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Dacryocystorhinostomie transcanaliculaire au laser YAG :
notre expérience depuis 1998
● E. Salf*, B. Guigon**, S. Bazin**, J. Vix*, J.P. Barberot*, R. Macarez**
e larmoiement chronique, uni- ou bilatéral, traduisant
une obstruction du canal lacrymonasal, amène le
patient à consulter l’ophtalmologiste, ou parfois
l’ORL, dans le cadre d’une sinusite chronique. La stase lacrymale, simplement gênante au début, peut être à l’origine de complications inflammatoires ou infectieuses parfois redoutables,
allant de la dacryocystite catarrhale à la dacryocystite aiguë. Leur
prévention réside dans une anastomose chirurgicale des voies
lacrymales et des fosses nasales en créant un by-pass au niveau
de l’os lacrymal : la dacryocystorhinostomie (DCR).
Plusieurs techniques ont été décrites.
L
La DCR par voie externe des ophtalmologistes
Elle fut décrite pour la première fois par Addeo Toti, en 1904, et
modifiée ensuite par Dupuis-Bontemps, en 1921. Son taux de
réussite avoisine 95 % (1). Cependant, elle génère une cicatrice
cutanée parfois disgracieuse ; elle nécessite également une dissection de l’angle interne, et donc de l’orbiculaire, pouvant compromettre la pompe de Jones. Elle expose enfin à des risques
hémorragiques peropératoires.
La DCR par voie endonasale des ORL
Elle fut exposée pour la première fois, en 1893, par Cadwell. Elle
est réapparue en 1980 grâce aux progrès technologiques de la
microchirurgie endonasale, qui permettent d’atteindre 80 % à
95 % de réussite.
La DCR par voie transcanaliculaire
Elle fut relatée pour la première fois par Christenburry (2). Son
taux de réussite, actuellement de 87,5 % (3, 4), augmente avec
les progrès technologiques et les connaissances anatomiques.
C’est la technique que nous avons choisie en raison de sa simplicité, de sa rapidité et de l’absence de cicatrice visible.
RAPPEL ANATOMOPHYSIOLOGIQUE
L’aspiration des larmes est effectuée par les points lacrymaux supérieur et inférieur situés à 5 mm de l’angle interne de l’œil (5, 6).
Chacun de ces orifices se prolonge par un canalicule confluent en
un canal d’union qui débouche dans le sac lacrymal. Celui-ci est
* Service ORL, HIA Legouest, BP 10, 57998 Metz-Armées.
** Service ophtalmologie, HIA Legouest, BP 10, 57998 Metz-Armées.
logé dans la gouttière lacrymale, concavité de la paroi orbitaire
interne formée en avant par l’apophyse montante du maxillaire
supérieur, très épaisse et donc inaccessible à la chirurgie, et en
arrière par l’os lacrymal dont la fragilité va permettre la perforation. Au sac succède le canal lacrymonasal, qui plonge à travers
l’apophyse montante du maxillaire supérieur et se termine dans la
fosse nasale par un méat à 1 cm au-dessous du cornet inférieur.
L’évacuation des sécrétions lacrymales dans le nez est conditionnée par le clignement des paupières. Ce mécanisme a été
appelé “la pompe de Jones”.
NOTRE TECHNIQUE
Après anesthésie générale ou locorégionale du nerf nasal externe
à la xylocaïne non adrénalinée et un méchage de la fosse nasale,
en particulier sous le cornet moyen, à la mèche de coton imprégnée de xylocaïne naphazolinée pendant 10 minutes, la racine du
cornet moyen est infiltrée à la xylocaïne adrénalinée à 1 %.
Les points lacrymaux supérieur et inférieur sont dilatés, puis une
sonde de Bowmann “00” est introduite afin de vérifier le contact
osseux.
Une injection douce de méthylcellulose ou de gel à la xylocaïne
permet de maintenir les canalicules et le sac lacrymal dilatés.
Un laser Nd YAG (modèle 80/40, Laserscope, San Jose, Californie) est utilisé avec une fibre à usage unique de 300 µ passée
à frottement doux dans une aspiration d’oreille 1 mm à usage
unique (Médiplast, “Metal tip”, Procurator Medical, Täby, Suède)
détournée de sa fonction, et qui, par son caractère malléable, est
amenée à la bonne forme pour permettre une mobilité lors de tirs
(figure 1).
La mèche intranasale est alors retirée.
Un sinusoscope 0o, avec un filtre “laser” interposé entre lui et une
caméra Olympus à vision latérale, le tout chemisé stérilement,
est introduit jusqu’à la zone opératoire endonasale, repérée surtout par la racine d’insertion du cornet moyen en vision directe.
Un sinusoscope 30o peut lui être préféré.
La protection oculaire du personnel présent en salle doit être
assurée, ainsi que la signalétique “laser”.
La fibre laser 300 µ chaussée par le tuteur-guide de 1 mm est
introduite par le canalicule inférieur jusqu’au “contact osseux”.
Le laser Nd YAG en veille émet un point lumineux rouge en bout
de fibre. La salle d’opération étant plongée dans l’obscurité et le
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Figure 1. Laser Nd YAG Laserscope, fibre 0,3 mm et aspirateur.
sinusoscope étant éteint, le point rouge de la fibre laser est repéré
par transillumination, ce qui permet de ne tirer que sur le seul os
lacrymal, structure osseuse la plus fine et la plus déhiscente
(figure 2). Le sinusoscope est allumé progressivement, permettant de repérer la zone muqueuse par où arrivent les tirs.
Tandis que l’ophtalmologiste maintient le contact osseux en se
déplaçant plus ou moins en avant et en bas, l’ORL réalise des tirs
répétés, de quelques secondes, au laser, à 10 watts, sous contrôle
sinusoscopique, avec arrêt immédiat dès que la muqueuse est
franchie.
Environ 10 à 20 tirs, pour 200 à 230 joules d’énergie délivrée,
sont réalisés côte à côte.
L’ostéotomie est élargie à 5 mm et admet aisément l’extrémité
boutonnée d’un aspirateur malléable de chirurgie endonasale
classique (figure 3).
Une sonde bicanaliculaire est mise en place (7), avec extraction
successive à la pince endonasale des deux guides métalliques
malléables de sonde. Une série de nœuds est réalisée entre les
deux brins de la sonde. Celle-ci est laissée en place de manière
optimale pendant six mois.
Figure 2. Os lacrymal, zone des tirs laser.
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Entre octobre 1998 et mars 2001, nous avons réalisé 40 DCR.
Cette méthode a concerné 27 femmes et 6 hommes âgés de 23 à
89 ans. L’âge moyen était de 72 ans et 4 mois. La DCR a été bilatérale pour 7 cas, en un ou deux temps, sous anesthésie générale
dans la moitié des cas, sous anesthésie locorégionale dans l’autre
moitié des cas pour des raisons cardiovasculaires, d’état général
ou de choix éclairé du patient.
Chaque DCR, après installation et méchage, a été effectuée en
15 à 20 minutes. Elle est cotée K 100.
Les soins postopératoires ont été limités à l’installation d’un
collyre antiseptique, à des lavages du nez au sérum physiologique et à des pulvérisations nasales d’antibiotiques et de corticoïdes quatre fois par jour pendant six jours. L’ablation de la
sonde bicanaliculaire par section au canthus interne et mouchage a été suivie d’une vérification endoscopique endonasale
systématique.
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Figure 3. Mise en place de l’aspirateur qui servira de guide à la fibre laser.
RÉSULTATS
Notre recul est de 30 mois pour le patient le plus ancien et de
trois mois pour le plus récent.
L’ostéotomie a toujours été possible, et sa taille à distance variait
de 4 à 5 mm. Le larmoiement, uni- ou bilatéral, a disparu chez
30 patients sur 33 (90 %). Dans un cas, il est réapparu lors de
l’ablation de la sonde par sténose secondaire du canalicule ●●●
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●●● lacrymal inférieur chez une femme de 89 ans. L’ablation
de la sonde a été nécessaire au bout de deux mois dans deux cas,
en raison d’une intolérance locale. Toutefois, le larmoiement n’est
pas réapparu. Deux patients ont été perdus de vue. L’un des
patients est décédé d’une cause intercurrente.
DISCUSSION
Bien que le taux de réussite soit de plus de 90 % pour une petite
série, il est conforme aux résultats des nombreuses publications
consultées, qui montrent une augmentation progressive du taux
de succès. Celui-ci varie de 47 % (8), lors des publications pionnières, à 87,5 % (9, 10).
Il est fonction de :
– l’indication : les sténoses idiopathiques de canal lacrymonasal
ont de meilleurs résultats ;
– l’évolution de la technologie (11) et d’une meilleure connaissance anatomophysiologique ;
– l’emploi de la mitomycine C peropératoire au niveau de l’orifice endonasal pour les cas difficiles (12). Cependant, son utilisation peut entraîner une fibrose pulmonaire secondaire en cas
de passage accidentel du produit dans les bronches.
Les avantages de cette technique sont importants (13-16) :
– la rapidité de l’intervention, qui ne dure que 15 à 20 mn ; elle
est donc moins longue que la DCR par voie externe ou par voie
endonasale ;
– sa simplicité, qui n’implique pas de connaissances rhinologiques importantes, et la rend plus facile que la technique par
voie endonasale ;
– le respect de l’orbiculaire, ce qui n’altère pas la mise en action
de la pompe de Jones ;
– l’absence d’hémorragie peropératoire, le laser ayant un rôle
cautérisant. Un méchage de 24 heures n’a été réalisé qu’une fois,
suite à une plaie minime du cornet moyen causée par le guide de
sonde bicanaliculaire.
La taille et donc l’efficacité de l’ostéotomie ont été longtemps
discutées. En effet, les échecs sont dus au processus cicatriciel
fibrotique secondaire (17), ce qui nécessite une large ostéotomie en première intention. Dans la DCR par voie transcanaliculaire, le diamètre de la perforation est conditionné par la taille
de l’os lacrymal et ne peut dépasser 4 à 5 mm (18). Cependant,
une étude réalisée sur quatre cadavres (19) a prouvé que les
dimensions de l’ostéotomie étaient de 11 à 12 mm, alors que
celle de l’anneau cicatriciel n’était que de 1,8 mm et qu’il était
suffisant au débit des larmes (1,25 ml/jour).
Cette technique peut être améliorée par l’utilisation d’une
microendoscopie lacrymale à trois voies (20).
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CONCLUSION
Bien que récente, la dacryocystorhinostomie par voie transcanaliculaire est une technique élégante et efficace, dont la rapidité et la simplicité permettent une chirurgie ambulatoire.
L’apport de nouvelles techniques de microendoscopie lacrymale devrait en assurer le développement en collaboration avec
les ophtalmologistes.
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