Application de la législation antitabac dans les établissements de

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Application de la législation antitabac dans
les établissements de soins psychiatriques
État des lieux européen
L. Michel*, A. Ouranou**
Le décret du 15 novembre 2006 vient interdire, et ceci sans exception, la
consommation de tabac dans les locaux hospitaliers. La loi Évin de 1991 le
prévoyait déjà mais autorisait, à la discrétion de chaque établissement, la possibilité de maintenir un fumoir, moyennant respect de règles bien précises de
ventilation ou de volume. Depuis le 1er février dernier, il est strictement interdit
de fumer dans les locaux d’hospitalisation psychiatrique, moyennant un aménagement individuel transitoire. Patients et soignants ne pourront fumer que
dehors. La France rejoint donc le (petit) concert des pays européens pionniers
du bannissement total du tabac des services de psychiatrie : Italie, Allemagne,
Slovénie, Malte, une grande partie des établissements irlandais.
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Une exception mais pas la règle
Aujourd’hui, il n’est plus autorisé de fumer
dans ces établissements hospitaliers, mais
un aménagement individuel transitoire a été
prévu, à titre exceptionnel : “Au regard des
pathologies prises en charge, l’application
de l’interdiction de fumer pourra être progressive pour certains patients si la mise en
œuvre d’un sevrage tabagique rapide présente des difficultés médicales majeures.”
La situation doit donc rester tout à fait marginale et, en aucun cas, l’exception ne doit
devenir la règle.
La seule vraie exception concerne le long
* Praticien hospitalier, centre de traitement
des addictions, hôpital E.-Roux, Limeil-Brévannes.
** Office français de prévention du tabagisme,
66, boulevard Saint-Michel, 75006 Paris.
séjour : “Ne sont en revanche pas concernées les chambres des personnes accueillies
dans les structures de long séjour, qui sont
assimilables à des espaces privatifs. Ces
considérations ne font cependant pas obstacle à ce que le règlement intérieur de
l’établissement fixe, dans l’intérêt collectif,
les recommandations encadrant la possibilité de fumer dans les chambres” (circulaire
du 8 décembre 2006 relative à la mise en
œuvre des conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les établissements
de santé, parue au Journal Officiel du 19
janvier 2007).
Beaucoup appréhendent cette situation et
redoutent de nombreuses difficultés.
Certaines particularités de l’hospitalisation
en psychiatrie la distinguent en effet d’une
hospitalisation classique. Les durées y sont
couramment plus longues, bien que considérablement raccourcies ces dernières années ; les patients sont fréquemment admis
contre leur gré, le plus souvent alors dans
des unités fermées, parfois en chambre
d’isolement sans aucune liberté de mouvement. Il existe des liens entre la psychopathologie des patients et leur tabagisme,
notamment pour la dépression et le suicide
et, à un moindre degré, pour les troubles
anxieux. L’addiction au tabac des patients
hospitalisés en psychiatrie est plus intense
(ils fument plus et plus intensément, plus
de 80 % des schizophrènes hospitalisés fument), et ils ont malheureusement moins
Le Courrier des addictions (9) ­– n° 2 – avril-mai-juin 2007
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En psychiatrie, en France, il était jugé inconcevable de ne pas prévoir de fumoir en raison
de l’importance du tabagisme des patients
psychiatriques. Et cela d’autant plus que la
transgression répétée (chambres, lieux communs…) par les patients (mais aussi parfois
les soignants) des règles imposées par la loi
Évin faisait l’objet d’une tolérance courante.
Les hospitalisations prolongées, parfois quasi résidentielles, et la réticence à frustrer les
patients de ce qui était considéré comme l’un
“de leurs rares plaisirs”, justifiaient le plus
souvent cette attitude.
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de succès dans leurs tentatives d’arrêt de
tabac.
Les patients psychiatriques paient cependant un lourd tribut à cette addiction : ils
reçoivent des posologies plus élevées d’antipsychotiques, car le métabolisme de ces
derniers est accéléré du fait de l’activation
des cytochromes hépatiques par la nicotine ;
ils présentent plus de dyskinésies tardives
(posologies d’antipsychotiques plus élevées, rôle éventuel d’une hyperdopaminergie sous-corticale induite par la nicotine).
Globalement, le tabagisme constitue la première cause d’excès de mortalité naturelle
des patients schizophrènes pour lesquels le
ratio de mortalité standard (décès observés/
décès attendus) est trois fois supérieur à celui de la population générale (1).
Trois catégories
Quelles sont les législations dans les différents états européens et leur niveau d’application dans les services de psychiatrie ? Le
partage d’expérience avec ceux ayant passé
le cap d’une interdiction totale de fumer en
psychiatrie peut certainement permettre de
mieux aborder cette transition complexe.
Le réseau européen “Hôpital sans tabac”
a effectué un recensement des différentes
législations européennes. On peut globalement les classer en trois catégories.
 La première : celles qui bannissent totalement le tabac dans les locaux hospitaliers (pas de fumoirs ni espaces fumeurs),
sans exception pour la psychiatrie : c’est
le cas de l’Italie depuis 2005 et de l’Allemagne depuis 2002, mais seulement pour
certains länders, et semble l’être de Malte
(date d’application : 2004) et de la Slovénie (2006). En revanche, la législation n’est
globalement pas respectée en Grèce et au
Portugal. En Espagne, où elle n’est applicable que depuis 2006, elle n’est pas respectée
et pas seulement en psychiatrie. La France
fait donc partie, depuis le 1er février 2007,
des pays expérimentant l’interdiction totale
de fumer dans les établissements de soins.
L’Irlande constitue un cas à part puisqu’une
interdiction totale de fumer dans les lieux
publics, hôpitaux compris, existe depuis
2004, mais comprend une exception pour
les services de psychiatrie et les hébergements pour personnes âgées. L’exception en
psychiatrie était initialement prévue, mais
uniquement pour le cas particulier des patients hospitalisés sous contrainte. Il existe
donc de nombreux services de psychiatrie
totalement non fumeurs.
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Cœur sans tabac
Dans le cadre de la campagne d’information Cœur sans tabac, la Fédération française de cardiologie (FFC) et la Société française de tabacologie (SFT) ont conclu un partenariat. L’action phare de cette collaboration est l’organisation d’interventions communes en entreprises
dans toute la France, en septembre prochain, pour sensibiliser les salariés aux dangers du tabac, notamment pour le cœur, et les informer
sur les méthodes de sevrage (selon un sondage Ipsos-Pfizer, réalisé en
mai 2006, 9 % des entreprises proposent une aide au sevrage : 33 % des
entreprises de 100 à 249 salariés, 34 % des entreprises supérieures à
250 salariés; 21 % sont intéressées par ces actions). C’est à ce titre que
la collaboration des tabacologues de la SFT est sollicitée. En effet, le
risque cardiovasculaire associé au tabac est largement méconnu. On
ignore en particulier que le sujet jeune est le plus touché (80 % des
infarctus chez les moins de 50 ans concernent des fumeurs) et que les
bénéfices de l’arrêt les plus tangibles et les plus immédiats concernent
la prévention des maladies cardiovasculaires. Pour faire passer le message, la FFC et la SFT ont commencé à faire campagne dans la presse
grand public le 31 mai, distribué des brochures destinées aux patients
qui viennent en consultation de cardiologie, de médecine du travail et
de tabacologie, et dans le cadre des grands événements de la FFC (Semaine du cœur et parcours du cœur). Ils organisent des rencontres en
entreprises, des conférences destinées au grand public, diffusent une
information en direction des décideurs et politiques.
Dépression, alcool et genre : une relation complexe
Brèves
Une récente étude canadienne, réalisée de janvier 2004 à mars
2005 auprès de 6 000 hommes et 8 000 femmes (entretiens téléphoniques) âgés de 18 à 76 ans, s’est attachée à mesurer, d’une part,
l’existence d’une dépression et, de l’autre, de la consommation
d’alcool (fréquence des prises, quantité globale bue sur la période
étudiée, consommations ponctuelles excessives…). Concernant les
indicateurs de consommation d’alcool, la dépression est surtout
corrélée au fait de consommer de grandes quantités par occasion,
mais pas du tout à sa fréquence globale. La relation entre alcool et
dépression est plus forte chez les femmes que chez les hommes,
mais uniquement pour la dépression majeure.
Graham K et al. Alcohol Clin Exp Res 2007; 31(1):78-88.
ensh.aphp.fr). En Suède, ce sont les “Recommandations: tobacco cessation and policy
recommandations for psychiatric care”, publiées avec le soutien de l’Institut national de
santé publique suédois. Il existe, par ailleurs,
une excellente revue de la littérature portant
sur le tabac et la santé mentale, effectuée par
le Dr Ann Mc Neill (Smoking and mental
Health, a review of the litterature), datant de
2001 et accessible en ligne (www.ash.org.uk/
html/policy/menlitrev.pdf).
Enfin, le site du réseau européen “Hôpital
sans tabac” (ensh.aphp.fr) donne accès en ligne à un nombre croissant d’informations sur
les différents États européens membres. n
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Les états bannissant totalement le tabac des
services de psychiatrie sont donc rares (Italie, Allemagne, Slovénie, Malte, une grande
partie des établissements irlandais) et l’application de leur législation récente. La France,
en interdisant totalement le tabac, également
dans les services de psychiatrie, fera partie
des pionniers en ce domaine.
Les États-Unis ont déjà une expérience prolongée de l’interdiction totale de fumer en
psychiatrie et du sevrage imposé. Ils sont à
l’origine d’une abondante littérature. En Europe, certaines recommandations ont déjà été
publiées. En Irlande, il s’agit du “Best practice
guidelines to support compliance with national policy in relation to tobacco management
in the mental health setting” publié en novembre 2006 par le réseau hospitalier irlandais de
promotion de la santé (HPH) et accessible sur
le site du réseau “Hôpital sans tabac” (http://
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 La deuxième catégorie de législations,
majoritaires : celles qui bannissent ou restreignent le tabac dans les hôpitaux, mais
prévoient des fumoirs ou des zones fumeurs.
Dans la plupart des cas, la législation est
appliquée bien qu’une information actualisée manque pour certains : Finlande (date
d’application : 1977) ; République Tchèque
(1989) ; Danemark (1995) ; Pologne (1996)
; Hongrie (1999) ; Luxembourg (2004) ; Lituanie (2004) ; Slovaquie (2004) ; Autriche
(2005) ; Belgique (2006) ; Lettonie (2006) ;
Pays-Bas (2006).
 La troisième catégorie : la législation n’est
pas appliquée, que ce soit pour l’ensemble des
établissements de santé (Chypre et Roumanie)
ou spécifiquement en psychiatrie (France avant
2007, Suède, Grande-Bretagne) où le tabagisme est alors toléré en dehors des espaces
fumeurs ou des fumoirs.
Référence bibliographique
1. Brown S, Inskip H, Barraclough B. Causes of the
excess mortality of schizophrenia. Br J Psychiatry
2000;177:212-7.
109 millions seulement pour la prévention tabac-alcool
“L’analyse économique des coûts du cancer, publiée par l’Institut national du cancer (INCA), indique qu’il occasionne 11 milliards d’euros de
dépenses de soins. En regard, la prévention tabac, alcool, nutrition, activité physique n’en débourse que 120 millions, parmi lesquels 46 millions
contre le tabagisme et 63 millions contre l’abus d‘alcool. Le Plan cancer,
lancé en 2003, ambitionnait pourtant de réduire de 30 % le tabagisme
chez les jeunes et de 20 % celui des adultes. Enfin, si les fumeurs payent
environ 10 milliards d’euros de taxes par an, l’assurance maladie n’en a
investi, en 2004, que 20 millions contre le tabagisme. Soit l’équivalent de
0,2 % de ces recettes fiscales. Le rapport chiffre le coût total à près de
547 millions d’euros que représenterait pour celle-ci le remboursement
à 100 % de l’ensemble des substituts nicotiniques à tous les fumeurs âgés
de 15 à 75 ans.
Violence et alcool chez les jeunes
La violence est fréquente chez les jeunes qui boivent de l’alcool,
en particulier chez les consommateurs problématiques. C’est ce
que montre l’étude que vient de réaliser l’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA) auprès de 6 993
écoliers âgés de 13 à 17 ans. Il les a interrogés sur leurs consommations, leurs motivations à boire et leur participation éventuelle
à cinq types de comportements violents : brimades verbales et corporelles, bagarres individuelles et en groupe, vandalisme. Résultats :
environ 20 % des adolescents (25 % des garçons et 15 % des filles)
ont une consommation problématique d’alcool et, parmi eux, les
violences physiques sont plus fréquentes. Ainsi, les 25 % de garçons
en question sont les auteurs de 50 à 60 % des actes de violence et
les victimes de 40 à 50 % des cas. Les 15 % de filles assument, à elles
seules, 40 à 50 % des violences commises et 30 à 40 % des subies.
Ces jeunes sont aussi deux fois plus nombreux à être insatisfaits
de leurs relations avec leurs parents, ont 4 fois plus de relations
sexuelles à risque, sont 5 fois plus souvent des fumeurs et 15 fois
plus souvent consommateurs de cannabis.
Kuntsche E et al. SFA/Ispa. Alcool et violence chez les jeunes. Lausanne,
octobre 2006. www.sfa-ispa.ch/ In: Actualités Alcool, INPES, n° 31.
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Le Courrier des addictions (9) ­– n° 2 – avril-mai-juin 2007