renoncer au contrat. Je lui ai confié une lettre pour

Transcription

renoncer au contrat. Je lui ai confié une lettre pour
Le « Viking »déjà bien abîmé, dans le port de Cartagena
Caraïbes. Celui des e skippers de la coke ».
Quelques jours de traversée pour quelques
milliers de dollars. « Ici, les bateaux et les marins
ont plus de valeur que n'importe où au monde »,
disent les policiers. « Après le pillage de notre
bateau, se souviennent Gilles et France Guittard,
les naufragés de l'année dernière, on nous a
proposé des dizaines de fois de nous racheter la
coque, jusqu'à 50 millions de pesos
(500 000 francs) ! Là-bas, un pavillon européen,
une immatriculation française, ça n'a pas de prix.
Parce qu'on a moins de chances d'être contrôlé en
sortant de Colombie sous pavillon français. »
La coke. Jacques., bien sûr, y a perisé. A Miami,
les policiers lui ont dit que l'affaire du « Viking »
« sentait mauvais ». A Bogota, le premier télégramme reçu par l'ambassade de France, adressé
par le représentant de la police française à
Trinité-et-Tobago, était intitulé : « Disparition
d'un voilier avec trois suspects de trafic de stups ».
Un vieux dossier des Douanes de Marseille
soupçonnait Christophe de « trafic de hachisch
entre JeMaroc et la France » et d' « avoir utilisé les
bateaux de ses clients pour ce trafic »...
Le Grand Bleu sur la piste blanche. Cartagena,
c'est la Riviera des narcotrafiquants. On dit que
les plus beaux gratte-ciel leur appartiennent.
C'est à Cartagena que les policiers ont mitraillé
Rodriguez Gacha, le lieutenant de Pablo Escobar,
en décembre 1989, alors qu'il partait à la pêche
avec son fils. Le « Viking » a-t-il embarqué une
cargaison qui aurait causé sa perte ? « Avant de
partir pour la Colombie, se souvient François, le
frère jumeau de Frédéric Mayol, Christophe et lui
disaient en rigolant qu'ils n'appareilleraient pas
sans avoir entièrement fouillé le bateau ! Ils ne
voulaient pas prendre le moindre risque. »Et s'ils
avaient changé d'avis ? Quelques jours après le
départ du « Viking », un avion des gardes-côtes
américains aurait aperçu un voilier répondant à
son signalement qui cinglait vers la Jamaïque. La
route de la drogue... Mais l'information n'a jamais
pu être vérifiée. Une rumeur de plus sur les quais
de Cartagena, qui pourtant entretient un espoir :
si le « Viking » transportait de la drogue vers la
Floride, il devait contourner Cuba. Et l'on a déjà
vu des skippers interceptés par les gardes-côtes
cubains rentrer chez eux après plusieurs années
de prison, sans que jamais leurs familles aient été
averties...
Six mois -que le « Viking » a disparu. Six mois
que le voilier a glissé entre les îlots de palétuviers
pour sortir du golfe de Darién. A Paris, l'avocat
des familles Mayol et Delagneau, M Jean-François Le Forsonney, a déposé une plainte contre X
pour « piraterie et détournement de navire » et
pour «séquestra tion et prise d'otages ». Le parquet
de Paris s'apprête à ouvrir une information judiciaire. L'enquête pourra alors véritablement
commencer. Sera-t-il encore temps ?
- Jacques Mayol est rentré chez lui à l'île d'Elbe.
Le mois dernier, en passant par Belém
, au cours
de son dernier voyage, il a rendu visite à la mère
d'Edna Montero. Elle lui a appris qu'Edna avait
téléphoné à sa tante, dans la nuit du 8 au 9 avril.
La conversation a été coupée au bout de quelques
secondes, mais c'était bien la voix d'Edna. Neuf
jours après le départ du « Viking ». Neuf jours
après que l'équipage, selon la version officielle,
eut péri au cours d'une tempête qui n'a jamais
figuré sur aucun bulletin météo.
renoncer au contrat. Je lui ai confié une lettre pour nana" et/ou des autorités maritimes colombienChristian Bois, dans laquelle je m'opposais à un nes, une tentative de récupéra don qui a peut-être
départ clandestin... Mais quand il est rentré, le dégénéré en accident ». Mais il ne précise pas à
14 mars, il était regonflé. Bois lui avait donné de quels « éléments » il fait allusion. Et l'ambassade
l'argent. Et il ramenait Edna, cette Brésilienne ne se souvient plus d'avoir reçu un tel courrier...
qu'il avait connue là-bas. J'ai compris qu'ils Un mystère de plus.
allaient partir... »
Philippe Thiriez est le dernier témoin connu à
Aujourd'hui, c'est essentiellement sur son avoir vu en vie l'équipage du « Viking». Dans son
témoignage que repose la version officielle de la cahier à spirale, Jacques Mayol note ces lignes
disparition du « Viking » : le voilier aurait sombré « Philippe et Christophe étaient très copains.
« au cours d'une forte tempête », peu après son Pendant trois à quatre jours, ils étaient ensemble
départ. C'est ce que conclut le rapport du lieute- à "préparer le coup". Freddy n'était jamais avec
nant-colonel Alain Guilley, attaché militaire de eux, » Thiriez est un grand bonhomme au physil'ambassade de France à Bogota, daté du 3-juillet que de rugbyman qui dirige depuis bientôt quinze
1991. Mais Jacques Mayol doute. Jacques Mayol ans une entreprise de pêche industrielle, à une
cherche. A Miami, il épluche les archives du trentaine de kilomètres de Cartagena, au milieu
Hurricane Marine Center : elles ne mentionnent des palétuviers. Sollicité par Christian Bois — par
rien de plus, durant la première quinzaine d'avril, l'intermédiaire d'un ami commun —, il a supervisé
que des « vents de nord, faibles le long de la côte, la remise en état du bateau au chantier Vikingos,
20 à 25 noeuds au large ». Quant aux photos- voisin de Ses bureaux. La semaine précédant le
satellite prises au-dessus des Caraïbes entre le départ, sur les cartes de bord, il a tracé avec
29 mars et le 2 avril, elles ne révèlent pas le plus Christophe la route du « Viking ».
petit nuage... Comment la « forte tempête » qui
Le matin du dimanche 31 mars, Philippe
aurait perdu le « Viking » a-t-elle pu passer Thiriez a vu pour la dernière fois les deux marins
inaperçue ?
et la jeune Brésilienne. « Ils m'ont dit qu'ils
Seule certitude de Jacques Mayol : le Viking» allaient mouiller à la sortie de la baie et prendre le
a bien quitté le port de Cartagena sans autorisa- large à la tombée de la nuit, raconte-t-il à Jacques.
tion. Il reprend espoir. Le voilier a pu être rejoint Le lendemain matin, à 7h 20, j'ai appelé Christopar la police et son équipage jeté en prison. Une phe par radio. Il m'a dit que la mer était un peu
intervention de l'ambassade, pense Mayol, suffira forte, que les capots de pont prenaient l'eau et que
à les faire libérer. Mais les Colombiens affirment l'équipage était malade. Il a rappelé à 16 heures
n'avoir jamais rattrapé le bateau. Et pour cause: combe prévu, mais le message était inaudible. Je
les autorités. maritimes n'ont été informées du n'ai plus eu de nouvelles depuis. » La piste du
départ du « Viking » que le 10 avril, assure à « Viking » s'arrête là, au large du golfe de Darién,
Jacques le capitaine Gonzalo Para Santos, un petit à 50 miles au nord-ouest de Barranquilla. En
homme fort courtois qui a servi trente-sept ans pleine mer des Caraïbes.
dans la Marine colombienne. Dans une lettre
Reste une dernière piste. Celle que l'on n'ose
datée du 7 août dernier, Christian Bois signale pas envisager mais qui est présente dans tous les
pourtant à l'ambassade de France à Bogota que esprits : la drogue. La cocaïne, qui s'échappe par
HERVÉ GATTEGNO
certains éléments lui « font craindre qu'il y aurait tous les ports de Colombie vers les Etats-Unis. Le (1) « Les Dix Rois de la mer », par Jacques et Pierre
pu y avoir, de la part du propriétaire du "Ma- fléau national. Le commerce le plus rentable des Mayol, éditions Jeanne Laffitte, 1989.
-
102 /LE NOUVEL OBSERVATEUR /NOTÉE ÉPOQUE