En savoir plus - Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et
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CHRONIQUE OBSERVATOIRE SUR LES ÉTATS-UNIS 18 MARS 2014 Trois démocrates qui pourraient battre Clinton lors des primaires de 2016 CHRISTOPHE CLOUTIER Chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, et doctorant en science politique, UQAM À un peu moins de deux ans du début de la saison des primaires en vue des élections présidentielles de 2016, Hillary Clinton semble se démarquer en tant qu’héritière présomptive de Barack Obama chez les démocrates, et ce, bien qu’elle demeure sibylline quant à sa décision de se présenter ou non. L’ex-première dame compte sur de nombreux atouts, alors qu’elle pourra compter sur une équipe de campagne aguerrie et fidèle, sur un financement massif, sur une couverture médiatique abondante et sur un engouement populaire, notamment chez celles et ceux qui souhaiteraient voir une première femme accéder à la magistrature américaine suprême. Ancienne première dame, sénatrice de l’État de New York, puis secrétaire d’État, Clinton est depuis plusieurs décennies une figure centrale de la vie politique américaine dont l’expérience ne saurait être remise en question. Sa candidature potentielle suscite l’enthousiasme chez les électeurs démocrates : un récent sondage Washington Post-ABC News révélait que 73% d’entre eux voyaient en elle la meilleure candidate pour leur parti en vue des élections de 20161. Est-ce à dire que Clinton, si elle choisit de se lancer, sera immanquablement couronnée candidate démocrate? Rien n’est moins sûr. Si au Parti républicain il est d’usage de nommer pour candidat le « prochain dans la file », celui qui a terminé deuxième lors du cycle électoral précédent2, les militants démocrates, eux, sont moins prévisibles. Ainsi que le disait nul autre que Bill Clinton : « Democrats fall in love, Republicans fall in line. » Aussi, et bien qu’aucun candidat n’ait jusqu’à maintenant ouvertement affirmé son intention de se présenter, Clinton doit s’attendre à rencontrer 1 « The 2016 Primaries and General Election », Washington Post, 30 janvier 2014, http://www.washingtonpost.com/politics/the-2016-primaries-and-general-election/2014/01/29/78e2368c-8955-11e3916e-e01534b1e132_graphic.html. Consulté le 23 février 2014. 2 Ce fut encore le cas récemment en 2008 et en 2012 lorsque John McCain et Mitt Romney remportèrent successivement l’investiture pour le Grand Old Party après avoir terminé deuxième en 2000 et en 2008 respectivement. 1 une certaine opposition lors des primaires. Voici trois politiciens démocrates qui pourraient, s’ils choisissent de se lancer, poser un sérieux défi à la campagne de Clinton. Joe Biden et l’avantage historique de la vice-présidence À bien des égards, le vice-président des États-Unis Joe Biden pourrait s’avérer l’un des principaux adversaires d’Hillary Clinton s’il décide de se lancer à nouveau dans la conquête de l’investiture démocrate 3 . Les détracteurs du vice-président sont nombreux : plusieurs lui reprochent d’être une machine à faire des gaffes, tandis que d’autres mentionnent son âge, alors que Biden, né en 1942, est cinq ans plus vieux que Clinton, dont plusieurs ont déjà par ailleurs souligné le grand âge et la santé fragile. Pour autant, l’idée d’une candidature de Biden ne doit pas être écartée trop vite : politicien d’expérience, il a effectué six mandats au Sénat entre 1973 et 2008, au cours desquels il a présidé la Commission judiciaire du Sénat et la Commission du Sénat sur les relations extérieures. Il s’est jusqu’ici avéré un vice-président actif et l’un des hommes de confiance du président. Qui plus est, sa réputation de blue collar liberal pourrait aider le Parti démocrate à renforcer les liens avec la classe ouvrière américaine, un groupe que les démocrates tentent sans cesse de courtiser depuis quelques décennies. Lorsqu’il fut choisi comme colistier de Barack Obama en 2008, plusieurs voyaient en Biden un vice-président qui serait une sorte de reflet démocrate de Dick Cheney (le vice-président de George W. Bush), c’est-à-dire un second sans ambitions présidentielles ultérieures, totalement dédié au service du président4. Or, Biden n’a jamais fermé la porte à une éventuelle candidature. Dans une entrevue récente à CNN, il affirmait ne pas être en mesure de donner une raison pour ne pas se présenter. Lors de cette même entrevue, il a annoncé qu’il prendrait une décision à l’été 2015 et qu’il se lancerait s’il considère qu’il est le candidat le plus apte pour défendre l’Américain moyen et pour formuler une politique étrangère raisonnable5. S’il devait choisir de se lancer, Biden bénéficierait de l’avantage historique que confère la vice-présidence dans la course à l’investiture. Avant lui, Richard Nixon (1960), Hubert Humphrey (1968), George H. Bush (1988) et Al Gore (2000) sont tous parvenus à obtenir la nomination de leur parti en tant que vice-présidents sortants. Toutefois, seul Bush est parvenu à triompher à l’élection présidentielle, 3 Biden fut un candidat malheureux lors des primaires en 1988 et en 2008. Mark Halperin et John Heilemann, Double Down. Game Change 2012, New York: Penguin Press, 2013, p. 76. 5 Natalie Villacorta, « 2016 Election: Joe Biden Can’t Think of Reason not to Run », POLITICO, 7 février 2014, http://www.politico.com/story/2014/02/joe-biden-2016-election-decision-103251.html. Consulté le 24 février 2014. 4 2 ce qui pourrait inciter les électeurs démocrates à chercher ailleurs un candidat capable de conserver la Maison-Blanche6. Brian Schweitzer, le gouverneur populiste Brian Schweitzer est un autre candidat qui pourrait venir jouer les trouble-fêtes pour Clinton lors des primaires de 2016. Peu connu du grand public, il a été de 2005 à 2013 le populaire gouverneur du Montana, un État traditionnellement acquis au Parti républicain. Après avoir été contraint à la sortie, puisque la Constitution de cet État limite à deux le nombre de mandats de gouverneurs que peut exercer un individu. Dans une entrevue accordée à RealClearPolitics en octobre dernier, Schweitzer a affirmé qu’il était ouvert à l’idée de se lancer dans la course en 2016, et ce, même si Hillary Clinton choisit elle aussi de tenter sa chance7. Il faut dire que si Schweitzer, qui aura 61 ans en 2016, n’a pas la notoriété de Clinton et de Biden, sa candidature bénéficie d’un certain nombre d’atouts. Son style populiste, de même que le fait qu’il provienne d’un État rural, pourraient l’aider à se distinguer des candidats issus de l’establishment de la côte est et l’aider lors des caucus de l’Iowa, un autre État rural. Qui plus est, Schweitzer a la réputation d’être un bon gestionnaire fiscal. Il pourrait donc constituer un candidat de choix pour les électeurs démocrates plus conservateurs. Tout comme Biden et la vice-présidence, Schweitzer bénéficierait, en tant qu’ancien gouverneur, d’un avantage historique. Ainsi que le rappelait récemment le politologue Larry Sabato, l’électorat américain a, depuis la fin du XIXe siècle, développé une nette préférence pour les anciens gouverneurs lorsque vient le temps de choisir des candidats aux élections présidentielles8. Quatre des six derniers présidents (Jimmy Carter, Ronald Reagan, Bill Clinton et George W. Bush) ont occupé cette fonction avant d’atteindre la Maison-Blanche9. De son côté, Clinton doit 6 Sur Joe Biden et ses éventuelles ambitions présidentielles pour 2016, on peut lire avec intérêt : Glenn Thrush, « Joe Biden in Winter », Politico Magazine, March/April 2014, <http://www.politico.com/magazine/story/2014/02/joebiden-profile-103667.html?ml=po_r#.UxX2hYWDwpc>. Consulté le 27 février 2014. 7 Scott Conroy, « Brian Schweitzer Mulling 2016 Presidential Bid », RealClearPolitics, 18 octobre 2013, http://www.realclearpolitics.com/articles/2013/10/18/brian_schweitzer_mulling_2016_presidential_bid_120380.html . Consulté le 25 février 2014 8 Larry J. Sabato, « Will a Governor Win the White House in 2016? », POLITICO Magazine, 17 février 2014, http://www.politico.com/magazine/story/2014/02/2016-elections-governor-white-house-103568.html. Consulté le 25 février 2014. 9 Alors que 2008 avait été une élection exceptionnelle, en mettant aux prises deux sénateurs, 2016 pourrait marquer le retour des gouverneurs. Chez les démocrates, outre Schweitzer, les noms de Martin O’Malley (Maryland), Andrew Cuomo (New York), Deval Patrick (Massachusetts), sans oublier Jerry Brown (Californie) et Howard Dean (ancien gouverneur du Vermont de 1991 à 2003) circulent. Chez les républicains, plusieurs voient en Scott Walker (Wisconsin) un candidat prometteur, tout comme Jeb Bush (ancien gouverneur de la Floride, fils et frère de Bush 41 3 surmonter un autre obstacle en tentant de devenir la première ancienne secrétaire d’État à atteindre la Maison-Blanche depuis James Buchanan, dont la présidence malheureuse (18571861) a vu le pays s’enfoncer dans la crise qui devait le conduire à la Guerre de Sécession10. Elizabeth Warren, un défi à la gauche de Clinton? Si Schweitzer risque de constituer un défi à la droite de Clinton, la candidate éventuelle devra aussi vraisemblablement se préparer à faire face à un défi sur sa gauche. Les militants de l’aile progressiste de plus en plus décomplexée du Parti démocrate voudront présenter leur champion(ne), d’autant plus qu’Hillary Clinton demeure associée aux politiques de centre-droit de son mari, de même qu’à son appui initial, en tant que sénatrice, à la guerre en Irak en 2003. Ce soutien à la guerre a déjà nui à Clinton dans le passé, alors que Barack Obama avait su, lors des primaires de 2008, se présenter comme le candidat opposé à ce conflit de plus en plus impopulaire et qui, une fois à la Maison-Blanche, saurait y mettre fin. À l’heure où la question des inégalités préoccupe de plus en plus les Américains11, le défi pourrait cette fois venir d’Elizabeth Warren, sénatrice du Massachusetts élue en 2012 et qui s’est fait connaître par son combat contre les abus des grandes banques. Ancienne professeure de droit à Harvard et auteure de best-sellers, Warren bénéficiait déjà d’une certaine notoriété avant son élection au Sénat, particulièrement auprès des activistes progressistes. Elle est selon plusieurs la politicienne la plus à même de transporter les doléances du mouvement Occupy sur la scène politique afin de sensibiliser un grand nombre d’Américains aux revendications de ce mouvement12. Dans un article du magazine progressiste The New Republic, le journaliste Noam Scheiber présente Warren comme la candidate le plus susceptible de battre Clinton dans une éventuelle course à l’investiture : une femme13, proche des cercles populistes, qui pourra à cet et 43). Il ne faudrait pas non plus tenir trop vite Chris Christie (New Jersey) pour battu, malgré le scandale du Bridgegate. 10 Ibid. 11 Une récente étude Pew nous apprenait que 65% des Américains ont perçu une augmentation des inégalités au cours des 10 dernières années. Pendant ce temps, pas moins de 90% des électeurs démocrates affirment que le gouvernement doit intervenir pour réduire ces inégalités. - X, « Most See Inequality Growing, but Partisans Differ over Solutions », Pew Research Center for the People and the Press, 23 janvier 2014, http://www.peoplepress.org/2014/01/23/most-see-inequality-growing-but-partisans-differ-over-solutions/. Consulté le 26 février 2014. 12 Ben White et Maggie Haberman, « Wall Street’s Nightmare: President Elizabeth Warren - Ben White and Maggie Haberman », POLITICO, 11 novembre 2013, http://www.politico.com/story/2013/11/wall-street-elizabeth-warrenpresident-2016-elections-99697.html. Consulté le 25 février 2014. 13 Huit ans après l’élection de Barack Obama, le désir d’un grand nombre d’activistes démocrates de faire à nouveau l’histoire en envoyant une première femme à la Maison-Blanche est manifeste. 4 égard compter sur ces nombreux partisans pour financer sa campagne et qui saura animer la passion des électeurs démocrates et indépendants14. Malgré tous ces avantages, il paraît peu probable pour l’instant que Warren choisisse de se lancer dans la course, du moins si Clinton se présente15. D’autant plus que, l’automne dernier, elle s’est ralliée à un groupe de 16 sénatrices appuyant la candidature éventuelle de l’ancienne secrétaire d’État. Il faudra néanmoins voir si la pression qu’exerceront les activistes progressistes pourra éventuellement convaincre Warren à revenir sur sa décision afin d’offrir une candidature populiste de gauche16. *** À ce stade, deux ans avant le début des primaires et alors que personne n’a encore annoncé officiellement son intention de briguer l’investiture démocrate, le champ des possibilités est aussi vaste que l’imagination. Si Hillary Clinton choisit de se présenter, elle fera certainement face à des candidats qui chercheront à se présenter comme une alternative pour les électeurs démocrates qui refusent de plébisciter l’ancienne première dame. Du reste, si elle choisit de plonger, Clinton sait mieux que personne que le statut de favori, si longtemps avant les primaires, n’est garant de rien. N’était-elle pas plus ou moins dans la même situation en 2006-2007, avant qu’un jeune sénateur peu connu de l’Illinois ne vienne freiner son ascension vers la Maison-Blanche? Christophe Cloutier www.dandurand.uqam.ca 14 Noam Scheiber, « Hillary’s Nightmare? A Democratic Party That Realizes Its Soul Lies With Elizabeth Warren », The New Republic, 10 novembre 2013, http://www.newrepublic.com/node/115509/. Consulté le 25 février 2014. 15 Larry J. Sabato, Kyle Kondik and Geoffrey Skelley, « 2016 Presidential Ratings Update: Nothing but Questions on the Republican Side », Sabato’s Crystal Ball, 6 février 2014, http://www.centerforpolitics.org/crystalball/articles/2016-‐presidential-‐ratings-‐update-‐nothing-‐but-‐questions-‐on-‐ the-‐republican-‐side/. Consulté le 25 février 2014. 16 À défaut de Warren, cette place pourrait être occupée en 2016 par l’ancien sénateur du Vermont Howard Dean, qui n’a pas caché son éventuel intérêt à se lancer. – Peter Hamby, « On the left, Howard Dean open to Presidential Bid », CNN Politics, 20 juin 2013, http://politicalticker.blogs.cnn.com/2013/06/20/on-the-left-howard-dean-open-topresidential-bid/. Consulté le 26 février 2014. 5