denoêl - Nouvelobs

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denoêl - Nouvelobs
Suite de la page 59.
venait de se faire dépouiller de ses santiag
et de son cuir. « Encore, les santiag, je m'en
fous, je les avais dépouillées à un mec l'autre
jour ; mais le cuir, c'était celui d'un copain,
un "aviateur". Je me suis tapé le métro toute
la journée pour trouver le même. » Il n'a pas
trouvé le même, mais presque. Il a repéré un
mec de sa taille. « J'y comprends rien, le mec,
il a pas bougé. Pourtant, j'avais pas de cran
(d'arrêt). On s'est approchés, avec mon pote :
"T'as quelle taille ? C'est bon, file-le-moi." »
Ils lui ont laissé son fric. « Qu'est-ce que tu
veux que je fOute de son fric ? J'avais cinquante
balles en poche. Quand j'en ai, ça va, je suis
pas un voleur, moi. C'est quand j'en ai pas,
alors là, c'est normal, pour bouffer, quoi. Mais
sinon... je dépouille jamais gratuitement..»
Plug de morale
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ES AUTR
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mairie petit:
11,:irment,
-11•11t
C'est pas comme les jeunes rockys qui lui
sont tombés dessus la nuit dernière. « Sans
déconner, c'est plus des rockys, ça. C'est n'importe quoi. Ils tombent sur toi à quinze. Dépouiller à deux, je dis pas, c'est raisonnable.
Mais avec ces petits merdeux de quatorzequinze ans, ça devient hard. » Y a plus de
morale. Les vieux rockers de dix-huit ans, vingt
ans sont écoeurés par ces nouveaux qui ne respectent plus la loi de la dépouille. « Ils atta-
le eveaii.
François
de Çlosets
... l'ordinateur
et l'informatique...
... la violence...
... les prisons...
... le génie génétique...
g.. l'espace...
... les océans...
Îlber
denoêl
60 Lundi 29 mai 1978
quent même des nanas, maintenant, même des
vieux ! Après ça, les gens pensent que les
rockys, c'est des voyous ! »
Johnny-Pascal (« Je m'appelle Pascal —
euh, non, je déconne — Johnny ») a dix-huit
ans, des cheveux courts à la James Dean qu'il
repasse de la main d'un air soucieux. Il fait
du charme, le regard par en dessous, le sourire boudeur et il croit que c'est irrésistible
alors que c'est tout simplement tordant de le
voir jouer si bien — si faux — à l'homme.
Johnny et sa bande, ils sont tous fils de prolos
et d'immigrés, eux-mêmes prolos, chômeurs,
petits boulots. « Lumpen » ou presque, comme
tous les rockys. _Ils détestent les punks, « ces
bourges s, haine alimentée par les échos déformés, gonflés, qui leur viennent des batailles
d'Angleterre entre punks et teddy-boys. « Il
paraît que des punks ont jeté un teddy-boy du
haut d'une falaise », cette histoire-là circule en
Un rocker avec sa « old lady'
« Quand on en a une, on la garde »
plusieurs variantes chez les rockys. Faut dire
que les punks anglais sont plus méchants que
ceux d'ici.
Les jours de semaine n'existent pas. Mélasse
du travail. Mélasse du chômage : traîner au
flip' des heures entières, de partie gratuite en
partie gratuite, et faire un tour désabusé à
l'A.N.P.E. Le samedi soir, alors, éclate comme
du pop-corn. Ils se réveillent, investissent le
métro, Strasbourg-Saint-Denis, la Foire du
Trône, Pigalle, peut-être qu'il va se passer quelque chose ce samedi-là, l'électricité est dans
l'air, la nuit mange la misère, ils sont ensemble,
entre eux, parlant verlan, ils roulent des mécaniques et les pèlerins s'écartent.
Ils volent aux punks leurs badges qu'ils
PETIT LEXIQUE
A L'USAGE DES «PÈLERINS))
• Costumes : la famille des rockers se divise
en sous-groupes qui se distinguent par leur
plumage. A côté du classique Hell's — aigle sur
dos et insignes nazis — redouté et respecté des.
petits rockys, on trouve le rocky simple, ou
gomineux, le gégène et le teddy-boy. Le gégène
se reconnaît à son allure ringarde : vieux costard
et chaussures pointues ; le teddy-boy est plus
chamarré, en blouson golf multicolore, des jeans
retroussés sur de gros boppin'shoes (chaussures américaines des années 1950, à semelles
épaisses) et une bola tie (cravate).
Tous savent apprécier un Perfecto (blouson
de cuir de marque américaine) ou un vrai aviateur. Les bottes cow-boy (mexicaines ou santiag),
hyper-pointues, à talons évasés, sont très prisées et c'est à celui qui portera les plus chères,
les plus rares (en peau d'iguane ou de crocodile). La grande classe, ce sont les mexicaines
avec des embouts (« ailes de papillon ») en
argent et, parfois, des éperons. Mais les puristes
affirment que les Hell's Angels américains portent des santiag à bout carré. Le débat reste
ouvert.
O Musique : le rock uniquement. Et uniquement le vieux rock. Gene Vincent (« Gégène »),
Eddy Cochran, 131.iddy Holly, Elvis Presley de la
première heure et Vince Taylor à la rigueur.
• Deps : pédés, en verlan. Parler verlan, ça
consiste à parler français en inversant les syllaune femme ; un
bes. Ex: une « meffe »
« ginfran », un frangin ; un « tourvau », un vautour. Très pratique, en classe, dans les bistrots.
Mais les flics, de plus en plus, parlent verlan
« Normal. Avant, ils étaient comme nous, après,
ils ont choisi : être flic ou être rock.» Le flic,
lui, c'est le - » keuf ».
• Le baston : la bagarre.
• Dépouille : une paire de mexicaines vaut
plus de. cinq cents francs, un beau blouson bien
plus encore, alors, il ne reste qu'a les enlever
à ceux qui les portent, dans le métro, aux sorties
de lycées parfois. La dépouille fait partie de la
vie quotidienne de ces adolescents.
Il y aurait d'ailleurs une étude économique à
faire sur la rotation des Perfecto et des mexicaines dans Paris. Ça se termine bien, en général, quand on sait trouver le lien, montrer qu'on
est de la famille, qu'on connaît les autres bandes : « Vous êtes d'où ? De Montmartre? le
connais Dédé... ». « En principe, interdiction de
se dépouiller entre rocks. » En principe, parce