune populaire est le cadre
privilégié de leur mobilisation, des armées de « fourmis humaines » étant lancées à l'assaut de la nature
(« campagne des 4 nuisibles », dont les moineaux...) ou dans le combat pour relever le défi de la production
industrielle.
Une commune, c'est en moyenne 5000 familles, soit 20 à 25 000 personnes, pour 4000 hectares de terres
labourées, regroupant plusieurs villages. À sa tête, une Assemblée composée de représentants (1 pour 120
personnes) élus pour 2 ans. Elle vote le budget, décide des objectifs du plan, en assure l'exécution, organise le
travail des brigades de production, gère et réglemente la vie communautaire (cantines, logement, écoles,
dispensaire...) ; elle prend en charge la distribution, détermine chaque année le barème des rétributions
(conversions des « points-travail » en valeurs monétaires) et la discipline. Elle élit pour 2 ans un Comité de
direction de 45 à 50 membres : c'est l'exécutif de la commune, au sein duquel va pouvoir se déployer l'activité
des cadres locaux du Parti (dans la réalité, ceux-ci joueront un rôle de véritables « petits chefs » souvent
tyranniques, comme on peut le voir dans Vivre!). Enfin, elle élit également un Comité de contrôle. La
sécurité locale est assurée par une milice.
Le travail est organisé (parfois de façon quasiment paramilitaire) en équipes de production spécialisées : riz,
légumes, coton, construction des maisons, entretien du matériel, confection des repas communautaires... Sorte
de « division socialiste du travail » qui, en principe, doit éviter pertes de temps, dispersion des compétences et
gaspillage d'énergies. Le paysan devient un salarié de sa propre communauté ; il est rétribué en points-travail
convertibles chaque année en valeur monétaire. Ainsi chaque commune prend en main tous ses besoins et
moyens de production, indépendamment des autres. Chaque commune est en principe auto-suffisante. Entre
les communes populaires, peu ou pas d'échanges, pas d'autre coordination que l'horizon du Plan, voire une
certaine rivalité, dans la plus pure tradition de « l'émulation socialiste ».
Mais la commune populaire a aussi une fonction industrielle : chacune possède son mini-haut
fourneau sidérurgique (des balles pour reconquérir Taïwan...), sa mini-centrale, ses ateliers de constructions
mécaniques légères. L'industrie chinoise est ainsi organisée de façon bi-sectorielle : un vaste secteur moderne
étatisé, celui des grands combinats sidérurgiques et des grands barrages ; un secteur traditionnel, artisanal et
rural, dont la commune populaire est le cœur. Car il s'agit de « marcher sur ses deux jambes »...
Comme l'illustre Vivre !, la vie quotidienne est entièrement communautarisée : cuisines et cantines
collectives, crèches... Il s'agit bien de casser le modèle familial chinois, cet « atome » fondamental de la
société traditionnelle, et de lui opposer un idéal social communautaire, source de progrès, de créer « un
homme nouveau » dans une société nouvelle, moderne, débarrassée des pesanteurs et des archaïsmes. Dans
certaines provinces, on va jusqu'aux dortoirs communs qui séparent hommes et femmes et remplacent les
foyers familiaux, de sorte que toute vie privée un tant soit peu intime devient impossible, sauf en cachette... Ils
seront vite tous abandonnés !
4
- René Dumont, « les communes populaires rurales chinoises », in Politique étrangère n°4, vol.29, 1964.
23
d) Un désastre économique et humain
Les résultats des premiers mois semblent encourageants : la production de fer progresse fortement
(45 % en 1959), 18 millions d'hectares sont gagnés à la culture irriguée, les infrastructures de transport
(canaux, voies ferrées) progressent sensiblement.
Mais en réalité les statistiques sont biaisées : les cadres locaux, par incompétence autant que par soucis
de donner les preuves de leur bonne volonté, falsifient les bilans, chacun cherchant à apparaître comme le
« meilleur élève de la classe » - et par là même consolider leur pouvoir et leurs privilèges- alors que, sur place,
des réticences commencent à se faire sentir. Au point que, derrière les Murs rouges, on s'enthousiasme des
progrès spectaculaires de la production alimentaire, alors qu'apparaissent des disettes et que la famine
commence à s'installer, dès fin 59, dans certaines provinces.
Le comble est atteint en 1961 : poussé au delà de ses limites, l'appareil industriel s'effondre. Ce qui
n'empêche pas les statistiques d'observer une hausse de 12 millions de tonnes de fonte ! De plus, l'acier
fabriqué par les hauts-fourneaux ruraux s'avère de piètre qualité et inutilisable. L'épuisement gagne les
ouvriers et l'industrialisation des campagnes provoque un exode rural dramatique alors que les villes
commencent à ressentir les effets des pénuries alimentaires.
Car c'est bien la catastrophe agricole qui est la plus effroyable. La production agricole s'effondre dès
1959, et atteint son plus bas niveau en 1960 ; il faudra attendre 1963 pour qu'elle retrouve son niveau de 1957,
voire 1968 dans certaines provinces. Les dommages sont irréparables : insectes, salinisation des sols,
épuisement des sols, déforestation... D'autant que les « techniciens » chinois s'inspirent des thèses de Lissenko
(tripler la densité des plantations, faire voisiner des espèces différentes, labourer jusqu'à deux mètres de
profondeur...), avec pour résultats une baisse des rendements et une destruction de la couche de terre arable.
D'autant qu'une série de calamités dont on n'avait plus eu l'exemple depuis un siècle frappe la Chine
entre 1959 et 1961 : sécheresses, puis inondations, typhons. Les crues du Fleuve Jaune (Huang Hé)font 2
millions de morts. Catastrophes qui serviront pendant 20 ans d'excuse au régime.
1960 est sans doute l'année la plus noire de l'histoire de la Chine. La récolte est encore plus
désastreuse que l'année précédente. La famine se généralise : elle fera entre 35 et 40 millions de morts (on
renvoie, pour plus de détails, au terrible récit qu'en a fait le journaliste Jasper Becker dans son ouvrage
Hungry Ghosts-5).
Pourtant les signaux d'alarme n'avaient pas manqué, dénonçant l'impéritie et les truquages des cadres
locaux. En 1959, lors d'un comité de travail du Bureau Politique, le ministre de la défense Peng Dehuai, un
des fondateurs de l'Armée Populaire et donc un des personnages les plus prestigieux du régime, critique
durement le GBA. C'est la « tempête de Lushan ». Ce fils de paysan a été atterré par la réalité qu'il découvre
lors d'un voyage dans sa province natale. Scandalisé, il s'en prend au « fanatisme petit-bourgeois » de cadres
dont il dénonce les mensonges et les falsifications. Mais Mao le prend pour une attaque personnelle ; derrière
il y voit la main de Moscou, Krouchtchev ayant critiqué le GBA. Utilisant son arme favorite, la peur du
complot contre le Parti et la révolution, il réactive les vieux réflexes d'unité de l'Appareil. Les Murs rouges
font bloc derrière le Grand Timonier, Peng est désavoué, démissionné, obligé à l'auto-critique (incarcéré sous
la Révolution Culturelle, humilié, torturé, il mourra en 1976 d'un cancer que, sur ordre de Mao, on avait refusé
de soigner ; il a été réhabilité en 1978), l'armée est purgée. Contre toute logique, toute rationalité, le GBA est
relancé. Corollaire de la reprise en main, le fossé se creuse entre l'URSS et la République Populaire : à l'été
1960, les 1300 techniciens soviétiques quittent la Chine et l'URSS suspend son aide financière. La rupture est
désormais patente entre deux modèles devenus irréconciliables.
À l'hiver 1960, il faut pourtant se rendre à l'évidence. Le désastre ne peut plus être masqué. Mao doit
se résoudre à donner « trois coups de barre à droite », rétablissant l'autorisation des lopins de terre ou
relançant une nouvelle « campagne de rectification » contre les dirigeants locaux coupables d'erreurs
« gauchistes et autoritaires » - terribles euphémismes du jargon maoiste ! Mais le mal est fait. Le GBA ne sera
officiellement abandonné que deux ans plus tard, avec l'intervention d'un autre « grand » de la révolution,
Deng Xiaoping, dont la formule célèbre préfigure 1978 : « Si elle augmente la production, l'agriculture privée
est tolérable. Que le chat soit blanc ou noir, peu importe s'il attrape des souris. » Et Liu Shaoqi d'enfoncer le
clou : ce ne sont pas les catastrophes naturelles qui sont la cause principale de la famine, mais bien les erreurs
humaines.
5
-Jasper Becker, Hungry Ghosts : Mao's secret famine, 1996 ; publié en Français sous le titre La Grande famine de Mao, Dagorno, 1998.
24
e) La grande famine
Elle reste la plus grande famine du XXème siècle, à la fois par son étendue et par l'ampleur des pertes
humaines, mais aussi par le choc moral provoqué – en particulier le cannibalisme. Désormais reconnue, avec
beaucoup de réticences, comme due non aux « trois années de catastrophes naturelles » mais au GBA luimême, son bilan est resté largement sous estimé jusqu'à ce que l'historien chinois Yang Yishen en ait révélé, à
partir de treize années d'enquête, la terrifiante réalité (Pierres tombales, publié en 2008 à Hong Kong et
toujours interdit en Chine6). Il estime son bilan à 36 millions de morts et 40 millions de naissances en moins.
Dans les provinces les plus touchées, c'est jusqu'à 20 % de la population qui disparaît (27 % dans le district de
Huabin dans le Hénan, 11 millions sur 70 dans le Sichuan). Les témoignages font état de cadavres jonchant les
fossés, de décès par centaines que l'on évite de déclarer afin de toucher les rations ainsi rendues disponibles,
d'actes d'anthropophagie sur une grande échelle. S'y ajoutent les 2 à 3 millions de morts dus aux exactions de
la milice – exécutions sommaires, personnes battues et torturées à mort. Dans le Guangdong, on manque de
bois pour les cercueils... La crise de subsistance s'étend aux villes dès l'hiver 60, bien que l'on ait interdit
l'exode rural, réprimé avec brutalité par l'armée et les milices ; le rationnement s'aggrave, on diminue les
horaires de travail, pour le déjeuner les étudiants reçoivent des décoctions de feuilles d'arbre et sont incités à
la sieste – sans doute parce que « qui dort dîne » ! Pendant ce temps-là, révèlent les témoignages recueillis, les
petits cadres locaux du Parti multiplient arbitraires et abus de pouvoir et se gavent de victuailles et d'alcool ;
derrière les Murs rouges, on mène grand train.
Parallèlement, la famine provoque une classique crise démographique dite « d'ancien régime » - mais
unique dans l'histoire puisque la Chine, en 1959, avait entamé sa transition démographique. La mortalité
bondit de 11 à 25%0 ; dans le même temps la natalité s'effondre (de 34 à 18%0), provoquant un repli
démographique de 2 %, l'accroissement naturel étant devenu négatif entre 1959 et 1961 : soit un déficit
démographique de 12 millions de personnes. Même si un tout aussi classique phénomène de rattrapage s'opère
entre 1962 et 1965 (« rebond » de natalité à 40%0 et chute de la mortalité à 10%0), permettant à la Chine de
passer le cap des 700 millions d'habitants... et au régime de faire « oublier » l'hécatombe, démographiquement
la Chine est revenue un demi-siècle en arrière.
Il faut ajouter aux effets létaux de la faim l'épuisement des corps – d'autant que la pression du travail
ne se relâche pas, bien au contraire, et les petits chefs de village sont là pour y veiller -, l'affaiblissement
physiologique généralisé qui aggravent la crise productive. La contrepartie, si l'on peut dire, c'est l'absence de
révoltes, d'émeutes de la faim comme la Chine en avait connu par le passé : dans un premier temps, même si
le mouvement ne suscite guère l'enthousiasme voulu par la propagande, la population fait encore plus ou
moins confiance au régime ; par la suite, épuisé, avant tout préoccupé à survivre, terrorisé par une répression
impitoyable à laquelle il n'a plus les forces de s'opposer, le paysan chinois ne bronche pas. « Le GBA se
termine sans confrontation, contrairement à 1957, mais par des gémissements... »
f) Un tournant majeur dans l'histoire de la Chine révolutionnaire
Le grand Bond en Avant marque la dégénérescence de la politique économique chinoise résumé sous
le terme « voie chinoise vers le socialisme ». Plusieurs raisons à cela :
! l'emballement des idéologues maoistes, les « rouges », qui trouvent dans les cadres locaux des
exécutants zélés et serviles ;
! la dégradation des rapports entre le Parti et les masses depuis l'échec du « premier bond » dont
aucune leçon n'a été tirée, contradiction fondamentale dont le système ne pouvait se remettre.
Dès lors, la mise en place d'une politique aussi utopique ne pouvait se faire sans le recours à la terreur
policière et aux rideaux de fumée de la propagande. Et plus les quotas de production affichés pour dépasser le
plan devenaient hors de portée, plus se développait le mensonge, seul comportement possible pour les cadres
s'ils voulaient sauver leur pouvoir – voire leur peau. Dès le départ, le pouvoir central - Mao est un grand
pourfendeur de la « centralisation bureaucratique » - avait en effet démantelé le bureau central des statistiques,
se privant d'un outil d'évaluation indicatif à défaut d'être fiable et se condamnant à naviguer à vue en laissant
le champ libre aux dirigeants provinciaux – qui eux-mêmes, d'ailleurs, ne savaient guère ce qu'il se passait.
Résultats : une hausse arbitraire continue des objectifs de production contraignant les cadres à une
improvisation permanente et une falsification systématique des résultats, favorisés par une bureaucratie
pléthorique avide de privilèges. Becker montre que la famine a renforcé les privilèges des cadres : « Il y a
6
- Yang Yisheng, Stèles : la grande famine en Chine (1958-1961), Seuil, 2012.
25
abondance de céréales » déclare par exemple un secrétaire local du Parti dans le Xinyang « mais 90 % des
gens ont des problèmes idéologiques ». Délire économique et mensonge constituent ainsi le couple
diabolique du GBA.
De nos jours, les responsabilités ne font plus de doute : celle de Mao en premier lieu, décisive. En
Chine comme à l'étranger le GBA est actuellement considéré comme la plus grande erreur commise par Mao
Zedong mais il a fallu attendre 1980 et les années Deng Xiaoping pour voir se dégager un consensus : un
désastre économique majeur dû au culte de la personnalité.
Le GBA est donc le 1er échec grave du régime. À partir de lui s'approfondit la fracture entre le Parti et
la population d'une part et à l'intérieur-même du Parti entre « experts » et « rouges », cause ultérieure de la
chute des idéologues de la « Bande des quatre » et du grand virage de 1978. Mais pour cela, il faudra que Mao
soit mort... Jusque-là, le régime continuera à vivre au rythme non de ses avancées, mais de ses échecs et de ses
crises.
La retraite sonnée en 1961 par le « coup de barre à droite » favorise le retour des experts et l'abandon,
en catimini, de la logique du GBA. Les hommes forts sont désormais Deng Xiaoping et Liu Shaoqi, qui
admoneste vertement Mao en personne : « Tant de morts de faim ! L'histoire retiendra nos deux noms et le
cannibalisme sera dans les livres ! ». Le Grand Timonier ne le lui pardonnera pas. Mis en minorité en 1962 au
Comité Central et à nouveau contraint à une autocritique, Mao est cette fois écarté du pouvoir et limité à son
rôle de figure tutélaire. Il s'en servira pour mieux rebondir - aidé en cela par son nouvel allié, Lin Biao, qui
orchestre dès 1965 l'opération « Petit Livre Rouge ».... Cette « traversée du désert » renforce en lui la
conviction d'une dégénérescence de la révolution qu'il est seul capable d'enrayer ; pour accomplir cette
« mission » salvatrice dont la Providence l'a investi, il lui faut impérativement la revivifier par un nouvel
appel aux masses contre les pesanteurs bureaucratiques et structurelles existantes – appareil du Parti et de
l'État, intellectuels plus que jamais. Ce sera la Révolution Culturelle, ultime avatar du Maoisme, directement
issue des aléas du Grand Bond en Avant, et qui plongera la Chine dans le chaos. Et, à terme, la réaction de
1978-1979, d'où émergera la Chine contemporaine.
Accessoirement, le Grand Bond en Avant est une des causes principales de la rupture sino-soviétique
de novembre 1962, lourde de bouleversements géopolitiques. Étonnamment, la mise à l'écart – provisoire - de
Mao correspond peu ou prou à celle – définitive - de son meilleur ennemi, le très détesté Nikita Krouchtchev.
Monsieur K victime collatérale du Grand Bond en Avant ?
Rupture radicale dans le cours d'une construction du socialisme jusque-là déclinée à la mode
soviétique, première affirmation d'une voie chinoise vers le communisme, le Grand Bond en Avant
représente incontestablement un tournant majeur de l'histoire de la Chine révolutionnaire.
3/ Pistes pédagogiques
Film de fiction et documentaire : quelle valeur informative ? Quelle forme raconte le mieux l'histoire ?
Comment s'en servir pour présenter l'histoire de la révolution chinoise ? On propose ici quatre possibilités
d'approche de cette problématique.
On peut ainsi comparer la façon, à la fois contrastée et complémentaire, dont les deux œuvres représentent le
Grand Bond en Avant : deux points de vue documentaires qui se donnent à voir, avec des focalisations
différentes – la dénonciation de l'utopie maoiste pour l'un, la foi dans les valeurs familiales comme ultime
« refuge » face aux tempêtes de l'histoire pour l'autre.
a) Reconstituer la grande histoire
À un premier niveau, les deux films peuvent permettre de reconstituer la chronologie de la période
révolutionnaire, l'un débutant en un temps incertain mais qui celui de la guerre civile, l'autre revenant aux
origines du GBA, c'est à dire 1949.
Le documentaire centre son propos sur l'étude du grand Bond en avant en s'appuyant sur des travaux
d'historiens et des images d'archives, l'encadrant très classiquement d'un « amont » et d'un « aval » retraçant
l'histoire de la révolution communiste. Le film de Zhang Yimou se définit plus comme une vaste fresque
romancée sur la grande révolution chinoise. L'histoire y est plus stylisée que dans la « crudité » de l'image
d'archive. La large place qui y est réservée à une peinture de la vie quotidienne dans une commune populaire
apparaît comme une simple étape dans le cours d'une destinée familiale où guerre civile et Révolution
culturelle sont relativement privilégiées.
26
b) Documentaire ou fiction, quelle réalité ?
Dans le film de fiction, l'information historique vient autant de l'intrigue que de la reconstitution. Le
documentaire, plus réaliste en théorie, utilise, lui, l'image d'archive et le recours aux témoignages et aux
« expertises » d'historiens : l'effet de réel et le « sérieux » scientifique y est clairement revendiqué. On peut
ainsi comparer deux formes cinématographiques portant sur un même sujet, en l'occurrence le Grand Bond en
avant.
! On peut ainsi faire observer comment, dans Vivre !, la construction dramatique introduit une
analyse historique qui, dans le documentaire, repose sur l'intervention de l'historien. Exemple : la
« folie », l'absurdité d'une politique kafkaïenne qui, du rire aux larmes, débouche sur le drame. Ainsi
de la mort de Youqin, contrastant avec les scènes joyeuses, les « gags » du thé au vinaigre ou du bol
de nouilles utilisé comme shampoing punitif.
! On peut par exemple montrer comment le film de Zhang Yimou illustre, dans sa narration, la phrase
déjà citée de J. L. Domenach d'une «comédie qui s'est muée en tragédie », la mort de l'enfant – oh
combien important dans la société chinoise ! - résumant à elle seul toutes les conséquences tragiques,
toute l'inhumanité du GBA.
! L'effet de réel induit par les méthodes propres au documentaire relève paradoxalement du même
travail que celui du film de fiction : choix d'images, montage, personnages de témoins et d'historiens
donnant du sens aux images, commentaire en place des dialogues, musique dramatisant les séquences.
! dans La Grande Famine de Mao, les images d'archives – même inédites et qui peuvent paraître
comme un reportage sur le vif - sont presque toutes des images de propagande, des « mises en scène »
dont la valeur informative ne découle que de leur montage et du commentaire qui va avec. Une image
en elle-même mensongère, donc sans valeur informative en soi sinon quant aux objectifs de ceux qui
les ont tournées, et dont le commentaire seul peut dévoiler la tromperie. Témoins et historiens venant
apporter au document une caution de véracité à laquelle les images d'archive en elles-mêmes ne
peuvent prétendre. Belle illustration possible de ce qui fait l'essence du GBA... et belle occasion
d'aborder la question de la forme documentaire au cinéma.
! On peut à ce sujet s'appuyer sur la scène de la procession de paysans chinois sur des champs de blé aux
épis tellement serrés qu'ils en supportent le poids (on peut par ailleurs relier cette scène à l'impact des
thèses de Lissenko sur le GBA) : elles permettent en outre d'illustrer le rôle qu'ont joué la propagande,
le mensonge et le déni de réalité dans le drame du GBA. Quant à la valeur informative de telles images
documentaires et ses rapports avec le commentaire, ce peut être l'occasion de présenter la
démonstration « définitive » qu'en ont faite les Lettres de Sibérie de Chris Marker.
c) La description des communes populaires
Croiser les deux documents filmiques, c'est aussi voir comment ils peuvent se compléter, l'un nous
immergeant dans la réalité quotidienne des personnages et nous en faisant percevoir les détails mais sans que
nous puissions en dégager une vision d'ensemble, l'autre prenant de la hauteur et rétablissant la vision
d'ensemble mais au prix d'une perte d'information sur le vécu des hommes : question d'échelle, de hauteur de
point de vue, que corrige pour l'un les dialogues des personnages – apportant des bribes d'information sur ce
qui se joue loin d'eux - pour l'autre les témoignages : personnages de fiction et témoins, même fonction !
On peut ainsi comparer dans les deux films la description des communes populaires, dispositif central
du GBA. Il est certain que le film de Zhang Yimou est à ce propos beaucoup plus riche, plus parlant, ce qui est
le propre de toute reconstitution, avec en plus le phénomène d'identification propre au cinéma de fiction
jouant à plein.
C'est que les deux projets ne sont pas les mêmes. Pour les documentaristes, c'est l'ensemble de la
politique menée, ses délires idéologiques et technocratiques, qu'il s'agit de montrer du doigt, et, dans ce cadre,
la commune populaire n'en est qu'un élément parmi d'autres, un outil de mobilisation des masses. Pour le
cinéaste chinois, la commune populaire est au cœur du propos, qui est de montrer comment elle s'oppose
frontalement à la famille, comment elles se télescopent dramatiquement – et on sait que l'instauration des
modes de vie communautaire était le maillon essentiel de la destruction revendiquée du modèle familial
chinois traditionnel. Ainsi le « scandale » provoqué par Youqin punissant les gamins qui ont persécuté sa sœur
lors d'un repas communautaire, au nom des valeurs familiales, faisant « perdre la face » à son père devant la
communauté révolutionnaire : l'affrontement du père et de la mère, de l'époux et de l'épouse qui suivent, sont
une parfaite mise en scène de ce télescopage.
27
On peut également utiliser ce même personnage de Youqin, décidément porteur malgré son jeune âge
– ou à cause de lui – de toutes les contradictions de la révolution, et de toutes ses utopies, lorsqu'il « dénonce »
le matériel de théâtre d'ombre de son père aux récupérateurs de métaux de la commune. De même que sa mort
introduit cette même condamnation qu'opère le commentaire de Patrick Cabouat.
Dans ce même souci historique, on peut bien entendu croiser la reconstitution que fait Zhang des hauts
fourneaux ruraux et les images plus « analytiques » qu'en donne le documentaire. Idem avec une étude
comparée portant sur la façon dont sont représentés les cadres du Parti et leur façon de diriger les communes
populaires : leur rôle dans l'application du GBA, leurs responsabilités et leurs exactions.
d) La représentation de la famine
Alors que le cœur du documentaire de Patrick Cabouat est consacré à la dénonciation de la grande
famine provoquée par un GBA décrit comme une folie, un véritable « acte de démence » proprement
inhumain, Vivre ! n'évoque à aucun moment cette famine.
On peut poser la question du pourquoi un tel « oubli » ? Le réalisateur chinois, ne prend pourtant
guère de gants pour dénoncer l'inanité des politiques suivies – la séquence de la maternité, par exemple, ou
l'absurdité de la réquisition des ustensiles de métal. Ignorance ? Lorsque le film est réalisé, l'existence de la
grande famine est depuis longtemps acceptée en Chine même, les travaux de Yang Yisheng ont été publiés, et
le régime a abandonné l'argument des « trois années de calamité ». Autocensure ? Même sans famine
explicite, le film a quand-même été interdit en Chine, donc peu vraisemblable que Zhang ait fait cette
concession-là. Alors adhésion du réalisateur au grand mythe de la Grande Révolution ? Ses dérives, ses
erreurs et ses drames, somme toute inéluctables dans toute période de bouleversements aussi intenses, seraient
ainsi le prix à payer pour transformer un monde figé, le prix de la modernité (on peut, également, à cet effet
comparer les premières séquences décrivant la Chine « éternelle » avec la dernière, où s'épanouissent des
« hommes nouveaux » - certes pas tout à fait ceux qu'imaginait Mao ! - celle de la génération de l'aprèsMao) ?
Plus pertinent sans doute : dans le documentaire, la famine est utilisée comme un révélateur, comme la
sanction d'une politique ; elle est donc au cœur de la démonstration. Chez Zhang Yimou, ce ne sont pas des
politiques que l'on veut dénoncer. Même si leurs errements et absurdités ne sont pas dissimulées, elles ne sont
qu'un contexte, certes pesant et déterminant pour les destinées individuelles, et le résultat des faiblesses
humaines – la vanité, le pouvoir, l'avidité – mais l'essentiel du propos est ailleurs : on l'a dit, c'est la famille
« nucléaire » chinoise et son impressionnante capacité de résilience qui est au cœur du sujet. La famine,
négation absolue de toute possibilité de survie, de tout espoir, n'y a pas sa place, mais la mort, si : celle de
Youquin, victime de l'inhumanité du GBA.
Mais peut-on être sûr que l'absence d'évocation de la grande famine dans le film de Zhang Yimou ?
Pendant quelques secondes, un plan peut laisser planer le doute dans l'esprit du spectateur en attente de ce
qu'il connait du drame. Il ouvre la séquence de la présentation au village du premier lingot d'acier produit par
le haut-fourneau local (séquence 21) : un lent travelling bas/haut par dessus l'écran du théâtre d'ombre, révèle
une jonchée de corps étendus en désordre sur le sol au pied du haut-fourneau, comme les morts d'un champ de
bataille, comme des cadavres en devenir, tout un village fauché par l'épuisement. Bien sûr le doute est vite
levé : c'est à un éveil qu'on assiste. Mais au regard du spectateur, l'espace d'un instant ce plan peu sonner
comme une allusion à l'hécatombe à venir, une vision cauchemardesque de la mort qui rode au détour du
sommeil, tant on prétend que l'on meurt de faim comme on s'endort...
28
Annexe I : Repères chronologiques
A- La naissance de la République et les déchirements de la Chine :
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1er janvier 1912 : proclamation de la République de Chine par Sun Yat-tsen (en mandarin Sun
Zhongshan) à Shanghaï. Nankin capitale provisoire.
25 août 1912 : fondation du Guomindang (Kuo-min-tang) qui remporte les élections législatives.
Mars 1912- Juin 1916 : « démocrature » (mot-valise formé par la contraction de « démocratie » et
« dictature ») de Yuan Shikai. Transfert de la capitale à Pékin.
1916-1928 : période des « seigneurs de la guerre » (junfa). Anarchie politique (25 gouvernements en
12 ans) ; luttes entre les factions militaires (« cliques »).
1er juillet 1921 : Fondation, à Shangaï, du Parti communiste chinois ( Zhongguo Gongchandang) par
Chen Duxiu (1879 -1942) ; Ier Congrés du PCC.
1923 : « Premier front uni » du Guomindang et du PCC, à l'initiative de Sun Yat-tsen.
12 mars 1925 : Mort de Sun Yat-tsen. Le Guomindang se divise entre partisans de l'alliance avec les
communistes et tenants d'une ligne unificatrice « dure » menée par Tchang Kaï- chek.
1927- 1936 : « Démocrature » de Tchang Kaï-chek.
1927-1931 : Mise au pas des « seigneurs de la guerre » par Tchang ; réunification par la force du
Guomintang et de la République ; lutte contre les Communistes.
Mars 1927 : Insurrection de Shanghaï menée par les communistes (La Condition humaine d'A.
Malraux).
4 juillet 1928 : Tchang Kaï-chek élu Président de la République. Déplace la capitale à Nankin.
Automne 1931 : Fondation de la « République soviétique chinoise » du Jiangxi.
18 septembre 1931 : « Incident de Moukden » ; invasion de la Mandchourie par le Japon.
Octobre 1934-Octobre 1935 : la Longue Marche (Changzhen).
24 décembre 1936 : Accords de Xi'an entre le PCC et le Guomindang. « 2ème Front uni », contre le
Japon cette fois.
Juin 1937 : invasion de la Chine par les troupes japonaises.
1937- 1945 : seconde guerre sino-japonaise
4 décembre 1937- 28 mars 1938 : Massacres de Nankin.
10 aôut 1945 : Capitulation du Japon.
28 août-15 octobre 1945 : Conférence de Tchongking ; échec des négociations entre PCC et
Guomintang.
Printemps 1946 – Novembre 1949 : « La Guerre de Libération ».
B- La « Grande Révolution prolétarienne » :
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1er octobre 1949 : Proclamation de la République populaire de Chine.
Janvier 1950 : Extension de la réforme agraire à toute la Chine
Avril 1950 : Lois sur le mariage interdisant la polygamie, les mariages forcés et établissant l'égalité des
sexes.
Mars 1951 : 1ère campagne contre les « contre-révolutionnaires ».
Décembre 1951 : Campagne des « 3 anti » contre « la corruption, la bureaucratie et le gaspillage ».
Janvier 1951: Campagne des « 5 anti » (Fraude, prévarication, vol des biens de l'État, évasion fiscale,
espionnage économique).
1953-1957 : 1er plan quinquennal.
1955-1957 : 1er « Bond en Avant ». Collectivisation forcée des campagnes.
Février 1956 : XXème Congrès du PCUS.
15-27 septembre 1956 : VIIIème Congrés du PCC ; « le socialisme pas à pas ».
Février-juin 1957 : « Les Cents Fleurs »
8 juin 1957 : Début de la « campagne anti-droitière » contre les intellectuels.
1958-1962 : 2ème plan quinquennal.
C – Le grand tournant : une « voie chinoise vers le Communisme » ?
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Mai 1958 : Mao décrète « le Grand Bond en avant » (Dà Yuè jin).
1959 : Innondations du Huàng Hé (Fleuve Jaune).
1960 -1962 : La grande famine.
29
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Juillet 1959 : « La tempête de Lushan » ; rapport de Peng Dehuai contre le GBA.
Hiver 1960 : « Les 3 coups de barre à droite ».
Novembre 1962 : L'URSS rompt ses relations diplomatiques avec la Chine.
1962-1965 : « Mouvement d'éducation socialiste » : épuration des cadres ruraux du Parti.
Relative libéralisation du régime.
Mai 1964 : Publication du « Petit Livre rouge » à l'initiative de Lin Biao.
1965 : Définition, par le tandem Mao-Lin Biao, de la doctrine d'une « voie chinoise vers le
Communisme ». Développement du culte de la personnalité.
25 mai 1966 : Début de la Révolution culturelle à l'Université de Pékin.
29 mai 1966 : Création des Gardes Rouges
8 août 1966 : le Comité central déclenche « la Terreur rouge » dans le cadre d'un projet de loi sur « les
décisions sur la grande révolution culturelle prolétarienne ».
Janvier-février 1967 : grèves massives à Shanghaï ; proclamation de la Commune de Shanghaï.
Juillet 1967 : « Tournant » de Wuhan : violents affrontements entre « rebelles » (Gardes Rouges) et
« conservateurs » (ouvriers et militaires) ; la Chine au bord de la guerre civile.
Octobre 1967 : Mao ordonne le « retour à l'ordre » ; création des 29 comités révolutionnaires chargés
de la répression appelée « purification des rangs de classe » (3 M de personnes arrêtées).
2 mars 1968 : Affrontements entre gardes frontières soviétiques et chinois sur l'Ossouri.
28 juillet 1968 : Dissolution des Gardes Rouges. Fin officielle de la Révolution Culturelle.
Avril 1969 : IXème Congrès du PCC ; Lin Biao désigné successeur de Mao.
11 septembre 1971 : Assassinat de Lin Biao, officiellement mort dans un accident d'avion (sa mort est
cachée pendnat un an).
4-5 avril 1976 : « Incident du 5 avril » : manifestations populaires massives place Tien'anmen,
violemment réprimées par la police ; Deng Xiaoping disgracié, Hua Guofeng « 1er Vice-Président ».
Juillet 1976 : Séisme de Tangshan (magn. 8,2) ; entre 600 000 et 800 000 victimes ; la Chine refuse
l'aide internationale.
D – Une 3ème révolution ? Vers « l'économie socialiste de marché » :
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9 septembre 1976 : Mort de Mao Zedong, de la sclérose latérale amyotropique (SLA)
dégénérative dont il souffrait depuis 4 ans.
1976–1980 : « Interrègne » de Hua Guofeng (1921–2008). Gouvernement des « Experts ».
10 octobre 1976 : Arrestation de la « Bande des Quatre » (dont Jiang Qing, la 4ème épouse de Mao).
Avril 1977 : Réhabilitation de Deng Xiaoping après une campagne de dazibaos sur le Mur de la
Démocratie à Pékin. Deng nommé 1er ministre.
1978 : « Les quatre modernisations » : la Chine s'ouvre au monde et instaure « l'économie
socialiste de marché ».
1980 – 1989 : Règne de Deng Xiaoping (1904-1997), « le Petit Timonier ».
30
Annexe II : la Révolution est aussi une question d’écriture
Le plus ancien système d'écriture au monde est réputé pour sa complexité : plus de
48 000 signes. Un tel système s'identifiait au pouvoir sans partage d'une caste, celle des mandarins et des
lettrés.
En conséquence, tout effort pour sortir la Chine de son immobilisme politico-économico-social passait par une
obligation de modernisation linguistique : à la révolution politique correspondait inévitablement une
révolution linguistique et littéraire reposant sur une simplification drastique du système d'écriture. Avec quatre
priorités :
- Unifier linguistiquement la Chine pour casser le fondement des particularismes locaux et des
régionalismes et assurer l'indépendance du pays face à l'étranger;
- Alphabétiser massivement le pays, sans quoi ni la démocratie ni la modernisation industrielle ne sont
possibles ;
- Casser le pouvoir des mandarins et de l'aristocratie, donc en finir avec les privilèges ;
- Ouvrir la Chine au monde.
La première tentative de transcription de l'écriture chinoise en système alphabétique « moderne » vient des
Britanniques : le système Wade-Giles (1859, modifié en 1912), transcription phonétique qui romanise le
dialecte cantonais. Par convention, il continue à être utilisé pour transcrire les noms chinois de la période
d'avant 1949 : Sun Yat-sen, Tchang Kai-chek, ou le Mao Tse-tung de la Longue Marche.
En 1919, les étudiants de Pékin déclenchent sur la place Tien'anmen le Mouvement du 4 Mai, toujours
commémoré dans la Chine Populaire comme la Fête de la Jeunesse, vaste mouvement populaire témoignant
de l'émergence d'un sentiment patriotique. Dirigé avant tout contre la domination étrangère, il se double d'une
véritable révolution littéraire et culturelle : elle aboutit à faire adopter le Baihua, une langue écrite
vernaculaire, comme langue officielle et d'enseignement, sapant ainsi la base de la domination du mandarin
(désormais abandonnée, elle reste très pratiquée à Taïwan).
Sous la révolution communiste, une commission linguistique se met au travail dès 1950. Son projet de
transcription est approuvé le 11 février 1958 par l'Assemblée populaire nationale : c'est le système pinyin,
littéralement « épeler les noms », qui est un système de transcription phonétique en écriture latine du chinois
Han (son nom complet est « Hanyu pinyin »). Ainsi Canton devient-il Guangdoung, Pékin « Beijin », Mao
« Mao Zedong »... Parallèlement, le système idéographique est ramené à 2300 caractères. C'est la fin des
mandarins … et l'ouverture à l'enseignement du Chinois dans les universités étrangères !
Adopté définitivement en 1979 comme système officiel de transcription par le Gouvernement Chinois et
reconnu à l'échelle internationale, le pinyin est la romanisation du chinois la plus répandue de nos jours dans
les ouvrages modernes.
Le pinyin est un alphabet de 25 lettres latines (sur 26, le V n'étant pas utilisé) et 4 signes diacritiques
transcrivant sur les voyelles les 4 tons du chinois : montant ('), descendant (/), neutre (-) et montant descendant
(^).
Gros désavantage : difficile de lire correctement cette transcription sans en connaître auparavant le
mode d'emploi !
Quelques règles pour prononcer les noms chinois :
C = TS, avec explosion.
CH = TCH, avec explosion
E = É après I ou U
EI = É
ER ou R final = EUL rétroflexe (Long'eul).
H = H fortement aspiré, comme dans le H initial allemand
I = E muet, sauf après J, Q, X ou Y où il se prononce i.
J = J mouillé (Iang Ieshi)
OU = O-OU, diphtongue.
Q = TCH mouillé (l'actrice « Tchiong » li)
R = J rétroflexe
31
U = OU, sauf après J, Q, X, Y = u
X = CH palatisé (allemand « tch »)
Z = DZ (Mao Dzedoung )
ZH = DJ (Djongguo, l'Empire du Milieu).
(Sources : La Longue marche vers la Chine moderne, Découvertes Gallimard 1986, p.169)
Bibliographie :
Ouvrages généraux :
BERGÈRE Marie-Claire, La République populaire de Chine de 1949 à nos jours, Armand Colin, « U », 1987
(réed. 2000).
CHENG André et BETBÈZE Jean-Paul, les 100 mots de la Chine, « Que sais-je ? » PUF 2010
DOMENACH Jean-Luc et RICHER Philippe : La Chine, 1949-1984, Le Seuil 1994
DOMENACH Jean-Luc : Mao, sa cour et ses complots, Fayard 2012
HUDELOT Claude : la Longue Marche vers la Chine moderne, Découvertes Gallimard, 1986.
LEYS Simon : Essais sur la Chine, « Bouquins », Robert-Laffont, 1998
ROUX Alain : La Chine au 20ème siècle, Armand-Colin, « Cursus Histoire », 2006 réed. 2010.
TUR Jean-Jacques : La Chine, trois révolutions pour une renaissance, L'Harmattan, 2013.
Sur la famine :
BECKER Jasper : Hungry Ghosts : la grande famine de Mao, Dagorno 1998
DIKÔTTER Frank : Mao's great famine : the history of China most devastating catastrophe, Bloombury.
London, 2010.
YANG Yisheng : Stèles : la grande famine en Chine, Seuil 2012.
ZHENG Yi : Stèles rouges : du totalitarisme au cannibalisme, éd. Bleu de Chine, 1999 réed. 2007
Et bien sûr :
HAN Suyin, Multiples splendeurs, Mercure de France, 1952, réed. 2010
MALRAUX André : La Condition humaine...
32
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