murs invisibles invisible walls

Transcription

murs invisibles invisible walls
murs invisibles
invisible walls
2013
1
Les ! NOCTIBULES ! Annecy
13
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festival des arts de rue
proposé par Bonlieu Scène nationale
du 10 au 13 juillet 2013
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Architects of air // Les Commandos Percu // Les
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2
3
Où est passé le Mur de Berlin ?
Where did the Berlin Wall go?
Jean-Marc Adolphe, Pierre Sauvageot
Les murs sont parfois hospitaliers et protecteurs. Mais ils peuvent aussi
se dresser comme des obstacles, voire d’infranchissables frontières qui
enferment et séparent. Les exemples seraient nombreux de ces « murs de
la honte » qui ghettoïsent ici ou là des populations entières. Mais tous les
murs ne sont pas aussi visibles. La « chute » du Mur de Berlin en 1989 n’a
pas totalement effacé les frontières mentales et symboliques, économiques
et sociales, entre ouest et centre européens. Et entre l’Europe et ses Suds,
les failles restent toujours aussi vives. Au sein même des villes, entre centres
et périphéries, parfois même entre quartiers d’une même agglomération,
d’invisibles lignes de démarcation dissocient les territoires.
En créant « hors les murs », les artistes de l’espace public voulaient s’affranchir des remparts de l’institution culturelle perçue comme intimidante voire inaccessible pour de nombreux citoyens. écrire et composer pour
la ville, et avec elle, jouer des contraintes comme des libertés qu’elle offre,
ouvre de stimulantes voies d’infiltration. Depuis dix ans, les partenaires du
réseau IN SITU ont accompagné une série impressionnante de créations
spécifiques. Il aura pourtant suffi que des artistes du Kosovo, pays marqué
par la question même des frontières, brandissent leurs « Murs invisibles »
pour qu’apparaisse la longue liste de tous les blocages qui freinent la liberté
des artistes. Censures insidieuses, obstacles économiques ou administratifs, ne sont pas le lot exclusif des arts de l’espace public, lesquels peuvent
en revanche rencontrer sur le terrain où ils se déploient des verrous identitaires, réels ou symboliques, qui ferment bien des accès. Le Mur de Berlin est tombé, mais les murs qui le remplacent sont d’autant plus efficaces
qu’ils sont « intériorisés ». En créant de l’étrangeté, en révélant de l’altérité
au cœur de ce qui semble connu, les artistes de l’espace public ne feront
pas à eux seuls tomber tous ces murs invisibles. Mais leurs créations contribuent à y former des ouvertures et des brèches, comme autant de passages
vers des perceptions moins sécuritaires du « vivre ensemble ».
Jean-Marc Adolphe, Pierre Sauvageot
Walls are sometimes welcoming and protective. But they can also stand
as obstacles, impassable borders which imprison and separate. There are
many examples of those “walls of shame” ghettoising whole populations
here and there. But not all the walls are so visible. The “fall” of the Berlin
Wall in 1989 has not deleted completely the mental, symbolic, economic
and social frontiers between the West and the centre of Europe. And the
rifts between Europe and its Souths are still there. Even inside the cities, between the centres and the peripheries, sometimes even between different
areas of the same neighbourhood, invisible lines separate the territories.
By creating “outside the walls”, artists working in public space wanted
to get free from the constraints of cultural institutions, perceived as intimidating or even inaccessible by many citizens. Writing and composing for
the city, and with the city; playing with its constraints as well as with the
freedoms it allows, offers stimulating opportunities for infiltration. For
ten years the members of the IN SITU network have supported an impressive number of specific creations. If just the artists from Kosovo, a country
deeply marked by the borders issue, had brandished their “invisible walls”,
the long list of all the blocks to artistic freedom would have appeared. Insidious censorship, economic or administrative obstacles, do not affect
exclusively the artists working in public space; but these can face, on the
ground where they work, obstacles linked to identity – either real or symbolic – which definitely prevent the access.
The Berlin Wall has fallen, but the walls replacing it are more effective
since they are “interiorised”. By creating strangeness, by revealing the other lying at the heart of what seems known, artists working in public space
alone will not make all these invisible walls fall – but their creations contribute to opening gaps and holes, like paths toward less securitarian-oriented
perceptions of “living together”.
Translation by Elena Di Federico and Marie Le Sourd (On the Move)
SOMMAIRE
CONTENTS
4
Lignes de partage, entretien avec Steve Stenning
Lieux publics
7
Lines of sharing, interview with Steve Stenning
Lieux publics
10
Des sphères publiques et des murs invisibles
Imanuel Schipper
13
On Public Spheres and Invisible Walls
Imanuel Schipper
16
Persistance du rite Julie Bordenave
18
Persistence of rituals Julie Bordenave
20
Sociétés parallèles Joanna Warsza
22
Parallel societies Joanna Warsza
24
Murs réels et murs virtuels Fanni Nánay
27
Real and Virtual Walls Fanni Nánay
30
La ville, participe actif Dominique Vernis
31
Conjugating the town Dominique Vernis
32
Villes éphémères en Europe, entretien croisé Olivier
Grossetête/Zimmerfrei Ariane Bieou, Quentin
Guisgand et Jasmine Lebert
35
Fleeting cities in Europe, crosstalk dialogue Olivier
Grossetête/Zimmerfrei Ariane Bieou, Quentin Guisgand
et Jasmine Lebert
38
Invisible Walls, forum IN SITU Richard Polácek
41
Invisible Walls, an IN SITU forum Richard Polácek
44
IN SITU, réseau européen pour
la création artistique en espace public
44
IN SITU, European network for artistic
creation in public space
47
Lieux publics en 2013
47
Lieux publics in 2013
En couverture : KompleXKapharnaüM, Figures libres, 2012. Photo : Vincent Muteau. | Cahier spécial / Mouvement n° 70 (juillet-août 2013) | Réalisé en coédition avec Lieux publics, centre
national de création en espace public et IN SITU, réseau européen pour la création artistique en espace public | Coordination : Jean-Marc Adolphe, Ariane Bieou, Aïnhoa Jean-Calmettes,
Jasmine Lebert | Conception graphique : Meghedi Simonian assistée de Béatrice Legrand | Edition : Aïnhoa Jean-Calmettes | Partenariats / publicité : Alix Gasso | Ont participé : JeanMarc Adolphe, Ariane Bieou, Julie Bordenave, Olivier Grossetête, Quentin Guisgand, Jasmine Lebert, Fanni Nánay, Richard Polácek, Pierre Sauvageot, Imanuel Schipper, Steve Stenning,
Dominique Vernis, Joanna Warsza, Zimmerfrei (Massimo Carozzi, Anna de Manincor, Anna Rispoli) et tous les coorganisateurs et partenaires du réseau IN SITU. | Traductions : Pierre
Covos, Elena Di Federico, Aïnhoa Jean-Calmettes, Marie Le Sourd, Sarah Jane Mellor | Remerciements : Cecilie Sachs Olsen | Mouvement, 6, rue Desargues - 75011 Paris | Tél. +33 (0)143
14 73 70 - www.mouvement.net | Mouvement est édité par les éditions du Mouvement, SARL de presse au capital de 4 200 euros, ISSN 125 26 967 - Directeur de la publication : JeanMarc Adolphe. © mouvement, 2013. Tous droits de reproduction réservés. Cahier spécial Mouvement n°70. NE PEUT ÊTRE VENDU | Lieux publics, centre national de création | Direction :
Pierre Sauvageot | Lieux publics, cité des arts de la rue, 225 av des Aygalades – 13015 Marseille - F | Tél : +33 (0)491 03 81 28 | [email protected] | www.lieuxpublics.com
3
LIGNES DE PARTAGE
Entretien avec Steve Stenning
Depuis 2011, Steve Stenning est directeur régional
du département des arts au sein du British Council
au Moyen-Orient et en Afrique du nord. Il participe
et contribue à de nombreux forums et conférences
en Europe et dans la région méditerranéenne.
Lieux publics
Traduit par Elena Di Federico
et Marie Le Sourd (On the Move)
Avec Les Villes invisibles, roman publié en 1972,
Italo Calvino « pense avoir écrit une sorte de dernier poème d’amour aux villes, au moment où il devient de plus en
plus difficile de vivre les villes. Nous nous approchons peutêtre d’un moment de crise de la vie urbaine, et les villes invisibles sont un rêve qui naît au cœur de villes invivables. » 1
Depuis sa parution, l’ouvrage n’a de cesse d’inspirer
nombre d’artistes, d’écrivains, d’universitaires…
En quoi les villes invisibles de Calvino ouvrent la
voie à de nouvelles formes de réappropriation des
villes par des démarches artistiques sensibles ?
« Dans Les Villes invisibles de Calvino, il y a un nouveau sens de la réalité, une nouvelle compréhension
de notre lien à l’espace et à la ville. Mais seraient-ils
réellement applicables ? Ce sens qui oscille entre la
réalité et une structure inventée est une façon pratique de considérer la question urbaine. Les villes
européennes sont conçues pour fonctionner selon
des plans et selon des méthodes de gouvernance,
mais la création artistique permet aux gens de regarder autour d’eux d’une façon différente, d’interagir
avec la ville, de l’explorer, de regarder une réalité différente avec des yeux différents et d’imaginer comment cet espace pourrait être et pourrait créer des
connexions avec les gens. Il s’agit d’une autre façon
de faire partie de la ville et de la modeler.
1. Italo Calvino, Les Villes
invisibles, Paris, Seuil, 2002,
p. 6.
4
Les artistes font de l’espace public leur terrain
de jeux. En font-ils pour autant un espace partagé
et sensible ?
« De nos jours, nous utilisons ce nouveau terme
d’“espace partagé ” parce que l’idée d’un espace public, ou commun, est assez difficile à comprendre.
L'espace public devrait être unique et référer à tous
ceux qui utilisent cet espace. Mais la difficulté est,
qu'en réalité, ce dernier est fermé, contrôlé et assujetti à de nombreuses règles. Il est très difficile de
l'utiliser de diverses façons, parce que travailler dans
l'espace que nous partageons transforme notre vision. L’espace public est aussi un espace public partagé. Il est temps de laisser s'opérer une appropriation
de l’espace et d’y créer une nouvelle réalité. Le public
peut aussi changer le champ des possibles autour de
ces espaces.
Est-ce pour cette raison que vous affirmez souvent que les festivals site-specific peuvent changer
l’espace ?
« Effectivement : l'un des aspects merveilleux des
festivals, c’est qu’un endroit banal devient particulier.
Pendant un festival, des règles différentes peuvent
commencer à s'appliquer à une rue empruntée quotidiennement par d’autres personnes. En tant que
marcheur, nous ressentons un véritable sentiment
de possession et d’appartenance. Par l'entremise de
festivals, nous créons une nouvelle géographie, une
exploration artistique.
L’art peut responsabiliser. Il peut aider à ré-imaginer et redéfinir un environnement et ainsi encourager cette idée d'appropriation. Dernièrement, j’ai
assisté à un discours donné par l’artiste et politicien
albanais Edi Rama sur la transformation qu'il met en
œuvre pour la ville de Tirana, par le simple fait de
donner de la peinture aux gens et de permettre aux
artistes de l’utiliser librement sur les murs de la ville.
Personnellement, je suis parti de Dundee (en
Écosse), une ville avec un vif intérêt pour l’engagement de la communauté dans les arts, pour ensuite
chercher des opportunités de présenter et de réaliser des manifestations – notamment des festivals et
des représentations en plein air. Dans cette ville, où
les habitants passent la plupart de leur temps enfermés, je vois l’effet, décuplé, que l’on peut provoquer
en changeant la relation entre les personnes et leur
environnement ainsi que les systèmes qui guident
leur vie.
Juste avant de venir ici, j’ai vu dans un quartier
périphérique du Caire une petite pièce de théâtre intimiste qui était mise en scène dans une salle
de mariage occupée par un centre social local. La
représentation était déplacée dans cet espace non
conventionnel par le festival d'art contemporain,
le Downtown Contemporary Arts festival. Il y avait
un chaos incroyable car beaucoup d’enfants participaient aux ateliers et aux spectacles. Quelqu'un a
demandé à une petite fille qui était là ce qu'elle pensait d'un tel évènement dans son quartier et elle a répondu : “Aujourd’hui, ça nous a donné l'impression d'être
importants.” Les festivals ont le pouvoir magique de
connecter le local au global et de rendre le quotidien
extraordinaire.
Foucault écrit dans Des espaces autres : « L’époque
actuelle serait plutôt l’époque de l’espace. Nous sommes à
l’époque du simultané. Nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à
côte, du dispersé. » 2 Comment cette juxtaposition des
espaces génère-t-elle de nouveaux murs invisibles,
notamment à l’échelle de l’Europe et de la Méditerranée ?
« Le concept d’“hétérotopie” de Foucault est une
façon intéressante d’envisager cette question. Du
fait de la juxtaposition d’espaces interprétés différemment selon les individus, de nouvelles formes de
murs invisibles apparaissent. Cette diversité d'interprétations est liée à la “culture CNN”. Nous vivons à
une époque dans laquelle nous avons un accès immédiat à l’information, nous pouvons comprendre
tout de suite ce qui se passe à l’autre bout du monde.
On peut voir des événements en direct, avoir l'impression de connaître les lieux dont il est question,
et se rendre compte, en allant sur place, qu'ils sont
complètement différents.
C’est particulièrement visible à des endroits
comme la place Tahrir : vous voyez des vendeurs de
bonbons, des gens qui visitent cet endroit comme un
musée et, dans le même temps, des manifestations
s'y déroulent. Pour certains, il s’agit d’un endroit
important pour exprimer leur opinion et lancer des
mouvements sociaux. Si vous êtes là avec un appareil
photo, comme beaucoup de gens, vous allez immédiatement et involontairement influencer les événements juste parce que vous y assistez, comme si vous
veniez d’un autre temps ou d’une arrière-scène. Un
mur apparaît alors, un mur de verre, et vous regardez
la scène à travers cette vitrine. J’ai eu ce même sentiment lorsque je travaillais au Sri Lanka après le tsunami. Les terres inondées étaient l'environnement
immédiat pour ces gens, l'endroit où ils vivaient. Cet
événement ayant été retransmis à la télévision, certaines personnes ont également regardé ces espaces
comme s'il s'agissait d'un musée.
Ici se joue très exactement l'idée de juxtaposition
dont parle Foucault : un même espace peut être pluriel parce que les individus portent sur lui des regards
venus d’un temps et d’une perspective différents. Ce
phénomène contribue à la création de murs.
2. Michel Foucault, « Des
espaces autres », conférence
au cercle d'études
architecturales, le 14 mars
1967, in Architecture,
Mouvement, Continuité n°5,
oct. 1984.
Vous avez exploré le thème « Art et changements ». Pouvez-vous nous donner des exemples
de la valeur de la culture en tant qu’outil de développement économique et social ?
JR, Inside Out, New York,
USA, 2011 (dans le cadre
de l'exposition The City
Speaks du British Council).
Photo : @JR.
5
« Il y a beaucoup d'exemples bien documentés de nir dans la société. Ce que l'on peut faire, le degré de
l’impact économique de l’art provenant du Royaume- notre engagement dépend en partie de la façon dont
Uni. Une étude conséquente a également été réalisée vous êtes perçus.
en Ecosse sur douze festivals de théâtre. Ces derniers
Où sont les murs invisibles dans votre pratique
auraient rapporté 4,6 milliards de livres à l'économie
écossaise cette année-là, soit plus que le golf, mais quotidienne ? Comment les affrontez-vous ?
« Je reconnais que j’ai beaucoup de chance, je suis
moins que le whisky ! Je ne peux m'empêcher de remarquer que l'on demande souvent aux artistes de le bienvenu presque partout et je rencontre des arjustifier leur travail, y compris du point de vue éco- tistes exceptionnels, très engagés dans nos projets.
Toute ma vie ayant été un artiste
nomique. On parle du nombre de
indépendant, ou travaillant au sein
nuits d’hôtel, de valeur de régénéde petites structures, j'ai remarqué
ration ou de valeur sociale, ou bien « Les différentes
que travailler dans une grande insde valeur ajoutée en terme d’inclu- interprétations
titution change certaines choses.
sion, de cohésion ou de ce que l’art
d'espace créent des On s’habitue aux murs qui exispeut apporter à d’autres domaines.
tent. On est vu comme “le type en
Le risque est qu’on autorise par murs invisibles. »
costume”, celui qui veut tout orgalà une instrumentalisation comniser et voir les choses se faire, pas
plète de l’art. Si nous défendons
l’art par des valeurs qui lui sont étrangères, cette nécessairement dans le champ de l'art d'ailleurs.
Le mur que je devrais davantage essayer d'abatforme n'est plus de l’art. Bien que je parle haut et fort
de l'intérêt pluriel de l'art pour les individus et la so- tre est celui de la langue. D'autre part, plusieurs pays
ciété, il est important de toujours en parler en termes ont un passé colonial dans lequel le Royaume-Uni
de valeurs intrinsèques. Il y a quelque chose d’abso- a joué un rôle crucial. Quand on est britannique et
lument fondamental dans le désir d’interpréter et qu’on travaille dans cette région, on voyage dans
d’exprimer le monde qui nous entoure, dans la façon des pays où les gens ne voient pas forcément l'intédont nous nous comprenons et dont nous interragis- rêt de connaître leur histoire, mais tous les enfants
sons avec ce monde. Et l’art vient de cet instinct aussi connaissent la Déclaration de Balfour. Et il y a aussi
des événements plus récents, évidemment, quand
essentiel que le désir de manger ou de rester en vie.
La société en a parfaitement conscience, surtout on pense à l’Irak. On est impliqué, d’une certaine faquand elle arrive à un moment critique, puisque les çon. On sera toujours de l’autre côté du monde parce
artistes sont alors souvent perçus comme des acteurs qu’on est partie intégrante de cette histoire que cela
pouvant faire bouger l’économie et instiller un senti- nous plaise ou non.
ment de régénération.
Vous travaillez actuellement pour le British
À l'intérieur même de l'Europe, les flux migra- Council, très impliqué dans la régénération des
toires mettent en exergue des murs plus ou moins villes à travers l’art. Comment êtes-vous intervenu
visibles ainsi que des frontières que l'on pensait au Caire ?
« Un des résultats les plus excitants de la révodisparues. Que vous apprend votre expérience à ce
lution pour les artistes est le sentiment qu'il est de
propos ?
« Cette question me préoccupe particulièrement leur responsabilité de participer aux affaires de la
en ce moment parce que nous avons accueilli les Jeux cité, non seulement artistiquement, mais aussi en
olympiques au Royaume-Uni, l'un des plus grands construisant des maisons ou en alphabétisant. Les
événements mondiaux qui puisse exister. Il fallait artistes ont soudain le sentiment, qu'en tant que
voir la juxtaposition absurde entre cette volonté de tels, ils peuvent et doivent agir. Au Caire, nous avons
montrer le caractère international de Londres et les travaillé avec des réseaux informels, des “coalitions
difficultés d'entrée sur le territoire causées par les d'artistes”, pour monter des projets. C’est beaucoup
procédures de visas. Un mur existe bien en Europe plus efficace, plus justifiable et moins contestable si
entre les ressortissants de pays dont la venue est ac- notre action aide les gens à faire évoluer les choses
pertinentes pour eux, plutôt que de risquer d’être
ceptée voire souhaitée et les autres.
Je fais partie des chanceux car je peux voyager re- accusé d'avoir un agenda politique spécifique à metlativement facilement et librement. Les dix-sept pays tre en œuvre. En Lybie, nous essayons d'avoir un rôle
dans lesquels je me rends en raison de mon travail plus immédiat et pertinent pour permettre la naisici (y compris la Palestine et Israël) ont des murs très sance d'une forme d’art dans la fracture post-révovisibles. Mais il y a aussi des murs invisibles entre cer- lutionnaire. Il s'agit aussi d’utiliser nos connexions,
taines parties du monde arabe. On le ressent quand nos soutiens, l’argent et notre expertise pour accomon se déplaçe d'un endroit à l'autre de la région. Je ne pagner ce processus, plutôt que d’arriver avec notre
parle pas seulement de questions de visas, je pense à agenda. Il s’agit de renforcement des capacités et égala façon dont on est traité, au rôle que l'on peut te- lement de régénération élargie. »
6
LINES OF SHARING
Interview with Steve Stenning
Since 2011, Steve Stenning is the British Council
Regional Arts Director in the Middle East and
North Africa. He takes part to numerous forums
and conferences all around Europe and the
Mediterranean area.
Lieux publics
1. Italo Calvino, Les Villes
invisibles, Paris, Seuil, 2002,
p. 6.
Dries Verhoeven, Fare
Thee Well. Photo : Dries
Verhoeven.
With Invisible Cities, published in 1972, Italo
Calvino “thinks he’s writing a sort of last love poem to the
cities, in the moment it becomes increasingly difficult to live
the cities as cities. We may be approaching a moment of
crisis in urban life, and the invisible cities are a dream born
in the heart of unliveable cities.” 1 Since its publication,
the book has never stopped inspiring many artists, writers, academics... In what are the Calvino’s
invisible cities paving the way for new forms of reappropriation of cities through artistic and sensitive ways?
“There is a new sense of reality in the Italo’s Invisible Cities, a new understanding of our connection
with the space and the city. Could that really work?
The idea swinging between reality and a kind of inventing structure is a useful way of looking at the urban issue. European cities are understood to work by
plans and by those who govern it, but artistic creation
allows people to look at the surroundings in a different way, to interact with it, to explore it, to see from
different eyes a different reality and to imagine how
it could be and how to create connection with people. It’s another way to be part of it and to shape it.
7
2. Michel Foucault, “Des
espaces autres”, in
Architecture, Mouvement,
Continuité no 5, oct. 1984.
8
Can the way artists make public space their
playground be seen as a construction of a shared
and sensitive space?
“Now we are using the new term of ‘shared space’
because the idea of a public space, or a common
space, is quite difficult to get. Public space should be
a single concept to extend to anybody who is using
it. That could become really complex because public
space is locked up, is controlled and has a lot of rules,
factually. It is really difficult to use it in many different ways because working in the space that we share
transform our view. The public space is also a public
shared space. It’s time to let that space become more
owned and to create some new reality in it. The public can change the sense of possibility around those
spaces as well.
transform the everyday into the extraordinary.
Foucault writes in Of other spaces (1967): “The
present epoch will perhaps be above all the epoch of
space. We are in the epoch of simultaneity: we are in the
epoch of juxtaposition, the epoch of the near and far, of
the side-by-side, of the dispersed.” 2 How juxtaposition
of different spaces, as in the Euro Mediterranean
area, is generating new invisible walls?
“Foucault’s concept of ‘heterotopias’ is an interesting way of looking at this fact. New forms of invisible walls are raising because there is a juxtaposition of spaces which are interpreted very differently
by people. Those different interpretations given to
space is correlated to the “CNN Culture”. We live in
an era where we can get information immediately,
understand immediately what’s going on in another
Is that the reason why you often say that site- part of the world. You can view events going on sispecific festivals can change the space?
multaneously and feel you know that space, and then
“Absolutely, because one of the delights of the fes- you come to discover it in a totally different light.
tivals is that it happens in a place. You can hold the
This is obvious in places like Tahrir Square: you
festival, walk on this street where people walk every- see candy seller, guys who see the place as a museum
day and different rules start to slightly being applied but at the same time there are demonstrations going
to that place. Thereby we really feel a sense of owner- on. For some people that space is an important space
ship, like we belong there. Through festivals you cre- of trying to express their opinion and engage a moveate a new geography, an artistic exploration.
ment. If you are there with a camera, as many people
Art can empower. It can help to re-imagine and are, you’ll find yourself unwittingly affecting events
redefine the environment thus encouraging that that are going on immediately because you are there
sense of ownership. I recently listened to a talk given looking at it, almost as if you were coming from a difby Albanian artist and politician
ferent time, as you were coming
Edi Rama about the transformation
from behind. Some kind of a wall
he claims for the city of Tirana by “Through festivals
appears here, a wall of glass if you
the simple action of giving people you create a
like and you are looking through
paint and artists free reign to use it
it. The same feeling occurred to
new geography,
on buildings.
me as well when I was working in
I moved myself from working an artistic
Sri Lanka post-tsunami. The space
in Dundee, a city of Scotland with exploration.”
that overflowed was the immediate
a glorious appetite for communisurrounding for people, space they
ty engagement with involvement
used to live in. As it was a major
in arts to looking for opportunities to present and event that was broadcasted to us, people also came to
make works where people are rather than necessar- see the space as some kind of museum.
ily within a building. In particular Festivals and outThat’s the idea of juxtaposition Foucault was talkdoor work – and then seeing an even more dramatic ing about: one same space can be plural because peoeffect that could be had in changing the relationship ple are looking at it with their view from a different
between people and their surroundings and with time and from a different perspective. That does crethe systems that guide their lives.
ate walls, definitely.
Immediately before coming here, I saw in the
outlying districts of Cairo a small intimate piece of
You’ve been exploring the topic of “Arts and
theatre which was being presented in a wedding hall Changes”. Could you please give us some example
occupied by a local social club. The small piece was of the value of culture as a tool for economical and
shifted to that unconventional space by the Down- social development?
town Contemporary Arts Festival – there was a won“There are a lot of well-documented examples
derful chaos as ludicrous numbers of kids engaged from the UK of the economic impact of art. And
with the workshops and performances. Amongst there was a huge study done across twelve theatre
that a young girl was asked what she felt about the festivals in Scotland. The exact value may have been
activity coming to her district and she replied: ‘Today about £4 600 M for the input of those festivals for the
it makes us think we are important.’ There is magic in the Scottish economy. Which is more than golf but less
way festivals connect the local with the global and than whisky! Now, I can't help noticing that artists
are often asked to justify themselves in very different incredible artists with great desire to engage with us
forms, like economic. We are talking about number and what we are doing. But having been an entirely
of nights in hotels, regeneration value or social value, independent artist, or an artist working for a small
inclusion, cohesion or whatever art would change to organisation all my life, I must say there are certain
things coming with working within an institution.
something else.
The danger is that you allow people to instru- You get used to the walls that exist. There are certain
mentalize art completely. If we are justifying art on conversations that you’re best keeping out of because
terms uninvolved with art, this form is no longer art. you’re seen as the “suited guy”, the guy who needs to
fix things and see things happenAlthough I’m holding back my ening, often apart of the arts.
thusiasm to no one for saying that
A wall I should do more work to
art has all sorts of value to people “New forms of
break down is the one of the lanand societies, it’s important to al- invisible walls
guage. Also many of the countries
ways talk about that in terms of inhave a colonial past and Britain
herent values. There is something are raising
played a great role in that. In the
absolutely fundamental about the because there is
case of being British and working in
desire to interpret and express the a juxtaposition of
this region, you’re moving around
world you see around you, how
countries where people do not see
you understand yourself, how you spaces interpreted
necessarily to know much of their
interact with that world. And art differently by
own history but just about every kid
comes from that very basic instinct people.”
would know The Balfour Declaration.
that is as basic as the desire to eat
And there is more recent events
or stay alive.
I think that society knows that perfectly well be- obviously when it comes to Irak. You’re implicated in
cause when it gets to a point where it’s got a problem, some sense. You always go to be the other side of the
it is often trying to attract artists and get the economy world because you are part of this history, whether
moving that way, in order to get a sense of regenera- you like it or not.
tion going.
You are now working for the British Council,
Migration flows go across Europe and put em- which is very involved in the regeneration of the
phasis on more or less visible walls. They reveal cities through art. Is that your work in Cairo?
“One of the most exciting thing that comes out of
frontiers we thought had disappeared. What does
the Revolution is the desire of artists to get involved
your experience tell you on that?
“This question particularly dominates me at the in the change of things and the feeling that it is their
moment because we had the Olympics in the UK, responsibility to do all sorts of things beyond making
one of the biggest showcases there is. The absurd art purely, such as literacy, building houses. Suddenjuxtaposition that went on in wanting to show what ly there is the feeling that, as artist, there are things
an international city London is and the extreme dif- that we can do, and should be doing. Especially in
ficulty of bringing people in because of the visa re- Cairo, we worked with informal networks, a sort of
quirements. A wall does exist between the countries 'coalition of artists', we supported them to do things.
where European countries do want people to come That’s far more powerful, more justifiable and less
questionable if what we are doing is helping peofrom and the other ones.
I’m one of the fortunate one because I can move ple to affect the issues they see as pertinent, rather
around relatively easy and freely. The seventeen than risk being accused of having a specific politic
countries I go around in the frame of my work here agenda that we want to achieve. In Libya we try to
(including Palestine and north Israel) have very vi- find a more immediate and relevant role for an art
sible walls. But there are also invisible walls between form in the post-revolution hiatus. Again that’s sort
parts of the Arab world. You can feel past walls that of the same thing of using our connections, supports,
very differently exist if you try to get from other parts money and expertise to help that process rather than
of the region. I just don’t mean in terms of visas, I to come with an agenda. It is about capacity building
mean in terms of the way you’re treated, the role that and extended regeneration as well.”
you can take in society. How much you can do, how
much engagement you can have depends a bit of the
way you are seen.
Where are the invisible walls in your daily practice? How do you face them?
“It’s important for me to acknowledge I’m very
lucky, I’m mostly welcome everywhere I go, and meet
9
Des sphères publiques
et des murs invisibles
Régulièrement convoquée dans les discours
politiques, militants ou artistiques, la notion de
sphère publique est pour autant difficilement
définissable. Voyage terminologique.
Imanuel Schipper
Traduit par Aïnhoa Jean-Calmettes
1. Jürgen Habermas,
L'Espace public : archéologie
de la publicité comme
dimension constitutive
de la société bourgeoise,
Luchterhand, Berlin, 1962.
2. Nicolas Bourriaud,
L'Esthétique relationnelle,
Les presses du réel, Dijon,
1998.
3. Claire Bishop,
Participation, MIT Press,
2006.
4. Richard Sennett, The Fall
of Public Man, Knopf, New
York, 1977.
10
Le thème de l’espace public et des sphères publiques est particulièrement en vogue et nous ne
cessons d’en entendre parler. Pour autant, le plus
souvent, nous ne savons pas exactement de quoi
nous parlons lorsque nous employons ces mots. Le
manque de terme approprié se ressent d’autant plus
fortement lorsque l’on nous demande de construire
des concepts pour penser « une sphère publique
élargie ». Les solutions esquissées à travers la mise en
place de politiques publiques structurelles ne fonctionnent pas toujours. Que devons-nous donc faire ?
Cet essai n’a pas prétention à apporter des solutions. Il entend seulement offrir un voyage conceptuel autour du terme « Öffentlichkeit » (sphère publique) et montrer comment le spectacle vivant est
capable de créer de telles sphères.
Le terme allemand « Öffentlichkeit » est problématique en soi. À quoi se rapporte le terme « public » ? Parle-t-on de l'espace public ou de la chose
publique ? Si ce n’était pas suffisamment complexe,
nous rencontrions un problème encore plus grand
pour traduire le terme en français. Devrait-on parler d’« espace public » – ce qui renvoie à un espace au
sens euclidien du terme – ou de « public », de « publicité » (ce qui évoque alors le marketing et la communication) ou encore de « sphère publique » ? Cette
dernière – qui implique toujours une dimension spatiale – semble être la traduction la plus fréquente du
concept forgé par Jürgen Habermas 1 en 1962. Mais la
chose publique est-elle pour autant toujours liée à un
quelconque espace ? La sphère publique a-t-elle besoin d’un espace public ? Et inversement : construire
une place publique suffit-il à générer une sphère publique ; fait-on ainsi du « deux en un » ? Serait-il possible de construire des espaces publics sans générer
de sphère publique ? Ou tout du moins pas celle qui
était attendue ?
Quelles vertus attribuons nous à ce topos ? Il est
évident que le concept a une dimension spatiale
autant que sociale. L'adjectif « public » vient du latin
publicus qui se réfère à la notion de peuple (populus).
Utilisé comme nom, le terme désigne également un
groupe de personnes, que les Allemands appellent
les Zuschauer : les spectateurs. Néanmoins, nous savons depuis les contributions de Nicolas Bourriaud 2
en 1998 et de Claire Bishop 3 en 2006, que même le
public le plus passif participe à la création artistique,
ne serait-ce qu’en l’observant. En ce sens, si ce qui est
public touche les gens, il n'en est pas moins façonné
par eux.
Inévitablement, la notion de privé vient à l’esprit
lorsque nous évoquons le mot « public ». Cette distinction remonte aux sociétés de la Grèce antique
qui opéraient une division stricte entre la sphère de
la polis (la cité) et celle de l’oïkos (le foyer). Il est intéressant de constater que l’oïkos englobe – au-delà des
relations personnelles et familiales – les questions de
santé, d’éducation, de travail, d’économie et plus généralement tout ce qui concerne l’argent. Depuis que
Richard Sennett a déclaré 4 en 1977 que le récent développement du narcissisme de l’homme avait créé
une « tyrannie de l’intime », rendant impossible le fonctionnement de la sphère publique, il a toujours fallu
renégocier les frontières entre le public et le privé.
De nos jours, ce mouvement à double sens entre
le public et le privé semble abattre un mur invisible.
D’un côté, le déballage de détails concernant la vie
privée dans certains médias a atteint une ampleur
telle qu’il semblerait impossible de pousser le phénomène plus loin. Simultanément, on peut observer
une extension de la sphère privée qui dépasse de très
loin les limites du chez-soi. Je pense ici à des comportements intimes – voire sexuels – qui, en comparaison, font apparaître bien chastes les manifestations
publiques de la sexualité des années 1960 et 1970.
Bien sûr, la généralisation des téléphones portables
a offert la possibilité de gérer ses problèmes les plus
personnels au même titre que ses affaires courantes,
à tout moment et dans n’importe quel endroit, ce qui
englobe tous les espaces publics des villes.
Penchons nous désormais sur le terme « sphère »,
qui renvoie, lui, au caractère spatial. L’étymologie
grecque sphaira fait référence à la forme sphérique,
une figure géométrique où tous les points de la circonférence se situent à équidistance du centre. Cette
image de la démocratie idéale comporte l’idée d’un
D’une certaine manière, il paraît évident que le
centre aussi bien que celle d’une distribution égalitaire sur une surface. Il n’y a pas de forme dépei- caractère public ne peut pas être conçu sur une tagnant mieux la sphère publique ou la chose publi- ble à dessin. Il est impossible de l'exprimer en mèque qu’une sphère, puisque sa forme extérieure ne tres carrés. Pour comprendre ce phénomène, nous
change pas, quelque soit la façon dont chaque point pouvons nous appuyer sur les théories de la nouvelle
sociologie de l’espace. Depuis les
se déplace ou se rassemble sur la
travaux de situationnistes tels que
superficie. Lorsque l’on parle de
Michel de Certeau 5, Henri Lefebsphère publique, on s’imagine un Il faut constamment
vase vide d’une certaine forme et renégocier les
vre 6, Martina Löw 7 et David Hard’un volume précis, vide lui aussi.
vey 8, nous savons que l’espace ne
frontières
entre
le
La responsabilité de remplir ce
pourrait et ne saurait être uniquevase incomberait au public. La res- public et le privé.
ment pensé comme une constante
ponsabilité d’une municipalité, en
objective mais doit également être
ce sens, consisterait uniquement à
considéré comme une construcconstruire ce vase et à en déterminer les limites ma- tion sociale, culturelle politique et artistique. Pour le
térielles.
dire autrement : la tant désirée sphère publique ne
On pourrait dire que nous avons résolu les gran- sera jamais le résultat du seul travail des urbanistes
des lignes du problème : les pouvoirs municipaux et des architectes, mais sera toujours aussi le produit
aménagent et ouvrent des espaces au public et nous de l’utilisation de ces lieux par les citadins et les usan’avons plus qu’à nous soucier de leur taille, de leur gers. Une telle construction n’est pas le produit d’un
localisation et de savoir s’ils sont en nombre suffisant effort unique dans le temps, elle doit être recréée à
dans les aires urbaines. Alors pourquoi trouvons- l’infini dans un effort constant. La sphère publique
nous donc si peu de sphères publiques vivantes ? doit pouvoir changer et s’adapter.
Pourquoi semblent-elles disparaître ?
Qui est à l’origine de telles sphères publiques ? En
5. Michel de Certeau,
L’Invention du quotidien,
Gallimard, 1980.
6. Henri Lefebvre, La
Production de l’espace,
Gallimard, 1974.
7. Martina Löw,
Raumsoziologie, Suhrkamp,
Frankfurt a. M, 2001.
8. David Harvey, The
Condition of Postmodernity,
Blackwell, Oxford, 1989.
Wilfried Wendling, Clameur
Artaud cité, ouverture de
Marseille-Provence 2013, (le
12 janvier). Photo : Vincent
Lucas.
11
9. En français dans le texte.
gardant à l’esprit la notion de murs invisibles, cette
question semble cruciale, voire centrale.
Quiconque se voit offrir l’accès à un lieu donné
(et se sert effectivement de cette autorisation) déterminera, en un sens, sa forme. En d’autres termes,
si nous, citoyens des villes, nous plions aux lois de
l’économie de marché, ces lieux seront déterminés
par les acteurs du libéralisme et leur travail, et ce, de
façon potentiellement exclusive. C’est là que les productions artistiques rentrent en jeu car elles créent
de nouveaux modes d’appropriation de l’espace en
offrant d’autres significations par le biais de la performance, de la narration et de la création (voir l’encadré). De telles productions ne se fondent pas seule-
Espace public, espace impublic
Plusieurs productions portées par Lieux publics et le réseau IN SITU sont symptomatiques de la
constitution d’une dialectique espace public/espace
privé qui alimente le désir de « sphère publique »
évoqué par Imanuel Schipper.
Avec Temporary Cities, le collectif italien Zimmerfrei réalise depuis plusieurs années une série de documentaires singuliers, constituant petit à petit une
véritable collection de portraits de villes : Bruxelles,
Copenhague, Budapest, et bientôt Marseille. À partir de récits collectés auprès d’habitants et d’usagers
de la ville, Zimmerfrei construit une fiction à la fois
personnelle et collective en rendant perceptibles les
murs invisibles qui traversent la ville, au-delà de la
séparation entre espaces publics et territoires privés.
Avec sa nouvelle création Igor hagard, un sacre ferroviaire, Pierre Sauvageot explore également cette
« individuation collective » dont nous parle le philosophe Bernard Stiegler 1. Il s’agit de l’écoute individuelle et au casque d’une réorchestration du Sacre
du printemps de Stravinsky par un groupe d’auditeurs
rassemblés dans un lieu de transit. Ce rapport de l’individu au collectif caractérise également la recherche
de l’artiste argentin Rodrigo Pardo. Dans Flat, il relate
l’isolement d’un homme à l’intérieur de son appartement accroché de façon inattendue à la façade d’un
immeuble pour une pièce de danse verticale. Avec
un public posté en contrebas, écoutant le monologue
intérieur du personnage grâce à des écouteurs, cette
création instaure un rapport à la fois éloigné et empathique avec cet homme qui se débat dans le vide.
12
ment dans le vaste panorama des grands événements
urbains, elles ne servent pas la communication d’une
ville et ne peuvent se répéter à l’identique de festivals en festivals – peut-être même ne créent-elles
pas de forme artistique extraordinaire. Néanmoins,
elles sont à l’origine d’un processus dans lequel les
habitants d’une ville et ses usagers regardent des
lieux familiers sous un autre angle, le remplissent de
nouvelles histoires et, ainsi, font changer les choses.
Ces projets artistiques créent une nouvelle sphère
publique qui n’est pas déterminée par les plans d’urbanisme et le bâti et permettent, en passant 9, de faire
disparaître quelques murs invisibles.
Le collectif anversois Berlin poursuit sa série intitulée Horror vacui avec Land’s End. Sous la forme d’une
conversation de table élaborée d'après des interviews
de personnes filmées séparément et qui ne peuvent
pas ou ne souhaitent pas se parler, sont réunies de
façon virtuelle des paroles et des intérêts divergents.
Seuls et ensemble, ils constituent une communauté
d’individus partageant un même drame, celui d’un
meurtre transfrontalier entre France et Belgique, et
contribuent à l’élaboration d’une mémoire collective.
Artaud cité est un work in progress dirigé par le compositeur et metteur en scène Wilfried Wendling. à
travers une série d’ateliers-performances menés
dans différents quartiers de Marseille et d’Aubagne
tout au long de l’année 2013, ce dernier embarque un
groupe de participants-amateurs dans une exploration de l’œuvre d’Antonin Artaud. En faisant entendre des textes majeurs tels que Le Pèse-nerfs, Il n’y a plus
de firmament, ou Satan, le groupe constitue un nouvel
ensemble bruitiste qui explore la poésie d’Artaud,
instituant une zone de folie temporaire dans un espace public policé.
à travers ces créations se créent de nouvelles
communautés qui, parce qu’elles se situent sur la ligne de partage entre intime et collectif, participent
à la constitution d’un ethos commun. Une sphère
publique, dépassant les frontières géographiques et
physiques, se forme pour composer de nouveaux espaces de vie. Jasmine Lebert
1. Bernard Stiegler, « Chute et élévation. L’apolitique de
Simondon », Revue philosophique n° 3/2006, PUF, Paris et
Jean-Hugues Barthélémy, Penser l’individuation, L’Harmattan,
Paris, 2005, pp. 224-232.
On Public Spheres
and Invisible Walls
Regularly summoned in political, activist and
artistic discourses, the notion of public sphere is
quite difficult to define. Termonological journey.
Imanuel Shipper
Collectif Berlin, Land’s End.
Photo : Berlin.
1. Jürgen Habermas,
Strukturwandel
der Öffentlichkeit.
Untersuchungen zu einer
Kategorie der bürgerlichen
Gesellschaft, Luchterhand,
Berlin, 1962.
The discussion about public space and public
sphere is en vogue and can be overheard everywhere.
Still, more often than not we do not even know exactly what we are talking about. Our loss for words
increases even more when we are asked to construe
concepts for an “extended public sphere”. Solutions
pertaining to structural measures do not always
work. What is to be done?
This essay will not offer a solution. It will take a
conceptual journey around and towards the term
Öffentlichkeit (public sphere) and will describe an example creating a special public sphere through performance art. The German term in itself is already a
tough nut to crack – what is this “Öffentlichkeit” about?
Are we talking about “Öffentlichen Raum” (public spaces)? Or of the “Öffentlichen” (publicness)? As if this
wasn’t enough of a predicament, we face even bigger
problems when translating into English – should it be
“public space”, which describes a space in a rather Euclidean way, or “public” (is not this supposed to mean
“audience”?) or “publicity” (which evokes images of
advertising) or “public sphere”? The latter seems to
be the most common translation of the term coined
by Jürgen Habermas in 1962, which always also implies a spatial dimension 1. Is the public thing tied to
space, though? Does the public sphere need a public
space? Inverting the argument, does this also mean
that when we build public places we always also generate a public sphere, 2 for 1 so to speak? Could it be
13
Berlin, Land’s End. Photo :
Berlin.
2. Nicolas Bourriaud,
L’Esthétique relationnelle,
Les presses du réel,
Dijon, 1998.
3. Claire Bishop,
Participation, MIT Press,
2006.
4. Richard Sennett,
The Fall of Public Man,
Knopf, New York, 1977.
5. Michel de Certeau,
L’Invention du quotidien.
Vol. 1, Arts de faire,
Gallimard, Paris, 1980.
6. Henri Lefebvre,
La Production de l’espace,
Gallimard, Paris, 1974.
7. Martina Löw,
Raumsoziologie, Suhrkamp,
Frankfurt a. M, 2001.
8. David Harvey, The
Condition of Postmodernity,
Blackwell, Oxford, 1989.
14
seems to break an invisible wall: on the one hand,
the publication of private details in social media has
come to an extent that looks as if it could increase no
further. Simultaneously, we can observe the private
sphere extending and reaching far beyond the limitations of a person’s own place. I am thinking of intimate and sometimes even sexual activities of couples
that make the publicized sexuality of the 1960's and
1970's look chaste. Of course, the spread of mobile devices has created the opportunity to handle the most
private problems as well as current business anytime
and anywhere; and this includes all of a city’s public
places.
Let us now take a look at the term “sphere”, the
second part of public sphere that rather denotes a
spatial aspect. Its Greek etymology takes us back to
the word sphaira (ball) which points towards the geometrical form of a sphere, a form in which any surficial point is in the same distance to the center as any
other. This image of ideal democracy encompasses a
center as well as the possibility of an even and egalitarian distribution on a surface. There is, very possibly, no image less suited for depicting the public
sphere or publicness than a geometrical sphere,
since its exterior form will not change no matter
possible to build public places that do not generate a how the individual surficial points move or gather.
When we use the term public sphere, there is always
public sphere? Or at least not the intended one?
Which elements do we attribute to this topos? Ob- the connotation of an empty vessel that has a certain
viously the term incorporates elements both from form and a fixed volume – that is, actually, empty.
the spatial as well as the social sphere. Its first ele- The responsibility of filling this vessel would rest on
the public (the publicum). A city’s
ment, public, is borrowed from the
responsibility, then, would be the
Latin publicus which denotes someconstruction of such vessels ; the
thing affecting the people (populus). The separation
determination of the public’s maWhen used as a noun, the term also of private and
terial limits, so to speak.
denotes a group of people German
Capital, one could say, we have
speakers call “Zuschauer” (audi- non-private has
solved the problem. The city adence). However, ever since Nico- to be constantly
ministration plans and opens spalas Bourriaud in 1998 2 and Claire renegotiated.
ces for the public, and now we only
Bishop in 2006 3, we have known
have to worry about their approprithat even the most passive audience contributes to the work of art it is observing; ate number, size and location inside the urban area.
simply by observing it. In this sense, something that Then why do we find so few active public spheres?
is “public” affects the people as well as it is affected Why do they seem to disappear?
Somehow it seems obvious that public sphere
by the people.
Inevitably when speaking of something public, its cannot be charted on a drawing board. It is nothing
counterpart “private” comes to mind. This division that could be expressed in the number of its square
dates back to the old Greek societies that strictly kept meters. To understand it, however, we can draw on
polis and oikos apart. Interestingly, this also included, theories of modern sociology of space. Ever since
apart from the obvious areas of personal relation- the work of situationists such as Michel de Certeau
ships and family, matters of health, education, work, (1980) 5, Henri Lefebvre (1974) 6, Martina Löw (2001) 7
economy, and generally everything concerning mon- and David Harvey (1989) 8, we have known that space
ey. Ever since Richard Sennett declared in his 1977 cannot/should not be interpreted as an objective conwork The Fall of Public Man 4 that the individual’s newly stant, but as a construct determined by social, culturdeveloped narcissism created a “tyranny of the inti- al, political and artistic influences. To rephrase: a demate” that made a functioning public sphere impos- sired public sphere is not produced by city planners
sible, the separation of private and non-private has and architects alone, but by all people using those
spaces and places and the way they use them. Such a
always had to be renegotiated.
In our current time, this two-way movement construct is not the product of a onetime effort, but
has to be created again and again; it will change and
it will adapt.
Who produces such a public sphere? With Invisible Walls in mind, this seems to be an important if
not the central question: whoever is granted access to
a given space (and actually uses this access) will determine the shape of it. In other words: if we people
cities according to the rules of free market economy,
then they will be, potentially exclusively, determined
by free market economy actors and their work. This
is where artistic productions come into play that create new modes of appropriation by using performa-
tive, narrative and creative means (see the insert).
Such productions do not simply blend in to the vast
number of big urban events; they do not help marketing a city, they cannot move from festival to festival – maybe they do not even create an outstanding aesthetic final product. They initiate, however,
a process in which city’s inhabitants and users view
familiar places from a new angle, fill them with new
stories and thereby change something. They create
a new public sphere that is not determined by planning and construction and, en passant, let certain invisible walls disappear.
Public / Unpublic space
Many productions accompanied by Lieux publics
and the IN SITU network reveal the construction of
a dialectic between public space and private space,
which feeds the desire for a “public sphere” mentioned by Imanuel Schipper.
With Temporary Cities, the Italian collective Zimmerfrei has been working for several years on a series
of documentaries, gradually creating a collection of
true city portraits: Brussels, Copenhagen, Budapest,
and soon Marseilles. Starting from the stories collected from people living in, and using the city, Zimmerfrei builds a personal and yet collective fiction
and allows us to feel the invisible walls crossing the
city, beyond the separation between public spaces
and private territories.
Similarly, in his new production Igor hagard, a
railway Rite, Pierre Sauvageot explores this “collective
individuation” explained by the philosopher Bernard
Stiegler 1. Here the audience gathers in a place of
transit and each person listens with headphones to
a performance of Stravinsky’s Rite of Spring. This relationship between the individual and the collective
characterises also Rodrigo Pardo’s research. In Flat
the Argentinean artist recalls the isolation of a man
inside his own apartment, unexpectedly hanging
to the façade of a building in a vertical dance performance. The audience watches from beneath and
listens to the music's character's inner-monologue
through individual headphones: this creates a both
remote and empathic relationship with the man
dancing in the void.
The Antwerp-based collective Berlin continues its
series Horror vacui with Land’s End. Contrasting words
and interests gather virtually in the form of a table
conversation from video interviews of people filmed
separately, who cannot – or don’t want to – talk to
each other. Alone and together at a time, they are a
community of individuals facing a shared dramatic
event – a cross-border murder between France and
Belgium – and elaborate a collective memory.
Artaud cité is a work in progress by the composer
and director Wilfried Wendling. Through a series of
workshops-performances in different neighbourhoods in Marseilles and Aubagne throughout 2013,
he engages a group of amateurs-participants into an
exploration of Antonin Artaud’s works. By making
masterpieces like Le Pèse-nerfs, Il n’y a plus de firmament,
or Satan heard, the group forms a new noise ensemble
exploring Artaud’s poetry and creating a zone of temporary insanity in a police-controlled public space.
Through these productions new communities
are born – communities at the border line between
intimate and collective, which therefore participate
in the construction of a common ethos. A new public
sphere appears, which overcomes geographic and
physical borders and creates new life spaces.
Jasmine Lebert
Translation by Elena Di Federico and Marie
Le Sourd (On the Move)
1. Bernard Stiegler, « Chute et élévation. L’apolitique de
Simondon », Revue philosophique, Paris, PUF, n°3/2006,
and Jean-Hugues Barthélémy, Penser l’individuation, Paris,
L’Harmattan, 2005, pp. 224-232.
15
Persistance du rite
à l’instar du collectif Rara Woulib et de leurs
déambulations, certains artistes tentent
aujourd’hui de ranimer l’esprit des grands rituels
collectifs. De nouveaux cérémoniels s’insinuent
dans l’espace public.
Tandaim, Le Mois du
chrysanthème (Sirènes et
midi net, novembre 2012).
Photo : Vincent Lucas.
Si l’Occident a peu à peu chassé la mort de son
quotidien, en même temps que les cimetières de ses
centres-villes, d’autres civilisations cohabitent avec
leurs défunts de manière plus tangible. Au retour de
quatre années passées en Haïti, Julien Marchaisseau
fonde en 2007 le collectif Rara Woulib : « La vie là-bas
est fragile ; mais plus la mort est présente dans le quotidien,
plus les gens sont vivants. À mon retour en France, j’ai été
choqué de voir à quel point elle est occultée, dissimulée
Julie Bordenave
derrière les murs des maisons de retraite, des hôpitaux ; les
pompes funèbres s’occupent de tout, il n’y a plus de veillée
Aptes à chahuter le corps urbain collectif, les ar- des corps… D’ou l’idée de confronter à nouveau le public à la
tistes qui investissent l’espace public sont les plus à mort, en lui redonnant un visage doux et poétique. » Parade
même de se saisir des tabous sociaux. Parmi eux : musicale nocturne, Deblozay (« désordre » en créole
la mort, niée dans une société où le vieillissement haïtien) s’inspire du rara (forme carnavalesque et
comme la maladie sont depuis longtemps étouffés. musicale vaudoue), convoquant guédés (esprits) haïtiens et esthétique mexicaine de la
« Ramener les morts au centre de nos
Fête des morts, pour mêler zombis
villes », tel est ainsi le désir d’Alexanet vivants dans une sarabande endra Tobelaim, comédienne formée Une société qui nie
diablée : un syncrétisme culturel,
à l’Erac de Cannes, fondatrice de ses morts détourne
à la fois joyeux et effroyable, qui
la compagnie Tandaim. Avec Lieux
happe le spectateur pour mieux
publics, elle initie en novembre aussi les yeux de
lui faire perdre ses repères et l’emdernier un travail intitulé Le Mois ses aînés.
mener dans une envoûtante transe
du chrysanthème : sur le bitume, des
urbaine. Le collectif d'une vingtairectangles de gazon accueillent les
morts de retour auprès des vivants pour une éphé- ne de musiciens et plasticiens a d'abord testé le specmère communion transgénérationnelle, tel un rite tacle dans les rues de Marseille, investissant le Parc
de passage entre les différentes étapes de la vie. « De Longchamp de nuit ou transformant le Pavillon de
façon entropique, nous accueillons des morts de partout, partage des eaux des Chutes-Lavie en géante « boîte
à musique » : « La démarche consiste aussi à habiter la nuit
créant une forme de cimetière sans frontières. »
dans une ville, une habitude que l'on a perdue dans beaucoup d'endroits. Chaque nouveau lieu impulse une nouvelle
écriture. »
Les aînés et la transmission
Une société qui nie ses morts détourne aussi les
yeux de ses aînés. Dans échappées belles de la compagnie Adhok, ceux-ci prennent leur revanche en s’évadant d’une maison de retraite pour délivrer d’émouvantes tranches de vie, avant de prendre la tangente
au son des Ramones. Se poser collectivement la question de la transmission, c’est aussi se réconcilier avec
sa propre histoire. Avec Erf (fils de la terre), la compagnie néerlandaise Schweigman salue la mémoire
des anciens pour ancrer l’héritage familial dans le
présent : « Derrière chaque individu se trouve un triangle
imaginaire d’ancêtres. Des caractéristiques physiques, tout
comme des modèles psychologiques et émotionnels se transmettent de génération en génération. » L’installation plastique paysagère symbolise sept générations d’aïeux,
comme autant de masques plantés sur des piquets,
aux contours de plus en plus incertains au fur et à
16
mesure qu’on remonte dans les âges.
De manière plus symbolique, c’est la mémoire
d’un monde que Dries Verhoeven choisit de saluer à
travers Fare Thee Well, un spectacle-installation destiné à « dire adieu à ce qui a disparu et à ce qui est destiné à disparaître dans le futur ; à des fragments perdus de
nos civilisations ». Ces fragments sont donnés à voir
au spectateur par un télescope ; incrusté au centre
de l’image, un texte déroulant énumère toutes ces
choses auxquelles nous devrons dire adieu. Sur un
air d'opéra de Haendel, les prédictions s'égrainent ;
poignante sensation d'assister à la disparition de notre contemporanéité et, par là même, d'une bribe de
notre identité. Vertigineuse mise en abîme pour le
spectateur isolé, devenant simple témoin d’un monde dont il se soustrait temporairement : « Un requiem
visuel pour notre époque, une élégie de dystopies en temps
de crise, donnant à voir le monde en tant que lieu en mouvement », commente l’artiste.
Les rituels inventés
Avant de saluer les vestiges d’une civilisation, les
arts de la rue proposent aussi de l’incarner, au milieu
d’êtres bien vivants. Les artistes de rue n’ont jamais
été avares en invention de rites collectifs : au début
des années 2000, le Théâtre de l’unité proposait d’irrésistibles Manifestations de joie ; plus véhémentes, les
« Manifs de droite », créées en 2003 dans le sillage du
mouvement des intermittents, ont connu de beaux
jours après l’élection en France de Nicolas Sarkozy en
2007… Les lieux de fabrique impulsent aussi des traditions qui soudent un territoire : au Channel de Calais, le passage d’une année à l’autre s’est longtemps
célébré collectivement, lors des Feux d’hiver ; pour
l’inauguration des Thermes d’Encausse en 2011, les
Pronomade(s) ont instauré un service de Poste Restante, invitant les habitants à déposer des courriers
scellés qui seront remis à leurs destinataires en 2036
(soit 25 ans plus tard, la durée du bail)… À Marseille,
Lieux publics a initié en 2003 le rituel urbain Sirènes
et midi net. Chaque premier mercredi du mois, le test
de la sirène de la protection civile est intégré par des
artistes dans une œuvre unique et éphémère, sur le
parvis de l’Opéra : « Une création qui se mesure à ce signal
sonore urbain, avec ce qu’il véhicule comme imaginaire, entre guerre et divinité aquatique, entre glissando musical et
oiseaux hurleurs engloutissant les marins de L’Odyssée… »
Au fil des ans, le rendez-vous mensuel a fédéré une
cohorte de spectateurs fidèles ; on vient aussi ici prendre des nouvelles, une habitude du temps jadis…
D’autres rituels sont instaurés par Lieux publics,
en lien avec le patrimoine de la ville, comme Stars on
Stairs, qui investit les monumentaux escaliers de la
Gare Saint-Charles, et leur époustouflante scène, à
ciel ouvert, dominant la ville. Patrimoine plus « immatériel », la verve légendaire de Marseille sera mise
à l’honneur lors du Grand Bavardage en septembre
prochain durant Métamorphoses. Un banquet do-
minical pour mille personnes sera dressé le long de
la Canebière, où des artistes locaux (Ilotopie, Agence
de Voyages Imaginaires, No Tunes International…)
feront ripaille avec le public convié, pour « y faire entendre les palabres et la tchatche si emblématiques de cette
ville ».
L’espace public est bien le lieu dédié pour faire valoir l’impact d’un corps collectif, pour y transcender
la normalité, voire impulser de nouveaux usages. En
apprivoisant ainsi limites et interdits, réels ou fantasmés, les arts de la rue peuvent aussi les transgresser pour y poser des gestes revigorants, transgressifs
ou réflexifs ; parfois une simple étincelle pour aider
à s’approprier cet espace réputé public, où les frontières mentales sont parfois plus nombreuses que les
frontières physiques.
Dries Verhoeven, Fare
Thee Well. Photo : Dries
Verhoeven.
17
PERSISTENCE OF RITUALS
Like Rara Woulib group and their strollings, some
artists are endeavouring to revive the spirit of
grand collective rituals. New ceremonial behaviour
patterns are carving out a niche for themselves in
public spaces.
Julie Bordenave
Traduit par Sarah Jane Mellor
Rara Woulib, Deblozay.
Photo : Bushido.
18
With their talent for bringing about an upheaval
and restructuring the collective urban framework,
artists who penetrate and occupy public space are
the most capable of getting to grips with social taboos. Amongst these features death which is denied
in a society where ageing as well as illness have been
ignored, hushed up and brushed under the carpet for
a long time. “Bringing back the dead to our town centres”,
is as well the fervent wish of Alexandra Tobelaim, actress trained at Erac at Cannes who is a founder of
the Tandaim company. With Lieux publics she initiated last November an artistic work intitled Le Mois
du chrysanthème (The Month of Chrysanthemum): on the
tarmac strips of turf welcome back the dead to the
land of the living for a shortlived intergenerational
communion, like a rite of passage, an initiation ceremony between the different stages of life: “In an entropic fashion we will greet the dead from everywhere, creating a kind of cemetery without borders.”
If the West has gradually evicted, banished and
expurgated death from daily life, and in parallel re-
moved cemeteries from its town centres, other civilisations still cohabit and live in close proximity with
their dead in a more tangible fashion. On his return
after four years spent in Haiti, Julien Marchaisseau
founded in 2007 the Rara Woulib collective: “Life
there is fragile and precarious but the greater the presence
of death in everyday life, the greater the sense of vitality
which pervades people’s lives. On my return to France, I was
shocked to see to what extent death is hidden and excluded,
concealed behind the walls of retirement homes, of hospitals; undertakers deal with everything, there are no more
vigils and wakes… Hence the idea of confronting the public
once again with death by conferring on it a soft and poetic
complexion.” Musical parade at night, Deblozay (meaning “disorder” in Haitian creole) draws its inspiration from rara (a carnavalesque and musical form of
voodoo), summoning up Haitian guédés (spirits) and
Mexican aesthetics from the Festival of the Dead,
combining zombies and the living in a bewitching,
frenzied dance: cultural syncretism both joyful and
formidable which seizes hold of the onlooker beholding this sight so as to make him lose his bearings
and anchorage points, engulfing him in a swirling,
uplifting and transfixing urban trance. This collective, comprising around twenty musicians and visual
artists, initially tested out and experimented with
this spectacle in the streets of Marseilles, occupying
the Parc Longchamp at nightfall, or transforming Le
Pavillon de partage des eaux des Chutes-Lavie into a
giant “music box”: “This approach consists in inhabiting a
city at night, which is a habit that we have lost and grown
unaccustomed to in many places. Each new spot gives rise to
and brings into being a new form of writing.”
The elders and transmission
A society which is in denial about its dead and
death also averts its gaze from the elderly. In Echappées belles by the Adhok company, the latter take their
revenge by escaping from a retirement home to evoke
and deliver moving scenes, slices of life, before setting off to the sound of the Ramones. Posing ourselves
collectively the question of transmission, also means
reconciling ourselves with our own history. With Erf
(Sons of the Soil) the Dutch company Schweigman celebrates and commemorates the memory of the elders
in order to root and anchor the family heritage in the
present: “Behind every individual there lurks an imaginary
triangle of ancestors. Physical features, just like psychological and emotional patterns are handed down from generation to generation.” The plastic artifact in the landscape
symbolizes seven generations of forebears, embodied
and portrayed by the same number of masks planted
on stakes, with ever vaguer and uncertain features watery grave…” Over the years, this monthly event
has brought together a crowd, a whole fraternity of
the further we go back in time.
In a more symbolic way, Dries Verhoeven chooses faithful spectators; people also turn up to attend in
to pay homage to a fading memory of a whole world order to learn the latest tidings, a habit of yesterday,
through Fare Thee Well which is a show intended to of times gone by…
Other rituals have been introduced by Lieux pub“bid farewell to what has disappeared and what is doomed
to vanish in the future; to lost fragments of our civilisations”. lics connected with the city’s cultural heritage, such
These vestiges can be visualized by means of a tele- as Stars on Stairs, which is acted out on the monuscope; encrusted at the centre of the image there is a mental steps of Saint-Charles railway station and
flowing text which enumerates all those things from its breathtaking open-air stage overlooking the city.
which we will have to take our leave. One prediction A more “immaterial” heritage, the legendary verve
succeeds another to the background music of one and sparkle of Marseilles will enjoy pride of place
and be honoured on the occasion
of Haendel’s operatic arias; we are
of Le Grand Bavardage (The Big Talk)
gripped by the poignant sensation
next September during Métamorthat we are witnessing the waning To pay homage to
phoses event. This will consist in a
and fading away of our own con- a fading memory of
Sunday banquet for one thousand
temporary existence and through
guests, set out on tables laid along
this the fleeting glimpse of our own a whole world.
La Canebière, where local artists
identity. This is a dizzying sinking
feeling for the isolated viewer who becomes the hap- (Ilotopie, Agence de Voyages Imaginaires, No Tunes
less observer of a world from which he temporarily International…) will take part in this feast, partying
withdraws: “a visual requiem for our epoch, an elegy of and carousing with the invited public in order to
dystopias in a crisis-hit era, exposing the world as being in a “render audible to the whole world the expressive language
and gift of the gab for which this city is so famous”.
state of flux”, the artist comments.
Public space is well and truly the dedicated place
to bring out the full force of a collective body, going
The rituals invented
Before paying homage to the vestiges and rem- beyond and transcending normality, even resulting
nants of a civilization, the street arts put forward the in the creation of new customs. Thus by taming and
idea of enshrining it amongst beings who are well domesticating set limits and forbidden things, real,
and truly alive. Street artists have never been lacking imaginary or fantasised, street arts can also transin creativity in inventing collective rites and rituals: gress and contravene them by opposing reinvigorat the turn of the Millennium, Théâtre de l’Unité of- ating, liberating, transgressive or reflective acts and
fered its irresistible Manifestations de Joie (Manifesta- gestures; sometimes a mere spark is all that is retions of Joy); more vehemently, the “Manifs de droite” quired as a catalyst to enable us to reclaim and re(Right-wing demos), created in 2003 in the wake of possess this supposedly public space, where frontiers
the movement of casual and intermittent employees, existing in our minds sometimes outnumber and
experienced their heyday following the election of outweigh physical frontiers.
Nicolas Sarkozy in 2007… Places of manufacture give
rise to traditions which create ties and bonds that
knit closely together the social fabric of a geographical area: at the Channel in Calais, bringing in the New
Year has for a long time been celebrated collectively,
on the occasion of Feux d’hiver (Winter fires); for the
inauguration of Les Thermes d’Encausse in 2011, Les
Pronomade(s) initiated a Poste Restante service, inviting local inhabitants to deposit sealed messages
with the postal authorities, to be delivered to the intended recipients or addresses in 2036 (that is to say
twenty-five years later, the duration of the lease)…
In Marseilles, Lieux publics introduced in 2003 the
urban ritual Sirènes et midi net. On the first Wednesday of each month, the test of the civil protection
and defence siren is blended by artists into a unique
ephemeral creative work on the Opera forecourt: “A
creative work of art which resonates with this urban sound
signal, with what imaginary ideas it conveys, between war
and aquatic divinity, amidst musical glissando and screeching seabirds sweeping the mariners of The Odyssey to a
Rara Woulib, Deblozay.
Photo : Bushido.
19
Sociétés parallèles
Vécue comme une forteresse par les migrants,
l'Europe est minée dans ses fondations par des
formes de ségrégation sociale. De Graz à Pristina
se mettent en place des veilles actives.
témoignages de douaniers. La compagnie reproduit
sur scène les interrogatoires que doivent subir les
migrants lorsqu’ils demandent l’asile en Suisse et met
en scène le phénomène des fraudes fiscales dans la
ville suisse de Zug grâce à la participation d’experts
et de cadres de grands groupes. Ces deux pièces mettent indirectement l’accent sur l’oppression subie par
les nouveaux immigrés de la part de l’efficace appaJoanna Warsza
reil bureaucratique et révèlent, de même, l’existence
Traduit par Aïnhoa Jean-Calmettes
de l’agence européenne Frontex, centre névralgique
Lorsque l’on traverse le pont principal de Graz des politiques européennes d’immigration. Cette
et que l’on suit la Mur, le site le plus imposant et le dernière est en réalité un organe de gestion des fronplus remarquable est une colline rocheuse abrupte, tières qui, en collaboration avec la police, l’armée et
une montagne dans la ville que l’on nomme « Schloß- les services secrets met en place des équipes d’interberg ». Cette colline est un lieu de randonnées, d’es- vention d’urgence et organise de réelles traques de
calade, et le dimanche, de dégustation de vins. Sur clandestins ainsi que des reconductions à la frontièles hauteurs se trouve une maison isolée, tragique re. Par conséquent, les immigrants illégaux doivent
en quelque sorte. C’est un refuge pour les écrivains se résoudre à traverser les frontières de façon de plus
en plus périlleuse, et la « forteresen résidence à Graz ou les chronise » devient de plus en plus difficile
queurs mondains renommés de
à atteindre.
cette ville. Chaque soir, que les lu- Une voyageuse
En parallèle à Gott ist ein Deutsmières soient allumées ou éteintes, raconte l'hostilité
cher, Graz a récemment été témoin
les habitants regardent vers la maide la naissance de deux autres proson pour savoir si l’invité(e) est là et d'un endroit où elle
jets politiquement engagés, mês’il ou elle passera sa nuit à écrire. désirait vivre.
lant réflexions artistiques, sociales
Les preuves de cette présence proet politiques, et militantisme. Le
voquent chez eux l’excitante et dérangeante impression d’avoir un visiteur engagé pour marathon Truth is Concrete, organisé en septemdécrire ou interroger la situation locale ou euro- bre 2012, est une conférence d’une semaine organisée
péenne. Au cours de l’année 2010, l’artiste invité était dans le cadre du festival Steirischer Herbst à laquelle
Fiston Mwanza Mujila un auteur congolais écrivant Fiston Mwanza Mujila a également pris part. « Truth
en français, publié en France, Belgique, Allemagne, is concrete », en référence à une citation de Bertold
Autriche et Roumanie. De sa résidence est née une Brecht, a réuni l’art et le militantisme autour de leurs
nouvelle pièce Gott ist ein Deutscher (Dieu est un Alle- points communs dans le cadre d’une série d’activités
mand), coproduite par le festival La Strada et IN SITU, (discussions, projets, stratégies artistiques, droits) engagées dans des champs politiques et sociaux précis,
réseau européen pour la création en espace public.
Cette pièce s’interroge sur l’imperméabilité des et s’est penché sur la possibilité qu’ont ces domaines
frontières de l’Occident et remet en question la soli- de se renforcer mutuellement en s’appuyant sur leurs
dité de la forteresse Europe. Relayant le point de vue différences. De ce point de vu, la maison du chronid’immigrés prêts à venir en Europe au péril de leur queur mondain de Graz, où Fiston Mwanza Mujila
vie, elle porte son regard sur l’inaccessible et bien a vécu l’automne dernier, est également une forme
trop idéalisé espace Schengen. Une voyageuse ano- particulière d’art public militant et local, un lieu prinyme, celle qui a traversé toutes les épreuves pour ar- vé situé dans un espace public et destiné à permettre
river ici, raconte, avec une once d’amère désillusion, l’élaboration de critiques réalisées de l’intérieur.
l’hostilité et l’hypocrisie d’un endroit où elle désirait
vivre. La pièce peut aussi être considérée comme une Les murs invisibles mentaux de Teatri ODA
Une grande artère principale traverse Pristina, la
analyse, à l’échelle locale, des politiques migratoires
du vieux continent. Une compagnie suisse de théâtre capitale de la jeune République du Kosovo. Elle est le
documentaire, Schauplatz International, suit depuis théâtre de tous les conflits, rêves, manifestations, ras2005 une stratégie similaire à celle de Fiston Mwanza semblements et autres spectacles de la société. C’est
Mujila se saisissant des questions d’immigration de- cette même rue, colonne vertébrale du pays, qu’a
puis le point de vue inverse : celui des discours et des choisi Teatri ODA pour développer son nouveau pro-
20
jet Invisible Walls. Teatri ODA est un groupe artistique
indépendant formé en 2003 par Florent Mehmeti et
Lirak Çelaj. ODA n’a pas seulement produit des œuvres de théâtre contemporain. Il a également participé à la définition de politiques culturelles ainsi qu’à
la promotion et la programmation de différentes formes d’art. Depuis 2011, ODA est un partenaire associé
du réseau IN SITU dans le but de soutenir le développement des formes d’art en espace public. Invisible
Walls a été présenté dans la rue principale de Pristina
afin de révéler la diversité des barrières de l’oppression qui se dressent dans une société traumatisée par
des années de guerre, qu’elles soient sociales, politiques, culturelles, langagières ou mentales.
Un autre projet érigeant puis renversant des
frontières invisibles a été réalisé par un artiste de la
région, la Macédonienne Nada Prlja, et fut présenté
dans le cadre de la 7e Biennale de Berlin. Au sud de
Friedrichstraße dans le quartier de Kreuzberg à Berlin, elle a dressé ce qu’elle a nommé un « mur de la
paix », s’inspirant de la politique de l’Irlande du
Nord. Son projet n’évoquait pas le célébre Mur de
Berlin, mais les murs symboliques de l’oppression
dont parle Teatri ODA. Avec la construction de son
« mur artistique » Nada Prlja entendait mettre en évi-
dence la ségrégation sociale et ce qui est dénommé
la « société parallèle » dans les débats portant sur
l’immigration en Allemagne. Si elle a choisi Friedrichstraße, c’est parce qu’elle est aujourd’hui une
rue commerçante importante de l’axe nord-sud qui
traverse Berlin et qu’avant 1989 elle était coupée en
deux par le Mur. De nos jours, la majeure partie des
magasins sont de haut standing mais, dans sa partie
sud, Friedrichstraße donne soudainement accès à
un « quartier à problèmes » où se construisent des
logements sociaux (autrefois localisés en périphérie
de Berlin Ouest), s’enregistrent de forts taux de chômage et résident des populations pour 70 % issues de
l’immigration. Ces deux projets donnent à voir les
segmentations « invisibles », les inégalités sociales et
économiques, la partition entre des populations privilégiées et défavorisées, les peurs et les réserves liées
à l’intégration. Et en même temps, ces deux projets
artistiques symbolisent un espace où les communautés pourraient trouver la capacité de dépasser les
frontières et les obstacles psychologiques. Enfin, ces
œuvres osent mettre en évidence ce que l’on refuse
trop souvent de dire tout haut dans l’Union européenne : l’art n’est pas une solution, il est partie intégrante du problème.
Buzzbeak : manifeste d'un Cyborg
En 2010, Folke Koebberling et Martin Kaltwasser,
deux artistes allemands, ont, en l’espace de trois mois,
transformé une Saab Turbo 900 en deux vélos en état
de marche sur le parking du centre d’art Bergamot
Station à Santa Monica (Los Angeles). Précédemment,
en Europe, ils avaient reconverti de vieilles Peugeot
en bicyclettes utilisables. Dans nombre de leurs projets, tels que Cars Into Bikes, ce duo d’artistes berlinois
s’est opposé à l’industrie automobile, proposant une
voie alternative à l’idéologie consumériste. Ils réalisent leurs œuvres dans les rues, sur des places et des
ponts, dans des jardins publics et en intérieur, en
utilisant des matériaux de récupération trouvés en
milieu urbain. Conçus comme des sculptures sociales, leurs protocoles sont sensés être copiés, diffusés
et reproduits.
Une autre création extraordinaire et hybride ressuscitée à partir d’une voiture, appelée Buzzbeak, a été
créé l’été dernier en Écosse. Ce robot musical prend la
forme d’un automate interactif en métal. Cette créature, ressemblant à un oiseau cyber-punk, a opéré un
pas de plus dans la désagrégation créative de ce monde motorisé. Son auteur, l’artiste Sumit Sarkar, a créé
Buzzbeak à partir de pièces détachées d’une Land Rover Discovery, en collaboration avec Duncan Turner,
membre de la compagnie Carbon Lighting. La forme
de cet androïde s’inspire d’une série de jouets animés
japonais, les Transformers : Cybertron, et plus précisément ses personnages Soundwave et Buzzsaw, mutants qui, de radio-cassette, se transforment en robot
et condor. L’oiseau-robot géant et musical de Sarkar
a tourné dans toute l’écosse l’été dernier dans le cadre de manifestations britanniques d’art en espace
public, Engine Tuning et Roofless, et sera en tournée
en Europe dès l’été prochain. Buzzbeak, avec sa rhétorique positive, musicale et cosmique, a trouvé une
manière d’entrer en résonance avec les musiques
traditionnelles les plus anciennes de la région. Les
spectateurs venus rencontrer le robot étaient invités
à participer en apportant la musique de leur choix,
que ce soit sur CD, cassettes, vinyles, MP3 ou en version live, vocale ou instrumentale. Tous ces morceaux
sont ensuite remixés par Buzzbeak. Les interactions
de la créature avec différents contextes locaux sont
utilisées comme matériaux d’une vaste création sonore ainsi que d’une composition plus sophistiquée
et même d’une chorégraphie. J. W.
21
parallel societies
Experienced as a fortress by migrants, Europe is
undermined by forms of social segregation. From
Graz to Pristina, some people stay watchful.
exposed tax fraud in the Swiss town of Zug through
the active participation of tax experts and corporate
managers. Both plays indirectly highlight the existence of a bureaucratic and efficient apparatus of oppressing the incoming immigrants, as well as the very
existence of Frontex EU agency, the core body of the
EU immigration policies. Frontex is in fact its border
Joanna Warsza
agency, which in collaboration with the police, the
military, and the secret services operates rapid interWhen you cross the main bridge in the city of Graz, vention teams and organizes the people-hunts and
and when you follow the Mur river, the most domi- charter deportations. As a result, illegal immigrants
nant and distinguishing site you encounter is a rocky resort to more and more dangerous ways of crossing
steep hill, a city mountain called Schloßberg, used by EU borders and the fortress becomes even more imlocals for hikes, climbing, or Sunday wine testing. On possible to reach.
Next to Gott ist ein Deutscher Graz has recently seen
the top of the hill stands a lonely, somehow dramatic
house. It is a refuge of a writer in residency of the city two other politically engaged projects referring to
of Graz, an appointed city chronicler. Every evening, art, the social, the political, the activism. The marawith the lights off or on, the inhabitants tend to ob- thon “Truth is Concrete”, organized in September
serve if the guest-resident is there, actually working 2012, an on-going week intervention of the festival
over the night. His or her evident presence gives this Steirischer Herbst, that Fiston Mwanza Mujila was
disturbing and exciting feeling of having somebody also part of. “Truth is concrete” – using the quote of
who has been invited up there in order to depict and Bertold Brecht – brought together art and activism
criticize, a novelist or a playwrighter who has been on their common ground, together with an array of
activities (talks, projects, ideas, art
hired to mirror or question the lostrategies and tolls), that engage in
cal Austrian and European status
specific political and social situaquo. Throughout the 2010 Graz’s The space to
tions, and took a close look at how
author in residence was Fiston overcome the
the differences of those fields emMwanza Mujila, a Congolese author,
power each other. Seen from this
writing in French and published in mental obstacles.
perspective, the house of the Graz
France, Belgium, Germany, Austria
and Romania. His stay resulted in a co-production of city chronicler where Fiston Mwanza Mujila resided
a new play Gott ist ein Deutscher (God is a German) with last autumn, is also a particular form of a local public
the local city Festival La Strada in collaboration with art activism: a private place in the public space asthe IN SITU European network for artistic creation in signed for an in-house-critique that Mwanza played
out very efficiently.
public space.
The play addresses the questions of the impenetrable borders of the western world and the ques- Teatri ODA’s mental invisible walls
Through Pristina – the capital of the young Retionable solidity of the fortress Europe. It looks at
the inaccessible and much idealized territory of the public of Kosovo – runs one main street, where all
Schengen Area, seen from the perspective of life risk the conflicts, wishes, manifestations, meetings and
taking emigrants. An anonymous traveler, the one other spectacles of society are played out. This street,
who made it all the way here, tells with the bitter something of a backbone of the country, was chosen
disillusion of a hostility and hypocrisy of a place she by Teatri ODA for their new project called Invisible
was longing for. The play can be also seen as a micro- Walls. Teatri ODA is an independent art organization
political report on the emigration politics in the old that was established by a duo Florent Mehmeti and
continent. A Swiss documentary theater, Schauplatz Lirak Çelaj in 2003. ODA has been active not only in
International, has since 2005, been taking a similar producing contemporary theatre but also in defining
strategy as Fiston Mwanza Mujila, looking upon the cultural policy development, promoting and curatimmigration issues from the other perspective: the ing various kinds of arts. Since 2011, ODA has been an
speeches of the emigrations officers. The group re- associate partner of IN SITU with the aim of supportcreated onstage the interviews immigrants have to go ing the development of art in public space in Kosovo.
through when applying for asylum in Switzerland and Invisible Walls was performed in the main street of
22
Buzzbeak: manifest of a Ciborg
In 2010, over the time of three months, German
artists Folke Koebberling and Martin Kaltwasser
transformed a Saab Turbo 900 into two functional
bicycles on a car parking at Bergamot Station Art
Center, Santa Monica in Los Angeles, USA. Earlier in
Europe they have been converting old Peugeots into
fully operational bicycles. In their numerous projects,
such as Cars into Bikes this Berlin – based artist duo has
been opposing the motor traffic industry suggesting
the third ways to the consumerist ideology. It operates in the streets, squares, bridges, parks, and interiors using the materials from existing “urban resources”. Thought as a social sculpture, their strategies
are supposed to be copied, passed and duplicated.
Another extraordinary hybrid resurrected from
a car, named Buzzbeak, was created last summer in
Scotland. This musical robot took a shape of an interactive musical automated metal sculpture. The
creature, something of a cyber-punk bird, made yet
another advancement in further creative decomposition of the motorized world. Its author, the artist
Pristina, intending at revealing all kinds of oppressive barriers in a post-war traumatic society: might it
be the social and political, the cultural and the communicative mental walls.
Another project erecting and putting down the
invisible barriers was realized also by an artist of
the region, Macedonian-born Nada Prlja, as part of
the 7th Berlin Biennale. At the southern end of Friedrichstrasse in Berlin-Kreuzberg, she erected what
she called after the Northen Ireland policy, The Peace
Wall. Her project referred not to the historical Berlin Wall but to the oppressive symbolic walls Florent
Mehmeti and Lirak Çelaj also bring about. With the
construction of her “art-wall” Nada Prlja was revealing the social segregation and what in the German
migration debate is called “parallel society”. She
chose Friedrichstrasse since today it is also a major shopping street and North-South axis of Berlin,
and it was bisected by the Wall before 1989. Today a
large part of the street is filled with posh boutiques,
but at its southern end this out of the sudden gives
way to a “problem neighborhood” with social housing projects (once located on the periphery of West
Berlin), high unemployment rates, and a population
with up to 70 percent migration backgrounds. Both
projects visualized the “invisible” partitions, social
and economic inequalities, and the positions of the
Sumit Sarkar, in collaboration with Duncan Turner
of Carbon Lighting, created Buzzbeak from the parts
of a vehicle called Land Rover Discovery. The shape
of this tuned android was inspired by a Japanese toy
line an animated series: Transformers: Cybertron, and
particulary its characters Soundwave and Buzzsaw,
who transformed from a tape player and cassette
to a robot and condor. Sarkar’s giant robotic musical bird was touring all over Scotland last summer as
part of the UK outdoor arts program, Engine Tuning
and Roofless, and goes on the tour again next summer across Europe. Buzzbeak with its positive, musical and cosmic rhetoric found a way of entering
in the dialogue with the oldest and most low-tech
techniques of common music playing in the region.
The audience coming to meet the robot was invited
to get involved by bringing any form of music: CDs,
cassettes, vinyl, mp3 or perform with a live vocal or
instruments, what would be later remixed by Buzzbeak. The interaction of the creature in various local
contexts was a base for a general sound creation, as
well as a more sophisticated composed work or even
some choreographies. J. W.
advantaged and underprivileged, the integrated
fears and reservations. At the same time the very locations both of Prlja’s wall, as well as the Invisible Wall
project represented the space where communities
could potentially gain ability to overcome the mental
obstacles and barriers. And finally those two projects
also dared to reveal what sometimes doesn’t want to
be heard loud in EU: that art is not a solution, it is
often part of the problem.
ODA Teatri, Invisible Walls.
Photo : Ariane Bieou.
23
Murs réels et murs
virtuels
Si le video mapping et la danse verticale se
projettent sur les façades dans de nombreux
projets in situ, certains artistes ont recours aux
nouvelles technologies pour créer l’illusion d’un
cyber-espace urbain.
Fanni Nánay
L’art qui s’invite dans l’espace public – qu’il s’agisse
de performances, d’arts visuels ou d’expérimentations pluridisciplinaires – peut se saisir du bâti comme d’une inspiration, d’une scène ou d’un simple arrière-plan. Dans un même temps, il peut également
se saisir de la réalité physique des murs et de l’environnement urbain. De plus, il existe de nombreux
exemples d’artistes qui font des espaces virtuels une
partie ou l’intégralité de leur matière artistique.
Traduit par Aïnhoa Jean-Calmettes
Des murs-surface
Il existe deux manières bien connues d’utiliser
les murs des villes à des fins artistiques . La première, le video mapping, et la seconde, la danse verticale.
Ces deux genres – qui flirtent avec l’affichage publicitaire – entendent porter la perfection technique à
son comble et attachent en ce sens une importance
première – voire exclusive – à la forme ou aux aspects
spectaculaires et divertissants, reléguant de ce fait au
second plan leur signification profonde. Bien que ces
projets soient in situ, dans la mesure où ils sont conçus
spécifiquement pour s’adapter aux caractéristiques
physiques de certains bâtiments ou murs, ils ne sont
que rarement un reflet du contexte historique, social
ou culturel dans lequel ils se déploient. Ces propositions ne s’inspirent pas de leur environnement et ne
s’y intègrent pas non plus.
Les propositions capables d’ancrer les potentialités offertes par les dimensions spectaculaire et divertissante des exemples ci-dessus, dans une prise
en compte plus profonde du contexte urbain, sont
autrement plus intéressantes. Le collectif français
KompleXKapharnaüM illustre parfaitement cette
approche. Cette compagnie a expérimenté une fusion de divers genres d’arts publics et multimédias en
les immergeant dans un contexte urbain donné. À cet
égard, leur travail le plus emblématique est PlayRec,
pièce créée en 2006 et adaptée depuis à différents
lieux. Cette œuvre explore la mémoire collective
de quartiers à travers l’appropriation d’un bâtiment
symbolique. Elle s’apparente à un collage singulier
réalisé à partir de matériaux de récupération trouvés sur place, filmés en direct et enregistrés en temps
réel, d’images d’archives et des souvenirs de personnes ayant vécu ou travaillé dans ce lieu. Le résultat final de leurs longues recherches est ensuite présenté
sous la forme d’une œuvre collective par des vidéastes, musiciens, écrivains, plasticiens et autres artis24
tes qui se servent du mur du bâtiment comme d’une omnidirectionnel et donnent à voir les incidences de
scène. Le mur peut être recouvert d’affiches, devenir cet environnement sur la perception et la conscience
le support de projection de courtes vidéos, des acro- de soi.
L’utilisation d’autres nouvelles technologies à des
bates peuvent s’y déplacer. Cette performance ne
raconte pas une histoire, elle ne transmet pas d’in- fins artistiques offrirait une expérience moins réalisformations ou de savoirs. Pourtant, elle évoque une te de l’univers virtuel. Dans Remember the Good Times
atmosphère particulière et véhicule de façon sugges- de la compagnie néerlandaise et hongroise Space, ce
tive une certaine perception de l’espace qui permet qui n’est plus visible se donne à voir grâce à une apaux habitants de se sentir plus proche du passé et du plication de réalité augmentée appelée Layar, disponible sur tablette et smartphone. En un sens, le point
présent de cet environnement qui les entoure.
La pièce Flat de Rodrigo Pardo peut être consi- de départ de cette œuvre rappelle PlayRec : il s’agit en
effet d’explorer le passé d’un bâtidérée comme l’opposé de PlayRec.
ment tombé en désuétude grâce
Alors que les artistes précédents
à des images d’archives et les soucréent une narration grandiose PlayRec explore la
venirs d’anciens employés. Néanà partir de la mémoire collective mémoire collective
moins, alors que KompleXKaphard’une communauté donnée, RonaüM utilise les murs physiques de
drigo Pardo raconte la « petite de quartiers.
la ville comme une scène, la scène
histoire » d’un petit homme. Dans
cette œuvre, il installe les meubles d’un appartement est ici transportée dans un univers virtuel.
Les spectateurs partent seuls dans cette aventuen altitude sur la façade d’un immeuble et un acteur
unique se déplace et joue sur cet espace vertical. re, armés d’écouteurs et de tablettes sur lesquels ils
Contrairement à d’autres productions, uniquement peuvent voir des images du lieu tel qu’il était dans le
fondées sur l’aspect spectaculaire de la mise en scène passé, alors même qu’ils se déplacent dans un espace
verticale, le texte – à savoir le monologue intérieur du vide. Une installation sonore, semblable à une pièce
personnage, auquel le spectateur a accès grâce à des radiophonique singulière, les guide sur différents
parcours et invoque des histoires vécues en parallèle,
écouteurs – est aussi important que la performance.
offrant un complément aux images virtuelles.
Bien que l’application Layar ne nous permette pas
Pénétrer dans l’espace virtuel
Après nous être intéressés à des projets artistiques « d’entrer » à strictement parler dans un espace fictif,
fondés sur une utilisation physique des murs et des le public peut néanmoins le voir à travers les murs
surfaces urbaines, il s’agit désormais de se pencher devenus transparents. L’application pour smartphone
sur l’autre versant de la question, celui des expéri- reste disponible après les performances et il est ainsi
mentations dans lesquelles les œuvres permettent au possible de voir le projet sous la forme d’une exposispectateur de quitter la réalité physique pour entrer tion performative après le départ des créateurs.
dans une ville virtuelle ou projettent des réalités virLa rencontre du virtuel et du réel
tuelles sur un espace urbain réel.
Avoir accès à des œuvres de manière virtuelle
Un exemple illustrant la façon dont il est possible
d’entrer dans un espace virtuel en traversant ce mur est devenu commun de nos jours, notamment grâinvisible est le travail de la compagnie belge CREW. ce aux visites virtuelles de musées et de galeries ou
Cette dernière travaille à la croisée de l’art et de la à la mise en ligne de pièces de théâtre, développées
science, se faisant le relais d’innovations technolo- depuis longtemps déjà. Depuis le début des années
giques qu'elle utilise dans ses expérimentations et 2000, de nouvelles expériences 2 utilisent Internet
réflexions esthétiques. Les thèmes de l’image et de pour réunir physiquement et en temps réel des perla perception de soi, problématiques largement dé- formeurs et des publics géographiquement éloignés
battues par les neurologues et les philosophes, sont les uns des autres. Pour autant, les relations entre la
au cœur de leurs productions. Les créateurs se ser- Toile et l’art (performatif) peuvent également foncvent des possibilités offertes par l’imagerie numéri- tionner dans l’autre sens : Internet étant utilisé pour
que pour traduire la représentation que nous nous la fabrication d’un contenu « réel ». On pense ici à 33
faisons de nous-mêmes dans un cyber espace, en tours et quelques secondes, une pièce de théâtre-docuconfrontant le soi visible et le soi perçu, cela à l’aide mentaire de Rabih Mroué et Lina Saneh, originaires
de « lunettes de réalité virtuelle ». Lors de ses perfor- de Beyrouth, qui utilise comme matière première les
mances et installations interactives les plus récentes 1, commentaires Facebook ayant suivi le suicide d’un
CREW s’est essayé à un usage artistique des procédés jeune Libanais. L’éclairage des commentaires écrits
d’imagerie immersive et a exploré les problèmes à propos d’événements particuliers sont transférés
philosophiques soulevés par les récents développe- du média impersonnel et sans visage qu’est Internet
ments de la technologie et des neuro-sciences. Leurs vers une scène réelle. Plus l’événement est grave, plus
œuvres s’offrent comme des expériences artistiques les effets produits par la performance peuvent se réqui invitent le spectateur dans un univers virtuel véler bouleversants. Ces effets peuvent encore être
Page de gauche : Rodrigo
Pardo, Flat. Photo : Andrea
Dudla.
1. Crash (2005), U_Raging
Standstill (2006), EUX
(2008), W (Double U) (2008),
Line Up (2009), C.A.P.E.
(2010), Terra Nova (2011).
2. Comme la performance
en réseau Life Streaming
du Néerlandais Dries
Verhoeven.
25
CREW, Eric Joris, C.A.P.E.
Brussels. Photo : CREW.
26
exacerbés par la transposition de ces « événements »
depuis la scène du théâtre vers l’espace public.
L’œuvre in situ du sound designer Thor McIntyreBurnie, intitulé The Speakers est à la fois une installation et une performance audio. L’artiste met en scène
des enceintes et autres accessoires, en les suspendant
à distance les uns des autres, créant un semblant de
forêt au sein d’un espace public particulièrement fréquenté. Les enceintes diffusent des tweets et des commentaires Facebook relatifs à certains événements.
McIntyre-Burnie est fasciné par le fait de fournir un
corps réel ou une caisse de résonnance à des « voix »
qui parlent dans un espace virtuel. Le volume sonore
est très faible, de manière à ce que le public ne puisse
entendre que s’il se rapproche très près des enceintes,
donnant l’impression de participer à une conversation calme et intime ou de prêter l’oreille à des murmures. Chaque spectateur se promène d’enceinte en
enceinte dans un ordre différent, construisant ainsi
sa propre histoire et sa propre expérience. Cependant, à la fin, ces discours se rassemblent pour former une grande fresque narrative. Inévitablement,
dans la perception que le public en a, les événements
racontés se rattachent aux actions quotidiennes de
l’espace public où les enceintes sont pendues : l’espace virtuel est projeté sur le lieu réel où le projet se déploie. Thor McIntyre-Burnie offre un contrepoint au
caractère impersonnel du cyber espace en égrainant
des symboles d’activités humaines basiques, dont le
feu. Une part importante de l’installation est un ensemble de petits réchauds de bois placés autour des
enceintes, chacun réchauffant une théière de cuivre.
Son œuvre promeut les valeurs de l’hospitalité, de la
rencontre, et de l’être-ensemble. En effet, le public
peut passer tout le temps qu’il souhaite au milieu des
enceintes, à écouter les « conteurs » ou à bavarder
autour d’un thé.
Dans le cas du collectif suisse-allemand Asphalt
Piloten, dirigé par la chorégraphe Anna Anderegg,
lier espace physique et espace virtuel répond principalement à un impératif ludique. La performance
Tape Riot, de ce même collectif, utilise l’espace urbain
d’une manière très physique, tout en se saisissant des
potentiels artistiques existant dans la mise en relation
des villes réelles et virtuelles. Deux danseuses, un DJ
et un street artist travaillant avec du scotch se promènent dans un quartier prédéfini. Le plasticien marque certains détails de l’espace urbain avec du scotch
noir et « clôt » le lieu où les danseuses exécutent leur
improvisation chorégraphique. Le public peut suivre
cette performance de deux heures trente depuis le
début, la rejoindre plus tard ou encore tomber par
hasard sur les artistes. La visibilité du projet étant
plutôt aléatoire, la compagnie a ressenti le besoin de
réaliser une captation de la performance. Cette dernière, réalisée en direct par un vidéaste, est retransmise sur Internet et les déplacement des artistes sont
pistés par un système GPS, permettant aux riverains
n’ayant pas suivi la performance depuis le début de
localiser facilement le lieu où elle se déroule. À la fin
du projet, les traces physiques (graffitis au scotch)
restent quelques temps, avant de disparaître, à l’instar d’une œuvre éphémère de street-art. Néanmoins,
le film réalisé permet de conserver l’œuvre et de
connecter virtuellement entre elles ces traces laissées
en différents lieux et en différentes villes.
Real and Virtual Walls
Whether video mapping and vertical dance are
projected on building walls in number of site
specific artwork, some artists use innovations of
modern technology in order to create the illusion
of an urban cyber space.
Fanni Nánay
Asphalt Piloten,Tape Riot.
Photo : Vincent Van Hecken.
Art that steps out into public spaces (be it performance art, visual art or a cross-genre experiment)
may regard the built environment as inspiration,
scenery or background, yet, at the same time it can
also use the walls and surfaces in their physical reality. Besides, there are many examples when the artist
crosses over into virtual space and considers that as
partly or wholly their creative ground.
Real Walls
There are two rather popular and widely known
ways to use urban wall surfaces for artistic purposes.
These, which, in reality, are almost verging on the
commercial, are video mapping and vertical dance.
Both genres aim to bring technical realization to perfection, consequently they attach primary and often
exclusive importance to this, plus to the entertainment and spectacle elements, while the meaning behind the visuality falls into the background. Although
these works are strictly site-specific, as they are designed specifically for the physical characteristics
of certain buildings or wall surfaces, these projects
hardly ever reflect on contexts of the given location
other than its physicality (historical, social, cultural).
The work does not draw inspiration from the environment, and it is not embedded into it.
Those works that are able to place the promising
potentials that lie in the entertaining and spectacular
27
1. Crash (2005), U_Raging
Standstill (2006), EUX
(2008), W (Double U) (2008),
Line Up (2009), C.A.P.E.
(2010), Terra Nova (2011).
2. As Life Streaming by the
Dutch Dries Verhoeven,
based on live Internet
connection.
28
nature of the above mentioned genres, into a deep- of “self-image” and “self-perception”, issues longer context are significantly more exciting. A perfect debated by both neurologists and philosophers. The
example of this approach is the work of the French creators use the potential of transferring our selfgroup, KompleXKapharnaüM. The company has perception into a three-dimensional, computer gebeen experimenting with the fusion of various gen- nerated image perceived in a cyber space by clashres of public and multi-media arts, while embedding ing the visualized self and the perceived self with the
them into a given urban context. From this point of help of “virtual reality glasses”. In their recent perforview the most perfect example can be PlayRec, a piece mances 1 and interactive installations, CREW has been
they premiered in 2006 and adapted thereafter to experimenting with the artistic use of immersive
numerous locations. This work explores the collec- technology, and has been exploring the philosophical
tive memory of the chosen city district through one issues arising from the latest technological developemblematic building. It creates a unique collage us- ments and neuron-physiology. Their performances
ing material remains found on the location (which offer an artistic experience that invites the spectator
are being filmed and edited ad hoc in real-time), ar- into a literally omni-directional virtual environment,
chival footage, as well as recollections of people who as well as showing them the effects this environment
have lived or worked there. The final material of has on perception and self-consciousness.
their long research is then presented in the form of
The use of other new technological solutions for
a collaborative piece by musicians, writers, video and artistic purposes could offer a less real experience
visual artists as well as other ones, using the wall of of virtual space. In the performance Remember the
the chosen building as a stage. They
Good Times by the Dutch-Hungarcan cover the wall with posters,
ian company Space, the no longer
project strange short videos on it, It is common
visible becomes visible with the asacrobats can take over the wall. The experience to see
sistance of an augmented reality
performance does not tell a story,
application called Layar, that could
it does not carry specific informa- artwork in the
be operated on tablet computers or
tion or knowledge, yet it conveys virtual space.
smartphones. The basic setting of
a peculiar type of insight and atthe production reminds us somemosphere in a very suggestive way,
what of the starting point of Playwhich brings the past and present of the location and Rec: it aims to explore the past of a once buzzing, but
its surroundings closer to the people.
now abandoned building through archival footage
The project Flat by Rodrigo Pardo could be con- and the recollections of former workers. However,
sidered somewhat the opposite of PlayRec. While the while KompleXKapharnaüM chooses the physical
latter created a grand narrative based on the collec- walls of the place as the stage for their presentation,
tive memory of a given community, the former re- Space does the same on a virtual surface.
lates the “little story” of the little man. In this work
The audience members head off one-by-one,
he installs the set of a furnished apartment high armed with headphones and a tablet (or a smartonto the wall of a building, and a single actor plays in phone) on which they can see the way a place used
this vertical space. Contrary to most of the visuality- to look like in the past, while they stand in an empty
based vertical productions, the text (the actor’s in- space. The sound installation or peculiar radio play
ner monologue which the audience can listens to in heard during their journey leads them along various
earphones) is in Flat an equally important part of the routes, calling parallel stories to life and completes
performance.
the images appearing on the tablet. Although the
Layar application does not enable us to “enter into”
Crossing over into the Virtual Space
this fictive space, the audience can still “see through”
On the one side we have been looking at artistic walls which are thus made transparent. Following a
projects based on the physical use of real walls and series of performances the smartphone application
urban surfaces. The other side of the coin are the ex- remains at the location, so it becomes possible to
periments, where the artwork enables the spectator see the project in the form of a performative exhibito leave physical reality and enter a virtual space or tion even when the creators themselves have left the
city, or where virtual reality is projected upon a real place.
urban space.
One evocative example of entering the virtual The Encounter of Virtual and Real Space
space by crossing this invisible wall, is the work of
Nowadays it is common experience to see artwork
Belgian company CREW. CREW works on the border- in the virtual space. Such are the web-museums,
line between art and science, strongly relying on the virtual galleries, and internet-based theatre, which
innovations of modern technology, which they use have also been around for a considerable time. Exas tools for aesthetic experiments and reflections. In periments appeared as early as the year 2000 2, which
the center of their productions stand the questions used Internet technologies to bring together physi-
cally distant performers and similarly distant audience members in real-time . However, cyber world
and (performance) art can affect each other the other way around as well, in which case Internet serves
as the source of content for a “real” production, like
in 33 Rounds and a Few Seconds, a documentary theatre performance by Rabih Mroue and Lina Saneh
from Beirut, which was based on Facebook comments about the suicide of a young Lebanese man.
The virtual remarks reflecting on a specific event
are transferred from the essentially impersonal and
faceless medium of the Internet onto the real stage.
The more crucial the event is, the more upsetting effect the performance can have. The effect can be further intensified by placing the “events” of the virtual
space not onto a theatre stage, but into the context of
a public space.
The artwork of the British sound designer Thor
McIntyre-Burnie, entitled The Speakers is an installation and an audio-performance at the same time. The
artist constructs an installation made up of speakers
and other props, hung in some distance from each
other, thus creating a “forest” in the middle of a busy
public space. From the speakers we hear actors and
citizens reading out Tweets and/or Facebook comments related to a certain event (e.g. a demonstration). What fascinates Thor McIntyre-Burnie is to
find a way to provide the “voices” that speak in the
virtual space, with a real body, or “speaker”. The volume level of the speakers is very low, just like a quiet
intimate conversation, or even a whisper, so the audience can only hear and understand each part of the
text if they go very close to the speakers. Each audience member visits the speakers in a different order,
so they get a different story and experience, however, in the end they unite to form a larger meta-narrative. In the audience’s perception the events of the
“spoken story” inevitably link up with the everyday
actions of the public space: the virtual place is projected upon the real location, where the project takes
place. Thor McIntyre-Burnie counterpoints the impersonal nature of the cyber world with the most basic physical surroundings and human activities, one
of which is fire. Important parts of the installation
are the small wood-burning stoves placed among the
hanging speakers, each heating a copper can filled
with tea. His work endorses values such as hospitality, encounter, and being together. Indeed, the audience can spend as much time as they like wandering
among the speakers, listening to the “storytellers”, or
talking to each other and having tea.
In the case of the Swiss-German collective, Asphalt Piloten led by dancer-choreographer Anna
Anderegg, the main reason for linking real and cyber
space was playfulness. The young company’s performance Tape Riot is, on the one hand, using the urban surfaces in a very physical way, and on the other,
it uses the artistic potentials that lie in the linking of
the real and the virtual city. Two dancers, a DJ and a
street artist working with sticky tape walk through a
chosen area of the city. The visual artist marks certain
details of the urban environment with black tape and
“fences off” an area where the dancers perform their
improvised choreography. The audience can follow
the two-and-a-half-hour long performance right
from the start, join in later, leave as they go along, as
well as bump into the four artists by chance. As the
visibility of the project was rather accidental, the need
arose in the creators to make a recording of it. So a
video artist was assigned to accompany them, whose
recordings could be followed online with the help of
a GPS system, which also helped in finding the dancers in the city. Once the project was over the physical traces (the “tape-graffities”) remain in place for a
while as ephemeral street-art works, but they soon
disappear or are removed. However, the films shot at
these spots preserve and virtually connect the traces
left at the various locations and in various cities.
Benjamin Vandewalle,
Birdwatching de 4x4.
Photo : Benjamin Vandewalle.
29
La ville, participe actif
Lire la ville comme un texte, décoder ses signes
et jouer avec eux : il s’agit, pour les artistes qui
œuvrent dans l’espace public, de dissoudre les
frontières de la « représentation ».
Dominique Vernis
1. « L’art fait public »,
entretien avec Joëlle Zask,
Mouvement no 60, mai-juin
2013.
30
« Je pourrais te dire de combien de marches sont faites
les rues en escalier, de quelle forme sont les arcs des portiques, de quelles feuilles de zinc les toits sont recouverts ;
mais je sais que ce serait ne rien te dire. Ce n’est pas de cela
qu’est faite la ville, mais des relations entre les mesures de
son espace et les événements de son passé. » Comme le
souligne le personnage de Marco Polo dans Les Villes
invisibles d’Italo Calvino, une ville n’est pas seulement
faite de façades et de rues, mais aussi de souvenirs
collectifs et individuels liés aux lieux. Autant de strates, architecturales et urbanistiques, mais aussi bien
immatérielles, qui forgent « l’âme » d’une ville. Bâtiments, édifices, frontons, sont érigés pour marquer
le temps, créer des repères qui se voudraient immuables. Emblèmes d’autorité, de pouvoir, qui instituent
dans l’espace une visibilité publique. Autant de murs
qui créent des frontières symboliques, mais pas infranchissables. Cette vision de la ville, stable, dont
l’aménagement dessine des espaces et des modes de
circulation, dissimule toutefois une autre ville, beaucoup plus « incertaine », dont les frontières se sont
diluées autant qu’elles se sont éclatées. Entre centre
et périphéries, entre les quartiers, se dressent parfois
des murs invisibles. Le « vivre ensemble » se hérisse
de protections plus ou moins avouées.
La ville a toujours été un lieu de transactions entre
le besoin d’altérité et la recherche d’isolement, l’appartenance à une communauté et le désir d’anonymat. La ville rassure et effraie, simultanément. « Une
peur de l'espace nous habite et fait jaillir en nous des murs
invisibles », écrit la dramaturge Maya Bösch, qui a précisément tenté, en assumant la codirection du Théâtre du Grütli, à Genève, de « décloisonner » les pratiques artistiques et les espaces de représentation à
l’intérieur même du théâtre. En s’extrayant des théâtres, dans les années 1960 et 1970, il s’agissait pour les
pionniers du « théâtre de rue » de contester le théâtre bourgeois, « emmuré » dans les conventions du
rapport scène/salle : l’espace public devenait le lieu
même de la contestation (contre l’impérialisme et la
guerre au Vietnam, contre le capitalisme et les multiples formes de l’oppression). Un tel théâtre d’agit-
prop n’est plus guère en vogue aujourd’hui, mais des
artistes de toutes disciplines (théâtre, danse, arts de
la piste, musique, arts visuels, etc.) font désormais de
l’espace public la matière même de leurs créations.
Prendre la ville pour ce qu’elle est, consiste alors à
mettre en jeu ce sens de la flânerie dont parlait Walter Benjamin et, ainsi qu’il y invitait dans son Livre des
passages, à lire la ville comme un texte et à décoder
l’ensemble des signes qu’elle propose.
Formé de trois artistes italiens, le collectif Zimmerfrei réalise des portraits de villes (Temporary Cities), dont ils explorent les représentations mentales
et physiques. À Copenhague, Bruxelles, Budapest
ou Marseille, ils choisissent des quartiers excentrés
ou en déshérence, et y rencontrent des habitants
assez « improbables » qui leur racontent des histoires qui seraient totalement imperceptibles sans ce
biais du « témoignage ». Et ce sont des parcelles de
vie, autant que de ville, qui s’exposent alors, loin des
clichés habituels. Avec le projet Streetwalker Gallery,
les artistes slovènes du Ljud Group entreprennent
pour leur part de transformer la rue en galerie d’art.
Dans l’esprit du ready-made, il s’agit d’utiliser les éléments présents dans l’environnement urbain et de
les ériger en « œuvres d’art », offrant ainsi une perception décalée sur des détails que nous ne prenons
habituellement pas le temps de regarder. En leur
conférant une valeur poétique, à travers des « visites
guidées », il s’agit en outre d’effacer les frontières de
« l’art » et de désacraliser les « murs » derrière lesquels les œuvres sont généralement exposées. Une
démarche qui pourrait trouver place dans ce que la
philosophe Joëlle Zask baptise « outdoor art » : « Aller
dehors, out of doors, c’est convertir les murs qui limitent le
champ de nos expériences en ressources d’expérience. C’est
notamment sortir hors de notre petit monde intérieur où
tout est sous contrôle : sortir hors de soi et de l’entre-soi. » 1
Les gares sont précisément, dans les villes, des zones-frontières, où l’on s’apprête à sortir (de la ville)
ou encore à accueillir ceux qui arrivent. Obstacle et
passage, contrôle et échange. Pour accéder à la gare
de Marseille Saint-Charles, un majestueux escalier
fait office de seuil. Dans le cadre du projet Métamorphoses initié par Lieux publics, la chorégraphe Jany
Jérémie y a conçu des duos fantaisistes et singuliers,
en même temps qu’elle lançait un appel aux « amateurs » pour se joindre à l’aventure. L’un des lieux les
plus empruntés de Marseille devient ainsi le théâtre
d’un nouvel art de ville. Où, là aussi, s’évanouissent
les frontières de la représentation.
Conjugating the town
Reading the town as a text, decoding its signs and
playing creatively with them: for those artists who
work in public space this is a question of dissolving
the boundaries of “representation”.
Dominique Vernis
Translated by Sarah Jane Mellor
1. “L’art fait public”,
interview with Joëlle Zask,
Mouvement, no 60, May-June
2013 issue
“I could tell you how many steps make up the streets rising like stairways, and the degree of the arcades' curves, and
what kind of zinc scales cover the roofs; but I already know
this would be the same as telling you nothing. The city does not
consist of this, but of relationships between the measurements
of its space and the events of its past…” As the character of
Marco Polo points out in Invisible cities by Italo Calvino, a
town is not merely made up of façades of buildings and
streets, but also comprises the collective and individual
memories linked to these spaces and places. As many
layers, of architectural and urban strata but also immaterial ones which forge the “soul” of a town. Buildings,
edifices, pediments are erected to mark an imprint on
time, to create anchorage points which are intended to
be immutable. Emblems of authority, of power, which
establish a public visibility in urban space – like so many
walls which create symbolic demarcations but which
are not impassable. This vision of the town, of its stability, whose lay-out map out spaces, modes and patterns of traffic, conceals, however, another town, much
more “uncertain”, whose boundaries have been eroded as much as they have been fragmented. Between
the centre and the periphery, between districts, there
are sometimes invisible walls. “Living together” bristles
with more or less acknowledged means of protection.
The town has always been a place where trade-offs
take place between the need for otherness and the quest
for isolation, belonging to a community and the wish
for anonymity. The town simultaneously reassures and
frightens people. “A fear of space, possesses us and throws
up within us invisible walls”, writes the playwright Maya
Bösch, who specifically endeavoured, upon assuming
the joint management of the Grütli theatre in Geneva,
to “decompartmentalise” the artistic practices and representational spaces within the theatre itself. By moving
outside the theatres in the 60's and 70's, the pioneers of
“street theatre” sought to challenge the bourgeois theatre, walled up in, imprisoned in the conventions of the
relationship between the stage and the theatre’s public seating arrangements: public space was to become
the battleground for protest (against imperialism and
the Vietnam War, against capitalism and the multiple
shapes and forms of oppression). Such a type of agitprop theatre is no longer fashionable today, but artists from all disciplines (theatre, dancing, circus arts,
music, visual arts etc.) now make public spaces the very
substance, the raw material of their creations. Taking
the town for what it is, consists, therefore, in staging,
in depicting this sense of wandering about and exploration of topography which Walter Benjamin spoke of,
and just as he urged his readers in his book Passages to
read the town as a text and decode the semiotics, the
skein of signs and symbols that it offers. Comprising
three Italian artists, the Zimmerfrei collective has been
engaged in the portrayal of towns and cities (Temporary Cities), whose mental and physical representations
they explore. In Copenhagen, Brussels, Budapest or
Marseilles , they choose outlying or run-down, derelict
quarters, meeting pretty “unlikely” inhabitants who
narrate their stories which would be totally imperceptible without this process of “chronicling and bearing
witness”. These are living close-ups, as well as slices of
town life which are exhibited far from the usual clichés.
With the Streetwalker Gallery project, Slovenian artists
from the Ljud Group seek to transform the street into
an art gallery. In the “ready made” spirit, this involves
using the elements present in the urban environment
and setting them up as “works of art”, thus viewing details in a novel and transfigured way. By conferring on
them a poetic value through these “guided tours”, the
frontiers of “art” are erased and the walls behind which
works of art are generally exhibited are desacralised.
This is an approach which could fit in with what the
philosopher Joëlle Zask refers to as “outdoor art”. “Going outside, out of doors, entails converting the walls, which
constrain and limit the scope of our experiences, into resources
for experience. This means in particular leaving behind our
own microcosm, our own miniature internal world where everything is under control: taking leave of ourselves and of each
other.” 1 Railway stations in towns are specifically border
zones, which we prepare to depart (leaving the town)
or welcome and greet those who arrive. They both
stand as an obstacle in our way and constitute a crossing point, a point of control and exchange. To gain access to Marseille’s Saint-Charles railway station, there
is a majestic flight of steps which does duty as a gateway
or threshold. During Métamorphoses, choreographer
Jany Jérémie has designed fantastically imaginative and
striking duos, while at the same time appealing to “amateurs” to join this adventure. Thus, one of the most
frequented places in Marseilles becomes the theatre
where a new town art form is staged. Where, there too,
boundaries and frontiers delineating what is staged
vanish and dissolve into thin air.
31
VILLES éphémères EN EUROPE
Entretien croisé Olivier Grossetête/Zimmerfrei
Olivier Grossetête et le collectif Zimmerfrei
(Massimo Carozzi, Anna de Manincor et Anna
Rispoli) construisent des villes « temporaires » :
La Ville éphémère et Temporary Cities, deux
projets du réseau IN SITU. Quand l’un crée du
commun par la construction de murs réels en
cartons, l’autre propose une vision rêvée de la ville.
Réflexions d’artistes sur les murs invisibles qui
segmentent nos villes.
Ariane Bieou, Quentin Guisgand et Jasmine Lebert
32
Jasmine Lebert : Pourquoi travaillez-vous sur la
ville et en quoi la ville contemporaine est-elle une
source d’inspiration selon vous ?
Anna Rispoli : « La ville définit notre condition
contemporaine. Pas seulement en raison des faits démographiques qui montrent que la condition urbaine est une nouvelle façon d’être humain mais aussi
parce que celle-ci est sans cesse en train de se redéfinir. Nous sommes obligés d’inventer une nouvelle
façon de négocier avec l’autre : comment entre-t-on
en relation avec les autres qui ne sont pas seulement
de provenances ethniques, géographiques et linguistiques différentes, mais aussi porteurs d’autres façons de vivre, d’autres villes possibles qui coexistent.
On traverse constamment plusieurs villes, plusieurs
conditions urbaines. Certaines sont cachées, certaines sont davantage visibles. En ce qui nous concerne,
nous nous intéressons aux villes cachées, souterraines ou plus ou moins éphémères.
Olivier Grossetête : « La ville, est l’endroit où je
vis et où j’ai toujours grandi. Elle induit nos comportements. Son organisation nous structure. Elle est
pleine de signes et de symboles, avec lesquels je veux
jouer. Au départ, je suis parti des bâtiments et de la
construction. Mon but était de déranger les images
fixes de la ville et de proposer une autre façon de vivre ensemble. C’est pourquoi je me suis intéressé à
l’architecture comme symbole ou image du pouvoir.
Travailler dans l’espace public, c’est travailler dans un
rapport aux autres et donc dans des liens de pouvoir.
L’une de mes premières constructions a consisté à
adjoindre deux tours en carton à une mairie. Il s’agissait clairement d’interroger le symbole du pouvoir
pour le détourner avec l’aide des gens et d’un matériau dit “pauvre”.
Anna de Manincor : « Quand on arrive dans une
nouvelle ville, la première chose que l’on fait c’est
s’y promener et regarder les choses visibles. La seconde, c’est traverser les murs en imagination. Avec
cette imagination d’enfant qui consiste à regarder
une fenêtre tout en croyant voir l’appartement tout
entier. C’est ainsi que s’inventent les histoires. Celles-ci deviennent des petits films souterrains à partir desquels nous pouvons vérifier si les images qui
nous ont traversés peuvent se cristalliser en réalités
ou pas. Nos documentaires ne sont pas de vrais documentaires. Ils n’expliquent pas, ne révèlent pas,
ils sont des créations qui s’appuient sur des données
matérielles. La ville est plutôt un objet matériel qui
s’impose à la vision.
Quentin Guisgand : Anna, tu parles de « villes vant ne nous permet pas de gérer les conséquences
souterraines » dans votre travail. Quels pourraient de nos actions sur la longue durée. Que signifie “intervention temporaire” ? Qu’elle est la responsabilité
en être les « murs invisibles » ?
Anna Rispoli : « Je n’ai pas participé aux deux do- éthique et politique de ce type d’action ?
Olivier Grossetête : « Bien sûr, il y a l’“après”,
cumentaires de Copenhague et de Budapest. Je porte
donc sur eux un regard à la fois intérieur et extérieur. mais j’estime que si ce type d’action crée du désir,
Mais ces murs invisibles sont aussi ceux de la repré- c’est déjà bien. L’art, c’est du désir et le désir, c’est de
sentation de soi vis-a-vis de l’autre. Ces documentai- la vie. Dire à quelqu’un : “J’ai besoin de toi”, c’est déjà lui
res touchent la limite entre le privé et le public : la offrir quelque chose et cela peut créer du désir.
représentation de soi par rapport à la communauté
Quentin Guisgand : Dans vos travaux, il y a du
et la définition de cette dernière. La grande liberté de
nos documentaires tient à la possibilité de s’imaginer mouvement. Comment rendez-vous vos « villes
à une autre place au sein d’un espace urbain partagé. éphémères » habitées et vivables ?
Anna Rispoli : « Nous créons, à l’intérieur d’une
C’est à travers l’évocation de ces désirs et de ces projections, que l’on peut se réapproprier ces espaces ville, un point de vue qui est aussi un point d’écoute.
Une position d’où nous essayons de cadrer une possipartagés.
Olivier Grossetête : « Dans une ville, ce qui me bilité du réel dans laquelle il y a un chaos incroyable.
fait souffrir, c’est d’être entouré de plein de monde Alors, comment ce chaos traverse le réel ? Comment
et, dans le même temps, seul. Plus la ville est grande, l’invisible devient-il visible ? Nous nous autorisons à
plus on est seul, plus il est dur d’entrer en contact avec nous laisser surprendre par des regards étrangers. À
Copenhague, vous aviez choisi une
les autres. Là s’élèvent nos murs incolline au sommet de laquelle vous
visibles qui créent de la souffrance.
avez attendu que quelque chose arPar mes projets, je suis amené à vi- La ville est
rive…
siter des villes différentes et j’y fais un objet matériel
Anna de Manincor : « Oui. Et
chaque fois la même expérience de
ce sont les gens qui sont venus vers
la solitude. Mon processus ne chan- qui s’impose
nous. J’ai commencé toute seule,
ge pas d’une ville à l’autre, c’est le à la vision.
j’ai filmé le rien, j’ai cadré des virapport à l’espace et aux formes qui
sions qui ne sauraient se réduire à
change. Pour casser ces murs invisibles, je mets en place des ateliers qui permettent de une dramaturgie. Tout le contraire du film d’enquête
créer du lien en travaillant. Faire des choses ensem- où l’on questionne les gens et attend des réponble est une façon de se rencontrer. Voilà ma straté- ses qui viennent confirmer une hypothèse. Quand
gie. D’abord, c’est “passe-moi le scotch”. Au bout d’un quelqu’un s’intéresse à la chose invisible que tu es en
train de faire, il s’approche et vient avec des histoires
certain temps, il en résulte un dialogue.
à te raconter sans que tu ne lui aies rien demandé.
Quentin Guisgand : La fiction est-elle une façon Les gens n’ont habituellement pas envie d’être filmés, ils ne veulent instinctivement pas devenir des
de briser ces murs ? Ou de les souligner peut-être ?
Olivier Grossetête : « Je crée d’autres murs pour personnages. Mais nous ne les filmons pas directecasser les murs virtuels. Au moins pendant un temps. ment. Nous cadrons un édifice et nous en parlons
On crée des liens étonnants. Pour proposer autre avec eux. Nous sommes du même côté de la caméra
chose, pas forcément pour lutter contre. L’art est là et nous regardons dans la même direction. La camépour faire des propositions un peu différentes. Pour ra ne représente plus une frontière entre nous. Nous
permettre un certain recul vis-à-vis de la ville et de la construisons une réalité temporaire et décalée. Nous
pouvons alors nous entretenir sur ce qu’il y avait avant
relation quotidienne que l'on entretient avec elle.
Anna Rispoli : « Le mur invisible le plus dange- et que l’on ne peut plus voir, sur ce qui sera construit
reux est peut-être le territoire marécageux de la et que l’on ne peut pas encore voir. C’est seulement
réappropriation artistique. On parle des questions après un long temps que je peux commencer à filmer
urbanistiques, du développement urbain, de la gen- la personne, sa figure et son corps. Elle devient alors
trification, mais le travail que les artistes sont invités à coauteure du film.
Olivier Grossetête : « Le mouvement dans mes
faire parle de questions bien plus larges et bien plus
incontrôlables. Nous sommes conscients que le gros constructions vient d’abord du fait que l’on construit.
boom de ces dernières années en faveur de l’art au On est dans le faire, c’est cela qui crée du mouvesein de l’espace public, que cette invitation faite aux ment. Au départ, je voulais fabriquer mes trucs dans
artistes de prendre en charge la revalorisation du lien mon coin et tout maîtriser. Mais en faisant appel aux
social dans l’espace public est géniale. Elle offre d’in- autres, j’ai été obligé de lâcher prise, ce qui laisse une
croyables possibilités pour briser certains murs. Mais place à la vie. Dans mon processus, j’arrive seul dans
elle cache aussi les choses que nous ne parvenons pas une ville et j’essaie de rencontrer des gens, de les moà contrôler. D’autant que l’économie du spectacle vi- tiver, de voir ceux qui sont les plus aptes pour leur
Page de gauche : Olivier
Grossetête, Pont suspendu,
2007. Photo : Olivier
Grossetête.
33
donner des responsabilités. Je suis seul et j’en souffre.
Mais c’est aussi une force. Je tiens à ma solitude, elle
me permet d’aller vers l’autre. Quand on est deux, on
forme une entité moins perméable. Le fait d’être seul
te rend disponible aux autres.
Le collectif Zimmerfrei
en tournage à Nuoro
(Sardaigne), 2006.
Photo : Elisa Mannu.
Ceux qui veulent dormir la nuit dans les constructions le pourront… Mais les questions de sécurité ne
sont pas évidentes. Dès que l’on ferme un lieu, il y a
des contraintes de sécurité importantes. Cela implique d’allouer un budget pour le gardiennage, afin de
laisser vivre la ville tout en veillant à ce qu’il n’y ait
pas de risques. À Marseille, la ville ne peut être laissée sans contrôle. Mais idéalement, elle vivrait par
elle-même. Je n’ai pas envie d’y poser des barrières la
nuit. Elle devrait être un objet qui m’échappe.
Ariane Bieou : Mais le mouvement dans tes villes est aussi physique, par le déplacement des bâtiments…
Olivier Grossetête : « Le jeu qui consiste à déplacer des bâtiments m’intéresse. À Chalon-sur-Saône,
Quentin Guisgand : Vos travaux sont accompaoù le sol était en pente, on a dû déplacer la construction pour la remettre à niveau. Il s’agissait donc plutôt gnés par le réseau IN SITU, ce qui vous amène à trad’une mise en place. Mais c’était beau aussi. à Mar- verser les frontières. Quelle vision cette itinérance
seille, pour la première fois, je m’apprête à construi- vous a-t-elle donné de l’Europe ?
Olivier Grossetête : « Chaque ville possède une
re une ville entière. On planifie une moyenne de cinq
constructions par jour. Le premier jour, on essaiera énergie collective propre. Je serai toujours surpris
par la façon dont se comportent
peut-être d’en faire dix petites qui
les gens. C’est à Annecy que j’ai fait
grandiront quand il y aura plus de
l’une de mes premières construcmonde. La construction ne restera Ce qui manque en
tions. À la fin, après la destruction,
pas figée. Il y a une part d’improvi- Europe, c’est une
on a remis tous les cartons à plat et
sation. S’il y a trois jours de mistral,
il ne restait plus un scotch par teron ne pourra pas faire des bâti- narration partagée.
re. Si tu fais cela à Marseille, cela ne
ments très élevés. On pourra étaler
la ville et la faire monter après. Il en naîtra des histoi- sera pas du tout pareil ! Lancer un chantier en Écosse
a été une entreprise laborieuse. Puis l’expérience a
res que l’on ne maîtrisera pas.
pris.
Anna Rispoli : « La seule fois que nous nous somJasmine Lebert : Comment gères-tu la confrontation entre espaces publics et espaces privés dans mes vraiment sentis européens, c’était en résidence à
la construction de ta ville éphémère ? Tout est es- New York. Cette notion d’Européen échappe encore à
toute identification. Faire le lien entre les villes europace public ou y a t-il une place pour l’individu ?
Olivier Grossetête : « L’espace sera avant tout pu- péennes et tracer une identité à partir de là ? L’idenblic, car construire, c’est rassembler des gens. Après, tité européenne est une chose encore très floue pour
chacun se fera sa propre histoire. Le rapport au pri- moi. Ce qui manque en Europe, c’est un récit de soi,
vé se situe plutôt dans le vécu de chaque personne. une narration partagée, comme aux États-Unis. Pour
cela, les Américains se sont appuyés sur une fiction,
celle des terres vierges, du Nouveau monde…
Quentin Guisgand : Envisagez-vous une narration européenne composée de vos Temporary Cities ?
Anna de Manincor : « Il est vrai que nous transportons un regard qui génère des liens. Nous arrivons dans une ville riche des suggestions que la ville
précédente nous a inspirées. Il se produit comme
un transfert de suggestions et de désirs. Certaines
sont nées dans une ville, se sont interrompues, puis
ressurgissent dans une autre ville. À Budapest nous
cherchions des édifices squelettes, ceux dont l’on
perçoit la structure de l’extérieur. Comme nous n’en
avons trouvé aucun, le film souterrain s’est déplacé
vers les édifices fantômes.
Anna Rispoli : « Mais nous en avons trouvé rue de
la République, ici à Marseille.
Anna de Manincor : « Oui. Et nous allons continuer à parler de Budapest maintenant que nous
sommes à Marseille. Et nous parlerons de Marseille
lorsque nous irons ailleurs. Nous charrions avec nous
des sujets sans doute décalés dans le temps. »
34
Fleeting cities IN EUROPE
Crosstalk dialogue Olivier Grossetête/Zimmerfrei
Olivier Grossetête and Zimmerfrei collective
build “fleeting” cities: The Ephemeral City and
Temporary Cities, two IN SITU projects. As one
creates common sense by building real cardboard
walls, the other offers a dream version of the city.
Artist's reflection about the invisible walls dividing
our towns.
Ariane Bieou, Quentin Guisgand and Jasmine Lebert
Translated by Sarah Jane Mellor
Zimmerfrei,The Hill.
Photo : Thomas Seest.
Jasmine Lebert: Why are you working on the
theme of the city and why are contemporary cities
a source of inspiration for you?
Anna Rispoli: “Cities define our condition as
contemporary citizens. Not only because of demographic facts and realities which show that the urban
condition is a new way of being human but also because the nature of towns is constantly reshaping its
definition. We are compelled to invent a new means
of relating to other people: how can we forge a relationship with other human beings who are not only
from different ethnic, geographical and language
backgrounds but who also constitute vectors of other
ways of living, other conceivable cities which coexist?
We constantly range across several towns, several urban dwelling conditions. Some are hidden whereas
others are more visible. As far as we are concerned,
we are interested in concealed, subterranean or
more or less fleeting cities.
Olivier Grossetête: “The town is where I live,
where I have been born and raised. It engenders our
behaviour patterns. Its organisation structures us.
Cities are pregnant with semiotic symbols. I want
to play with those signs. I started out with buildings
and construction. My goal was to upset the fixed
images of the city and suggest another way of living
35
together. That’s why I became interested in architec- First of all, it’s “please hand me the cellotape”, then,
ture as a symbol of power. Working in public space after a while, a dialogue ensues.
means working in a specific relationship to others and
Quentin Guisgand: Is fiction a way to demolish
therefore in power relations. One of my first artificial
constructs consisted in juxtaposing two cardboard to- these walls or to point them out, perhaps?
Olivier Grossetête: “I create other walls to bring
wers to a town hall. This clearly involved calling into
question the symbol of power in order to subvert it down these virtual walls. At least, for a while. We create links which surprise so as to propose something
with people’s help and a so-called 'poor' material.
Anna de Manincor: “When we arrive in a new else and not necessarily to combat this. Art is there
town, the first thing we do is to walk around and to put forward propositions which stand out somecontemplate visible things. Afterwards we traverse what, to enable us to stand back from the city and rethe walls in our imagination. With a child’s imagina- assess our daily relationship with it.
Anna Rispoli: “The most insidious invisible wall
tive power which consists in looking in at a window
while believing it’s possible to see the whole of the is perhaps the swampy territory of artistic reapproflat. That’s how we come up with stories. These turn priation. We speak of city planning issues, urban
development, or gentrification
into short subterranean films from
but the work that artists are called
which we can ascertain whether
upon to do deals with wider issues
the pictorial representations which Evoking desires to
and much more uncontrollable
have welled up within us can crys- reappropriate for
ones. We are aware of the stroke of
tallise out into reality or not. Our
genius behind the huge boom of
documentaries are not true docu- ourselves those
the past few years in favour of art
mentaries. They do not explain or shared spaces.
in public spaces, of this challenging
reveal, they are created constructs
appeal to artists to assume the misbased on material data. The city
is rather a material object which forces itself into sion of revitalising social links in public spaces. This
offers enormous scope to break down some walls.
our view.
But it also harbours concealed within it things that
Quentin Guisgand: Anna, you referred to “sub- we can’t manage to control, especially as the ecoterranean cities” in your work. What might consti- nomics of performing arts doesn’t enable us to manage the consequences of our actions in the long
tute their “invisible walls”?
Anna Rispoli: “I didn’t take part in the two docu- term. What does “temporary intervention” mean?
mentaries of Copenhagen and Budapest. Therefore What is the ethical and political responsibility of this
I can visualise them both in an internal and external type of action?
Olivier Grossetête: “Of course, there is “what
way. But these invisible walls are also those of ones
self-representation faced with the others. These docu- comes after” but I believe that if this type of action
mentaries impinge on the tangible limit between creates desire, then it is already good. Art is desire
private and public spaces: self-representation in re- and desire is life. Saying to someone, “I need you” allation to the community and the boundaries defin- ready entails offering that person something and
ing this community. The great freedom of our docu- that can create desire.
mentaries lies in the possibility of imagining oneself
Quentin Guisgand: There is movement in your
elsewhere, in another place within a shared urban
space. It’s by evoking and conjuring up these desires work. How do you make your “fleeting cities” inand these projections that we can reappropriate for habited and liveable?
Anna Rispoli: “We create within a city a viewing
ourselves these shared spaces.
Olivier Grossetête: “In a city, what makes me point which is also a listening point. This is a position
suffer, is being in the midst of such a multitude of from which we endeavour to establish a possibility of
people and simultaneously feeling alone. The big- something real, in which there is an unbelievable deger the city, the greater ones loneliness, the harder gree of chaos. So, how does this chaos traverse what
it is to make real contact with others. It’s precisely is real? How does what is invisible become visible?
there that rise our painful invisible walls. Thanks to We allow ourselves to be surprised by the gaze of
my projects I visit different towns and each and every strangers. In Copenhagen you chose a hill where you
time I experience the same feeling of solitude. My waited for something to occur…
Anna de Manincor: “Yes and it’s the people
procedural way of working doesn’t change from one
town to another. It’s the relationship to space and themselves who approached us. I started by myself.
shapes which changes. In order to break down these I filmed nothingness; I framed within camera shot
invisible walls I set up workshops which enable me to visions which could not be reduced to a sequence
forge interpersonal links. Doing things collectively is of dramatic narrative. It was precisely the opposite
a way to meet up with others. That’s my game plan. of an investigative film where you put questions to
36
people, expecting answers that confirm an hypothesis. When someone becomes interested in the invisible thing that you are doing, they approach you and
come up with stories to tell you without you having
to ask them. Normally, people don’t appreciate being
filmed unless they are already characters themselves.
But we don’t film them directly. We frame a shot of
a building and we speak with them about it. We are
on the same side of the camera and we look in the
same direction. The camera no longer represents a
barrier. We construct a temporary, displaced reality.
Therefore we can discuss our points of view on what
was there previously that we can no longer visualise,
what is in the process of being built that can’t yet be
seen. It’s only after a while that I can begin to film the
individual, his face and his body. This person then
becomes the co-author of the film.
Olivier Grossetête: “Movement in my constructions stems primarily from the fact that we construct
them. We are involved in making them, that’s what
creates the movement. From the outset, I wanted to
manufacture my things by myself and master everything. But by bringing in other people I was forced
to relinquish this control, which makes room for life.
In my creative process, I arrive by myself in a town,
try to meet people and motivate them, to single out
the most capable ones to leave them responsibilities.
I am alone and I suffer from this state. But this is also
a strength. I’m attached to my solitude, it enables
me to approach others. When there are two of us we
form a less permeable entity. The fact of being alone
makes you available for others.
Ariane Bieou: But the movement in your towns
is also physical, as the buildings move…
Olivier Grossetête: “I’m interested in the game of
moving the buildings around. At Chalon-sur-Saône,
where the ground was sloping, we had to shift the
building to put it at the right level. It was rather a
question of setting it up. But it was also beautiful. In
Marseilles, for the first time I am gearing up to building an entire city. We plan an average of five constructions per day. On the first day, we will perhaps try to
make ten small ones which will grow when there are
more people around. The construction won’t remain
static. Improvisation will play a part. If the Mistral
blows for three days we won’t be able to make very
high buildings. We will be able to spread out the town
and subsequently reach for the sky. Unmasterable
stories will emerge from this.
Jasmine Lebert: How do you cope with the clash
between public and private spaces in the building
of your fleeting city? Is everything comprised of
public space or is there space for the individual?
Olivier Grossetête: “The space will be above all
public since the act of building means gathering people together. Afterwards each individual will create
his own story. The relationship to what is private lies
rather in each person’s individual experience. Those
who want to sleep in the constructions at night will
be allowed to… but the safety issues are not obvious.
As soon as you enclose a space, far-reaching security
constraints arise. This involves allocating a budget to
supervise the place in order to let the town come alive
while also ensuring that there is no risk. In Marseilles
we can’t leave the town unsupervised. But, ideally,
the town will fend for itself and I don’t want to put up
barriers at night. It must be an object that is free to
escape itself from my control.
Quentin Guisgand: Your work is accompanied
by the IN SITU network which means that you are
sometimes led to cross international borders. What
vision of Europe has this nomadic wandering instilled in you?
Olivier Grossetête: “Every town has its very own
collective energy. I will always be astonished by the
way people behave. I made one of my first constructions at Annecy. After its destruction, we laid out all
the cardboard and there was no adhesive tape left on
the ground. If you do that in Marseilles it won’t be the
same at all! Embarking on a construction site in Scotland was a laborious undertaking. Then the experiment caught .
Anna Rispoli: “The only time we really felt that
we were Europeans was in New York. This notion of
being European still defies definition. Establishing a
link between European cities and tracing an identity
from them? European identity is still a hazy thing for
me. What is lacking in Europe is a history of the self, a
shared personal narrative, akin to what exists in the
United States of America. To achieve that, the Americans based their approach on a fictional identity, that
of virgin land, of the New World…
Quentin Guisgand: And a European narrative
comprising your Temporary Cities?
Anna de Manincor: “Admittedly we convey with
us a gaze which generates links. We turn up in a town,
replete with suggestions that the previous city has inspired in us. Then something like a transfer of these
suggestions and desire takes place. Some arose in a
town, petered out, then resurface in another town.
In Budapest we looked for skeletons of buildings,
whose structure can be perceived from the outside.
As we found none, the underground film shifted to
phantom buildings.
Anna Rispoli: “But we did indeed find some in
the rue de la République, here in Marseilles.
Anne de Manincor: “Yes and we’ll continue talking about Budapest now we are in Marseilles and
we will speak about Marseilles when we will travel
elsewhere. We drag from place to place, perpetuate
within ourselves subjects which are undoubtedly
anachronistic.”
37
Invisible Walls, Forum
IN SITU
À Marseille et à Košice, pour les dix ans du réseau
IN SITU, deux conférences, « Invisible walls » et
« Shared cities » viendront proposer des liens
inattendus afin d’inventer de nouvelles façons
d’impliquer artistes et citoyens dans l’espace public.
insolites concernant la création artistique dans l’espace public, afin d’inventer de nouvelles façons d’y
engager artistes et citoyens.
Košice 2013, Villes en partage
Du 22 au 26 mai, Košice 2013, Capitale européenne de la culture organisera la 5e édition du
festival Use the City (Utiliser la ville). à cette occasion,
cette ville accueillera une conférence européenne
Richard Polácek
intitulée « Shared Cities » (Villes en partage). La conTraduit par Pierre Covos
férence partira de l’idée que l’espace public est enPour célébrer le dixième anniversaire du réseau core trop peu investi par la population, notamment
IN SITU et sa solide présence dans les villes et les pay- dans les pays d’Europe centrale et de l’Est. Pour ausages de la culture européenne, les membres d’IN tant, la conférence n’aura pas uniquement pour obSITU, Lieux publics et Košice 2013, organisent cette jectif de discuter de l’élargissement du public ou des
année deux conférences qui se tiendront dans les Ca- moyens permettant de rendre plus accessible l’art
pitales européennes de la culture 2013 : Marseille et présenté dans l’espace public. Son objectif est plus
Košice. Deux colloques auront lieu dans le cadre du ambitieux. Dans un contexte de crise démocratique,
projet META 2011-2016, dirigé par le réseau IN SITU et la conférence entend apporter aux organisateurs
de festivals et aux artistes qui créent dans la sphère
financé par la Commission européenne.
Malgré la distance géographique qui les sépare, publique, des pistes pour répondre à la demande de
ces villes, situées en deux points opposés de l’espace plus en plus pressante des citoyens de réinvestir et
européen, ont décidé de coopérer en vue de conce- se réapproprier leur territoire à l’échelle locale. Dans
voir un programme complémentaire qui permettra quelle mesure le public est-il déjà engagé de façon
active dans des projets artistiques et participe-t-il
aux deux événements de s’enrichir mutuellement.
Ces conférences abordent la question de la pla- à l’élaboration des programmes de festivals organisés dans l’espace public à travers
ce de l’art dans l’espace public, en
l’Europe, en vue se réapproprier
essayant de trouver des réponses
cet espace ? Des membres du réaux questions cruciales qui se po- Réfléchir à la
seau IN SITU présenteront un large
sent aujourd’hui dans les sociétés pérennité des
éventail de pratiques et de projets
européennes : comment créer un
d’art participatif dans différents
espace commun véritablement manifestations
domaines et discuteront des quesdémocratique dans lequel les ci- d'art public.
tions soulevées par l’approche partoyens pourraient se rencontrer,
ticipative. L’une des grandes probtravailler, échanger et dépasser
les « murs invisibles » de la séparation et de la sé- lématiques sous-jacentes de la conférence est celle
grégation ? Ou encore : comment insuffler chez les de la profondeur que doivent avoir la coopération
citoyens le désir de s’approprier et de façonner cet et la co-création entre les artistes et le public. Quels
sont les enjeux, les limites et les clés de réussite d’une
espace commun ?
Autre lien entre les deux événements : Košice et telle coopération ?
L’un des autres objectifs sous-jacents est d’amener
Marseille présenteront en parallèle La Ville éphémère
(The Fleeting City), un projet participatif à grande les artistes et les organisateurs de festivals à réfléchir à
échelle dirigé par l’artiste Olivier Grossetête. Cette la façon dont les manifestations d’art public peuvent
ville extensible en carton constituera le cadre d’une gagner en pérennité, non seulement en proposant
agora où orateurs et participants seront invités à ex- de nouvelles représentations, mais aussi en créant de
poser leurs idées à un large public. Les deux confé- nouveaux liens avec le public et en promouvant une
rences s’inspirent indubitablement de l’approche nouvelle vision dans laquelle les citoyens pourraient
artistique d’Olivier Grossetête : proposer des liens vivre une authentique expérience démocratique en
inattendus ainsi que des perspectives nouvelles et façonnant un espace public partagé.
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La conférence sera ouverte au public de Košice
et de sa région. Grâce au soutien du projet Radio Mobile de l’artiste allemand Marold Langer-Philippsen,
le contenu de la conférence sera diffusé en direct
dans l’espace public et les réactions du public seront
retransmises en temps réel aux participants de la
conférence.
Marseille, Murs invisibles
Lieux publics et IN SITU organiseront les 3 et
4 octobre 2013 à Marseille un forum européen intitulé « Murs invisibles ». Lors de cet événement, des
chercheurs, artistes, organisateurs de festivals, responsables politiques et représentants du secteur
privé échangeront leurs points de vue et s’interrogeront sur les nouvelles relations qui peuvent être
établies entre l’art et l’espace public dans l’Europe
d’aujourd’hui. Plus de vingt ans après la chute du Rideau de fer, de nouveaux « murs invisibles » séparent
les sociétés européennes qui, laminées par des crises
économiques et financières, des fractures sociales,
sont amenées à s’interroger sur leur identité dans
un monde globalisé. Dans ce contexte, le forum sera
l’occasion d’échanger et d’engager des discussions
passionnantes en six sessions organisées autour
d’autant de thèmes :
Espaces publics : hors les murs
Du nord au sud et d’est en ouest, différentes notions et dimensions de l’espace public coexistent en
Europe. Chercheurs, artistes, politiques et urbanistes seront ainsi appelés à croiser leurs définitions et
leurs visions de l’espace public, notamment dans les
zones urbaines. Nous verrons ainsi, à travers cette
session, comment les artistes jouent avec la ville et
comment ces espaces de jeu sont intégrés à la ville,
comment les citoyens y prennent part, comment les
urbanistes pensent la ville de demain et comment
l'espace urbain devient le théâtre de nouveaux enjeux par l'art.
Pierre Delavie, Détournement
de Canebière, sur la façade
du Palais de la Bourse,
Chambre de Commerce et
d'Industrie, Marseille. Photo :
Vincent Lucas.
39
Page de droite : Ljud group,
Streetwalker Gallery. Photo :
Katarina Zalar.
d'artistes et d'opérateurs culturels sont convaincus
de la nécessité de transformer leurs modes de travail
et leurs pratiques de coopération en Europe. Cette
session sera une opportunité, pour ces opérateurs
culturels et artistes déjà engagés dans cette voie, de
partager leurs expériences et visions, dans le but de
créer un nouveau modèle économique pour la culture qui serait créatif, durable, inclusif et au service de
la création artistique.
Pour rendre cet événement aussi interactif et dynamique que possible, IN SITU a décidé d’organiser
la conférence selon un format novateur en propoAccès aux œuvres : briser le mur de verre
Malgré la popularité croissante de l'art en es- sant de courtes présentations d’exemples provenant
pace public, des barrières psychlogiques persistent, de toute l’Europe. Dans le même temps, le public
questionnant l'accessibilité à l'art par un large pu- sera étroitement associé aux débats et la modération
blic, enjeu majeur pour la création contemporaine. sera assurée par une équipe dynamique de journalisà partir de l'expérience du réseau IN SITU et de ses tes polyglottes.
Ce sont donc deux grandes conférences qui semembres, cette session explorera les nouvelles voies
d'implication des citoyens dans un nouveau rapport ront organisées dans les Capitales européennes de
à la création et à son contexte : la ville et le paysage la culture : l’une à la frontière orientale de l’Union
européenne et l’autre à sa frontière sud. Les deux
environnant.
événements visent à apporter de nouvelles perspectiLe droit à l’intervention artistique en espace pu- ves quant à la capacité de la création in situ à soulever
des questions pertinentes et à apporter des solutions
blic : protéger ou limiter ?
Au fil des années, les règles autour de l’utilisation alternatives aux défis cruciaux auxquels les sociétés européennes sont aujourd’hui
et du partage de l’espace public ont
confrontées. Pour en débattre, pluaugmenté de manière exponentielsieurs orateurs prestigieux particile. En conséquence, l’organisation Comment insuffler
peront à ces conférences. La créade spectacles et d’interventions ar- le désir de
tivité et l’innovation nécessaires
tistiques en milieu urbain et paysapour relever les défis de la création
ger est ainsi devenue plus difficile façonner un espace
artistique dans l’espace public en
et plus couteuse pour les structures commun ?
Europe ne pourront venir que de
organisatrices, souvent au détril’intérieur. C’est en dépassant les
ment de la création artistique. IN
SITU souhaite élaborer une charte commune entre frontières, y compris celles des murs invisibles qui
politiques, organisateurs et artistes afin de faciliter le nous séparent, que nous pourrons faire émerger de
travail de ces derniers tout en préservant les impéra- nouvelles perspectives enrichissantes.
tifs légitimes des premiers, afin de faire de la sphère
publique un espace pacifié de partage et d’audace.
Les programmes détaillés et actualisés des
La ville traversée : démarcations sociales et frontières géographiques
Les villes contemporaines sont traversées par
des lignes de tension où divers groupes sociaux sont
confrontés les uns aux autres et négocient entre eux
le partage d'un espace donné. Cette session aborde
comment les artistes questionnent aujourd’hui ces
frontières de façon sensible et originale, en en soulignant les modèles dominants et en inventant de nouvelles façons de vivre ensemble.
Géopolitique : où est le Mur de Berlin ?
Vingt ans après la chute du rideau de fer, l’Europe
est divisée par de nouvelles tensions et lignes de fractures : des frontières invisibles entre le nord et le sud
et entre l'est et l'ouest sont apparues. à l'intérieur
des villes, des divisions territoriales et sociales fractionnent l'espace public. Cette session pose la question de la coopération culturelle en Europe et de la
manière dont elle déjoue ces tensions et différences,
quelles en sont les forces et les limites, et comment
son élargissement au-delà de l'Europe peut apporter
une autre vision.
Modèles en crise : faire le mur
La crise financière et économique que nous traversons interroge profondément nos façons de penser la société de demain. à l’aune des défis écologiques, économiques et sociaux actuels, de plus en plus
40
conférences sont disponibles aux adresses suivantes :
Košice 2013 et IN SITU - Villes en partage :
www.usethecity.sk
Lieux publics et IN SITU - Murs invisibles :
www.lieuxpublics.com et www.in-situ.info
Invisible Walls,
an IN SITU FORUM
In Marseilles and Kosice, for the 10th anniversary of
the IN SITU network, two conferences will propose
unexpected links in order to invent new ways to
involve artists and citizens in the public space.
Richard Polácek
To celebrate the 10th anniversary of the IN SITU
network and its firm presence in the cities and landscapes of European culture, IN SITU members, Lieux
publics and Košice 2013 are organising this year two
conferences, which will take place in the 2013 European Capitals of Culture: Marseilles and Košice. Both
conferences are part of the META 2011-2016 project,
led by the IN SITU network and co-funded by the European Commission.
Despite their geographical distance at two faraway borders of Europe, both cities decided to cooperate together in conceiving a complementary
programme for the two events, which will mutually
nourish each other.
Both conferences address the issue of the place
of art in public space, trying to find answers to the
burning questions of today’s societies of Europe: how
to create a common space of genuine democracy
where citizens can meet, work, exchange, overcome
“invisible walls“ of separation and segregation? How
to give citizens the desire to take ownership of and
shape this common space?
Another link between both events is that Košice
and Marseilles will both held in parallel La Ville
éphémère (The Fleeting City), a large-scale participatory
project conducted by the artist Olivier Grossetête.
This expanding cardboard city will form the framework of an agora where speakers and participants
will be invited to express their thoughts to a broader
public. Both conferences are undoubtedly inspired by
the artistic approach of Olivier Grossetête - providing surprising links and new, unusual perspectives to
artistic creation in public space to help finding new
ways of engaging artists and citizens in public space.
Košice 2013 - Shared cities
From the 22nd till the 26th of May, Košice 2013 –
European Capital of Culture will present the 5th edition of Use the City. During this festival, Košice 2013
will host a European conference entitled "Shared cities". The starting point of the conference is that, especially in Central and Eastern European countries,
the public space is still very little invested by people.
However, the aim of the conference is not to just discuss about audience development and how to make
public space art more accessible to the audience. The
objective is more far-reaching. In a context of democratic crisis, the conference aims to provide answers
to the question of how public space artists and festi41
IN SITU, Graz. Photo : La
Strada/Hanna Hofer.
42
val organisers can respond to the increasingly urgent
demand of citizens to re-invest and re-gain ownership of their local territory. How is the public already
actively participating in arts projects and shaping the
programme of public space festivals across Europe
to gain ownership of public space? Members of the
IN SITU network will present a wide range of diverse
participative art projects and practises from different art fields and discuss how they are challenged by
a participatory approach. An important underlying
question of the conference is in how far cooperation and co-creation between artists and the public
can and should go, what are the challenges and limits, and how a successful cooperation can be carried
out.
A clear underlying objective of this conference is
also to make artists and festival organisers think on
how public arts’festivals can be made more sustainable, not only by generating new images, but also
by creating new relationships with the public and
by promoting a new vision where citizens can live a
real-life democratic experience of shaping a shared
public space.
The conference will be open to the local and regional audience in Košice. With the support of the
Mobile Radio project of the German artists Marold
Langer-Philippsen, contents of the conference will
be directly transmitted to the public space and inputs
from the public will be directly brought back to the
conference.
Marseilles – Invisible walls
Lieux publics and IN SITU will organise a European forum entitled "Invisible Walls" in Marseilles on
3rd and 4th of October 2013. The forum will bring together researchers, artists, festival organisers, politicians and representative of the private sector to share
their visions and explore what new relationships can
be created between the art and public space in today’s Europe. More than 20 years after the fall of the
Iron Curtain, new "invisible walls" divide European
societies, shattered by financial and economic crises
and social fractures and questioning its identity in a
globalised world. Against this background, the forum
proposes a deep exchange and passionate discussions
in six sessions around six themes:
are its strengths and limits and how a wider view, toPublics spaces – out of the box
From North to South, from East to West, across wards outside Europe, can provide a different vision.
Europe there are different notions and dimension of
public space. Researchers, artists, politicians and ur- Models during the crisis – to go over the wall
The current financial and economic crisis quesbanists will exchange their visions and definitions of
the public space and art in public space, and in partic- tions fundamentally our way to think tomorrow’s soular in urban areas. This session explores how artists ciety. In a context of social, economic and ecological
are playing with this new space “beyond the walls”, challenges, more and more artists and culture operators are convinced of the necessity
how these spaces are integrated
to transform their ways of working
into the city and how citizens take
and cooperation across Europe.
ownership, how urbanists think To create a public
This session will be an opportutomorrow’s cities and how an ur- space of share and
nity for those operators and artists
ban space can be re-qualified and
daring.
who already changed their working
regenerated by the arts.
methods to share their experiences
Passing through the city – lines of social demarca- and visions in order to create a new economic model
for culture, which is creative, sustainable and inclution and geographic borders
Today’s cities are crossed by different lines of ten- sive and at the artistic service.
sions where very diverse social groups are confrontTo make this event as interactive and dynamic as
ing each other or negotiating with each other on how
to share a given space. This session investigates how possible, IN SITU decided to put in place an innovaartists today are questioning these borders in a sensi- tive conference format with short presentations of
tive and original way, by underlining models of pow- examples from all over Europe. At the same time, the
public will be closely involved in the debates, moderer and inventing new ways of living together.
ated by a dynamic team of multi-lingual journalists.
Access to artwork – breaking through the glass
Two major conferences in European Capitals of
ceiling
Despite the increasing popularity of art in pub- Culture, one on the Eastern border of the EU, anlic spaces, psychological barriers persist, questioning other on the Southern border. Both events aim to
the accessibility to artwork by a large public and re- provide new insights in how artistic creation in the
maining a major challenge for contemporary crea- public space can raise relevant questions and alternation. Based on the experience of the IN SITU network tive answers to address the burning issues European
and of its members, this session will explore new societies face today. In that frame, both conferences
paths of involving citizens into a new relationship of will bring together a number of high-profile speakers. The creativity and innovation needed to address
artistic creation in the city and the landscape.
the challenges of artistic creation in public space in
The right of artistic creation in public space – to be Europe will indeed come from the inside. Going beyond the borders, including our invisible internal
protected or to be limited?
In the past years, across Europe, the set of rules walls, will allow a fresh and enriching perspective.
governing the use of public space has steadily increased. As a result, the organisation of festivals and The detailed and updated conference programmes can
performing arts in the city and in landscapes have be found at the following addresses:
become more difficult and expensive and are limit- Košice 2013 and IN SITU - Shared cities:
ing artistic creation. IN SITU aims to elaborate a joint www.usethecity.sk
charter between policy makers, organisers and art- Lieux publics and IN SITU - Invisible walls:
ists aiming to facilitate the work of artists while re- www.lieuxpublics.com and www.in-situ.info
specting the legitimate concerns of policy makers.
The aim is to create a public space of peaceful share
and daring.
Geopolitics – where is the Berlin Wall?
Twenty years after the fall of the Iron Curtain, Europe is divided by new tensions and fractures and invisible borders between the North and the South and
the East and the West. Within cities territorial and
social divisions segregate the public space. This session raises the question how cultural cooperation in
Europe can overcome tensions and differences, what
43
IN SITU
European network for artistic creation in public space
Since 2003, the IN SITU European network, led
by Lieux publics (Marseilles, FR), has promoted
artistic creation in public space. Over the years,
its activity has been founded on three projects
supported by the European Commission.
Nowadays, IN SITU implements the META project
2011-2016.
Depuis 2003, le réseau européen IN SITU, piloté
par Lieux publics (Marseille, FR) œuvre au
service de la création artistique en espace public.
Au fil des ans, son action s'est déployée autour
de trois projets soutenus par la Commission
européenne. Aujourd'hui, IN SITU développe le
projet META 2011-2016.
How is your festival
contributing in tumbling down
visible or invisible walls?
Comment votre festival
contribue-t-il à faire tomber les
murs visibles ou invisibles?
La Strada (Graz, AT)
Werner Schrempf
www.lastrada.at
The city as a social fabric, as a creative and
recreational space, is hardly touched upon as a
theme in everyday life – an invisible wall. But this is
a matter for art, and for 16 years now, it has been a
major area of interest for La Strada. Particularly at
a time of increasing mobility and rising migration,
more questions arise here regarding social and
cultural life in the city, integration, social mixing
and intercultural communication. For several
years now La Strada has been focusing on this
area and therefore is searching for timely forms of
expression.
Généralement, on fait peu mention de la
ville comme fabrique ou comme espace créatif
et récréatif – c’est là un mur invisible. Mais cela
questionne l’art et constitue un enjeu majeur pour
La Strada depuis 16 ans maintenant. À l’heure
où s’amplifient les migrations et la mobilité en
général, tout particulièrement, de nouvelles
questions surgissent quant à la vie culturelle
et sociale, à l’intégration, la mixité sociale et la
communication interculturelle au sein de la cité.
Depuis plusieurs années maintenant, La Strada se
concentre sur ces sujets et en cherche les formes
d’expression les plus appropriées à notre époque.
Ctyri dny / Four Days (Prague, CZ)
Pavel Štorek
www.ctyridny.cz
I feel “invisible walls” everywhere. It is like a
virus. You can´t see them and only some of them
are dangerous. As Four Days association we try to
recognize the real ones and the dangerous ones,
44
and connect, delete them via our positive medicine
- it´s our team and activities. Invisible walls are
stimulate space, real one or virtual one, they try to
separate good art from bad art(ists). Invisible walls
are a chance, a channel to communicate, to open
mind and especially to change our point of view. So
I think and I hope it´s a main invisible aim of our
Four Days activities.
Je sens des « murs invisibles » partout. C’est
comme un virus. Vous ne pouvez pas les voir
et seuls certains d’entre eux sont dangereux.
Avec l’association Four Days, nous essayons de
reconnaître ceux qui sont réels et ceux qui sont
dangereux pour les mettre en relation ou les
abattre grâce à notre médecine douce – c’est la
préoccupation de notre équipe et l'objet de notre
programmation. Les murs invisibles stimulent
l’espace, aussi bien le réel que le virtuel, et ils
essaient de séparer le bon art(iste) du mauvais.
Les murs invisibles sont une chance, un moyen
de communiquer et de s’ouvrir au monde et
particulièrement de changer notre façon de
voir les choses. De fait, je pense et j’espère que la
principale et invisible vocation de nos activités à
Four Days se trouve là.
Københavns Internationale Teater
(Copenhagen, DK)
Katrien Verwilt
www.kit.dk
Our festival Metropolis deals with the
exploration of the city as a series of changing,
overlapping and interwoven “territories” of
experience. As such we are concerned with
traversing and connecting the many invisible and
visible divisions of our increasingly “segregated”
urban society. We invite artists to choreograph,
build, stage and compose in this complex and real
context and then involve and invite the public
into these imagined or constructed territories.
Naturally, this duality often changes the public’s
appreciation of their city but also often creates
relationships, perspectives or even processes,
which then continue to influence and support the
notion of a more fluid and open city.
Notre festival Metropolis cherche à explorer
la ville comme une ensemble de « territoires »
changeants, imbriqués et entremêlés. En tant
que tel, nous cherchons à traverser et faire entrer
en connexion les nombreuses divisions visibles
et invisibles de notre société urbaine de plus
en plus ségrégante. Nous invitons les artistes à
chorégraphier, construire, mettre en scène et
composer dans ce contexte réel si complexe. Nous
impliquons et invitons de fait le public à entrer
dans ces territoires imaginaires et reconstruits.
Naturellement, cette dualité modifie souvent
l’appréciation qu’ont les gens de leur ville, mais
cela créé aussi des relations, des perspectives
et même des processus qui continuent alors à
influencer et soutenir la constitution d’une ville
plus ouverte et plus fluide.
Košice 2013, European Capital of
Culture (Košice, SK)
Christian Potiron
www.kosice2013.sk
Named European Capital of Culture 2013
along with Marseilles (France), Košice (Slovaquia)
focuses part of its Interface 2013 project on the
renewal of its public space and their appropriation
by its citizens. There are three dimensions to the
project: the explicitly-named Use the City festival,
a future cultural and artists’ residence centre,
Kasarne-Kulturpark, and the Spots programme
aimed at providing sites dedicated to participatory
productions. “Use the City”: what a beautiful
challenge to break down all our invisible walls,
should them be social, political or psychological!
Désignée Capitale européenne de la culture
2013 aux côtés de Marseille (France), Košice
(Slovaquie) axe une part de son projet Interface
2013 sur la refonte de ses espaces publics et leur
appropriation par ses citoyens. Traduction en trois
volets : un festival au nom explicite Use the City,
un futur centre culturel et résidence d’artiste,
Kasarne-Kulturpark ; enfin, le programme Spots de
mise à disposition d’espaces dédiés à des créations
participatives. Use the City : quel beau challenge
pour briser tous nos murs invisibles, qu’ils soient
sociaux, politiques ou psychologiques !
Lieux publics (Marseilles, FR)
Pierre Sauvageot
www.lieuxpublics.com
As part of all the walls – all those which confine
us in our artist’s work and work with artists to
make the city a human place where inhabitants
can rub along the perceptible – the worth one
is, without contest, the self-importance, the
arrogance and, worth again, the sympathy of the
holder of the official art, of the art for “betweenus” and for those who know and which are born
with. Art in cities, site-specific art and inclusive art
are not to be depreciated. Quite the opposite, they
are the future of the artistic creation.
Parmi tous les murs – tous ceux qui nous
enferment dans notre travail d’artiste et avec les
artistes, pour que la ville soit humaine et pour
que tous ses habitants puissent se frotter au
sensible – le pire est sans conteste la suffisance,
la condescendance et, encore pire, la sympathie
dont nous accablent les tenants de l’art officiel, de
l’art pour « l’entre-nous », pour ceux qui savent et
qui sont nés avec. L’art de la ville, l’art contextuel
ou l’art implicatif ne sont pas des sous-arts.
Bien au contraire, ils sont l’avenir de la création
artistique.
Oerol Festival (Terschelling, NL)
Kees Lesuis
www.oerol.nl
The landscape of the island of Terschelling is
the source of inspiration and playground of the
festival at the same time. The borders, marked
by the horizon and the surrounding sea, seem
to be clear but are in fact fluid. The shape of the
island is in constant change as wind and current
are moving the sand. Borders are also determined
by nature. As a site-specific festival in a protected
natural reserve we are in constant dialogue with
this environment. When a rare bird is breeding
there is a temporary border and a no go zone for
the artistic works. On the other hand we challenge
the artists to work with these forces of nature as
an artistic objective. But above all it’s our aim to
stretch the borders of the imaginary.
Le paysage de l’île de Terschelling est la source
d’inspiration et le terrain de jeu du festival. Les
frontières marquées par l’horizon et la mer
environnante semblent évidentes, mais elles
sont en réalité fluides. La forme de l’île est en
changement permanent dans la mesure où le vent
et le courant déplacent le sable. Les frontières
sont aussi déterminées par la nature. Parce que
nous sommes un festival in situ, dans une réserve
naturelle protégée, nous restons en dialogue
permanent avec les questions environnementales.
Quand un oiseau rare vient se reproduire ici, une
frontière temporaire et une zone où les projets
artistiques ne peuvent plus aller se dessinent.
D’autre part, nous poussons les artistes à travailler
avec ces forces de la nature dans un but artistique.
Mais nous cherchons avant tout à pousser les
frontières de l’imagination.
PLACCC Festival (Budapest, HU)
Fanni Nánay
www.placcc.hu
One of the long lasting legacies of Communism
in Hungary is the absence of a tradition in the
using of public spaces, which is mainly due to the
fact that under socialism public space was under
constant surveillance. Thus, public spaces were
designed in a way that made them unsuitable for
“gatherings” or any type of artistic or community
actions. Unfortunately, this attitude towards
public spaces has not improved much since 1991:
urban spaces are still used primarily as a space
for transport and not as a living space. Thus the
thickest invisible wall ahead of us is the one barring
our access to public spaces, and consequently, to
public affairs. One of the main goals of PLACCC
Festival is to render these invisible walls visible
through art, and thus, to weaken them.
L’un des héritages les plus tenaces de la
période communiste en Hongrie est l’absence
de tradition quant à l’utilisation des espaces
publics, principalement due à la surveillance
sous laquelle ils étaient maintenus du temps du
socialisme d’Etat. En effet, les espaces publics
étaient considérés comme inappropriés aux
« rassemblements » ou à une quelconque autre
intervention artistique ou communautaire que
ce soit. Malheureusement, cette attitude envers
l’espace public ne s’est pas beaucoup améliorée
depuis 1991 : les espaces urbains sont d’abord des
espaces de transit et non des espaces de vie. Ainsi, le
mur invisible le plus épais en face de nous est celui
qui nous interdit l’accès à l’espace public et donc
aux affaires publiques. L’un des objectifs principaux
du PLACCC Festival est de rendre visibles, par l’art,
ces murs invisibles afin de les affaiblir.
processus de pensée pour les expliquer. Les
psycho-géographes extraient dans les mémoires
des bâtiments et de leurs habitants des sources
d’inspiration qui permettent la création de
nouvelles cartographies et boussoles pour naviguer
dans l’environnement urbain. C’est dans cet esprit
que travaille UZ Arts sur le territoire écossais.
Provinciaal Domein Dommelhof
(Neerpelt, BE)
Hugo Bergs, Martina Linaer
www.theateropdemarkt.be
Partners in Europe
Every two summers the festival Theater op
de Markt takes over Hasselt and transforms
public space into stage and stand. To mix all
infinite, colourful ingredients of rural and urban
landscape with contemporary artistic creation
into a beautiful public festival is – with growing
regulations – a huge logistic and organizational
challenge. In these economical hard times – the
Limburg region is not spared the least from
closing down factories, growing unemployment
and brain drain – the challenge gets even tougher.
At the same time it’s eye opening and it makes us
very alert to keep on looking for artistic creation
that really matters and give the audience the
experience it deserves, now even more than ever.
Un été sur deux, le festival Theater op de
Markt s’empare d’Hasselt et fait de l’espace public
une scène et une tribune. Mêler l’infinité des
ingrédients colorés du paysage rural et urbain avec
la création artistique contemporaine dans un beau
festival public, pose un immense défi logistique
et organisationnel – cela avec des régulations
croissantes. En cette période de crise économique
– la province du Limbourg n’est pas épargnée par
les fermetures d’entreprises, le chômage croissant
et la fuite des cerveaux – le challenge se fait encore
plus difficile. En même temps, cela nous ouvre les
yeux et nous pousse plus que jamais à chercher des
créations artistiques qui font sens et donnent au
public l’expérience qu’il mérite.
UZ Arts (Glasgow, GB)
Neil Butler
www.uzarts.com
Some artists work in public space to enjoy the
infinite unfolding canvas that it provides. Others
to escape the confines of the gallery, the concert
hall and the theatre. The situationists explored the
consequence of removing the physical and mental
constructs that we and society build to shape our
world and the constraints we place on our thought
processes to explain it. Psycho-geographers mine
the memories of buildings and their inhabitants as
a source of inspiration that allows new maps and
compasses to navigate the urban environment. UZ
Arts works across Scotland with this state of mind.
Certains artistes travaillent en espace public
pour profiter du cadre infini et foisonnant
qu’il procure. D’autres cherchent à s’évader du
confinement des galeries, des salles de concert et
des théâtres. Les situationnistes ont exploré quelles
conséquences pouvaient avoir la disparition des
constructions physiques et mentales que nous
et la société érigeons afin de modeler le monde,
et les contraintes auxquelles nous plions nos
IN SITU brings also together foreign associated
partners. In Kosovo, ODA Teatri (XK) aims at
rediscovering the public space. The Norfolk &
Norwich Festival (GB) actively works all year long
in its area as part of a large multidisciplinary event.
The Consorzio La Venaria Reale (IT) works on the
promotion of a one-of-a-kind baroque heritage
complex and the Fundación Municipal de Cultura
de Valladolid (SP) organizes an internationally
renowned urban and Mediterranean festival.
As true representatives of the network, they
complimentarily fuel its projects through to their
know-how and original artistic contributions.
Partenaires en Europe
IN SITU regroupe aussi des partenaires associés
à l’étranger. Tandis qu’ODA Teatri (XK) part à
la redécouverte de l’espace public au Kosovo,
le Norfolk & Norwich Festival (GB) participe
toute l’année sur son territoire à la création
d’un événement pluridisciplinaire d’envergure,
le Consorzio La Venaria Reale (IT) œuvre à la
valorisation d’un complexe patrimonial baroque
unique en son genre et la Fundación Municipal
de Cultura de Valladolid (ES) organise un festival
urbain et méditerranéen internationalement
reconnu. Véritables ambassadeurs du réseau, ils
alimentent de façon complémentaire ses projets par
leur savoir-faire et apports artistiques originaux.
Partners in France
Three out of the nine French National Centres
of Street Arts are associated partners of IN SITU
network : La Paperie in Angers, that develops
experimentations across the territory, L’Atelier
231 in Sotteville-lès-Rouen that implements
residencies and transnational projects with Great
Britain, and produces the Viva Cité festival, and
L’Abattoir and its festival Chalon dans la Rue, a
European showcase of creation in the public space.
This strong French presence has recently been
intensified with the addition of Rennes-based
festival Les Tombées de la Nuit, which associates
musical creation to a new vision of the city and
innovates through large, inclusive projects.
Partenaires en France
Trois des neuf centres nationaux français des arts
de la rue sont partenaires associés du réseau : la
Paperie à Angers qui développe l’expérimentation
à l’échelle d’un territoire, l’Atelier 231 à Sottevillelès-Rouen qui multiplie les résidences, les projets
transfrontaliers avec la Grande-Bretagne et pilote
le festival Viva Cité, et enfin l’Abattoir et son
festival Chalon dans la rue, vitrine européenne de
la création en espace public. Cette forte présence
française s’est récemment accentuée avec l’arrivée
des Tombées de la Nuit à Rennes, festival qui mêle
création musicale et regard sur la ville, et innove
avec de grands projets participatifs.
45
Festivals
Tournée régionale / Regional tour of
Véréna Velvet – Compagnie Entre Chien
et Loup (St-Barthélémy-d’Anjou, FR)
La Paperie
IN SITU 2013
September 2013-February 2014 /
septembre 2013- février 2014
Norfolk & Norwich Festival (Norwich, GB)
May 10 -26 2013 / 10-26 mai 2013
th
th
www.nnfestival.org.uk
Festival Internacional de Teatro y Artes de
Calle (TAC) (Valladolid, ES)
Fundación Municipal de Cultura de Valladolid
Festival Viva Cité (Sotteville-lès-Rouen, FR)
Atelier 231, Centre national des arts
de la Rue
www.paperie.fr
Helix Day, (Glasgow, GB)
UZ Arts
June 28th-30th 2013 / 28-30 juin 2013
September 14th 2013 / 14 septembre 2013
www.atelier231.fr
www.uzarts.com
Les Tombées de la nuit (Rennes, FR)
PLACCC Festival (Budapest, HU)
May 22nd-26th 2013 / 22-26 mai 2013
July 4th-21st 2013 / 4-21 juillet 2013
End of September / fin septembre
www.tacva.org
www.lestombeesdelanuit.com
www.placcc.hu
Use the City Festival (Košice, SK)
Košice 2013, European Capital of Culture
Festival Chalon dans la rue (Chalon-surSaône, FR)
L’Abattoir, Centre national des arts
de la rue
Métamorphoses (Marseille, FR)
Lieux publics
July 24th-28th 2013 / 24-28 juillet 2013
www.lieuxpublics.com
May 22nd-26th 2013 / 22-26 mai 2013
www.usethecity.sk
PLACCC Csepel Festival (Budapest, HU)
May 30th-June 4th 2013 / 30 mai-4 juin 2013
www.chalondanslarue.com
www.placcc.hu
La Strada (Graz, AT)
Terschellings Oerol Festival (Terschelling, NL)
July 26th-August 3rd 2013 /
26 juillet-3 août 2013
June 14th-23rd 2013 / 14-23 juin 2013
www.oerol.nl
Mutamenti (Venaria Reale, IT)
Consorzio La Venaria Reale
June 16th 2013 / 16 juin 2013
www.lavenaria.it
September 20th-October 6th 2013 /
20 septembre- 6 octobre 2013
4+4 Days in Motion (Prague, CZ)
Čtyři Dny / Four Days
October 11th-19th 2013 / 11-19 octobre 2013
www.ctyridny.cz
www.lastrada.at
Metropolis Festival (Copenhagen, DK)
Københavns Internationale Teater
Circus edition / édition cirque (Neerpelt, BE)
Theater op de Markt
August 1 -25 2013 / 1-25 août 2013
October 31st- November 3rd 2013 /
31 octobre-3 novembre 2013
www.kit.dk
www.theateropdemarkt.be
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AGENDA
Retrouvez toutes les informations sur
www.lieuxpublics.com
Lieux publics, centre national de création
en espace public est conventionné
par le ministère de la Culture et de
la Communication, la ville de Marseille,
le conseil régional Provence-Alpes-Côte
Détournement de Canebière, Pierre
Delavie
Sirènes et midi net
Six thèmes déclinés autour des « Murs
invisibles » : Espaces publics : hors les murs /
La ville traversée : démarcations sociales et
frontières géographiques / Accès aux œuvres :
briser le mur de verre / Le droit à l’intervention
artistique en espace public : protéger ou limiter ?
/ Géopolitique : où est le mur de Berlin ? /
Modèles en crise : faire le mur.
Rituel urbain tous les premiers
mercredis du mois à midi
Lieux publics & Cie
façade du Palais de la Bourse, Marseille
avec la Chambre de Commerce et
d’Industrie et Marseille-Provence 2013
de janvier à décembre
parvis de l’Opéra, Marseille
6 février – compagnie Tout Samba’L /
6 mars – compagnie Attention Fragile /
3 avril – Apprentis de la FAIAR (Formation
avancée itinérante des arts de la rue) /
8 mai – Valentin Clastrier et Hervé Birolini,
avec le GMEM / 5 juin – Ray Lee / 2 octobre
– Orchestre des jeunes de la Méditerranée /
6 novembre – Benjamin Dupé / 4 décembre
– Antoine Defoort, Amicale de production :
100e Sirènes et midi net !
d’Azur, le conseil général des Bouches-duRhône, la Commission européenne, la Sacem,
Chaud dehors 2013
la ville d’Aubagne, Marseille-Provence 2013,
Lieux publics et la ville d’Aubagne
invitent les artistes d’ici
Capitale européenne de la culture.
Lieux publics pilote IN SITU, réseau européen
pour la création artistique en espace public.
L’équipe
Président
Philippe Chaudoir
Direction
Pierre Sauvageot, directeur
Sabine Chatras, directrice adjointe
assistés de Marie Faucher
Production
Fabienne Aulagnier et Juliette Kramer
avec Elisa Schmidt et Marion Bourguelat,
Laura Perouas (stagiaires)
IN SITU
Ariane Bieou
avec Quentin Guisgand
Communication et relations avec
les publics
Jasmine Lebert
avec Corinna Ewald, Fanny Girod
et Bastien Salanson et Maude Leverrier
(stagiaire)
Comptabilité
Nadia Sassi
avec Muriel Bargues
Technique
Pierre Andrac et Philippe Renaud
avec Camille Bonomo, Jean Matelot
du 30 mai au 1er juin
12 spectacles, 5 créations, 3 jours de
construction collective
Olivier Grossetête, Lézards bleus, Studios
de cirque, Tandaim, compagnie de l’Ambre,
Mathilde Monfreux, Mouvimento, Archaos,
Wilfried Wendling, Marcher commun,
réseau franco-italien, avec les compagnies
Antipodes et Cosetta Graffione.
Métamorphoses
Les artistes jouent avec la ville
du 20 septembre au 6 octobre 2013
Marseille, 1 centre ville, 3 actes, 12
créations, 17 projets artistiques, 23
nationalités, 32 compagnies, 118
représentations, 5327 participants…
avec Marseille-Provence 2013, Capitale
européenne de la culture
1er acte - Le Grand ensemble – du 20 au
22 septembre, autour de la Canebière
2e acte - Forain contemporain – du 24 au
29 septembre, gare Saint-Charles
3e acte - La Ville éphémère – du 1er au
6 octobre, place Bargemon
programme complet sur
www.lieuxpublics.com
Forum IN SITU Murs invisibles /
Invisible Walls
3 et 4 octobre 2013
Théâtre national de la Criée et un forum
public dans la Ville éphémère
Champ harmonique
Marche symphonique pour 500 instruments
éoliens et public en mouvement
Pierre Sauvageot
du 4 au 28 avril à Marseille, avec MarseilleProvence 2013, Capitale européenne de la
culture
du 10 juillet au 7 août à Genk (Belgique)
du 22 au 25 août à Helsinki (Finlande)
Igor hagard, un sacre ferroviaire
du 14 au 23 juin à Terschelling, festival
Oerol (Pays-Bas)
les 6 et 7 juillet à Rennes, festival Les
Tombées de la nuit
du 24 au 29 septembre à Marseille,
Métamorphoses
Créations accompagnées
Centre national de création, Lieux
publics accompagne les artistes de toutes
disciplines qui font de la ville le lieu,
l'objet, le sujet de leurs créations. Lieux
publics est aujourd'hui un laboratoire
d'écritures pour l'espace public qui a
développé plusieurs dispositifs de soutien
à la création, de l'écriture à la diffusion.
Chaque année, une vingtaine de créations
est accompagnée.
Artistes et compagnies accompagnés
en 2013 : Agence Touriste, Pierre Delavie,
Olivier Grossetête, KompleXKapharnaüM,
Ljud Group, Migrateurs/Transatlantique/
Jany Jérémie, Orchestre des Jeunes de
la Méditerranée avec Rachid Regragui,
Alexandros Markéas, Jim Sutherland et
Nicolas Ramond ; Stéphan Muntaner,
Rodrigo Pardo, Rara Woulib, Tandaim,
Dries Verhoeven, Wilfried Wendling,
Zimmerfrei…
Et avec la participation de : Agence de
voyages imaginaires, Vincent Audat, Adila
Carles, Guy Carrara (Archaos), Abdoulaye
Diop Dany, Ilotopie, Lézards bleus, Lidia
Martinez, MoniK LéZart, Musicanu, Aline
Nari (Ubidanza), No Tunes International, Ali
Salmi (Osmosis), Sylviane Simonet et Anne
Lévy, Ahamada Smis, Jean-Georges Tartare...
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European network
for artistic creation
in public space.
Réseau européen
pour la création
en espace public.
META
2011 2016
METAMORPHOSE
EMBRACE
SHARE
MÉTAMORPHOSER
ARPENTER
PARTAGER
« META 2011-2016 has been funded with support from the European Commission (DGEAC – Culture programme).
3GHQÖBMKKSLHB@RHMLÖPDÛDBRQÖRGDÖTHDUQÖMLJWÖMEÖRGDÖ@SRGMPÖ@LCÖRGDÖ"MKKHQQHMLÖB@LLMRÖADÖGDJCÖPDQNMLQHAJDÖEMPÖ@LWÖSQDÖUGHBGÖK@WÖ
be made of the information contained therein.»
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